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30/08/2008

Dans la série les meilleures cartes postales de l'été

    Cartes postales, petits signes d'amitié durant l'intervalle où nous sommes loin des yeux les uns des autres, il serait juste de vous accorder un peu de place, surtout quand vous supportez un petit effort créatif, bien différent des clichés d'usage (il fait beau, on mange bien, le pays est magnifique)...

   "Une plongée dans l'univers populaire qui t'est cher: à l'époque où a été prise la photo, Matera n'était pas inscrite au "patrimoine de l'UNESCO", ses habitants geignaient sur un air de malaria, menaient une vie brute dans une ville brute, taillée à même le rocher. Et dire qu'aujourd'hui un sculpteur faussement singulier exhibe ses déjections à l'entrée de la ville!"

(Joël Gayraud, août 08)

Carte postale motrant la ville de Matera en 1937, Italie, Archives Historiques Buonsanti.jpg
Vue de Matera dans le sud de l'Italie en 1937, carte postale, Archives historiques Buonsanti

28/08/2008

Luigi Buffo, le retour (Les Amoureux d'Angélique, 2)

     J'avais demandé sur un autre blog, où l'on se contentait de ressortir de vieilles photos du temps passé consacrées à lui (je n'ai rien contre les archives, cela dit), des nouvelles de Luigi Buffo (signant parfois "Lui" Buffo), cet ancien maçon qui avait réalisé un décor de statues en ciment très archaïsantes sur les murs de clôture de sa propriété à Lagardelle-sur-Lèze, non loin de Toulouse, à la fin des années 70 (Jean Teulé avait été le premier à en parler dans son émission de télé L'Assiette Anglaise, puis dans son livre tiré de l'émission, Les Excentriques de l'Assiette Anglaise, en 1989, aux éditions Antenne 2-Du May ; à l'époque dans son texte il dénombrait 400 statues de "bois, cailloux, ciment"...).

Luigi Buffo dans Les Excentriques de l'Assiette Anglaise de Jean teulé, 1989.jpg
Luigi Buffo, l'homme et ses oeuvres, photogrammes du documentaire sur lui extraites de l'ouvrage Les Excentriques de l'Assiette Anglaise de Jean Teulé, 1989 (dans le coin inférieur gauche de ce patchwork photographique, on peut discerner des statues en bois, serrées comme des sardines et accrochées sur un mur)

     Eh bien, les nouvelles sont venues toutes seules, à croire qu'il y a un ange quelque part qui veille sur les hantises, ou un démon (celui de ma curiosité)... En découvrant le petit musée de sculptures et de peintures naïves et brutes des Amoureux d'Angélique au Carla-Bayle en Ariège (voir ma note du 9 août), j'ai eu la surprise, et quasiment la commotion de tomber pour la première fois de ma vie sur des sculptures du fameux Luigi Buffo, conservées dans une salle entièrement consacrée à lui, salle qui est sans conteste la plus impressionante du musée fondé par le couple Boudra (bon, j'arrange l'histoire, en réalité, c'est Pascal Hecker à la Halle St-Pierre qui m'avait indiqué l'air de rien que les Amoureux d'Angélique avaient récupéré l'oeuvre en bois d'un "certain Buffo").

Salle Luigi Buffo au musée des Amoureux d'Angélique, Le Carla-Bayle, ph.B.Montpied, 2008.jpg
Salle Luigi Buffo au musée des Amoureux d'Angélique, Le Carla-Bayle, avec la statue de la Liberté en bas à gauche (couronnée), photo B.Montpied, 2008

     Il s'agit là de sculptures en bois essentiellement, que les Boudra ont récupérées et sauvées il y a un an ou deux, aprés accord avec le nouveau propriétaire du site. Les statues en ciment, suite au décès de la femme de Luigi Buffo qui les avait conservées en l'état jusqu'à ces dernières années, se sont trouvées en effet détruites il y a  peu de temps (vers 2005-2006?). Ne resteraient en fait à Lagardelle-sur-Lèze que trois ou quatre statues, dont un taureau et un personnage assis les mains tendues laissant s'échapper un oiseau... peut-être l'âme de ce site étonnant...? La destruction est intervenue suite au désir des enfants de vendre les lieux et d'y faire place nette. En ce sens, l'oeuvre en ciment de Buffo aura eu moins de chance que celle d'un Charles Billy à Civrieux-d'Azergues dont la maison et le jardin de maquettes en pierre furent rachetées par un particulier qui s'est montré très respectueux du site.

Lui Buffo, quelques statuettes en bois et en ciment, musée les Amoureux d'Angélique, ph.B.Montpied, 2008.jpg
Luigi Buffo, statues en bois et quelques-unes en ciment, dont la plaque d'origine du musée, musée Les Amoureux d'Angélique, photo B.M., juil 2008

     Les statues en bois de Luigi Buffo, selon certains commentateurs (par exemple Jean-François Maurice, la fameuse concierge de l'Art Brut, dans le n°38 du Bulletin de l'Association des Amis de François Ozenda, en 1989 aussi, avec un temps de retard sur Jean Teulé et L'Assiette Anglaise), les statues en bois étaient, paraît-il, au coeur de la démarche créative de Buffo. Il s'en inspirait pour faire ensuite ses statues en ciment, nous dit la fameuse concierge. Elles étaient présentées sous les statues en ciment parfois, à l'ombre... Comme semble le montrer la photo d'Animula Vagula que j'insère ici (prise au début des années 90 ; des statues en bois s'abritent sous un auvent de ciment derrière un des personnages à sombrero).Lui Buffo 2 personnages ph C Edelman.jpg Ou bien dans un local à part, comme semble le montrer la petite photo publiée dans un petit coin du livre de Jean Teulé (voir ci-dessus au début de ma note)... On croit retrouver parmi ces fantômatiques pièces sculptées présentes sur ce photogramme flou, les mêmes pièces que l'on peut voir aujourd'hui au musée des Amoureux d'Angélique, où elles sont présentées de façon légèrement moins serrées qu'à l'origine, semble-t-il, ce qui leur va plutôt bien, j'ai trouvé...

Lui-Buffo,-plusieurs-statue.jpg
Luigi Buffo, Madone à l'enfant et autres pièces en bois, dont certaines datées 1984 (à droite, un personnage avec sabots placés en dessous de sa tête et autres faces fait songer à la disposition des minuscules sabots décorant les affiquets des brodeuses), musée Les Amoureux d'Angélique, ph BM, 2008

     Bien sûr, les statues en bois ne sont plus dans leur local d'origine, et je n'ai pas eu le temps de demander aux Boudra s'ils avaient connu le site du temps de sa splendeur, et s'ils avaient vu comment Buffo avait situé les oeuvres les unes par rapport aux autres (il semble l'avoir découvert juste au moment où cela était sur le point de disparaître complètement, ils sont intervenus in extremis, exhumant les statues d'un tas de débris prêts à finir au feu... ; un petit film fort émouvant a été tourné sur ce sauvetage). Je ne sais pas non plus si les figures sculptées sont chargées de représenter des personnages précis (j'ai juste reconnu Pinocchio dans un coin avec son grand nez de menteur, une madone  à l'enfant, ainsi que la statue de la Liberté avec une couronne). Telles quelles, elles sont déjà remarquables, archaïsantes, comme réminiscences de la statuaire romane des églises pyrénéennes toutes proches, tout en évoquant des ex-voto gaulois, mas aussi des fétiches africains... Et bien qu'elles aient été déplacées, transplantées, elles gardent intacte leur très grande force.

Luigi Buffo,sculptures musée les Amoureux d'Angélique, ph B.Montpied, 2008.jpg
Luigi Buffo, l'homme et son bétail, souvenir vague de statuettes propitiatoires? Musée des Amoureux d'Angélique, ph BM, 2008
Luigi Buffo,4 têtes, musée les Amoureux d'Angélique, ph B.Montpied, 2008.jpg
Luigi Buffo, quatre têtes, musée Les Amoureux d'Angélique, ph BM, 2008

24/08/2008

Cités singulières (chemins de l'art brut VII) à Lille, mais hétérotopies à Francfort

     Le Musée d'Art Moderne de Villeneuve d'Ascq et la Maison de l'Architecture et de la Ville du Nord-Pas-de Calais organisent une exposition sur le thème de l'architecture et l'urbanisme tels qu'ils se reflètent dans les collections de l'Aracine ainsi que dans une collection d'art brut privée. Cela constitue la septième mouture des "Chemins de l'art brut". C'est prévu du 2 septembre au 1er novembre prochain (vernissage le 9 septembre) à Lille . Les créateurs représentés (par une cinquantaine d'oeuvres, sculptures ou dessins) sont ACM, Paul Duhem (pourtant ses villes doivent se résumer à des portes...), Paul Engrand, Désiré Geelen, Frank Jones, Titus Matiyane, Helmut Nimozewski, Willem Van Genk (ses gares, ses imperméables...) et Théo Wiesen (j'ai une petite préférence pour les "totems" de celui-ci).

Théo Wiesen,Chemins de l'Art Brut II, MAM de Villeneuve d'Ascq, 2002, ph B.Montpied.jpg
Salle consacrée à Théo Wiesen aux Chemins de l'Art Brut II en 2002 dans l'ancien Musée d'Art Moderne de Villeneuve d'Ascq, ph B.Montpied

     Le film de Claude et Clovis Prévost sur le facteur Cheval sera diffusé durant l'exposition. En effet, associer au thème de l'exposition les environnements spontanés paraît fort logique. L'idée est légèrement poussée plus loin dans l'expo. Un diaporama diffusé sur place évoquera au delà des sites du facteur Cheval et de l'abbé Fouré d'autres cas d'"habitants-paysagistes" (terme inventé par Bernard Lassus). Le concept de l'expo paraît se focaliser avant tout sur la dimension utopiste et onirique des visions architecturales propres aux créateurs des collections présentées (en dehors de celle de l'Aracine, on annonce une collection privée extérieure). Savine Faupin, sur le site de la MAV de Lille rappelle cependant que le Musée d'Art Moderne de Villeneuve d'Ascq mène une recherche sur la conservation des sites en collaboration avec le CNRS (mais on aimerait cependant savoir quels travaux ont été ajoutés à la suite de la journée sur les sites environnementaux spontanés du 10 décembre 2005 -où entre parenthèses eurent lieu, en marge, de belles rencontres entre amateurs des sites, n'est-ce pas Signor Belvert?). Elle ajoute, sur le même site, cette information qu'il y aura après la réouverture du nouveau Musée d'Art Moderne une grande "exposition transversale" intitulée "Habiter poétiquement" qui traitera plus amplement du thème de l'habitat à travrs les trois composantes des collections du Musée, l'art moderne, l'art contemporain et l'art brut (il va donc falloir s'habituer à ce genre de confrontations à Villeneuve d'Ascq...). Parmi les créateurs présentés à l'exposition, Théo Wiesen est le seul exemple d'environnementaliste spontané, avec ses totems étranges qu'il avait installés dans l'allée qui menait à sa scierie. Les deux photos que j'insère ci-dessus et ci-dessous montrent ceux qui avaient été déjà présentés en 2002 à Villeneuve d'Ascq dans Les chemins de l'Art Brut II.

Theo Wiesen, Les Chemins de l'Art Brut II, MAM de Villeneuve d'Ascq,2002, ph.B.Montpied.jpg
Théo Wiesen, détail d'une barrière sculptée, Les Chemins de l'Art Brut II, 2002, MAM de Villeneuve d'Ascq, ph.B.M.

    Architecture et urbanisme dans l'art brut sont dans le vent en ce moment puisque se terminait ce week-end à Francfort sur Main en Allemagne, au Musée Allemand d'Architecture, une autre expo intitulée Heterotopia. Arbeiten von Willem Van Genk und anderen (Hétérotopies, Oeuvres de Willem Van Genk et autres, du 31 mai au 24 août 2008), expo réalisée en collaboration avec le musée du Dr. Guislain situé à Gand en Belgique. L'idée de la manifestation était d'emprunter à une conférence de 1967 de Michel Foucault (intitulée "Espaces autres") la notion d'"hétérotopie". Ce dernier définissait ainsi des espaces concrets hébergeant l'imaginaire, comme autant de localisations physiques d'espaces utopiques. Il englobait là-dedans aussi bien les cabanes d'enfants, que les parcs de loisirs, les cimetières, ou les asiles. Lieux qui pouvaient constituer un négatif ou une marge de la société. Il aurait pu y joindre les environnements créés par les autodidactes de tous poils qui font notre bonheur ici sur ce blog, entre autres.

Gérard Van Lankveld,Place de la Victoire, 1982-1984, Boîte à musique, collection Fondation Monera, Musée du Dr.Guislain, Gand, expo Heterotopia, Francfort 2008, ph. Piet Kuppens.jpg
Gérard Van Lankveld, Place de la Victoire, 1982-1984, boîte à musique, expo Heterotopia, collection Fondation Monera, Musée du Dr.Guislain, Gand, photo Piet Kuppens, Gemert, Pays-Bas

    Je n'ai pas vu cette dernière exposition, mais seulement le catalogue (trouvable à la Halle St-Pierre ; bilingue allemand-anglais).Heterotopia,catalogue de l'exposition au DAM de Francfort en 2008.jpg Si je n'apprécie que très peu les dessins de Van Genk (son usage de la couleur me repousse, ce qui on le comprendra ne prétend de ma part à aucune objectivité), j'ai été fort intrigué par plusieurs cas présentés dans cette expo, notamment ceux de Gérard Van Lankveld, qui paraît avoir créé un état imaginaire de Monera borné à sa seule personne et à ses productions, d'étranges maquettes de monuments-objets conservées au Musée du Dr.Guislain à Gand, et de Hans-Jörg Georgi et Stefan Häfner, ces deux derniers ayant semble-t-il en commun le goût de confectionner des maquettes de villes bizarroïdes qui comme dans le cas de Häfner font parfois fortement penser à une sorte de ville situationniste, type New Babylon, passée à la moulinette d'un cyclone spécialiste en déboîtages...

Stefan Häfner,Zukunfstadt I-III, DAM,Francfort, expo Heterotopia, ph.Thomas Spier.jpg
Stefan Häfner, Zukunftsstadt I-III, 2000-2005, matériaux divers, Deutsches Architekturmuseum, Francfort et exposition Heterotopia, photo Thomas Spier, Berlin

23/08/2008

La femme du fer

     Aux Jeux Olympiques, dans une épreuve de canoé-kayak, Emilie Fer, concurrente française, va-t-elle conquérir une place sur le sacro-saint podium, se demandent avec inquiétude les commentateurs sportifs en direct de Pékin...?Emilie Fer, ph. agence Reuters.jpg Sera-ce de l'or, de l'argent ou du bronze...?

    Je commence à subodorer la réponse, bien avant la fin de la descente sur le torrent artificiellement reconstitué au milieu d'un stade... Ni or, ni argent, ni un autre métal que... le fer bien entendu...!

    Emilie termine loin du podium, médaille de fer en fin de compte, serait-ce encore un coup de la prédestination ?

15/08/2008

Un petit tour du côté du MASC aux Sables d'Olonne

     De passage aux Sables d'Olonne, passage fugace, durant lequel j'ai été quelque peu effrayé de voir que l'on y construisait décidément trop (dans l'espoir probable d'exploiter au maximum les flux de touristes amateurs de grillade au soleil, et dans le choix de tourner la page sur l'ancienne activité portuaire, autrement plus authentique et poétique pourtant), je suis retourné voir le charmant musée de l'Abbaye Sainte-Croix, connu pour sa collection et sa documentation remarquables sur Gaston Chaissac et autres Brauner et traditions populaires. Tous les Chaissac du musée avaient été prêtés en Allemagne (au musée Richard-Haizmann à Niebüll)  qui elle, de son côté, avait prêté une centaine d'"images non peintes" d'Emil Nolde, le grand peintre expressionniste dont nous aurons bientôt à Paris cet automne une rétrospective au Grand Palais (à partir du 23 septembre ; l'expo Nolde aux Sables, c'est jusqu'au 7 septembre). Pour consoler les chaissaquiens en villégiature cet été aux Sables, on avait rameuté tout de même de l'ami Gaston quelques dessins sur kraft et autres supports, quelques peintures, tous venus de collections privées, oeuvres apparemment inédites, et de très belle qualité.

Emil Nolde, aquarelle (N° inv.Ung.1205) de la fondation Nolde à Seebüll, expo MASC des Sables d'Olonne, été 2008 .jpg
Emil Nolde, Paysage de promenade sous un ciel du soir, aquarelle, env. 17x23 cm, Fondation Nolde de Seebüll, expo du MASC aux Sables d'Olonne, été 2008

      Les "images non peintes" de Nolde, ce sont des petites aquarelles qu'il a confectionnées au secret de son atelier durant la Seconde Guerre, après que les Nazis lui eurent intimé l'ordre de cesser de peindre, et lui eurent détruit ou vendu à l'étranger un millier d'oeuvres conservées dans les musées allemands, les utilisant au passage comme exemples d'"art dégénéré", au côté des oeuvres de Freundlich ou des créations de malades mentaux de la collection de la clinique psychiatrique d'Heidelberg, autrefois dirigée par Hans Prinzhorn. Pauvre Nolde, qui en outre avait eu l'aveuglement de s'inscrire au parti national-socialiste (du Nord, dans la région frontalière avec le Danemark) en 1934... Et qui fut donc sévèrement douché en retour! Quelle lettre abominable il reçut de ceux en qui il avait cru pouvoir placer sa confiance... Traduite dans l'exposition, elle ne l'est pas dans le catalogue malheureusement. Pourtant instructive par son côté terrible. Imaginez-vous, on vient vous rayer de la carte des artistes admis, on vous signifie la destruction, ou la vente à l'étranger (moindre mal), d'un millier de vos oeuvres, et on vous signifie l'interdiction de peindre, on viendra vous contrôler à domicile.

Emil Nolde,Deux personnages, aquarelle, N°inv.Ung.493, Fondation Nolde de Seebüll, expo du MASC des Sables d'Olonne, été 2008.jpg
Emil Nolde, Deux personnages, aquarelle, env 25x18 cm, fondation Nolde de Seebüll, expo au MASC des Sables d'Olonne, été 2008

       Emil Nolde se cacha alors au coeur de sa maison, et réalisa en miniature des projets de tableaux plus grands. L'aquarelle se prêta à cette insoumission intime. Etonnant de constater à quel point malgré leur petite taille, ces paysages et ces portraits respirent et restituent la poésie de lieux possibles, d'une réalité saturée de chaleur de vivre. L'exposition est rare, restitue la fragilité de cet effort de ne pas mourir artistiquement, l'aquarelle elle-même étant à la lisière de l'évaporation, de l'évanouissement, tel un mirage. Les voyant, j'ai pensé à un autre créateur de ces temps où créer de façon moderne avait pris un tour plus que vacillant, Roger Bissière, qui avec une toute autre technique, l'assemblage de tissus, la broderie, lui aussi créa des oeuvres d'une forte originalité, celle qui porte la marque de l'instinct de survie, et s'approche de l'art le plus authentiquement inspiré.

      J'ai continué ma balade dans le musée, à la rencontre des quelques oeuvres de la collection permanente que l'on pouvait voir cet été, je me souviens de tableaux à l'originalité certaine... Mais j'ai préféré poursuivre vers le département des arts et traditions populaires qui se cache sous les toits, pressé que j'étais de revoir Jean-Jean (peintre naïf rugueux, né à Matha en Charente en 1877 et décédé à La Roche-sur-Yon en 1948, à 71 ans, en prison, selon Jalovsky pour faits de proxénétisme après une vie de matelot de misère), Jean-Jean aux trop rares tableaux conservés dans les musées (j'ai servi un jour de trait d'union pour assurer le don d'un Jean-Jean de Yankel, l'extraordinaire collectionneur de peinture naïve, à la Collection Humbert du musée de Laduz, où on peut le voir). Un tableau était toujours accroché, non loin, surprise, de trois tableaux peu connus d'Hippolyte Massé (le conservateur du musée, M.Benoît Decron, ne désespère pas de réaliser un jour au musée quelque publication autour de Massé). Je voulais revoir la porte de bronze ciselé que Massé avait gardée de sa première petite maison de La Chaume, où il se reposait de son métier de passeur sur le chenal du port. Elle n'était plus visible. Momentanément certainement. La voici, telle que je la photographiai en 1996:

Hippolyte Massé,la porte en bronze de son ancienne maison à La Chaume, coll du MASC des Sables d'Olonne, ph B.Montpied, 1996 .jpg
Hippolyte Massé, porte en bronze ciselé provenant de l'ancienne maison dite à la Sirène de La Chaume aux Sables d'Olonne, ph.B.M. 1996, coll. du MASC des Sables d'Olonne

       J'ai eu l'occasion de publier des informations sur Massé dans le passé (cf.  L'Art Immédiat n°2, 1995, le texte de B.Montpied, "Laissez passer Massé le passeur" et le texte de Frédéric Orbestier, "La maison d'Alice"). Il fut grâce à sa sirène en mosaïque de coquillages l'un des inspirés (pas encore nommés "des bords des routes") célèbré par les magnifiques photographies de Gilles Ehrmann dans Les inspirés et leurs demeures (éd. du Temps, 1962). Il avait sculpté la fameuse sirène sur une première maison de la Chaume,Hippolyte Massé, la maison telle qu'elle était en 1996 à La Chaume, ph.B.Montpied, 1996.jpg et fit par la suite un deuxième décor sur une maison rue du Marais (cf reproduction dans L'Art Immédiat, pour la première fois à ma connaissance), décor qui comme le premier fut ensuite par Massé lui-même semble-t-il effacé (cf le texte d'Orbestier ci-dessus cité), pour ne pas envenimer les relations avec les vandales qui s'amusaient à abîmer l'oeuvre donnant sur la rue.Hippolyte Massé,la maison à la sirène, ph. Gilles Ehrmann in Les Inspirés et leurs demeures, 1962.jpg Massé était donc aussi peintre, j'ai signalé dans L'Art Immédiat qu'un de ses tableaux, intitulé Le Voilier, se trouve à Nice dans la collection Jakovsky du Musée Internatinal d'Art Naïf (cf. reproduction dans le catalogue de 1982 du musée, p.235). Attendons donc encore un peu pour prendre connaissance de tout ce que l'on a pu garder sur Massé au musée de l'Abbaye Sainte-Croix (à noter qu'il y a déjà eu par le passé, en 1991-1992, une exposition sur Hippolyte Massé). Des archives attendent encore pour livrer des secrets  Hippolyte Massé, tête sculptée et peinte et coiffure en coquilles St-Jacques, coll du MASC des Sables d'Olonne, ph B.Montpied, 1996.jpg      Hippolyte Massé,assemblage de coquilles de mollusques et de carapaces de crustacés, coll du MASC des Sables d'Olonne, ph B.Montpied en 1996.jpg

     Dernière révélation au MASC cet été, l'annonce pour cet automne (octobre 2008-mars 2009) d'une grande exposition sur le peintre naïf de marines Paul-Emile Pajot. On peut se référer là-dessus au site des amis du MASC. On apprend dans un tiré à part (avec une présentation de Benoît Decron) édité par le musée qu'en préambule à cette expo, le MASC avait déjà acquis en 2006 le Journal de Pajot intitulé Mes Aventures,Paul-Emile Pajot, une page de son journal, texte manuscrit et illustrations gouachées, coll du MASC des Sables d'Olonne.jpg relié en cinq volumes ("prés de 2500 pages, plus de mille illustrations dessinées à la plume ou crayon, gouachées pour la plupart"). Le tiré à part vendu actuellement à la librairie du musée, comprenant de très courts extraits du Journal permet cependant de se faire une idée alléchante de la fraîcheur de ce manuscrit et de ses nombreuses illustrations relatives à toutes sortes de sujets se référant aux goûts et aux tribulations de Pajot, dont on connaissait déjà les magnifiques marines à la fois naïves et japonisantes. 

    "Et si nous commencions juste à découvrir Paul-Emile Pajot?", écrit avec raison M.Decron... 

Paul-Emile Pajot,une illustration tirée de son Journal, coll du MASC des Sables d'Olonne.jpg

(Emil Nolde, "Les Images non peintes" (Aquarelles 1938-1945), MASC, Les Sables d'Olonne, 3 mai-7 septembre 2008.) 

12/08/2008

Roy Louis, sans couronne

Note dédiée à Philippe Lalane
Louis Roy,sans titre, coll privée, ph.B.Montpied.jpg
Louis Roy, sans titre, huile sur toile, 46x55 cm, coll.privée, Paris, Photo Bruno Montpied

        Voici un tableau curieux et attachant retrouvé sur un vide-greniers il y a cinq ans. Route rose serpentant parmi des pelouses franchement vertes, sous l'oeil d'un chat et d'un chien énormes aux yeux vides ou dissymétriques, bizarrement de guingois (pour le félin surtout)... Le portail a été laissé entrebaillé, en arrière-plan derrière la maison, on aperçoit une volière. Les participants au convoi funèbre viennent-ils de sortir de cette maison? Le chat et le chien sont-ils sur le pas de la porte pour faire un dernier bout de conduite à leur maître? Les membres du cortège en tenue de deuil tiennent des mouchoirs pour essuyer les larmes. L'un d'eux tient une canne, un autre, unijambiste, marche avec des béquilles. Le peintre voulant accentuer le côté sombre de la cérémonie a peint le cortège, le corbillard, son cocher en un noir et blanc qui tranche sur la couleur du décor ambiant. Les visages sont blancs ainsi, donnant à ces personnages rangés deux par deux comme dans un cortège d'enfants des écoles, au reste dessinés d'une façon extrêmement stylisée et sommaire (ce qui leur donne un charme fragile qui me plaît beaucoup), une allure fantômatique et un peu sinistre. Le corbillard tiré par des chevaux (à quand remonte ce genre de véhicule ? Sûrement au début du XXe siècle, vu en outre l'allure de la voiture assez primitive qui emboutit l'arrière du corbillard) est heurté par un autre véhicule et le cercueil se renverse, s'ouvre, le mort surgit tout à coup, les bras ouverts, l'air tout à fait ragaillardi ma foi, peint en bleu, ce qui montre sa radicale différence avec ceux qui l'emmenaient à son dernier séjour... Comme si l'accident, traité à la manière des innombrables scènes peintes sur les ex-voto tels que ceux que l'on voit dans certaines églises, par un bouleversant effet paradoxal, l'avait ressuscité!

Louis-François Roy, portrait publié dans le livre d'Anatole Jakovsky, Les Peintres naïfs, 1976.jpg
Louis-François Roy (photo publiée dans Anatole Jakovsky, Dictionnaire des peintres naïfs du monde entier, éd. Basilius Press, Bâle, 1976)

        La signature, "Roy Louis", avec l'inversion malicieuse du patronyme et du prénom, sans doute pas faite au hasard, paraît être la même que celui du Louis-François Roy sur lequel on trouve une notice dans le livre d'Anatole Jakovsky, Peintres naïfs, dictionnaire des peintres naïfs du monde entier (éd. Basilius Press, Bâle, 1976). Anatole le signale comme né en 1891 à Niort dans les Deux Sèvres. Voici ce qu'il écrit sur lui: "Famille nombreuse, très pauvre. Va à l'école irrégulièrement, jusqu'à l'âge de 8 ans. Apprend le métier de tonnelier qu'il exercera jusqu'à l'âge de 70 ans. S'installe à son compte à Saint-Maixent (Ile de Ré [en réalité dans les Deux-Sèvres, voir commentaires reçus pour cette note]). Vit actuellement à La Rochelle. A commencé à peindre en 1962, en voulant remplacer une gravure sale et abîmée par le temps. Verve primesautière, jointe à un coloris très gai." Louis-F. Roy, ajoute son chroniqueur, avait exposé (en 1976, date du livre) dans une galerie Fontenoy à La Rochelle et à la galerie M.Bénézit, avec un catalogue à la clé qui comportait des préfaces de Max-Pol Fouchet et d'Anatole Jakovsky. Ce dernier paraît avoir également écrit sur lui dans un ouvrage que je n'ai pas pu voir, A.J., Ces Peintres de la Semaine des Sept Dimanches, éd. G.Borletti, Milan, 1969. Une peinture de ce même Roy est signalée comme faisant partie de la donation de Jakovsky au musée international d'art naïf de Nice (cf. son catalogue de 1982). J'ignore la date de son décés, hélas probable (s'il est encore parmi nous, il ne serait pas loin d'être le doyen des Français avec un âge culminant à 117 ans...). 

Louis Roy, détail d'un tableau sans titre (l'enterrement accidenté), sans date (années 60-70),coll privée, Paris, ph.B.Montpied.jpg
Louis Roy, détail du tableau, la teuf-teuf (spéciale dédicace à Régis Gayraud, le sagace commentateur)

09/08/2008

Les Amoureux d'Angélique (1)

    Note dédiée à Pierre Gallissaires

    Cela faisait longtemps que je n'avais pas entendu parler en France d'un nouveau musée d'art brut, ou naïf, ou simplement d'art populaire contemporain (étiquette qui en l'espèce correspond assez bien).

Une entrée du musée Les Amoureux d'Angélique, Le Carla-Bayle, ph.B.Montpied, 2008.jpg
Une entrée du musée d'art brut, naïf et populaire Les Amoureux d'Angélique au Carla-Bayle, ph.Bruno Montpied, 2008

    L'Aracine verra bientôt on l'espère ses collections présentées en un espace bien défini et distinct de l'art moderne dans les nouveaux espaces du musée de Lille-Métropole à Villeneuve-d'Ascq dans le Nord. La Fabuloserie, et ses collections d'"art-hors-les-normes" (dont pas mal d'oeuvres récupérées d'environnements spontanés qui allaient être détruits, exemple assez réussi de sauvetage et de déplacement de fragments d'environnements qui devrait faire taire les puristes toujours prompts à taxer ce genre de solution d'"ânerie" ou de "ridicule", cf Belvert et "J2L"), la Fabuloserie tient bien le coup dans l'Yonne à Dicy. Le Petit Musée du Bizarre (de tous, celui qui s'apparente le plus au musée dont je veux vous entretenir) semble perdurer en Ardèche à Lavilledieu, près de Villeneuve-de-Berg (on aimerait avoir des nouvelles fraîches de l'endroit, si un lecteur de ce blog passe par là...), premier musée sur la question en France (car créé en 1969). Nous avons également des musées d'art naïf de qualité (à Laval, collection ouverte au public au Musée du Vieux-Château depuis 1966 ; à Nice, musée construit à partir de la collection d'Anatole Jakovsky, depuis 1982). Un musée consacré à la création singulière (un zeste d'art brut, un peu d'art naïf, un soupçon de surréalisme et beaucoup de singuliers, alias des créateurs marginaux et autodidactes de l'art contemporain), le Musée de la Création Franche, créé par Gérard Sendrey depuis 1988, existe également à Bègles en banlieue de Bordeaux. Le Musée International d'Art Modeste de Di Rosa et Bernard Belluc à Sète montre aussi des oeuvres relevant davantage de l'art populaire manufacturé, comprenant parfois des créateurs aux limites des collections précédemment citées. Sans compter les divers musées d'art populaire ou écomusées, privés ou publics, qui contiennent également nombre de créations relevant de ces mêmes champs, l'art brut, l'art naïf, les environnements spontanés...

    Statuette anonyme représentant une sorcière, prénommée Angélique par les animateurs du musée de Carla-Bayle Les Amoureux d'Angélique, ph B.Montpied, 2008.jpg La découverte du musée des "Amoureux d'Angélique", fondé par l'association Geppetto, qu'animent Martine et Pierre-Louis Boudra au Carla-Bayle en Ariège, une cinquantaine de kilomètres en dessous de Toulouse, non loin de Pamiers, je la dois à un petit dossier qu'avait publié naguère Denis Lavaud à partir des notes et des photos de Bernard Dattas dans le bulletin Zon'Art (n°14, automne-hiver 2005). A dire vrai, ce dossier était avant tout centré sur l'évocation de divers sites et environnements bruts/naïfs de la région de Toulouse, sans trop insister sur les Amoureux d'Angélique,  qui pourtant avaient indiqué aux auteurs les sites en question.

Le Carla-Bayle, ph. Jean-Paul Agulhon sur jpa.galerie.free.fr.jpg
Le Carla-Bayle, ph. Jean-Paul Agulhon

    Pierre-Louis et Martine, chercheurs modestes mais acharnés de la poésie populaire cachée (du Sud-Ouest au Massif Central sans oublier la Région Parisienne dont ils sont originaires), sont à l'origine de nombreuses découvertes, ou de sauvetages de créateurs tout à fait insolites et intéressants. Installés depuis huit ans au Carla-Bayle (soit donc vers 2000, à l'orée du nouveau siècle), ils y ont aménagé une bâtisse sur plusieurs niveaux où finalement ils commencent déjà à manquer de place tant les oeuvres conservées et sauvegardées pullulent. La maison est rustique, la muséographie est simple et bon enfant, sans chichis, semblant inséparable d'une visite guidée en compagnie des propriétaires. Les portes, aux heures d'ouverture au public (mieux vaut téléphoner avant de venir), sont ouvertes dans  la plus grande des confiances. Des chats, des chiens font la visite avec vous. Carla-Bayle, les remparts.jpgLe village ressemble à un de ces villages d'artistes perchés sur une colline comme on en connaît du côté de la Provence par exemple, le snobisme et l'apprêt en moins. De ses remparts, par beau temps, on aperçoit la chaîne des Pyrénées au loin.

Expo Roger Beaudet, les maquettes, la sirène, etc, Musée Les Amoureux d'Angélique, Le Carla-Bayle, 2008, ph B.Montpied.jpg
Exposition Roger Beaudet chez Les Amoureux d'Angélique, vue partielle, les maquettes de bateaux, une sirène, etc., juil 2008, ph.B.Montpied

    Chaque été, en sus de la collection permanente forte d'une dizaine de créateurs, Pierre-Louis et Martine organisent une petite exposition temporaire. Si la saison dernière, ce furent des "jouets" de Pierre et Raymonde Petit (venus de deux collections privées), l'été 2008 est consacré à Roger Beaudet, créateur ouvrier de la région de Roanne, où il sculpte des jouets, des maquettes, et des personnages organisés en saynètes dans un local exigu. Les Boudra indiquent qu'au début ces oeuvres étaient destinées aux enfants, et que par la suite des collectionneurs sont arrivés pour lui en acheter. Beaudet oeuvre à la commande paraît-il, étant capable sur la foi d'une photographie de reproduire, passée bien sûr au tamis de son imagination et de ses déformations, l'image du collectionneur et de sa femme par exemple.

Roger-Beaudet,le berger (peut-être auvergnat) et son troupeau, musée les Amoureux d'Angélique, été 208, ph. B.Montpied.jpg
Roger Beaudet, exposition au musée Les Amoureux d'Angélique, été 2008; on notera les moutons entortillés de fils venus de leur laine peut-être, ph.B.Montpied
Thierry Chanaud,dessin aux crayons de couleurs, musée Les Amoureux d'Angélique, ph B.Montpied, 2008.jpg
Thierry Chanaud, dessin aux crayons de couleur, sans titre, musée Les Amoureux d'Angélique, ph B.Montpied, 2008

     La collection permanente, à l'image des oeuvres de Roger Beaudet, est fortement marquée par l'empreinte de l'enfance. Que ce soit dans les dessins de Thierry Chanaud, qui ressemblent à des imagiers enseignant le vocabulaire aux enfants quoique réinventés par leur auteur, ou dans ses sculptures archaïsantes,Thierry Chanaud,deux sculptures, musée les Amoureux d'Angélique, ph B.Montpied, 2008-.jpg dans les peintures de Gilbert Tournier, ancien maréchal-ferrant (spécialisé dans les chevaux d'hippodrome) découvert par les Boudra du côté de Champigny-sur-Marne (une de leurs premières découvertes, je pense) qui dessinait le nez collé sur le support,Gilbert Tournier,sans titre, musée Les Amoureux d'Angélique, ph B.Montpied, 2008.jpg ou d'autres sculpteurs comme Joseph Donadello -par ailleurs auteur d'un environnement remarquable dans la région sur lequel je ferai bientôt une note à part- ou le fils de tzapiuzaïre (faiseur de copeaux, selon P.Mamet dans Les Artistes Instinctifs,  Almanach de Brioude, 1924...) Denis Jammes en Haute-Loire. Les attelages d'Henri Albouy, par leur côté miniaturisé, eux aussi font penser à des maquettes et à des jouets. Les statues d'Honorine Burlin, elles aussi venues d'un environnement de la région à côté de Cintegabelle, à Picarou, ont quelque chose de fortement candide.

Joseph Donadello, quelques statues conservées au musée Les Amoureux d'Angélique, ph.B.Montpied, 2008jpg
Des statues en ciment peint de Joseph Donadello (alias Bepi Donal), à gauche Adam et Eve, à droite Ketti et Mario ; les juments au-dessus sont de Séverino De Zotti ; Musée Les Amoureux d'Angélique, ph B.Montpied, 2008

     Pourrait-on forger pour ce petit musée fort sympathique l'étiquette d'art populaire enfantin? Pourquoi pas... Cependant, au coeur de ce musée, existe aussi une autre salle consacrée à un autre créateur à qui l'étiquette ne colle pas tout à fait... Mais cela, je vous en parlerai dans un épisode suivant...

 

Contacts: 

Les Amoureux d'Angélique, 09130, Le Carla-Bayle, tél: O5 61 68 87 45, e-mail: amoureuxanges@hotmail.com

Pour le moment, pas encore de catalogue sur place, seulement des cartes postales et des mini-dépliants comme ci-dessous (merci à Pierre-Louis et Martine Boudra pour m'avoir laissé prendre toutes les photos que je voulais):

Annonce Roger Beaudet, 2008.jpg

  

02/08/2008

Miroslav Tichy, océan pacifique

    J'avais été intrigué à l'exposition de la collection d'art brut d'Arnulf Rainer, à la fondation Antoine de Galbert-La Maison Rouge (en 2005, Paris), par quelques photos qui paraissaient comme volontairement abîmées, plutôt floues, représentant des femmes comme s'il s'agissait de clichés voyeuristes. Un photographe brut? Tiens, tiens...

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Miroslav Tichy, Inv. -Nr 1-35, 20,9 x 24,8 cm, collection Fondation Tichy Ocean, Zürich (catalogue de l'exposition au Centre Pompidou, 2008)

    Il existait bien aux USA le cas d'Eugène Von Bruenchenhein, cet homme qui adorait sa femme et la photographiait sans cesse parée de bijoux, parfois dans le plus simple appareil (quoique sans trop d'érotisme). De la photographie amateur existe aussi bien entendu (aujourd'hui le domaine doit exploser avec tous ces petits appareils numériques pas plus grands que des cartes à jouer). Des livres ont été souvent consacrés à la question, plus précisément à la photo anonyme. Sur ce blog, j'ai également évoqué les cartes postales à plusieurs reprises, notamment le 30 mars. La photo a prolongé bien évidemment l'imagerie populaire gravée. Roger Cardinal, interrogé sur la photo "brute", m'a indiqué avoir écrit sur la question. J'espère avoir communication ultérieure de cet article. Or, voici une importante exposition au Centre Georges Pompidou consacrée à Miroslav Tichy, qui nous renseigne davantage (que l'expo de la Maison Rouge), en une centaine de clichés au moins, sur les recherches de cet homme hors du commun.

Catalogue expo Miroslav Tichy au centre Pompidou en 2008.jpg
Couverture du catalogue de l'expo Tichy au Centre Pompidou

     Il n'y aurait pas de Miroslav Tichy sans le rôle central, quoique discret, joué par un médiateur capital, Roman Buxbaum. Cet attelage à deux individus, le créateur et son médiateur auprès du public, nous rappelle déjà un trait commun aux créateurs de l'art brut. Ces derniers viennent rarement jusqu'à nous sans un truchement extérieur, qui assure la communication. En l'occurrence, il semble que l'activité photographique de Tichy n'ait pas été destinée à être montrée. Roman Buxbaum (voir Un Tarzan en retraite, souvenirs de Miroslav Tichy, publié dans le catalogue de l'expo du Centre Pompidou) restitue l'aspect relativement contradictoire de la position de Tichy vis-à-vis de la communication de ses photos: "Il aime les montrer à ses visiteurs. Mais admet rarement avoir donné son accord pour que ses oeuvres soient exposées. Et lorsqu'il est de mauvaise humeur, il accuse et insulte quiconque ose les montrer au public. Pourtant, lorsque je lui ai apporté le catalogue de l'exposition de Séville [première exposition de ses photos en 2004 à l'initiative de Harald Szeemann], il n'a pas caché son émotion".

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Miroslav Tichy, Inv. Nr 5-2-7, 24 x 21,5 cm, collection Magasin 3 Stockhom Konsthall (catalogue Centre Pompidou)

     L'activité photographique de Tichy, toujours selon Buxbaum, paraît une activité très intime qui se serait développée après une crise psychotique survenue dans les années 50, suite au vernissage d'une expo à Prague dans un lieu réputé où ses peintures avaient été sélectionnées mais que Tichy décida brusquement de retirer à la dernière minute (Tichy est aussi un peintre et un illustrateur, ayant eu au départ une formation à l'école des Beaux-Arts de Prague). Il a été sujet à de nombreuses dépressions depuis l'adolescence, nous dit-on, qui sont des périodes où paraît s'anéantir une créativité qui ne se développe au contraire que lorsqu'il est en bonne santé.

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Miroslav Tichy, Inv. -Nr. 6-12-7, 29 x 21 cm, Fondation Tichy Ocean, Zürich (et catalogue Centre Pompidou) ; chef-d'oeuvre d'ambiguïté

      Ses photos, que Buxbaum va parfois repêcher dans le magma océanique du logis où Tichy laisse aller ses affaires à vau-l'eau, parlent très souvent des femmes, des corps de femmes inconnues, croisées, entraperçues, semble-t-il à leur insu. Ces clichés volés montrent des instants de grâce, de beauté érotique qui surgissent inopinément, dans un paradoxe seulement apparent, au travers d'une technique bricolée. Matériel photographique de Miroslav Tichy, coll fondation Tichy Ocean, Zürich.jpgTichy a réinventé le sténopé, la boîte à chaussures munie d'un trou et d'un papier photographique, il a fabricoté des appareils à partir d'objets de récupération (dans le film que lui a consacré Roman Buxbaum -Miroslav Tichy, Tarzan à la retraite, édité en DVD, disponible à la librairie de l'expo au Centre Pompidou- il montre le bouton de rembobinage d'un de ses appareils faits à partir d'une capsule dentelée de bouteille de bière). Idem pour son agrandisseur confectionné à partir de planches et de lattes arrachées à une clôture. Appareil photo de M.Tichy, coll Fondation Tichy Ocean, Zürich.jpgC'est comme si nous avions affaire au cousin de l'André Robillard qui fabrique des objets symboliques (ces fusils qui ne font feu qu'imaginairement), sauf que les appareils photo assemblés vaille que vaille avec des boîtes de conserve par ce "cousin", ici, peuvent prendre aussi des photos!

      Les organisateurs de l'expo, en raison de ces bricolages, l'associent aux outsiders et à l'art brut. Mais la parenté avec cette dernière conception est également à rechercher ailleurs, comme je l'ai souligné au début de cette note. L'oeuvre photographique (cela finit par être une oeuvre, en dépit du fait, en outre, que Tichy "n'aurait jamais accepté d'être considéré comme un photographe", dixit Buxbaum) est avant tout une action qui cherche à se rapprocher au plus près de la vérité de ses sujets. Il s'agit pour Tichy de capter au plus immédiat la grâce de la vie, le mystère des formes et des incarnations qu'il a tendance à concevoir comme des apparences illusoires (dans son film, Tichy évoque le mythe de la Caverne de Platon, mythe destiné à prouver que l'homme est condammné à n'entrevoir de la vérité que son ombre).

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Miroslav Tichy, Inv. -Nr 4-11-23, 26 x 20,5 cm, coll Fondation Tichy Ocean, Zürich (et catalogue Centre Pompidou) ; avec cette photo, Tichy prend tout à coup des allures de Lewis Carroll décalé

    "Quand quelque chose attirait son attention, il attrapait son appareil, soulevait de sa main gauche le bord de son pull et, de sa main droite, ouvrait l'étui et appuyait sur le déclencheur sans même regarder dans le viseur. Son mouvement était si fluide et rapide qu'il était presque impossible à remarquer. En riant, il dit qu'en procédant ainsi, il pouvait attraper une hirondelle en plein vol" (Roman Buxbaum, les derniers mots soulignés par l'auteur sont de Tichy). L'hirondelle de ses désirs...

    Signe supplémentaire de son indifférence à l'égard des conventions esthétiques de présentation, Tichy a confectionné des cadres bricolés avec des pauvres matériaux de hasard, décorés parfois de dessins ou de motifs griffonnés, pratique qui rappelle celle du poète Boris Bojnev (un Slave là aussi) qui en Provence s'était adonné à la mise en cadre d'oeuvres naïves trouvées en brocante. Ces deux formes de création réalisées autour d'un sujet empreint de poésie vitale sont du reste apparues dans les mêmes décennies d'après-guerre (Tichy, qui est toujours vivant, paraît avoir cessé ses activités artistiques dans les années 90, période qui précéde curieusement sa reconnaissance publique, comme si cette dernière ne pouvait avoir lieu qu'après la création et pas pendant). Certes Tichy a eu une formation artistique, et cela le distingue des autodidactes de l'art brut. Il serait à mettre en rapport avec ces grands inclassables de l'art que sont Soutter, Charles Meryon, Louis Wain (dont je parlais dans une note précédente), Ernst Josephson, etc, autant de créateurs artistes au départ qui à la faveur d'un basculement dans un état psychotique ultérieur ont orienté leurs travaux dans un sens profondément intériorisé. Ce qui est bien en rapport avec l'enjeu de l'art brut en définitive.

Miroslav Tichy Inv. -Nr.6-12-13, 25,1 x 17,9 cm, coll Fondation Tichy Ocean.jpg
Miroslav Tichy, Inv. -Nr 6-12-13, 25,1 x 17,9 cm, coll Fondation Tichy Ocean (et catalogue Centre Pompidou) ; à la faveur de cette spectralisation du corps nu, on retrouve cette recherche de la figure du désir assez analogue aux recherches d'un Bellmer par exemple

L'expo Miroslav Tichy se tient au MNAM du Centre Pompidou, à la Galerie d'art graphique, du 25 juin au 21 septembre 2008. Les photographies exposées proviennent sauf quelques-unes de la fondation Tichy Ocean basée à Zürich. "Tichy" en tchèque se traduit par paisible, pacifique. L'univers de chaos et de hasard dans lequel vit Tichy ressemble à un océan. L'océan Tichy. Ce qui donne par jeu de mots l'océan pacifique... D'où le nom de la fondation de Zürich.