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31/05/2021

Festival Hors-Champ des arts singuliers au cinéma (documentaire seulement, hélas...): le retour!

     L'année dernière, ce sympathique festival organisé par l'Association Hors-Champ sur un jour et demi avait été annulé pour cause de virus.

Programme 24e festival On n'est pas des gueux,final, 2021.JPG

A souligner dans ce programme qui sera diffusé les 4 et 5 juin dans la salle L'Artistique, 27 boulevard Dubouchage à Nice, les films consacrés à Lee Godie, à Italo Farinelli (nouvel environnement populaire spontané que je ne connaissais pas), ou les films de Lespinasse sur La Pommeraie et Pépé Vignes.. Pour le reste, je botte en touche, soit parce que je ne connais pas, soit parce que je trouve les films assez quelconques.

 

     Il ne s'en est pas complètement remis, puisque cette année, il revient quand même, mais en petite forme, avec un programme allégé (au point de vue variété et originalité), et dans un nouveau lieu d'hébergement, la salle de l'Artistique – l'auditorium du MAMAC à Nice n'étant pas disponible, cause Covid, et l'Hôtel Impérial, le délicieux Hôtel Impérial ayant, trois fois hélas!, fermé ses portes, apparemment définitivement... condamné par le Covid et ses répercussions économiques.Clé de la chambre 25 à Nice.jpg

     On se souviendra avec une nostalgie désormais poignante des rencontres que les invités à ce festival (dont j'ai été) eurent à maintes occasions le bonheur de vivre, dans la salle de séjour très cinématographique de ce vieil Hôtel Impérial, avec ses vases, ses bouquets de fleurs, ses tableaux, ses murs couverts de tapisseries, ses tentures, ses meubles baroques, ses poutres peintes, ses fauteuils en cuir – où parfois étaient projetés certains films, comme ceux de Guy Brunet, un peu longs, mais diffusés comme en avant-premières, dans une sorte de projection familiale – ou dans la salle de réception du petit déjeuner, avec son lustre de cristal, sa fresque de putti au plafond, ses baies donnant sur un jardin abrité à l'ombre de quelques palmiers, où dormait, marginalisée, une table ronde en rocaille attendant ses chevaliers, devenus  définitivement fantômes....hôtel impérial à nice,association hors-champ,cinéma documentaire et arts singuliers,lee godie,italo farinelli,philippe lespinasse,caroline bourbonnais,francis david,claude massé,guy brunet,pierre-jean wurst,on n'est pas des gueux

Hôtel Impérial façade (2).jpg

La façade de l'Hôtel Impérial (et la clé de la chambre 25, recto et verso ci-dessus, avec son message original en cas d'oubli), photos Bruno Montpied, juin 2018.

Salle à manger le plafond aux vénus et angelots (2).jpg

Les Vénus et les amours au plafond de la salle à manger, ph. B.M., 2018.

 

    Dans ma mémoire, j'aime à faire défiler les personnages d'un certain matin au petit déjeuner, Caroline Bourbonnais, avec qui je n'avais jamais eu l'occasion de me retrouver en tête à tête, Francis David, ce photographe mystérieux et réservé, comme venu d'un autre espace-temps, eût-on dit, Claude Massé que l'on m'avait dépeint bourru, difficile, mais qui me parut au contraire aimable et charmant (était-ce l'atmosphère de ce lieu magique qui métamorphosait tous ceux qui y passaient?), Vincent Monod le rire jamais loin des lèvres, Philippe Lespinasse, à la fois semblable à un passager tombé l'instant d'avant de la Lune et l'œil bientôt narquois, et Pierre-Jean, l'ineffable Pierre-Jean Wurst, l'hôte généreux et incapable de ne pas blaguer, venant faire la revue de ses invités, Guy Brunet... Marc Décimo... Alain Bouillet... Charles Soubeyran, un peu pontife en dépit de ses sandales sans chichis... Anic Zanzi, de la Collection de l'Art Brut de Lausanne, comme sur la défensive...

24e festival On'est pas des gueux, affiche, 2021.JPG

Affiche de ce 24e festival... Avec son titre choc habituel, tel qu'aime à en choisir, à chaque festival, l'équipe de l'association Hors-Champ...

20/05/2021

Info-Miettes (37)

Musées, galeries rouverts

     Citons quelques musées qui rouvrent depuis le 19 mai: à Laval: celui de l'Art Naïf et des Arts Singuliers (qui vient de finir de construire un site web) ; à Paris :  la Galerie Claire Corcia (qui prolonge son exposition consacrée à Hélène Duclos qui s'était retrouvée victime du confinement), la Galerie Pol Lemétais (avec des outsiders américains du 19 mai au 6 juin) et la Galerie Polysémie qui reviennent faire un tour pour un mois dans les locaux de l'ancienne galerie de Béatrice Soulié rue Guénégaud (6e ardt), la Galerie Les Yeux Fertiles (avec une exposition intitulée "Boîtes à mystères"), également dans le 6e, le Musée d'Art et d'Histoire de l'Hôpital Sainte-Anne, dans le 14e (qui prolonge jusqu'au 13 juin prochain son intéressante expo, "Follement drôle", pas vue du public, consacrée à l'humour des artistes pensionnaires d'hôpitaux psychiatriques, les oeuvres présentées provenant du MAHHSA et, fait bien plus inédit, de la Collection Prinzhorn à Heidelberg, voir l'article que j'ai consacré à l'expo dans le n°166 d'Artension en mars-avril dernier) ; A Villeneuve-d'Ascq, à côté de Lille, le LaM (dont mon petit doigt m'indique qu'ils préparent là-bas une exposition prévue pour l'année prochaine sur un sujet qui me tient tout particulièrement à cœur, car je l'ai, dans un de mes anciens textes, appelée de mes vœux : Art brut et surréalisme ; on sait que contrairement à la collection de l'Art Brut à Lausanne, les conservateurs du LaM en charge de l'art brut ont une sensibilité particulière envers André Breton et les surréalistes, l'idée de l'expo est donc logique) ; à Marseille : la Galerie Béatrice Soulié, désormais seulement installée dans la cité phocéenne, monte une "Rétrospective Louis Pons (1927-12 janvier 2021)" du 11 juin au 7 août 2021, voir  ici le dossier de presse ; en Belgique: le Musée de la Création Franche de Bègles est, on le sait, fermé pour travaux (environ deux années), cela ne l'empêche pas de faire des expo hors-les-murs comme celle qui s'ouvrira du 21 mai au 12 décembre  2021 à la Fondation Paul Duhem, à Quevaucamps.

 

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Vue de l'expo Outsider Roads organisée par Pol Lemétais dans l'ancienne galerie Soulié, ph. Galerie Lemétais. ; au mur divers outsiders américains  comme Kenneth Brown ou Henry Speller, voire John Henry Tooner...

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PIF, quésaco?

     Cet acronyme signifie Patrimoines Irréguliers de France. Il s'agit d'une association animée par trois Italiens, Roberta Trapani, Chiara Scordato, Danilo Proietti et un Français, Olivier Vilain. ils viennent de finaliser leur site web où l'on apprend plus sur leur action et leurs projets, qui flirtent avec les cultures alternatives. Ils s'intéressent comme moi aux environnements atypiques, mêlant dans un même sac environnements et artistes marginaux plus ou moins inventifs (Jean-Luc Johannet, Danielle Jacqui, Jean Linard...) et créations environnementales spontanées plus strictement populaires.

 

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Jean-Luc Johannet, une maquette de ville imaginaire exposée dans le hall de la Halle Saint-Pierre dans le cadre d'une exposition montée par le PIF en 2018, ph.  Bruno Montpied.

 

      Je les soupçonne parfois d'être attirés avant tout par les artistes marginaux, et un peu moins par les créateurs autodidactes amateurs (malgré les textes de Roberta Trapani qui est plus sensible à ces derniers que ses complices). Un autre point qui me chiffonne est le relatif sous traitement, sur leur site web, des références aux autres acteurs défendant le domaine (mon blog qualifié "d'historique" - merci pour le coup de vieux que je me prends au passage!) - n'étant pas oublié cependant, merci pour lui). L'action de ce collectif de quatre personnes, on s'en convaincra aisément en parcourant leurs professions de foi, se veut clairement politique, mettant en avant les mots utopie, libertaire, indiscipline, surréaliste-révolutionnaire, ZAD, clandestinité, illégalité, excusez du peu... Ils ont édité une revue, intéressante, mais au format et à la mise en pages un peu difficiles à aborder, Hors-les-normes, qu'elle s'appelle, empruntant son titre à l'art défendu à la Fabuloserie... Je signale aussi pour finir qu'ils font actuellement un petit reportage filmique sur la restauration de la tour Eiffel de Petit-Pierre dans le parc de la Fabuloserie (voir l'appel de ces derniers que j'avais répercuté, et qui a été couronné de succès, dégageant les fonds nécessaires à la restauration). A suivre, donc...

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Joseph "Pépé" Vignes, une expo à la Fabuloserie et un film

     A la Fabuloserie, à Dicy (Yonne), est montée pour cette saison (tout l'été) une expo bâtie à partir des œuvres de Pépé Vignes dans le fonds permanent de la Fabuloserie. Deux photos que m'a prêtées la Fabulose Sophie Bourbonnais donnent envie d'aller musarder dans cette belle région :

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Photo Archives Fabuloserie.

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Vue des différentes œuvres de Pépé Vignes à la Fabuloserie-Dicy, archives Fab.

 

    J'aime particulièrement les graphismes aux crayons de couleur (plus stables dans le temps que les feutres d'école que Vignes utilisait) de cet ancien tonnelier, qui en dépit d'une vue déficiente (il dessinait l'œil collé au support) mettait toute son énergie à concentrer dans ses bus, trains, voitures, bateaux, tonneaux, instruments de musique, bouquets de fleurs, poissons, avions,  l'amour qu'il portait à leurs aspects. Plus immédiate poésie visuelle que cela, tu meurs... Tous ceux qui se moquèrent de lui, le brocardant à l'envi quand il jouait de son accordéon dans les bals populaires à Elne et sa région (pays catalan), doivent rire jaune aujourd'hui quand ils découvrent par hasard qu'il est désormais considéré comme un grand créateur (en particulier lorsque l'on découvre la rue qui a été octroyée à sa mémoire à Elne).

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Photo Illibérien, prise à Elne.

 

      La Fabuloserie et Philippe Lespinasse se sont alliés pour que ce dernier réalise un film à partir d'extraits de la "capture" filmique  qu'Alain Bourbonnais avait tournée dans les années 1970. Le réalisateur a gardé quelques passages du film où l'on aperçoit Vignes dans son petit logement, et il a fait alterner ces extraits avec des fragments d'entretien avec divers témoins qui ont connu Pépé Vignes, comme Jean Estaque, cet artiste qui m'est cher, comme j'ai eu l'occasion de le dire dans plusieurs notes précédentes. On trouve le DVD du film dans la librairie de la Fabuloserie-Paris, rue Jacob (6e ardt).

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Joseph "Pépé" Vignes, avec ses lunettes à double foyer, ph. JDLL, transmise par "Illibérien".

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Jaquette du DVD de Philippe Lespinasse "Pépé Vignes: c'est du bau travail!", co-production Fabuloserie et Locomotiv films.

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Escale Nomad aussi dégaine ses trouvailles de printemps profitant du déconfinement... 

     Cette fois, la galerie nomade de Philippe Saada fait son nid, du 26 mai au 6 juin rue Notre-Dame de Nazareth (3e ardt) dans une galerie appelée "L'Œil bleu", voir ci-dessous...

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     On notera de prestigieux et classiques nouveaux venus dans le stock de Saada, quand on y découvre Emile Ratier par exemple, ou encore Carlo Zinelli et Fernando Nanetti, qui avait graffité les murs de la cour dans son hôpital psychiatrique à Volterra en Italie. Comment il s'y est pris, le Saada? il a fauché un morceau de mur de l'hosto, ou quoi?

18/05/2021

Une caricature de Régis Gayraud

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Régis Gayraud, "Pardon Madame...", dessin au crayon sur tache réalisée préalablement par Bruno Montpied aux crayons aquarelle sur papier, 31 décembre 2019, coll. B.M. 

12/05/2021

Les statues angoissantes de Paris (1)

     Comme Dubuffet qui ne pouvait plus voir d'art dans les lieux impartis aux expositions durant l'Occupation du début des années 1940, du fait de la présence des Nazis justement, et qui se rabattait donc sur les graffiti, notamment ceux photographiés par Brassaï (voir les livres sur la question, et la revue Minotaure), je cherchais toujours à voir durant les derniers confinements intra muros à Paris les endroits où l'on peut librement accéder à de l'expression artistique en l'absence des musées fermés depuis des lustres (en dépit du fait que l'on pourrait imaginer des jauges, des écarts entre les visiteurs, des horaires plus grands, des ouvertures en nocturne, etc.). Au lieu des Nazis, c'est la Covid 19 qui nous occupe en effet. 

       A force de me promener dans Paris que je ne quitte plus et sillonne donc de long en large, je me suis rendu compte que plusieurs artefacts présents dans les rues, des statues dans les lieux publics, étaient étrangement angoissants, bizarrement choisis, je trouve... Pour confronter mon impression à celle de mes lecteurs, je propose donc ici quelques exemples.

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Pompidou, dans un parc près de l'Elysée, grande statue assez effrayante, raide comme un piquet avec comme un balai dans le cul ;  il paraît que Claude Pompidou, quand elle a découvert la statue, a pris peur et s'est enfuie à toutes jambes ...

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Autre grande gigue, installée sur les bords de la Seine, vers le Pont de l'Alma, un "hommage à Komitas  et aux 1 500 000 victimes du génocide arménien de 1915 perpétré dans l'empire ottoman", statue passablement lugubre à ne pas croiser en pleine nuit sous peine de chopper une dépression fulgurante...

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Etienne Martin, Personnage III, jardin des Tuileries ; statues d'aspect cartilagineux, comme des membres humains rongés par l'eau et lentement fossilisés.

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Sorte de père Ubu dans le même Jardin des Tuileries, près d'une aire de jeux, présence vaguement menaçante... Grand tas flasque et pourtant solidifié.

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Au-dessus de l'entrée d'une crèche collective, rue de La Tour d'Auvergne (IXe ardt), quelques figures de morts-vivants pour accueillir au mieux les petits...

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Ailleurs (rue Andréa Del Sarte,  dans le XVIIIe ardt), on préfère les crocodiles comme hôtesses d'accueil...

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Et quand les petits enfants seront plus grands, ils auront la joie de retrouver leurs grands-parents à l'image exemplaire de ces deux croulants sur le Déclin du Square Jules Champlain, le long du Père Lachaise, la destination finale qui explique peut-être l'attitude sinistre des deux vieux, tournés vers lui...

(Photos Bruno Montpied)

 

07/05/2021

"Le Ciment des rêves, l'univers sculpté de Gabriel Albert", ou comment un inspiré du bord des routes peut être exposable au musée

     L'exposition montée au Musée-Jardins Cécile Sabourdy, à Vic-sur-Breuilh, au sud de Limoges, mise en place à ce qu'il semble durant ces mois-ci, sans que le public puisse la voir, consacrée à une quarantaine de sculptures de l'autodidacte naïf Gabriel Albert (1904-2000), ouvrira ses portes, on l'espère tout bientôt (le 19 mai?).

L'envers du décor, petit sujet sur les étapes du transfert des oeuvres de Gabriel Albert de Nantillé à Vic-sur-Breuilh, une entreprise, à mes yeux, exemplaire...

 

    J'ai déjà eu l'occasion sur ce blog de mentionner les différentes étapes de restauration des statues de son jardin, aujourd'hui propriété de la Région Nouvelle-Aquitaine (après avoir fait l'objet d'un legs de son auteur à sa commune de Nantillé, en Charente, en 1999, juste avant sa disparition). C'est bien sûr un site que j'ai mentionné honorablement dans mon inventaire des environnements populaires spontanés, Le Gazouillis des éléphants (livre épuisé aujourd'hui, après son édition en 2017 ; l'éditeur se propose de le rééditer dans environ deux ans). J'avais dès 1989 commencé d'en parler dans un article paru dans l'excellente revue littéraire, Plein Chant, où j'ai contribué à introduire l'art populaire brut ou naïf. L'article s'intitulait "Le Ciment des rêves". Edmond Thomas, l'émérite éditeur de Plein Chant, avait repris mon titre comme intitulé de tout le numéro (44) de sa revue. Et voici donc que ce titre connaît, grâce à Stéphanie Birembaut, la directrice du musée Cécile Sabourdy, une seconde jeunesse pour accompagner la présentation hors-les-murs, hors site, des sculptures de Gabriel Albert à l'intérieur du musée de Vicq-sur-Breuilh.

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Vue aérienne du Jardin de Gabriel, telle que mise en ligne sur le site web de l'Inventaire Poitou-Charentes.

 

      J'adhère personnellement en plein à ce genre de projet, que certains esprits chagrins pourraient discuter. Doit-on muséifier un jardin de sculptures prévues initialement pour être présentées dans un espace en plein air, pourront-ils rétorquer? Il faut savoir que Gabriel Albert avait eu des velléités de devenir un artiste avant de se convertir, pour gagner sa vie, au métier de menuisier. Ses statues (il en a créé environ 420, actuellement en cours de restauration grâce à l'investissement de la Région) sont des œuvres artistiques, au même titre que les œuvres des artistes savants, issus des écoles d'art ou non. Pourquoi n'auraient-elles pas droit à être présentées aussi dans des espaces muséaux? En en barrant l'accès aux autodidactes environnementalistes, cela ne révèle-t-il pas un désir de les censurer, de les rabaisser? Pourquoi ces œuvres n'auraient-elles pas droit à des explorations menées par des chercheurs, également, qu'ils soient indépendants (comme moi) ou universitaires? Il convient seulement, en les exposant (les dispositifs muséaux sont passionnants à étudier), de tenir compte de leur contexte de présentation à l'origine, en rappelant entre autres comment leurs auteurs les avaient installées au sein de leur vie quotidienne, les insérant au cœur de la vie immédiate.

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Tableau portrait de Gabriel Albert et tête d'une de ses statues dans l'exposition "Le Ciment des rêves", au musée Cécile Sabourdy.

 

Le jardin de Gabriel sera ouvert les mardis et jeudis du 06 juillet au 16 septembre 2021 : de 10h à 12h et de 14h à 17h30 / contact : 05 49 36 30 05. Selon le site de l'Inventaire Poitou-Charentes, 15 statues en pied, 19 bustes et 9 statues de chats composent l'exposition, qui présente également le portrait de Gabriel Albert, tableau du peintre Marius Levisse (voir ci-dessus), et plusieurs dizaines d’objets provenant de l’atelier du sculpteur-modeleur.

01/05/2021

Plutôt qu'une nécrologie: je me souviens de mes rencontres avec Marie Jakobowicz

     Alors, c'est ainsi, je n'aurai plus jamais l'occasion d'entendre le téléphone sonner et à l'autre bout du fil résonner la célèbre entame " Allôôô...? Céééé Mâââ-rie...", m'annonçant l'inévitable monologue que Marie Jakobowicz, d'un ton un peu désabusé, comme refusant d'avance toute phrase qu'on pourrait lui rétorquer, s'apprêtait à débiter. Ça durait un petit moment, tellement, que j'en lâchais parfois l'écouteur, posais le téléphone et allais vaquer à d'autres occupations. Je revenais cependant bien vite, de peur qu'elle croit qu'on lui avait raccroché au nez... Et invariablement, je constatais qu'elle était toujours en train de parler à l'autre bout. Puis elle rompait brusquement la conversation, disait: "Bon, eh bien, au revoir...", tout à trac, sans que rien ait pu le laisser prévoir. Je me faisais avoir à chaque coup.

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Marie Jakobowicz au Musée de  la Création Franche à Bègles, pour l'exposition que le musée lui consacrait en 2016 ; ph. archives du Musée de la CF.

 

     Marie Jakobowicz (1934-2020) est  morte il y a un an, dans le XVe arrondissement de Paris. Je l'ai appris avec retard, grâce au Musée de la Création franche, à qui elle avait fait donation d'une centaine de ses œuvres ces dernières années (d'autres collections ont conservé de ses oeuvres, la collection Cérès Franco et la Fabuloserie). Nous n'étions que des connaissances, nos relations les plus suivies ayant existé surtout au début des années 1980. Pas vraiment ce que l'on appelle des amis, plutôt des complices, des collègues... Plus âgée que moi, d'une vingtaine d'année, j'étais tombé sur elle à la suite d'une petite annonce dans Libération. Un monsieur qui s'appelait André Chamson (si ma mémoire ne me trompe pas sur l'orthographe de ce patronyme), comme l'écrivain, invitait à exposer dans sa "galerie" du côté de Louveciennes. Je m'y étais rendu pour découvrir avec dépit qu'il ne s'agissait que d'un garage... Mais il m'avait donné le contact d'une personne qui s'intéressait à l'art brut et avec qui j'avais peut-être des points communs. J'ai alors dû lui téléphoner, et, un jour Marie a débarqué dans l'appartement que je partageais avec Christine, ma bonne amie de l'époque, dans le Xe ardt. Elle eut, je pense, toujours de l'intérêt pour les gens plus jeunes qu'elle. Elle donnait des cours particuliers de dessin à des enfants dans son appartement du XIIe arrondissement, très curieuse de ce qui allait provenir d'eux...

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Marie Jakobowicz, sans titre, dessin à l'encre, 21 x 29,7 cm, vers 1984; ph. et coll. Bruno Montpied.

 

       De qui ou de quoi parlâmes-nous? D'art brut sans doute, que je venais de découvrir à travers quelques fascicules du même nom, sans bien en comprendre les limites. Elle non plus je pense ne savait pas exactement à quoi s'en tenir (et je pense qu'elle ne s'en est jamais vraiment souciée davantage par la suite)... Nous étions désireux d'explorer la possibilité de montrer ce que nous dessinions et peignions, et l'art brut – on l'imaginait – paraissait pouvoir accueillir des gens comme nous, non issus des écoles d'art. Ce n'était pas de l'arrivisme de notre part, seulement un besoin naturel de confronter ce que nous créions à un public de gens extérieurs, puisque l'on concevait l'art comme un autre langage, plus essentiel, allant au cœur des choses. Elle me parla d'un ami, Jean Couchat, qui avait envoyé des dessins et avait été pris par la Collection de l'Art Brut à Lausanne (ouverte au public en 1976). C'était donc simple, il suffisait de faire comme lui, et d'envoyer des dessins. C'est ce que je fis. J'expédiais quelques photocopies de mes dessins à Lausanne, que je me vis prestement retourner avec une lettre de refus de Michel Thévoz, quoique bienveillante. Il m'écrivit – avec un mot dont il usait abondamment à l'époque –  qu'il ne voyait pas assez de "jubilation" dans mes dessins. En 1983, au Forum des Halles, devant les animateurs de l'Aracine, qui avaient monté leur deuxième exposition dans une salle louée au niveau -3 de ce centre commercial, mes dessins n'eurent pas plus de succès. On me répondit que j'étais trop "décoratif", que cela faisait "BD"... Bref, ça n'était pas pour eux (mais ce fut dit avec une certaine sévérité, bien différente du ton plein d'urbanité de Thévoz). Et  c'est vrai que je n'avais au fond rien à voir avec l'art brut, que Madeleine Lommel recherchait. Je le compris mieux plus tard.

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Bruno Montpied, le genre de dessin montré en 1983 aux collectionneurs d'art brut, comme ceux de l'Aracine ou de la Collection de l'Art brut ; ph. B.M.

 

      Je ne peux pas leur en vouloir. De plus, les dessins que j'avais choisis de montrer,  étaient très cernés, un peu figés. J'étais bien naïf de vouloir à tout prix les montrer. Et peut-être que je m'étais trompé de destinataires, qui plus est... Marie Jakobowicz, à cette époque, ne recueillait pas plus de suffrages. Cela changea avec le temps.

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La jaquette dépliée de la pochette de notices (en simples photocopies) ayant servi de catalogue pour la première exposition de l'association L'Aracine, à Aulnay-sous-Bois, "Jardins Barbares", 8 janvier-14 février 1982 ; archives B.M.

 

     L'Aracine, c'était Marie Jakobowicz aussi qui m'en avait parlé la première (en avait-elle entendu parler à la fac' de Vincennes, que Madeleine Lommel, la principale animatrice de l'association, fréquentait aussi?), en me prévenant en particulier de la première expo que l'association monta en région parisienne à la Maison de la Culture de la Seine Saint-Denis, à Aulnay sous-Bois en 1982. Cela s'appela "Les Jardins Barbares", expo mythique de l'association l'Aracine. Celle-ci réussit le tour de force de faire entrer dans un musée national, celui du LaM à Villeneuve d'Ascq, à côté de Lille, la collection d'art brut qu'elle avait rassemblée en à peine 15 ans. Soit dit entre parenthèses, les trois animateurs de l'Aracine (Lommel, Nedjar et Teller) obtinrent ainsi d'inclure  une collection d'art brut dans un musée d'art moderne et contemporain, ce que Dubuffet pour sa part avait décliné hautement, suite à la proposition du ministre de la Culture de l'époque, Michel Guy, au début des années 1970. Selon Dubuffet, l'art brut n'avait pas à être mélangé à l'art moderne. A Lausanne, la collection a trouvé un espace à elle seule dévolue, et c'est aussi bien.

    Au LaM, cela dit, la collection d'art brut jouit tout de même d'un espace indépendant, ce qui est étrange lorsque l'on se rend là-bas. L'art brut irradie des ondes qui le séparent des autres collections plus contemporaines et modernes, montrant bien qu'il est quelque chose d'autre, n'en déplaise à certains marchands et critiques d'art actuels.

     Autre aussi se sentait Marie Jakobowicz alors. Elle avait des préoccupations, des hantises bien légitimes (quand je l'ai rencontrée, elle ne savait pas encore de façon assurée ce qui était arrivé à son père, dont elle n'ignorait pas qu'il avait été déporté par les Nazis, tandis qu'elle et sa mère, plus un cousin, avaient été cachés par la concierge de leur immeuble à la cave, la veille de la rafle du Vel d'Hiv' ; elle apprit véritablement le sort de son père – tué par les Nazis à Auschwitz – seulement au début des années 1990). J'étais assez différent, polarisé sur d'autres motifs, et issu d'une famille de Français ordinaires. Critiques vis-à-vis de la société, nous l'étions tous deux, mais sans être de la même génération. En 1966, année de la mort d'André Breton, elle était dans le public du colloque sur le surréalisme à Cerisy-la-Salle (on retrouve ses interventions dans les actes du colloque dans certaines discussions suivant les conférences, actes qui ont été republiés chez Hermann en 2012). Moi, en 1966, j'avais 12 ans et j'ignorais tout de ces sujets, n'en ayant jamais entendu parler dans ma famille qui était globalement ignorante des événements culturels. 1968 arrivant derrière, Marie, qui avait 34 ans, fut touchée en profondeur par les événements, les nouvelles problématiques, les libérations des mœurs surgissant alors. Sur moi, qui n'avais que 14 ans au même moment, les événements provoquèrent aussi une onde de choc, quoique atténuée dans la gangue de coton où m'enfermait ma famille.

     Notre rencontre,  vers 1980 ou 1981, a tenu donc du hasard objectif. Par elle, j'entendis parler de Michel Nedjar, d'Art Cloche, d'Ody Saban... Qui relevaient plutôt des "Singuliers de l'Art" (Nedjar seul y figurait du reste), terme qu'Alain Bourbonnais et Suzanne Pagé avait mis à la mode au moment de l'exposition du même nom en 1978 au Musée d'Art moderne de la Ville de Paris. marie jakobowicz,fabuloserie,collection de l'art brut,collection cérès franco,bruno montpied,colloque cerisy-la-salle sur le surréalisme,art singulier

   Après "les Jardins Barbares", je ne lâchai plus l'Aracine jusqu'au début des années 1990, me plongeant dans les problématiques de l'art brut de mon côté sans fin, tandis que Marie restait plus distante vis-à-vis de ces sujets. Elle se sentait plus concernée par la politique, les minorités opprimées – ou plutôt les minorées, si l'on pense aux femmes elles-mêmes –, par les migrants, et cela s'accentua à partir de 2000. Cela se déduisait de nos quelques échanges, mais je l'ai compris davantage en relisant la petite monographie que lui édita André Rober en 2015.

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Marie Jakobowicz, dessins, peintures, sculptures, écritures, éditions K'A, février 2015.

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Marie Jakobowicz, sans titre (?), dessin au pastel sur papier Canson noir, 50 x 65 cm, collection Cérès Franco.

 

     Quad je l'ai rencontrée elle était en plein dans la création de dessins au pastel ou à l'encre de Chine. Il semble que cette période ait duré de 1980 à 1985 (d'après une notice biographique parue sur le site web de la Collection Cérès Franco). Par  la suite, elle se mit à relativiser cette production (et l'abandonner, à mon avis une erreur ; elle disait même que cela lui venait trop facilement), préférant insister sur le fait qu'elle s'était mise à la sculpture, voulant avec ostentation montrer qu'une femme, même fragile comme elle (elle souffrait alors de vertiges de Ménière qui la faisait s'écrouler dans les lieux où elle restait trop longtemps debout), était capable de se colleter à des matériaux lourds, a priori peu maniables par une "faible" femme... Elle voulut aussi par la suite, au fil des années, me démontrer que l'art pour elle se devait de s'engager au service de causes politiques, en l'occurrence celle des Palestiniens, ou des migrants, ou de l'anti racisme. Je comprenais fort bien, étant donné son histoire personnelle, la tragédie familiale dont elle et sa parentèle avaient été victimes, qu'elle subissait une pression mentale terrible de ces côtés-là. Mais je n'étais pas d'accord avec cette mise sous tutelle de l'expression créative, et lui répétais, à chaque fois que je la voyais, que sa période des pastels était ce que je trouvai de plus fort dans sa production. En témoignage d'amitié, après l'exposition collective que Danielle Jacqui m'avait laissé le loisir d'organiser dans une salle, avec 16 artistes ou créateurs que j'avais sélectionnés, dans le cadre du 9e Festival d'art singulier d'Aubagne, elle finit par m'offrir un des dessins sur papier Canson qu'elle y exposa, en format raisin, le genre de format qu'elle affectionnait.

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Vue de la salle "carte blanche à Bruno Montpied" dans le 9e festival de l'art singulier d'Aubagne (2006) ; au premier plan, des sculptures de Bernard Javoy, et de Roland Vincent, au fond, de gauche à droite:  Marilena Pelosi, Michel Boudin, Marie Jakobowicz, Olivier Jeunon et Pierre Albasser ; ph. B.M.

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Marie Jakobowicz, sans titre, pastel sur papier Canson noir, 50 x 65 cm, ph. et coll. B.M.

 

     Je n'ai en effet quasiment jamais choisi (à quelques exceptions près au début de ma production) de plier l'inspiration qui préside à l'expression graphico-picturale à la défense ou l'illustration d'une cause politique ou idéologique. L'art à mon sens n'est jamais plus fort que lorsqu'il se déploie sans autre but que le message inconscient qu'il cherche à délivrer.

 

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Bruno Montpied, Portrait de Marie Jakobowicz, 30 x 30 cm, 2021.