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10/03/2024

Babahoum plutôt fade, désormais?

     Je vois depuis quelque temps des dessins aquarellés de Mohamed Babahoum, ce créateur marocain autodidacte que la galerie Escale Nomad avait grandement aidé à faire connaître depuis au moins 15 ans qu'elle s'occupe de lui (voir les trois catalogues qu'elle a édités sur lui, certains étant disponibles à la librairie de la Halle Saint-Pierre) , art brut,mohamed babahoum,ventes aux enchères,affadissement,art du grand âge,art d'essaouira,art populaire marocain,joseph barbiero,jean pous,ahmed gnidila,tessier-sarrou qui viennent se montrer ici et là, dans des atours de plus en plus affadis. Je ne parle pas de ceux qui ont été exposés il y a peu (cela vient de se terminer) à la Halle Saint-Pierre, à Paris, dans l'exposition « Aux Frontières de l’art brut ». Non, je parle d'expos qui sont montées visiblement par le biais de quelque autre médiateur sans rigueur qui va pêcher des œuvres auprès de Babahoum, sans grand discernement à mon humble avis.

       C'est ainsi que s'annonce une vente aux enchères "on line", comme on dit, par la maison de ventes Tessier-Sarrou, vente exclusivement consacrée à Babahoum. C'est gentillet, un peu trop simpliste, pas très développé, comme si on avait fait exprès de sélectionner les auto plagiats de l'auteur, ne se cassant plus trop la tête à construire des œuvres aussi poussées que celles qu'on lui connaissait autrefois. Sans compter qu'on peut même se demander si ne se sont pas glissés des faux dans ces pièces mises à l'encan (j'ai entendu dire qu'autour de lui se sont manifestés divers membres de sa famille désireux de l'imiter ; les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous, exception faite d'un neveu, nommé Ahmed Gnidila - qui, lui, n'imite pas, mais possède un style et un imaginaire propres). Babahoum a-t-il par trop vieilli? Travaille-t-il désormais trop vite?

     Il peut être instructif de mettre sous les yeux de mes lecteurs à titre de comparaison des œuvres d'aujourd'hui et des œuvres des années plus anciennes:

 

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Mohamed Babahoum, sans titre (saynètes avec bédouins et paysans), aquarelle et stylo sur carton gris, 80x56 cm, années 2000, coll. privée, Paris : photo Bruno Montpied.

Ss titre  Techn mixt sur papier fort, gris,31x38,7 cm Vente Tessier-Sarrou 24 mars 24 (2).png

Mohamed Babahoum, sans titre, aquarelle et stylo sur papier fort gris,31x38,7 cm, date (récente à mon avis)?, vente Tessier-Sarrou  en ligne du 24 mars 24.

 

        Il me semble que d'une époque à l'autre, il  y a eu déperdition d'intensité, d'application. Un certain flasque s'est installé, peut-être reflet d'une déperdition propre à la vieillesse? Pourtant d'autres vieillards restés créatifs ont su adapter leur expression  à ce ramollissement en en tirant un parti dans leurs œuvres (je pense par exemple à Joseph Barbiero et ses dessins aux lignes tremblantes, ou à Jean Pous aussi avec ses galets de rivière gravés, ou ses peintures à la gouache très stylisées).

26/12/2023

Pour verser au dossier du Père Noël

      Un Père Noël en version loufoque bien dans la manière de Joseph Donadello à Saiguèdes (Haute-Garonne), à verser au dossier iconographique du vieux et éternel barbu ; le visage est traité de façon très originale, il n'est plus, presque, qu'une barbe blanche, en somme une barbe qui s'est faite face... :

Père Noël (2).jpg

Joseph Donadello, Noël, ciment polychrome, (2004?), ph. Bruno Montpied, 2015.

 

      Spéciale dédicace pour mes distingués commentateurs qui font du délire d'interprétation piscicole ci-après, voici les deux personnages qui sont à l'arrière-plan du Père Noël (la mère Molitor devrait se racheter de nouvelles bésicles...), avec leurs noms plus clairs sur une autre photo prise trois ans après la précédente et sur eux plus spécifiquement centrée : "Blennius" et "Maculatom" (d'où Donadello sort ses noms, j'avoue que ça m'a toujours laissé perplexe dans plusieurs cas, d'autant que, quelquefois, il oubliait joyeusement les transcriptions normalisées), et non pas "Blennocoq" et "Inculator", qu'affectent de voir nos commentateurs hantés par leurs turpitudes... (Note du 30 décembre 2023)

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Blennius (et non pas Brennus, qui serait plus usuel en ces terres de rugby) et Maculatom, sorte de poisson-lune? ; photo B.M., 2018.

29/10/2023

D'Anglefort en force

       Yves D'Anglefort (majuscules, à la particule comme au patronyme, il y tient), ne dirait-on pas le nom d'un aristocrate peut-être breton (?), à la personnalité bien trempée, vivant au secret d'un quelconque ténébreux manoir où il s'adonne à des jeux aux règles de lui seul connues ? 

Yves d'Anglefort, portrait.JPG

Yves D'Anglefort, photo Matthieu Chandelier, extrait du livre de Sylvie Gallin, "Yves D'Anglefort, Un aperçu de son œuvre" ("Einblick in sein Werk"), 2017.

 

      Ce grand seigneur, de fait, aime à jeter sur le papier, et parfois sur d'autres supports, ses armées de figurines (pas très loin de quelques Playmobil ultra schématisés), auxquelles il trace des plans d'action, en fin stratège que trop d'amateurs continuent d'ignorer (par manque de liberté d'esprit, je crois). Ce qui, il faut bien l'avouer, ne l'incline pas à leur pardonner. Il veut en effet à toute force qu'on lui prête attention. Il a tant de choses à dire, et avec tant de manières de le dire (et de l'écrire, souvent au verso de ses compositions ébouriffantes).

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Yves D'Anglefort fecit: Semi-remorque de vin avec sa citerne remplie, c. 2023 ; exposition "Cash", Galerie Dettinger-Mayer, 2023 ; ph. Bruno Montpied.

 

         Il aime en effet se renouveler, n'appréciant guère ceux qui se complaisent dans les redites, prisonniers d'un système. C'est l'un des aspects de la dignité qu'il guigne. Ces derniers temps, on voit donc une nouvelle évolution de son œuvre. La galerie lyonnaise (place du Docteur Gailleton, 2e arrondissement) d'Alain Dettinger nous en administre la preuve depuis le 14 octobre (cela se termine le 4 novembre, pressez-vous donc). Dans ses deux salles, ont surgi, en parfait contraste : pour celle sur rue, de petits formats, certains en simple noir et blanc auquel notre artiste brut (un des rares pour qui j'accepte d'accoler les deux termes) ne nous avait jusqu'ici pas habitués, et pour celle en retrait, deux grandes compositions fort ambitieuses.

Mont de piété, voilà, vers 2023.jpg

Yves D'Anglefort, Mont de piété, voilà... (ce n'est pas forcément le titre, car généralement, auparavant, YDA professait ne pas aimer mettre de titre, mais plutôt des numéros d'ordre qu'il apposait au verso ; lorsque j'ai pris la photo, je n'avais pas accès à ces versos), date : aux alentours de 2022-2023 ? ; exposé chez Dettinger ; ph. B.M.

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Yves D'Anglefort, autre composition sans titre, date? : vers 2022-2023?, exposition chez Dettinger ; ph B.M.

Expo Cash, dessin 2022.jpg

Yves D'Anglefort, sans titre, 2022 ; expo chez Dettinger ; ph. B.M.

Sans titre (AAAAAA), 2023.jpg

Yves D'Anglefort, sans titre (AAAAA), date: 2022-2023? ; exposé chez Dettinger; ph. B.M.

 

       A ces dernières, je dois avouer préférer, dans la première salle sur rue, lorsqu'Yves D'Anglefort pratique la couleur, comme dans le fort charmant paysage ci-dessous, à la composition délicate, absolument pas claironnante (comme c'est le cas dans les deux grandes œuvres de la deuxième salle ; ouh... je sens qu'Yves ne va pas me pardonner ce jugement ; mais, comme le titre qu'il a donné à son expo chez Dettinger ("Cash"¹), il m'arrive d'être, plus souvent qu'à mon tour, moi aussi, "cash"...).

Ss titre (paysage), vers 2023.jpg

Yves D'Anglefort, sans titre (paysage avec avion de Vatican Airway...), date : 2022-2023? ; exposé chez Dettinger ; ph.B.M.

 

           Les petits formats de la salle sur rue sont denses, rythmés, bien construits. On a plaisir à les regarder. Parfois un seul personnage se tient frontalement, nous dévisageant dans une "apostrophe muette" (comme l'a écrit Jean-Christophe Bailly dans son livre sur les Portraits du Fayoum que l'on vient de rééditer tout récemment). Et ce personnage bleu, qui sert d'amorce à l'exposition sur le carton d'invitation de la galerie Dettinger, une sorte de ménagère hirsute flanquée de dreadlocks, à la bouche barrée de chiffres, je ne sais pourquoi, me fait quant à elle penser au prince D'Anglefort lui-même, et à son visage carré de John Wayne de l'art brut... Etrange déplacement, n'est-il pas?

Yves D'Anglefort, Lady of now, 2e expo (2023).jpg

Carton d'annonce de l'exposition "Cash" avec une œuvre d'Yves D'Anglefort: Lady of now, technique mixte sur papier, 29,7x21cm, 2023.

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¹ Yves D'Anglefort aurait-il inventé, au-delà de l'art brut, l'art cash?

15/09/2023

Chez Tajan, trois nouveaux "Barbus Müller" dont une merveilleuse Vénus enceinte

        Les Barbus Müller, ça continue de sortir du bois, peut-être encouragé par les différentes expositions récentes (à Genève et à Clermont-Ferrand) où on en a vu plusieurs rassemblés... Et, même, les "femmes à barbe Müller", puisque sur les trois statuettes que Tajan va proposer à la vente, le 10 octobre prochain – avec mon conseil éclairé! –, il y a une très belle effigie de femme, la tête énorme ceinte d'une natte, les deux seins bien ronds où se dessinent les mamelons, le ventre bombé (celui d'une femme enceinte de quelques mois), le pubis frisottant, une fente vulvaire par dessous, non exposée à la vue.

       C'est, à mon goût, la plus belle statue qu'il m'ait été donné de voir parmi toutes celles que l'on a regroupées dans le corpus des "Barbus Müller". Elle est plus belle, notamment, que celles qui figurent dans le fascicule de l'art brut n°1 de 1947 (jamais diffusé par son éditeur, Gallimard), consacré par Dubuffet auxdits "Barbus" (réédité en 1979, puis en 2020 dans le catalogue de l'expo sur les Barbus au Musée Barbier-Muller, à Genève). Quand j'écris "belle", je veux dire par là qu'il y a en elle des proportions évidemment non réalistes, qui lui confèrent une allure d'idole. Il y a du hiératisme en elle, du sacré. Par ailleurs, elle a un air de ressemblance avec certaines autres effigies, féminines, qui furent reproduites dans ce célèbre fascicule.

 

Comme une déesse de la fécondité (2).jpg

Lot n°1 de la vente Tajan, la "Vénus enceinte" (surnom que je lui ai donné), env. 60 cm de haut, granite sculpté ; ph. Bruno Montpied, 2023.

1-3 Comme une déesse de la fécondité (le sexe 2) (2).jpg

La "Vénus" renversée, "impudique"... avec la responsable de la vente, Eva Palazuelos, qui la soutient ; ph. B.M, 2023.

 

     BM Femme au nombril cerclé, fasc 1947, coll Müller (2).jpg                BM Femme aux fruits, fasc 1947 (mus Bar Mueller, anct Ratton).jpg

Deux Barbus Müller du fascicule de 1947 qui présentent un rendu anatomique analogue à celui de la "Vénus enceinte" de la vente Tajan.

 

      Les deux autres sculptures qui passent en vente chez Tajan sont une sorte de petit "marquis" – une tête semblant affublé d'une perruque, le cou pris dans le col d'un vêtement que j'imagine comme un pourpoint –, et une autre tête aux yeux vides, la bouche fendue dans une sorte de large grimace, à l'expression comme catastrophée.

Photo des trois sur Instagram d'Eva Palazuelos.jpg

Photo de chez Tajan, comme un podium... le "Marquis" devant être à la 2e place selon moi, en terme de qualité esthétique...

 

      Les trois sculptures sont taillées dans trois pierres d'origine volcanique différentes (en l'occurrence du granite, roche d'origine magmatique, une sorte de pierre ponce et une roche tirant sur le rouge à la façon des pierres contenant du fer), comme le faisait aussi, très probablement Antoine Rabany (1844-1919), à Chambon-sur-Lac (Puy-de-Dôme) dont j'ai prouvé (voir mes anciennes notes en particulier, sur ce blog) qu'il fut l'auteur, entre 1907 et 1919 d'une douzaine de ces sculptures qui ont plus tard, après la Deuxième Guerre mondiale, été surnommées "Barbus Müller" par Jean Dubuffet, vers 1946, au moment où il commençait de rassembler des exemples d'artefacts de tous types sous la bannière de ce qu'il appela "l'art brut", appelé à rencontrer un prestige de plus en plus considérable au fil des décennies, jusqu'à aujourd'hui. 

      Un catalogue sort à l'occasion de cette vente, qui sera bientôt disponible, fin septembre, et déjà appréhendable en ligne (ICI), auquel j'ai donné un texte qui revient sur le pourquoi de mon sentiment que l'on a affaire ici à trois nouveaux venus dans le corpus des Barbus Müller, et également sur le rapport qu'ils entretiennent, surtout la "Vénus enceinte", avec (peut-être) Antoine Rabany, à qui sont attribuables beaucoup des Barbus apparus depuis les années 1940 (avant cette date, on parlait de sculpture populaire anonyme, de sculpture primitive, "celtique"', voire de sculpture des pays lointains, Océanie, Antilles...).

 

Tajan, vente le 10 octobre 2023 ; dans leurs locaux, 37 rue des Mathurins, 75009, Paris. A signaler le même jour la vente de la collection Jean-Pierre et Martine Nuaud où l'on trouve nombre d'artistes et de créateurs intéressants, plusieurs relevant de l'art singulier, naïf, brut...

 

21/06/2023

Un Barbu Müller assez faible, et qui plus est, donné sans preuve à Antoine Rabany

        Voici comment est annoncée, dans le cadre d'une exposition actuelle à la galerie Jean-Pierre Ritsch-Fisch à Strasbourg, la vente d'un Barbu Müller à double visage. On n'y hésite pas à nommer Antoine Rabany comme son auteur. Alors qu'il n'existe aucun indice pour ce faire...!

    S'il s'agit vraiment d'une sculpture rattachable à l'ensemble des pièces surnommées par Dubuffet "Barbus Müller" – ce qui n'est pas déjà évident étant donné le peu d'éléments stylistiques permettant de l'affirmer à coup sûr ; et si ça en fait partie, en tout cas, on conviendra qu'il s'agit là d'une pièce assez faible du point de vue esthétique –, il faudrait apposer en légende "attribué à Antoine Rabany" (parce que, par association avec certaines caractéristiques stylistiques, on a pris l'habitude de mettre ce genre de légende à côté des "Barbus Müller" non immédiatement prouvées par moi comme étant dues à cet auteur, notamment dans le catalogue de l'expo sur les B.M. au Musée Barbier-Mueller à Genève en 2020). Mais ici, à Strasbourg, on ne s'embarrasse pas de scrupules... On s'imagine peut-être qu'avec ce nom devenu un sésame, on vendra bien mieux.

    Signalons que cette pièce provient de l'ancienne collection d'ABCD Bruno Decharme. Si ce dernier l'a revendue et non pas incluse dans la donation de près de mille œuvres qu'il a faite au Musée National d'Art Moderne l'année dernière, contrairement à un autre Barbu Müller un peu plus réussi (voir ci-dessous), c'est qu'il doit y avoir une raison... Mais ce que j'en dis, moi...

 

 

 

 Antoine RABANY • 1844 - 1919

Barbu Müller

Pierre de lave

29 x 20 x 20 cm

 

 

 

 

30 barbu Müller coll ABCD  (en granit ; anct Félix Stassart, vers 1950).jpg

 

Barbu Müller, attribuable à Antoine Rabany par association avec les pièces identifiées comme venant assurément de lui (cf.  les clichés-verre publiés par moi dans le catalogue du Musée Barbier-Mueller de Genève en 2020) ; ancienne collection Félix Stassart, anc. collection ABCD, aujourd'hui au MNAM du Centre Pompidou à Paris (me semble-t-il) 

 

14/06/2023

Appel du 18 juin: "Alcheringa" n°4 est paru et ses animateurs viennent en causer à la Halle Saint-Pierre

      Alcheringa, j'en ai déjà parlé lors de la parution de son n°3. Il continue de se manifester, puisque son n°4 sort à présent, toujours édité (et maquetté) par Venus d'Ailleurs du côté de Nîmes. Il sera présenté dimanche prochain à l'auditorium de la Halle, à 15h, en présence de Joël Gayraud, Guy Girard, Régis Gayraud et mézigue. Je dois y présenter en effet les articles que j'ai donnés à la revue, l'un sur l'art en commun (il y aura quelques images projetées) et l'autre, plus réduit, consacré à une remarque concernant le catalogue de la récente exposition "Chercher l'or du temps", consacrée au surréalisme, l'art magique et l'art brut, au LaM de Villeneuve-d'Ascq. Ce catalogue contient en effet une prodigieuse découverte due à l'une des conservatrices de ce musée, Jeanne Bathilde-Lacourt, découverte qui regarde les prémisses de la collection d'art brut de Jean Dubuffet. Il me paraissait important de la souligner un peu plus, notamment auprès de lecteurs intéressés par le surréalisme.

 

Couv Alcheringa 4 (2).jpg

         Voici le sommaire de la revue:

Numéro 4 - Été 2023
(128 pages ; 22 €)
 

Dans ce numéro:

Guy Girard, Devant le feu

Joël Gayraud, Métamorphoses de l’alkahest

Sylwia Chrostowska, Tout et son contraire

Jacques Brunius, Le jardin n’a pas de porte

Bruno Montpied, L’art en commun, si peu commun…

Laurens Vancrevel, Will Alexander et l’usage surréaliste du langage

Natan Schäfer, Vers le Phalanstère du Saï

Régis Gayraud, Souvenons-nous de Serge Romoff.

Autour d’une lettre inédite d’André Breton

 

      ainsi que d’autres articles, poèmes, récits de rêves, notes critiques et images par :

René Alleau, Aurélie Aura, Jean-Marc Baholet, Anny Bonnin, Massimo Borghese, Anithe de Carvalho, Eugenio Castro, Claude-Lucien Cauët, Juliette Cerisier, Sylwia Chrostowska, Darnish, W. A. Davison, Gabriel Derkevorkian, Kathy Fox, Antonella Gandini, Joël Gayraud, Régis Gayraud, Yoan Armand Gil, Guy Girard, Beatriz Hausner, Jindřich Heisler, Alexis Jallez, S. L. Higgins, Marianne van Hirtum, Richard Humphry, Andrew Lass, Michael Löwy, Albert Marenčin, Alice Massénat, Bruno Montpied, Peculiar Mormyrid, Leeza Pye, Pavel Rezniček, Alain Roussel, Bertrand Schmitt, Carlos Schwabe, Petra Simkova, Dan Stanciu, Wedgwood Steventon, Ludovic Tac, Virginia Tentindo, Marina Vicehelm, Sasha Vlad, Susana Wald, Gabriela Žiaková, Michel Zimbacca.

 

Tableau,-Des-êtres-se-renco.jpg

Bruno Montpied et Petra Simkova, "Des êtres se rencontrent et une douce musique s'élève dans leurs cœurs", hommage à Jens-August Schade,  3 x 4 m, peinture industrielle sur toile PVC, 1999.

 

     Des exemplaires de la revue seront bien sûr ensuite disponibles à la vente dans la librairie de la Halle Saint-Pierre.

     Signalons aussi par la même occasion la parution d'un autre n°4, de la revue L'Or aux 13 îles (qui devient également un foyer éditorial), qui lui de même qu'Alcheringa est disponible à la vente à la librairie de la HSP (accompagnant, c'est à noter, les trois premiers numéros de la revue, qui contiennent trois articles copieux de moi-même: dans le n°1 (2010), un grand dossier sur les bois sculptés de l'abbé Fouré, où j'avais réédité le Guide du Musée de l'ermite, dans le n°2, une prose poétique sur ma collection illustrée de plusieurs reproductions, Le royaume parallèle, et dans le n°3, un article sur les bouteilles peintes de Louis et Céline Beynet, des autodidactes inconnus et inventifs qui vivaient en Limagne, près d'Issoire).

03/05/2023

Et ça continue à sortir, les Barbus Müller....

     Le 16 mai prochain, aura lieu à Drouot une mise aux enchères dans le cadre de la maison de ventes De Baecque et associés. C'est de l'art populaire, envisagé dans sa dimension de curiosité. Plusieurs pièces ont été par le passé présentées aux Rencontres d'art de Montauban qui étaient organisées par le collectionneur, critique d'art et artiste surréalisant Paul Duchein, par ailleurs grand rédacteur de la revue Le Pharmacien de France où il passait de nombreux billets sur des sujets liés à la singularité spontanée présente dans les arts populaires, naïfs ou bruts. Quelque chose me dit – ce n'est absolument pas spécifié par la maison de ventes, je m'empresse de le souligner – que beaucoup des objets proposés en vente, sinon tous, ce 16 mai prochain, pourraient bien venir de la collection de ce monsieur Paul Duchein qui a toujours été très éclectique dans ses admirations et ses passions, créant en parallèle tout un ensemble de boîtes à coloration onirique, dans un style surréaliste un peu trop marqué. Mais ce n'est que mon opinion, le collectionneur qui est derrière la vente restant secret. Cependant, en comparant les pièces du catalogue de la vente avec les pièces que publia Paul Duchein dans son livre La France des Arts populaires chez Privat en 2005, on s'en assure davantage...

 

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      Dans la panoplie des pièces présentées, on retrouve (une fois de plus) une sculpture qui à l'évidence peut faire partie du corpus des Barbus Müller, cette série de sculptures en granit ou en roche volcanique, qui représentent la plupart du temps des têtes aux caractéristiques stylistiques semblables, grosse bouche, nez en goutte, yeux proéminents, un air un peu éberlué, voire halluciné, hypnotique, souvent hiératique.

 

50. BM vente Debaecque 16 mai 23.jpeg

Ce Barbu Müller, en vente à Drouot le 16 mai 2023, figurait dans le livre de Paul Duchein (voir dans l'illustration précédente sa reproduction, ne serait-ce que sur la couverture du livre) ; ce n'est donc pas totalement un inédit.

 

      J'ai démontré dans divers articles et essais que plusieurs des pièces que l'on range dans ce corpus qui est à l'origine de la collection d'art brut de Jean Dubuffet (c'est lui qui a forgé le terme de Barbus Müller, sans rien savoir en 1946 de leur auteur) proviennent d'un paysan auvergnat, ex-soldat, Antoine Rabany, dit "le Zouave" (1844-1919). Actuellement, je dénombre onze sculptures provenant assurément de son jardin ou de son atelier à Chambon-sur-Lac (Puy-de-Dôme). Ces dernières devraient, sur les cartels des collections ou des musées qui les détiennent, indiquer qu'elles sont d'"Antoine Rabany, dit le Zouave, sculpteur de Barbus Müller". Toutes les autres – non encore certifiées par moi comme provenant du jardin du sieur Rabany – peuvent être marquées "attribuées à Antoine Rabany". C'est l'étiquette qu'a choisie avec raison l'experte de cette vente, Martine Houzé, pour la sculpture de cette vente prochaine chez De Baecque. Donc, ci-dessus on n'a qu'un Barbu Müller, peut-être venant de chez Rabany, mais sans certitude absolue... 

     Cela ne veut pas dire cependant de façon absolue que tous les Barbus Müller, ou prétendus tels, proviennent  bien de chez Rabany... Plusieurs de ceux qui font partie du corpus, ce dernier étant disséminé dans plusieurs collections publiques ou privées, sont parfois fort hétérogènes, comme par exemple celui qui a été exposé l'année dernière chez Ritsch-Fisch à l'OAF. Même s'il provenait de l'ancienne collection de l'Art Brut qui avait été déposée un temps chez Alfonso Ossorio durant une dizaine d'année aux USA (Dubuffet l'aurait laissé à Ossorio quand il a rapatrié vers 1962 sa collection en France en prétendant qu'il s'agissait d'un "Barbu Müller": une sorte de blague, je pense, ou une attribution à la louche plus ou moins mystificatrice de la part de Dubuffet...), il n'a que fort peu de rapports avec les autres Barbus Müller:

BARBUS-MULLER coll ABCD (origine ossorio et Dubuffet).jpg

Deux faces de la même pièce, ex-collection ABCD, en vente à un moment dans la galerie Ritsch-Fisch, un "Barbu" douteux, ressemblant plus à un galet gravé du catalan français Jean Pous, lui aussi classé dans l'art brut.

 

     En tout cas, on constatera que depuis mon élucidation du nom de l'auteur d'une partie des Barbus Müller, diverses pièces sortent régulièrement dans les ventes, les prix qu'elles atteignent (les deux dernières chacune aux environs de 100 000€) n'étant évidemment pas étrangères au désir de les vendre... Petit à petit, les contours du corpus Barbus Müller/Rabany s'acheminent vers la plus complète des résolutions.   

 

26/11/2022

Dédales, une collection singulière en Limousin au musée Cécile Sabourdy

      Nouvelle exposition au Musée-jardins Cécile Sabourdy à Vicq-sur-Breuilh, au sud de Limoges, la collection de Thierry Coudert, dont un choix est présenté au public à partir du 1er décembre, provient plus précisément de la Corrèze. Brocanteur fureteur, dénicheur de pièces d'art singulier ou populaire, voire brut (Ô le beau dessin en provenance, paraît-il, d'un HP de la région de Metz qui est exposé à Vicq...), souvent énigmatiques, puisque le découvreur n'a pu en recueillir les traces d'origine la plupart du temps, Thierry Coudert a décidé d'offrir aux yeux des curieux l'occasion de développer leur perplexité quant à ces dizaines d'objets orphelins (en apparence).

 

Dessin d'aliéné(e), 120x50cm env (2).jpg

Anonyme, dessin au crayon, peut-être créé par le pensionnaire d'un hôpital psychiatrique de la  région de Metz, semble-t-il, vers 1940 (on aperçoit parmi d'autres inscriptions une croix gammée), coll. Thierry Coudert, ph. Bruno Montpied, 2018.

 

      Têtes gauloises, souvent d'origine incertaine – qui sont là, avant tout parce que leur style a frappé l'œil de Coudert par leur esthétique immédiate, en amont de toute attribution certifiée –, diable en laiton, plombs de Seine du XVIe siècle (vantés par les surréalistes en leur temps), mascaron perdu de chapiteau d'église, bois sculptés divers, objets dont la conception paraît voisine avec celle d'un Chaissac ou d'un Noël Fillaudeau, peintures de singuliers provinciaux, œuvres retrouvées d'artistes connus comme Roland Roure, silex rehaussé de pigments, faisant beaucoup penser aux silex interprétés du sieur Juva à la Collection de l'Art Brut à Lausanne, mais aussi parfois, tout de même, quelques œuvres d'autodidactes exhumés connus: Emile Taugourdeau, Jean Rosset, ou moins connus: Raymond Picard, quelques chefs-d'oeuvre d'art populaire comme cette "tête de déesse de la vigne" ciselé dans une pièce de bois (voir ci-dessous) ou ces deux petits bonshommes (deux soldats coiffés avec des pots de yaourt détournés) d'allure fragile aux mines dépitées (je trouve), tout cela déboule dans le Musée Cécile Sabourdy, comme réchappés d'un anéantissement mystérieux de leurs corpus d'origine. On dirait les enfants perdus d'auteurs anonymes, censurés, ou simplement relégués, revenant sans leur pedigree et leurs papiers d'identité, par le reflux des marées brocanteuses sur trottoirs et bitumes accueillant à la misère de leurs origines sous X.

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Anonyme, "Déesse de la vigne", selon les mots de Thierry Coudert, bois sculpté, 39x35x18cm, coll. Thierry Coudert, ph. B.M., 2018.

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Anonyme, deux soldats (?) et un chien, bois et pot de yaourt peint, 36,5,17x5 cm, sd, coll. Thierry Coudert, ph. B.M., 2018.

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Anonyme, silex peint et interprété en visage, coll. Thierry Coudert, ph. B.M., 2018 ; ce silex peint s'apparente aux silex métamorphosés par Juva, conservés dans les collections d'art brut, mais il est orienté nettement de façon à figurer un visage, ce qui est peu fréquent, me semble-t-il, dans les pierres de Juva ; cela n'en fait pas moins un très joli travail d'interprétation d'une forme naturelle

 

"Dédales, une collection singulière en Limousin", Musée-Jardins Cécile Sabourdy, Vic-sur-Breuilh, du 1er décembre 2022 jusqu'au 30 juin 2023. A signaler une vingtaine d'oeuvres prêtées pour cette exposition par le Musée de la Création Franche de Bègles, actuellement en travaux.

18/11/2022

Et Escale Nomad vient refaire son tour de piste...

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      "Small is beautiful"... and is less expensive ?, serais-je tenté d'ajouter. Est-ce la motivation de départ de Philippe Saada, luttant contre la vie chère et les chardons dans les poches? Toujours est-il que le voici qui s'entête, revenant dans la galerie l'Œil bleu, qu'il loue rue Notre-Dame-de-Nazareth, près de la République, à Paris dans le IIIe arrondissement, pour nous présenter du 22 novembre au 4 décembre prochains, un nouveau lot de bruts glanés ici et là, notamment en Autriche, à la Maison des Artistes de Gugging. Comme on le voit en message subliminal sur le flyer de son expo ci-dessus, où l'on reconnaît une peinture de l'extraordinaire August Walla, le féru de Walhalla...

      On trouvera ainsi dans "Small is beautiful" des œuvres de créateurs, par ailleurs patients de ce foyer artistique fondé par le psychiatre Léo Navratil, et poursuivi par Johann Feilacher, etc., comme Johann Fisher, Ernst Herbeck, Franz Kernbeis, Heinrich Reisenbauer, Karoline Rosskopf, Gunther Schutzenhofer, Jurgen Tauscher, Oswald Tschirtner, et donc August Walla.

 

Babahoum (Mohamed), ss titre, 26x39, années 2010 ptetr (2).jpg

Un exemple des producctions de Mohammed Babahoum (Maroc), sans titre (deux musiciens), 26 x 39 cm, vers les années 2010 ; photo et collection Bruno Montpied.

Carter-Todd, ss titre (paysage), 23x29, 3-1-90 (2).jpg

Et un autre exemple : Carter Todd (USA), sans titre, crayon graphite et crayons de couleur sur papier, 23 x 29 cm, 3-1-1990 ; ph. et coll. B.M.

 

          Par ailleurs, seront également présentées des pièces de Mohamed Babahoum, Benjamin Bonjour, Marcello Cammi, Carter Wellborn, Carter Todd, Camilo Raimundo, Madge Gill, Ted Gordon, Dwight Mackintosh, Anna Zemankova etMarilena Pelosi (présentée depuis quelque temps fondue à l'art brut, à mon avis par erreur ; mais cela n'entache en rien la qualité de ses graphismes, je m'empresse de le préciser). 

19/09/2022

Une idée pour un autre Salon...

       Je ne suis qu'un écrivain et un artiste, et j'en ai marre de cette Outsider Art Fair qui nous revient depuis dix ans, avec son prix d'entrée pour élite friquée, et sa conception étriquée, parce que strictement mercantile, de la communication autour des arts spontanés et alternatifs.

    En fait, cette Foire disparaîtrait corps et biens, que je n'en souffrirai pas le moins du monde.

  Un Forum basé sur des principes différents, organisé et monté par des Français qui plus est, à un coût moins élevé, pas seulement axé sur le marché de l'art, mais où on inviterait, dans une conception infiniment plus large, des musées, des associations, des ateliers collectifs pour handicapés, des photographes, des architectes alternatifs, des libraires, etc. serait beaucoup plus intéressant à monter.

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Halle Saint-Pierre, 2e étage, exposition "Sous le Vent de l'Art Brut 2", 2014 ; à gauche des oeuvres à moi... ; photo Bruno Montpied.

 

   Quel local faudrait-il proposer pour un tel Forum? Eh bien, la Halle Saint-Pierre serait toute indiquée. Qu'elle soit installée au pied de Montmartre, aux lisières de quartiers populaires (la Goutte d'Or notamment), et de quartiers plus chics (la Butte Montmartre), me paraît tout à fait adapté aux substrats culturels des différentes formes d'expression que ce Forum réunirait et présenterait. Disposant d'un auditorium et d'un cafétaria permettant les échanges informels, elle autoriserait dans une seule unité de lieu toutes sortes d'animations, conférences, débats, présentations de films. Le forum pourrait durer une grosse semaine (dix jours), plutôt que les quatre malheureux jours de la Foire d'Art Ousider actuelle. Les prix de location pour les galeries et autres musées et associations concernés (qui tourneraient au fil des éditions) ne seraient pas trop élevés, ce qui éviterait que les prix des oeuvres en vente soient trop élevés, les participants craignant de ne pas rentrer dans leurs frais à la fin du Forum (ce qui est le cas actuellement pour les galeristes qui participent à l'OAF). Les musées, librairies, associations de défense des arts indigènes (entre autres), ateliers pour handicapés, collectionneurs, organisation pour l'auto-construction, etc., qui participeraient pour faire connaître  leurs passions et leurs activités, vendant au passage des catalogues d'expositions, procédant à des échanges divers et variés.

    On aurait davantage affaire en l'occurrence à une réunion ayant pour but la communication et l'échange autour de passions communes ou à découvrir qu'à une vulgaire foire de mercantis, qualification dans laquelle l'OAF est en train de se couler (à tous les sens du terme "couler")...

16/09/2022

Outsider Art Fair 2022, la reprise...

       Il y a donc une nouvelle édition de l'Outsider Art Fair à Paris, au même endroit que les autres années, l'Atelier Richelieu (60 rue de Richelieu) tout près de la Bibliothèque Nationale (site Vivienne, dont la grande salle de consultation ovale réouvre elle aussi, avec un musée nouveau, etc.). Pour ce 10e anniversire du Salon, la date est différente des autres années, c'est à partir d'aujourd'hui vendredi jusqu'à dimanche, en septembre donc, et plus en octobre au même moment que la FIAC (dont elle se voulait une sorte de foire en off).

 

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Deuxième salle de l'OAF 2022, le stand d'Escale Nomad avec, à droite, une découverte intéressante de son animateur Philippe Saada : un dessinateur congolais de Kinshasa, répondant au doux nom de Bouddha Mabudi. Ph. Bruno Montpied.

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Bouddha Mabudi, Construction Alphabétique Kinshasa RDC, env. 30 x 40 cm, c. 2021, Galerie Escale Nomad.

 

     Je l'ai visitée hier en avant-première, en quelque sorte, privilégié, car gratuitement (pour le visiteur lambda il faut souligner – et condamner ! – le prix excessivement élevé de l'entrée à cette Foire, 20€, paradoxal, étant donné l'origine populaire de la plupart des œuvres exposées). La Foire se divise en deux parties beaucoup plus distinctes qu'aux éditions précédentes, le rez-de-chaussée avec quelques galeries emblématiques (des fidèles: Ritsch-Fisch, Escale Nomad, Pol Lemétais, la Pop Galerie de Sète (voir ci-contre photo de José Guirao),Pop Galerie préparation .jpg la Galerie du Marché de Lausanne, Andrew Edlin – propriétaire new-yorkais de la Foire –, et des nouveaux comme la Gallery of Everything de Londres, ou Yataal Art de Dakar, proposant des œuvres de Pape Diop, ce créateur qui vit dans la rue dans le quartier miséreux de la Médina) et le premier étage où, à l'exception de quelques galeries (comme la Galerie d'art véritablement brut du Moineau écarlate, perdue une peu en marge d'une salle envahie par la galerie d'art contemporain singulier et imaginiste de Frédéric Moisan – où j'ai tout de même remarqué les captivants dessins de Sandra Martagex), on rencontre surtout de l'art underground, contre-culturel – style Hey! – qui se situe aux antipodes de l'art brut véritable. Autant ce dernier cultive (involontairement bien sûr) l'incognito, la modestie, l'effacement, tout en étant profondément inspiré et original (ce qui lui garantit d'être envié par les undergrounds de tout acabit cherchant à se confondre du coup avec lui), autant l'art de la contre-culture est tapageur, provoc', m'as-tu-vu, cultivant l'outrance. C'en est spectaculairement caricatural, tant c'est évident.

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Une mosaïque de petites effigies diverses de Pape Diop, proposée par Yataal Art de Dakar ; si le fait de rassembler plusieurs petits dessins sur ces supports de fortune contribue indéniablement à renforcer l'impact esthétique de ces productions, cela conduit simultanément à afficher pour cet ensemble un prix conséquent : 20 000€. Et donc, si un collectionneur se présente, on imagine le panneau réalisé d'après ce pauvre Pape Diop finir par décorer quelque appartement soigné de bourgeois occidental, ce qui est tout de même d'un contraste qui fait songer... (l'argent, par contre, lui reviendra peut-être en partie car Yataal Art je crois milite pour aider le créateur). Ph. B.M.

 

       Ce jeudi, j'ai traversé un peu las cette 10e foire, non sans m'arrêter sur quelques œuvres qui me frappaient, et au premier rang desquelles je citerai les "totems" de l'Italien Pietro Moschini, exposés par la Gallery of Everything au rez-de-chaussée, donc. J'avais de vagues lueurs à son propos grâce à un livre écrit sur lui par Roberta Trapani et édité par le collectionneur et découvreur tchèque Pavel Konecny (livre que l'on trouvait présenté au pied des totems). Mais voir certaines de ses sculptures en vrai, ainsi exposées, en cortège de personnages tous plus truculents les uns que les autres, représentés selon des solutions plastiques très variées et sans cesse nouvelles, cela ne pouvait que frapper le visiteur qui se convainquait rapidement d'avoir affaire là au clou de la Foire, et donc, je fus moi aussi frappé...

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Pietro Moschini, exposition de "totems" proposée par la Gallery of Everything, ph. B.M.

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Pietro Moschini, ph. José Guirao.

 

       Cette même Gallery of Everything présentait également, un peu cachée derrière un mur, une "panoplie" d'œuvres inhabituelles de l'Américain Eugène von Bruhencheinhein, des sortes d'étranges natures mortes qui encerclaient une photo en noir et blanc de sa femme – pour une fois érotique!  Comme si toutes les fois où l'on a présenté les photos, assez fades, que faisait cet autodidacte de sa petite femme qu'il paraît de bijoux sans songer à lui trouver une culotte un peu plus affriolante, on n'avait sélectionné que les clichés les plus "sages", ce qui serait bien habituel chez nos cousins américains toujours un peu puritains et désormais adeptes, aussi, de la culture politiquement correcte du "Cancel"...

 

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Exposition d'Eugene von Bruhencheinhein par la Gallery of Everything ; plus loin dans la foire, au rez-de-chaussée, on retrouve, des peintures cette fois, du même von Bruheincheinhein, choisies par le "commissaire" Maurizio Cattelan, connu aussi comme artiste contemporain assez ennuyeux, et c'est ma foi un choix plutôt insignifiant et peu pertinent... ; ph.B.M.

 

      On me demandera peut-être pourqoi j'ai traversé "un peu las" cette Foire? Parce que, personnellement, c'est l'art brut, c'est-à-dire, l'art inspiré inopiné, secret, discret, empreint d'innocence sans le moindre soupçon de vénalité que je recherche, et cette fleur est rare, bien rare, à l'OAF, comme ailleurs, alors que l'on aurait pu espérer en rencontrer ici justement plus qu'ailleurs. Un exemple de cet art brut que je recherche peut cependant se trouver ici et là dans la foire, en ouvrant bien les yeux. Ce sont les dessins au crayon noir de l'Américaine Pearl Blauvelt. Deux galeries en montraient, perdus parmi d'autres œuvres moins touchantes, la Galerie de Pol Lemétais et la Galerie d'Andrew Edlin.

 

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La bien prénommée Pearl Blauvelt, galerie Andrew Edlin, ph. B.M.

 

      Pour ces dessins-là¹, on aimerait faire des folies, hélas, il faut pourtant serrer précautionneusment les cordons de sa bourse (en prévision de l'hiver, entre autres) : chez Edlin, ils chiffraient à 5500€ ces petits crobards...

      Alors, j'ai tout de même fini par trouver mon miel, mais dans une marge de ce salon de la marge, au premier étage, tout au fond, quasiment dans un placard où l'on avait confiné la Galerie Muy, venue du Mexique. Il y avait là des petites peintures d'une certaine Maruch Mendez, Indienne maya et tsotsil, que cette galerie défend parmi d'autres artistes indigènes du Chiapas, à la manière de plusieurs autres centres culturels ou dirigeants de foyers artistiques de par le monde (Haïti, Afrique de l'Ouest, Inde...). C'était populaire, naïf, modeste, extrêmement poétique, et le prix était à l'avenant (dans les 200€)...

 

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Maruch Mendez, Naissance, acrylique sur papier, 35 x 25 cm, 2021 ; Maruch Mendez utilise l'image pour raconter des anecdotes vécues, des souvenirs, c'est donc toujours narratif (comme souvent dans la peinture populaire) ; ici, l'accouchement a failli mal se passer, des sages-femmes quelque peu rebouteuses ont aidé la parturiente qui n'arrivait pas à accoucher en lui confectionnant une mixture à base de queue de tatou et d'herbes secrètes, visibles sur l'image (au contraire des sages-femmes invisibles) ; ph. et coll. B.M. 

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¹ Pearl Blauvelt, c'est aussi émouvant que les délicats dessins de James Edward Deeds dont plusieurs œuvres aux crayons noir et de couleur sont exposées en ce moment passage des Gravilliers, dans le Marais à Paris, à la Galerie Berst, galerie qui ne participe pas à l'OAF comme d'habitude (je crois que son responsable considère la Foire comme créant un ghetto pour l'art brut, ce qui est, bien entendu, une idée parfaitement fausse).

 

      

06/07/2022

Sur les pas de Jean Dubuffet en Auvergne... et les traces des Barbus Müller/Rabany

        Une nouvelle exposition au Musée d'Art Roger Quilliot (MARQ) de Clermont-Ferrand cet été, "Sur les pas de Jean Dubuffet en Auvergne", montée par la directrice adjointe du Musée, Pauline Goutain (une ancienne membre du CRAB), invite les spectateurs à explorer les liens qui ont uni le peintre à cette belle région.

     Ce dernier était ami avec l'écrivain Henri Pourrat, que l'on sait avoir été un collecteur et un adaptateur littéraire des contes auvergnats, de même qu'un passionné du folklore. Autre écrivain avec qui il eut des relations fréquentes, Alexandre Vialatte (leurs relations ont du reste donné lieu à une exposition plus ancienne à Clermont-Ferrand, "Sur la route du Grand Magma (1953-1962)" au FRAC-Auvergne du 1er juin au 30 septembre 1991). Dubuffet vint aussi assister sa femme Lili lorsqu'elle se fit soigner au sanatorium de Durtol, ce qui l'amena durant son séjour de juillet 1954 à janvier 1955 à se passionner pour différents matériaux qu'il incorpora à ses œuvres (dont des scories, laves et pierres volcaniques, ce qui, personnellement, m'intrigue si l'on pense aux Barbus Müller, dont j'ai prouvé que leurs  pierres, taillées dans de la roche volcanique ou du granit, avaient été créées à Chambon-sur-Lac, village situé dans la chaîne des puys ; or, Dubuffet a toujours dit qu'il ne savait pas d'où ces Barbus Müller provenaient... Curieux, non? Sans doute une coïncidence...). Ses périodes picturales des "Herbes" et des "Vaches" proviennent aussi de ce séjour en Auvergne, où il se balada en auto dans la campagne, armé d'un appareil photo.

 

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       L'expo se décompose en quatre sections, selon les renseignements que m'a fait parvenir Pauline Goutain que je reprends en majorité ci-après : 

     "La première partie est consacrée aux liens qui unissent Dubuffet et le milieu littéraire et artistique auvergnat ; liens qui se cristallisent lors de son séjour au château de Saint-Genés-la-Tourette durant l’été 1945, puis lors de sa rencontre avec Alexandre Vialatte en 1947.
    La seconde mettra en avant le rôle, jusque-là passé sous silence, que Emilie Cornu-Dubuffet dite Lili a joué dans la vie et la carrière de Dubuffet. Elle mettra à jour la biographie de cette femme et la relation singulière qu’elle eut avec Dubuffet. Cette section abordera en particulier le séjour de Lili Dubuffet à Durtol et les œuvres que ce séjour inspira à Dubuffet : série des "Vaches", des "Herbes", des paysages, des "Petites statues de la vie précaire" (en particulier celles en pierre de Volvic). 
     La troisième partie se concentrera sur l’appréciation de l’oeuvre de Dubuffet par Alexandre Vialatte, à travers la notion de « grand magma », ses chroniques dans La Montagne et sa correspondance. Cette section exposera les "Hautes Pâtes" de Dubuffet, les oeuvres de sa période vençoise et de "l’Hourloupe"."
      La quatrième section portera sur les « Barbus Müller », œuvres-clés de l’Art Brut. Elle présentera leur histoire : leur collection par Josef Müller (
entre autres), l’intégration par Dubuffet à la collection d’Art Brut, leur attribution au cultivateur Antoine Rabany (1844-1919) par moi, Bruno Montpied (ma recherche, commencée en 2017, n'est pas achevée à ce jour)¹. Elle présentera également "les recherches menées par le village de Chambon-sur-Lac en collaboration avec l’Université de Rennes II depuis 2020". De nombreuses sculptures desdits "Barbus Müller" d'Antoine Rabany seront exposés, en provenance du Musée Barbier-Mueller de Genève (où elles ont déjà été exposés en 2020 avec un catalogue à la clé, où j'ai publié un essai sur mon enquête avec, pour la première fois, la photo du Barbu de Rabany encore incrusté aujourd'hui dans le mur de son ancienne maison dans le village de Chambon). Il semble aussi que cinq Barbus Müller inédits, retrouvés dans les parages de Chambon, seront exposés au musée clermontois, mais je dois dire que cette information reste pour le moment bien secrète, du moins pour quatre d'entre eux, car je suppose que l'un des cinq doit être l'essai inachevé que j'ai photographié l'année dernière dans les locaux de la mairie ( voir ci-dessous).

 

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Sculpture d'Antoine Rabany (très vraisemblablement), retrouvée par les services de la mairie de Chambon-sur-Lac dans un dépôt de matériel où elle était à l'abandon ; il est fort possible que le sculpteur ait cassé la tête et donc abandonné la pièce, pour la refaire avec une autre pierre (voir ci-dessous cette pierre, conservée par le Museum of Everything à Londres, qui, à mon avis, est le second essai que Rabany sculpta après la première version ratée...).

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Barbu Müller/Rabany, tel qu'il apparaissait avant d'aller au museum of everything, reproduit par Dubuffet dans le fascicule n°I de 1947 consacré aux Barbus Müller ; elle possède un petit "chapeau" triangulaire qui a disparu au fil du temps.

 

     Il semble que je doive avoir des successeurs suite à ma découverte de l'identité de l'auteur des Barbus Müller (que j'avais commencé d'exposer sur ce blog même), des successeurs qui, pour le moment, ne se montrent guère diserts à mon égard, en ne me faisant pas part de leurs propres recherches, qu'ils exposent cependant au cours de conférences sur place à Chambon ou de projets universitaires (comme celui de Barbara Delamarre dans le cadre de l'INHA), recherches qui découlent pourtant directement de mes propres découvertes...

     En tout cas, si vous voulez voir plusieurs de ces "Barbus Müller" sculptés par Antoine Rabany (j'ai l'intuition que les plus belles pièces rangées sous ce sobriquet proviennent en effet toutes du paysan Rabany, surnommé le Zouave dans son pays), courez à Clermont-Ferrand les voir. Ce n'est pas souvent qu'on peut en trouver d'aussi nombreux rassemblés en France (la dernière fois, c'était au LaM de Villeneuve-d'Ascq).

 

Exposition 8 juillet – 30 octobre 2022. Musée d’art Roger-Quilliot, Clermont Auvergne Métropole, Place Louis Deteix, 63 100 Clermont-Ferrand. Commissaire scientifique et général : Pauline Goutain, directrice adjointe MARQ et docteur en histoire de l’art. Un catalogue, édité par les éditions In Fine paraît à cette occasion, avec notamment un  mien article, nouveau, sur les Barbus Müller et Rabany, que je mets en rapport avec d'autres sculpteurs autodidactes de la même époque, eux aussi dans le Massif Central.

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¹ Bruno Montpied viendra le samedi 9 juillet à l'Université d'été de la bibliothèque Kandinsky au 4e niveau du Centre Georges Pompidou (salle de l'Ecole Pro ou dans la Bibliothèque Kandinsky même) raconter les moments-clés de son élucidation de l'auteur des Barbus Müller, le paysan Antoine Rabany, avec sa localisation à Chambon sur Lac au début du XXe siècle. C'est sur inscription, mais des auditeurs libres peuvent venir suivre les débats. Voir ICI pour le programme général.

07/06/2022

Cherchez l'intrus(e)...!

    "La Galerie Les Yeux fertiles vous propose un parcours à la découverte de nombreux auteurs d'Eugéne Gabritschevsky à Auguste Walla en passant par Madge Gill, Emile Hodinos, Edmund Monsiel, Ody Saban et tant d'autres classés dans l'Art Brut [c'est l'animateur  du blog qui souligne].
    Certains d'entre eux aux fonctions mentales plus ou moins perturbées, ou répondant à un appel venu d'ailleurs, nous entraînent dans leur imaginaire si particulier. A ce monde qui est souvent celui de l'enfermement va alors se substituer celui de la renaissance par la production d'œuvres d'art originales."

(Présentation de l'exposition "Art Brut" à la Galerie Les Yeux fertiles, du 10 juin au 23 juillet 2022, 27 rue de Seine 75006 Paris, tél: 06 07 44 58 78)

14/01/2022

La cabane d'Antoine Rabany retrouve son charme d'antan...

       Sur ce blog, je donne régulièrement des nouvelles de mes recherches et de leurs résultats à propos du jardin de sculptures d'Antoine Rabany à Chambon-sur-Lac (Puy-de-Dôme) que j'avais initiés en avril 2018 sur ce blog (et aussi, au préalable, dans mon livre Le Gazouillis des éléphants, à l'automne 2017). Pour cela, il faut me suivre aussi du côté des éditions sur papier. J'ai publié en effet divers résumés et éléments nouveaux dans Viridis Candela (la revue du Collège de 'Pataphysique), OOA (revue sicilienne), Raw Vision, et enfin dans le catalogue de l'exposition sur les Barbus Müller en 2020 au Musée Barbier-Mueller qui faisait état de nouveaux éléments concernant ce travail d'élucidation consacré aux origines des sculptures en lave appelées en 1946 par Dubuffet "Barbus Müller".

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Vue du jardin d'Antoine Rabany, tirage papier d'après un cliché-verre, années 1900, provenance archives du photographe Goldner ; coll. Bruno Montpied ; le chaume qui couvrait la cabane carrée fut remplacé par la suite par des ardoises.

 

      Après avoir découvert, en particulier, qu'il restait une sculpture incrustée dans les murs de l'ancienne maison d'Antoine Rabany dans le bourg, j'étais allé rencontrer le propriétaire de la maison pour lui apprendre l'origine de cette sculpture. C'était risqué... Il aurait pu s'affoler du prix atteint par les Barbus Müller sur le marché de l'art brut. Au lieu de cela, il eut la réaction d'un homme qui comprenait qu'il y avait là une trace précieuse d'un patrimoine oublié de Chambon, par sa rareté sur place, les autres sculptures de Rabany étant parties depuis le début du XXe siècle dans toutes les directions grâce, ou à cause, des différents antiquaires et marchands à qui Rabany avait vendu, en bon Auvergnat qu'il était, sa production (ce qui le distingue des créateurs d'environnements spontanés français qui vendent rarement leurs oeuvres en plein air, contrairement aux patenteux québécois qui s'installaient des échoppes en lisière de leurs environnements, dans les années 1970). Justement, une nouvelle équipe municipale, arrivée au pouvoir  l'année suivante, se montrait favorable à une revitalisation de la communication autour de ces questions de patrimoine à Chambon-sur-Lac. Quelques vedettes de l'histoire de l'art avaient fréquenté Chambon-sur-Lac, comme par exemple Marc Chagall dans les années 1920 (il a loupé les statues de Rabany de peu, ce dernier étant mort en 1919, et son jardin étant probablement déjà vidé à cette date (à voir?))... Pourquoi ne pas faire valoir ces visiteurs historiques auprès des amateurs de tourisme culturel, se dirent les nouveaux édiles. Du coup, l'histoire d'Antoine Rabany, sculpteur des "Barbus Müller" à l'origine de l'art brut en 1945, les intéressa immédiatement. Au point de vouloir valoriser l'ancien site de stockage des sculptures (et peut-être aussi de production: le jardin servait peut-être d'atelier d'été à Rabany?).

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Nouvel état de la cabane d'Antoine Rabany, en 2021 ; il y a eu aussi un déblaiement de la terre autour de l'édifice, afin de restituer sa véritable hauteur du temps de Rabany ; il y  a eu aussi fouille dans les amas de pierres situés aux alentour de la cabane pour retrouver des fragments de sculpture abandonnés là par le sculpteur.

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Vestige avec des cannelures ou stries, peut-être un fragment de sculpture, que j'avais photographié en mars 2018, lors de ma première visite du site en compagnie de mon camarade Régis Gayraud ; j'avais eu donc la même idée que  l'équipe municipale (à venir à cette époque), retrouver des vestiges, des traces sur place, dans l'espoir de restituer au maximum ce qui pouvait rester sur place du passage du sculpteur des "Barbus Müller" ; ph B.M.

 

       J'ai rencontré à l'automne dernier, dans le cadre d'un projet en cours, dont je parlerai plus tard dans l'année, cette dynamique équipe municipale réunie autour de son maire, Emmanuel Labasse. Et j'ai découvert les travaux qu'ils avaient choisi d'entreprendre, comme la remise en chaume du toit de la cabane de l'ex-jardin d'Antoine Rabany, que la municipalité a racheté dans l'idée d'en faire un lieu de mémoire lié à ce sculpteur longtemps oublié de ses concitoyens. On voit ci-dessus le résultat dont le maire vient de m'envoyer la photo. C'est évidemment très neuf, et donc un peu trop raide, mais avec le temps, tout cela s'assouplira et prendra une inévitable patine.

13/10/2021

Info-miettes (39)

       Encore des Info-miettes, va-t-on me dire... Mais c'est qu'ils se passe des choses, des expos, des salons, des publications... Alors, j'ai préféré diviser les sous-notes en plusieurs notes. Deuxième brassée ci-dessous:

 

Yves Elléouët, à la Galerie Plein-Jour, Douarnenez

      Le vernissage de cette exposition du poète et peintre Elléouët (1932-1975), que l'on associe au surréalisme, aura lieu le 16 octobre, en présence d'Aube Breton-Elléouët et Oona Elléouët. L'expo est  prévue pour durer du 16 octobre au 28 novembre 2021. On trouvera plus d'information (le dossier de presse en particulier) à cette adresse: www.galeriepleinjour.fr/yves-elleouet

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Yves Elléouët, une peinture de 1958.

 

Galerie Plein-Jour, 4 rue Eugène Kérivel, 29100 Douarnenez. Tél: 07 81 73 41 85.

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Janet Sobel à la Galerie de Toutes Choses (Gallery of Everything)

      Montrée en France à l'occasion du premier salon d'art outsider tenu à l'Hôtel le A (voir ma note de l'époque ici) en 2013, Janet Sobel (1893-1968), précurseuse de l'expressionnisme abstrait et du dripping de Jackson Pollock, revient en Europe, à Londres plus précisément, du 10 octobre au 14 novembre, à la galerie de James Brett et affidés, avec d'autres femmes créatrices (dont Unica Zürn, Hilma af Klint, Emma Kunz,Anna Zemánková, ou bien Judith Scott), ainsi que dans le salon Frieze Masters qui se tient dans Regent's Park (mais dans ce lieu un peu moins longtemps, des peintures de Sobel seront exposées du 13 au 17 octobre). On aura plus de renseignements sur le site de la Gallery of Everything.

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Janet Sobel, sans titre, huile sur cannage sur panneau, 76,5 x 56,3 cm, visuel Gallery of Everything.

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Escale Nomad, nouvelle exposition entre République et Strasbourg-Saint-Denis

     Pas d'Outsider Art fair cet automne, suite sans doute aux incertitudes qui pesaient en début d'année sur les mois d'automne quant à la possibilité de monter cette foire avec de nombreuses galeries à contacter (de plus, n'y aurait-il pas quelque vent de fronde chez certains galeristes trouvant la place bien chère...?). Certaines galeries d'art brut (Berst, Ritsch-Fisch) se tournent vers la FIAC qui elle se tient aux dates prévues. Cependant, il se murmure que l'Outsider Art Fair ne serait pas remise non plus aux calendes grecques, ce serait pour le printemps prochain, après tout, une saison plus en rapport avec l'éternelle jeunesse des pulsions brutes...

Yves elléouët, galerie plein-jour, gallery of everything, janet sobel,

Vue de certaines oeuvres proposées par Escale Nomad.

     D'autres, en attendant cette foire printanière, font cavalier seul durant l'automne, comme Escale Nomad de Philippe Saada qui revient présenter ses découvertes d'art brut d'un peu partout à côté des poulains auxquels il reste fidèle (Babahoum). Ce sera du 14 (demain) au 24 octobre, à la Galerie L'Œil Bleu.

Yves elléouët, galerie plein-jour, gallery of everything, janet sobel,

Galerie l’OEIL BLEU, 32 rue Notre-Dame de Nazareth, 75003 (Métro République ou Arts et Métiers). Apparemment, c'est tous les jours...

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Et la Galerie Pol Lemétais revient chez Soulié d'un bon pas

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      Pour sa part Pol Lemétais proposera aussi un large éventail de créateurs et artistes (Noviadi Angkasapura, Anselm Boix-Vives, Kenneth Brown, Jean Crié, Darédo, Olivier Daunat, Paul Duhem, Anaïs Eychenne, Madge Gill, Daniel Gonçalves, Johann Hauser, Alain Kieffer, Dwight Mackintosh, Mina Mond, Friedrich Schröder-Sonnenstern, Lewis Smith, Henry Speller, Carter Todd, August Walla, Scottie Wilson, Zefrino, Carlo Zinelli...), du lundi 18 au dimanche 24 octobre 2021 dans le local de la Galerie Béatrice Soulié (21 rue Guénégaud 75006 Paris), de 13h à 20h, et sur rendez-vous.

Pol Lemétais, tél : 06 72 95 60 18. http://www.lemetais.com

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Alcheringa n°2
 
       Quésaco "Alcheringa"? C'est le "temps du rêve" en langue des Aborigènes en Australie. Alors, bien sûr, ça sonnait mieux, pour ces passionnés d'alchimie, de jeux en secret, que sont les Surréalistes du Groupe de Paris, d'utiliser ce terme inconnu du grand public que, tout simplement, "Le temps du rêve". Moi j'aurais trouvé ces derniers termes plus directs pourtant, parlant à tout un chacun  par ici, davantage que le mot emprunté aux Aborigènes. Mais le groupe est particulièrement lié avec d'autres groupes à l'étranger (tchèque, anglais, canadien...) et garde une perspective internationaliste. Ceci explique cela entre autres  dans le choix du titre, probablement.
 

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Alcheringa n°2, sous titré 'Le surréalisme aujourd'hui", été 2021.

 
        Le numéro 2 est sorti, après un n°1 sorti aussi confidentiellement en janvier 2019. C'est peut-être une revue qui revient comme une biennale, alors? Ce numéro est plus copieux que le précédent, puis qu'il fait 119 pages quand l'autre en faisait 48. Au sommaire, plusieurs témoignages d'une très grande sensibilité en hommage à Michel Zimbacca (1924-2021), poète, cinéaste, artiste, qui vient de nous quitter après sept décennies de surréalisme, aux œuvres révélées tardivement, qui aimait inventer des mots nouveaux pour des sens existant mais oubliés dans le vocabulaire, et qui aimait jouer, créer en expérimentant de nouvelles voies. Il était, comme me l'avait décrit d'un seul mot un jour Marie-Dominique Massoni, d'un grand raffinement. Aussi au sommaire des poèmes, des textes de soutien aux Gilets jaunes (Guy Girard), une enquête sur le rêve dont les réponses non publiées sont résumées par Joël Gayraud. Personnellement, j'ai donné un entretien avec un artiste en marge, Gilles Manero, entretien qui vient en contrepoint avec l'article que je lui avais également consacré dans le magazine Artension (« Gilles Manero, un monde hanté d’oiseaux », Artension n°158, novembre-décembre 2019). Et puis un court article où je qualifie la nébuleuse d'expositions et de publications du groupe Hey! (aujourd'hui mené apparemment par une seule personne) d'imposture quant à la défense du merveilleux en poésie et art. Pour donner une idée de ce sommaire, autant donner ci-dessous son scan.
 

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     Pour se procurer la revue (tirée à 300 exemplaires, mieux vaut s'adresser directement à l'éditeur, les éditions du Retrait, basées à Orange (on trouve le bulletin de commande ici, sur leur site web).

Signalons aussi une exposition actuelle, "Le Tarot de cocagne", du peintre-théoricien-poète du groupe surréaliste Guy Girard à la Maison Rignault (librairie de la Maison André Breton), à Saint-Cirq-Lapopie, consistant en une réinterprétation sous forme de toiles des différentes lames du tarot. L'expo est prévue pour aller jusqu'au 29 octobre.

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Guy Girard, une des peintures de l'expo actuelle.

 

*

Et chez Dettinger, qu'est-ce qu'on y voit? Jean Veyret, puis Fatima-Azzahra Khoubba, bientôt...

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Celle qui scrute les étoiles, une boîte de Jean Veyret, Galerie Dettinger-Mayer.

 

     Après une expo consacrée au grand peintre surréaliste lyonnais Max Schoendorff, qui s'est terminée le 9 octobre, Alain Dettinger continue dans sa galerie de la place Gailleton (Lyon 2e ardt) de proposer de réjouissants menus, puisqu'à partir du 30 octobre, on retrouvera de nouvelles boîtes pleines d'onirisme de Jean Veyret, visibles jusqu'au 20 novembre, date après laquelle l'intrigante Fatima-Azzahra Khoubba (on fait un prénom mot-valise à partir de son prénom composé quand on lui écrit ou lui parle: Fatimazara, sinon on s'épuise...), qui exposait naguère  des tableaux semblant illustrer la théorie des fractales (voici déjà huit ans que je n'en avais pas revus, mais elle a peut-être été réexposée depuis), prendra la suite du samedi 27 novembre 2021 au 1er janvier 2022 (elle a mis des yeux à ses bras de terre et cela change tout dans ces fjörds bleus). C'est elle qui sera donc le cadeau de fin d'année à la galerie. Il se murmure qu'elle devrait également au vernissage de son expo signer un livre de ses poèmes, Nuit intranquille, que l'on attend avec curiosité. Y retrouvera-t-on sa gentillesse et son humour légers?

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22/07/2021

Des fleurs dans le buisson, expo collective de bruts et singuliers au Musée des Arts Buissonniers

     Du 16 juillet au 18 septembre 2021, se tient la nouvelle proposition d'exposition estivale mise en forme par Pol Lemétais et l'association Les Nouveaux Troubadours, association qui anime le Musée des Arts Buissonniers, s'occupe également des stages du chantier de la Construction Insolite, en perpétuelle évolution sur la colline dominant le village de Saint-Sever-du-Moutier, et créant toutes sortes d'événements festifs (musicaux par exemple) dans cette charmante bourgade de l'Aveyron, tranquillement à l'écart.

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Anselme Boix-Vives, œuvre servant sur le carton d'invitation à l'exposition du Musée des Arts Buissonniers

 

    "Des fleurs dans le buisson", cela s'appelle. Cela devient une tradition, du reste ce complément "dans le buisson", puisque précédemment il y avait déjà eu "Du Bic dans le buisson", sur des travaux divers au Bic. Cette fois, l'orientation de l'expo est donc davantage thématique. C'est bien sûr aussi l'occasion de voir des créateurs et des artistes multiples, que l'on range selon les cas du côté de l'art dit brut ou de l'art singulier (artistes semi-professionnels, en marge, influencés par l'exemple esthétique ou moral de l'art brut). Voici ci-dessous la liste des personnes exposées (dont votre serviteur, qui a prêté quelques œuvres où l'on rencontre des fleurs).

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Donc, comme on le voit, il y a de quoi trouver son bonheur (c'est une expo avec ventes), avec des œuvres variées, Chapelière, Babahoum, Cecilia Markova, Frantisek Pecka, Charles Boussion, Zemankova (bien évidemment, la fée de la botanique "parallèle"...), Pépé Vignes, entre autres...

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Patrick Chapelière (exposé), un artiste qui se noie dans les fleurs...

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Bruno Montpied, Hypnotique Alice, 30 X 40 cm, 2007 (exposé).

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Cecilie Markova (1911-1998), sans titre, crayons de couleur sur papier noir, 63 x 45 cm, 1976, ph. et coll. Bruno Montpied (donc pas exposé au Musée des Arts Buissonniers) ; les médiumniques tchèques, auxquels on rattache Markova,, sont souvent hantés par la botanique...

 

Musée des Arts Buissonniers: L’exposition est présentée jusqu'au 18 septembre 2021 aux horaires d’ouverture du musée, ou sur rendez-vous. Association Les Nouveaux Troubadours - 12370 Saint Sever du Moustier. Tél : 05 65 99 97 97 - http://www.arts-buissonniers.com

 

03/04/2021

Disparition de Charles "Cako" Boussion (1925-2021)

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Charles Boussion, Décorations et enluminures, le lys symbole de pureté et fleur royale, 2003-2012.

 

      En feuilletant le site web du Musée de la Création franche, j'ai appris l'événement que je redoutais depuis quelque temps, le décès de l'auteur d'art brut montpelliérain Charles Boussion que j'étais allé visiter chez lui en 2013, ce qui me permit de rédiger un article à son sujet dans la revue Création Franche (n°40, juin 2014), que j'avais intitulé "L'art intarissable de Charles "Cako" Boussion". Car, intarissable était bien l'adjectif qui s'imposait concernant ce raconteur impénitent, aussi profus en paroles qu'en peintures.

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Portrait de Charles Boussion, avec la publicité pour le parfum "Cuir de Russie" qu'il vendait comme représentant de commerce, ph. Bruno Montpied, Montpellier, 2013.

 

   Restera une oeuvre variée, riche de couleurs et d'enluminures aux ornementations diverses qu'il fera bon inventorier un jour, pour une rétrospective, qui sait? Il ne faudra rien oublier, car on n'a que trop tendance, concernant Boussion, à ne retenir que ses icônes décalées à l'ornementation touffue. Or, il avait plus d'une corde à son arc. En particulier, il aimait croquer des personnages de fantaisie.

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Charles Boussion, Mister Smok, 42x29,7cm, 2009, ph. et coll. B.M.

 

        Plusieurs collections d'art brut publiques et privées possèdent des œuvres de lui (le musée de la Création Franche par exemple en possède 103). Sur ce blog j'ai plusieurs fois parlé de ce créateur atypique qui se plaignait beaucoup de sa solitude, lui qui quand il était plus jeune, avait connu beaucoup de monde (c'était un homme de relations publiques, ayant exercé de nombreuses années le métier de représentant en parfumerie, cf. le portrait que je fis de lui), mais qui dans son grand âge se retrouvait seul à veiller sur l'amour de sa vie, sa femme bien diminuée.

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Charles Boussion, 2009 (oeuvre exposée au 57 bis bd de Rochechouart, sur le Mur d'Antoine Gentil en 2018).

 

     Je renvoie le lecteur à cette série de notes. Et ne m'étends pas davantage, les notices nécrologiques me pesant de plus en plus... (Annonçons également la disparition d'une autre figure nonagénaire, le poète, cinéaste et artiste surréaliste Michel Zimbacca qui nous a fait la mauvaise farce de mourir ce 1er avril...).

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Charles Boussion, "L'Ingénieur" et ses créations démentielles, 2012, image envoyée à B.M. pour sa documentation.

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Charles Boussion, "Asiatisme", Un comédien impérial de tragédie asiatique et décor enluminé..., 2011. Archives B.M.

06/03/2021

Chouchan à la Fabuloserie-Paris

     "Le Printemps de Chouchan", tel est le titre choisi par Sophie Bourbonnais et Marek Mlodecki pour leur nouvelle exposition dans la galerie parisienne de la Fabuloserie, à partir du 3 mars, prévue pour durer jusqu'au 3 avril 2021 (au départ, elle aurait dû se tenir de début novembre à fin décembre 2020, la pandémie a repoussé les dates).

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Une peinture de Chouchan, extraite du catalogue de l'expo.

 

     Chouchan Kebadian (1911, née à Yozgat, en Arménie - décédée en 1995 à Montreuil-sous-Bois, en France) est une peintre autodidacte qui s'essaya à la peinture et au dessin (le dessin en fait avant la peinture) à partir de ses 73 ans. C'est une de ses jumelles (elle eut quatre enfants, dont le réalisateur de documentaire, Jacques Kébadian qui est quelque peu à l'origine de cette expo), Aïda Kébadian¹, qui, elle-même artiste spontanée (elle exposa à l'Atelier Jacob en 1975, ce qui ne fut sans doute pas pour rien dans l'idée de stimuler sa mère), lui suggéra de s'essayer à l'art en lui mettant entre les mains, vers 1984, des tubes de gouache, des crayons de couleur, un cahier à spirale, une pochette de feuilles Canson, afin de dépasser l'ennui que sa mère ressentait dans les années qui suivirent la perte, en 1972, de son mari Khoren. Sa famille fut surprise de découvrir à quel point elle se jeta dès lors à corps perdu dans la peinture .

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Chouchan.

 

     On pense à d'autres exemples de personnes âgées venues comme elle à l'art sur le tard, tels M'an Jeanne dans l'Yonne, ou le Catalan Anselme Bois-Vives, lui aussi poussé à peindre par son fils artiste en Savoie, Joseph Barbiero, sculpteur et dessinateur à Clermont-Ferrand, Gaston Mouly dans le Lot, et plus généralement tous ces créateurs d'environnements qui, une fois arrivés à l'âge de la retraite, se prirent de passion pour la recréation de leur environnement immédiat (voir l'inventaire que j'en ai dressé dans mon livre Le Gazouillis des éléphants). Elle produisit d'abord des dessins, où le trait domine (ce que je préfère personnellement dans sa production), puis des peintures, et ce, pendant une grosse dizaine d'années.

      Jacques Kébadian, dans le catalogue qu'a édité la Fabuloserie, écrit ceci: "Ma mère pensait qu'on allait se moquer d'elle, elle s'excusait  presque de ne pas savoir "faire ressemblant"... Je l'ai emmenée alors dans les musées. Au musée Picasso... (...) A Beaubourg, elle a été émerveillée de découvrir que tout était possible... (...) Il y a eu aussi cette exposition Watteau au Grand Palais : elle n'arrivait pas à croire que l'on pouvait peindre des yeux et des mains avec autant de réalisme... Plus de trente ans après, je me replonge dans les valises et les cartons où sont conservés peintures, dessins et gouaches qui n'avaient plus été exposés après sa mort... J'en ai répertorié plus d'un millier de tous formats." Il est à noter que ces oeuvres, en elles-mêmes, ne manifestent aucune timidité, mais au contraire paraissent bien assurées, sans repentir ou complexe  d'aucune sorte, comme le note pour sa part l'artiste arménien Sarkis.

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Cette peinture, représentant un couple (il n'y a jamais de titre proposé, ni de date, ni de signature semble-t-il), se trouve encadrée comme de prédelles brouillonnes, à la mode d'un Alechinsky brut...

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Peinture paraissant peut-être évoquer un souvenir de costumes traditionnels arméniens?

 

    Cette peinture évoque des souvenirs de famille, explore les rapports entre les tons, la composition, par le jeu de certaines formes (fleurs, plantes), et se concentre avec délectation dans l'emploi des couleurs par touches automatiques laissées "flottantes", appliquées sans désir de netteté, très gestuelles. Peut-être cette activité improvisée servit-elle de moyen pour redonner vie aux souvenirs d'amour, au bonheur de vivre dans une communauté familiale soudée, à la fin de sa vie, marquée au départ (elle avait 4 ans) par le massacre de son père (en compagnie de tous les autres hommes de son village)  par les Turcs durant la période traumatisante du génocide arménien de 1915.

 

Dessin extrait du cahier en reprint.jpg

Dessin extrait d'un cahier édité en reprint par la Fabuloserie.

 

LA FABULOSERIE PARIS, 52 rue Jacob 75006 . Du mercredi au samedi, 11h - 18h et sur rendez-vous. Tél: 01 42 60 84 23 - fabuloserie.paris@gmail.com
Un film de Jacques Kébadian, réalisateur de documentaires, comportant quatre courts-métrages, dont un plus spécifiquement consacré à Chouchan, est diffusé au premier étage de la galerie.
Outre le catalogue, la Fabuloserie a également réédité en reprint un cahier rempli de dessins par Chouchan (voir le dessin ci-dessus, extrait d'une page de ce cahier).
 
____
¹ Je trouve une certaine parenté entre les peintures d'Aïda Kébadian et celles, récemment apparues, de l'artiste lui aussi autodidacte, appelé Marjan.

01/12/2020

L'Atlas des Régions Naturelles, une entreprise cousine de ce blog

      Signalé par ma jeune camarade Tamaya Sapey-Triomphe, que je remercie hautement au passage, l'Atlas en question a entrepris de recenser par le truchement de classifications et surtout de photographies toutes sortes de réalisations volontaires ou involontaires dans l'espace en France,  relevant peu ou prou de ce que l'on appelle l'architecture vernaculaire. Le territoire  est envisagé dans le cadre de ses régions dites naturelles, et non pas dans son découpage administratif de départements et régions artificielles. Un index de ces régions est donné sur la page d'accueil du site web. La mise en ligne de ce dernier est très récente (le 5 novembre 2020), tandis que le recensement lui-même, ayant produit jusqu'à présent plus de 12 000 clichés, a été commencé en 2017.

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Le découpage de la France en régions naturelles selon l'ARN.

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A Nassigny, ph. ARN.

 

      Les auteurs, Eric Tabuchi et Nelly Monnier, paraissent bien sympathiques, si l'on s'en rapporte à leur portrait, lorsqu'ils sont assis à l'arrière de leur voiture d'explorateurs...

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Nelly Monnier et Eric Tabuchi, les auteurs de l'Atlas des Régions Naturelles, ph ARN.

 

      "Au moment d’entreprendre ce travail, cela faisait déjà un moment que nous nous demandions comment documenter l’architecture vernaculaire française et, plus largement, comment représenter un territoire dans toutes ses nuances." (E. Tabuchi et N. Monnier) 

        Cet ARN, cliquez pour la page d'accueil ICI, on s'y balade par plusieurs entrées. Personnellement, j'ai d'abord essayé la section "art brut" (on ne se change pas...), peu fournie (pour le moment... ;  à signaler que l'art brut de cet ARN se limite aux environnements spontanés). Puis je me suis dirigé vers "petit patrimoine", "initiative personnelle". "maisons modestes", "fresque figurative", "tas et reliquats", et encore "enseigne-objet", "cinémas" (désaffectés ou non), ou "graffiti" (hélas, seulement perçus sous la forme des graffiti pulvérisés et non pas incisés, plus anciens, et historiques).

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Portail original à Ruan sur Egvonne (Perche vendômois), photo ARN (à noter que les photos que j'extrais ici par capture d'écran, justifiée par les besoins de la communication autour de ce site web, ne peuvent être que d'une médiocre résolution, le site ne permettant pas l'enregistrement). Ce décor m'est inconnu et n'a donc pas été recensé par moi dans le Gazouillis des éléphants.

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Construction insolite à Vic-le-Comte, Limagne, ph. ARN ; idem, site inconnu de moi jusqu'à présent...

 

     Bien entendu l'écrasante majorité des entrées est dominée par des polarisations architecturales (toujours à la surface des sols, on ne va pas dans les souterrains), mais enfin, l'éventail de la curiosité de ces deux chercheurs qui ne dédaignent pas de présenter leur entreprise comme une "aventure artistique" (j'ai pensé au couple d'Allemands, Bernd et Hilla Becher, qui ont fait une oeuvre de photographe en dressant une typologie d'architectures industrielles, et des châteaux d'eau notamment ; il est probable que ce soit une référence pour nos deux explorateurs de l'Atlas) est très vaste et très hétéroclite.  Si pour le moment ils ne sont pas allés apparemment vers les cimetières, rare manque pour le moment,  – on pourrait pourtant y rencontrer beaucoup d'édicules, tombeaux et autres ornementations diverses parfois fort insolites – à se promener dans leur site, on se convainc rapidement de l'étonnante variété des monuments de tous ordres que l'on peut rencontrer en France.

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Monument aux morts insolite, La Ville en Tardenois, ph. ARN.

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Sculptures en fers à cheval, à Gondrecourt le Château, ph ARN.

 

      Sur ce blog, cela fait un certain temps que je m'efforce de le faire percevoir à ma manière, dans une perspective moins architecturale, et plus dans l'esprit de ce que j'appelle "la poétique de l'immédiat". Sans parler des environnements populaires spontanés, à la Cheval ou à la Picassiette, cela fait longtemps que je reste étonné devant les créations d'artisans rocailleurs, les tours Eiffel en toutes matières (c'est une des catégories que l'on rencontre sur l'ARN, avec plusieurs exemples que je ne connaissais pas, voir la note que je leur ai consacrée récemment), les architectures ou les monuments incongrus dont on a perdu la fonction, les monuments aux morts atypiques, les boîtes aux lettres insolites, les enseignes hors normes, les arbres morts sculptés, les vieux cinémas de province ancienne mode (avant l'époque des multiplex), etc.

      Allez, on se précipite tous sur l'ARN... Bon voyage !

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Eolienne (de Girard ou de Bolée), à Bouge, près de Laval, ph. Bruno Montpied, 2020.

 

29/08/2020

"Le Génie des Modestes" au Centre Emmaüs d'Esteville, avec votre serviteur

      On peut s'amuser à comprendre ce terme, "le génie des modestes", comme un jeu qui consisterait à repérer parmi les cinq artistes sélectionnés par Martine Lusardy pour le Centre Emmaüs d'Esteville, au nord de Rouen, le génie en question...! Car la formule est - involontairement - ambivalente... Alors qu'en réalité, il s'agit de présenter une sélection de créatifs modestes... ne disons pas "humbles", parce qu'au moins deux d'entre eux ne le sont guère (je vous laisse deviner lesquels). "Modestes", terme que l'on pourrait aussi interpréter comme légèrement réducteur, si on ne le prenait pas plutôt comme l'indice d'une sincérité dans l'acte de création.

 

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Les flyers, les communiqués de presse, du fait du report des dates de l'expo, sont devenus caducs, car pas réimprimables à volonté...

 

      Cette manifestation, prévue initialement du 1er avril au 30 juin 2020, a été reportée à des temps moins difficiles en terme de visite d'exposition, soit du 1er septembre au 15 novembre 2020 prochains (ouverte tous les jours de 10h à 18h). Elle présente les œuvres de Pierre Caran, Guy Colman Hercovitch, Demin, Namithalie Mendés et Bruno Montpied (votre serviteur).

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Pierre Caran, L'homme visionnaire, 30 x 24 cm, 2006, ph. et coll. Bruno Montpied.

 

        Pierre Caran, j'ai déjà eu l'occasion d'en parler à quelques reprises sur ce blog, Je renvoie donc les lecteurs à ces notes précédentes. Je ne connais pas le travail de Guy Colman dont je crois deviner cependant que comme certains nouveaux réalistes d'autrefois il aime les objets usés par le temps. Demin, j'ai aussi parlé de lui dans mes anciennes notes, lorsqu'il avait été exposé à la galerie d'Alain Dettinger à Lyon.

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Demin, sans titre (une sirène), vers 2017, ph. Demin.

 

       Namithalie Mendés, c'est une découverte de la librairie de la Halle Saint-Pierre où j'avais été frappé par ses dessins d'une grande ingénuité, ceux d'une enfant perpétuée à l'âge adulte en raison sans doute dans son cas d'une complexion psychologique particulière. Sa saga graphique (commencée à l'âge de dix ans et jamais interrompue depuis ; elle est née en 1994) raconte par séquences diverses sa vie réelle, et rêvée apparemment, manifestant un amour très profond de l'observation des autres êtres humains dont elle rapporte les dialogues dans d'innombrables bulles très vivantes. J'ajoute qu'elle ne veut pas laisser partir définitivement ses productions loin d'elle, car elle y est viscéralement attachée. De tous les créateurs ici exposés, elle est la seule à pouvoir entrer véritablement dans la catégorie de l'art brut.

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Namithalie Mendés, deux dessins aux feutres et crayons sur papier, exposés à la librairie de la Halle Saint-Pierre du 1er au 30 juin 2019.

 

       Quant à moi, je ne vais pas me présenter (à d'autres de le faire...), on peut toujours se reporter au photoblog que je tiens depuis 2013 en colonne de droite sur ce blog où j'égrène diverses productions de manière chronologique. Je dirai seulement que j'expose au Centre Emmaüs douze dessins, tous de mêmes dimensions (aux alentours de 32 x 24 cm, encadrés en 40 x 30 cm) dont celui ci-dessous. Ils sont tous disponibles à la vente.

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Bruno Montpied, Le Samouraï échoué, technique mixte sur papier, 31 x 23 cm, 2019.

 

*

POINT PRESSE :
Mardi 15 septembre, le Centre Emmaüs donnera rendez-vous aux pigistes et journalistes locaux qui le souhaitent afin qu'ils découvrent "Le génie des modestes", en visite accompagnée, à 17h.
UNE MANIFESTATION "La grande bouquinerie : foire aux livres solidaire", aura lieu le dimanche 27 septembre 2020 à 16h au Centre Emmaüs. Ceci démarre à 9h et finit à 18h. 

ADRESSE: Centre abbé Pierre - Emmaüs. Lieu de mémoire, lieu de vie, Route d'Emmaüs - 76690 Esteville
tél : 02 35 23 87 76 - port : 06 28 27 65 04. www.centre-abbe-pierre-emmaus.org

L'exposition, organisée sous le commissariat de la Halle Saint-Pierre, est ouverte tous les jours de 10h à 18h. 

24/08/2020

Sortie dans les librairies en France (enfin) du catalogue de l'exposition sur les Barbus Müller de Genève...

      C'est prévu pour le 10 septembre si on accorde tout crédit au site web du diffuseur-éditeur In Fine. Car, à moins d'être allé le chercher à la librairie de la Halle Saint-Pierre, rue Ronsard, dans le XVIIIe ardt de Paris, seul point de vente où il était disponible depuis la réouverture des librairies et autres centres culturels, sa mise à disposition du public avait été passablement retardée par la malheureuse pandémie (il aurait dû être disponible en France en mai, si je me souviens bien). L'exposition au musée Barbier-Mueller, à Genève, a rouvert depuis quelque temps déjà, ayant prévu de se terminer le 1er novembre 2020 (j'étais allé présenter le fruit de mes découvertes à Genève début mars, juste avant que tout se referme...; l'exposition a été heureusement prolongée pour pallier la période où elle a été close).

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Couverture du catalogue de l'expo sur les Barbus Müller.

 

    C'est l'occasion de faire le point sur l'énigme liée à ces sculptures en lave et en granit que Dubuffet choisit – en les découvrant chez les marchands Charles Ratton et Joseph Müller, entre 1945 et 1946 – d'associer à la notion d'Art Brut (qu'il commençait à peine de bâtir), tant elles lui paraissaient originales, en rupture avec d'autres effigies de style populaire. Après deux textes de Baptiste Brun et Sarah Lombardi, qui s'attachent au contexte historique de l'entrée des "Barbus Müller" (sobriquet inventé par Dubuffet à cause de quelques barbes aperçues sur certaines sculptures et du nom de Joseph Müller qui en possédait le plus grand nombre) dans l'orbite de l'Art Brut, j'ai donné dans ce catalogue¹ une étude où je révèle le nom de l'auteur de ces sculptures – auvergnat, comme l'avait subodoré Charles Ratton – un paysan, ex-soldat, surnommé "le Zouave", qui habitait aux alentours de 1900 le village de Chambon-sur-Lac dans le Puy-de-Dôme, où il possédait divers terrains. Cette étude est accompagnée d'une iconographie variée, enrichie – élément nouveau par rapport à la première édition, moins développée, de cette étude (cf. le n°17 de la revue Viridis Candela, le Publicateur) – de trois photos relatives à un scoop touchant à un détail significatif du village de Chambon, en rapport étroit avec "le Zouave", détail qui ancre un peu plus la mémoire des Barbus Müller dans cette bourgade... (Je laisse la primeur de ce scoop au catalogue de l'expo du musée Barbier-Mueller, il serait peu élégant de déflorer tout de go le sujet).

antoine rabany dit le zouave, bruno montpied, musée barbier-mueller,

Le village (aux alentours de 1920?) ; comme on le voit, le lac est situé nettement plus loin; à gauche on aperçoit  le baptistère du Xe siècle situé au plus haut du cimetière ; le jardin d'Antoine Rabany (hélas, ici masqué par des frondaisons) était situé juste en dessous.

 

     Avis donc aux amateurs d'énigmes artistiques et d'Art Brut. Si vous ne pouvez attendre le 10 septembre, précipitez-vous à la libraire de la Halle St-Pierre, où il doit bien rester quelques-uns des exemplaires commandés en avant-première...

 

antoine rabany dit le zouave, bruno montpied, musée barbier-mueller,

Le "chercheur, peintre, écrivain, etc.", Bruno Montpied, lors de la visite de Chambon-sur-Lac, devant l'ancienne cabane du jardin aux sculptures d'Antoine Rabany, en mars 2018 ; photo Régis Gayraud.

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¹ Je dois remercier ici Georges Bréguet qui me mit en relation avec Laurence Mattet, la directrice du musée Barbier-Mueller, qui vit tout de suite le parti que pouvait tirer le musée de ma découverte dans le cadre de l'exposition qu'ils étaient en train de préparer. Et encore un grand merci à Guillaume Zorgbibe et Régis Gayraud qui tous deux ont joué un grand rôle dans mon élucidation de l'auteur des Barbus Müller.

22/06/2020

Yves d'Anglefort à Winterthur (c'est en Suisse)

      Yves d'Anglefort, qui se plaint parfois de n'être pas apprécié à sa juste valeur, est exposé à Winterthur chez nos amis suisses (nord-est de Zürich et pas très loin du musée Im Lagerhaus de St-Gall). M'est avis que beaucoup d'amateurs d'art brut ne le trouvent pas suffisamment "dans le moule" de l'art brut patenté, alors que pourtant il développe une oeuvre fort originale, tout en manifestant une certaine culture (très empreinte de connaissances en histoire), ce qui n'est pas dans la définition canonique de l'art brut. En font partie en effet ceux ou celles qui seraient bien éloignés de toute culture artistique ; eh bien, Yves d'Anglefort, en raison sans doute de sa complexion psychique – il ne se cache pas de souffrir de troubles bi-polaires – peut faire preuve de culture artistico-littéraire tout en nous proposant ses plans de territoires étranges, ou ses animaux et machines bizarres, dessinés invariablement avec des couleurs et des lignes quasi enfantines. Un drôle de zèbre décidément (dont les rayures seraient en couleur et plutôt du genre zigzaguant)!

yves d'anglefort,art brut,winterthur,sylvie gallin-lambert

       L'expo est prévue du 1er au 11 juillet. L'organisatrice de l'expo (on dit curatrice en Suisse allemande, quel vilain mot! J'ai toujours l'impression qu'il s'agit pour ces commissaires d'exposition de curer les écuries d'Augias...) est Sylvie Gallin-Lambert, celle-là même qui avait consacré un livre à Yves d'Anglefort.

yves d'anglefort,art brut,winterthur,sylvie gallin-lambert

Yves d'Anglefort, n°359 ("portrait du papillon volant qui roulait en voiture la nuit pour flinguer les étoiles (ça va leur apprendre à ces connes) est un dessin de moi seulement yves d’anglefort fecit artiste admiratif 1908.2012-3013 B7 ar 01 :00 scale 17,9 voilà…" ), sd (vers 2018?), ph. et coll. Bruno Montpied.

14/06/2020

François Jauvion et son panthéon singulier

      L'imagier singulier de François Jauvion, graphiste, "maquettiste pour l'industrie à l'origine", dixit Françoise Monnin qui signe l'introduction du livre – après une préface de Michel Thévoz –, est une sorte de Panthéon des admirations de l'auteur pour des auteurs d'art brut, des artistes d'art singulier ou moderne, ainsi que de quelques auteurs de bande dessinée (Gotlib), édité par Le Livre d'Art (également propriétaire du magazine Artension) et la galerie Hervé Courtaigne. Pas d'art naïf dans ce choix (on ne trouvera pas le Douanier Rousseau, pas plus que Bauchant, Vivin, Peyronnet, Séraphine, ou encore Bombois), si ce n'est Germain Van der Steen (mais ce dernier est parfois plutôt rangé du côté de l'art brut).

L'imagier singulier de FJ.jpg

Sur la couverture du livre, l'auteur s'est auto-portraituré, entouré de ses outils de graphiste, plus quelques éléments de son atelier suppose-t-on...

 

     Son titre, où je remarque surtout le mot d'"imagier", fait référence, de manière lointaine, aux imagiers pour enfants (qui servent à l'apprentissage du vocabulaire). Au centre de chaque planche, du reste, distribués autour de la figure centrale du créateur, présenté nu (sans être ressemblant particulièrement au véritable auteur traité : les voyeurs en seront pour leurs frais, on ne voit pas les anatomies d'Aloïse Corbaz, de l'abbé Fouré ou de la charmante Caroline Dayot, entre autres...), sont étalés les accessoires caractéristiques des vedettes de ce panthéon.

Carton de présentation du livre.JPG

Les planches originales du livre de François Jauvion seront exposées à la Galerie Courtaigne, rue de Seine dans le VIe ardt à partir du mardi 16 juin jusqu'au 19 juin ; une signature de l'artiste y sera possible durant cette période ; le 20 juin, le samedi, à partir de 14h, l'artiste sera ensuite à la Halle Saint-Pierre, qui inaugurera ainsi son premier événement post-confinement.

 

      Pour André Pailloux, dont j'ai signé dans ce livre la présentation, par un court texte placé en vis-à-vis de la planche à lui consacrée, rare auteur d'environnement populaire spontané présent dans cette sélection (on compte aussi l'abbé Fouré, le Facteur Cheval, Stan Ion Patras et ses stèles sculptées du cimetière roumain de Sapinta dans le Maramures, Petit Pierre – à ne pas confondre avec Pierre Petit, également présent dans ce livre), est ainsi entouré par les moulinets colorés, hypnotiques, dont il a hérissé son bout de jardin en Vendée et dont mes livres, Eloge des Jardins Anarchiques et le Gazouillis des Eléphants, ont déjà parlé ; il apparaît également dans une séquence de Bricoleurs de paradis, le documentaire que j'avais co-écrit avec Remi Ricordeau).

Mosaïque du panthéon Jauvion.JPG

 

     Le livre de Jauvion se situe dans un art hésitant entre la bande dessinée et le roman graphique, rempli de déférence à l'égard de l'art brut (en revanche, les personnalités choisies pour illustrer l'art singulier me paraissent choisies avec moins d'acuité ; il paraît y avoir prime à ceux qui font avant tout acte de présence sur les tréteaux, mais leurs oeuvres sont-elles si intrinsèquement valables que semble le croire François Jauvion?). 

07/04/2020

La tour Eiffel, horizon pour aspirants aux chimères

     La célèbre Dame de fer qui symbolise la ville de Paris a été reproduite à l'infini, notamment par (et chez) ceux qui sont eux aussi des sortes de bâtisseurs de rêve au petit pied, à savoir les habitants-paysagistes naïfs ou bruts, ayant laissé derrière eux maints jardins et environnements spontanés et insolites. L'art populaire aussi en est particulièrement hanté, son aspect de tour de Babel pointée vers l'infini plongeant dans une rêverie hantée de chimères tous les amateurs de travaux d'Hercule interminables. C'est un modèle insurpassable dans la direction duquel ils se doivent d'aller... Ils en perçoivent immédiatement l'absolue inventivité, le prodige de sa technique révolutionnaire pour l'époque (une architecture de fer, sa forme "babélienne").

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Henri Travert (ancien ouvrier) et sa tour Eiffel (une quinzaine de mètres de haut environ), à L'Aunay des Vignes, Fougeré, Maine-et-Loire, photos (vue générale et détail avec les fers à cheval soudés qui composent la tour..) Bruno Montpied, 2003 et 1991. 

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Une représentation de la tour par un fils d'Henri Travert, peinture et assemblage de baguettes de bois sur panneau.

 

      J'y repensais ces derniers jours après avoir reçu de M. Philippe Didion (j'en profite pour le remercier) la photo de la tombe d'un certain Claude Maudeux, maire de sa commune, dans le cimetière creusois de Vigeville, couverte par la maquette d'une autre tour Eiffel comme de juste, placée là non seulement par admiration pour les maçons creusois qui bâtirent tant de bâtiments célèbres de Paris, mais aussi pour faire la nique aux symboles religieux des sépultures voisines (l'anticléricalisme étant chose bien partagée dans le Limousin)...

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Photo Philippe Didion, 2019.

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La tombe à la tour Eiffel, ph. Philippe Didion, 2019.

 

      Elle me fait penser par association d'idée à une autre maquette de tour, placée cette fois plus en hauteur, en tant qu'épi de faîtage, en Ille-et-Vilaine, telle qu'elle a été dévoilée dans le catalogue d'une ancienne exposition de l'Ecomusée du pays de Rennes (2010-2011) "Compagnons célestes, épis de faîtage, girouettes, ornements de toiture" (édité par Lieux dits en 2010).

épi tour eiffel à Plerguer (IetV).jpg Epi de faîtage à Plerguer, photo Norbert Lambart.

   

       Chez les habitants-paysagistes naïfs ou bruts aimant animer leurs espaces intermédiaires entre habitat et route – une bonne partie d'entre eux le font pour le public des passants dans une communication immédiate avec leur voisinage, sans penser aux prolongements médiatiques que cela peut induire... –, des tours Eiffel surgissent de temps à autre telles des mascottes.

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Tour Eiffel d'André Bindler à l'Ecomusée d'Alsace à Ungersheim près de Mulhouse, ph. B.M., 2013.

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André Hardy (à Saint-Quentin-les-Chardonnets, Orne) avait confectionné au moins deux tours Eiffel, une dans chaque partie de son jardin, en voici une, coincée entre autruche et bœufs, ph. B.M., 2010.

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Joseph Donadello a lui aussi réalisé à Saiguèdes (Haute-Garonne) une tour, parmi de nombreuses statues et autres monuments recréés naïvement, ph. B.M., 2008.

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Emile Taugourdeau (Sarthe), dans son jardin aux 400 statues (environ, et non pas 900, comme dit Mme Taugourdeau dans Bricoleurs de paradis...), à côté de Bernard Hinault, avait installé une tour..., ph. B.M., 1991.

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Jean Grard, à Baguer-Pican (Ille-et-Vilaine), avait sculpté une tour qu'il avait appelée la Picanaise (une version régionale de la tour, en somme) et où il avait installé des personnages aux yeux faits de billes, ph. B.M., 2001.

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Marcel Dhièvre, sur sa maison à Saint-Dizier (Haute-Marne) qu'il avait nommé "Au petit Paris", avait, entre autres thèmes, lui aussi évoqué la tour Eiffel, ph. B.M., 2013.

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Peut-être la plus extraordinaire des tours Eiffel, celle de Petit Pierre (Pierre Avezard) telle que conservée dans le parc de la Fabuloserie, à Dicy, dans l'Yonne, où a été sauvegardé son "Manège" (constitué d'autres réalisations étourdissantes d'ingéniosité naïve), en provenance du site originel qui était à la Faye-aux-Loges dans le Loiret ; cette tour fut bâtie par son auteur ayant grimpé à l'intérieur jusqu'à son sommet ; ph. B.M., 2015.

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Tour Eiffel d'un certain Perotto à Darney (Vosges), parmi d'autres maquettes de monuments recréés, ph. B.M., 2016.

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Une tour Eiffel très stylisée, en mosaïque, créée par Aldo Gandini à Montrouge (Hauts-de-Seine), ph. B.M., 2012.

 

      En dehors des créateurs d'environnements spontanés, on trouve aussi chez certains auteurs d'art brut, ou d'art naïf et populaire, des effigies de la fameuse tour, réalisées à plat ou en volume.

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Arsène Vasseur, meuble original d'hommage à la tour Eiffel, réalisé dans sa maison à Amiens (Somme), et conservé au Musée de Picardie.

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Anonyme, vue de la tour Eiffel (peinture et gravure sur panneau de bois en léger relief), avec l'ancien palais du Trocadéro en fond vraisemblablement (à moins que ce ne soit l'Ecole militaire?), ph. et coll. B.M.

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Détail d'une enluminure naïve d'Augustin Gonfond, extraite du Livre de communion de sa fille Joséphine, 1890.

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M. Manilla, tour Eiffel en os et têtes de mort, calavera en zincographie, Musée national de l'estampe, Mexico ; tradition populaire mexicaine.

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Rochelle, scène de mariage semblant se passer au début du XXe siècle à Paris (présence de soldats en pantalons garance (un garde suisse est aussi présent, mais il y en a eu jusque vers 1950 à Paris), dirigeable d'un certain type dans le ciel), mais peinte peut-être après 1920, car il s'agit là d'une huile peinte sur de l'Isorel, matériau apparu après cette date apparemment ; une tour Eiffel en arrière-plan signe la ville où se déroule l'action ; ph. et coll. B.M.

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Miguel Hernandez, Les crêtes de Paris, 55 x 46 cm, huile sur isorel, 1951.

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Virgili, tour Eiffel, ancienne collection de l'Aracine, aujourd'hui au LaM de Villeneuve-d'Ascq.

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Joseph Donadello, autre effigie de la tour (datée de 1899, probablement par erreur, si Donal pensait à sa date de construction, 1889), cette fois à plat, parmi ses collections de peintures personnelles, ph. B.M., 2015.

Tour Eiffel provisoire, fête à Oyonnax 1928.jpg

Anonymes, carte postale ancienne, une tour probablement éphémère, bâtie pour une fête de bienfaisance en 1928 à Oyonnax.

Tour Eiffel en osier à l'Ecole Nationale d'Osiericulture à Fayl-Billot, Haute-Saône, ph B.Montpied 2007.JPG

Tour Eiffel en osier, Ecole nationale d'Osiericulture, Fayl-Billot (Haute-Saône), ph B.M., 2007. 

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Moins connue peut-être, il existe une tour Eiffel souterraine! En mosaïque d'ossements, dans les Catacombes parisiennes, ce qui la rapproche de l'estampe populaire mexicaine ci-dessus.

 

    Enfin, pour ne pas fatiguer outre mesure nos lecteurs, terminons sur deux images véritablement inattendues, d'abord celle ci-dessous...

 

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Cherchez la tour... parmi cette panoplie d'accroche-tableaux qui étaient encore récemment présentés en devanture de la boutique Sennelier sur les quais de la Seine.

 

     Enfin, il fallait y penser, mais "ils" y ont pensé, les marchands de sex-toys du quartier de Pigalle à Paris, il fallait à l'évidence réunir les souvenirs touristiques de Paris aux jeux sexuels qui font l'apanage bien connu de ce quartier, l'aspect phallique de notre monument de fer y inclinant naturellement...

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Godemichets en forme de tours Eiffel, pour bien la sentir passer..., ph. B.M., 2016.

 

     Dernière image – car je me suis dit qu'elle manquerait par trop à cette note, qui nous la donne à voir sous différents regards - il me paraît judicieux de montrer ce que regarde la tour, elle... Du moins, comme ci-dessous, lorsqu'elle se tourne  vers le nord-ouest, dans un tableau à l'étonnante perspective aérienne, véritablement fourmillant de détails... qui sont autant de petits hommes...

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André Devambez (1867-1944), vue de la tour Eiffel, l'exposition de 1937 (le palais de Chaillot au  fond de la perspective), Musée des Beaux-Arts de Rennes.

 

18/02/2020

Critique du primitivisme à la Halle St-Pierre

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Conf baptiste brun sur Dubu et la crit du primitivisme févr 2020- 2.JPG

     Pris par d'autres lectures, je n'ai pas encore eu l'occasion d'entamer plus que le début du gros pavé commis récemment par Baptiste Brun sur la "critique du primitivisme" qu'il s'ingénie à penser comme un des chevaux de bataille de Dubuffet avec son entreprise de l'Art brut. Sur le site des éditions Les Presses du Réel en particulier, on peut lire ces lignes qui cherchent à résumer la direction principale du livre de Brun: "Tordre le cou au primitivisme : voilà l'un des enjeux du travail de Jean Dubuffet (1901-1985). Le lecteur pourra trouver l'affirmation paradoxale tant l'artiste semble être le parangon du primitivisme artistique dans la seconde moitié du XXe siècle. Tout pourtant dans son travail concourt à récuser l'existence d'un art supposé « primitif », pierre de touche d'une conception européenne et raciste de l'art, repliée sur elle-même et ébranlée au sortir de la Seconde Guerre mondiale. En poussant à l'excès les codes du primitivisme de son temps, le peintre en dévoile lucidement les ressorts et les présupposés."

     L'art dit primitif serait tout uniment "la pierre de touche d'une conception européenne et raciste de l'art, repliée sur elle-même et ébranlée au sortir de la Seconde Guerre mondiale"? N'est-ce pas aller vite en besogne? Je ne suis pas sans doute aussi cultivé que Baptiste Brun en matière d'histoire du primitivisme, mais il me semble tout de même que derrière ce mot on n'a pas mis, au cours de l'histoire de l'art moderne, que de la condescendance paternaliste... Le mot "primitif" a été utilisé à plusieurs sauces, me semble-t-il. Ne l'utilisa-t-on pas pour qualifier les peintres de la pré-Renaissance en Italie et en France, qui ignoraient encore les lois d'une perspective géométrique? Le mot, et l'art des peuples non occidentaux,  auprès de tant d'artistes modernes – Picasso, Derain, Modigliani, Vlaminck, etc. – étaient vus comme extrêmement positifs et séduisants, ce qui était une réorientation, opérant un virage à 180° par rapport aux antiquités gréco-latines des classiques. La primitivité n'était-elle pas vue aussi alors comme un accès direct à une expression plus spirituelle, plus proche du ressenti-pensé, accès, approche que les artistes modernes du début XXe siècle recherchaient obscurément en se détournant de la reproduction du réel rétinien? On ne se tournait pas seulement vers les arts lointains (comme disait Fénéon qui fut l'un des premiers à collectionner des œuvres d'art africaines ou océaniennes, bien avant les collectionneurs d'après Seconde Guerre), on admirait les primitifs de l'intérieur, l'art populaire des campagnes, comme Courbet vis-à-vis de l'imagerie populaire, ou Gauguin face à la sculpture naïve bretonne, ou encore Filiger, l'ami de Gauguin, qui s'inspirait des Primitifs italiens et de l'imagerie populaire alsacienne... Primitif était synonyme de "premier", tout aussi bien pour ces artistes. Les raccourcis expressifs, la stylisation, le goût d'aller droit au but (synonyme d'art "premier") propres aux artistes-artisans populaires impressionnaient  favorablement les artistes modernes.

      Que Dubuffet ait opéré une critique de la dimension paternaliste – et raciste chez certains critiques et amateurs d'art qui ne sauraient être majoritaires chez les admirateurs des arts primitifs – du primitivisme me paraît également sujet à discussion. S'il me paraît avoir rejeté l'interprétation primitiviste de son "art brut", c'est au même titre qu'il a balayé devant sa porte l'art des enfants, l'art populaire et l'art naïf, vus comme insuffisamment inventifs et insuffisamment asociaux. Il lui fallait bâtir sa notion en éliminant toutes les annexions possibles aux catégories voisines. 

      Baptiste Brun vient donc en parler à la Halle Saint-Pierre, Que ceux qui veulent en savoir plus viennent l'écouter (personnellement j'aurais bien voulu, mais à cette date, le 22 février, je serai malheureusement occupé ailleurs...).

11/02/2020

"Le Cœur au ventre", une collection d'art singulier et brut

      "Le Cœur au ventre" – ce titre de l'expo qui va bientôt ouvrir, dans deux jours, chez Art et Marges à Bruxelles (314 rue Haute, dans le quartier populaire des Marolles) – provient du nom de la défunte galerie de Marion Oster, qui était ouverte dans le Vieux Lyon et qui a été fermée voici deux ou trois ans¹, l'art singulier ne perdurant pas, faut croire, sous la cathédrale de Fourvière... (En effet, il y a désormais pas mal d'années, il y eut un autre lieu favorable aux Singuliers dans cette même partie de Lugdunum, à savoir l'Espace Poisson d'Or qui lui-même était un avatar de la galerie du même nom qui était dans les Halles à Paris...). L'exposition commence  le 13 février et se terminera le 7 juin.

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Ludovic et Marion Oster dans leur ancien appartement de Lyon, tenant un couple de poupées de Monique Vigneaux (derrière, je crois reconnaître Louis Pons ?, Philippe Dereux?, Le Carré Galimard?, Mister Imagination et ses pinceaux anthropomorphes, entre autres...) ; la poupée est un thème et un support du reste récurrents dans leur collection ; © ph. Annabel Sougné, Art et Marges, 2018.

 

         Marion Oster est artiste, et collectionneuse, cette dernière casquette étant partagée avec son mari Ludovic, un féru de galeries, foires et autres Puces et brocantes. Leurs goûts se portent, pour une petite partie de leur collection, vers un art expressionniste contemporain, mâtiné d'art brut et d'art singulier. Ce qui correspond à une tendance actuelle – dont je ne suis que modérément friand, je m'empresse de le dire – qui identifie exclusivement dans l'art brut et singulier les mêmes composantes que dans l'art souffrant, l'art du pathos. Les corps se squelettisent, les tripes s'exhibent en toute impudeur, les êtres sont proches des cadavres, la personne se tord de douleur métaphysique ou pathologique... Parfois, comme dans le cas des œuvres de Stani Nitkowski, ce dernier étant très présent dans la collection des deux Oster, les corps sont en voie d'explosion (voir ci-contre expo à la coopérative Cérés Franco à Montolieu)...St Nitkowski-peau-mots-michel-macreau.jpeg Et c'est vrai que la maladie, la mort, la détresse sont des sujets qui travaillent souvent par-dessous beaucoup d'artistes, au risque de sombrer dans une certaine forme de misérabilisme new look, analogue à l'attitude du blessé léchant ses plaies. Citons dans cette collection les œuvres de Michel Nedjar, Jean-Christophe Philippi, Ghislaine et Sylvain Staelens, Philippe Aini, Lubos Plny, Jean Rosset, Denis Pouppeville...

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Lubos Plny, Galerie ABCD, Montreuil-sous-Bois.

 

     Cependant, la collection Oster est loin de se limiter à ce néo-expressionnisme. Beaucoup d'anonymes en font partie aussi, sur lesquels je n'ai recueilli que peu de renseignements, mais qui prouvent l'enthousiasme sincère de nos deux amateurs d'art pour des œuvres sans se préoccuper d'un quelconque pedigree placé en amont. Ils sont ainsi capables d'acquérir un objet d'art forain qui les aura interpellés au détour d'un marché aux Puces, en raison de son apparente "barbarie". La force de l'objet prime avant tout. Marion et Ludovic ne s'encombrent pas de théorie de toute façon, l'oeuvre leur parle ou pas, et les choisit ou non, pour devenir une compagne de vie dont ils ne se séparent plus après acquisition.

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Jeu d'art forain, coll. Marion et Ludovic Oster (acquis place du Jeu de Balle, non loin de chez Art et Marges à Bruxelles), ph. Bruno Montpied, 2017.

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Une vue de la collection Oster, comme elle se présentait à l'époque de l'installation lyonnaise ; © ph. Annabel Sougné, Art et Marges, 2018.

 

      Dans leur fourmillante collection, dont l'installation lorsqu'ils vivaient à Lyon côté Rhône a frappé tous ceux qui l'ont visité (et notamment les animateurs d'Art et Marges qui ont choisi du coup d'essayer d'en reconstituer l'aspect dans leur locaux de la rue Haute à Bruxelles), avec son apparence de grotte ou de crèche géante grouillant de formes, couleurs, aspérités, sinuosités dans lesquelles l'œil ne savait où se poser, comme errant dans un labyrinthe, on trouve aussi de plus énigmatiques créations. Comme celles d'Yves Jules, Angkasapura, Armand Avril, Babahoum, Ben Ali, Asmah, Bonaria Manca, Caroline Dahyot, Burland, Monchâtre, Giovanni Bosco, Guy Brunet, Jean Branciard, Jean Tourlonias, Juliette Zanon, Karl Beaudelère, Las Pinturitas, Martha Grünenwaldt, Monique Vigneaux, Ni Tanjung, Noël Fillaudeau, Paul Amar, Philippe Dereux, Pierre Albasser, Sylvain Corentin, Le Carré Galimard, Ted Gordon, etc. J'ai également l'honneur de figurer parmi toutes ces vedettes (l'œuvre ci-dessous provenant d'une expo à la galerie Dettinger-Mayer).

Mise à jour du 17 février :   

      On déplorera au passage que les animateurs d'Art et Marges, d'après ce que m'en ont dit des visiteurs présents au vernissage, n'aient pas jugé utile de placer des cartels à côté de chaque oeuvre afin de renseigner le public. Ce procédé peu respectueux des artistes et des créateurs se poursuit apparemment dans le catalogue où aucune information sur l'identité des artistes (certes nombreux) n'est apportée...

 

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Un aspect limité de l'intérieur de la Villa Verveine décorée par son habitante, Caroline Dahyot (ph.B.M., 2018) ; cette dernière a monté une installation de ses diverses œuvres dans le cadre de l'exposition "Le Cœur au ventre", installation qui tente à chaque fois de restituer un peu l'ambiance unique du décor intérieur de son habitat à Ault (Somme).

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Caroline Dahyot, Jamais tu ne te soumettras, tableau exposé au Petit Casino d'Ailleurs en 2018 ; personnellement, je trouve que l'art de Caroline n'est jamais mieux mis en valeur qu'en œuvres séparément exposées, et non accumulées comme dans ses installations ; ph. B.M.

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Bruno Montpied, L'avenir menaçant², 31,5 x 24 cm, 2013, coll. Marion et Ludovic Oster, ph. B.M.

 

       La naïveté pourrait tout aussi bien s'y faire une place dans cette collection, avec les poupées transformées, mais aussi les objets de piété éclairés par l'ingénuité de leurs auteurs, les ex-voto, les paperoles, les reliquaires (qui hésitent entre naïveté et morbidité, avec leurs bouts d'os considérés comme reliques adorées...), les petits tableaux sans prétention...

 

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Œuvre anonyme acquise récemment par les Oster, une bergère, son mouton, son fuseau, son chien, broderie en fil chenillé et collage, sans date (XIXe sans doute) ; ph.B.M.

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¹ Marion Oster a animé également auparavant, cette fois à Paris, durant près de quinze ans, l'Espace Lucrèce dans le 17e ardt.

² A noter que ce titre pourrait faire figure de signe avant-coureur du titre du récent livre de Joël Gayraud, L'Homme sans horizon...

19/01/2020

Pierre Richard, le codex énigmatique d'un paysan lorrain récemment révélé

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L'étui du livre des éditions Artulis consacré à Pierre Richard.

 

      Samedi 25 janvier, à l'auditorium de la Halle Saint-Pierre, on en saura plus sur les grimoires énigmatiques d'un autodidacte lorrain, Pierre Richard (1802-1879), récemment édités et révélés par les éditions Artulis Pierrette Turlais, hélas à un prix prohibitif (230€), afin, certes, de le présenter au mieux (en partie en fac-similé) et de manière suffisamment ample, mais tout de même, ce prix et le tirage (250 exemplaires numérotés, avec 500 images, 280 pages...) rendent l'ouvrage peu démocratiquement accessible, réservé à une coterie de spécialistes capables de casser leurs tirelires... Ce qui peut paraître volontiers paradoxal, étant donné l'origine populaire de cette œuvre.

   L'éditeur annonce cependant une édition numérique "à destination des internautes" (et si, moi, je préfère lire sur papier? Ben, zut, faut que je sois assez riche pour me payer le fac similé) mais pour le moment, ce doit être trop tôt, "l'exploration", comme dit le site des éditions Artulis, n'est pas encore disponible. Et lorsque ce sera fait, qu'y trouvera-t-on? Le manuscrit brut en entier, des extraits? Et les commentaires des érudits qui sont publiés dans le fac-similé sur papier? Loin de cette approche bibliophilique, il me semble qu'une édition de poche, donnant une synthèse sur ces trois grimoires (aux contenus apparemment très répétitifs), avec quelques commentaires condensés, comme une première approche informative, et sans trop d'analyses et interprétations, aurait pu être envisagée.

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     Il s'agirait de livres de magie, riches d'environ 750 planches, montrant des "dessins, monogrammes, cercles ornés, mises en scène de la Passion, alphabets et autres écritures cabalistiques", réalisés pour une part en Moselle au cours d'une réclusion asilaire. L'œuvre sera présentée samedi 25 par François Pétry (historien, archéologue, conservateur en chef honoraire du patrimoine), Lise Maurer (psychanalyste), Christophe Boulanger (attaché de conservation en charge de l'art brut au LaM de Villeneuve-d'Ascq) et Pierrette Turlais l'éditrice.

 

       Pour réserver sa place (de 16h30 à 18h30, samedi), il est prudent de réserver au 01 42 58 72 89.

11/01/2020

Un rêve... L'objet X.

L’OBJET X (une découverte dans l’histoire de l’Art Brut)

 

      Je suis en train de revisiter les débuts de la constitution de la collection d’Art Brut (à commencer par les œuvres d’art naïf) que Dubuffet, le fondateur de la notion d’art brut, commença par interroger comme pouvant faire partie de ce qu’il commençait d’envisager ‒ dans les années 1940 ‒ comme la découverte d’un corpus d’œuvres d’art oubliées, non reconnues, exprimant pourtant avec la force la plus intense la vérité humaine la plus crue en matière d’expression.  Défilent devant mes yeux des tableaux surtout, jusqu’à ce que je m’arrête sur ce fameux objet indéterminé, si difficile à décrire, car composite et extrêmement indistinct, rétif à être appréhendé, on dirait…

      J’écris ce « fameux » objet, car, en effet, il est connu dans l’histoire des origines de l’Art Brut, il fait partie de ces objets orphelins, impossibles à situer, que des collectionneurs épris de curiosité ont su abriter et protéger chez eux¹.

     Il est monté sur une sorte de coque noirâtre (brune peut-être, mais comme il est plongé dans la pénombre, il apparaît sombre), un morceau de bois d’une forme approximativement proche du parallélogramme, destiné à faire flotter l’assemblage entier, ou bien à se déplacer, car on a pu le flanquer de roulettes – disparues à une époque indéterminée. Sur ce bloc, se dressent deux ou trois autres parties de l’assemblage : une sorte de morceau de branche élancée en forme de long doigt dressé vers le ciel, des formes plus ramassées, comme des coquillages blanchâtres agrippés à un bouchot. L’ensemble n’est pas un objet naturel forgé par le hasard, comme ceux que l’on trouve le long des grèves. Il résulte d’une volonté humaine qui a présidé à l’assemblage de ses parties.

      Il émane un mystère de cet objet, renforcé par son statut d’objet mythifié dans l’histoire de la recherche autour des débuts de l’art brut.

      Son propriétaire, un collectionneur ‒ qu’au réveil je me reprocherai de n’avoir pas interviewé afin d’en apprendre plus sur l’auteur de cet assemblage mythique des débuts de la collection d’Art Brut ‒ est présent, mais en retrait. Il possède encore l’objet qui n’a jamais été incorporé à la collection d’Art Brut de Dubuffet, en raison du rejet de ce dernier, qui considérait l’objet comme par trop insituable, par trop indéterminé. On sait que le peintre construisit sa collection par intégration et rejets successifs de divers artefacts qu’il regardait de manière évolutive au fur et à mesure que s’affirmait sa vision de ce qu’il poursuivait avec son « art brut » : un art du « jamais vu », hors champ de la culture artistique.

     L’art naïf des débuts, l’art des enfants, l’art tribal, l’art populaire rural se virent ainsi successivement rejetés, à mesure que s’affermissait sa conception. L’objet X, ici retrouvé par moi, avait été ainsi repoussé dans les poubelles des prémices de l’Art Brut, où ses thuriféraires avaient méthodiquement organisé son enterrement…

     Je suis pour sa réévaluation, me dis-je au fond de ce rêve. Ce n’est pas parce qu’on n’arrive pas à le décrire ‒ déjà parce qu’on n’arrive pas à le voir correctement ‒, à le situer, à en déterminer l’auteur, qu’on ne peut prendre en charge sa force brute, essentiellement tissée d’énigme…

 

       (Hélas, je me réveille sans avoir pu en apprendre davantage…)

 

         Vers 23h30, après m’être assoupi, fiévreux et enrhumé, le 13 février 2018…

 

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¹ Le rêve fait écho à la question des œuvres collectionnées au début par Jean Dubuffet comme pouvant être de l’art brut, mais qu’il finit par rejeter au fil du temps dans sa collection « annexe », renommée par lui et Michel Thévoz, le premier conservateur suisse de la Collection à Lausanne, à partir de 1976, « collection Neuve Invention ». Cette collection, marginale par rapport à l’Art Brut proprement dit, se révèle cependant tout aussi passionnante que la collection principale.

23/11/2019

Mme Zka est partie en Catalogne (espagnole) dans un magnifique et stimulant musée du Jouet

     Madame Zka, dont ce n'était pas le nom et "qui n'était pas absolument folle", selon les dires de Guy Selz dans la revue La Brèche n°2, (sous-titrée "Action surréaliste", et datée de mai 1962 ; son texte sur elle s'intitule "Les doigts de la mémoire"), a échappé aux collections d'art brut où elle n'aurait pas détonné¹. Sans doute parce que celui qui possédait ses "poupées" pas comme les autres  les aura protégées d'un tel transfert... Simple supposition, car je ne sais pas grand-chose de la collection de Guy Selz (frère de Jean Selz et de Jacqueline Selz – elle-même, en compagnie d'Yvon Taillandier, collectionneuse d'art populaire essentiellement méditerranéen² –, et père de Dorothée et Philippe Selz, Dorothée étant connue comme artiste créatrice d'œuvres en sucre). On sait seulement qu'il fut une connaissance proche d'André Breton, qui lui demanda un article sur Mme Zka pour le n°2, en mai 1962, de la revue La Brèche qu'il dirigeait.

 

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Une des illustrations de l'article de Guy Selz dans La Brèche, montrant les poupées peu communes de Mme Zka.

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Les poupées possédaient sous les vêtements, particularité insolite, des visages aux yeux, bouches et autres pommettes, cousus de fils ; ici c'est un détail de la figure 7 reproduite ci-dessus et empruntée à la revue La Brèche.

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Les poupées de Mme Zka, telles qu'elle étaient présentées à l'expo "Poupées" à la Halle Saint-Pierre en 2004 ; à noter que le catalogue ne les reproduisit pas, car elles furent prêtées inopinément à l'exposition, après que le catalogue avait été lancé ; du coup tout élément biographique ne put être donné dans l'ouvrage à leur sujet³ ; photo Bruno Montpied, 2004.

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Ces poupées de Mme Zka ont aussi, autre particularité, le don d'exhiber des membres virils qui sortent des pantalons, comme oubliés... ; photos B.M., 2004.

 

      Cette collection Selz vient – en partie? En entier? On ne le précise pas – d'entrer dans le remarquable et vivant Muséu del Joguet de Catalunya à Figueres (le Musée du Jouet de Catalogne), suite à une donation, précisément, de ses enfants, Philippe et Dorothée. Voici le laïus de ce musée au sujet de Guy Selz : 

     "Guy Selz (Paris, 1901-1975), designer graphique et journaliste, a été membre de l’équipe fondatrice de la revue Elle et chargé des chroniques culturelles du magazine. Collectionneur avide, il s’est intéressé à la créativité et à l’art populaire. Cela l’a conduit à collectionner des objets insolites, surprenants ou fascinants, sans hiérarchie ni frontières entre les genres et les arts. Et il est parvenu à rassembler plus de 30 000 pièces qu’il conservait chez lui, exposées et regroupées suivant son propre sens de l’esthétique. Cet espace abrite la plupart des fonds de la collection dont ses enfants, Philippe et Dorothée Selz, ont fait don au musée, tout en recréant l’aspect qu’elle avait lorsqu’elle était exposée chez lui. En 1974 la collection fit l’objet d’une exposition, qui connut un grand succès, au musée des arts décoratifs de Paris dont le commissaire était le conservateur en chef, François Mathey (à noter cependant que cette exposition était consacrée à plusieurs collections, et que celle de Françoise et Guy Selz, si elle était particulièrement bien représentée en effet dans l'expo, n'en était qu'une parmi beaucoup d'autres ; voir ci-dessous une page du catalogue de 1974).

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Une des pages consacrée à la collection Françoise et Guy Selz dans le catalogue de l'exposition "Ils collectionnent..." du musée des Arts Décoratifs en 1974.

 

     L’intérêt de Selz pour l’art populaire dans sa collection se manifeste, entre autres, sur la série de siurells (figurines en céramique, intégrant un sifflet, typiques des Baléares), compte tenu qu’entre 1933 et 1936, il tenait un bar sur l’île d’Ibiza."

   J'ajouterai que ces sifflets en céramique originaires de Majorque furent très importants pour le peintre surréaliste catalan Joan Miro (qui en possédait, comme celui ci-contre, qui appartient au musée catalan).mme zka,guy selz,la brèche n°2,surréalisme Ce musée du jouet de Figueres est remarquable, disais-je, par sa façon extrêmement vivante de présenter ses collections classées par départements aux thématiques insolites, surprenantes et ludiques, où diverses activités liées au jeu sont proposées en lien avec différents thèmes où l'esprit de curiosité règne en maître : le jeu dans l'antiquité, les jouets animaliers, les théâtres miniatures et les marionnettes, les illusions d'optique, la magie et l'illusionnisme, les soldats de plomb, une évocation de l'enfance et la jeunesse de Salvador Dali, les jeux de papier, les jouets mécaniques (avec une section consacrée en particulier aux jouets japonais), les jouets d'éducation sexuelle (les figures japonaises Kar Kar - la fille - et Tac Tac - le garçon -...)mme zka,guy selz,la brèche n°2,surréalisme, les figurines de la guerre civile espagnole, les jouets liés à la thématique spatiale avec des robots, des soucoupes volantes, les déguisements, les jouets bricolés par les enfants du Sahara, les jouets sonores, les jeux pour non-voyants, les casse-têtes, les instruments-jouets de Pascal Comelade, les figurines créées par José Antonio Heredia Navarrete, un autodidacte populaire (dont j'ai bien l'impression d'avoir un jour, il y a fort longtemps acheté l'une d'entre elles, une sirène, pour l'offrir à ma muse Christine Bruces ; voir ci-contre une de ces sirènes par Navarrete),mme zka,guy selz,la brèche n°2,surréalisme les œuvres d'art inspirées par les jouets, etc., etc. Une maquette de réseau ferroviaire est présente également dans ce musée due à Andreu Costa Pedro (1926-2013) qui la réalisa durant dix-huit ans. Mention spéciale aussi doit être faite à des représentation de "caganers", c'est-à-dire des figurines de chieurs... Sortes de santons d'un genre spécial que l'on cachait dans les crèches (Catalogne, région de Valence,  Baléares) pour soi-disant attirer la chance et la richesse (on sait que le caca est selon Freud la première monnaie d'échange, et donc l'origine de l'argent... ; dans une crèche, la défécation est censée fertiliser le sol de la crèche... argument qui sent bon - si j'ose dire - la justification). Il existe des caganers de toutes sortes (comme on le devine...), notamment actuellement, "des politiciens, des sportifs et des personnages célèbres ou médiatiques"...

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Les caganers du musée du Jouet de Figueres...

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¹ Bizarrement, une notice du musée du Jouet de Figueres signale que les poupées en question parvinrent entre les mains de Guy Selz grâce à Jean Dubuffet. Si cette information a un fondement quelconque, on se demande alors pourquoi l'inventeur de l'Art Brut n'en a pas gardé pour lui dans sa prestigieuse collection? En tapant les mots-clés "Mme Zka" sur la base de données du musée lausannois, on ne rencontre que "0 résultat"...

² Jacqueline Selz et Yvon Taillandier qui eux-mêmes ont fait donation de leur collection d'art populaire personnelle au musée départemental de Noyer-sur-Serein dans l'Yonne.

³ On n'a en guise d'éléments biographiques sur Mme Zka que quelques lignes extraites du n° de La Brèche par Guy Selz: "Sans doute d'origine polonaise, Mme Zka fut chanteuse lyrique, et fit probablement aussi du théâtre et du music-hall (...) Elle a vécu en Russie, en Italie, en Egypte, en Roumanie et peut-être dans d'autres pays où "ses tournées" et ses 4 ou 5 maris la conduisirent (...) Deux choses se remarquent aussitôt : un talent extraordinaire de couturière, et un bon lot de poupées figurant des officiers de l'ancienne armée polonaise..." Si le lecteur veut en apprendre plus, il se référera à l'article entier ici en PDF...

12/11/2019

Roger Cardinal (1940-2019), après Laurent Danchin et Jean-François Maurice...

     Des pages générationnelles, en matière de médiation autour des arts spontanés, se tournent décidément depuis quelque temps... Voici que j'apprends avec une tristesse certaine que Roger Cardinal vient de nous quitter.

    C'était un médiateur réputé de l'art qu'il avait qualifié d'"outsider" en Grande-Bretagne, terme repris aux USA et dans le monde anglo-saxon, voire jusqu'ici, où il est de bon ton de parler anglais à tout bout de champ en désertant la langue française.

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Roger Cardinal recueilli ; Bibliothèque de Bègles, avril 2009. Photo Bruno Montpied.

 

    La dernière fois que je l'avais vu, c'était il y a trois ans, il me semble, dans un escalier de l'Hôtel du Duc où se tenait l'Outsider (comme de juste) Art Fair. Il était assis sur un banc, grignotant un sandwich ; je l'avais salué, en lui tendant je ne sais plus laquelle de mes publications, et il était resté assez bizarrement sans réaction, alors que nous nous connaissions et avions usuellement des relations cordiales. Quand j'avais envoyé ensuite des informations par mail, il n'avait pas non plus réagi, et je m'étais demandé ce qu'il se passait. La fatigue de l'âge (selon l'euphémisme convenu)?

     C'était un gentleman d'une grande bienveillance, un gentleman des années 1970, et un poète incontestablement, davantage qu'un théoricien (ainsi m'est-il toujours apparu en tout cas). C'est lui qui a lancé le terme d'Outsider art, en montant des expositions sur ce thème dès 1972 (parfois avec l'aide de la Fabuloserie d'Alain Bourbonnais) et pendant de nombreuses années, tout en écrivant de nombreux articles et études sur les arts spontanés (où il ne hiérarchisait pas l'art naïf par rapport à l'art brut). Certes, il n'était pas le seul au Royaume-Uni, il y avait aussi Victor Musgrave et Monika Kinley (la Madeleine Lommel britannique), et aujourd'hui il y a la Gallery of Everything de James Brett et ses amis. Mais Cardinal a eu un rôle déterminant, en influençant la création de la revue Raw Vision, de John Maizels en 1989 notamment. Le terme d'outsider a eu un retentissement énorme aux  USA, ce qui a causé en retour une onde de choc vers l'art brut européen.

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Le catalogue de l'expo "Outsiders" de 1979.

 

      Ce que l'on sait moins – surtout dans le petit monde des spécialistes de l'art brut et autres – c'est qu'il avait donné, dans ces mêmes années 1970, quelques textes au groupe surréaliste qui tentait internationalement de conserver une activité structurée en réaction à la décision que d'autres avaient prise de décréter, trois ans  après la mort d'André Breton (soit en 1969), la fin du mouvement organisé. J'ai retrouvé ses deux contributions dans le Bulletin de Liaison surréaliste réédité en 1977 par l'éditeur Savelli : "Tout un roman" et "Je note des signes", d'une très belle et très claire venue poétique.

    En Grande-Bretagne, il avait prolongé et adapté l'activité d'un Dubuffet pour tenter d'attirer l'attention du public sur des arts spontanés où il mélangeait artistes marginaux et auteurs d'art brut. Je possède son livre de 1979, paru à l'occasion d'une exposition à la Hayward Gallery, où l'on retrouve au sommaire des créateurs bien connus désormais : certains venus de l'Atelier Jacob (1972-1982) comme Alain Bourbonnais, Francis Marshall, Jano Pesset, Mario Chichorro, Joël Negri, Denise Aubertin, Pascal Verbena, François Monchâtre, ou Emile Ratier, d'autres en rapport avec la maison des artistes psychotiques de Gugging en Autriche comme Johan Hauser, Johann Scheïbock, Philipp Schöpke, Oswald Tschirtner, ou August Walla ; bien sûr, il y avait quelques grands créateurs de l'Art Brut venus d'autres collections, comme Aloïse, Scottie Wilson, Wölfli, Henry Darger,  Joseph Yoakum, Martin Ramirez, Anna Zemankova, Heinrich Anton Müller, des patients artistes de la collection Prinzhorn à la clinique de Heidelberg comme Joseph Sell, Gustav Sievert, August Neter,  Peter Moog, Johann Knüpfer, ou Karl Brendel, un créateur d'environnement visionnaire, Clarence Schmidt, mais aussi de grands inclassables comme Louis Soutter, ou ce dessinateur allemand étrange revendiqué par le surréalisme, Friedrich Schröder-Sonnenstern (voir ci-contre). roger cardinal,outsider art

    Cette expo prolongeait celle des "Singuliers de l'art" qui s'était tenue un an auparavant au Musée d'Art moderne de la ville de Paris, là aussi organisée avec l'aide d'Alain Bourbonnais et de son Atelier Jacob (galerie qu'il animait avant de fonder son musée de la Fabuloserie dans l'Yonne.

     Au fond, ce qui me séduisait, dans la perspective de Cardinal, c'était son origine et sa culture surréalistes. On sait que ce mouvement, surtout du vivant de Breton, incorporait des autodidactes naïfs ou bruts, de même que de la poésie naturelle sous forme d'objets insolites trouvés dans la nature, sans faire de séparation de valeur entre ces créateurs et les artistes plus explicitement en relation avec le mouvement. Je pense que c'était dans ce sillage que se situait Cardinal. D'autant qu'en Grande-Bretagne, on pouvait le faire sans dommage, ce pays ayant fait l'économie de la dispute qui eut lieu sur le continent entre ces deux crocodiles que furent Dubuffet et Breton, se colletant au fond du même marigot (image que me délivra un soir Philippe Dereux au fond d'un restaurant lyonnais)... Les défenseurs de l'art brut français et suisses en effet ont longtemps hérité du clivage entre les deux crocodiles, et il est fort difficile de retisser les liens rompus de ce côté du Channel. J'en sais quelque chose, puisque moi aussi je m'efforce de me situer dans ce double sillage du surréalisme et de l'art brut...

    Étrangement, cette origine surréaliste de Cardinal ne paraît pas avoir été perçue par le milieu suisse de l'art brut, puisqu'il fit partie sans difficulté du comité consultatif de la Collection de l'Art brut à Lausanne (comme Laurent Danchin, pourtant pas très orthodoxe en matière de doxa brute...). Pourtant, on s'est longtemps méfié des surréalistes du côté de la Collection (du moins peut-être jusqu'à l'après-Michel Thévoz¹ ; car, avec Lucienne Peiry, directrice de la collection de 2002 à 2012, la méfiance se tempéra et s'atténua me semble-t-il).  Probablement parce que Roger resta toujours fort civil, diplomate, élégant, avec Dubuffet lui-même d'abord (qui lui avait fait part de son accord pour le terme d'"art outsider") puis avec les conservateurs successifs de la CAB.

     Sur ce terme d'art outsider, j'ai déjà évoqué sur ce blog par le passé la traduction qu'on aurait pu lui donner : art alternatif. Roger Cardinal m'avait écrit son assentiment face à cette traduction, comme je l'ai déjà signalé. Certes, ce mot qui lui avait été imposé, comme il me l'a écrit, par son éditrice, devait servir de synonyme à "art brut". En réalité, c'est un tour de passe-passe, dans la mesure où il recouvre beaucoup d'expressions différentes, du folk art, aux artistes marginaux, en passant par l'art brut au sens strict, et les environnements spontanés. En France, il sert d'ailleurs souvent de mot lui-même alternatif à la place d'art singulier. Le Musée de la Création Franche de Bègles par exemple, qui se sert beaucoup en ce moment du terme d'art brut – à mon avis inadéquatement – serait mieux inspiré de parler d'art outsider pour ses collections.

    Concernant Roger Cardinal, il serait judicieux de rassembler et de traduire ses principaux textes pour les lecteurs français. Il en a donné quelques-uns pour des catalogues, comme le premier qu'édita l'Aracine ou ceux édités par la Halle Saint-Pierre au fil des années.

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¹ Michel Thévoz qui écrivit un jour: "André Breton fusille les spirites et leur fait les poches". Ce qui, on en conviendra peut-être, est assez odieux...