22/02/2019
Jacques Trovic s'en est allé sur la pointe des pieds...
A Priscille Coulaud
Une de mes lectrices m'a aiguillonné il y a peu de temps pour que je signale la disparition, le 27 octobre 2018, de ce grand peintre naïvo-brut qui s'appelle Jacques Trovic. Et elle a bien raison.
Jacques Trovic, "Le Cordonnier" (inscription à l'envers, puisqu'on est à l'intérieur de l'échoppe et que le mot est gravé dans le bon sens de l'autre côté de la vitre, pour être lu par les clients à l'extérieur), 1963, ph. Bruno Montpied, 2009.
Je traînais les pieds... Surtout pour cette raison que je ne tiens pas toujours à me spécialiser dans les nécrologies. Le Poignard n'est pas forcément à tout coup un bulletin d'actualités des arts spontanés, j'aimerais parfois qu'il se contente d'être comme une abeille qui butine ici ou là du côté de la poétique de tous les jours...
J'ai déjà parlé, dans le temps, de Trovic que j'avais rencontré (ce fut la seule fois) en compagnie de Jean-Louis et Juliette Cerisier, en 2009, lorsqu'il habitait encore à Anzin, cette commune proche de Valenciennes, où il faisait, ce jour-là, un temps à ne pas mettre un canard dehors (c'est Brel qui chante, je crois, que par là-bas, de temps à autre, même les canards se pendent...).
Anzin en 2009, au 486 rue Jean-Jaurès... Ph. B. M., 2009.
C'était un bon bonhomme, gourmand et bon vivant, gentil comme tout. Il brodait, tricotait des tableaux en tapisserie-patchworks (voir ci-contre une de ses aiguilles) qui racontaient la vie et les souvenirs d'autrefois du pays du Nord, des mines... En restituant une vision familière, primesautière, cordiale, des gens qu'il côtoya durant la majorité de ses soixante-dix années de vie, en montrant bien tout l'amour qu'il leur portait, à leur us et coutumes, à leur alimentation.... Parfois son évocation des pays, comme dans la tapisserie ci-dessous consacrée à la Fabuloserie (et à la Bourgogne), servait en effet aussi de prétexte à l'évocation marginale, qu'on devinait pâmée, par Trovic des produits locaux, le fromage de Chaource (qui est en Champagne dans l'ancienne Bourgogne), le vin bien sûr, la moutarde de Dijon, le pain d'épices, les escargots, la crème de Cassis, bref, toute une série de délices qui constituent les accessibles plaisirs de la vie...
Sur ce patchwork, tenu par Jean-Louis Cerisier, consacré à la Fabulsoerie de Dicy, je me demande si ce n'était pas un moyen pour Trovic d'évoquer les deux fondateurs de cette collection fabuleuse, à savoir Alain, à gauche avec un grand chapeau, et Caroline Bourbonnais à droite, en costume folklorique ? Ph. B.M., 2009.
Il fit de nombreuses expositions, tout à tour dans des manifestations d'art naïf ou d'art singulier. Je ne crois pas qu'il fut intégré à l'art brut proprement dit, mais plutôt dans les collections annexes, dites de la Neuve Invention. L'art modeste pouvait le faire sien à l'occasion, comme lorsqu'il lui fut consacré un bel hommage, au sein de l'exposition "Sur le Fil", sur un ensemble de créateurs textiles à la Folie Wazemmes à Lille en 2009. Et comme la Fabuloserie s'est sans doute intéressée à lui, il pouvait également entrer sous l'étiquette d'"art hors-les-normes"...
Jacques Trovic, une majorette, tableau en mosaïque, années 1970, ph. B.M., 2009.
Dans la dernière partie de sa vie, ne pouvant continuer à vivre seul à Anzin, après avoir perdu sa sœur qui était comme une deuxième mère pour lui, il fut recueilli par le Centre de La Pommeraie animé par Bruno Gérard en Belgique, près de la frontière. Nul doute qu'il y fut bien accueilli et protégé.
Jacques Trovic va manquer dans le paysage, c'est bien certain.
00:50 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art populaire contemporain | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : art naïf, art brut, la pommeraie, art modeste, folie wazemmes, sur le fil, cordonnier, fabuloserie, jacques trovic, mosaïque naïve, jean-louis cerisier, alain et caroline bourbonnais | Imprimer
07/10/2013
L'autre Biennale à Lyon, hors-les-normes paraît-il
C'était le dernier jour hier, choisi en mon honneur puisque c'était la Saint-Bruno. Non, je plaisante. Pas sur le fait que c'était le dernier jour cependant (enfin pas pour toutes les expos qui se sont affiliées à ce programme... Vous n'avez pas tout compris? Pas grave).
Je n'ai pas eu la possibilité de la visiter de fond en comble cette biennale, prévue pour se tenir en parallèle et peut-être (sûrement) en opposition à la Biennale d'art contemporain qui a lieu aussi à Lyon au même moment, et qui paraît véhiculer beaucoup d'importance nulle. Si bien qu'il ne dut pas être difficile pour les organisateurs de l'Hors-les-Normes, la "VeBHN", comme ils disent, de faire mieux. Prévue pour s'exposer en 27 lieux (tout de même), cette Biennale qui fête ses dix ans donc a réussi cette année à monter quelques intéressantes exhibitions qui nécessitent que je m'en fasse l'écho (l'expo de la galerie Dettinger sur quatre créateurs marocains découverts à Tanger que j'ai chroniquée il y a quelques jours se tient parallèlement à cette BHN, sans faire partie pour autant de son programme). J'ai relevé notamment dans ce programme-dépliant, par exemple, au 5 rue Bonald dans le 7e ardt, la galerie Korova Art Cubby Hall qui montrait des Jaber (voir ci-contre ; en allant dans l'arrière boutique de ce petit local au nom grandiloquent on pouvait aussi découvrir des affiches peintes du Ghana, et des Tokoudagba (une mami wata, ai-je rêvé? Je suis passé en effet très vite, comme au pas de charge en compagnie d'amis pressés)).
Juste à côté, dans une boutique de tatoueur, intitulée -manie de l'invasion de notre pays par les mots anglo-saxons- "In my brain" (18 rue Bonald), se tenait une autre exposition où une artiste répondant au doux nom d'"Aup'titbazar", en réalité de son autre nom Alice Calm, montrait des sous-verres remplis de cheveux dessinant de folles arabesques, parfois empesées d'on ne savait trop quelle poisse blanche...
Alice Calm, sous-verre où dansent des cheveux (pas eu le temps de demander si l'œuvre avait un titre, une date...), galerie "In my brain", Lyon 7e ardt, photo Bruno Montpied
Je n'ai pas vu la "sélection BHN" où exposait entre autres l'ami Jean Branciard à l'Université Lyon 2 Campus du Rhône (quai Claude Bernard Lyon 7e), mais je fais confiance à Branciard pour avoir amené de ses esquifs et autres assemblages brinqueballants toujours aussi captivants. Pas vu non plus au Musée des Moulages, cours Gambetta dans le 3e ardt, l'expo "Trouble pictural" consacrée aux protégés français et belges de la Pommeraie (Maurice Brunswick, Michel Dave, Paul Duhem, Alexis Lippstreu, Jacques Trovic, Jean-Michel Wuilbeaux, entre autres), mais je fais confiance là aussi à cet atelier le plus connu d'Europe pour ses créateurs inventifs malgré leurs différents handicaps.
Parmi les autres lieux, devaient certainement être intéressants "le singulier boudoir" installé à la mairie de Lyon 3e ardt avec des œuvres de Marilena Pelosi, Evelyne Postic, Joël Lorand, Jo Guichou, Paul Amar, etc. qui avaient été prêtées par l'association Bab'Art venue du Gard, ainsi qu'à la MAPRA, dans le 1er ardt, l'expo "American folk art" montée par la revue Gazogène et Jean-Michel Chesné qui ont tiré un numéro spécial à ce sujet (le n°35 de la revue), les œuvres présentées paraissant avoir été prêtées par Chesné.
Par contre, j'ai perdu beaucoup de temps à dénicher une autre petite exposition perdue dans le hall de l'Ecole Normale Supérieure située au métro Debourg (dans le 7e ardt encore). Alain Dettinger m'en avait dit le plus grand bien, à cause de la présence parmi les trois exposants d'un certain Christopher Simmons, créateur qu'il avait cotoyé en Australie dans les années 80, et qui dessinait de façon primesautière sur des serviettes en papier à l'exclusion de tout autre support. Cette ENS laissait voir plusieurs de ses dessins effectivement attachants et remarquables, dessins qui avaient été prêtés par Alain Dettinger. Je me suis laissé dire que ce Simmons a peut-être des dessins conservés à Lausanne, est-ce vrai ? (A vérifier). La quête fut longue, mais la découverte payante. A signaler que cette expo-là, intitulée "Encrés dans l'invisible", se termine le 19 octobre. Enfin, saluons le fait que toutes les expos de cette Biennale étaient, et sont, libres d'accès. En ces temps où certains musées et autres Outsider Art Fair font payer leurs entrées à des prix astronomiques anti démocratiques (révélateurs du public auquel on destine désormais l'art brut par une odieuse captation d'héritage), c'est à marquer d'une pierre blanche...
Christopher Simmons, autoportrait à la coupe en brosse, env. 18x18 cm, 1980, coll. Galerie Alain Dettinger
10:17 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art populaire contemporain, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : 5e bhn, korova art cubby hall, tatoueurs, gazogène 35, jean-michel chesné, art brut américain, christopher simmons, alice calm, jaber, la pommeraie, jean branciard, galerie alain dettinger, bab'art | Imprimer
06/10/2013
Yves-Jules Fleuri refait l'histoire de l'art
Il faut tout de même que je dise où et pourquoi j'ai choisi cette peinture du Caravage modifiée par Yves-Jules Fleuri de l'Atelier Campagn'Art que j'ai proposée à en énigme voici quelques jours. En commençant par la restituer telle qu'elle est mise en ligne sur le site de la Galerie du Marché à Lausanne (je l'avais en effet un peu maquillée dans ma première note de façon à ne pas laisser traîner trop d'indices, j'espère que le directeur de la galerie, Jean-David Mermod ne m'en tiendra pas rigueur...).
Le Caravage, Judith décapitant Holopherne et sa version Fleuri au-dessus.
C'est en effet dans cette galerie que, suite à une demande de son directeur, Fleuri présente actuellement une série de peintures toutes démarquées de chefs-d'œuvres de l'histoire de l'art. "L’atelier dans lequel il travaille possède des photographies de tableaux de peintres célèbres qu’il copie depuis quelques temps avec son style inimitable. Fort de cette information je lui fis parvenir, fin 2011, un choix d’une centaine de reproductions de tableaux célèbres du XIVème au XXème siècle. Il en a choisi trente cinq pour en réaliser une interprétation" (Jean-David Mermod).
Anonyme (Ecole de Fontainebleau, vers 1594), Gabrielle d'Estrées et sa soeur ; au-dessus le même, recuisiné par Yves-Jules
Plusieurs maîtres sont ainsi passés à la moulinette, un peu, doit-on dire, à la façon dont un autre créateur handicapé, Alexis Lippstreu, travaillant dans le foyer de la Pommeraie, toujours en Belgique, modifie, depuis plus longtemps que Fleuri je pense, tel ou tel chef d'œuvre de Gauguin ou Girodet.
Un tableau "métaphysique" revu par Yves-Jules...
Yves-Jules Fleuri, "Mon musée à moi", Galerie du Marché, 1, escaliers du Marché, Lausanne, du 3 octobre au 9 novembre.
00:19 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Confrontations | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : yves-jules fleuri, galerie du marché, jean-david mermod, art des handicapés mentaux, campagn'art, la pommeraie, alexis lippstreu, le caravage, école de fontainebleau, chirico, modifications dans l'art | Imprimer
02/12/2008
Jus de Pommeraie chez Objet Trouvé
La galerie Objet trouvé, rue de Charenton dans le 12e arrondissement à Paris expose quelques créations venues du Centre de la Pommeraie en Belgique.
Ce home pour artistes handicapés abrite des créateurs tout à fait originaux comme on commence à le savoir. Alexis Lippstreu est notamment présent dans cette expo (avec aussi Michel Dave, Jean-Michel Wuilbeaux, Daniel Douffet), avec ses oeuvres qui sont comme des réductions d'oeuvres de la peinture savante, au sens de la cuisine, réduction d'une sauce. Vélasquez, par exemple, pourrait mijoter un bout de temps dans la cervelle de Lippstreu et en ressortir plus nu, plus pur, stylisé, dépouillé à l'extrême. L'art savant se voit ainsi repris par lui (comme par secrète nécessité) et passé à la moulinette. Ses figures douces et pensives posées devant d'immenses espaces gris font songer à des enfants qui attendent on ne sait trop quoi interminablement...
23:53 Publié dans Art Brut | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : paul duhem, alexis lippstreu, la pommeraie, galerie objet trouvé | Imprimer