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27/02/2008

Naissance de MAX T.

     Évoluant depuis quelques années déjà au sein des vieux loups de brocantes, individus fréquemment partagés entre antiquaires classieux mais calculateurs, maramians presque enguenillés, alcooliques cachant mal leur vice sous les oripeaux d'un métier proche de la bohème sans en être tout à fait, grands enfants maquillés en excentriques boulimiques, rustres et autres montreurs d'ours aux griffes élimées, faux aristocrates créchant en baraque, bourrus sauvés des eaux, moustaches déguisées en conquistadors à la retraite, Max T. est un cas à part.

    Il trafique comme les autres, vend de l'art populaire, aime les vieux outils, le fer particulièrement. Il s'est mis à retaper les objets un peu trop abîmés selon son goût, et petit à petit devient restaurateur sans s'en apercevoir. Dès lors, il a mis la main dans l'engrenage. Il crée des oeuvres à ses moments perdus, une "patte" enfantine s'y laissant reconnaître.

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Max T. dessin sans titre sans date, photo B.Montpied, 2008

    Au début, il n'en laisse rien paraître, il sème dans le décor de sa vie quotidienne ses créations au milieu des autres objets chinés en brocante parmi ses congénères brocs, le plus souvent des objets qui n'ont plus d'auteurs avérés. L'anonymat baigne son capharnaüm. Pourquoi pas ses propres réalisations? Je m'y laisse prendre, un jour je photographie un jouet-acrobate jaune le prenant pour un frais et naïf témoignage d'art populaire (voir ma note du 25 juin 2007), alors qu'il semble être sorti tout droit des mains du Max, ce dernier ne le reconnaissant pas tout à fait, à mots couverts seulement (peu amateur d'explicite, le bougre)...

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Max T., assemblage, photo B.Montpied, 2008

   Pourquoi n'avoue-t-il pas qu'il en est l'auteur? Par manque de confiance? Par désir de se mesurer à la poésie des objets populaires naïfs, et donc au rebours de l'hypothèse de la timidité, c'est par fierté qu'il agirait ainsi...? La réponse ne vient pas. Il vous regarde de ses yeux cernés, il roule sa vieille clope dégueulasse, l'allume puis tire dessus, laisse le silence répondre à sa place. Et laisse aussi le photographe tirer quelques portraits des dessins, des assemblages, des sculptures en fil...

Max T., comme un épouvantail..., sans titre sans date, matériaux divers, photo B.Montpied, 2008.jpg

Max T., sans titre sans date, assemblage de matériaux divers (la tête est faite des tessons d'un pot qui au départ était intact ; en se brisant, les tessons ont donné un air affaissé original à la tête, la ficelle est venue pour tenir le tout sans doute), photo B.M. 2008

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Max T. dessin au stylo sur la couverture d'un cahier, sans titre sans date, photo B.M. 2008 

    Il préfère le secret, rester en retrait. Il vit en Normandie avec sa femme et ses deux enfants. Il se délasse avec ces petites créations, Dieu sait où ça le ménera.

Max T., dessin sans titre sans date, stylo, photo B.Montpied, 2007.jpg

Max T., dessin sans titre sans date, stylo, photo B.M. 2008 

24/02/2008

Trolls dans le ciel

   Votre "art immédiat" n'est pas si immédiat que cela, ne serait-ce qu'au point de vue de sa réception, me suis-je entendu rétorquer de temps à autre. Effectivement, et ce pour des raisons d'inhibition et de mauvaise disposition de ceux qui pourraient le reconnaître lorsqu'il se produit (et selon moi, la poésie immédiate est partout à tout moment), au premier rang desquelles je place la nécessité de gagner (perdre) sa vie, de travailler et de survivre dans une société basée sur les sacro-saintes valeurs de profit, de compétition... Abrutis par le boulot et les contraintes qui en découlent, les individus ont le regard voilé, voire aveuglé, et dés lors ne sont pas en état de percevoir la poésie ou le mystère du monde qui les entoure, et encore moins de jouer avec cette poésie, de créer dans sa perspective. Le temps de la retraite est infiniment plus propice à cela, les inspirés du bord de route en sont des exemples patents, de même que les internés des hôpitaux psychiatriques lorsque les médicaments ne les ont pas transformés en légumes, ou lorsque les animateurs d'ateliers d'art-thérapie leur ont laissé la liberté de s'exprimer hors de toute tutelle...

    Tous les jours au-dessus de nos têtes passent les nuages, les merveilleux nuages chers à Baudelaire (c'est presque devenu un truisme égal à "l'inventaire" de Jacques Prévert sous la plume des journalistes culturels). Ils ne sont pas tous parlant. En voici une grappe, photographiée au-dessus de la Planèze de St-Flour l'été 2007 dernier. Je l'avais prise au vol, ayant perçu vaguement une présence dans ces nuages. J'étais en vacances aussi, autre temps de suspens propice aux visions...

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      En la renversant, cette cascade de Chantilly, en accentuant les contrastes aussi bien sûr (il faut bien lutter contre notre fatigue d'homme réifié par le travail), voici que se révèlent les trolls, les trognes et les bestiaux humanoïdes qui se bousculent en elle.

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     Et dés lors j'insiste, je me rapproche de ces têtes brutes, le paysage recule dessous, les formes qui surgissent dans mes peintures sont là dans le ciel, bien plus vivantes, et dans la seconde qui suit sur le point de s'évanouir, de se métamorphoser, oracles dans le ciel, bouleversant ma situation et mon organisation, ma place dans cette société qui ne s'attarde jamais dans la contemplation des nuages.

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22/02/2008

Disparition de Ruth Henry

     J'ai appris très subrepticement, dans une "Lettre du Musée" de Laduz envoyée aux amis du musée, sous la plume de Jacqueline Humbert la disparition de Ruth Henry.

    Allemande, elle vivait à Paris depuis longtemps, ancienne épouse du dessinateur humoristique surréaliste Maurice Henry, correspondante de presse en France. Elle était surtout la grande introductrice de l'oeuvre d'Unica Zürn dans notre pays. C'est  à elle que l'on doit la traduction des deux principaux livres d'Unica, L'Homme-Jasmin" et "Sombre Printemps". Récemment, elle avait également publié les Lettres que lui avait envoyées cette extraordinaire voyante qu'était Unica Zürn (publiées malheureusement à un trop faible nombre d'exemplaires). On l'entend  lire la présentation de cette correspondance sur le site du Centre international de Poésie de Marseille.

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     Peut-être ne s'en est-on pas encore totalement aperçu en France, mais c'est aussi au style de Ruth Henry que l'on doit la révélation des écrits d'Unica. Par la grâce de la traduction, sa voix est indissolublement liée à celle d'une Zürn plus tout à fait "unique-a". De cette passeuse précieuse, il est bon que l'on se souvienne aussi.

17/02/2008

A la découverte d'Axel Henrichsen avec Jean Painlevé (1956)

    J'ai parlé naguère de Jacques Brunius dont la vie et l'oeuvre me fascinent. Dans son film génial sur les créateurs  de violons d'Ingres en tous genres, daté de 1939, premier documentaire sur l'art populaire et brut (avant la lettre pour ce dernier terme) en Europe (et on peut bien l'oser: au monde...), apparaissait de façon fugitive un autre cinéaste poétique et tout aussi génial, cousin en esprit de Brunius, j'ai nommé Jean Painlevé.

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    Né en 1902 et disparu en 1989 (pour sa biographie, on peut se reporter utilement à cette notice dûe à Brigitte Berg qui anime aujourd'hui les Documents Cinématographiques, garants de la mémoire de Jean Painlevé), ce dernier est surtout connu comme le pionnier d'un cinéma scientifique de vulgarisation, ce dernier terme n'étant bien entendu pas à prendre dans un sens dépréciatif, puisque Painlevé songeait par là à la facilitation de la diffusion du savoir scientifique vers le grand public (pour ne pas dire le public populaire). Pour ce faire, il ne s'interdit jamais d'user de l'humour, de la poésie et de la fantaisie dans ses documentaires concis, où la musique, par exemple le jazz de style "jungle" dans son film Assassins d'eau douce sur la prédation en milieu aquatique, est parfois amenée à jouer un grand rôle créant des décalages amusants. Painlevé ne dédaigne pas non plus d'employer un regard parfois fortement anthropomorphiste, attitude qui après des décennies d'éteignoir sous prétexte de recherche d'objectivité reprend de la faveur ici ou là (par exemple dans la littérature jeunesse documentaire). Elle lui fut reprochée, comme l'a souligné Brigitte Berg (voir lien ci-dessus), mais Painlevé balayait l'argument en disant ceci par exemple: "Tout est matière à l'anthropomorphie la plus saugrenue, tout a été fait pour l'homme et à l'image de l'homme et ne s'explique qu'en fonction de l'homme sinon " ça ne sert à rien " ".

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   Son oeuvre, qui nous revient aujourd'hui à la faveur de sa réédition sous forme de DVD, grâce aux Documents Cinématographiques (société de production fondée par Jean Painlevé en 1930), n'a pas pris une ride, et a gardé toute sa fraîcheur. A la parcourir, on s'aperçoit aisément qu'elle a influencé des générations de documentaristes spécialisés dans l'évocation de la nature (je pense notamment à l'excellente série sur les "Inventions de la vie" de Jean-Pierre Cuny). Jusqu'à présent, trois DVD sont sortis, contenant bien entendu les documentaires animaliers et scientifiques qui ont fait la renommée de Painlevé (beaucoup étant en rapport avec le monde sous-marin, avant les films de Cousteau), mais aussi certains courts-métrages plus expérimentaux comme Mathusalem (1927), ensemble de cinq séquences (où joue Antonin Artaud)

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initialement prévues pour une pièce de théâtre d'Ivan Goll (avec qui Jean Painlevé, entre parenthèses, collabora pour le n°1 de la revue Surréalisme, revendiquant ce vocable inventé par Apollinaire de façon différente de celle revendiquée  par les jeunes André Breton, Philippe Soupault, Aragon, etc. ; à noter que Painlevé resta à l'écart du surréalisme bretonien, même s'il entretenait de bons rapports avec certains de ses membres, apparemment selon Brigitte Berg pour des divergences de vue sur l'importance de la musique). On trouve aussi dans ces trois compilations, un film d'animation extraordinaire avec des personnages en pâte à modeler, Barbe-Bleue (adaptation de 1937 du célèbre conte de Perrault), dont la technique devance de très loin les films des studios Aardman (Wallace et Gromit).

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Titre du film de jean Painlevé tel qu'il apparaît à l'écran, copyright Les Documents Cinématographiques

     Et puis, on y trouve aussi (DVD n°3, édité en 2007, double DVD), un film qui nous regarde davantage, quant à la thématique plus particulière de ce blog, à savoir LE MONDE ETRANGE D'AXEL HENRICHSEN qui date de 1956. Oui, Jean Painlevé s'est aussi intéressé à l'art des autodidactes, et grâce à ce film peut figurer dans ce segment du documentaire artistique qui concerne l'art brut,7871c7a13f80f7e12b26b9cdc99ab7a3.jpg naïf, populaire, où vient en tête Violons d'Ingres de Jacques Brunius (1939), et où figurent aussi le Palais Idéal d'Ado Kyrou (1958), puis Le Facteur Cheval, "Où le songe devient la réalité" de Claude et Clovis Prévost (1980), films que l'on a eu la chance de voir projetés à Nice dans les programmations de l'Association Hors-Champ (qui projette pour bientôt la publication d'un petit ouvrage sur sa programmation et cette filmographie à part).

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Personnages en os rehaussés de couleur, Axel Henrichsen, dans le film de Jean Painlevé, copyright Les Documents Cinématographiques

      J'ai découvert ce film à la fin des années 80 à une rétrospective des films de Painlevé qui avait lieu au cinéma Le République. Painlevé était là et présentait les films. Sur Axel Henrichsen, il se plaignit de ce qu'il n'ait jamais enregistré aucune réaction à son sujet. J'étouffai au fond de mon fauteuil, en moi une voix criait, mais comment donc, votre film est pourtant absolument magnifique, en outre il révèle un créateur que le corpus de l'art brut ou autodidacte n'a jamais retenu. Je m'étais alors juré de trouver un jour un espace où parler de ce film et de ce créateur.

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Axel Henrichsen à l'ouvrage, film de Jean Painlevé, copyright Les Documents Cinématographiques

      "Une famille près de Copenhague créait par des moyens très personnels des formes du vivant avec des matériaux variés. L'un d'eux, forgeron, utilisait aussi bien du bois que des détritus végétaux ou animaux (il possédait un grand jardin où régnait sa femme avec de magnifiques plantes et fleurs diverses...).

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Une autre image du film de Jean Painlevé, copyright Les Documents Cinématographiques

     J'en filmais une "actualité" qui, comme quelques autres d'entre elles, n'intéresse personne... C'était en vue de susciter chez les gosses des imitations du même ordre, de fabrication peu coûteuse... (...) Les distributeurs qui connaissaient le genre de mes films, méprisèrent celui-ci en décrétant qu'il n'offrait aucun intérêt. Je l'avais fait en deux jours, un d'été et un d'hiver." (extrait du catalogue "Jean Painlevé" édité en 1991 par Les Documents Cinématographiques).

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Racines en lutte dans Le monde étrange d'Axel Henrichsen, Jean Painlevé, copyright Les Documents Cinématographiques

      Axel Henrichsen, comme le dit Painlevé faisait partie d'une famille qui aimait se récréer grâce à divers techniques artistiques. Le film montre au début du reste quelques peintures dûes à ses proches, que l'on trouvera à juste titre assez conventionnelles. C'est Axel qui fabrique des oeuvres vraiment plus originales à partir de racines dans un premier temps (à partir de 1942 semble-t-il, "son pied ayant heurté une racine" -phrase qui fait penser fortement à la première pierre trouvée par Ferdinand Cheval) puis avec des os de boucherie ensuite (os que lui ramènent ses chats et les renards qui rôdent autour de sa maison, on les voit dans le film). Et ces oeuvres pourraient tout à fait à mon sens relever de l'art brut tant elles figurent des personnages grotesques et drôlatiques faisant parfois songer à des diables de cathédrales ou à des extra-terrestres, en tout cas assez peu en référence à la vision convenue de la réalité.

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Etranges échassiers d'Axel Henrichsen, film de Jean Painlevé, 1956, copyright Les Documents Cinématographiques

      On aimerait fortement savoir ce qu'est devenue l'oeuvre de ce monsieur au Danemark. L'exposition "Gars du nord" organisée  en 1988 à la Maison du Danemark, consacrée en partie à l'art populaire du Jutland, ne parlait pas de lui. Google me paraît bien muet aussi sur ce sujet. Alors, si quelque internaute a des lumières sur la question, qu'il n'hésite pas...

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Ce monsieur-là s'appelait Hans Orla Villy Petersen, il fut photographié par Jorgen Borg dans les années 80 dans le Jutland (exposition "Les Gars du Nord") au Danemark, sa jupette me fait penser à "Monsieur G." qui vivait à Nesles-la-Gilberde et qui lui aussi prisait fort les jupes par anti-conformisme

 

15/02/2008

Deux petits nouveaux chez les sciapodes

     A verser au bataillon des sciapodes en constante augmentation à ce que je crois, voici deux petits nouveaux, Paul et Simon, petits camarades de jeux à moi dans une école où je m'ingénie depuis quelques lustres à repousser les murs... A noter que les enfants à qui j'ai montré des images de sciapodes ont tendance à le prendre en sympathie, au point de l'imiter, donc, parfois...

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02:06 Publié dans Sciapodes | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Sciapodes |  Imprimer

12/02/2008

Des sablières aux trésors cachés

    Enfin un très joli et très précieux livre sur les sablières des églises bretonnes!

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    Il y avait bien eu en 1997 une thèse de doctorat due à  Sophie Duhem et publiée aux Presses Universitaires de Rennes ("Les sablières sculptées en Bretagne"), thèse qui a redonné un coup de jeune à la recherche sur les décors sculptés de ces sablières.db883ca9bf04d5c971ff32f59bf764fa.jpg Il y avait eu, il y a plus longtemps, les ouvrages de Victor-Henry Debidour sur l'art de Bretagne, qui causaient  des sablières succinctement au détour d'un chapitre, sur un ton parfois assez ambivalent ("Ce n'est pas là du grand art", écrivait-il des sablières, leur préférant les ciselures des jubés, conditionné qu'il était à apprécier d'abord l'art plus académique ou manifestant plus de maîtrise et de virtuosité, et rabaissant par suite l'art plus simple, plus direct). La collection Images du Patrimoine de l'Inventaire général des Monuments artistiques de la France, de son côté, rarement consacre une page ou deux à ce genre de création marginale, comme dans le cas par exemple du fascicule consacré à la Vallée du Blavet et au Canton de Baud dans le Morbihan.

     D'innombrables petites plaquettes sont bien sûr consacrées aux églises bretonnes avec de ci de là quelques photos de sablières, mais cela fait désordre. Et puis il y a les cartes postales... Les photos personnelles qui s'avèrent vite impossibles à réaliser correctement parce que les sablières, qui sont des poutres à la lisière des charpentes comme on sait, sont bien trop hautes, cachées dans la pénombre qui plus est...476742849383d6e686af3d9ceedb76cf.jpg On ne peut en faire que dans les chapelles aux murs bas, comme dans la rare chapelle Saint-Côme à Saint-Nic au bas des Monts d'Arrée, où, chance!, les sablières sont étranges, expressives et rigolardes, (mais il manque encore et toujours quelque chose, une lumière bien disposée par exemple).

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     C'est pourquoi je dis "enfin!", devant le livre de Claire Arlaux (l'auteur) et d'Andrew Paul Sandford (le photographe), "Trésors cachés des sablières de Bretagne" qui est paru en octobre 2007 aux Editions Equinoxe (Collection Impressions du Ponant, formats des livres à l'italienne), sympathiquement basées dans une ville qui est bien loin de la Bretagne, St-Rémy-de-Provence... Enfin un éditeur (ici régionaliste) et des auteurs qui ont le minimum d'audace requis pour se lancer dans un tel défi artistico-éditorial. Il est certain que l'essor de l'intérêt pour l'art brut et les arts primitivistes en général n'est pas étranger à  ce genre de tentative.

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Sablières dans l'église du Croisty (Morbihan), certains sujets étant présentés vus de haut (le cerf traqué) à côté d'autres vus de profil (les chiens traquant le cerf), photo Andrew Paul Sandford

      Sandford se consacre à photographier la Bretagne, ses paysages et son patrimoine, depuis plus de 30 ans, nous dit-on... Il a ici livré une impressionnante série de clichés pris dans les meilleures conditions d'éclairage et de proximité qui puissent être, rendant l'accés aux décors des sablières le plus confortable du monde. Etonnants décors où la fantaisie et la truculence, la satire et la caricature aussi, parfois anti-cléricale (oui, dans l'église même...), le tempérament métaphysique se donnent libre cours dans des dimensions restreintes qui contraignent les charpentiers sculpteurs de ces poutres à des acrobaties formelles et des solutions plastiques qui les rendent cubistes avant la lettre, en tout cas furieusement modernes bien avant l'heure (Debidour situait la durée de l'art des sablières sculptées depuis 1450 à peu prés jusqu'après 1660, même si bien sûr ici ou là on continua d'en faire jusqu'au XIXe siècle). Bien souvent, on pense en les voyant que leurs auteurs devaient s'occuper, en d'autres moments de leurs commandes, des figures de proue des navires, tant les analogies de style et de figuration viennent à l'esprit naturellement.

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Etonnante sablière où le personnage de droite ressemble à des profils que l'on retrouve fréquemment dans l'art populaire des graffiti, voire dans l'art brut ou singulier (je pense à Gaston Mouly en particulier)

    Le livre est donc avant tout un magnifique album d'images hésitant à être caractérisées comme naïves  ou primitives, voire comme brutes. Un album fatalement vital qui bouleversera nos solitudes modernes de son petit monde coloré et cordial, incroyablement plus proche de l'humain que ne le pourront jamais faire toutes les froides élucubrations actuelles de nos média.

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Photo Andrew Paul Sandford

    Un défilé de trognes colorées de toutes formes, souvent proches d'un certain archaïsme, alterne avec des saynètes de tous ordres, proverbes ou dictons illustrés, ex-voto à d'autres moments dirait-on (le paysan que renverse un attelage de boeufs tirant la charrue). Un bestiaire réaliste ou symbolique

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 s'en donne partout à coeur-joie, ainsi que des évocations mythologiques empruntées aux différentes cultures européennes, celtiques ou gréco-latines. On trouve toutes sortes de personnages dans ces petites églises bretonnes qu'il faut avoir la curiosité de visiter tant les surprises s'y cachent à coup sûr, en dépit d'un aspect extérieur parfois si modeste et bénin qu'on ne les perçoit même plus dans le paysage. Ogres (comme dans la chapelle de Locquémeau à Trédrez, dûs au sculpteur Jean Jouhaff au début du XVIe siècle), contorsionnistes scatologiques ou obscènes,

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 dragons, angelots et masques grotesques, pirates, elfes, enfants tels des petits singes roses jouant à la balançoire,c8cf117ba6d4905e28f8fdcd31554b11.jpg paroissiens aux faces de guignols peinturlurés de façon criarde, animaux musiciens, constituent comme un carnaval évoquant l'imagerie populaire et ses thèmes de prédilection comme les scènes du "Monde à l'envers" ou l'univers du Roman de Renart. Cela n'est pas très éloigné non plus des petites histoires racontées sur les frontons de ruches slovènes, dont j'ai parlé dans ma note du 26 août 2007.

    La situation marginale dans l'espace religieux de ces sculptures étonnantes signale aussi une représentation des péchés à ne pas commettre, selon la doctrine chrétienne, avec leurs ivrognes et leurs bacchantes dont les soi-disant vices, d'être montrés avec la volonté de les stigmatiser, deviennent dialectiquement aussi bien des exemples qu'on pourrait suivre...

     Ces sculptures ne sont pas sans rappeler les oeuvres colorées et grotesques des arts singuliers, brut, naïf, hors-les-normes, etc, qui attirent tant d'amateurs aujourd'hui, les précédant cependant de plusieurs siècles et nous indiquant que l'on a donc affaire avec elles à une sorte de tradition expressive populaire très immédiate, joyeuse et truculente.

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     Et comme elles, parfois (je pense à la discutable restauration ripolinesque du site de Fernand Châtelain à Fyé dans l'Orne), on se demande si les sablières n'ont pas été restaurées à certains endroits, semble-t-il peu nombreux, avec un zèle qui s'exprime dans l'emploi de couleurs peut-être un peu trop criardes. Cela a pour effet d'aplatir la délicate naïveté, la simplicité toute en nuances des saynètes (voir dans le livre les sablières de Treflevenez, de Ploerdut, de Landerneau -qui fait dans le rose bonbon très pâtissier, à moins que ce ne soit un effet pervers des retraitements d'images sous Photoshop?- ou celles de la chapelle Notre-Dame de Lospars à Châteaulin, dont les statues ressemblent furieusement au mauvais goût des santons provençaux, très kitsch).

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05/02/2008

Dictionnaire du Poignard Subtil

PERSONNALITE:

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     "Se dit d'une personne notoirement malade. PERSONNALITE."

     (Mots-gigognes, Claude-Rose et Lucien-Guy Touati, cité dans Le tireur de langue, Anthologie de poèmes insolites, étonnants ou carrément drôles, Ed. Rue du Monde, 2000)

03/02/2008

A la niche les glapisseurs de dieu!...

    La Fédération de Paris de la Libre Pensée et le groupe Francisco Ferrer organisent une conférence de Guy Ducornet à la Bourse du Travail, salle Jean Jaurès, (3, rue du Château d'Eau, tout près de la place de la République à Paris), le jeudi 21 février prochain à 19h 30:
"Surréalisme et athéisme
«A la niche les glapisseurs de dieu !»"

*

     Guy Ducornet (membre du mouvement surréaliste américain depuis 1967) y présentera son dernier ouvrage Surréalisme et athéisme «A la niche les glapisseurs de dieu !» (Gingko éditeur).
     «A la niche les glapisseurs de dieu !» est à l'origine un pamphlet signé par André Breton et 50 surréalistes en 1948, qui a été contresigné sur la proposition de Guy Ducornet, en 2006, par 175 surréalistes du monde entier. Se calquant sur le mot d’ordre «A chacun selon ses désirs» clairement antagonique à la morale chrétienne, ce projet est l’occasion de revenir sur les combats anticléricaux et antireligieux du mouvement surréaliste. 
    Dans cette anthologie de textes méconnus – historiques ou contemporains – l’auteur revient en détail sur l’engagement politique (sur son aspect marxiste et libertaire) des surréalistes.

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   (Cette note est basée sur une information émanant de la Libre Pensée et de Guy Ducornet, que j'ai remontée et légèrement remaniée pour l'adapter au blog ; j'ajoute que je n'ai pas encore eu le livre entre les mains, je répercute de confiance l'information en laissant juges mes lecteurs)

02/02/2008

Doudous, racines de l'art?

    Un doudou qu'est-ce que c'est? Une guenille souvent, un truc informe, qui eut une forme, difficile à reprendre à  celui qui s'y agrippe, le petit enfant, cette espèce humaine à part dirait-on quelquefois, cet alien de notre histoire intime. On les duplique parfois, pour les subtiliser aux petits, afin de pouvoir les laver (mais on ne nous dit pas toujours si ce subterfuge fonctionne à coup sûr). Car ils les traînent partout, dans n'importe quel milieu, parmi tous les microbes possibles qui semblent aussi collaborer à la transformation du doudou, chose triturée, infiniment aimé, enlacé, palpé, suçoté, englouti, chargé de matérialiser tout l'amour, tout l'élan d'amour que l'adulte en gestation est capable de porter au fond de lui, cette force cordiale, ce désir d'embrasser la nature autre que l'on a élue...

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Doudou d'Esther (8 ans au moment de la photo), ph.B.Montpied

    Le doudou est un objet fascinant, comme l'épouvantail, son antithèse, qui, lui, est chargé de repousser, de faire peur... Dans le doudou, se projette tant d'amour, tant de désir, qu'il est passionnant de reconnaître les traces de ces élans dans l'aspect matériel de ces loques, de ces peluches abîmées. C'est à la détérioration de l'objet que l'on reconnaît l'amour de l'enfant. C'est pourquoi ma préférence va à la peluche déglinguée, au tissu effiloché plus qu'au doudou trop propre, trop intact (comme le sont souvent les doudous que l'on a réussi à conserver après usage, rangés dans quelque musée des familles).

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Doudou de Bruno (35 ans au moment de la photo), photo B.Montpied, 1989

    Malheureusement, lorsqu'on en cherche, afin de les photographier (j'ai commencé en août 2007, à la suite de conversations avec une autre professionnelle de l'enfance, Arielle Gallet, durant un centre aéré en école maternelle), ceux qui se proposent sont souvent des peluches un peu trop "nickel".

    Difficile à photographier le doudou... Combien de fois ai-je été tenté ces derniers mois de demander dans le métro l'autorisation de prendre en photo le doudou dépenaillé et crado que triturait le bébé placé sur le strapontin en face de moi... Impossible, me disais-je, les parents vont me prendre pour quelque escogriffe dégénéré aux intentions peu claires! C'est le genre de proposition qui vous classe immédiatement du côté des personnages extrémement ambigus... Et puis, l'enfant ne veut pas forcément le lâcher, son doudou, c'est trop intime, témoin celui que l'on voit sur la photo ci-après, perdu deux jours après ma photo peut-être par refus inconscient de ma photo, l'enfant a refoulé le doudou (son nom, le "la"...). Tu as dévoilé mon doudou, alors qu'il fallait le cacher, est-ce ce qu'elle a voulu dire? Comme les populations de certains pays qui ne veulent pas qu'on les photographie de crainte qu'on ne leur vole leur âme, (ou par refus de la médiation, refus d'être extirpées de l'immédiat de leur vie?)...

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Doudou de Judith (1 an 1/2), appelé par elle le "la" (première syllabe de lapin), ph.B.Montpied

 

     Non, le doudou, il me le faut en loques, en guenille déchiquetée et auréolée de taches variées, ou bien peluches aux nez tordus, mordillés, aux trompes démesurément allongées, aux oreilles déchirées, aux poils hérissés, au pelage galeux... Et, autre recherche connexe, comme me l'a fait remarquer Arielle, il est bon d'essayer de noter le nom donné par l'enfant à la chose, car en plus de la création involontaire qui s'opère sur la forme et l'apparence du doudou (création par la force de l'amour qui ressemble à une destruction, ou à une consomption par excés de consommation...), il y a aussi création langagière par l'enfant, venue parfois à l'âge de la lallation et du babil, lorsque le bébé balbutie ses premiers sons, papa, maman, caca, pipi, dodo. Arielle me citait le nom d'un doudou qu'une personne de son entourage avait appelé "REU-REU"... Le mot "doudou" lui-même est né d'un redoublement de syllabe, comme on l'aura noté certainement dès le départ de cette note. Et du coup, s'intéresser à ce genre de création langagière me ramène à une enquête sur les mots privés des familles que je menais il y a plus de vingt ans et dont je n'ai jamais donné les résultats (ce blog servira peut-être aussi à cela).

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Doudou-peluche, l'ours Bruno, de Frédérique (50 ans au moment de la photo), photo Charlotte Maria, 2007

     Bon, il me faut avouer aussi que j'ai découvert pas plus tard qu'hier, qu'un livre était sorti sur le sujet aux Editions du Chêne (c'est "énervant", dès qu'on a une idée, on peut être sûr que quelqu'un l'a en même temps que vous ailleurs!) ... Photographies d'Alexandra Coslin, présentation et idée de Françoise Boyer.

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     Les auteurs ont placé en vis-à-vis des portraits d'enfants tenant leurs doudous (en noir et blanc) avec ces mêmes doudous photographiés en couleur sur l'autre page, avec le nom donné aux doudous en question, heureux détail. Je reproduis ci-dessous deux des doudous choisis en fonction de leur aspect de guenille ou de leur état de dégradation (ils sont rares dans le livre malheureusement).

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Photo Alexandra Coslin
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Photo Alexandra Coslin
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Ici, on a affaire à un doudou confectionné par un père pour sa fille. Avec un petit air de Totoro... Je n'ai pas constaté qu'il avait été encore beaucoup employé par l'enfant à qui il est destiné... Trop savant? (Photo B.Montpied, 2008)
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Lapin sérieusement rapetassé de partout ; est-ce un doudou? Il fut trouvé dans une brocante, sans indication d'origine; cependant, il est possible de lui trouver une assez grande ressemblance avec un doudou ou une poupée ; photo Philippe Lalane, 2008