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21/08/2021

Pour changer des mascarons et autres cariatides, des dragons et des griffons

           Il y a quelques années (dix-sept ans exactement), me baladant à Cholet, j'étais allé photographier la façade d'une maison que j'avais découverte, intrigué, dans un des deux volumes des éditions Flohic consacrés au patrimoine du Maine-et-Loire. Il s'agissait d'un décor de façade dû à un certain Fernand Dupré (1879-1969), sculpteur-marbrier de son état, qui avait pris plaisir dans les années 1920-1930 à se concocter des fenêtres et balconnets ornés de sujets inspirés d'un médiéval de fantaisie. On trouvait là des figures proches des gargouilles et des monstres, des masques, et des cariatides masculines, dont un homme soufflant dans une cabrette tout en soutenant un des balcons. L'ensemble, au point de vue des personnages choisis, était relativement classique, même si cela présentait un aspect un peu inquiétant. Et cela m'avait intéressé parce que ce décor, tout de même atypique, avait été créé par un artisan local pour sa propre maison, en dehors de commanditaires extérieurs apparemment. On s'approchait, sans y être pour autant, des créations des autodidactes de bords de routes n'ayant, eux, aucune formation artisanale ou artistique.

Maison Dupré, façade médiév fantaisiste (2).jpg

Maison sculptée par Fernand Dupré, 5 rue Darmaillacq, Cholet, ph. Bruno Montpied ,septembre 2004.

Maison Dupré, Cholet, les 2 fen par-dessous (2).jpg

Maison Fernand Dupré, Cholet, ph. B.M., 2004.

Maison Dupré, crochu et cabrette (2).jpg

Maison Fernand Dupré, détail des ornements de la façade; le personnage au bec crochu n'est pas très engageant... ; ph. B.M., 2004

 

       Plus récemment, je suis tombé sur deux autres maisons (respectivement en 2017 et 2021), situées à bonne distance l'une de l'autre – de la Bretagne finistérienne à la région des étangs de la Brenne (région Centre-Val de Loire pour ceusses qui savent pas où c'est). Elles sont pourvues cette fois de dragons (et de griffons, voir commentaire ci-après) sculptés. Sculptés dans des styles différents, quoique visiblement, là aussi, par des artisans possédant un certain métier. Donc, là non plus on n'a pas affaire à des habitants ayant sculpté par eux-mêmes, en purs autodidactes. Mais le choix des sujets décoratifs était là aussi peu commun, reflet de goûts hors les normes.

 

Façade avec les trois figurines, dragons et lion (2).jpg

Maison à Douarnenez, ph. B.M., été 2017.

Lion portant un écu daté 1910 (recentré) (2).jpg

Lion tenant un écu où l'on lit la date de 1910 (plutôt que 1210, en dépit d'un 9 très sinueux, proche d'un 2) ; ph .B.M. 2017.

Dragon de gauche (2).jpg

Un dragon à gauche, ph. B.M., 2017.

Dragon de droite (2).jpg

Dragon de droite, comme  prêt à plutôt aboyer qu'à cracher des flammes? ; ph. B.M., 2017.

 

       La première maison ci-dessus, située à Douarnenez, plutôt discrète, un peu  à l'écart et sans doute pas signalée sur les dépliants touristiques, comporte un écu que présente un lion efflanqué au milieu de sa façade. De part et d'autre du félin, on aperçoit deux petits dragons bien patelins, pas loin de ressembler à des chiens, puisqu'ils ont sans doute, comme ces derniers, la mission de garder symboliquement la petite maison. Leur style n'est pas loin d'être naïf... Ces sculptures sont-elles des pièces rapportées?

      La deuxième maison, ci-dessous, on est tombé dessus avec l'ami Sganarelle, ces dernières semaines, dans la bourgade de Le Blanc, dans le Parc Régional de la Brenne, pas loin de Saint-Benoît-du-Sault. Juchés au-dessus des fenêtres d'une maison plus cossue, à la maçonnerie couverte de curieux motifs compartimentés qui me faisaient personnellement un peu penser à une vague toile d 'araignée.

       Ses dragons (et griffon(s)) étaient plus baroques. Même si ces motifs peuvent paraître connus et manifestant une certaine culture de la part des commanditaires, ils restent peu communs sur des façades de villas, qui plus est en milieu urbain. Ils sont d'un style également plutôt personnalisé, ne paraissant pas trop provenir d'une production en série... Manifestent-ils  un désir de la part de propriétaires plus aisés que la moyenne de s'égaler dans le choix de leur décoration de façade aux ornementations des demeures seigneuriales de l'Ancien Régime? Est-ce, en bref, de l'ornementation de bourgeois de province, distincte des goûts des prolétaires de bords de routes?

 

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Maison aux dragons (et griffon) dans la bourgade du Blanc (Indre), 17-19 rue Villebois-Mareuil ; ph. B.M., 2021.

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Griffon à gauche ; ph. B.M., 2021.

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Dragon au centre; ph. B.M., 2021.

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Dragon (ou griffon?) de droite ; ph. B.M., 2021.

27/08/2017

Le sabre et le goupillon... Non, le bigot et le pétard

     Il y a toujours de l'actualité du côté des noms prédestinants. Lorsque Régis Gayraud et moi nous baladions récemment dans les rues de Douarnenez, esquissant une dérive fort circonscrite, l'attention de ce dernier se porta sur un panneau explicatif apposé en dessous d'une église assez moche, où l'on apprenait tout de même que l'architecte de l'édifice s'appelait Bigot. Un patronyme assurément en accord avec ses choix architecturaux...

     Et puis, ces jours-ci, c'est Vincent Monod qui m'a apporté une autre référence tout aussi désopilante. Relevé dans une annonce de vente aux enchères de militaria chez Phidias à Paris, voici le nom d'un auteur qui s'est intéressé de près aux équipements militaires de 1600 à 1870 : "Lot 71 - PETARD (M.). - Les équipements militaires de 1600 à 1870. Paris, 10 fascicules". On ne saurait  mieux s'appeler quand on s'occupe de flingues et autres outils explosifs... Merci, Vincent!

     Un petit bonus? On (Régis Gayraud?) m'a signalé également monsieur Axel Ronde, membre de la CGT Police, qui est passé en interview cette année sur CNews. Si ça prédestine pas, ça, je veux  bien manger mon bob... 

21/08/2017

Le mystère du graffitiste cinéphile de Douarnenez (2)

    Suite à la note précédemment parue sur ce blog, et qui fut abondamment commentée, cela a donné envie à la journaliste du Télégramme de Brest, basée à la rédaction de Douarnenez, Marie-Line Quéau, qui connaissait ces graffitis douarnenistes depuis belle lurette, de rédiger un ensemble d'articles qui jouent du mystère de celui qu'elle nomme "l'homme invisible". Voici le lien vers ces articles (un premier, et deux "compléments" à ne pas oublier de lire en bas de page, le tout paru le 16 août, voici donc cinq jours);

http://www.letelegramme.fr/finistere/douarnenez/graffitis...

     Je m'y retrouve qualifié, excusez du peu, de "spécialiste", de "Parisien", d'"expert", et finalement l'article du Télégramme reproduit une bonne partie de ma note du 8 août dernier.

      Un second article est paru le 17 août, le lendemain donc :

http://www.letelegramme.fr/finistere/douarnenez/graffitis...

     Le graffitiste y est présenté comme souvent croisé par les  gens qui travaillent la nuit à Douarnenez, notamment par les collègues du Télégramme qui distribuent les journaux entre 2 et 6 h du matin. Ils le décrivent ainsi, notre homme (bien moins invisible) : "Un homme grand, élancé, d'une cinquantaine d'années... Il se fait discret quand il nous voit mais il ne fait de mal à personne."

A tort ou à raison.jpg

Suivez la fléche... : A tort ou à raison, La vie des bêtes, Piège de glace... Photo Bruno Montpied, Douarnenez, 2017.

 

    Certains hésitent à l'imaginer, comme nous (Régis Gayraud et moi) tel un "graphomaniaque" ou comme un "artiste fécond". Le terme d'artiste en l'occurrence ne me paraît pas bien s'appliquer ici, sauf à imaginer notre graffiteur comme un poète cherchant à volontairement cultiver l'anonymat, ce qui est possible, mais plutôt rare aujourd'hui quand on s'aperçoit que la moindre velléité d'expression s'accompagne inévitablement de désir de médiatisation. Et si nous avons affaire à un poète cultivant l'ombre, est-ce encore un "artiste"? Est-ce que ce dernier terme s'applique encore? Est-ce qu'il ne faudrait pas dire, dans une telle hypothèse, que si l'on agit poétiquement et anonymement, cela implique que l'art disparaît en tant qu'art séparé de la vie quotidienne, en tant qu'activité pratiquée par une caste peu ou prou se distinguant du commun des mortels, munie qu'elle est d'un statut divin, ou d'une grâce sacrée pour le moins ? L'art s'immerge alors dans la vie quotidienne, cette dernière devient tout entière art, et à la limite l'art disparaît comme mot au bout du processus, car la vie est son synonyme. Ce n'est plus alors l'art qui revendique une extension de son territoire à la vie quotidienne, annexant des nouveaux espaces d'activité (ce que l'on appelle, d'un vilain néologisme, "l'artification"), mais c'est plutôt l'art qui se fait conquérir par la vie, dans une nouvelle vitalisation de l'art.

 

08/08/2017

Le mystère du graffitiste cinéphile de Douarnenez

    Il y a plusieurs manières de visiter une ville. A la touriste appliqué, comme nous un matin (Régis Gayraud et moi) à Locronan, ce village breton aux vieilles maisons, défiguré et exagéré par le commerce exploitant éhontément son ancienneté "typique". Ou, comme nous encore, de manière "dérivante", à la fin de la même journée, arpentant le pavé de Douarnenez (qui n'aime pas beaucoup les touristes, tant mieux).

 

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Le graffitiste cinéphile de Douarnenez, inscriptions sur des poubelles : Les bœufs carottes, Le dernier diamants (sic), L627, les Daltons, L'empire des loups, etc., photo Bruno Montpied, 2017.

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Witness, La louve... Ph.B.M., 2017.

 

    J'étais alors fatigué et j'écoutais distraitement mon camarade qui me paraissait pérorer à propos d'inscriptions à la peinture blanche qu'il avait déjà aperçues la veille sur le pont de Tréboul (du nom du petit port qui jouxte Douarnenez de l'autre côté d'une ria). Cette fois, il s'en laissait voir toute une flopée sur les parois de containers à verre dans la cour d'une cité que l'on traversait en lisière de Tréboul. Ce n'était que titres de films, de téléfilms ou de séries TV. Les caractères étaient tracés de façon distincte, toujours en capitales, aisément lisibles donc. Parfois, les titres étaient précédés de numéros et de flèches orientées dans tous les sens. Les films cités étaient pour la plupart récents, mais on en rencontrait quelques-uns d'un peu plus ancien. Sous le soleil, Zodiaque, Le fruit défendu, L'affaire Rachel Singer, Ma sorcière bien-aimée, Promotion canapé, Le Poulpe, Un amour de sorcière, Dolmen, Le pigeon (titre de film plus ancien), La vague, OSS 117 Rio ne répond plus, Fast and furious, The magdalene sisters, 5e élément, etc...  Sur le moment, je rétorquai à Régis, qui me paraissait s'exciter pour pas grand-chose, que tous ces titres provenaient probablement de films visionnés en cassettes vidéo, ou dvd, ou vod, et que cela pouvait émaner d'adolescents se livrant à des jeux de comparaison, des listes établies dans la perspective d'un quelconque quizz qui leur était propre...

graffiti,graffitiste cinéphile de douarnenez,tréboul,titres de films,cinéma    Mais, en continuant notre marche et en revenant en particulier sur Douarnenez, je commençai de me rendre à l'évidence. Ces inscriptions étaient véritablement bizarres. La ville paraissait en être couverte, et à chaque fois dans des espaces marginaux, de ces portions de l'espace urbain sur lesquelles l'œil glisse : petites armoires électriques, poteaux, marges des panneaux de signalisation, distributeurs de poches plastiques pour crottes de chiens, poubelles, containers, bornes d'incendie, tuyaux de gouttière où le graffitiste traçait ses titres à la verticale. Je me persuadais petit à petit qu'il s'agissait d'un seul individu, hypothèse qui était partagée par Régis ; tous deux pensâmes en même temps à Alain Rault, ce SDF qui graffite des noms d'hommes célèbres sur les murs de Rouen.  Il y avait là, à n'en pas douter, vu l'étendue des zones d'inscriptions, une manifestation d'acharnement des plus singulières qui ne relevait pas d'un simple goût du jeu maniaque. On établissait sur les murs de la ville une liste de titres d'œuvres cinématographiques qu'il fallait, semble-t-il, ne pas oublier, comme les pense-bêtes que les lycéens se tatouent dans le creux de leurs paumes.

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Hubert et le chien (graffito adapté à son support, une boîte d'étuis plastifiés pour ramasser des crottes de chien), Reckless, Léon, La vengeance aux 2 visages, etc., ph.B.M., 2017.

 

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Microbe et gas-oil, En immersion, Le sourire des femmes... Ph.B.M., 2017.

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Miss Marple, Le sexe faible... Ph. B.M., 2017.

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Le légionnaire, Les associés... Ph.B.M., 2017.

 

     Etait-ce un homme atteint de troubles mentaux, d'une perte de mémoire progressant vers la dissolution, à travers la perte des connaissances, de la personnalité, comme ce qui arrive, dit-on aux schizophrènes ? Dans l'art brut, certains de ceux-ci sont connus pour leurs tentatives de dressage de listes à coloration encyclopédique : Gregory Blackstock et ses planches thématiques où il aligne en rangs d'oignons une série d'objets ou d'êtres, Arthur Bispo de Rosario et ses entassements d'objets, ses capes couvertes d'inscription, ses objets emmaillotés, Alain Rault lui-même réinscrivant sur les murs de Rouen la panoplie interminable des noms qui le fuyaient peut-être par ailleurs, tentative pathétique de raccrochage des épaves qui se détachaient sans cesse davantage de lui...

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Essaye-moi (inscrit deux fois, en rouge et en blanc en dessous ; à noter qu'on rencontre souvent du tricolore dans les peintures employées)... Ph.B.M., 2017.

 

     Par moments, certains titres faisaient signe, me disais-je. Essaye-moi, inscrit de façon insistante, ou cet autre titre à l'accent de manifeste : L'extraordinaire vie de Monsieur Tout le monde (voir ci-dessus la deuxième photo à partir du début de la note), tracé par les doigts d'un autre monsieur "Tout-le-monde" qui rêvait peut-être d'une vie justement moins ordinaire.

     Sur un panneau à l'écart, un titre retenait également l'œil, d'abord parce qu'il était seul inscrit, et aussi en raison de sa catégorique déclaration aux allures de terrible conclusion : RIEN NE VA PLUS...

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Ph.B.M., Douarnenez, 2017.