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Rechercher : l'autre de l'art

Art brut, soluble dans l'art contemporain? Ou art contemporain dissout dans la vie quotidienne?

     La rumeur enfle, toute une série d'intervenants, de ténors s'étant taillés des robes d'avocats de l'art brut, se sont donnés le mot, on dirait, pour prêcher la future fusion de l'art brut avec l'art contemporain. Ce dernier recouvre toutes sortes de formes d'expression, mais cela importe peu à nos ténors. Qu'on y distingue encore des avant-gardistes, comme ce fut le cas par le passé, ce qui pourrait permettre effectivement de le mettre sur le même plan côté novation avec les inventifs de l'art brut (parallèle qui est évoqué de façon un peu confuse selon moi par Céline Delavaux dans un de ses récents ouvrages, Comment parler d'art brut aux enfants, éd. Le Baron Perché, 2014,¹), qu'on y trouve encore des avant-gardistes, comme au temps où les surréalistes attiraient l'attention du public sur l'art produit en asile, les inspirés du bord des routes, les autodidactes dits naïfs ou l'art populaire merveilleux, cela n'interpelle pas les mêmes spécialistes. Non, en face de l'art brut, il n'y a que "l'art contemporain" tout uniment.

      Et il ne faut surtout pas que l'on sorte du champ de l'Art. Pour nos spécialistes, l'art est en train de s'étendre en effet. L'art "contemporain" serait comme une immense tache d'huile qui s'annexerait des nouveaux territoires. Dont l'art brut, mais aussi les créations des bâtisseurs spontanés de bord de routes.

 

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      En ce qui me concerne, je vois les choses d'un point de vue inverse, je ne m'intéresse nullement à une "extension du champ de l'art" qui annexerait des formes d'expression non répertoriées dans l'Histoire de l'Art, je ne m'intéresse absolument pas à ce que l'on a appelé d'un néologisme barbare, "l'artification"². Non, moi, je préfère envisager la chose plutôt comme une annexion de l'art par la vie quotidienne, et s'il faut répondre à un néologisme par un autre néologisme, je parlerai alors d'une "quotidiennisation" de l'art, ce que j'appelle aussi sur ce blog une poétique de l'immédiat. Comme une dissolution de l'art dans la vie quotidienne, ce qu'annoncent les créateurs (et non les "artistes") de l'art brut et autres inspirés bricoleurs des décors de leur vie quotidienne.

     Comme on le voit c'est d'une toute autre perspective qu'il s'agit. Mais bien sûr, il ne s'agit plus dans ce cas d'une histoire de gros sous... Je dis ça, car j'entends dire ici et là que derrière cette histoire de fusion art brut/art contemporain, il serait surtout question d'une stratégie de hausse des prix de l'art brut (l'art contemporain met en jeu des cotes plus substantielles...). Certain marchand, et certain collectionneur, y auraient intérêt pour faire valoir les articles en magasin, d'où toute l'agitation et tout le branle-bas de combat actuels autour de l'art brut... Ce serait vraiment pas joli-joli, si cela se révélait exact. 

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¹ "L'art contemporain, comme l'art brut, implique la nouveauté, l'exploration d'un inédit qui force la réflexion. En ce sens, lui aussi appelle le regard à s'ouvrir et le discours à se renouveler. Comme l'art brut, l'art contemporain présente un éclectisme total, une mosaïque de propositions singulières." (Céline Delavaux). On est là semble-t-il bien loin du Dubuffet, pourtant le fondateur de la notion d'art brut, qui vouait aux gémonies l'ensemble de "l'art culturel"...

² Voir sous la direction de Nathalie Heinich et Roberta Shapiro, De l'artification, Enquêtes sur le passage à l'art, éditions de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences, 2012.

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Annuel festival de cinéma autour de l'art singulier à Nice et une ”Dame de St-Lunaire”...

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    Et revoici le festival Hors-Champ à Nice, se voulant défricheur de films peu vus concernant le monde des arts singuliers, bruts, naïfs, et autres visionnaires décalés. A noter que le carton d'invitation, que j'ai reçu sans trop de mots superflus (ce fut même plutôt laconique), ne numérote plus le festival. Cette mode a commencé l'année dernière, il me semble. Les organisateurs (l'association Hors-Champ) craignent-ils de paraître trop vieux désormais? En calculant, il me semble que nous en sommes arrivés aux 19e rencontres de cinéma autour des arts singuliers, et donc effectivement, ça commence à prendre de la bouteille, quoiqu'on soit plus proche des vingt printemps que de l'hiver des centenaires.

    Le programme ci-dessus, où l'on retrouve le bonhomme Danchin cité à l'envi pour son auguste présence tout au long du festival, ne me paraît pas, cette fois-ci, qu'on me pardonne une fois de plus ma franchise, d'une originalité folle-folle-folle. Beaucoup de films me sont inconnus certes, mais ne livrent aucun indice que l'on serait en présence de majeures découvertes en attente(voir par exemple films sur Ariel ou Marie Jakobowicz, ou l'éternel invité d'Hors-Champ à Nice, à savoir Guy Brunet). Le film sur James Edward Deeds (ex-Electric Pencil), on l'a déjà vu durant l'exposition de ce dernier à la Collection de l'Art brut à Lausanne, voici quelques années. A vérifier tout cela donc en allant sur place pour ceux qui peuvent.

    Quasiment le même jour, par contre -en fait le vendredi 3 juin pour être exact- aura lieu ailleurs la première d'un film que  vous ne verrez pas à Nice, celle du film d'Agathe Oléron consacrée à cette dame étonnante, Jeanne Devidal, qui, à Saint-Lunaire (Ille-et-Vilaine), enroba sa maison banale d'une carapace de matériaux divers et variés derrière lesquels elle s'abritait pour des raisons restées jusqu'ici mystérieuses.

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     Il semble pourtant bien que la réalisatrice, une jeune femme qui avait visité enfant la fameuse "Dame de St-Lunaire", et qui en était restée obsédée, ait tout de même réussi à percer quelque peu la carapace de Mme Devidal. Mais là, comme l'indique le carton d'invitation, il faudra se rendre à Saint-Lunaire (beau nom !) plutôt qu'à Nice, si l'on veut de la surprise et de l'étonnement.

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Maison de Jeanne Devidal, dessin d'Agathe Oléron

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Deux vues de la maison, aujourd'hui rasée, de Mme Devidal, photos Louis Motrot, mars 1988

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D'Alphonse Gurlhie à René Gregogna, une exposition à Beauchastel, patrie de Gurlhie le braconnier de l'art

    René Gregogna, j'ai eu l'occasion d'en parler plusieurs fois par le passé sur ce blog, était un artiste attachant, très varié dans son expression, alternant peut-être le pire et le meilleur, charriant toutes sortes de matériaux qui lui venaient sous les mains, repeignant une digue entière du côté de Pézenas, peignant les cailloux dans le lit des rivières... Dans sa jeunesse, il n'en faisait pas mystère, il avait rencontré un authentique créateur brut, Alphonse Gurlhie, qui vécut entre Beauchastel et Maisonneuve en Ardèche, actif des années 1920 à 1940, racontant ses exploits de chasseur et de pêcheur à travers des statues de ciment qu'il avait installées aux abords de ses deux différentes maisons. Et cette rencontre l'avait profondément marqué. Je l'avais croisé, lors de son passage à Paris pour l'avant-première d'un film d'Anne Desanlis sur lui, et l'avais interrogé sur ce rapport avec Gurlhie. Il est assez rare qu'on ait ainsi des aveux d'influence chez des artistes de l'art singulier, pourtant souvent impressionnés par les créateurs de l'art brut. Nul doute que ce rapport Gurlhie-Gregogna se trouve passablement explicité à l'occasion de l'exposition que montera à partir du 19 septembre l'association des Amis de Gurlhie. Ce sera peut-être aussi l'occasion de revoir les œuvres de Gurlhie qui sont conservées au musée de Beauchastel, qui était fermé aux dernières nouvelles.

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Monsieur Arthur Borgnis cherche de l'aide pour financer son film sur une Histoire de l'Art Brut

     C'est la mode, on adore prendre des termes anglo-saxons pour intituler ses œuvres, la langue française étant désormais perçue par tant de gens – à mon avis de façon désolante –  comme moins sexy...  M. Arthur Borgnis n'y a pas coupé en reprenant une citation (quelque peu sybilline, je dois dire, surtout si on la rapporte au sujet du film) d'une créatrice rangée dans l'art brut, Madge Gill, Eternity has no door of escape (= "On ne peut  pas s'échapper de l'éternité"), pour en faire le titre d'un documentaire qu'il souhaite réaliser et éditer en DVD l'année prochaine (pas de diffusion possible sur les chaînes de télé, que la dictature de l'audimat continue d'écraser), et qu'il rêve de voir comme une "histoire de l'art brut", projet qui n'aurait pas été tenté selon lui (et pourtant, ne pourrait-on pas citer le film de Bruno Decharme, Rouge Ciel, qui a déjà été sur le même "créneau"?).

Trailer du film d'Arthur Borgnis projeté

 

     Ce titre a déjà été utilisé pour l'exposition de la collection Eternod-Mermod il ya quelques années (2001) à Lugano, et je me demande s'il est bien adéquat pour un tel projet (évidemment, surtout auprès d'un public francophone)... On lira cependant attentivement le projet du film avec la demande de collaboration participative (Kiss Kiss Bank Bank...) demandée auprès de tous ceux qui veulent  le soutenir.

    Cependant, personnellement, une phrase dans ce projet, qui évoque "quatre figures emblématiques incontournables" de l'art brut, me chiffonne assez considérablement : "Jean Dubuffet, qui théorisa l’art brut, sera la figure tutélaire du film. Hans Prinzhorn, qui fut le premier à considérer les œuvres d’aliénés comme des œuvres à part entière, puis  Harald Szeemann qui l’introduisit dans l’art contemporain, et Alain Bourbonnais qui l’ouvrit à l’art autodidacte sous différentes formes seront nos guides, nos passeurs." Si je peux m'accorder avec l'auteur du projet avec la première partie de cette déclaration (Dubuffet, Prinzhorn...), la seconde me paraît ultra délicate. Szeemann aurait introduit l'art brut dans l'art contemporain? Si c'est vrai, cela n'a aucun sens et ne peut être réalisé qu'à la faveur d'une entourloupe, d'une manipulation et d'une usurpation du sens des mots "art brut". C'est en effet, cependant, ce qu'essayent de faire aujourd'hui, certains marchands (la galerie Christian Berst par exemple), créer une confusion entre art brut et art contemporain, mais cela n'a pas à être défendu par les vrais amis de l'art brut. Dire ensuite qu'"Alain Bourbonnais" aurait ouvert l'art brut "à l'art autodidacte" est incohérent et confus, puisque l'art brut, par définition, est précisément le fait d'autodidactes. Il semble que le texte veut dire autre chose, si on me permet de l'interpréter en dépit de sa confusion: ne veut-on pas insinuer en effet qu'Alain Bourbonnais aurait "élargi" l'art brut  à l'art des marginaux contemporains en tous genres, classés dans la neuve invention ou dans l'art singulier, ou selon le terme utilisé par Bourbonnais justement, "l'art hors-les-normes"? Qu'il aurait en quelque sorte adhéré par là à l'amalgame très anglo-saxon de l'art "outsider"? Cela serait défendre une contre-vérité là aussi, puisque Bourbonnais a bifurqué au contraire par rapport à l'art brut, en s'intéressant avant tout à des formes de création inclassables, singulières : de l'art contemporain de marginaux, pas assimilables à l'art autarcique propre à l'art brut. Il ouvrait ainsi une voie qui s'est poursuivie avec l'art dit singulier (après 1978) qui reste une catégorie d'art à distinguer de l'art brut. Quelques créateurs de l'art brut se retrouvent certes dans la collection de la Fabuloserie de la famille Bourbonnais (Ratier, Aloïse, Podesta par exemple), mais ils sont minoritaires au sein de la collection, n'étant là que parce qu'Alain et Caroline Bourbonnais étaient avant tout éblouis par leur créativité. Il est aussi à noter que la Fabuloserie recèle peu d'œuvres venues du monde asilaire.

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13/12/2016 | Lien permanent

”Aventures de lignes, treize imaginistes-intimistes en marge de l'art contemporain”, une exposition organisée par Bruno

Le vernissage, c'est aujourd'hui!

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Exposants: Marie Audin, Jean-Louis Cerisier, Migas Chelsky, Darnish, Caroline Dahyot, Alain Garret, Régis Gayraud, José Guirao, Solange Knopf, Gilles Manero, Bruno Montpied, RuzenaGérald Stehr ; le vernissage est en entrée libre, en particulier tous les lecteurs du Poignard Subtil sont cordialement invités...  

      

     Sur une proposition de Guy Girard, membre de l’association qui gère la galerie Amarrage, j’ai décidé de réunir pour quelques semaines un choix d’artistes exposant généralement dans des circuits alternatifs, que l’on qualifie ailleurs de « Singuliers », et que j'ai tous défendus, au moins une fois, sur ce blog. Le terme "singuliers", on le sait, est de plus en plus galvaudé dans les festivals qui se sont emparés de l’étiquette, les poncifs esthétiques s’y faisant légion, au point d'y anéantir tout réelle "singularité". C’est pourquoi j’ai cru bon d’employer, pour les besoins de l'exposition que j'organise, un autre terme, en dépit de son aspect un peu « intellectuel » : imaginiste-intimiste ; il désigne à la fois la prépondérance de l’imagination dans les travaux présentés et le caractère indépendant de leurs auteurs.

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Solange Knopf, série Behind the darkness, 23x48 cm,  vers 2014, coll. privée, Paris, ph. Bruno Montpied ; œuvre exposée à St-Ouen

 

     Depuis l’essor de l’art brut‒ cet art pratiqué par des non-professionnels de l’art, qui résulte d’une pulsion irrépressible et qui se manifeste dans tous les secteurs de la société, quoique pour une large part dans les milieux défavorisés et populaires ‒ de nombreux artistes sont apparus, prenant exemple sur la position morale des créateurs de l’art brut, qui étaient plus soucieux de pouvoir s’exprimer que d’en retirer un bénéfice matériel.

      L’art brut se caractérise par une forme d’autarcie mentale, un individualisme esthétique, un désintérêt vis-à-vis de la communication ultérieure de son art. A une époque où l’apparence est devenue l’alpha et l’oméga de toute attitude sociale, il n’est pas irraisonné d’attirer l’attention sur l’engouement actuel de beaucoup d’amateurs d’art pour ces grands introvertis de l’art que sont les auteurs d’art brut, œuvrant en dehors de tout souci du « paraître ».

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Bruno Montpied, En surfant sur les sirènes, 40x30cm, 2016, ph. B.M ; œuvre exposée à St-Ouen

 

       Les artistes rassemblés ici*  sont tous sensibles à cet assaut de sincérité appliquée à la création, à ce rappel à l’ordre d’une certaine pureté d’intention. Esthétiquement en outre, on reconnaîtra parmi ces œuvres un goût marqué pour une certaine stylisation et pour des techniques d’expression innovantes, qu’elles se rencontrent chez des artistes plus influencés par l’art naïf (Cerisier), l'art brut (Guirao), le surréalisme et l’expressionnisme naïfs (Manero, Montpied, Gayraud, Garret), le dadaïsme et les cultures populaires (Darnish), l’art textile (Dahyot, Audin), ou par l’art visionnaire, voire fantastique (Gasqui, Ruzena, Knopf, Stehr).

 

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Marie Audin, sans titre, 24x30 cm, sans date (avant 2010), ph. B.M. ; œuvre exposée à St-Ouen 

      C’est une sélection partielle, comme la pointe immergée d’un iceberg qui cache beaucoup plus d’artistes actuellement installés en France tout aussi originaux et inventifs, et tout aussi peu médiatisés, les media contemporains n’accomplissant plus leur mission d’information depuis belle lurette.

 

* Expo du 22 octobre (vernissage de 15h à 19h) au 4 décembre. Galerie associative Amarrage à Saint-Ouen, 88 rue des Rosiers. Je donnerai une "conférence-promenade" au sujet de l'art brut, l'art naïf, les environnements spontanés et l'art singulier en me basant sur des images d'œuvres en provenance d'une collection privée vouée à ces catégories, le jeudi 24 novembre à 19h30, dans les mêmes locaux.

A signaler qu'une petite librairie de divers ouvrages et catalogues (dont les quatre titres de la collection la Petite Brute par exemple) se rapportant aux artistes exposés sera disponible dans la galerie.

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Vue de la galerie Amarrage... ph.B.M., 2016

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22/10/2016 | Lien permanent

Les ”Bricoleurs de paradis” bientôt à Loctudy pour un débat autour des arts spontanés dans le cadre de l'expo ”L'Art du

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    Au centre culturel situé au 29 rue de Kerandouret, à Loctudy (Finistère), sera projeté, à l'initiative de l'association des amis de Youen Durand, le 26 juillet, à 21h le film Bricoleurs de paradis (52 min.) que j'ai co-écrit avec son réalisateur Remy Ricordeau en 2011. Cette projection qui sera suivie d'un débat, je l'espère nourri, avec le public, sur la question de la création populaire, brute ou naïve, s'inscrit dans le cadre d'une exposition intitulée "L'Art du coquillage" qui se tient au manoir de Kerazan à Loctudy, du 23 juillet au 13 août, également organisée par la même association des amis de Youen Durand. On y retrouvera les tableaux de Youen Durand et une évocation des travaux en coquillage sous différentes formes, notamment dans le cadre des objets souvenirs pour touristes par exemple.

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     Ce dernier (1922-2005), ancien responsable de la criée du port voisin de Lesconil, a été en effet l'auteur d'un magnifique ensemble de tableaux naïfs en mosaïque de coquillages, créés entre 1957 et 2000, racontant la mer et les hommes qui en tiraient des ressources, légués ensuite à la municipalité de son village. 

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Youen (ou Yves) Durand, Ballet aquatique, 67 x 78 cm, 1988, collection privée, photo extraite du livre de Marie-Christine Durand, Yves Durand, L'art des coquillages.

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Document fourni par l'association des amis de Youen Durand, voir leur site web.

 

   L'association, créée pour tenter de prolonger la mémoire de Youen Durand, s'efforce chaque année de monter des expositions et autres animations pour entretenir la flamme du souvenir. Elle a été naturellement conduite à relier le travail de cet artiste amateur à celui d'autres autodidactes œuvrant, ou ayant œuvré, avec des techniques de mosaïques de coquillages comme lorsqu'elle a retrouvé quelques oeuvres du "douanier" Alexandre Duigou, qui avait créé autrefois un petit musée en étage dans la ville close de Concarneau (j'en avais parlé dans ma défunte revuette L'Art immédiat n°2 en 1995 ; Duigou y présentait des statues, des maquettes, des tableaux en mosaïque de coquillages). Ce fut l'objet de l'exposition de l'année dernière ("Youen Durand invite Alexandre Duigou, Raconte-nous les coquillages") du 6 août au 2 septembre.

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ENFIN, PETIT RAPPEL ULTIME : deux jours avant d'aller à Loctudy, je débattrai avec le public après la projection d'un autre film que j'ai réalisé et écrit cette fois (en collaboration avec Jacques Burtin), Eric Le Blanche, l'homme qui s'enferma dans sa peinture (85 min), terminé en mars 2019. Cela se passera le 24 juillet à 20h30 à l'espace Jean Galipeau, à La Chemillardière, sur la commune de St-Mesmin (Vendée) dans le cadre de l'exposition de plusieurs travaux d'Eric Le Blanche sauvegardés par l'association Arts métiss et le département de la Vendée. Voir note précédente sur le sujet.

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Merveille de l'art naïf anonyme, un dessin d'un(e?) certain J.A.B.

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J.A.B, Liria (un prénom? Le nom d'une ville espagnole?... Mystère, mystère...), crayon sur papier, 42 x 30 cm, 1922, coll. Bruno Montpied

 

      L'art naïf n'a plus le vent en poupe, paraît-il. Le goût nous en serait passé, répète-t-on à l'envi. L'art brut est passé par là, bien sûr, avec les oukases des Dubuffet et des Thévoz, à qui toutes sortes de nouveaux fans ont emboîté le pas comme un seul homme. Du coup, conséquence sympathique en dépit de son aspect paradoxal, la foule des emboîteurs de pas ne fraye plus par ces chemins, et surout pas du côté des Naïfs anonymes. Ils sont légion ces derniers. On ne sait rien d'eux, ils débarquent sur les brocantes et les vide-greniers sans autre lettre de créance que leur bonne mine, leur mine étrange qui leur fait comme un bouclier quasi surnaturel. C'est leur apparence seule qui les défend du vandalisme, de l'anéantissement. Preuve que l'anonymat n'est point si rédhibitoire... Et qu'au contraire, il accompagne presque à coup sûr une valeur intrinséque, qui se passe de tout qu'en dira-t-on, de toute rumeur ou réputation flatteuses. C'est ce que j'aime en lui, dans ces tableautins sans pedigree qui circulent entre  collectionneurs, tous comme membres d'une société secrète d'admirateurs des beautés silencieuses de l'ombre.

      On n'en parle pas assez de ces anonymes insolites, à la figuration onirique ou merveilleuse, parfois aussi adeptes d'une inquiétante étrangeté. Regardez la petite fille ci-dessus. Elle m'a regardé dans les yeux et je n'ai pu faire autrement que de l'acquérir, sans discuter. Elle serait peut-être d'origine espagnole, selon les mots du marchand qui la présentait sur son stand à la dernière Foire de la Bastille à Paris. Elle tient peut-être avant tout par sa robe, immense, à la géométrie rigoureuse, dessinée avec soin et méticulosité dirait-on presque. La moue aux coins des lèvres également nous retient. Le nœud au sommet de sa tête. Ses bottines petites et pointues, ses bras dissymétriques, et ce ballon au bout de son bras, protégé dans un filet comme une résille. En 1922, en Espagne, les filles jouaient donc aussi au ballon. 

         Simplement dessinée au bout d'un crayon au tracé poudreux, on eût pu la croire d'une éphémère existence, mais elle a résisté jusqu'ici au temps, mirage solide. Elle est d'une présence indiscutable, et j'oserais même dire qu'elle se pose là. Sans doute avant tout par la jeunesse de sa présence, captée peut-être plus aisément en raison de la jeunesse – peut-être! – de celui (ou de celle?) qui a signé au bas de l'oeuvre, modestement, de ses simples initiales, J.A.B., et dont l'histoire n'a pas retenu d'autre trace (si?)...

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18/11/2012 | Lien permanent

Ataa Oko et Frédéric Bruly-Bouabré, deux créateurs africains à la collection de l'art brut à Lausanne

       La Collection de l'Art Brut de Lausanne, qui était fermée depuis quatre mois suite à des dégâts des eaux, réouvre ses portes le 5 mars prochain avec une exposition qui fera date dans l'histoire de la collection. Elle accueille deux créateurs africains, Frédéric Bruly-Bouabré tout d'abord, déjà bien connu (cet ancien collaborateur de Théodore Monod fut montré notamment à la grande exposition du Centre Georges Pompidou et de la Grande Halle de la Villette en 1989 Les Magiciens de la Terre ; vous savez, cette expo où Jean-Hubert Martin s'illustra en affirmant qu'il ne voyait aucun singulier primitiviste en occident, à part Chomo, pour être mis en parallèle avec les créateurs du tiers-monde qu'il voulait présenter à Paris, c'était dire l'étendue de son savoir...), ce qui fera que je ne m'étendrai pas à son sujet (même si ses oeuvres sont absolument séduisantes) et un autre créateur qui, lui, est beaucoup moins notoire, Ataa Oko Addo.

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Ataa Oko (au milieu) avec Kudjo Affutu (à gauche) et son fils Kofi (à droite), devant un cercueil-coq commandé à Oko par Regula Tschumi pour une exposition, 2009, ph. R.Tschumi

      Ataa, ça veut dire "grand-père" au Ghana, dans l'ethnie Ga dont fait partie cet étonnant nonagénaire toujours actif aujourd'hui (Oko signifie "jumeau", il eut une soeur jumelle qui mourut peu après la naissance). Cette fameuse ethnie s'est rendue célèbre auprès des amateurs d'art populaire africain contemporain par la confection de ces cercueils imagés (fèves de cacao, effigies de policiers, mercédès-benz, lion, oignons, etc) dédiés aux grands personnages que l'on veut enterrer pour se concilier leurs faveurs (voir ma note précédente sur le sujet). Certains de ces cercueils, qui intéressent maintenant les collectionneurs, ont été montrés dans des grandes manifestations (ceux de Kane Kwei furent présentés aux Magiciens de la Terre).

      Son histoire et son destin sont hors du commun sur le plan de l'histoire des arts populaires en Afrique (et ailleurs). D'après l'ethnologue suisse Regula Tschumi (qui fut hôtesse de l'air avant de choisir cet autre métier), qui étudie les coutumes religieuses des Ga, c'est Ataa Oko qui aurait créé le premier cercueil sculpté en 1945, à l'effigie d'un crocodile. Mais elle ne fournit pas de preuve photographique du fait (puisque les cercueils que les menuisiers ont sculptés avec soin, telles de véritables oeuvres d'art, sont enterrés avec les défunts à l'intérieur, disparaissant donc sous la terre, où, nous dit Philippe Lespinasse dans son documentaire Ghana, sépultures sur mesures (1), ils sont rapidement dévorés par les termites).

 

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       Dans le catalogue qu'édite la Collection de l'Art Brut en collaboration avec l'éditeur suisse Infolio, elle ne montre qu'une photo datant de 1960 (où l'on voit Oko ave sa femme posant devant un cercueil en forme de cargo). L'ethnologue se base sur le témoignage du dit Ataa Oko et le recoupe avec les témoignages d'autres personnes qui confirment que Oko construisait bien des cercueils sculptés, et qu'il encouragea Kane Kwei à en faire à son tour, ce même Kane Kwei qui a été présenté internationalement comme le fondateur de cette tradition (il ne fit rien pour démentir la rumeur). L'idée vient alors à Regula Tschumi de demander à Ataa Oko de lui dessiner ses cercueils de 1945-1948, histoire de voir à quoi ils pouvaient bien ressembler...

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Ataa Oko, sans titre, dessin à la mine de plomb et crayons de couleur, 26 octobre 2008, 29,7x42 cm, Collection de l'Art Brut, Lausanne

     Elle apporte des blocs de papier à dessin, des crayons de couleur et Ataa Oko se prête de bonne grâce au jeu. Il commence à dessiner prudemment, sans appuyer, les formes des cercueils qu'il a confectionnés après 1945. Puis petit à petit, il se pique au jeu, il s'enhardit, prend confiance, et de dessin en dessin se lance à corps perdu dans son imaginaire délaissant les représentations imitatives du début (qui durèrent de 2004 à 2005, les années de début de cette production graphique). Ce sont ces dessins aux crayons de couleur, où se donne libre cours l'imagination de l'auteur, quoiqu'avec des références à l'animisme Ga, qui ont intéressé la Collection de l'Art Brut qui en possède désormais une bonne sélection semble-t-il, si l'on se rapporte aux oeuvres illustrant le charmant catalogue d'exposition. Le reste est dans les mains de Regula Tschumi qui a acheté régulièrement, au fur et à mesure qu'elle était produite, toute la production d'Ataa Oko. Ce qui est unique dans l'histoire des oeuvres d'art brut sur lesquelles on ne possède généralement pas de renseignements par exemple d'ordre chronologique. Lucienne Peiry précise au début du catalogue: "C'est ainsi que 2500 dessins ont vu le jour en six ans (2003-2009)". On voit là une oeuvre rangée dans le corpus de l'art brut en train de se faire quasiment sous nos yeux, ce qui est un fait nouveau.

 

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Ataa Oko, sans titre, 2008, crayon de couleur et mine de plomb sur papier, 21x29,7cm, photo Amélie Blanc, Collection de l'Art Brut, Lausanne

      Autre fait étonnant et rare, on se confronte avec cet Ataa Oko à un autre phénomène qui m'apparaît unique. C'est un créateur qui est à l'origine à la fois d'une tradition de sculpture funéraire populaire et, par la suite - soixante ans après, excusez du peu! - aussi, d'une nouvelle expression individualiste populaire, dite "brute". C'est Dieu, ce type-là.   

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(1) Ce film a été édité en DVD chez Grand Angle Productions. Grand Angle Distribution, 14 rue des Périchaux, 75015 Paris. +33 1 45 359 258. n.labid@grandangle.com et www.grandangledistribution.com. Philippe Lespinasse livre aussi un texte de témoignage sur Ataa Oko dans le catalogue de l'exposition. Cette dernière se tient à Lausanne du 5 mars au 22 août 2010 (en parallèle avec Bruly-Bouabré): www.artbrut.ch

Cercueil sculpté en forme de policier au Ghana,film de Philippe Lespinasse, Grand Angle Productions, 2009.jpg
Une image tirée du film de Philippe Lespinasse, un cercueil en forme de pandore, avec vrai policier mort à l'intérieur...

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Benjamin Péret, la riche actualité d'un révolutionnaire surréaliste qui s'intéressait à l'art populaire

Bande-annonce du film de Remy Ricordeau Je ne mange pas de ce pain-là, Benjamin Péret, poète, c'est-à-dire révolutionnaire
 
      Un vent salubre souffle en ce moment du côté de certaines aiguilles qu'il faut ré-aimanter, eu égard à l'actualité encombrée par l'évocation des fanatiques d'obédience musulmane. La figure de Benjamin Péret revient du passé pour nous rappeler aux ordres du merveilleux et de la liberté qui ne souffrent aucun compromis avec les curés et imams de tous ordres. Remy Ricordeau, dont les lecteurs de ce blog ont souvent entendu parler, notamment pour son film Bricoleurs de Paradis, sur des environnements populaires spontanés, que j'avais co-écrit avec lui, a récemment sorti un film documentaire sur Benjamin Péret dans la collection Phares produit par Seven Doc qu'animent Aube Elléouët-Breton et Oona Elléouët.

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Le coffret avec le film de Ricordeau sur Benjamin Péret, coll.Phares, prod. Seven Doc

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Robert Benayoun, inversage sur un portrait de Benjamin Péret, paru dans l'Anthologie du Nonsense du même Benayoun

 
    Il va faire l'objet de plusieurs projections en public, d'abord à Rochefort-en-Terre puis à Nantes:
    Le film sera projeté au Café de la Pente, lieu associatif de Rochefort-en-Terre (dans le Morbihan) le jeudi 28 janvier à 20h, une rencontre avec le réalisateur étant prévue à la suite. 
    On pourra aussi se rendre à Nantes le samedi 30 janvier à 15h, à la Médiathèque Jacques Demy, salle Jules Vallés, où sera présenté le manuscrit des Couilles enragées par Dominique Rabourdin (le livre fait en ce moment l'objet d'une réédition aux éditions Prairialbenjamin péret,seven doc,collection phares,poète révolutionnaire,art populaire et surréalisme,remy ricordeau ; ajoutons au passage que personnellement je regrette l'ancien titre faisant contrepèterie qui avait été choisi paraît-il pour déjouer la vigilance de la censure: les Rouilles Encagées). Cela sera suivi de la présentation des cahiers Benjamin Péret par des membres de l'association des amis de ce dernier. A 21h, ce même jour, au Cinématographe, rue des Carmes, on projettera de nouveau le film de Rémy Ricordeau, Je ne mange pas de  ce pain-là, Benjamin Péret, poète, c'est à dire révolutionnaire. La projection sera suivie d'une rencontre avec le réalisateur. Avis donc à nos lecteurs nantais.benjamin péret,seven doc,collection phares,poète révolutionnaire,art populaire et surréalisme,remy ricordeau
    
    A Paris,  notez une autre projection qui sera organisée par la librairie Quilombo le mercredi 9 mars à 19h45 au CICP, 21 rue Voltaire 75011 Paris (M° Rue des Boulets): http://www.librairie-quilombo.org/Benjamin-Peret,6317
 
   Pour être encore plus complet signalons que le coffret du film est disponible à Paris entre autres à la librairie Publico, à la librairie Quilombo (ces deux librairies vendant également par correspondance sur leur site internet) ainsi qu'à la librairie du Centre Beaubourg (Georges Pompidou), et à la librairie de la Halle Saint-Pierre (où l'on peut trouver d'autres DVD de la même collection Phares, tous consacrés à des figures du surréalisme, en majorité des plasticiens). A Lyon,  on trouvera le DVD sur Péret à la librairie Descours, qui dans sa partie galerie, on s'en souvient, a récemment organisé une expo intitulée "Surréalistes, certes".
 
 
 
Extrait du film Je ne mange pas de ce pain-là, et diffusé entre autres sur le site Arcane 17 de Fabrice Pascaud ; à regarder et à écouter dedans surtout le fragment d'émission de télévision où Max-Pol Fouchet rend un extraordinaire hommage à Péret
 
       L'édition de livres n'est pas en reste pour Péret. Dominique Rabourdin a récemment réuni aux éditions URDLA la Légende des minutes, une étonnante gerbe d'envois et dédicaces diverses et  variées que Benjamin Péret apposait sur ses livres destinés à plusieurs amis et connaissances. Cela pourrait paraître pour de l'écume mais c'est mal connaître Péret qui dans cet exercice atteint parfois à l'haïku surréaliste. A Kurt Seligmann,/La rivière, dans la brume, jouit/des prochaines collisionsà Toyen/ A quoi bon baisser la tête si le ciel est haut?A André Pieyre de Mandiargues/ la grande statue de sel brillant/ au soleil.

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La Légende des minutes

 

        Deux autres ouvrages sortent également bientôt, une réédition du Déshonneur des poètes – ce brûlot contre les ex-poètes surréalistes, devenus communistes staliniens et épris de nationalisme qu'étaient Aragon et Eluard pendant l'Occupation – accompagné d'une réédition de Les syndicats contre la révolution (écrit avec Grandizo Munis) aux éditions Acratie, et une édition d'un récit de Péret peu connu Dans la zone torride du Brésil, visite aux Indiens, sorte de journal de son voyage en forêt amazonienne en 1955. Là, c'est publié aux éditions du Chemin de Fer.

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       Devrait également sortir sous peu une nouvelle édition de L'art populaire au Brésil, autre étude peu connue, qui sera accompagnée de photos inédites de Benjamin Péret, à qui on ne connaissait pas ce talent.

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Une des photos de Benjamin Péret à paraître aux éditions du Sandre

Ce sera publié par les éditions du Sandre, sur lesquelles je reviendrai bientôt à propos d'autres prochaines parutions nous concernant encore plus directement sur ce blog.

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Benjamin Péret face à Gaston Chaissac en 1959, photo de Gilles Ehrmann ; il l'appela le "dandy rustique", appelation qui plut à Chaissac

    On apprendra ainsi peut-être davantage l'intérêt que portait le poète à différents types d'art populaire, aux contes et légendes d'Amérique du Sud, et peu avant sa mort à Gaston Chaissac. S'il avait vécu plus longtemps (il est mort en 1959), qui sait s'il ne se serait pas tourné davantage vers l'art brut? 
 

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Une des citations qui émaillent Je ne mange pas de ce pain là, Benjamin Péret, poète, c'est à dire révolutionnaire
de Rémy Ricordeau, éditions Sevendoc

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40 ans de la Collection d'art brut de Lausanne, 70 ans de l'apparition de l'art brut, etc.

L'art brut de Jean dubuffet Aux origines de la  collection .jpg

L'œuvre illustrant l'affiche de l'exposition est de Joseph Dégaudé-Lambert, dessinateur inconnu du XVIIIe siècle

 

    C'est pratique les commémorations, ça permet d'avoir l'idée d'une exposition. La nouvelle, à Lausanne, qui a commencé le 4 mars, fait retour sur les origines de la Collection de l'art brut, à l'occasion des 40 ans de son ouverture au Château de Beaulieu, après la donation de Dubuffet à la ville de Lausanne. Un gros – et grand – catalogue est publié à la clé. Je n'ai pas vu l'expo, je me base donc sur ce dernier, qui est déposé ici et là en librairie à Paris (moi, je l'ai trouvé à L'Ecume des Pages, merci Marieke...).

 

Couv les origines de la collection (2).jpg

La couverture du catalogue de l'exposition "L'Art brut de Jean Dubuffet, aux origines de la Collection", au graphisme pas très original si on se réfère aux anciennes couvertures des premiers fascicules de la Collection qui utilisèrent longtemps cette écriture peinte (qui fut de plus imitée par d'autres ça et là), et avec un type de reliure (à la japonaise, cousue ,sans dos) qui fait penser à certain récent catalogue de la collection ABCD, normal, si l'on songe que Flammarion est co-éditeur des deux...

 

    C'est une sorte d'exposition rétrospective, où la Collection survole l'histoire de sa constitution. Le catalogue, éludant quelque peu les années de  tâtonnement de Dubuffet  (pourtant l'art brut a commencé de l'obséder dès la fin des années 1940, après un premier intérêt dans les années 1920 pour les dessins de nuages d'une certaine Clémentine Ripoche), et ne citant que peu les expositions du sous-sol de la galerie Drouin, puis du Foyer de l'art brut dans le pavillon prêté par les éditions Gallimard, s'étend en premier lieu sur l'évocation de la grande exposition de 1949 dans la même galerie Drouin (sans doute parce qu'elle fut la première imposante par le nombre d'œuvres ou d'ouvrages exposés), avant d'aborder  les acquisitions des décennies suivantes.

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      Les premières œuvres qui avaient été exposées en 1947-1948 (à partir de novembre-décembre 1947) avec la collaboration de Michel Tapié, et divers autres amis et adhérents des débuts de la collection (Charles Ratton, André Breton, Robert Giraud, Aline Gagnaire, Henri-Pierre Roché, entre autres) exprimaient une grande ouverture dans la recherche des œuvres relevant d'un art de l'ombre, distinct et distant vis-à-vis du "grand art". Indécis sur la direction à prendre, on prenait ce qui venait, quitte à trier plus tard sans doute. L'art naïf, l'art des enfants, l'art de certains peuples non occidentaux, pouvaient être prospectés. Dans ces deux premières années de recherche systématique – la "Compagnie d'art brut" fut fondée le 11 octobre 1948 –, on voit passer dans les locaux provisoires prêtés (?) à Dubuffet, par exemple "les Barbus Müller" (pierres de granit et basalte, venues semble-t-il d'Auvergne, créées par un (ou des) auteur(s) anonyme(s)), les sculptures de l'artiste primitiviste Krizek, les peintures illuminées de Miguel Hernandez, les silex interprétés de  Juva – alias le comte autrichien Juritzky –, les œuvres de Robert Véreux (alias Robert Forestier), de Chaissac, de l'alchimiste Maurice Baskine, les médaillons de ciment de l'aubergiste Salingardes, les masques du brocanteur bordelais Maisonneuve, des peintures "médiumniques" de Crépin, des dessins de Scottie Wilson... Certaines de ces productions vinrent des signalements donnés par les surréalistes que Dubuffet, au début de son entreprise de rassemblement d'un art inventif et sauvage incognito, tentait de rallier à sa cause, jusqu'à ce que ce compagnonnage vole en éclats, Breton trouvant en 1951 Dubuffet dictatorial, tandis que ce dernier accusait les adhérents de la première heure de n'avoir pas fait grand chose pour l'aider (voir la correspondance de Jean Dubuffet  publiée dans Prospectus et tous écrits suivants chez Gallimard)...

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Projet de composition de l'Almanach de l'art brut, tel qu'il figure dans une lettre de Dubuffet à André Breton publiée sur le site web consacré à André Breton

     Mais que le catalogue et l'exposition ne s'attardent pas outre mesure sur ces deux années de tâtonnement, c'est sans doute parce que, comme l'annonce une note fort furtive en marge d'une contribution de Sarah Lombardi, actuelle directrice de la Collection lausannoise (p.19), un projet d'édition va enfin voir le jour concernant l'Almanach de l'Art Brut, qui permettra peut-être d'en parler plus largement. Ce serait prévu pour novembre 2016 (dans une édition critique établie par Baptiste Brun et Sarah Lombardi, et réalisée par la collection de l'Art Brut en collaboration avec 5 Continents et l'ISEA ). Ce qui sera, du point de vue des amateurs obsédés par l'art brut et son histoire, un événement puisqu'on attend son exhumation depuis 70 ans, l'édition n'ayant pu se faire en 1948. On se reportera  à l'ouvrage l'Art brut de  Lucienne Peiry (Flammarion, 1997, voir p.303) pour en savoir un peu plus sur cet almanach, laissé à l'état de manuscrit dans les archives de la Collection, et qui rassemblait au même sommaire, excusez du peu: André Breton, Benjamin Péret (sur Robert Tatin, et ce, dès 1948, texte inédit, jamais publié dans ses œuvres complètes), Jean Dubuffet, Gaston Chaissac, Walter Morgenthaler, Michel Tapié, E.L.T. Mesens (par qui était "arrivé" Scottie Wilson...), Lise Deharme (voir son texte sur Alphonse Benquet sur ce même blog, où je l'ai édité virtuellement en première mondiale grâce à l'obligeance de Lucienne Peiry...), Jacqueline Forel, Eugène Pittard, Charles Ladame, etc. Cet almanach, dont l'idée de la forme revenait peut-être à Breton, qui en réalisa un autre en 1950,  centré sur le surréalisme (l'Almanach surréaliste du demi-siècle), est probablement imprégné de cet esprit de non dogmatisme et d'ouverture qui régnait dans ces années pionnières. Dubuffet se raidira dans les décennies suivantes, déniant aux Naïfs et aux créateurs trop liés à une culture populaire repérable, l'inventivité surgie de nulle part dont il rêvait, à la fois dans sa propre œuvre et dans celle des autres. Le fait que l'on reconnaisse aujourd'hui qu'il y a toujours de la culture, savante ou populaire, dans le soubassement des gestes créatifs, y compris parmi ceux qui sont les plus cachés et les plus refoulés, doit impliquer que l'on puisse réévaluer certains marginaux naïfs ou populaires, du type de ceux que l'on vit émerger dans les débuts de la collection de Dubuffet, comme par exemple ce Joseph Dégaudé-Lambert, dont les huit gouaches du XVIIIe siècle conservées à Lausanne (précision apportée par le catalogue de l'expo actuelle), furent reversées par Dubuffet à partir du début des années 1960 dans sa collection "annexe" (consacrée aux cas-limites de l'art brut et de l'art culturel...). Chaque fois que l'on voit en réapparaître une dans les publications de la Collection de l'art brut¹, on reste sidéré... Voilà encore un créateur énigmatique de premier ordre sur lequel on aimerait recueillir davantage d'informations.

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Salingardes (à gauche) et broderie de Marguerite Sirvins (à droite), pages du catalogue L'Art Brut de Jean Dubuffet, aux origines de la collection, ph. Bruno Montpied

      Le catalogue de l'exposition, en contraste avec sa couverture grise ascétique, est d'une richesse iconographique remarquable, reflétant sans doute bien celle de l'exposition elle-même. J'ai mes favoris parmi tous ces créateurs, dont certains surgissent des réserves de la collection pour la première fois (ou peu s'en faut), comme cette écorce de bouleau de Pierre Giraud qui vaut bien mieux que ses dessins je dois dire.

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Pierre Giraud, sans titre, 1947, écorce de bouleau sculptée

      Je ne résiste pas aussi au plaisir d'énumérer, parmi les créateurs exposés en 1949 chez Drouin,  ceux qui me touchent plus particulièrement: Aloïse, Antinéa, Benjamin Arneval, Julie Bar, Georges Berthomier (un naïf fruste), Maurice Charriau (une copie conforme de Chaissac : il me semble me souvenir qu'il s'agissait d'un adolescent que ce dernier poussa à dessiner), Crépin, Joseph Heuer, Juliette Elisa Bataille, Juva, Hernandez, Maisonneuve, Parguey, Clotilde Patard (là aussi une naïve fruste comme on les aime), Raymond Oui, Salingardes, Marguerite Sirvins, Berthe Urasco, Wölfli, Albino Braz, Somuk (un Mélanésien), Gottfried Aeschlimann,  Jaime Saguer, et toutes sortes d'anonymes... Les acquisitions qui eurent lieu les décennies suivantes ont bien entendu apporté d'autres merveilles.

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Somuk, illustration pour un conte recueilli par Patrick O'Reilly, dans le catalogue Art mélanésien, Nouvelles éditions latines, Paris, 1951

     Le catalogue laisse aussi la parole aux deux précédents directeurs de la Collection, Michel Thévoz et Lucienne Peiry. Thévoz notamment rétablit une information importante concernant l'hypothèse qui a couru chez maints exégètes et chroniqueurs de l'art brut selon laquelle l'Etat français aurait refusé la donation de la collection au moment où, après 1967 et l'exposition du Musée des arts décoratifs, Dubuffet commençait à  songer à la possibilité de créer un "Institut de l'art brut". En réalité, le ministre de la culture de l'époque, Michel Guy, avait soutenu l'idée d'une donation au Centre Georges Pompidou, et c'est Dubuffet qui n'en avait pas voulu. Ce dernier, se tournant vers Lausanne et la Suisse, crut même à un moment que sa collection ne pourrait franchir la douane, Michel Guy menaçant de ne pas la laisser sortir de France. Michel Thévoz, dans cette même interview, reste cependant évasif sur la méthode employée par le peintre français pour permettre à sa collection de franchir finalement la frontière.

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Ni Tanjung, telle qu'elle figure dans une courte vidéo de Petra Simkova réalisée en février 2016 ; elle exécute ici une danse traditionnelle dans le minuscule local où elle survit tant bien que mal, entourée de ses dessins réalisés en silhouettes accrochées à des fibres de bambou

    Le catalogue comprend également un autre entretien, avec Lucienne Peiry cette fois qui revient sur l'ouverture qu'elle pratiqua dans les acquisitions de la collection en direction des autres continents à partir de 2001, ouverture qui fut stoppée net par le syndic de la ville de Lausanne en 2011, Daniel Brélaz, au motif que devant la concurrence des autres musées et collections s'ouvrant à travers le monde, il fallait désormais se concentrer sur les acquis, afin de préserver l'identité de l'art brut en somme, faire des économies, et faire machine arrière par rapport à l'extension indéfinie des acquisitions à l'international. C'était là, de la part du syndic , une déplaisante attitude à mon humble avis, entachée d'un esprit de macération dans le cercle étroit de ses habitudes. Grâce à Lucienne Peiry, la collection nous avait fait connaître, entre autres, et sans préjuger de découvertes continuées parallèlement  en Europe et en Suisse (voir l'expo L'art brut à Fribourg), de grands créateurs lointains, comme la Chinoise Guo Fengyi,  le Ghanéen Ataa Oko ou la Balinaise Ni Tanjung. sur laquelle je reviendrai bientôt. "La puissance et la dissidence de l'Art Brut ne sont donc pas dépendantes des frontières géographiques", affirme ainsi Lucienne Peiry dans l'entretien avec Sarah Lombardi. Le récent livre de Remy Ricordeau, Visionnaires de Taïwan, paru en 2015 à l'égide de la collection La Petite Brute aux éditions de l'Insomniaque, révélant plusieurs environnements bruts inédits dans l'ancienne île de Formose, n'est pas là, par exemple, pour contredire cette puissante affirmation...

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¹ Une autre reproduction de gouache est à découvrir dans le catalogue de la Neuve Invention que la collection fit paraître en 1988 (catalogue qui mériterait du reste d'être réédité, et augmenté).

    

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