27/06/2022
Alain Lacoste, roi des modifications et autres détournements de mots
Alain Lacoste a disparu au début de cette année, mais ses oeuvres n'ont jamais été autant vues, ici et là, en ce moment. Je me bornerai à signaler celle qui a commencé le 18 juin à la galerie parisienne de la Fabuloserie (après l'expo Livio Sapotille), prévue pour durer jusqu'au 13 juillet prochain. Au rez-de-chaussée, on trouve des ardoises peintes, et des images "détournées" comme disait Lacoste, mais qu'un Asger Jorn, qui fut un grand adepte de ce genre de métamorphose (pour employer un terme qu'employa de son côté également Noël Fillaudeau, qui repeignait lui essentiellement sur des photos imprimées de magazine), préférait qualifier, en accord avec les situationnistes, de "modifications", pour laisser au détournement une portée plus politiquement révolutionnaire.
Sur le mur de droite dans la galerie parisienne de la Fabuloserie, on trouve cette grande mosaïque d'images "détournées" d'Alain Lacoste ; j'y ai fait mon marché personnellement ; ph. Bruno Montpied, juin 2022.
D'Alain Lacoste (1996), ce que j'ai choisi de garder dans la mosaïque ci-dessus ; ph. B.M., 2022.
Des objets en trois dimensions sont aussi présentés par Sophie Bourbonnais à l'étage, souches d'arbre peintes aux formes cloisonnées, assemblages de matériaux divers, bois naturel ou chutes de bois industrielles et modifiées, figurant des scènes prétextes à jeux de mots et calembours si prisés d'Alain Lacoste.
Animal fantastique d'Alain Lacoste ; ph. B.M., 2022.
Alain Lacoste, Le calle vert, 1995 ; ph. B.M., 2022.
A noter qu'un vernissage alternatif est organisé dans très peu de jours, le jeudi 30 juin, pour rattraper celui du 18 qui fut reporté à cause des fortes chaleurs.
LA FABULOSERIE Paris, du mercredi au samedi 14h -19h.
52, rue Jacob 75006 Paris - 01 42 60 84 23 - fabuloserie.paris@gmail.com
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18/05/2022
Livio Sapotille à la Fabuloserie parisienne, un nouvel auteur d'art brut
Je suis tombé personnellement sur les dessins de Livio Sapotille chez une responsable de l'Association EgArt, cette agence-interface qui gère les rapports entre les artistes "différents" et le monde des amateurs d'art. Tout de suite intrigué par la recherche qui se donnait immédiatement à voir sous mes yeux – une faune fantastique, hésitant entre réalité et merveilleux conjectural ou chimérique –, je me suis enquis de rencontrer l'auteur, qui se surnomme "Timale Gwada Connection" ("Le gars qui est en connexion avec la Guadeloupe"), et vit quelque part dans l'Yonne dans un Centre où il fréquente un atelier, et où il dessine surtout la nuit au secret de sa chambre, des insectes qui ont des têtes humaines, ou sont en passe de se métamorphoser, parfois en monstres aux allures lovecraftiennes.
Livio Sapotille, titre non relevé par moi, crayon sur papier, 50 x 70 cm, 2020, © Patrice Bouvier. Exposé à la Fabuloserie-Paris.
En amont, Sophie Bourbonnais, qui s'occupe, on le sait, outre de sa galerie parisienne, aussi de la Fabuloserie, formidable cabinet de curiosités singulières, à Dicy dans l'Yonne, non loin du Centre où vit Livio, avait été elle aussi captivée par les productions graphiques curieuses de Sapotille. Voici ce qu'elle a écrit à ce sujet :
"J'ai eu la chance qu'une certaine Virginie me présente les œuvres d'un certain Livio, œuvres que j'ai tout de suite appréciées et souhaité exposer !
Le genre de livre qui inspire Livio sur sa table de travail ; ph. Bruno Montpied, 2021.
Ce dernier se sert de livres bon marché d'entomologie où il va pêcher ses modèles ("pêcher" est le terme idoine, car il fait écho à ses souvenirs, quand il attrapait des crustacés d'eau douce dans les rivières près de Lamentin en Guadeloupe, ""L'île aux belles eaux").
Livio Sapotille, La Guadeloupe, l'île aux belles eaux, crayon graphite et crayons de couleur sur papier, collection de l'auteur, ph.B.M.
Il dit que ce qu'il représente se trouve dans les images naturelles, et donc, si je comprends bien, qu'il n'invente rien. Il traduit seulement les illustrations des livres en couleur en des dessins noirs et blancs avec un crayon graphite (son outil de prédilection ; il a essayé la peinture, mais les résultats ne sont pas pour l'instant aussi concluants que ses dessins, parfois exécutés sur tissu...). Les visages, les déformations que l'on pourrait y voir, ils sont d'après lui inscrits dans les carapaces de ces bestioles. D'ailleurs, voyez les sphinx à tête de mort... Moi, je me dis alors que son regard est celui d'un voyant, qu'il voit plus loin que tout un chacun, même s'il est sur la voie d'une révélation à venir encore plus grande.
Livio Sapotille, Lubellules demoiselles, 29,5 x 22 cm, crayon graphite sur papier, collection Fonds Art sans Exclusion.
Livio Sapotille, La Casside tachée de rouille, crayon graphite sur papier, env. 50 x 30 cm, vers 2020. Exposé à la Fabuloserie- Paris
Livio Sapotille, une autre version de la Casside tachée de rouille, avec en dessous un mufle de babiroussa et la gueule ouverte d'un hippoppotame., crayon sur papier, env 50 x 30 cm, 2019 ; ph. B.M. (dans l'atelier de Livio), 2021.
C'est cela qui est fascinant avec ce créateur, le va-et-vient entre réel et perception intérieure. Il ne dessine pas que des animaux, il lui arrive aussi de réprésenter des humains, et l'on mesure peut-être plus encore dans ce genre de sujet l'écart qu'il opère entre réalisme et approche surréelle. Que l'on songe à son autoportrait, que l'on comparera aux portraits photographiques que j'ai réalisés de lui, dont je donne ci-dessous une version (une seconde photo ayant été insérée dans l'article que j'ai donné à Artension dans le n°173 de mai-juin actuel)...
Livio Sapotille, Autoportrait, crayon sur papier, 32 x 38 cm, 2020 ; coll. Fonds Art sans Exclusion.
Livio Sapotille, ph. B.M., 2021.
S'aventurant plus loin dans cette voie de l'autoportrait, comment ne pas rester interdit et perplexe devant cette autre version, intitulée "Ma moitié", où l'on découvre un personnage scindé en deux : d'un côté, mi-homme aux chairs transparentes, laissant voir son squelette, tenant un long bâton d'insigne de la Franc-maçonnerie (pourquoi?), et mi-monstre poilu, muni de griffes, son sourire découvrant des crocs de carnassier... ?
Livio Sapotille, Ma Moitié, 42 x 32 cm, crayon sur papier, 2020 ; coll. Fonds Art sans Exclusion.
En parallèle, cependant, Livio Sapotille peut aussi s'attaquer à des œuvres aux formats et au contenu encore plus ambitieux, comme le prouve la composition ci-dessous, où l'on voit apparaître sirène et ondin de bonne proportion, à l'heure où fut prise la photo, pas encore achevée... Ici, on aborde le versant plus merveilleux de l'inspiration sapotillesque...
Livio et Virginie (l'éducatrice animant l'atelier collectif fréquenté par Sapotille) tenant à bout de bras une œuvre en chantier, ph. B.M., 2021.
19:46 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art visionnaire, Sirènes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livio sapotille, art sans exclusion, association egart, fabuloserie-paris, sophie bourbonnais, guadeloupe, ondin, sirène, autoportrait, poésie animalière, insectes, merveilleux naturel | Imprimer
06/03/2021
Chouchan à la Fabuloserie-Paris
"Le Printemps de Chouchan", tel est le titre choisi par Sophie Bourbonnais et Marek Mlodecki pour leur nouvelle exposition dans la galerie parisienne de la Fabuloserie, à partir du 3 mars, prévue pour durer jusqu'au 3 avril 2021 (au départ, elle aurait dû se tenir de début novembre à fin décembre 2020, la pandémie a repoussé les dates).
Une peinture de Chouchan, extraite du catalogue de l'expo.
Chouchan Kebadian (1911, née à Yozgat, en Arménie - décédée en 1995 à Montreuil-sous-Bois, en France) est une peintre autodidacte qui s'essaya à la peinture et au dessin (le dessin en fait avant la peinture) à partir de ses 73 ans. C'est une de ses jumelles (elle eut quatre enfants, dont le réalisateur de documentaire, Jacques Kébadian qui est quelque peu à l'origine de cette expo), Aïda Kébadian¹, qui, elle-même artiste spontanée (elle exposa à l'Atelier Jacob en 1975, ce qui ne fut sans doute pas pour rien dans l'idée de stimuler sa mère), lui suggéra de s'essayer à l'art en lui mettant entre les mains, vers 1984, des tubes de gouache, des crayons de couleur, un cahier à spirale, une pochette de feuilles Canson, afin de dépasser l'ennui que sa mère ressentait dans les années qui suivirent la perte, en 1972, de son mari Khoren. Sa famille fut surprise de découvrir à quel point elle se jeta dès lors à corps perdu dans la peinture .
Chouchan.
On pense à d'autres exemples de personnes âgées venues comme elle à l'art sur le tard, tels M'an Jeanne dans l'Yonne, ou le Catalan Anselme Bois-Vives, lui aussi poussé à peindre par son fils artiste en Savoie, Joseph Barbiero, sculpteur et dessinateur à Clermont-Ferrand, Gaston Mouly dans le Lot, et plus généralement tous ces créateurs d'environnements qui, une fois arrivés à l'âge de la retraite, se prirent de passion pour la recréation de leur environnement immédiat (voir l'inventaire que j'en ai dressé dans mon livre Le Gazouillis des éléphants). Elle produisit d'abord des dessins, où le trait domine (ce que je préfère personnellement dans sa production), puis des peintures, et ce, pendant une grosse dizaine d'années.
Jacques Kébadian, dans le catalogue qu'a édité la Fabuloserie, écrit ceci: "Ma mère pensait qu'on allait se moquer d'elle, elle s'excusait presque de ne pas savoir "faire ressemblant"... Je l'ai emmenée alors dans les musées. Au musée Picasso... (...) A Beaubourg, elle a été émerveillée de découvrir que tout était possible... (...) Il y a eu aussi cette exposition Watteau au Grand Palais : elle n'arrivait pas à croire que l'on pouvait peindre des yeux et des mains avec autant de réalisme... Plus de trente ans après, je me replonge dans les valises et les cartons où sont conservés peintures, dessins et gouaches qui n'avaient plus été exposés après sa mort... J'en ai répertorié plus d'un millier de tous formats." Il est à noter que ces oeuvres, en elles-mêmes, ne manifestent aucune timidité, mais au contraire paraissent bien assurées, sans repentir ou complexe d'aucune sorte, comme le note pour sa part l'artiste arménien Sarkis.
Cette peinture, représentant un couple (il n'y a jamais de titre proposé, ni de date, ni de signature semble-t-il), se trouve encadrée comme de prédelles brouillonnes, à la mode d'un Alechinsky brut...
Peinture paraissant peut-être évoquer un souvenir de costumes traditionnels arméniens?
Cette peinture évoque des souvenirs de famille, explore les rapports entre les tons, la composition, par le jeu de certaines formes (fleurs, plantes), et se concentre avec délectation dans l'emploi des couleurs par touches automatiques laissées "flottantes", appliquées sans désir de netteté, très gestuelles. Peut-être cette activité improvisée servit-elle de moyen pour redonner vie aux souvenirs d'amour, au bonheur de vivre dans une communauté familiale soudée, à la fin de sa vie, marquée au départ (elle avait 4 ans) par le massacre de son père (en compagnie de tous les autres hommes de son village) par les Turcs durant la période traumatisante du génocide arménien de 1915.
Dessin extrait d'un cahier édité en reprint par la Fabuloserie.
10:14 Publié dans Art Brut, Art immédiat | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : chouchan, aïda kébadian, jacques kébadian, la fabuloserie-paris, atelier jacob, art spontané et troisième âge, art immédiat, art brut, boix-vives, barbiero, m'an jeanne, gaston mouly, environnements spontanés, sophie bourbonnais, génocide arménien | Imprimer
27/01/2020
Pape Diop, l'homme qui tatoue la Médina de Dakar, à la Fabuloserie-Paris
A la Fabuloserie depuis le 4 janvier (à vrai dire depuis quelques temps avant, même) jusqu'au 15 février (Sophie Bourbonnais s'arrêtant sûrement pour la Saint-Valentin et fêter son amoureux...), sont exposées quelques œuvres de Pape Diop "arrachées" à son univers fusionnel et frénétique des rues de Dakar, et de sa turne même.
Pape Diop en pleine action, photo Modboye.
C'est une sorte de créateur direct vivant dans la rue qu'il prend pour support de ce qui l'obsède (notamment des figures de marabout encapuchonné de plus en plus schématisées au fur et à mesure qu'il les répète, sur les murs ou sur des planches). Les snobs appelleront cela du street art brut, bien que ce ne soit pas du muralisme pulvérisé à la bombe, et que cela échappe complètement aux codes des graffeurs urbains tels qu'on les connaît en Europe ou aux USA. Ses outils, ses pigments à lui, seraient plutôt des mégots, du café, un bout de cuir, du charbon, une vieille godasse, ses supports, les murs, ou des chutes de bois abandonnés par les menuisiers.
La pièce où vit Pape Diop ; on note que l'auteur est fort capable de dessiner en volume, si l'on se rapporte au grand visage du mur de gauche ; photo Marek Mlodecki.
Un des murs couverts de dessins de l'habitat de Pape Diop ; ph. Modboye.
On connaît Pape Diop grâce à Modboye (alias Mamadou Boye Diallo) qui le suit depuis quelques années, le photographiant, conservant ses œuvres, le filmant, archivant sa geste, le faisant connaître grâce à une association qu'il a fondée en 2010 avec Mélodie Petit, Yataal Art, ce qui signifie en wolof "Elargir l'art". Moi, cet élargissement, je trouve que ce n'est pas vraiment le mot qui convient. Il s'agit plutôt d'une réalisation de l'art, pour employer des termes à couleur situationniste. Car l'art est ici fondu avec le décor de la vie quotidienne.
Voiturette de glacier couverte de dessins ; ph. Modboye.
Modboye que l'on voit dans une émission de la RTS (Radio Télévision Sénégalaise) sur le site de Yataal Art, paraît au courant de l'art brut, et de l'art hors-les-normes de la Fabuloserie, d'autant plus que les animateurs de ce foyer d'art hors piste, Sophie Bourbonnais et Mark Mlodecki lui ont rendu visite, enthousiastes pour cette nouvelle découverte. A ma connaissance, c'est la première fois que j'entends un Africain dans un pays d'Afrique noire reprendre ce terme, qui visiblement déroute ses interlocuteurs, comme il arrive dans nos contrées mêmes... Et ce, alors que quelques créateurs venus de différents pays ont déjà été rangés dans l'art brut, comme Ataa Oko au Ghana, ou Frédéric Bruly-Bouabré en Côte d'Ivoire.
Pape Diop semble avant tout concentré sur des compositions graphiques, des assemblages de symboles, mais il peut parfois aussi s'occuper de scènes figuratives, animalières par exemple. On apprécie particulièrement les teintes raffinées dans leur dénuement et les effets de matière brute.
Deux panneaux "tatoués" de graphismes de Pape Diop, exposés à la Fabuloserie-Paris ; ph. Bruno Montpied.
5 autres panneaux ; ph. B.M.
18:54 Publié dans Art Brut, Environnements populaires spontanés, Fantastique social, Galeries, musées ou maisons de vente bien inspirés, Street art marginal (art de rue sauvage) | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : pape diop, médina de dakar, art brut de rue, muralisme spontané, modboye, fabuloserie-paris, marek mlodecki, sophie bourbonnais, yataal art, réalisation de l'art, marabout | Imprimer
20/12/2017
La Fabuloserie Paris en pleine forme: expos Marie-Rose Lortet et Michaël Golz, deux événements pour finir l'année en beauté
On entend dire ici et là qu'il n'y aurait qu'une galerie d'art brut à Paris. Mais on dit tellement de bêtises. On oublie notamment de prendre en compte la Fabuloserie qui a ré-ouvert une antenne parisienne rue Jacob dans le VIe arrondissement en plein Saint-Germain-des-Prés, certes récemment en ce qui concerne cette réouverture, mais en renouant avec un passé nommé "Atelier Jacob" (1972-1982). Ce fut d'ailleurs cet Atelier Jacob qui représenta dans la capitale la première galerie d'art brut, ou "hors-les-normes" comme préféra vite dire son animateur Alain Bourbonnais. Je me suis déjà fait l'écho de certaines des précédentes expositions de cette nouvelle "Fabuloserie Paris".
Sophie Bourbonnais et Marek Mlodecki qui l'animent, sont fort dynamiques ces temps-ci, en dépit des efforts qu'ils doivent consentir pour tenir la baraque, comme on dit. Ils ont monté une très bonne exposition des broderies fort inspirées de Marie-Rose Lortet, une ancienne de l'art singulier ou hors-les-normes, excellent exemple de ce que peut avoir de mieux à fournir l'art dit singulier, si galvaudé dans tant de festivals de province, où le moindre barbouilleur amateur de têtes à Toto, né de la dernière pluie, s'improvise facilement artiste à la Chaissac (sans bien sûr avoir rien compris à ce dernier). L'expo Lortet court jusqu'au 30 décembre, il faut donc se presser. On y retrouvera des "masques" de fil, parfois multiples au sein de compositions élaborées (ce qui me touche personnellement plus particulièrement), mais aussi quelques "architectures" de fil blanc comme celles qu'on avait pu admirer dans une exposition passée à la Halle St-Pierre il ya quelque temps ("Sous le vent de l'art brut 2", 2014).
Marie-Rose Lortet, Les ptites têtes en l'air, ph. Bruno Montpied, 2017.
Marie-Rose Lortet, achitectures de fil présentées à l'étage de la Fabuloserie Paris, ph. B.M., 2017.
Mais les Fabulosiens de la rue Jacob ne se sont pas contentés d'une seule expo. Eblouis, à juste titre, par la récente découverte de Michaël Golz, créateur allemand d'un pays imaginaire, l'Athosland, décliné en dizaines de fragments de cartographie s'emboîtant les uns aux autres dans un puzzle sauvage qu'ils ont décidé d'exposer dans une scénographie proliférante, comme contaminante, ils ont obtenu de la galerie voisine, de l'autre côté de la rue, qui fut autrefois le siège de l'Atelier Jacob d'Alain Bourbonnais (berceau de l'entreprise fabulosienne, je le répète), la galerie Eric Mouchet, qu'elle les laisse l'envahir avec le plan proliférant étonnant du "pays d'Athos" créé par Michaël Golz (expo prévue pour durer jusqu'au 11 janvier 2018).
"Athosland", la carte du pays imaginaire, comme un tsunami cartographique! Ph. B.M., 2017 ; "Une fois ses différentes parties assemblées, elle atteint une surface d'environ 14 x 17 mètres"... (texte de présentation sur le carton d'invitation à l'exposition de la collection de l'Art Brut à Lausanne du 9 juin au 1er octobre 2017).
L'œuvre de ce dernier, outre le prodige mémoriel qu'elle représente (Golz semble se faire une représentation mentale complète du plan dont il assemble les parties sans erreur, les continuant sans problème de jointure autre que des manques en matière d'outils : pastel, feutres, crayons...), vaste plaine parcourue de nœuds d'autoroutes et de voies de chemins de fer, et couverte d'une mosaïque de terres agricoles et de ville tentaculaire, le tout traversé d'un gigantesque fleuve, vaut avant tout par le récit qu'il en fait et dont on a recueilli seulement quelques fragments, là encore, dans des témoignages écrits (voir le catalogue de l'exposition du kunstmuséum de Thurgovie – Kartause-Ittingen à Warth, Suisse – transférée ensuite à la Collection lausannoise de l'Art Brut), voire dans l'interview qu'en a fait Philipe Lespinasse dans son documentaire, Athosland (33 mn.) présent sur le DVD "Paul Amar, Michaël Golz, Josef Hofer, Anna Zemankova" (Lokomotiv Films/Collection de l'Art Brut Lausanne), film qui constitue une première porte d'entrée dans l'univers fantastique de Golz .
Athosland, la même carte que ci-dessus, présentée différemment lors de l'exposition au musée de Thurgovie.
Le petit catalogue édité par le musée de Thurgovie, sous la direction de Markus Landert et Christiane Jeckelmann donne des indications précieuses sur le travail que poursuit Michaël Golz depuis son enfance, en compagnie ici et là de son frère Wulf (les auteurs du catalogue avancent la date de 1977 pour le départ définitivement intense de la création). Son pays de fantaisie emprunte au monde réel tout en étant parfaitement investi des désirs imaginatifs de son auteur. C'est un pays de liberté totale où le merveilleux est monnaie courante. Tout le monde y porte les cheveux longs. On peut y prendre des congés à volonté, les robots accomplissant le travail à la place des humains (cela rappelle certains rêves situationnistes). On peut payer provisoirement avec des brins d'herbe, des boutons ou des feuilles d'arbre quand on manque de monnaie (des marks alternatifs). On peut même ressusciter temporairement ses proches décédés, dès qu'on en a envie, en appuyant sur des boutons dans les cimetières (Golz ajoute: "Quand vous en aurez assez, rapportez les morts au cimetière. Les Broutsch viendront les chercher pour les remettre en terre et les plongeront dans un profond sommeil, jusqu'au prochain réveil.")... Ce pays n'est pas que merveilleux, le mal y rôde aussi, sous la forme de sortes de démons, les "Teufels-Ô-Ifiche" (= "diables-Ô-Ifichen", l'auteur forgeant souvent des néologismes), que soutiennent des "indigènes malveillants" et des "Glätschviecher" (="Bêtes-glassiaires"), à la gueule gelée. Golz paraît fasciné par moments par la cruauté, en décrivant des bains de sang bouillonnant, des enfants arrachés à leurs mères à la naissance directement depuis l'utérus pour être engoncés de force dans d'étranges combinaisons de caoutchouc dont ils ne sortiront plus jamais.... Une pollution, causée par des fumées noires et puantes crachées par des usines, menace régulièrement l'atmosphère d'Athosland. Certains lieux portent l'empreinte de personnes qui ont compté dans l'histoire de l'auteur, inclinant le spectateur à penser qu'il se trouve, devant cette topographie en perpétuelle évolution (Golz collant parfois des versions nouvelles des fragments les uns par dessus les autres), en réalité devant une image gigantesque de la mémoire de son créateur, fondue avec la carte d'un territoire et d'un monde utopiques.
Couverture du catalogue de l'exposition Michaël Golz au musée de Thurgovie et à la collection de l'Art Brut de Lausanne.
Ce pays imaginaire, concrétisé par des images et des mots à parts égales donc, progresse sans cesse. Elle n'est pas sans me rappeler la création monumentale et multiple d'Henry Darger aux USA qui lui aussi se plongea tout entier dans la peinture d'un univers alternatif imaginaire, théâtre d'une guerre entre adultes et enfants, qu'il représenta sous forme de livre immense, Dans les royaumes de l'irréel. On peut également penser à Wolfli et à son univers infini où il régnait en super-empereur.
Les classeurs de Michaël Golz à la Fabuloserie Paris, ph. B.M., décembre 2017.
Michaël Golz, trois œuvres exposées à la galerie de la Fabuloserie, ph. B.M., déc.2017.
Il apparaît d'ores et déjà difficile de mesurer toute l'étendue de cette invention topographique, l'auteur l'imaginant aussi vaste et proliférant, perpétuellement métamorphosé, que le monde réel. A part sa carte, il produit aussi des dessins isolés, en noir et blanc et en couleur, des classeurs remplis de dessins et d'inscriptions (voir ci-dessus) qui apparaissent comme les pendants narratifs de la carte, donnant beaucoup de précisions, notamment sur les personnages, les "bêtes-glassiaires" et les "diables" par exemple. L'ensemble est très proche de la forme d'une bande dessinée, et comporte de nombreuses onomatopées. Il semble que trois "héros" y figurent en permanence, peut-être des avatars de Golz lui-même avec son frère Wulf et sa sœur Dorothée. Certains de ces classeurs sont déjà dispersés du fait de ventes, mais Golz, qui veut les retravailler sans cesse garde des photos de ses pages sur son ordinateur. Si Golz en avait créé huit au moment de l'exposition au musée de Thurgovie, il planifiait d'en réaliser vingt au total... De plus, comme nous l'apprend le catalogue du musée de Thurgovie (épuisé, mais dont j'ai obtenu, grâce à la gentillesse de Sophie Bourbonnais et de Marek Mlodecki, la version française fort précieuse pour établir cette note), Michaël Golz a rédigé un tapuscrit en 2012, encore inédit à ce jour, qui permet de se faire une idée plus précise d'Athosland par un récit se présentant sous la forme d'un glossaire.
La Fabuloserie Paris a réussi un coup de maître en parvenant à faire venir cette création incroyable en plein Paris, c'est là sans doute sa manière de nous faire un splendide cadeau de Noël.
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On signalera également que la galerie parisienne de la Fabuloserie propose aux visiteurs un comptoir avec différents ouvrages en rapport avec l'art brut ou l'art hors-les-normes (comme quelques titres de la collection La Petite Brute), dont bien sûr divers livres liés à l'actualité de la Fabuloserie (comme la correspondance Bourbonnais-Dubuffet parue chez Albin Michel très récemment). Le Gazouillis des éléphants y est également présent.
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21:00 Publié dans Art Brut, Art singulier, Art visionnaire, Galeries, musées ou maisons de vente bien inspirés | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : fabuloserie paris, galerie d'art brut, marie-rose lortet, michaël golz, sophie bourbonnais, marek mlodecki, philippe lespinasse, athosland, markus landert, musée de thurgovie | Imprimer
29/05/2017
Loli et Jano Pesset dans les murs de la Fabuloserie parisienne jusqu'au 10 juin, hâtez-vous...
Rue Jacob, dans le VIe arrondissement de Paris, comme je l'ai déjà dit, la Fabuloserie, dont les principaux locaux et la collection incessible se trouvent à Dicy en Bourgogne (Yonne), a ouvert une "antenne" parisienne, où ont déjà eu lieu quelques expositions, une sur Michèle Burles, une sur des créateurs bruts polonais et actuellement la dernière en date, une expo consacrée à de merveilleux travaux, les "buissonneries" de Jano Pesset et les broderies de sa femme Loli, que je trouve personnellement remarquables, d'une extrême originalité, fleurant bon une étrange inspiration, comme venue d'extrême-orient. L'idée de la Fabuloserie et de son animatrice, Sophie Bourbonnais, était de demander aux artistes de la collection de présenter en vente des œuvres récentes, et donc ne faisant pas partie de la collection de Dicy. Cela permet aux amateurs qui voudraient se constituer une petite Fabuloserie en réduction à la maison d'acquérir quelques pépites alternatives...
Jano Pesset et Loli ont eu peu d'occasions d'exposer à Paris, ce me semble, alors même qu'ils sont d'anciens artistes de la Fabuloserie puisque présentés par Alain Bourbonnais dès ses premiers pas de montreur d'art hors-les-normes dans la galerie qui s'appela de 1972 à 1982 l'Atelier Jacob, galerie située quasiment en face des locaux actuels de la Fabuloserie parisienne. Jano tient de l'anarchiste et du sage dans les discours qu'il parsème dans ses compositions en relief vernissé. Ce sont en vérité d'étranges œuvres d'art, mot dont il doit penser, je crois, qu'il sonne bien grandiose parfois, synonyme d'"art du vent", comme le suggère malicieusement un tableau, en trois dimensions comme les autres, qui est exposé à la Fabuloserie, collection permanente, à Dicy.
Jano Pesset, avec le texte suivant du haut vers le bas et de gauche vers la droite: "LE VANTARD / L'ART DU VENT / son esprit n'avance qu'avec des béquilles il transpire en pesant bien ses gouttes / Le soufflet à flatteries et faussettes grand doreur d'ordures enfle sa tête en remplaçant le vide par des idées creuses. Mais l'air qui orne et ment n'est qu'un ornement / Proie des moulins à vent le vantard atteint de hauts sommets mais vite se vide et son cul plus lourd que sa tête le ramène à la raison. Ainsi sont leurres remis à l'heure" ; cette littérature résonne comme en écho des jeux de mots à la Boby Lapointe, dont il ne m'étonnerait pas d'apprendre qu'il est un auteur de chevet de Pesset ; un cousinage est à note aussi avec divers textes remplis d'homophonies que commit à une époque dans plusieurs petits livres l'artiste Noël Fillaudeau, dont la Fabuloserie du reste possède aussi des œuvres ; ph. Bruno Montpied, 2017.
Ce sont en réalité de véritables poèmes visuels aux formes tourmentées, tenant de la maquette de paysage, du tableau, de la sculpture, du poème-objet, réalisés grâce à une technique propre à Jano Pesset.
Jano Pesset, L'Homme ressemble au HERISSON..., expo "Buissonneries" à la Fabuloserie Paris, ph. B.M., mai 2017.
Jano Pesset, L'ORIGINE DU MONDE (version forestière) d'après Courbet, exposition "Buissonneries" à la Fabuloserie Paris, ph.B.M.
Il a contribué à construire la signature esthétique de l'art-hors-les-normes, avec d'autres, citons par exemple Francis Marshall et ses poupées bourrées encadrant le personnage désormais célèbre de Mauricette, Alain Bourbonnais et ses turbulents eux-mêmes, Reynaldo Eckenberger, Pascal Verbena, Michel Nedjar (qui débuta, je crois, par l'Atelier Jacob), François Monchâtre, Mario Chichorro, Jean Rosset, Joël Negri, Andrée Moiziard, Marie-Rose Lortet, Le Carré Galimard, etc. Signature d'art singulier qui constitue l'identité (quelque peu carnavalesque) de la Fabuloserie bien davantage que – ou parallèlement à – l'art brut dont certaines œuvres sont aussi présentes pourtant dans la collection (Aloïse, Podesta, Pierre Petit, Petit Pierre, Albert Sallé, Sylvette Galmiche, Juva, etc.). Ces deux tendances qui irriguent la collection reflètent Alain Bourbonnais, qui paraît avoir hésité toute sa vie entre son goût personnel pour une certaine truculence provocante et l'art brut plus tourmenté tel que collectionné par Dubuffet.
Une des six broderies de Loli exposées jusqu'au 10 juin, dépêchez-vous, elles sont en vente, ce qui est extrêmement rare concernant ces merveilleuses broderies, déjà deux de parties sur les six..., ph.B.M., mai 2017.
03/12/2016
"Jean-Dubuffet-Alain Bourbonnais: Collectionner l'art brut", une correspondance ou un calque?
Vient de paraître chez Albin Michel un magnifique ouvrage, un pavé orange, consacré, par delà la correspondance entre Jean Dubuffet et Alain Bourbonnais qu'il met en scène (dans un appareil critique dû à Déborah Couette), à l'histoire de l'activité de la galerie nommée l'Atelier Jacob (de 1972 à 1982) et de la constitution de la collection "d'Art-Hors-les-Normes" de la Fabuloserie (ouverte à Dicy dans l'Yonne de 1983 jusqu'à aujourd'hui).
Photo Bruno Montpied
Disons d'emblée que ce gros livre est d'abord un très beau livre d'images. Son iconographie est riche et variée, couvrant à la fois les œuvres d'art brut d'auteurs qui furent exposées ou non à l'Atelier Jacob et les œuvres, plus nombreuses, d'artistes ou d'auteurs travaillant "sous le vent de l'art brut", pour reprendre la terminologie de Jean Dubuffet. Beaucoup de ces œuvres sont inconnues, en terme de publication. Grâce à la recherche qu'a menée Déborah Couette, on découvre les filiations et les échanges qui ont existé entre Alain Bourbonnais et son foyer d'art hors-les-normes (étiquette suggérée par Dubuffet) d'une part, et, d'autre part, la collection de l'art brut et sa documentation installée dans les années 1960-70 encore rue de Vaugirard (dans l'hôtel particulier qui est devenu aujourd'hui le siège de la Fondation Dubuffet), où Bourbonnais allait en compagnie de sa femme Caroline puiser des idées et des informations pour sa propre collection.
Un feuilletage du livre en moins de 15secondes (et non pas un effeuillage, Bousquetou, si vous traînez encore par ces pages...), film B.M.
Mais au fur et à mesure de la lecture se dégage une curieuse constatation. Dubuffet, on le sait depuis peu (grâce à un témoignage de Michel Thévoz paru dans le catalogue des 40 ans de la collection de Lausanne), donna sa collection d'art brut à la ville de Lausanne, après avoir refusé de la confier à une institution française (il craignit même un temps que sa donation soit bloquée à la frontière lors de son transfert en Suisse), ne voulant pas que son "Art Brut" (il préférait les majuscules) soit mélangé à l'art moderne du Centre Georges Pompidou (cela devrait nous faire réfléchir actuellement, alors qu'art brut et art contemporain ont entamé une drôle de valse ensemble...). Ce transfert prit place en 71 (la Collection au Château de Beaulieu ne s'ouvrant au public qu'en 1976). Alain Bourbonnais, c'est ce qui apparaît de manière éclatante dans l'ouvrage paru chez Albin Michel, était en admiration éperdue devant l'œuvre de Dubuffet elle-même. Il la suivait depuis pas mal de temps. Il admirait également, en parallèle, ses collections d'art brut. Et il tenta donc de renouveler l'expérience à Paris, puis en Bourgogne, en se calquant sur Dubuffet. Ce mot de "calque", ce n'est pas moi qui l'invente, il apparaît dans une lettre de Dubuffet à Michel Thévoz (premier conservateur de la Collection d'Art Brut), publiée dans cette correspondance (p.383 ; lettre du 13 octobre 1978): "Alain Bourbonnais paraît s'appliquer à calquer ce qui a été fait pour la Collection de l'Art Brut et faire à son tour en France à l'identique, ce qui me donne un peu de malaise." Dubuffet, pour conjurer ce malaise qui l'étreint par moments, aide pourtant Bourbonnais, surtout en l'orientant vers des créateurs qui appartiennent plutôt à ce que Dubuffet a classé dans sa "collection annexe", intitulée par la suite par Thévoz et Dubuffet "Neuve Invention". Mais Dubuffet n'en est pas moins méfiant, attentif de façon sourcilleuse à ce que Bourbonnais ne joue pas les usurpateurs. Une lettre publiée elle aussi dans cette correspondance montre un Dubuffet fort mécontent, après avoir vu une émission de télévision ayant présenté les œuvres de Bourbonnais, et ses collections comme de "l'art brut" (voir p. 348, lettre du 12 janvier 1980 ; et aussi, p. 148, la lettre parue bien auparavant le 6 décembre 1972). Pourtant, Bourbonnais – que je devine fort matois et malin, diplomate et rusé (mais Dubuffet en face lui rend des points! Au fond, au fil de cette correspondance, on suit une passionnante partie d'échecs...) – ne cesse de protester de son amitié, de son admiration et de son respect à l'égard du peintre-théoricien. Il pousse même l'imitation de Dubuffet jusque à copier son attitude sourcilleuse vis-à-vis de l'usurpation du mot "art brut", en lui signalant telle ou telle récupération du terme.
Alain Bourbonnais, quatre "Turbulents" parmi d'autres dans la salle qui leur est consacrée dans la Fabuloserie (au rez-de-chaussée), été 2016, ph. B.M.
Même l'œuvre de Bourbonnais est imprégnée de sa fascination pour celle de Dubuffet. Ses lithographies du début des années 1970 (voir p.49 et p.51) portent la marque de son admiration. Et plus tard, les "Turbulents" eux-mêmes, grosses poupées carnavalesques articulées dans lesquelles un homme peut parfois se glisser pour les animer, paraissent passablement cousines des gigantesques marionnettes que Dubuffet avait conçues pour son spectacle "Coucou Bazar", dans les mêmes années (le spectacle semble avoir été monté pour la première fois en 1973 aux USA).
Cette fascination de Bourbonnais, notamment pour les collections de Dubuffet, sa conviction qu'il existe un continent de créateurs méconnus – sur ces mots, "artiste", "créateur" , "productions", on trouve plusieurs lettres, entre autres de Dubuffet, qui rendent clairement compte des problèmes qui s'agitent derrière la terminologie, voir notamment p.347, la lettre de Dubuffet du 6 février 1978 –, on la retrouvera, quelques années plus tard (1982), chez les fondateurs de l'association l'Aracine, dont un des membres, Michel Nedjar – artiste autodidacte affilié approximativement selon moi à l'Art Brut – avait exposé dès 1975 à l'Atelier Jacob.
Mais, au final, Alain et Caroline Bourbonnais finiront par bâtir une collection qui s'éloignera de l'Art Brut, plus axée en effet sur des créateurs et artistes marginaux (l'Art-hors-les-normes, l'Art singulier, la Neuve invention, la Création franche, l'Outsider art anglo-saxon sont des labels plus ou moins synonymes servant à rassembler ces productions), restant sur un plan de communication avec l'extérieur, cherchant à exposer dans des structures alternatives. Ils rassembleront aussi des éléments venus d'environnements populaires spontanés (Petit-Pierre, Charles Pecqueur, François Portrat, etc.), environnements qui sont le fait d'individus recherchant la communication avec leur voisinage immédiat.
L'art brut est on le sait un terme qui s'applique davantage à de grands pratiquants de l'art au contraire autarciques, se souciant comme de l'an quarante de faire connaître leurs œuvres. C'est un corpus d'œuvres exprimées par de grands individualistes, la plupart du temps débranchés de toute relation avec le reste de la société, œuvres d'exclus, de rejetés par le système social, qui à la faveur de cette exclusion, inventent une écriture originale, construite sur les ruines de leurs relations aux autres.
Marcel Landreau, un couple, statues en silex collés sauvegardées à la Fabuloserie (contrairement à l'Aracine qui ne put en conserver faute à un conflit avec l'auteur) ; Marcel Landreau est l'auteur d'un incroyable environnement spontané à Mantes-la-Ville qui a été démantelé par le créateur lui-même au début des années 1990 ; ph. B.M., 2015.
Le départ (vu peut-être comme un exil) de la collection d'art brut de Dubuffet pour la Suisse fut un véritable traumatisme pour beaucoup d'amateurs dans ces années-là (fin des années 1970, début des années 1980). C'est visiblement un tournant dans l'histoire de l'art brut, et plus généralement dans l'histoire de la création hors circuit traditionnel des Beaux-Arts.
Collection de pièces d'Emile Ratier présentées à l'avant-dernier étage de la Fabuloserie à Dicy, ph. B.M., 2015.
L'ouvrage "Collectionner l'art brut" apparaît comme un document essentiel pour comprendre cette histoire.
Au chapitre des points criticables (points formels seulement) : si la maquette générale de l'ouvrage est dans l'ensemble fort belle et attractive, il reste que les notes de bas de page (que, personnellement, j'ai le vice d'aimer lire...) ont été éditées dans un corps véritablement microscopique qui les rend difficilement lisibles de tous ceux qui n'ont pas, ou plus, un œil de lynx. Ce genre de défaut typographique apparaît de plus en plus fréquent dans l'édition contemporaine, comme si un certain savoir traditionnel (justifié pourtant au départ par le respect dû aux lecteurs) s'était perdu du côté des maquettistes. Autre chose qui me chiffonne: en plusieurs endroits du livre, on confond, abusivement à mon sens, "Neuve Invention" (collection annexe, Singuliers...) et Art Brut, par exemple dans le libellé de légendes placées à côté des œuvres de la Collection de l'Art Brut. Comme si une volonté se dessinait chez les concepteurs du livre – ou plutôt des responsables de la collection de l'Art Brut ? Il semble bien que ce soit plutôt du côté de l'éditeur qu'il faudrait aller voir... Voir commentaires ci-dessous de Déborah Couette, puis celui, nettement plus éclairant, du documentaliste de la Collection de l'Art Brut, Vincent Monod... – de tout amalgamer, contrairement à ce que demande Dubuffet pourtant tout au long de cette correspondance avec Alain Bourbonnais...
A signaler que la sortie de cet ouvrage, Collectionner l'art brut, correspondance Jean Dubuffet-Alain Bourbonnais, fera l'objet d'une présentation au public le 12 décembre à la Fondation Dubuffet (de 18h à 21 h, 137 rue de Sèvres, dans le VIe ardt, à Paris), en même temps que sera présentée une autre publication récente, tout aussi intéressante, réalisée par la Collection de l'Art Brut, SIK ISEA et les éditions 5 Continents, l'Almanach de l'Art Brut.
Parallèlement, dans le nouvel espace de la Fabuloserie-Paris (retour des choses, cette nouvelle galerie, animée par Sophie Bourbonnais, fille d'Alain et Caroline Bourbonnais, est ouverte à côté de l'emplacement de l'ancien Atelier Jacob, au 52 rue Jacob Paris VIe ardt (ouvert du mercredi au samedi de 14h à 19h et sur rendez-vous au 01 42 60 84 23 ; voir aussi fabuloserie.paris@gmail.com), se tient une exposition consacrée à quatre artistes défendus par la Fabuloserie : Francis Marshall, To Bich Hai, Genowefa Jankowska et Genowefa Magiera (vernissage le 8 décembre de 18h à 21h).
Un nouveau venu à la Fabuloserie: Jean Branciard (que les lecteurs de ce blog reconnaîtront comme un artiste que nous avons défendu parmi les tout premiers ; je suis content que le Poignard Subtil puisse voir ainsi ses choix corroborés par ceux de la Fabuloserie), ph. B.M., 2016.
Film de Joanna Lasserre sur le vernissage de la sortie de "Collectionner l'art brut" les 22 et 23 octobre derniers, avec pour l'occasion, une exposition d'œuvres de la Fabuloserie dans un Atelier Jacob provisoirement réinstallé dans ses anciens locaux.
00:41 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art singulier, Environnements populaires spontanés, Galeries, musées ou maisons de vente bien inspirés | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : jean dubuffet, alain bourbonnais, correspondances épistolaires, art brut, art-hors-les-normes, collectionner l'art brut, collectionneurs, fabuloserie, déborah couette, sophie bourbonnais, marcel landreau, émile ratier, atelier jacob, fabuloserie paris | Imprimer