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De la sirène d'Europe à la Mami Wata, sirène africaine
Cela fait longtemps qu'en rêvant à mon sciapode, emblème et logo que je me sens davantage que d'autres (les éditions Zoé en Suisse par exemple) fondé à brandir, étant donné mon patronyme, cela fait longtemps que je me dis que si je devais trouver une épouse à mon sciapode, son pendant féminin ne saurait être autre qu'une sirène.
Cela recoupe mon histoire sentimentale, j'ai connu il y a des lustres une femme, désormais disparue, qui était fascinée par ces mêmes sirènes, ayant été sans doute l'une d'entre elles dans une vie onirique parallèle. Elle avait commencé une esquisse de collection sur ce thème. Cela n'avait pas été loin. Cependant, pendant les mois de gestation intra-utérine de ce qui allait devenir par la suite sa charmante fille, elle la rêva comme une sirène, ce à quoi ressemblent les foetus d'ailleurs...
Ce rapport aux sirènes connut un épisode posthume assez merveilleux. Cette amie avait fait planter un rosier devant sa maison en Brière. D'une variété nommée Mermaid... Quelques semaines après sa disparition, nous nous trouvions, sa fille (âgée alors de douze ans), son mari et moi ensemble dans cette maison. Un matin, en sortant sur le pas de la maison, sa fille eut la surprise de voir qu'une des roses de l'arbuste s'était tournée vers le seuil, avec cette étrange impression que la rose la regardait... J'apprends à cette occasion le nom de cette variété de rose. Mermaid veut dire Sirène comme on sait. Je me demande si la disparue savait le nom de la rose, sans doute que oui, connaissant son goût pour les coïncidences. Mais alors, dans un second temps, le mot sonne autrement, j'entends tout à coup: Mère m'aide... Signal post mortem d'une mère errant parmi les choses, du souvenir de la mère flottant dans le décor de sa vie pour une petite fille désormais orpheline?
L'iconographie sur la sirène est vaste et variée, bien davantage que sur les sciapodes, bien moins connus. Elle contient parfois des images un peu effrayantes, comme ce bébé en bocal que garde paraît-il le musée de l'école vétérinaire de Maisons-Alfort (signalons au passage à nos lecteurs qu'il vient de réouvrir après deux ans de travaux de restauration, merci à Jean-Raphaël pour l'info), ou des images plus sensibles comme cette sirène peinte sur un bombardier pas spécialement conçu pourtant pour l'expression de la sensibilité...
Enfant-"sirène", musée Fragonard de Maisons-Alfort ; les jambes soudées par malformation les font assimiler à une queue de poisson
09/11/2008 | Lien permanent | Commentaires (22)
Une sirène africaine à Pamiers
Les Amoureux d'Angélique m'ont fait un magnifique cadeau avant l'heure, en se baladant aux Puces de Pamiers, où ils ne se sont pas pâmés devant des puciers, non, au contraire, ils sont tombés sur une petite merveille, une sirène à queue bifide, c'est-à-dire deux queues. Qui a tout l'air d'une Mami Wata, avec ce serpent qui lui passe sous les reins, en tout cas, eux comme moi avons plaisir à nous l'imaginer... Elle valait 1 €. Comme quoi nul besoin de s'en aller faire ses emplettes avec la Jet Set de l'art brut du côté des grandes foires d'art brut à la mode pour trouver de la poésie populaire à portée de tout un chacun.
Anonyme, sirène, peut-être une Mami Wata africaine, des traces de trous sur le haut de la pièce peut laisser imaginer qu'elle servit peut-être de figure de proue sur quelque grosse barque, comme image propitiatoire chargée d'éloigner les esprits malins des eaux ; dénichée par Martine et Pierre-Louis Boudra à Pamiers, 2010, photo BM
04/12/2010 | Lien permanent | Commentaires (2)
Une sirène d'Armand Goupil
Tenez, voici dans la chaleur de l'été une vue poissonneuse, une sirène en proue de barque, telle que l'a vue en 1955 Armand Goupil. Cela fait partie d'un carnet de croquis, format 31 sur 20 cm, comprenant 43 pages (et donc 43 croquis, tous datés de la même année, qui ont permis à Goupil d'essayer diverses techniques, autres que l'huile, comme les craies, le brou de noix, le fusain, les crayons de couleur, l'encre, la plume...). A rajouter à toutes les sirènes déjà vues sur cette colonne, et en espérant que mes commentateurs férus de Mami Wata ne s'échauffent pas plus que ça dessus...
Armand Goupil, Sirène du 23-IX-55, coll Bruno Montpied
Je renvoie les amateurs, qui voudraient en voir et en savoir plus sur Goupil, à mes articles, « L’œuvre intime d’Armand Goupil, l’inconnu de la Sarthe », paru dans 303, Arts recherches, créations n°119, Nantes, janvier 2012 (illustré de 6 photos), et « Armand Goupil, peintre inconnu, peintre domestique », paru dans Création franche n°29, avril 2008, Bègles. Sur ce blog, on peut également en découvrir passablement en allant vers ce lien.
19/08/2012 | Lien permanent
La sirène du festival de l'Oh! (Suite)
La communication du festival de l'Oh! est fort bien faite, merci à M. Rym Nassef en particulier qui m'a précisé que le nom de l'auteur de la sirène dont je parle dans "le bal des sirènes" (note du 20 juin) était Toyin Loye (il paraît que c'est marqué en petit dans un coin de l'affiche...). Ce dernier est un artiste nigérian, fils de roi, ayant étudié les Beaux-Arts, et faisant une carrière internationale. Une galerie aux Pays-Bas notamment, la galerie Chiefs and Spirits, basée à La Haye, le représente. C'est sur son site qu'on trouvera des renseignements supplémentaires sur cet artiste qui vit actuellement dans cette même ville. Il y est dit que Toyin Loye intègre souvent dans ses oeuvres des éléments symboliques appartenant aux cultures traditionnelles de son pays (c'est un Yoruba). Alors, d'ici à ce que cette sirène soit cousine avec les Mami Wata du Congo... Peut-être est-elle davantage proche d'une représentation de la déesse de la mer appelée Yemoja que Toyin Loye aime à représenter, à l'instar d'autres déités vénérées par son peuple comme Ogun le dieu du fer. Ca ne vous rappelle rien ce nom d'Ogun? En Haïti, on le retrouve dans les peintures naïves inspirées par le Vaudou (Ogun Ferraille).... Je subodore du coup que dans l'oeuvre de Loye passe un petit parfum de Vaudou...
23/06/2009 | Lien permanent | Commentaires (1)
Une sirène des rues encore (Mami Wata la suite, à Paris)
Les sirènes me poursuivent drôlement je trouve. J'errais samedi matin avec un ami brocanteur aux Puces de Vanves, et comme souvent je me disais que je n'allais encore rien trouver. Et c'est toujours au moment où l'on désespère (enfin c'est souvent à ces moments-là, un peu comme lorsqu'on est las d'attendre un bus qui ne vient pas, et qu'on se décide à partir, et il survient juste au point de lassitude...), que la surprise se manifeste. Repassant devant un éventaire qui sans doute avait été tardivement déballé, me frappent comme une balle deux peintures représentant deux magnifiques sirènes que le biffin a accrochées à la grille longeant le trottoir. Présences immédiates! Qui m'élisent aussi sec! Une connexion se fait instantanément, je ne peux faire autrement que chercher à en acquérir une. Il y en a quatre au total, et aussi des animaux (une belle hyène dégustant une proie sanguinolente, deux lions qui ont une certaine ressemblance avec ceux que peignait le naïf italien Ligabue). Et le marchand me dit: c'est les "Mami Wata" qui vous intéressent? Encore des Mami Wata...! Je ne les avais pas d'emblée reconnues pour sirènes africaines. Elles sont signées "Mansuela 78". Un peintre zaïrois (le Zaïre est l'ancien Congo) actif dans les années 70 donc.
Mansuela, sans titre (Mami wata), 43 x 62 cm, 1978
Je choisis d'acquérir, parmi les quatre sirènes, qui tiennent tantôt un téléphone, tantôt un micro surgi des eaux, une qui cueille des roses, poussant bizarrement parmi des touffes d'herbes dans le fleuve d'où elle émerge (les Mami Wata sont des esprits d'eau douce plus particulièrement, je crois). Et il ne me revient qu'à présent, en rédigeant cette note, l'anecdote relative au rosier de la variété de roses "Mermaid" que j'ai évoqué dans ma précédente note sur les Mami Wata (voir lien ci-dessus). L'inconscient a parlé, je ne pouvais choisir qu'une sirène à la rose. Les collections se constituent ainsi, pièce après pièce, recomposant un puzzle qui dessine le désir de ce que nous voudrions sauver de notre vie (voir aussi la note sur ce fantôme lumineux de sirène surgi un jour dans la même maison au rosier "Mermaid").
12/10/2010 | Lien permanent | Commentaires (14)
Sirènes d'Auvergne... un vagabondage d'Emmanuel Boussuge
« Loin de Pénélope, Ulysse cultivait des champs de sirènes »
Emmanuel Boussuge
Pour ma sirène ciotadine
La passion des sirènes n’était-elle pas tombée quelque peu en sommeil sur le Poignard subtil… ? Ma petite collection photographique va-t-elle ranimer la flamme plus durablement ?
Elle est issue pour l’essentiel d’Auvergne et des environs mais pas exclusivement. On sait que la représentation du sujet n’a à peu près rien à voir avec une géographie maritime, lacustre ou fluviale (sans parler des sources réelles ou prétendues, ni des courants telluriques) ; non, les sirènes échouèrent d’abord là où l’imagination des sculpteurs médiévaux, les premiers à les produire en nombre, du moins sous nos latitudes, les plaça. Ils faisaient tout aussi bien des éléphants ou des centaures sans que leur région d’activité fût une réserve de chasse pour les uns ou les autres. Mes sirènes de moyenne montagne ne sont pas plus porteuses de symbolisme ésotérique et, pour ma part, ça me va très bien comme ça. J’aime les sirènes en elles-mêmes sans nul besoin d’aura surajoutée, je les aime avec simplicité pour la fluidité de leur forme et les rêveries qu’elles procurent. Je les aime presque toutes.
Ceci étant dit, leur forme est beaucoup plus variable qu’on ne l’imagine généralement, et c’est surtout vrai au moyen-âge qui a fourni l’essentiel de ma collecte. Deux de mes sirènes remontent à la figuration antique de la créature mythologique. Initialement, on le sait, il s’agissait d’êtres ailés, redoutables par leur chant, que seul Ulysse parmi ses compagnons, mais solidement attaché à son mât, put écouter sans périr. Grecs et Romains ne les représentaient jamais autrement qu’emplumées et avec des serres acérées et les sculpteurs romans de Saint-Hilaire-La-Croix ou de Brioude sont restés fidèles à la vieille tradition ornithomorphique.
Saint-Hilaire-la-Croix, 2005, photos Emmanuel Boussuge (ainsi que toutes les autres photos à suivre dans cette note)
Brioude, 2013
Remarquons l’hésitation entre masculin et féminin (tout aussi présente dans l’Antiquité), et le mode spécifique de remplissage des chapiteaux romans avec un goût prononcé pour la symétrie, largement déterminé par les contraintes du support (un chapiteau a deux faces).
Restons dans la basilique de Brioude, la plus riche (parmi mes visites) en sirènes et aussi en variantes du sujet. Car, si à son chevet les sirènes sont cousines des oiseaux et barbues, à l’intérieur, elles ont le pied marin et sont des deux sexes. Les sirènes masculines sont aussi appelées tritons. Comme on le voit ci-dessous, elles peuvent être chauves mais aussi couronnées.
Brioude, 2013
Brioude, 2013
Brioude, 2013
Les sirènes du sexe, comme on disait à l’âge classique, ne sont pas en reste. Elles sont représentées sur quatre chapiteaux, rassemblées deux fois par paires et deux fois isolées. La plus simplifiée est sur le chevet.
Brioude, 2013
Deux remarques peuvent être faites. Les sirènes médiévales ont en général deux queues (sans aucun doute beaucoup plus pour des raisons d’occupation du support à sculpter que pour tout autre chose) et elles tiennent leur double queue à pleines mains (sans aucun doute beaucoup plus pour des raisons d’occupation des dites mains que pour tout autre chose… – vous avez vraiment l’esprit mal placé). À travers toutes les variations, leur portée symbolique n’est pas toujours nulle mais paraît toutefois très atténuée laissant presque libre cours à la fantaisie des sculpteurs.
Près de Brioude, on trouve dans la petite ville de Blesle deux chapiteaux à sirènes : l’un avec figure dédoublée où les sirènes semblent porter de magnifiques burkinis de haute époque ; l’autre, colorié par les restaurateurs du XIXe siècle, est sans conteste une des sirènes les plus moches de la collection (mais ce n’est pas la faute des restaurateurs).
Blesle, 2015
Blesle, 2016
Blesle, 2015
Autre grand centre de l’art roman, Conques. Une sirène à deux queues figure entre deux centaures. Nulle justification par le support cette fois-ci, la queue est dédoublée par pur amour de la symétrie, semble-t-il.
Les petites églises du Massif Central offrent bien d’autres sirènes romanes bicaudales. À Roffiac, les sculpteurs ont des modèles proches des églises plus prestigieuses. Deux chapiteaux sont concernés. Les sirènes sont parmi les plus charmantes mais elles ont la particularité d’être à peine des sirènes. Au bout de ce qui devrait être leurs queues, on trouve ou des palmes ou une tête (de chien, de monstre ?) et plus aucune nageoire (c’était déjà le cas à Brioude et ensuite à Menet, Saint-Rémy et Valuéjols, phot. C, F, G, O, T). Le motif devient dans ce cas presque complètement autonome de toute signification précise. (...)
Roffiac, 2016
Roffiac, 2013
Le texte d'Emmanuel Boussuge se poursuit en suivant ce lien (fichier en PDF), qui vous permet de récupérer l'ensemble de sa promenade au pays des sirènes du Massif Central.
15/02/2017 | Lien permanent | Commentaires (7)
Sirènes, quelques images de plus, pour répondre à Darnish et pour ajouter un codicille au vagabondage d'Emmanuel Boussug
Il n'y a pas beaucoup d'avantage au fait de vieillir, et je ne sais pas si on ne doit pas y ajouter le phénomène des amis qui sont ravis de vous faire découvrir quelque chose que vous aviez déjà vu il ya longtemps, en l'occurrence, il y a très exactement 28 ans... Il faut faire comme si on ne savait pas, pour leur laisser le plaisir de la révélation qu'ils vous offrent. Mais à de certains moments, on ne peut s'empêcher de se conduire en malotru, et de se moquer grassement du jeune cuistre. Qu'il nous en excuse donc, c'est ici un moment de ce genre... Le pilier de l'église de Varengeville, sculpté d'une sirène affleurant du granit - une des plus touchantes ondines qui se puisse voir dans une église - ... n'a visiblement pas changé depuis 1989, lorsque, avec une étudiante de Dieppe, Laure Lemarchand, qui m'y avait mené pour voir le singulier pilier décoré de sujets profanes placé au beau milieu du sanctuaire, je le photographiai (à l'argentique). Je saisis sous mon objectif la sirène, la coquille St-Jacques (signalant sans doute aux pèlerins que le bâtiment pouvait les héberger), et les profils ultra naïfs qui entouraient l'ondine archaïque (probablement des portraits de donateurs ?). Darnish en 2015 me confirma que le pilier était bien toujours en place. J'étais venu visiter l'église de Varengeville uniquement pour ce pilier sculpté ; Braque... Je ne m'en souviens pas... Il faut avouer qu'à l'époque, je m'en moquais éperdument. Et je crois bien que je n'aie guère changé depuis...
Pilier sculpté de l'église de Varengeville, ph. Bruno Montpied, 1989.
Sirène du pilier, plus près, ph. Darnish, 2015.
*
Bon, ceci dit, après avoir fait mon vieux schnock, revenons à l'Auvergne, ses sirènes bicaudales (pas très poétique tout de même ce dernier adjectif, même si il est très précis) et autres ondines en pleine terre. Il n'y a rien de surprenant à en trouver en de tels endroits. Outre le fait que, comme le dit Emmanuel dans son texte, l'imagination a bien le droit de disposer des thèmes mythologiques comme bon lui semble, il faut se rappeler que les croyances se portaient aussi vers les sirènes d'eau douce.
Je voudrais ajouter ici un exemple de sirène non repérée par Emmanuel, cette fois hors d'une église, en plein milieu du plateau de l'Aubrac, dans le village de Saint-Urcize, qui, malgré son apparente austérité et sa solitude au milieu d'un pays resté somme toute encore assez sauvage, m'est inexplicablement cher (je n'y suis passé que deux fois dans ma vie).
Fenêtre d'un maison fort ancienne (Moyen-Age?) à Saint-Urcize (Aubrac), ph. B.M., 2016.
Détail de la fenêtre précédente, la sirène, en train de jouer d'un instrument probablement à cordes (un plectre?) ; à noter que de l'autre côté de la fenêtre est sculpté un personnage jouant lui aussi de la musique ; peut-être que la maison était celle d'un musicien et que ces motifs fonctionnaient comme des enseignes ? ph. B.M., 2016.
17/02/2017 | Lien permanent | Commentaires (4)
L'ange des inspirés (quelques-uns de ses faits et gestes)
Mon ange ne se substitue jamais à mon esprit, jamais il ne lui viendrait à l'idée de s'insinuer en moi pour téléguider mon regard (comme me le suggérait récemment un ami dans un échange épistolaire). Tout ceci n'appartient vraiment qu'à moi...
Non, ce qu'accomplit mon ange, de mon point de vue, c'est du côté de l'organisation, et des agencements de situation, ce qu’il est convenu d’appeler vulgairement le hasard, les coïncidences.
A Amiens, par exemple, où je m’étais rendu pour sa grande Réderie du printemps 2018, il avait réussi à rendre complets tous les hôtels de la ville, si bien qu'avec le camarade broc avec qui j'étais venu pour chiner, en arrivant en fin de soirée la veille (sans avoir réservé, bien entendu, fidèles à notre goût de l’improvisation), on n'avait trouvé qu'une seule chambre, chère, qui était accessible si on divisait son prix en deux, et donc, nous avait incliné à partager l’unique plumard, ce qui m'avait empêché de bien dormir.
Le lendemain, de bon matin, devinant que je serais vite épuisé, à force de traîner mes 115 kgs à travers l'immense Réderie, sans avoir bien dormi auparavant, je m’étais décidé à opérer un tri dans ma quête et à ne regarder que les peintures et autres œuvres en deux dimensions, ce qui gagnerait du temps.... Me dépêchant avant que la baisse d’énergie ne me rende la chine insupportable, je me mis à cavaler dans les rues, sans tout détailler, comme font les autres amateurs. Cette stratégie, bien sûr, mon ange l'avait prévue. Et il a le pouvoir d'aimanter mes pas dans certaines directions…
C’est ainsi que je finis par tomber sur une peinture, étalée parmi d’autres, dont je reconnus immédiatement le style : un Bois-Vives ! Que j’achetai une misère au biffin qui ignorait ce qu’il avait ramassé dans ce qu’il est convenu d’appeler, je crois, une adresse, un débarras de logement à vider. Je rêvais depuis longtemps de pouvoir acquérir une œuvre de ce créateur mi-naïf, mi-brut, et mon ange le savait pertinemment, mais je n’avais jamais les moyens quand se présentait d’aventure une pièce à vendre…
Anselme Bois-Vives, peinture sans titre, sans date, 49x66 cm (peut-être des loups?), ph. et coll. Bruno Montpied.
Il a encore frappé ces derniers jours. Je reviens de Vendée où j'ai pu visiter, et photographier, une maison peinte des murs aux plafonds sur deux niveaux par un reclus, que l'on me décrit comme schizophrène (formidable travail d’un créateur improvisé ayant décidé de plonger dans la peinture en transformant sa maison en un aquarium où l’eau serait remplacée par l’image, et le gros poisson, par le peintre). J’étais tombé par hasard, quelques semaines plus tôt (tu parles, l'ange avait bien entendu organisé la conjonction des personnes…), sur un couple de gens, apparentés à ce créateur, qui cherchait à la Halle St-Pierre à intéresser quelqu'un à cette maison. J'étais là, pile au moment où ils sont arrivés, et où ils ont montré des photos des décors sur leur mobile à Pascal Hecker, le libraire de la Halle, qui m’introduisit auprès de ses clients, lui aussi étant conseillé par mon ange bien entendu…
Eric Le Blanche, un détail de l'intérieur de sa maison quasiment entièrement peinte ; le "Adamo" ici représenté est Adam en fait, Eve (écrit "Eva") étant peinte sur la gauche, dans l'escalier dont on voit le commencement ; © ph. Bruno Montpied, 12 juillet 2018.
Mais, le plus étonnant, c'est que le village vendéen où se trouve la maison photographiée, comme je m’en suis avisé avec surprise il y a deux jours, en y allant enfin, est l'ancien siège du château du seigneur de Lusignan, héros de la légende de Mélusine, la femme-serpent ailée, associée au mythe de la sirène, qui s’enfuit lorsque son mari découvre son secret (elle était femme la plupart du temps et lorsqu’elle prenait son bain redevenait femme-serpent, mais personne, y compris son époux ne devait la voir à ce moment, sous peine de la voir disparaître)...
Une sirène est représentée sur la girouette qui couronne le sommet de la tour Mélusine, seul vestige du château des Lusignan dans ce village. Je la découvris dès que j’arrivai dans le village. Comme je l’ai déjà dit plusieurs fois sur mon blog, je suis particulièrement fasciné par les sirènes, surtout celles qui se montrent dans leur version aquatique et piscicole, plus nordique. En Méditerranée, elles étaient davantage envisagées sous une apparence ailée, comme on sait (comme ces sirènes qui tentent de charmer Ulysse, dans l’Odyssée).
Une sirène peinte par F. Bouron, rue Guynemer, Les Sables d'Olonne, ph. B.M., juillet 2018.
Plus étonnant encore, le matin même, aux Sables d'Olonne, alors que je remontais de mon hôtel situé en bord de mer, en direction du musée de l'Abbaye Ste-Croix où j’avais rendez-vous avec ceux qui m’accompagneraient au village de la maison peinte, j'étais déjà tombé sur une sirène, plus moderne mais charmante (elle portait une robe-fourreau se terminant en queue de poisson), peinte sur la façade d’une petite maison, dans un encadrement en relief figurant un gobelet ou une tasse. Par ailleurs, le musée de l'Abbaye Ste-Croix est connu pour abriter des vestiges des créations d'Hippolyte Massé, l'auteur de la Maison de la Sirène à La Chaume dans les années 1950-60 (voir mon Gazouillis des Eléphants). Et, la veille, j’avais également photographié parmi d’autres fresques en coquillages de Dan Arnaud, dans le quartier sablais de l’Ile Penotte, une autre sirène, écho lointain, à notre époque contemporaine, des décors en coquillages du précurseur Hippolyte Massé.
La sirène de la maison d'Hippolyte Massé dans le quartier de La Chaume, détail d'une photographie de Gilles Ehrmann (extraite des Inspirés et leurs demeures, de 1962).
Dan Arnaud, sirène en mosaïque de coquillages, rue d'Assas, quartier de l'Ile Penotte, Les Sables d'Olonne ; on mesure, par comparaison avec la sirène de Massé, ce qui différencie un art véritablement plus brut d'un art, certes maîtrisé, mais plus... esthétique ; ph. B.M., juillet 2018.
Comme on voit, mon ange est fort bien documenté sur mes goûts et il m'aime, et continue de m'aimanter, lâchant même à l’occasion, le long de ma route, une de ses plumes...
Sur les premiers degrés de la rue du Chevalier de La Barre, Paris, ph. B.M., juillet 2018.
28/07/2018 | Lien permanent | Commentaires (11)
Václav Beránek, une présentation par Emmanuel Boussuge (1ère partie)
Un naïf de première classe :
le peintre tchèque Václav Beránek
Portrait de Václav Beránek dans le livre d'Anatole Jakovsky, Les Peintres naïfs, Basilius press, Bâle, 1976.
C’est dans le petit appartement de Pavel Konečný, dans une barre d’immeuble d’Olomouc, que j’ai découvert l’œuvre de Václav Beránek. Sa plus grande toile, son chef-d’œuvre, La Reine des eaux et les naufragés, couvre en effet presque un mur du salon du collectionneur.
Pavel Konečný a trouvé des créations étonnantes à travers toute l’ancienne Tchécoslovaquie, mais aussi en Italie ou en Croatie, depuis les années soixante-dix. Art brut, art populaire, art naïf, Pavel a eu l’excellente idée de ne pas privilégier un champ unique et de laisser s’étendre sa curiosité dans diverses directions, sans segmenter outre mesure les domaines. L’ensemble qu’il a réuni, de par sa variété, possède une fraîcheur tout à fait particulière.
Pavel Konečný est un des plus actifs zélateurs des créateurs marginaux sans formation académique (quelle que soit leur étiquette) de toute la République tchèque et sans doute d’Europe centrale. On lui doit notamment un guide, l’Atlas des arts spontanés¹, absolument indispensable quand on voyage en République tchéque. Il a organisé de nombreuses expositions et aussi un petit festival de cinéma qui promeut les films dédiés à l’art brut. C’est à l’occasion de cette manifestation que nous avons visité Pavel avec toute une délégation française aussi peu officielle que possible. Il y avait Rémy Ricordeau qui présentait Bricoleurs de Paradis (bien connu des lecteurs de ce blog), Lilin Chen, ainsi que Katrin Backes et Sylvain Tanquerel.
Nous avons tous été estomaqués par La Reine des eaux, toile splendide qui défie les lois de la perspective. Les registres s’y entrechoquent de manière parfaitement inattendue. À la surface, le monde des hommes est celui des catastrophes, un naufrage en mer en l’occurrence. Sous les eaux, c’est toute une mythologie personnelle qui se déploie. La reine des mers est entourée de sirènes et de nombreux animaux marins, hiératiques comme sur des gravures de zoologie ou bien en mouvement – les deux cas se présentent. C’est le moment de l’inventaire du monde. L’Eden se ressource grâce aux merveilles de la science illustrée et se caractérise par une dimension érotique lumineuse. Deux femmes nues sont couronnées au fond des eaux : une est blonde et se tient à cheval dans un équilibre bien improbable sur une baleine, l’autre est brune, tient un poisson entre les mains et est dotée du trident de Neptune. Je me demande bien laquelle des deux est la Reine des eaux².
Václav Beránek, La Reine des Eaux, 1972 (collection et © photo Pavel Konečný).
Les mondes de la surface et celui des profondeurs communiquent puisque les sirènes vont sans hésitation à la rescousse des naufragés³. Cette représentation d’un sauvetage en mer n’est pas sans faire penser à la tradition des ex-voto répandue sur de nombreux continents mais étonne quand même un peu en Tchéquie, où les rivages sont passablement éloignés. Un rocher et une curieuse construction (un palais ?) sur la gauche de la toile dote le tableau d’un point de stabilité graphique qui tranche avec les mouvements de la mer. Mais sommes-nous sur le rivage ou sous la mer ? Il est absolument impossible de trancher. Dans le monde onirique de Beránek, les deux positions ne s’opposent nullement. De même, flotter, nager, voler, tout se déroule sur le même plan.
(Fin de la 1ère partie, à suivre...)
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¹. Pavel Konečný, Šimon Kadlčák, Atlas spontánního umění. Textes de Pavel Konečný, Šimon Kadlčák et Roberta Trapani. Composition graphique : Petr Hrůza, Marcela Vorlíčková. Artmap, Praha 2016. Les notices sont toutes bilingues, en tchèque et en anglais. Grand merci à Pierre-Jean Brachet et Delphine Beccaria de m’avoir mis entre les mains cette carte aux trésors.
². Pavel Konečný a répondu à ma question. Dans un premier temps, Beránek avait pensé faire de la reine brune, non pas une reine mais un roi, puis il a changé d’avis. Il y a donc deux reines sur le tableau. [Ou bien deux moments de cette reine ? Note de l’animateur du blog].
³. Cependant, si l’on se tourne vers un autre folklore attaché aux sirènes marines, il serait possible de voir ici, au rebours d’un sauvetage, comme une capture de naufragés, devenus les proies des sirènes. Anatole Le Braz dans son roman Le Sang de la Sirène, l’évoque fort bien, quand il parle des malédictions qui s’attachent aux sirènes d’Ouessant. Note de l’animateur du blog.
09/12/2019 | Lien permanent
Les roulottes de Pascal Tirmant
Qui n'a jamais rêvé de se déplacer en roulotte, ou en péniche? Pascal Tirmant, je ne sais s'il a pu réaliser le rêve, mais en tendres maquettes curieuses, fichées sur des tiges comme fleurs d'un nouveau genre, au moins il aura pu lui donner un commencement d'exécution. Il possède un blog consacré à son travail, et à celui de sa compagne Léa qui fait des monotypes d'après ses roulottes, blog qui permet de se faire une idée de dix-huit d'entre elles. En voici deux que j'ai sélectionnées parmi la troupe, la première en raison de la thématique de la sirène qui m'est chère. On peut voir les originaux à Paris en ce moment (voir ci-dessous).
Pascal Tirmant, Où sont les nuages?
Les Roulottes Objets-sculptés de Pascal Tirmant, Toiles et monotypes de Léa Tirmant sont à découvrir du 6 mai au 4 juin 2010 à la Médiathèque Fnasat-Gens du voyage - 59, rue de l'Ourcq, Paris 19e. T: 01 40 00 35 04. (Merci à Myriam Peignist pour l'information);
14/05/2010 | Lien permanent | Commentaires (4)