15/08/2015
Balade en films chez les inspirés du bord des routes et rendez-vous en Creuse
Dans le cadre de mon exposition estivale chez Jean Estaque à la Maison du Tailleu à Savennes dans la Creuse (une dizaine de kilomètres au sud de Guéret), je prendrai rendez-vous avec tous les amateurs des environnements qui aimeraient voir quelques images animées, cinématographiques, de quelques-uns de ces derniers.
Rochers sculptés de l'abbé Fouré avec Jacques Cartier (l'homme au chapeau) au-dessus d'un monstre marin, Rothéneuf (Ille-et-Vilaine), ph. Bruno Montpied, 2010
Outre les Bricoleurs de Paradis de Remy Ricordeau, on pourra voir quelques films surprise, des images du Palais Idéal du Facteur Cheval, des rochers sculptés de l'abbé Fouré, de Fernand Chatelain, de Monsieur G. (Gaston Gastineau), de Picassiette, et de Petit-Pierre. Le programme fera environ 1h40, et il sera accompagné d'un débat, d'une discussion avec les amateurs présents si le cœur leur en dit. Cette petite animation se tiendra de manière intime et conviviale dans une des salles d'exposition de la Maison du Tailleu en fin d'après-midi du 28 août prochain. Pour plus de renseignements, merci d'appeler le 05 55 80 00 59.
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26/03/2010
Exposition des Prévost, les Bâtisseurs de l'Imaginaire à Melun
Les frères Prévost, Claude et Clovis... Quoi, le sciapode, que dites-vous là? Ce ne sont pas des frères, enfin, que ces Claude Lenfant (nom prédestinant?)-Prévost et Clovis Prévost, mari et femme, chercheurs associés depuis quelques décennies pour nous parler de, ou pour laisser parler plutôt, les dix même créateurs singuliers aux pas desquels ils se sont attachés depuis les années 70, les années des cultures alternatives (outsider en somme) dont ils sont imprégnés passablement (surtout Claude?). Ils les ont exposés depuis cette époque dans de nombreux lieux, notamment à la mythique exposition des Singuliers de l'Art en 1978 au musée d'art moderne de la ville de Paris.
Les dix: soit le facteur Cheval, l'abbé Fouré (qu'ils s'entêtent à orthographier Fouéré, respectant plus l'état-civil que le choix propre de l'abbé qui signait Fouré sur ses autographes), Picassiette (lotissement décoré d'une immense mosaïque de bouts d'assiettes à Chartres), Camille Vidal (statues en ciment à Agde), Marcel Landreau ("le caillouteux" de Mantes-la-Jolie), Irial Vets (l'homme qui se bricola une Chapelle Sixtine dans une chapelle qu'il avait rachetée pour son usage privé, à Broglie dans l'Eure), Robert Garcet et sa Tour de l'Apocalypse (Eben-Ezer en Belgique), Fernand Chatelain (avant ripolinage maquillé en restauration), le mirobolant Monsieur G. (Nesles-la-Gilberde, Seine-et-Marne). A ces neuf créateurs s'ajoute Chomo, présenté judicieusement par les Prévost, qui connaissent leurs gammes, comme un "artiste plasticien", ce qui le distingue des neuf précédents, moins "artistes", même s'ils sont tout autant des créateurs (et même infiniment plus originaux à mon humble avis que le Chomo). Ils vont présenter à Melun, à l'Espace Saint-Jean, à partir du 10 avril, une exposition multi-média (photographies et films) intitulée "Les Bâtisseurs de l'Imaginaire et hommage à Chomo", dont le tire entérine la différence qu'ils établissent entre les deux groupes (oui, on va dire que Chomo est un groupe à lui tout seul, même s'il vaudrait mieux parler d'un groupe de groupies...). L'expo se terminera le 10 juillet.
Le propos des deux chercheurs est de laisser parler les créateurs sans chercher à raconter leur histoire. Il n'y a en apparence aucune intervention des cinéastes durant le film, un effet de réel étant poursuivi tout du long, les créateurs parlant ou se taisant et apparemment laissés à eux-mêmes, comme on se figure qu'ils sont la plupart du temps en l'absence de tout spectateur, dans l'intimité de leur vie quotidienne de créateur oeuvrant avant tout pour soi-même.
Voici en supplément quelques éléments biographiques et conceptuels prélevés dans le petit catalogue de la rétrospective qui fut consacré à Clovis Prévost par le musée national d'art moderne en 1993 au Centre Georges Pompidou:
"Clovis Prévost est né le 5 novembre 1940 à Paris. Après des études d'architecture à l'Ecole des Beaux-Arts de Paris et de sémiologie des médias à l'Université de Paris VII, il dirigera à partir de 1969 le département Cinéma créé par Aimé Maeght. (...) Montrer "comment l'imaginaire se symbolise à travers certaines figures formelles, spatiales, comportementales" est le sens du regard porté par Claude et Clovis Prévost tout le long de leur recherche cinématographique sur l'art."
Espace Saint-Jean, 26, place St-Jean, 77 Melun. Vernissage le samedi 10 avril à 18h. Cinq films au programme, Monsieur G. et le sanctuaire des lasers, Chomo: le fou est au bout de la flèche, Chomo le débarquement spirituel, La légende du silex: Robert Garcet, Le facteur Cheval: où le songe devient réalité. En outre, le samedi 29 mai, à 15h, Claude et Clovis Prévost assureront une visite guidée de l'exposition.
10:36 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art singulier, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : claude et clovis prévost, environnements spontanés, bâtisseurs de l'imaginaire, abbé fouré, picassiette, robert garcet, marcel landreau, camille vidal, fernand chatelain | Imprimer
15/10/2008
Pour servir à l'histoire de Marie-Louise et Fernand Chatelain (3): la poésie envolée
Pour conclure le feuilleton Chatelain, j'ai envie de mettre en parallèle une ou deux images d’œuvres d'avant et d'après restauration. En tentant de comparer ce qui peut l'être. Je devine que la manière de poser les couleurs notamment, chez Chatelain, constitue une grande différence avec celle des restaurateurs du site actuel, nettement plus lourde, sans nuances. Un peu comme des peintres en bâtiment sont ces "restaurateurs"...
Le personnage à double tête, sorte de Martien, aux nez emmêlés, aux bouches en zig-zag, aux jambes vrillées pathétiquement, peint sans uniformité et sans lissage particulier dans les années 70, se retrouve en 2008 particulièrement bien peinturluré, au point de ressembler à un décor d'aire de jeux pour enfants. Comme si on avait cherché à masquer une vérité qui dérange (et comme on a refait l'intérieur des statues en enlevant les matériaux anciens, jugés de mauvaise qualité, du grillage et du bourrage de vieux papiers de journaux, pensez donc... Là, on a voulu bâtir pour la durée, 150 000€, c'est pas donné...).
Celui qui est appelé Bugs Bunny, personnage particulièrement impressionnant avec sa gueule découvrant des incisives carnassières, ses bras partis encore en vrille, ses yeux exorbités, ses immenses oreilles de lièvre, a été passablement "arrangé" lui aussi en 2008.
Une autre saynète achèvera peut-être de convaincre tout un chacun de la main lourde des restaurateurs, c'est le char de "Pégase" avec le chien au chapeau conique (et comique) qui tient les rénes.
Le chien était encore drôle en 1983 lorsque je le filmai en Super 8, suspendu plus en hauteur grâce à des cageots et des étais plus longs, ce qui lui donnait l'air de voler (logique puisqu'il était tracté par le cheval ailé Pégase). En 2008, décidément la poésie s'est envolée. Ferlaure Chatevanne est passé par là. Et pourtant, on a essayé de se documenter un peu (contrairement à ce qui a pu être affirmé). Mais il faut croire qu'on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve... Ou bien, que tout dépend de la sensibilité de celui qui tient le pinceau et de sa plus ou moins grande empathie avec le créateur d'origine. La documentation n'est pas tout, la philosophie de la conduite de vie d'un Fernand et d'une Marie-Louise Chatelain doit être aussi comprise. Un film comme Séraphine, de Martin Provost, sorti sur nos écrans ces jours-ci, est là pour nous prouver que l'empathie avec une créatrice, pourtant aussi rare que Séraphine Louis, même à tant d'années de distance, est possible. Chatelain a eu moins de chance, voilà tout. Peut-être alors, comme l'avait laissé entendre Clovis Prévost, à la journée d'études de Villeneuve-d'Ascq sur les habitants-paysagistes le samedi 10 décembre2005, faudra-t-il se résoudre un jour à songer dérestaurer une si calamiteuse"intervention"...
19:24 Publié dans Art Brut, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : rémy ricordeau, les jardins de l'art immédiat, environnements spontanés, fernand chatelain | Imprimer
10/10/2008
Pour servir à l'histoire de Marie-Louise et Fernand Chatelain (2): "J'ai point le temps d'aller au club du troisième âge"
Le 23 novembre 1977, paraît dans le Libération de l'époque un article signé M.Ch.Husson et J.P. Duvivier (sans doute photographe sur l'article) et intitulé "Dérive chez les bâtisseurs de rêve. Le bestiaire de Fernand et Marie-Louise Chatelain (78 et 75 ans)". En voici un large extrait, choisi essentiellement pour les propos des Chatelain:
"Fernand et Marie-Louise Chatelain, [...], feuilletaient aussi leur dictionnaire, et découpaient des "quartiers de journaux". Ce dictionnaire, ils l'ont toujours. Si vieux, si disloqué que, voilà un couple d'années, ils sont partis à Alençon en acheter un neuf. Ils ont été bien déconfits. Les dictionnaires ne sont plus ce qu'ils étaient. "Il n'y a plus d'images". Ils ont garé le livre neuf, et ont continué à faire vivre les pages de l'ancien dans leur cour, autour des premières réalisations de Fernand.
- "En qualité de Chatelain, dit-il, j'ai d'abord fait un château". "On trimballait encore pas mal, dit-elle. On était allé sur la route de Bretagne, dans une station service, il a vu un château, il a voulu essayer d'en faire autant. On avait été à Chambéry, itou. Il a fait la fontaine des 4-100-Q (des quatre sans cul). Je rouspétais au début, je trouvais ça drôle..." Maintenant, elle ne dit plus rien. Elle caresse dans la cour les oreilles d'un âne. "On dirait-y pas du velours? Et les yeux dirait-on que c'est des boutons? Vrai qu'elle est belle, la sienne. Elle a une belle chevelure, c'est le crin d'une banquette de voiture". Fernand intervient: "J'avais fait des centaures. Ils avaient les bras en l'air. Je me suis dit, pour les occuper, je fais faire une sirène... Et là, mon dragon, c'est un genre de chauve-souris. On voit ça dans le dictionnaire. C'était pas facile de faire les ailes. Je me suis dit je vais les faire ouvertes, c'est moins ordinaire. Au derrière, comme j'avais de la place, je lui ai fait une grande queue, au lieu de plumes..."
"Moi, reprend Marie-Louise, je lui donne des idées pour la peinture. Rouge et jaune, j'aime bien ça ensemble. D'abord les grilles, on les a peintes en rouge et jaune..."
Enfant de cultivateur, Fernand a d'abord été boulanger jusqu'à 27 ans. Puis il a épousé Marie-Louise, sa payse, fille de cultivateurs. Et ils ont repris une ferme, là-bas, dans la descente, là où il y a l'usine. Ils ont vendu le "noyau" - les bâtiments - à l'usine, sont venus s'installer là. "Il n'y avait que des prés, se souvient Marie-Louise. La maison a été montée de décembre 1960 à la Chandeleur 1961. On y est venu qu'en octobre. On restait culture, jusqu'à la retraite. Le patron a commencé à faire des clôtures..."
- "C'est bien bizarre, dit Fernand, L'idée nous vient d'occuper le terrain. On avait de la place, il y avait du vide. Je me suis dit si dans la clôture, je faisais des affaires entrelacées?"
- "Oui, mais attention, coupe-t-elle. Pas devant la porte..."
- "Ah, Ah, s'amuse Fernand, Madame, elle veut pas que je touche à la porte, ni à l'intérieur... J'ai fait des essais, Pégase, le cheval ailé du dictionnaire, et j'ai continué... je récupère dans les dépotoirs, chez les mécaniciens des bouchons de bouteille pour faire les yeux.Je m'ennuie point. Tout ça, ça vient en le faisant. Le matin, quand je dors pas, je cherche les complications. J'ai point le temps d'aller au club du troisième âge. Mais je n'ai aucun talent de dessinateur. Des fois je gribouille, je dis à la patronne, "ça ressemble à quelque chose?" Elle me dit "c'est bien, c'est pas bien, j'y mettrais une queue, une patte". Des fois, on est zéro en imagination. Je lui dis. Elle répond "laisse donc tout ça, tu nous hébètes avec tes machines" Et puis on repart. Au début, il y avait un représentant qui m'amusait pour me vendre une voiture. Un as du dessin. Il me faisait des sujets sur un papier... Moi, pour les physionomies, ça va pas".
- "Sauf Giscard, corrige Marie-Louise. Vous avez vu le gabarit, pour les visiteurs. Sa carcasse de grillage qu'il bourre de papier et recouvre de ciment? Il en faisait un. Je lui dis, c'est Giscard. Il me répond "Penses-tu, c'est pas Giscard" Je lui dis "c'est tout vrai, c'est Giscard" Et une touriste belge nous a photographié à côté de Giscard. C'est-y possible de s'amuser pareillement à nos âges!"
C'est l'hiver. Fernand a des sujets en réserve. Il nous montre son atelier, sa boutonnerie - une boîte à yeux - un coq qui pond, un Anglais, un accident de voiture, un cochon qui fait du boudin, récupéré par un autre sujet, mangé par un serpent. Des boxeurs. Un photographe. Bonjour écrit en grandes lettres sur la grille, à côté de la nationale. Un jour des fêtards avaient carambolé tous les sujets de Fernand. "Les gens du pays sont venus m'aider à tout relever", se souvient-il. "Les gens, ça les amuse".
"Ils ont le sourire, c'est pas croyable" dit Marie-Louise. "Encore une journée de passée. On prend la soupe à 6 heures, on regarde les chiffres et les lettres à sept heures". Fernand va vendre du bois. "Au printemps, dit-il, en montrant des rosaces peintes sur des cartons, en haut d'un hangar, ça pourrait bien tourner à faire des sujets là haut. L'imagination, ça occupe". "On nous demande de vendre. On veut pas. On aime bien voir ça, et tout le monde peut en profiter. Le patron fait ça pour son plaisir", dit-elle. Et lui termine en s'esclaffant. "Ca coûte, mais moins que si je faisais la bringue tous les jours".
01:41 Publié dans Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : environnements spontanés, art brut, fyé, fernand chatelain | Imprimer
06/10/2008
Pour servir à l'histoire de Marie-Louise et Fernand Chatelain, à Fyé dans la Sarthe (1)
Des photos qu'un camarade m'a transmises récemment m'ont ces jours-ci poussé à me préoccuper à nouveau des Chatelain, Fernand et Marie-Louise, qui vivaient à Fyé dans la Sarthe.
Fernand, boulanger, puis agriculteur à la retraite, auteur de dizaines de sculptures qu'il avait placées le long de leur terrain en bordure de la route du Mans à Alençon, était le maître d’œuvres, mais sa femme le secondait de ses conseils et surtout le soutenait dans sa marotte, ce qui n'a pas toujours été le cas chez d'autres créateurs de leur acabit (je songerai toujours à la femme de Virgili qui m'engueula, moi et un copain, en me traitant de "bougnoul" et autres noms d'oiseau, en m'engageant sans plus de manières à quitter le jardin où Virgili pourtant nous avait reçus avec amabilité - au Kremlin-Bicêtre - et continuait d'ailleurs de nous parler, en chuchotant: "ne faites pas attention, elle n'a pas toute sa tête, vous savez...").
Les Chatelain ont été connus d'abord bien sûr grâce à des articles dans la presse régionale, puis grâce aux ouvrages de Claude et Clovis Prévost, notamment le catalogue des "Singuliers de l'Art", l'exposition du musée d'art moderne de la ville de Paris, organisée en 1978. A cette époque, Chatelain avait confié aux Prévost qu'il avait commencé son environnement une douzaine d'années auparavant, donc au milieu des années 60. Né en 1899, il est mort en 1988. Les photos de Clovis Prévost semblent dater des années 70 (les dates sont importantes à propos des environnements!), et donc, paraissent pouvoir être prises comme base d'appréciation pour juger des couleurs, des techniques qu'employait Châtelain pour ses statues étonnantes.
Car cette œuvre (oui, n'en déplaise aux esthètes, on peut parler d'une œuvre) et cet environnement surprenaient par sa facture et son inspiration. Ils sont très différents des autres sites où se dressent des statues, plus naïves, ou relevant davantage d'un réalisme poétique (comme chez Gabriel Albert en Charente-Maritime, par exemple, ou chez Emile Taugourdeau dans la Sarthe lui aussi). Parmi les statufieurs, Chatelain était à part. Ses centaures, ses anges, ses bêtes fantastiques, parfois sans tête et siamoises (voir les deux animaux placés en 1983 sous les centaures dans notre photo en noir et blanc), ses diables, ses animaux et personnages toujours invariablement drolatiques, ses saynètes cocasses et infantiles, je n'en ai guère vu de pareils dans le corpus des environnements populaires.
Donc, oui, ce site était pour cette raison attachant, et nombreux étaient les amateurs qui ne se résignaient pas à le voir disparaître. On sait que depuis deux ou trois ans deux associations, en partenariat avec la mairie de Fyé, se sont occupées de restaurer le site gravement endommagé avec l'aide financière de la communauté de communes (on a parlé de 150 000 € débloqués...). J'étais personnellement passé en 2002, et j'avais enregistré ces dégâts sur les statues, qui, je dois aussi le dire, gardaient malgré la mort inscrite partout sur ces ciments fissurés, parfois éclatés, un certain charme, le charme qui s'attache aux ruines, comme on le sait depuis les romantiques et les folies du XVIIIe siècle (pensons au Désert de Retz). Ces restaurateurs, selon le plan de campagne des travaux, devaient normalement achever le chantier de remise en état de la quarantaine de statues répertoriées (mais il a dû y en avoir beaucoup plus, car certaines avaient été cassées, volées, ou données par l'auteur) cette année 2008.
Ces restaurateurs étaient armés de la meilleure bonne volonté, en apparence, à l'égard de l’œuvre de Fernand Chaâtelain. Effectivement, l'état dégradé de celle-ci faisait mal au cœur. Ils se sont documentés, notamment en regardant les photos de Clovis Prévost (leurs Centaures restaurés se basent à l'évidence sur les Centaures photographiés par Prévost dans les années 70, par exemple, or ces Centaures en 1983, possédaient d'autres sujets à leurs pieds, qui complexifiaient davantage la composition). Il semble qu'on se soit aussi basé sur des clichés de différentes périodes (et les images ne doivent pas manquer sur ces sites, abondamment photographiés par d'innombrables visiteurs et voyageurs). A quelle date doit-on s'arrêter pour choisir ce que l'on va décider de fixer par la restauration? Au début, au milieu, à la fin de l’œuvre? Chez Chatelain, les statues se métamorphosaient, soit du fait de la volonté ou des caprices des auteurs, soit à la suite des actes indélicats et du vandalisme (le sabot géant où est juchée à son sommet une étrange bête qui tient des animaux en laisse comme au bout de cannes à pêche n'eut pas toujours ces occupants ; il fut un temps où un énorme personnage assez grotesque et carnavalesque remplissait ce sabot de sa présence disproportionnée).
Il semble que les restaurateurs aient choisi sans trop faire attention à la question de l'époque. Les centaures sont restaurés d'après les années 70, et l'homme qui salue ("Bonjour aux promeneurs") au bord de la nationale est restauré tel qu'il était à la fin de l'existence de Chatelain (car le "salueur" lui aussi a eu des variantes). Cela donne donc un jardin avec des statues fixées à des stades correspondant à des époques distinctes. On a désormais affaire en 2008 à un nouvel avatar de ce jardin qui n'appartient plus à Fernand Chatelain à tous les sens du terme (les statues étaient liées à l'habitant, l'habitant n'est plus là, les statues disparaissent aussi, le musée et son inéluctable ossification prennent la place... Seulement, dans le cas de l'art brut, art de l'immédiat par excellence, le contraste est particulièrement choquant - enfin, pour ceux qui perçoivent cette caractéristique de l'art brut...).
Mais il y a d'autres raisons pour ne plus lui attribuer le jardin actuel. Le potager n'existe plus avec sa joyeuse sarabande de statues bizarroïdes, or il mettait une importante touche d'activité productrice à côté de ces œuvres (l'"artiste" avait été aussi agriculteur...), et cela rejaillissait sur ces dernières (voir ci-dessus la photo du sabot et son masque par Prévost). De plus, les statues ont été refaites pour la plupart, l'une des restauratrices, très "interventionniste", a même reconnu qu'elle avait changé les infrastructures, considérant que celles qu'avait mises Chatelain (il n'avait pas 150 OOO euros, certes...) étaient vraiment trop précaires. On n'a pas voulu de ce précaire-là, et on a donc refait les statues en se passant de cette fragilité (en changeant les armatures internes). Pourtant, tout était là, dans cette fragilité. L'esprit de Chatelain résidait là, dans cette légèreté. Ce que l'on a mis à la place n'est donc plus du Chatelain. Il y a eu captation d'héritage... On a tiré Chatelain du côté du cartoon (Laure Chavanne, qui dirigeait la restauration, comme l'avait relevé Pascale Herman sur son blog Les Inspirés du bord des routes, citant un interview de Mme Chavanne publié dans le bulletin Entré Visité Merci n°2, a insisté sur cette référence constitutive à ses yeux du caractère "vivant" de l’œuvre de Chatelain ; elle avoue ainsi l'orientation qu'elle a préféré mettre en avant, sans doute parce que plus en accord avec sa culture personnelle). D'autre part, les statues paraissent vouées à des positionnements dans l'espace qui ne correspondent plus aux emplacements (changeants cela dit) voulus par Chatelain. Enfin, les statues ne sont pas identiques en surface aux statues d'origine: par leur peinture, trop unie et violente, par le lissé des matières, par leur modelé (infiniment moins adroit, bien plus raide, que celui du créateur d'origine), et par toutes sortes de détails que nous signalerons plus en détail dans deux ou trois exemples à venir. Je le répète, Chatelain n'est plus là, on a voulu le continuer en réalité (et pourquoi pas, si rien d'autre ne paraît se présenter? Je m'insurge seulement contre le fait qu'on continue de parler du jardin humoristique de "Fernand Chatelain" alors qu'on devrait plutôt l'appeler de "Laure Chavanne et consorts", ou de "Ferlaure Chatevanne"...), en le cuisinant avec une nouvelle sauce (et on l'a bien "assaisonné"...).
OK, OK, on va dire, c'est facile de critiquer... Qu'auriez-vous fait, vous, à la place? Ce que je sais faire, informer, et fournir des éléments au débat. Ceux qui ricaneront sont des malhonnêtes. Ce sont généralement les mêmes qui, sous prétexte de haine à l'égard de toute réflexion, jugée invariablement comme une perte de temps, imposent leurs vues ou leurs actes, la plupart du temps brutaux et réducteurs, de façon dictatoriale. C'est vrai aussi que l'on peut être abusé par l'aspect flambant neuf de ces statues fraîchement repeintes. Laissons passer quelques années, me dit-on, ça redeviendra comme vous l'aviez connu... C'est oublier le maître d’œuvre qui cette fois n'est plus le même. C'est une collectivité cette fois, et plus seulement un petit pépé isolé travaillant à partir d'un vieux dictionnaire, avec les moyens du bord (mais qui avait la flamme poétique, lui...). Cependant, on pourra aussi se référer à la restauration exemplaire qui a été faite sur le Palais Idéal du facteur Cheval à Hauterives...
J'ai dans mes dossiers des tas de coupures de presse bien obsessionnellement entassées au fil des années. Histoire de laisser un peu la parole aux Chatelain cette fois, je ferai la prochaine note en reproduisant les propos qui leur sont attribués dans un ancien numéro de Libé des années 70. Tirés d'un article publié avant l'exposition des Singuliers de l'Art de 1978. Suspense...
10:03 Publié dans Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : clovis prévost, les jardins de l'art immédiat, virgili, laure chavanne, fernand chatelain | Imprimer
13/01/2008
Environnement à signaler
Je ne n'ai pas souvent l'occasion de citer le site web Art-insolite.com. Nous avons eu des mots en privé, suite aux critiques que j'avais formulées à l'égard de la restauration du site de Fernand Chatelain dans l'Orne (et les critiques, c'est décidément trop insupportable).
Et puis, le site s'intéresse en majorité à des créateurs et des "plasticiens" (comme les snobs préfèrent les appeler) qui relèvent davantage de l'art singulier du type "tête à Toto" (ce faisant, ils ne se rendent pas compte qu'ils sont en train de tuer l'intérêt qui aurait pu croître davantage pour les créateurs véritablement authentiques de l'art singulier) que de l'art véritablement d'essence populaire et naïve, voire brute. On y mélange allègrement les créateurs d'environnements relevant de l'art contemporain (Jean Linard, René Raoult, Jacques Warminski ou Raymond Moralés par exemple, qui se rapprochent de créateurs type Niki de Saint-Phalle par le contenu de leurs références culturelles) avec les inspirés d'origine populaire (anciens ouvriers, artisans, paysans). Ces derniers me touchent souvent davantage, par la fraîcheur de leur démarche. Quant aux "singuliers", envahis de plus en plus par des faiseurs et des arrivistes bâcleurs qui jouent aux artistes, il paraît urgent de monter des expositions qui puissent faire le tri (c'est ce que je me suis employé à faire pour ma part au Festival d'Art Singulier d'Aubagne en 2006, en présentant à l'amicale instigation de Danielle Jacqui et Frédéric Rays, 16 créateurs).
De temps en temps cependant, de loin en loin, les animateurs d'Art-insolite.com font une découverte du côté des créateurs populaires. Je ne suis pas dogmatique. Je ne vois donc pas de raisons de ne pas citer ces découvertes, afin de servir une information objective. Je reproduis ici deux photos, récupérées vaille que vaille, c'est-à-dire mal, sur Art-insolite.com, montrant un petit environnement du Perche, quelques statues naïves dues à un certain Pierre Hodcent. Je les trouve assez belles et sympathiques.
Libre aux internautes qui le désirent d'aller sur ce site voir plus confortablement les photos originales (qui jouent à apparaître et disparaître de façon particulièrement agaçante, "tu m'as vue? Coucou, je m'en vais..."; Heureusement, on peut quand même les bloquer...). Cliquer sur ce lien pour cela.
15:00 Publié dans Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : environnements spontanés, pierre hodcent, art insolite, jean linard, rené raoult, fernand chatelain | Imprimer