30/03/2008
La photographie inventive à travers la carte postale de fantaisie, une expo parisienne que vous ne devriez pas manquer
"La photographie timbrée, l'inventivité visuelle de la carte postale photographique, à travers les collections de cartes postales de Gérard Lévy et Peter Weiss", tel est le titre exhaustif de l'exposition consacrée à la carte postale fantaisie au Jeu de Paume site de l'Hôtel de Sully, prévue pour durer du 4 mars au 18 mai 2008 et organisée conjointement avec le Museum Folkwang d'Essen en Allemagne. Le commissaire de l'exposition est Clément Chéroux, qui avait déjà collaboré à des expositions fort curieuses comme Le Troisième Oeil, la photographie et l'occulte, qui s'était tenue en 2004-2005 à la Maison Européenne de la Photographie à peu près dans le même quartier que l'Hôtel de Sully, à Paris (exposition sur la photographie de fantômes, d'esprits ou de matérialisations (ectoplasmes) venues soi-disant de l'au delà...). Il est également l'auteur d'un petit livre paru naguère chez Actes Sud sur la photographie chez Auguste Strindberg.
C'est dire l'intérêt de ce chercheur pour les formes bizarres de la création photographique. Plaçant son travail sur les cartes postales de l'époque 1900 sous les auspices d'une tendance récente de la réflexion sur la photographie qui "consiste à interroger [cette dernière] en fonction de son support de diffusion", Clément Chéroux profite de cette exposition pour montrer les relations très fortes qui unirent les créateurs souvent anonymes des photographies de cartes postales avec différents artistes d'avant-garde, comme les dadaïstes (Hannah Höch) ou les surréalistes, dont Paul Eluard. Le Musée de la Poste, il y a quelques années (en 1992-1993), avait déjà présenté, parmi d'autres collections de cartes postales, celle qu'avait amassées ce dernier entre 1929 et 1932 (voir le catalogue de l'expo "Regards très particuliers sur la carte postale", avec un texte de José Pierre sur la collection Eluard où il rapproche la passion des cartes postales de la recherche du poète qui devait l'amener à son anthologie poétique de 1942 où il mettait en parallèle ce qu'il appelait la "poésie intentionnelle" -la poésie des écrivains- avec la "poésie involontaire" -la poésie populaire ou de ready-made, les littératures orales, etc.).
La carte postale a été le premier support permettant de diffuser en masse la photographie vers un vaste public, il n'est pas étonnant d'apprendre que les surréalistes (notamment Georges Hugnet) songèrent à éditer leurs oeuvres et l'expression de leurs recherches sous forme de série de cartes postales. Ce qui nous enseigne que les surréalistes de l'époque furent soucieux d'organiser la diffusion de leur poétique d'une façon qui permettrait d'atteindre le grand public (sans passer par un diffuseur centralisé qui n'existait pas encore alors et dans une société du spectacle qui n'en était qu'à ses balbutiements).
L'exposition présente un certain nombre de cartes postales dites "fantaisie", genre choisi en raison de l'imagination dont elles faisaient preuve en recourant à de multiples techniques nécessaires pour permettre de tenir en haleine l'intérêt du public (un grand choix de ces dernières est proposé dans le très beau catalogue qu'il ne faut pas manquer d'acquérir). Elles sont regroupées en trois sections: les cartes postales produites par des éditeurs, celles produites par des studios photographiques (par exemple les fameux portraits de groupe dans des décors où les clients passaient la tête, voir la carte avec les têtes d'Eluard et de Breton ci-dessus...), et enfin les cartes produites par des amateurs, encouragés par l'industrie photographique de l'époque qui mettait à leur disposition des papiers au format cartes postales sur lesquels ils pouvaient coller leurs propres réalisations.
C'est ainsi qu'on peut découvrir toutes sortes de récréations visuelles, insolites souvent mais non dénuées parfois de vulgarité, ou d'un certain sentimentalisme, dérivant d'une culture de masse voguant au ras des pâquerettes (la facilité n'étant bien entendu pas toujours absente des goûts populaires, nos médias actuels l'ont compris depuis longtemps en surfant sur les plus petits communs dénominateurs de leurs différents publics). Cette vulgarité prend parfois des aspects humoristiques à interprétation immorale comme dans le cas de ce légume terriblement sexué où passe l'écho de l'esprit carnavalesque et rabelaisien.
On y aime aussi beaucoup les décapitations, le décapité portant son chef sur un plat ou au fond de son panier. Les dédoublements, les permutations entre les sexes, les disproportions, les déformations (bien avant les distorsions d'un Kertesz), les formes grotesques se font nombreuses aussi, parfois en écho à des traditions présentes dans l'imagerie populaire et le folklore depuis bien plus longtemps que l'invention de la photographie. Je pense à cet ensemble de trois cartes postales illustrant à l'évidence le thème du "Monde à l'envers" que les anciennes gravures sur bois avaient déjà passablement mis à l'honneur dans les siècles précédents, ou bien à ces cartes esthétiques traitant des proverbes ou des expressions populaires, relatives au "panier percé", aux "poires", au "rasoir", aux cornes (de cocus), etc.
Les photomontages y règnent en maîtres, bien avant John Heartfield et les dadaïstes ou surréalistes, prophétisant avant la date les inondations de Paris en 1910 et créant par des rapprochements hétéroclites (la mer aux pieds de la Tour Eiffel) une poésie du détournement et de l'utopie urbaine qui précède d'un demi-siècle les embellissements surréalistes ou situationnistes de Paris (par exemple).
21:00 Publié dans Art immédiat, Art populaire insolite, Images cachées, images délirantes?, Paris populaire ou insolite, Photographie, Poésie naturelle ou de hasard, paréidolies, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : photographie insolite, cartes postales fantaisie, hôtel de sully, la photographie timbrée, clément chéroux, poésie naturelle, andré breton | Imprimer
03/02/2008
A la niche les glapisseurs de dieu!...
La Fédération de Paris de la Libre Pensée et le groupe Francisco Ferrer organisent une conférence de Guy Ducornet à la Bourse du Travail, salle Jean Jaurès, (3, rue du Château d'Eau, tout près de la place de la République à Paris), le jeudi 21 février prochain à 19h 30:
"Surréalisme et athéisme
«A la niche les glapisseurs de dieu !»"
*
Guy Ducornet (membre du mouvement surréaliste américain depuis 1967) y présentera son dernier ouvrage Surréalisme et athéisme «A la niche les glapisseurs de dieu !» (Gingko éditeur).
«A la niche les glapisseurs de dieu !» est à l'origine un pamphlet signé par André Breton et 50 surréalistes en 1948, qui a été contresigné sur la proposition de Guy Ducornet, en 2006, par 175 surréalistes du monde entier. Se calquant sur le mot d’ordre «A chacun selon ses désirs» clairement antagonique à la morale chrétienne, ce projet est l’occasion de revenir sur les combats anticléricaux et antireligieux du mouvement surréaliste.
Dans cette anthologie de textes méconnus – historiques ou contemporains – l’auteur revient en détail sur l’engagement politique (sur son aspect marxiste et libertaire) des surréalistes.
(Cette note est basée sur une information émanant de la Libre Pensée et de Guy Ducornet, que j'ai remontée et légèrement remaniée pour l'adapter au blog ; j'ajoute que je n'ai pas encore eu le livre entre les mains, je répercute de confiance l'information en laissant juges mes lecteurs)
19:40 Publié dans Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Guy Ducornet, A la niche les glapisseurs de dieu!, Surréalisme, Athéisme, Libre Pensée | Imprimer
16/01/2008
MASSIF EXCENTRAL (13): Quand André Breton était guérisseur en Auvergne
Je veux bien faire plaisir à mon correspondant auvergnat Emmanuel Boussuge qui a l'esprit fièvreux pendant cet hiver en Auvergne. Il m'envoie une dépêche en urgence depuis son Cantal adoré. Il a trouvé une trace inédite d'un passage énigmatique d'André Breton chez les Arvernes, l'image ci-dessous fixée sur une ancienne carte postale:
Il paraît que cet homme ressemblerait fort au poète. Si je lui trouve moi plutôt des similitudes avec les visages croisés du docteur Ferdière et de Jean-Roger Caussimon, m'en voudra-t-on? Cela dit, il est plaisant d'imaginer la carrière de Breton en guérisseur nous imposant les mains au fond de quelque Auvergne anonyme, quand on sait l'importance des gants dans sa vie en outre... Et puis oui, Breton est bien encore aujourd'hui, quelque part, une sorte de grand guérisseur.
22:15 Publié dans Art populaire insolite, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : André Breton, Guérisseurs auvergnats, Emmanuel Boussuge | Imprimer
11/01/2008
Les Cahiers de l'Umbo n°10 et 10bis
On me pardonnera j'espère de ranger cette note sous la catégorie "surréalisme" alors que les auteurs publiés dans les Cahiers de l'Umbo ne se revendiquent pas clairement d'un mouvement organisé en tant que tel, mais il y a cependant d'incontestables filiations, des signatures, Guy Cabanel (le poème Les Surprises du Paradis), Alain Joubert (qui écrit: " Finalement, les poètes qualifiés de "surréalistes" se reconnaissent beaucoup plus à l'infinie capacité d'invention dont ils font preuve, à la puissance de leur imagination et, par-dessus tout, à l'esprit de révolte qui les anime. Pas à la forme qu'ils utilisent", dans Grains de Sel, Cahiers de l'Umbo n°10bis), Georges Goldfayn, Pierre Peuchmaurd, Antonio José Forte, Marie-Dominique Massoni, Dusan Matic, Stanislas Rodanski (sur qui François-René Simon revient aussi dans une plaquette éditée en supplément de ce numéro double, qui se lit de façon réversible comme une carte à jouer...)...
Les "Cahiers de l'Umbo"? C'est quoi? Une revue de poésie éditée à Annemasse par un dandy, peintre et collagiste de grand talent, Jean-Pierre Paraggio. Quelquefois, je batifole (je "bouffonne", aurait dit un ancien ami de ma belle jeunesse, Amrindo Sisowath),je m'amuse à l'appeler les "Cahiers de Dumbo". C'est que ce n'est pas commun cet "umbo"-là... il paraît que cela aurait trait à une histoire de bouclier celte (dixit Littré), je n'ai pas envie d'approfondir la question.
Ce n° double s'ouvre sur une photo de Nicole Espagnol avec des pigeons alignés en rang sous un (minaret?), une critique implicite? On y glane son miel en butinant, ces lignes de Jean Durançon par exemple sur David Goodis: "Comment devient-on clochard alcoolique? Telle est peut-être le sujet central, central et le plus obsédant, des romans de David Goodis. Comment devient-on cette vie qui s'écroule dans un monde qui s'écroule, accompagnement funèbre et, pour ainsi dire parfait d'un parcours, d'un processus de démolition qui est celui-là même qui nous mène d'un point de naissance à un point de disparition?" Cette vie qui s'écroule est-elle celle de ces pigeons alignés inertes à l'ombre d'un minaret? Plus loin, Esther Moïsa trace ces lignes: "Chacun replâtre son mort chacun plante ses pavois dans l'artichaut des mémoires". On vit de souvenirs...
Il y a des poètes moins connus comme Laurent Albarracin (remarquable texte: "Du Papillon ", introduit et éclairé par un autre texte de Joël Gayraud, "Ralentir Image", qui montre l'apport d'Albarracin à l'art poétique par l'affirmation de la tautologie comme "sommet caché, impossible, de la poésie" ) ou Alice Massénat et ses vacillantes ruptures syntaxiques, ses obscurités pathétiques:
"La hargne s'élabore, les viscères sont là
et quand de passe-partout l'autre devient peur
de quels violons d'Ingres sinon la paume?
Sans le lui des tripes
le haro sous le goitre"
(Extrait d'un poème sans titre)
Mais de tous les auteurs, ma préférence va sans conteste à un nom inconnu de moi, Olivier Hervy, dont les fragments et aphorismes réunis sous le titre de Notice me séduisent, dans une veine cousine des chères Gregerias de Ramon Gomez De La Serna:
"Qui sommes-nous pour user les eaux alors que les baleines elles-mêmes n'y sont pas parvenues?
Juste des moustiques écrasés sur le pare-chocs anti-buffles de son ridicule 4x4.
Chaque année supplémentaire donne du poids à ce vieux lustre qui prépare sa chute depuis le premier jour.
Le coquelicot ne tient pas en vase. On a sa dignité.
Est-ce un hasard si la salade grecque, avec ses cubes de feta brisés sur le rouge de la tomate, ressemble aux ruines du même pays?
Ils ont beau être ceux du futur, leur nom même d'extraterrestres a déjà un petit côté vieillot."
On trouve aussi des images dans cette revue, du Ody Saban, incontournable celle-ci, elle se glisse absolument partout, mais aussi des oeuvres d'auteurs moins répandus, comme les collages de Philippe Lemaire, de Georges Lem, ou de Romuald Roudier.
Pour se procurer la revue: Jean-Pierre Paraggio, 33, avenue Jules Ferry, 74100 Annemasse, e-mail: jeanpierreparaggio@yahoo.fr
23:55 Publié dans Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : Cahiers de l'Umbo, Jean-Pierre Paraggio, Alice Massénat, M-P. Massoni, Romuald Roudier, Olivier Hervy, Laurent Albarracin | Imprimer
06/12/2007
Surréalistes et situationnistes, surréalistes anglais, deux livres sur ces questions
La rencontre d'André Breton et de Guy Debord n'a jamais eu lieu. Selon Debord, il allait de soi que l'un excluait l'autre : Breton et le surréalisme appartenaient au passé, celui-la même que la Seconde Guerre mondiale venait d'engloutir, en sorte que tout était à recommencer.
Ce jugement expéditif à l'égard du surréalisme méritait d'être reconsidéré dans un esprit étranger à tout réglement de compte. Divergence fondamentale ou intime parenté occultée par des rivalités de façade ? Une histoire détaillée des relations mouvementées entre surréalistes de Paris et de Bruxelles avec Guy Debord et ses amis restait à écrire pour comprendre, notamment, un des ressorts de la construction de l'identité situationniste.
Cet essai, que complète une anthologie composée de tracts, d'une dizaine d'illustrations et des textes de Jean-Louis Bédouin, André Breton, Claude Courtot, Adrien Dax, Guy Debord, Tom Gutt, Simon Hantaï, Gérard Legrand, Marcel Marien, Benjamin Péret, José Pierre, Jean Schuster, Jan Strijbosch, Raoul Vaneigem et Joseph Wolman, permet de remonter le cours tumultueux de ces vies parallèles.
Professeur de philosophie, docteur en histoire de l'art, Jérôme Duwa se consacre aux avant-gardes du XXe siècle et a publié des études sur les surréalistes et les situationnistes dans différentes revues, dont Archives et documents situationnistes et Pleine marge. Il collabore régulièrement à Infosurr, CCP et à La Revue des revues. Chercheur associé à l'IMEC, il travaille sur les revues et les fonds d'archives surréalistes conservés par cette institution et prépare pour 2008 une exposition et une publication sur Mai 68.
240 pp., 14x20 cm., 26 euros, parution février 2008.
Au treizième coup de minuit
"Anthologie du surréalisme en Angleterre"
Editée, traduite et préfacée par Michel Remy
Couverture de Desmond Morris
Méconnue car inédite et difficile d'accès, victime d'une époque hantée par la Seconde Guerre mondiale, le surréalisme anglais n'en est pas moins riche, fébrile et authentique. Dans son refus du définitif et du cohérent, dans son accueil de l'unique et de l'évanescent, il témoigne, à partir de 1936, de la persistance de "l'esprit surréaliste" à la définition duquel il participe pleinement, avec une incontestable vigueur. Pour témoigner de cette grande richesse théorique et créatrice du surréalisme anglais, cette anthologie comprend les manifestes et déclarations collectives du groupe surréaliste en Angleterre, et quelques deux cents pages de poèmes et textes (1935-1980) de Roland Penrose, David Gascoyne, Emmy Bridgewater, Ithell Colquhoun, Simon Watson Taylor, Humphrey Jennings, Toni del Renzio et bien d'autres encore. Au treizième coup de minuit rassemble de surcroît, en plus d'un dictionnaire en fin d'ouvrage, un choix significatif d'une trentaine de dessins des artistes surréalistes anglais, notamment Desmond Morris - connu mondialement comme Ethologue et auteur du Singe nu, mais aussi membre du groupe surréaliste en Angleterre dès 1949 - dont une illustration est reproduite en couverture de l'ouvrage.
Michel Remy, spécialiste d'art et de littérature modernes et contemporains britanniques, est considéré comme un des meilleurs connaisseurs du surréalisme en Angleterre. Fondateur des Editions Marges et de la revue Flagrant Délit, il est l'auteur d'ouvrages sur David Gascoyne (David Gascoyne ou l'Urgence de l'inexprimé, Nancy, 1985), Desmond Morris (L'Univers surréaliste de Desmond Morris, Paris-Londres, 1991), de la première étude sur le surréalisme anglais en peinture, écriture, sculpture, cinéma et politique (Surrealism in Britain, 1999) et l'un des quatre auteurs de l'anthologie bilingue de la poésie anglaise (Paris, Gallimard, La Pléiade, 2005). Il enseigne actuellement à l'université de Nice.
312 pp., 14x20 cm., 24 euros, parution février 2008."
14:45 Publié dans Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Surréalisme et situationnistes, Breton, Debord, Jérôme Duwa, Infosurr, Ed.Dilecta, Jacques Brunius | Imprimer
18/11/2007
Le retour perpétuel de Matija Skurjeni
J'ai appris avec retard la nouvelle d'une exposition de la collection du surréaliste Radovan Ivsic d'oeuvres du merveilleux peintre naïf Matija Skurjeni qui s'est ouverte le 18 octobre au musée international d'art naïf de Croatie à Zagreb et qui était prévue pour s'achever aujourd'hui 18 novembre (titre: Un Skurjeni inconnu)...
Je suis un inconditionnel de ce peintre qui au sein de la peinture naïve yougoslave m'a toujours paru à part, ainsi que quelques autres comme Emerik Fejes, ou Ilija Bosilj.
Tous trois font partie des cas-limites entre naïfs et bruts, au point qu'on devrait créer une catégorie-tampon à leur usage personnel (on y rangerait ainsi aussi bien Séraphine Louis et ses splendides gerbes de vulves-calices, que Pietro Ghizzardi, ou Henri Trouillard, Célestine, Nikifor, ou encore Morris Hirshfield...; on pourrait aussi y ranger des créateurs qui sont actuellement classés soit dans les collections d'art brut, soit dans la collection Neuve Invention de Lausanne par exemple).
Dans le cas de Skurjeni, en dehors d'une palette, d'un dessin et de moyens techniques lui permettant de rendre le moindre des ses natures mortes ou paysages comme illuminé secrètement de l'intérieur, faisant rayonner toutes ses images faites d'après des motifs pris dans la réalité rétinienne d'une lumière véritablement surréelle, c'est le recours répété à l'activité onirique comme sujet d'inspiration de plusieurs de ses toiles qui le fait classer à part du reste de la peinture yougoslave qui, il faut bien le dire, vieillit mal (elle n'était pas déjà, du temps de son apparition, bien vaillante, trop léchée et vitrifiée qu'elle était et qu'elle reste aujourd'hui). Skurjeni apparaît du coup, du moins dans une partie de ses oeuvres connectée fortement à l'inspiration surréaliste, comme un cas assez patent de surréalisme ingénu.
Le poète, essayiste et dramaturge Radovan Ivsic, qui soutint en France dès 1960 (voir son petit texte, Un nouvel ami, dans Bief, Jonction surréaliste, n°spécial 10-11, 15 février 1960) le peintre, puis rédigea pour lui plusieurs préfaces à des catalogues d'exposition qu'il l'avait aidé à organiser à Paris puis à Cologne, Radovan Ivsic ne s'y est pas trompé en axant ses analyses d'abord sur cette activité de rêve chère au surréalisme comme on sait. Il vient d'y revenir dans le n°53 de la NRF (octobre 2007 ; merci à Emmanuel Boussuge de me l'avoir transmis), avec un texte de souvenirs intitulé Mon grand ami Matija Skurjeni, le mineur des rêves (apparemment, Skurjeni travailla comme mineur de fond dans un premier temps -ce qui l'apparente aux activités professionnelles d'un Augustin Lesage- avant de devenir cheminot). Il y rappelle, dans une volonté d'homologation de ses services parfois un peu trop insistante, les liens qui l'unirent très instantanément à la personne et à l'oeuvre de Skurjeni (Ivsic nous apprend que ce patronyme se traduit par"Brûlés" en français). Il l'hébergea à Paris dans son petit appartement près de Notre-Dame dans les années 60. Il relie certaines des toiles que Skurjeni exécuta alors, notamment celle qui s'intitule A deux pas de la Tour Eiffel à des faits dont il fut le témoin il y a désormais plus de quarante ans.
L'exposition du musée d'art naïf croate de Zagreb est tout entière constituée d'oeuvres qui sortent de sa collection: dix-huit peintures, vingt dessins et plusieurs estampes. Un catalogue monographique écrit par Radovan Ivsic paraît également à cette occasion.
Signalons qu'il existe aussi un musée consacré à Matija Skurjeni dans la ville où il a vécu, à Zapresic. On peut aller sur son site, où une musique traditionnelle peut parfois s'y révéler, certes par suite de manips multiples peut-être erronées, assez vite obsédante et angoissante (les temps des divers phases mélodiques se recouvrant les unes et les autres, ce qui crée cette atmosphère étrange citée précédemment, probablement de façon involontaire de la part du créateur du site). Ce musée a une architecture curieuse lui aussi, il ressemble à un bureau géant, pourvu d'un toit sous lequel on aperçoit des fenêtres qui font penser à des poignées de tiroirs (ce qui est finalement adéquat pour un musée).
Radovan Ivsic a fait paraître plusieurs recueils de ses textes ou pièces de théâtre ces temps-ci chez Gallimard (Poèmes, Théâtre). Dans le recueil de textes consacrés à divers sujets d'ordre artistique ou politique, Cascades, on peut également retrouver un de ses textes plus anciens consacrés à Skurjeni.
17:10 Publié dans Art naïf, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Matija Skurjeni, surréalisme ingénu, Radovan Ivsic, Zapresic, Hrvatski muzej naivne umjetnosti | Imprimer
13/11/2007
Un endroit où vivre (suite)
J'ai donc vu Somewhere to live, film de Jacques Brunius qui paraît à l'évidence un film de commande. Il fait partie d'un ensemble de films sur les travaux de reconstruction de l'Europe des années 50 (plan Marshall), avec le dernier film d'Humphrey Jennings The good life, tourné en Grèce où cet auteur trouva la mort.
Le film de Brunius a en gros deux parties, la première qui montre dans des images aux couleurs passées qui vont bien aujourd'hui à l'évocation de ces époques les ruines de Caen juste après la guerre, et qui font un peu penser aux images du Montmartre lépreux que l'on aperçoit dans le film d'un autre ami des frères Prévert, Roger Pigaut, Le Cerf-volant du bout du monde (film pour la jeunesse ayant gardé aujourd'hui toute sa fraîcheur, encore vivement apprécié des enfants contemporains), et une deuxième partie où l'on doit dire que l'on ne retrouve plus du tout le Brunius de Violons d'Ingres, amateur de bizarreries et de singularités. Le film se termine en effet dans un vibrant hommage aux cités et aux barres que l'on édifiait en masse pour résoudre au plus vite la crise du logement dans ces années d'après-guerre, dressant en même temps sous le ciel un autre décor de misère, plus morale celle-là (que dénoncèrent assez vite situationnistes et libertaires de tous poils dans les années 60 et 70).
Cette deuxième partie a un côté "lendemains radieux qui chantent". Brunius était-il partie prenante de ce lyrisme? Peut-être n'y voyait-il qu'un inconvénient mineur, si l'on songe au documentaire de ses amis Prévert, comme le magnifique Aubervilliers, qui dénonçait l'insalubrité et la misère des logements ouvriers de la banlieue nord...Ce que Brunius approuvait certainement, lui qui avait fait partie du mouvement d'agit'prop à la française qu'était le Groupe Octobre... Mais peut-être en définitive, était-il avant tout bridé par ses commanditaires...
On le retrouve davantage dans la première partie du film, plus primesautière, plus poétique malgré le ton sérieux de la bande-son et du commentaire. Brunius prête sa voix, de façon fugace, à ce commentaire qui prend dès lors un rythme plus gouailleur et plus humoristique (hélas, l'intervention est courte). Sous prétexte de nous montrer les ruines de Caen (impressionnantes images historiques et je gage assez rares de cette époque ; on voit aussi à un moment les ruines de St-Malo...), la caméra se promène vers d'étranges modes de logement alternatifs mis en oeuvre par les habitants en attente de logements plus confortables (et architecturalement plus normés aussi). On voit une baraque improbable construite sur des moignons de château, cabane que son habitant baptise du coup "château" avec dérision, et esprit de détournement sûrement aussi. On découvre des maisons venues en kit de plusieurs pays d'Europe qui dotaient alors la France de toits bigarrés et d'architectures hétéroclites, reflétant différents styles nationaux.
La musique du film prend un tour excentrique à un moment. Brunius fait intervenir la mélodie du Troisième Homme de Carol Reed, avec son air fameux à la cithare, et souligne que c'est un peu, après-guerre, l'hymne de l'Europe en train de se reconstruire. Pour illustrer le propos le cinéaste fait jouer le fameux air à un sonneur de biniou en costume traditionnel breton sur fond de ruines, la musique célèbre se déforme alors étrangement... Court -et fort rare!- moment de surréalisme musical pour le coup (on sait que la musique et le surréalisme ont rarement fait bon ménage)... Certes, le film ne fait pas l'éloge de ces habitats éphémères, puisque le propos de ses commanditaires insiste avant tout sur l'appel à une reconstruction plus massive, et à une justification de la demande de subventions américaines dans le cadre du plan Marshall, mais en filigrane, il est possible de deviner un propos autre de Brunius, favorable par dessous à ces habitats originaux nés de l'adversité.
Du coup, le film prend un aspect intriguant du fait de ce double niveau de langage. Un autre intérêt se trouve également à rechercher du côté de son montage alerte en courtes images successives, ce qui paraît une marque caractéristique du style cinématographique de Jacques Brunius.
Ce film repasse à la Cinémathèque à Paris samedi 17 novembre à 17h.
01:10 Publié dans Cinéma et arts (notamment populaires), Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Jacques Brunius, Somewhere to live, Caen en ruine, frères Prévert, Le Troisième Homme, musique surréaliste | Imprimer
08/11/2007
Un endroit où vivre
Vient de commencer à la Cinémathèque Française à Paris un hommage au peintre surréaliste et poète-reporter (documentariste) anglais Humphrey Jennings (séance inaugurale le 7 novembre, je l'ai déjà manquée, il y avait au programme Spare time que l'on pourrait traduire par Temps libre, film sur les loisirs des ouvriers britanniques de la sidérurgie, du textile et des mines de charbon au début de la Seconde Guerre Mondiale (1939, même date que le film Violons d'Ingres de son ami Brunius), réalisé dans l'esprit du groupe Mass observation qui militait pour une observation anthropologique des occupations du peuple anglais). C'est une réalisation assez brute, très différente du projet de Brunius qui envisageait de préférence les loisirs individualistes de la population française, affichant un certain dédain vis-à-vis des loisirs moins créatifs (comme les jeux de cartes, le sport, la cuisine, la picole...). Jennings se livre à une sorte de revue des loisirs en fonction des métiers, comme une sorte d'état des lieux, sans jugement de valeur, et sans visée apparente ethnologique. Seule une petite phrase placée à la toute fin, du genre "le temps libre est le seul temps qui nous permette d'être nous", donne quelque indice sur la perspective secrète de l'auteur.
Image tirée de Spare time d'Humphrey Jennings, fanfare carnavalesque étonnante...
Ce Spare time repasse samedi 10 à 17h, ce sera la seule autre occasion de le voir, et c'est embêtant car ce jour-là il y a aussi Marc Décimo à la Halle Saint-Pierre à 15h... Il faut également signaler dans le cadre de cette mini rétrospective un autre film, rarement montré, de l'ami Jacques Brunius justement.
Ca s'intitule Somewhere to live. Ce documentaire de 1951 fut réalisé par le créateur de Violons d'Ingres durant la deuxième partie de sa vie qu'il passa en Angleterre où, pendant la guerre, il travaillait à la BBC comme speaker, faisant reconnaître sa voix à travers les ondes aux vieux amis de l'Affaire est dans le sac, ceux de la bande aux frères Prévert qui n'avaient pas oublié l'acteur qui réclamait un bérai-ai-ait, un bééééret français...!
Ce film de Brunius est-il passionnant? Je n'en sais trop rien, son sujet renvoie aux problèmes énormes de logement auxquels devait faire face l'Europe dévastée par la guerre, et la cité prise en exemple dans ce court-métrage de vingt minutes est la bonne ville de Caen. Mais tout Bruniusophile qui se respecte se devrait d'aller y faire un tour, en attendant qu'on accepte de nous passer un autre film encore plus rare du même Brunius, datant lui aussi de sa période angalise, To the rescue (A la rescousse), film pour la jeunesse qui reçut un prix du film de jeunesse (pour les 12-15 ans, c'était très précis...!) au festival de Venise 1953, court-métrage qui doit être, lui, nettement plus joyeux. Qu'attend-on, plus généralement, pour nous concocter un festival des pionniers du cinéma pour la jeunesse comme il y a eu il y a quelques semaines, toujours à la Cinémathèque, une programmation sur les pionniers du cinéma d'animation d'Emile Cohl à Paul Grimault (avec un instructif catalogue à la clé)...?
Somewhere to live, c'est dimanche 11 novembre à 19h30 et samedi 17 novembre à 17h00. Au même programme, il y aura d'autres films d'Humphrey Jennings et un d'Alberto Cavalcanti, cinéastes que respectait beaucoup le protéiforme Jacques Cottance, alias Jacques Brunius.
01:10 Publié dans Cinéma et arts (notamment populaires), Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Jacques Brunius, Humphrey Jennings, Mass Observation, Somewhere to live, Spare time | Imprimer
20/08/2007
Guy Girard s'expose à Pont-Aven
1996 : Librairie-Galerie La Belle Lurette, Paris.
1990 : Galerie L'Usine, Paris.
Expositions collectives récentes :
« A bleu nommé », Médiathèque Jean Prévost, Bron.
2003 : « Visions et Créations dissi- dentes », Musée de la Création Franche, Bègles.
2000 : « Eveil paradoxal » (exposition du groupe de Paris du mouvement surréaliste), Maison des Arts, Conches (Normandie).
Collections publiques :
Ostfriesenslandschaft, Allemagne.
Banco del Estado, Santiago, Chili.
Regard Surréaliste, exposition de Guy Girard du 15 juin au 30 septembre 2007 à la galerie Pigments et matières, 34, rue du Général de Gaulle, Pont-Aven (Finistère). Tél : 02 98 09 15 52.
[Photos B.Montpied, peintures collections privées Paris et Clermont-Ferrand, du haut vers le bas: Rencontre du paraphe de Freud et du nom de Merlin en lettres-images au-dessus de Paris au XVIe siècle, Chemin de St-Jacques, Sciapode de course (1986) ]
00:50 Publié dans Art singulier, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : Guy Girard, Groupe de Paris du Mouvement surréaliste, Art singulier, Sciapodes, Pigments et Matières | Imprimer