07/07/2014
Une hypothèse inédite que je formule au sujet de certaines sculptures de l'ermite de Rothéneuf
Voici donc l'été des vacances, l'époque de transhumance (enfin, pour les plus chanceux d'entre nous parce que l'étau du travail se resserre de plus en plus, même sur ceux qui n'en ont pas, en chercher, ou simplement survivre étant une autre forme d'aliénation). Et donc, pour ceux qui partent, si vous allez du côté de Rothéneuf, à côté de St-Malo, allez donc regarder de plus près ce qui subsiste des sculptures de l'abbé Fouré.
Abbé Fouré en pose sculpteur, vers 1908? Coll. BM
Le temps passant, on le sait, les roches sculptées il y a plus d'un siècle à présent (de 1894 à 1908) s'estompent toujours plus, certaines ayant disparu depuis longtemps (voir carte ci-dessous).
Sur cette carte colorisée, on aperçoit de dos des statues de Bretonnes, épouses fouillant du regard l'horizon dans l'attente du retour de leurs maris marins ; les deux femmes représentées en pied et peintes en blanc (l'abbé on le sait peignait ses statues) ont aujourd'hui disparu, sans qu'on sache exactement à quelle époque ; on notera cependant leurs emplacements, en hauteur, disposées qu'elles sont sur des sortes de socles de roches faisant piédestal ; coll. BM
C'est pourquoi les touristes qui passent ayant de plus en plus de mal à discerner les sculptures, chaque jour qui passe les ayant passablement érodées, et confondu avec le commun des autres roches de la falaise, les touristes se concentrent logiquement sur ce qu'ils peuvent plus facilement voir, certaines têtes restées nettement visibles et comme placées en évidence, trois en particulier, une de forme triangulaire avec son menton en pointe de botte, une avec un bonnet de marin à moins que ce ne soit d'un lutin (nain de mer au lieu de nain de jardin?), et une autre belle tête de vieux loup de mer, barbu.
Abbé Fouré, tête de profil triangulaire, ph. Bruno Montpied, 2010
Abbé Fouré, l'homme au bonnet (de marin ou de lutin), ph.BM, 2010
Abbé Fouré, le barbu les yeux clos (?), ph. BM, 2010
Ces trois-là sont de la belle sculpture savante, taillée avec maestria et inspiration. Justement... Tout à coup, depuis quelque temps, cela me rend perplexe. Si les autres sculptures, correctement déchiffrables sur les anciennes cartes des années 1900 et parfois encore aujourd'hui ici ou là, montrent que l'abbé parvenait dans son art à un certain réalisme puissant, appuyé toujours sur la forme naturelle donnée au départ par la roche brute, ces trois sculptures-là sont d'un style plus affirmé, infiniment moins rognoneux que les autres, plus rondes généralement (il paraît que Raymond Humbert, le fondateur du musée d'art populaire de Laduz, trouvait ces formes assez analogues à des étrons, que l'on me pardonne cette digression peu romantique). Et puis, autre argument qui accentue ma perplexité parce que plus frappant, on ne les voit apparaître sur aucune carte éditée du vivant de l'abbé (et même après, dans les années 20-30)...
Alors? Qu'est-ce à dire? Ne serait-ce pas qu'elles sont "arrivées" sur le site à une époque bien ultérieure, dans la seconde moitié du XXe siècle, après la seconde guerre, de façon posthume donc, transportées là par l'exploitant des rochers de l'époque qui reprenait l'exploitation des Rochers après l'occupation de Rothéneuf par les Allemands, le fameux Henri Brébion, auteur d'une brochure appelée "la Légende des Rochers Sculptés" où il se livre à des interprétations fantaisistes purement subjectives (reprises ensuite à l'envi par tant de plumitifs peu rigoureux jusqu'à nos jours) sur une histoire de famille de corsaires qu'aurait voulu représenter l'abbé dans ces rochers? Il aurait pu, de même que dans ses "légendes", dans l'agencement des sculptures sur le site originel, se livrer à des modifications en voulant "l'améliorer"...? Si mon hypothèse se révélait fondée, il faudrait alors s'interroger sur celui qui a réellement sculpté ces trois pièces. Est-ce bien l'abbé lui-même qui les aurait stockées à part? Dans ce cas, où étaient cachées ces sculptures que l'on ne voit ni sur les cartes des rochers début 1900 ni sur les cartes montrant l'intérieur du musée de l'ermite dans le bourg? Est-il possible d'imaginer que l'abbé les a sculptées à part et planquées, remisées sans jamais les laisser se faire photographier? Connaissant son goût de la communication via les éditeurs de cartes postales (il en existerait environ 400 paraît-il), cela paraît curieux à tout le moins, d'autant que ces sculptures paraissent les plus belles parmi celles qu'il a faites (trop belles?). On notera enfin qu'elles occupent aujourd'hui une position en hauteur, ou à tout le moins des emplacements situés de façon à bien les voir, comme si elles avaient été destinées à remplacer les statues des femmes bretonnes en train de guetter disparues à un moment donné (vol? Déplacement? Destruction?).
Peut-on imaginer que ces trois têtes sculptées soient le résultat d'une manipulation restée inaperçue, et qu'elles soient en bref dues au ciseau d'un autre sculpteur? Je lance l'hypothèse...
17/05/2014
Les Rochers de l'Ermite de Rothéneuf: une source photographique différente des cartes postales
Cette note contient une petite mise à jour (en rouge)
Plaque photographique en verre réalisée par un anonyme, probablement une plaque de projection (positif sur plaque de verre), 8,5 x 10 cm: j'aurais envie de dater la photo entre 1910 et 1920, après 1918 en tout cas, vu les vêtements portés par les visiteurs des rochers, et donc après la mort de l'abbé Fouré (il semble que de son vivant il ne laissait pas souvent les photographes travailler sans sa présence sur les clichés ; il existe cependant des photos sur certaines cartes postales où il ne figure pas...) ; je rappelle que sa mort date de 1910 ; un autre détail milite pour une année d'après la mort de l'abbé, les piquets, troncs d'arbustes, qui servent de balises pour les sentiers où passer pour se rendre jusqu'aux moindres détails des roches sculptées ; il me semble que ces piquets apparurent du temps des exploitants des Rochers, la famille Brébion, soucieuse sans doute de sa responsabilité vis-à-vis des estivants qui s'aventuraient sur ses rochers peu faciles à arpenter, parfois glissants...
Le bras de mer à marée haute, vu depuis les rochers et du gisant de St-Budoc, là où se trouvaient les figurants de la plaque de verre récupérée par moi auprès d'un ami brocanteur ; c'est sur ses rochers situés en face des rochers sculptés qu'était placé le photographe
Qu'est-elle devenue, cette jeune fille dont le visage reflétait ce jour-là, pour le photographe situé par delà le gouffre, de l'autre côté du ressac, une expression peu commode? La photo paraissait faite pour eux, elle en robe légère, car il devait faire chaud) et son compagnon à la cravate nichée étroitement dans un haut col dur (qui devait passablement l'étrangler), ainsi que pour deux femmes sur leur gauche, moins concernées semblait-il...
Les deux femmes à droite, un peu avachies, accompagnaient-elles le couple qui faisait face au photographe?
Les plaques photographiques positives sur verre de taille 8,5x10 cm, ancêtres des diapositives, ont, paraît-il été utilisées fin XIXe début XXe siècle, avec possibilité d'avoir duré jusqu'en 1920-1930, ce qui paraît possible ici justement. Sur cette vue, les rochers sculptés ont bien moins d'importance que les humains, contrairement à beaucoup d'images, par exemple dans les cartes postales plus connues sur ces rochers taillés par le fameux abbé Fouré, dont j'ai déjà eu maintes fois l'occasion de parler sur ce blog.
De tous ces figurants des temps enfuis, reste-t-il le moindre survivant? Ils ont toutes les chances d'être partis au pays des fantômes, hormis peut-être la petite fille devant le gisant et le tombeau de Saint-Budoc, le patron de l'ermite, qui donne la main à sa mère prudente, et qui tient de l'autre peut-être un cornet de glace qu'elle déguste avec concentration... Si la photo date de 1920, elle aurait 100 ans aujourd'hui, car je lui suppose six ans à l'époque du cliché. Elle n'aurait de toute façon pas pu avoir de souvenirs de l'abbé, étant née après sa disparition. C'est du reste rappeler qu'il n'y a plus aujourd'hui la moindre chance de rencontrer encore quelqu'un qui aurait pu rencontrer l'abbé, du genre de ce vieil homme qui raconta dans les années 80 à un jeune homme que je croisai dans les rues de Rothéneuf (dans les années 90) qu'il se souvenait de l'ermite qui l'avait pourchassé dans les rochers, parce que l'enfant qu'il était alors avait commis quelque déprédation sur les sculptures sans doute. L'abbé courait après lui en poussant des sortes de borborygmes, en rapport peut-être avec sa surdité... Cette anecdote me pousse toujours à me représenter l'abbé tel une sorte de Quasimodo grotesque poursuivant simiesquement les importuns en sautant de roche en roche...
28/05/2011
Déchiffrer les messages d'outre-tombe de l'abbé Fouré... (A propos du site de l'ancienne Croix de l'Ermite)
Non, tout n'est pas dit sur l'abbé Fouré, ses rochers et ses bois sculptés, sa bonne (oui, il avait une bonne du curé, comme nous l'a appris le livre paru récemment de Jean Jéhan, elle s'appelait Marie Lefranc et maintenant à Rothéneuf, les fins limiers de l'Association de Joëlle Jouneau sont à la recherche de ses descendants, avis à la population, s'il y en a un qui surfe sur internet, il est le bienvenu ici)... Tout n'est pas dit, et loin de là!
L'abbé Fouré lisant, vers 1906, son journal réactionnaire favori (Le Salut, devenu collaborateur pendant la guerre ultérieure de 39-45, si je me souviens bien...) ; à sa gauche, à terre on distingue le gisant d'un homme d'épée avec hermine à sa tête (symbole de la Bretagne), et inscription en latin "Olim fuit" ("Il fut, jadis")
Photo Bruno Montpied, 2010
En particulier, les amateurs se rappellent le gisant sculpté par l'abbé situé à quelque encablures du site principal des rochers, sur le chemin des douaniers (ou des contrebandiers, selon l'idéologie que l'on défend...), soit dans une zone pour laquelle personne n'eut jamais l'idée saugrenue de faire payer un droit de péage. A ce propos, on peut toujours s'étonner de la rupture qui est faite au niveau du site des Rochers sculptés de ce chemin qui aurait dû normalement suivre le littoral, or il a été détourné, et ce depuis des lustres, à la suite d'on ne sait quel passe-droit apparemment. Mais revenons à nos moutons et en l'occurrence au site actuellement appelé "de la Croix du Christ" (et anciennement appelé "de la Croix de l'Ermite", croix qui du reste était plantée à un endroit plus éloigné de quelques mètres de l'emplacement actuel).
Emplacement de la Croix du Christ, vue zoomée depuis les rochers, ph. BM, 2010
Il a été dit par Frédéric Altmann dans son livre de 1985, La vérité sur l'abbé Fouéré (éditions AM, Nice), que le gisant situé à côté de la croix était à n'en pas douter un certain "Saint-Judicaël, roi de Dommonée"... Il ajoute que ce n'est pas "Jean, duc de Bretagne", qu'il qualifie (légèrement, comme on va le voir) "d'inscription fantaisiste". De cette affirmation, il n'apporte aucune preuve (d'où sort-il cet invraisemblable Judicaël, je me le demande depuis des lustres?). Du coup, Jean Jéhan, dans son propre récent livre, lui emboîte allégrement le pas sur ce détail. Altmann apporte cette affirmation aux pages 113 et 114 de son livre. Il reproduit une carte qui ne porte pas le cachet de l'abbé (celui-ci authentifiait ses cartes avec un cachet surtout -je pense- pour contrer le commerce de cartes non autorisé par lui), carte où l'on peut lire, en guise de légende du gisant: "Rothéneuf, rochers sculptés. Jean, duc de Bretagne". Voir ci-dessous:
Certes, il n'y a pas le cachet de l'abbé. Altmann veut y voir une preuve que la carte est légendée de façon suspecte ; or, même si le commerçant qui l'édita ne paya pas de droits à l'abbé, cela n'implique pas qu'il ait mal travaillé automatiquement dans les légendes qu'il imprimait. Il fallait trouver un indice plus stable pour confirmer ou infirmer cette légende. La preuve que la légende est correcte m'a été enfin fournie par une autre carte que j'ai découverte tout récemment et que je ne me souviens pas avoir vue éditée ailleurs. Je la reproduis ci-dessous:
Ah, bien sûr, ce n'est pas évident à déchiffrer, surtout sur un écran d'ordinateur peut-être. La photo sur la carte n'est pas de très bonne qualité qui plus est. Alors, la maison ne refusant rien à ses lecteurs, je m'en vais vous l'agrandir en entourant d'un trait photoshoppeur l'inscription tracée à la main sur le rocher situé à gauche prés du gisant, ce même rocher contre lequel l'abbé s'appuie sur la carte où il lit "le Salut". Car, oui, il y a bel et bien une inscription!
Sur ce rocher, l'inscription, tracée de la main de l'abbé (la graphie est assez proche d'autres inscriptions qui étaient visibles autrefois sur le site des rochers, voir ci-dessous), peut se reconstituer ainsi: "Jean IIII (ou IV), duc de Bretagne"... L'abbé maîtrisait-il mal les chiffres latins? On croit lire en effet quatre I, mais peut-être est-ce seulement la faute à l'imprécison de la photo. Il me semble que nous avons là une preuve à peu prés certaine du sens que prêtait l'abbé à son gisant. On sait en effet (grâce à l'historien régionaliste Noguette, alias Eugène Herpin, qui se fit le mémorialiste partiel de l'abbé), que l'abbé était entiché de patriotisme breton. L'histoire de ce "Jean IV" ne pouvait que le retenir. Chef de la Bretagne, il en avait été chassé par le roi de France Charles V en 1378, qui voulait réunir la Bretagne à sa couronne. Jean IV avait dû s'exiler en Angleterre. Rappelé par les nobles bretons, il débarqua à Dinard (comme on sait ville toute proche de St-Malo), fit la guerre à Charles V et reconquit la Bretagne. Ces faits d'armes (encore chantés aujourd'hui en Bretagne paraît-il, voir Gilles Servat) ont dû grandement impressionner l'abbé!
Inscriptions qui se lisaient dans les rochers du vivant de l'abbé, apposées par lui ou en tout cas avec son accord, décrivant des personnages qui semblent avoir été inventés par l'abbé qui rêvait sur les anciens habitants de Rothéneuf ; leurs noms étaient apposés au-dessus des personnages sculptés qu'ils étaient chargés de légender, au nombre desquels se trouve un Jacques Cartier ; à noter aussi que le chiffre latin IV est correctement orthographié ici ("Jean IV fainéant"...) ; la graphie paraît très proche de celle du rocher du gisant
Sceau de Jean IV, Duc de Bretagne ; on notera les hermines sur son écu et son pourpoint, ainsi que l'épée, deux détails que l'on retrouve sur le gisant sculpté par l'abbé
A noter que l'association des amis de l'œuvre de l'abbé Fouré, animée par Joëlle Jouneau, se propose de faire nettoyer dans les mois qui viennent cette fameuse sculpture de gisant qui actuellement devient difficile à "lire", étant donné les nombreux lichens qui la couvrent.
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31/12/2010
Voeux...
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20/12/2010
Rothéneuf sous la neige, une sculpture de l'abbé Fouré réapparaît
Le ciel était incroyablement noir en plein jour, la neige hésitait entre le gel et la déliquescence glacée. Ilot de lumière et de chaleur relative, une salle des fêtes sans fête abritait une exposition consacrée à l'ermite de Rothéneuf qui ne fut jamais vraiment un ermite.
Vue de la nouvelle salle de quartier de Rothéneuf où se tenait (le 18 décembre seulement) une expo sur l'abbé Fouré montée par l'Association des amis de l'oeuvre de l'abbé Fouré, ph. Bruno Montpied, 2010
On essayait de reconstruire l'œuvre, sa signification, ses sujets, comme dans une course après un gibier qui fuirait toujours plus dès qu'on s'en rapproche. Où étaient les visiteurs? Une petite trentaine, des gens âgés surtout, transis, grelottant sous d'épaisses couches de vêtements, qui avaient risqué les routes annoncées glissantes, dangereuses. Pour venir jusque là, du reste, il semblait qu'il ne pût y avoir que les taxis comme moyens de locomotion, ces derniers devant être pourvus de moyens magiques auxquels le conducteur ordinaire ne pouvait avoir accès... L'organisatrice se démenait, bien seule, ses rares aides l'ayant abandonnée, bloqués par les routes enneigées ou en retard. Le spécialiste parisien de l'ermite était là, lui, fidèle au rendez-vous, en dépit de ses éternels problèmes intestinaux. On l'enrôla comme magasinier, factotum, accrocheur de panneaux...
Vue de l'exposition dans la grande salle de quartier, ph.BM
Il y avait aussi un autre spécialiste présent, le régional de l’étape, retenu avant tout par la signature de son dernier livre, car il était là pour le vendre après tout, il ne participait en rien à l’organisation pratique de l’expo qui se montait devant ses yeux, ayant pris du retard.
L'organisatrice recevait pendant le même temps coups de téléphone sur coups de téléphone qui paraissaient destinés à lui ruiner le moral.
Tout ce travail ne se déployait que pour une journée, l’exposition devant être déménagée plus loin dans un autre local plus petit où l’accrochage s’annonçait moins volumineux. On s'agitait et on bossait comme des perdus pour une esquisse d'exposition permanente dans un lieu en plein hiver où l'on pouvait être assuré que l'on ne rencontrerait pas le moindre touriste en une telle saison. Il flottait un parfum très fort d'inanité sur tout cela...Est-ce pour cette raison que l'hiver et la neige m'apparurent menaçants, mortels? Les problèmes intestinaux y contribuaient aussi probablement...
Une sculpture inconnue de l'abbé Fouré réapparaît..., photo BM
Au milieu de ce qui aurait pu tourner finalement à la cagade généralisée, survint paradoxalement le petit miracle: apportée par une dame d'un âge avancé, apparut comme par enchantement une sculpture inconnue de l'abbé Fouré! Signée sur son socle, et datée de 1904 avec une autre inscription, "Oeuvres de l'ermite de Rothéneuf". Le pluriel sur "oeuvres" était curieux. L'objet, paraissant représenter un bouquet de roses, provenait de la fille - devenue la dame d'un âge avancé, s'appuyant sur une canne - de la personne à qui avait été offerte originellement la petite sculpture. Le nom de cette dernière se lisait sous le socle: Joséphine Macé, avec une date, 1910. La date même du décès de l'abbé, et de la vente aux enchères de ses meubles et sculptures... De là, à imaginer que cet objet avait été acquis à cette vente aux enchères où plusieurs habitants eurent à coeur d'emporter un souvenir de l'abbé (selon ce qu'en raconte Noguette dans son article "Au gré des enchères", voir mon dossier sur l'abbé Fouré dans L'Or aux 13 îles n°1), il pourrait n'y avoir qu'un pas.
10/12/2010
Un nouveau livre sur les Rochers sculptés de Rothéneuf, et une exposition sur place
Annoncé depuis plusieurs mois, voici qu'est paru, selon une information de Joëlle Jouneau, fondatrice de l'Association des Amis de l'Abbé Fouré (qui veut se consacrer à mieux faire comprendre la vie et l'oeuvre du fameux ermite), le livre du photographe et cinéaste Jean Jéhan, Saint-Malo-Rothéneuf, au temps des Rochers Sculptés, aux éditions Cristel. Je peux montrer ici, transmis par cette même Joëlle, la couverture et le 4e de couv de cet ouvrage qui paraît fort coquet ma foi:
Couverture du livre de Jean Jéhan, éd Cristel, préface d'Alain Bouillet, 2010
4e de couv' avec un curieux photomontage
On notera le format italien du livre qui paraît par son titre (ne mentionnant curieusement pas le nom de l'auteur des rochers sculptés) mettre l'accent avant tout sur l'aspect régionaliste du thème traité, annonçant des reproductions de cartes postales anciennes, ainsi que des photographies en noir et blanc de l'auteur extraites des 300 clichés de sa collection personnelle (prises à des époques où certaines statues, disparues depuis, existaient encore, ce qui permet de mettre en évidence la dégradation du site). Dès que j'aurai pu davantage le consulter, j'y reviendrai bien entendu (puisque mon blog sert de caisse de résonance à ma propre recherche sur l'abbé depuis déjà plusieurs notes). D'ores et déjà, on attend avec impatience de trouver dans le livre de Jean Jéhan la reproduction promise de plusieurs pages du Livre d'Or de l'abbé, que celui-ci gardait à la disposition des visiteurs de son petit musée dans le bourg. Ce livre d'or contiendrait des dessins de l'abbé. Une rumeur court ainsi comme quoi certaines "enluminures" de ce livre, les dragons ci-dessous par exemple (reproduits d'après une photocopie d'un autre article paru cette année dans Le Pays Malouin sur l'existence de ce Livre d'Or, conservé jusqu'à présent par une descendante de l'abbé), seraient de la main de l'abbé, ce qui serait, si cela s'avère bien attesté, une belle découverte de la part de M. Jéhan.
"Enluminure" du Livre d'Or de l'abbé, tel que parue dans un numéro du Pays Malouin, journal de la région de St-Malo
Autres révélations que l'on devrait aussi trouver dans ce livre de Jean Jéhan, des témoignages de personnes ayant connu dans leur enfance l'abbé, personnes disparues depuis. Le Pays malouin cite l'anecdote rapportée par l'une d'elles des bains de sable que l'on faisait prendre à l'abbé pour le soulager de ses rhumatismes... De même, le caractère taciturne et pour le moins taiseux du personnage se trouve corroboré dans ces témoignages (mais s'il avait des difficultés d'élocution engendrées par sa surdité, cela ne pouvait que le rendre taiseux, non?...). On attend certes beaucoup de ce livre que d'aucuns présentent déjà, de façon pour le moins précipitée comme celui qui traiterait enfin de "l'intégralité" de l'abbé Fouré... Attention de ne pas lui en demander trop. Mais il faut certes se féliciter de ce qu'un ouvrage sérieux ait enfin paru sur les terres mêmes de l'abbé Fouré, cent ans que ses mânes, errant entre les falaises de Rothéneuf, attendaient cela.
Joëlle Jouneau me signale par ailleurs que le livre reprend « en annexe » le Guide du Musée de l‘ermite de Rothéneuf dont on se souviendra peut-être que j’ai donné au début de cette année, date anniversaire des cent ans de la mort de l’abbé Fouré, dans le n°1 de la revue apparentée au surréalisme L’Or aux 13 îles la première édition commentée depuis son édition originale en 1919. Je ne suis pas mécontent de vérifier qu’une fois de plus, face aux partisans de l’art brut, les surréalistes auront encore tiré les premiers ! (Ce qui explique peut-être l’attitude assez mesquine d’une Animula Vagula, sur un blog parallèle, qui s’empresse de ne pas mentionner notre première édition lorsqu’elle apprend avec ravissement la publication prochaine du livre de M. Jéhan - éternelle jalousie du parti de l’art brut ?).
Mais revenons à Joëlle Jouneau. Cette dame, intéressée vivement à la vie et à l'oeuvre de l'abbé, surprise comme beaucoup de visiteurs des rochers que l'on n'ait jamais songé sur place à communiquer davantage d'informations véridiques sur le compte de l'abbé, au lieu de se contenter des légendes créées de toutes pièces par les ancêtres des gérants du lieu, cette dame a décidé de créer donc une association qui se donne pour mission d'aider à restituer la mémoire et le sens de l'oeuvre de l'abbé. Il va de soi que je m'associe pleinement à cette mission. C'est pourquoi je viendrais à la journée du 18 décembre prochain à la salle de quartier de Rothéneuf, qu'organise Joëlle Jouneau en prélude à une exposition qui sera ensuite installée au manoir Jacques Cartier qui vient d'être donné à la Ville de St-Malo par la fondation canadienne qui le gérait jusque là. Voir l'affiche ci-dessous:
Je devrai normalement, au cours de la soirée, si la technique ne nous fait pas faux bond, présenter un film surprise sur la question des environnements spontanés contemporains afin de situer les rochers sculptés dans un contexte plus général (je donnerai bientôt plus de détails à propos de ce film). L'exposition essaie de retracer l'ensemble de ce que l'on sait du parcours biographique de l'abbé, et de la signification de ses sculptures sur pierre ou sur bois, à partir des recherches des divers exégètes de l'abbé Fouré .
22:58 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Environnements populaires spontanés, Photographie, Poésie naturelle ou de hasard, paréidolies | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : abbé fouré, ermite de rothéneuf, éditions cristel, rochers sculptés de rothéneuf, jean jéhan, joëlle jouneau, bruno montpied, l'or aux 13 îles, guide du musée de l'ermite, environnements spontanés, jacques cartier | Imprimer
10/08/2010
Postérité des environnements (3): Abbé Fouré, avant, après...
Il est rare je trouve, lorsque d'aventure on s'intéresse aux rochers sculptés de l'ermite de Rothéneuf, de son vrai nom, Adofe-Julien Fouré (Fouéré pour l'état-civil, mais lui signait Fouré), de présenter parallèlement ce qu'il reste de ces rochers sculptés en bordure de mer avec ce qu'ils furent à l'origine. Cent années (depuis la mort de Fouré) séparent les vestiges actuels (car c'est le mot, des vestiges...) des pierres taillées du début du XXe siècle. L'usure, peut-être des vols, et/ou des descellements, les ruissellements, les lichens vérolant les formes de taches disgracieuses, toutes ces causes se sont liguées pour entamer le grand travail d'effacement de la roche rognonneuse péniblement amenée par l'abbé en seulement quinze ans (il habita Rothéneuf de 1894 à 1910) à l'état d'hallucinations figées. L'inconscient naturel reprend lentement ses droits sur l'inconscient humain.
14/04/2010
Fouré niouses
Cette note comporte une mise à jour
Petit rendez-vous sur les ondes à ne pas manquer si cela vous attire, vendredi soir à 22h30 dans l'émission Muzar de Radio-Libertaire, présentée par Nathalie Mc Grath, Jean-Christophe Belotti accompagné d'un sciapode sautillant, ainsi que de Roger Renaud et Alexandre Pierrepont, viendra faire une causerie autour du numéro 1 de sa revue L'Or aux 13 îles. Cela sera aussi l'occasion de parler de l'abbé Fouré et du dossier sur les bois sculptés inséré dans ce n°1 en compagnie de quelques rares documents sur l'ermitage et ses sculptures évanouies. Hélas, nous ne diffuserons aucun enregistrement de l'abbé, borborygmant à souhait parmi les embruns (sourd, il avait en outre, semble-t-il, quelques difficultés à s'exprimer oralement). Peut-être simplement sera-ce l'occasion de glisser quelques enregistrements de musique traditionnelle bretonne ou quelque ancienne complainte de marin (comme le guide du musée l'évoque à un détour de la visite, une oeuvre campant "un chanteur de complainte")? Contentons-nous pour le moment de cette grimace de l'abbé, qui semble bien une pitrerie destinée à amuser les bourgeois endimanchés qui l'entourent, à côté du "dernier des Rothéneuf" qui "protégeait sa femme" du monstre marin situé en contrebas, tout cela dans les rochers sculptés de la côte de Rothéneuf. On notera sur ce cliché l'état de fraîcheur des peintures qui recouvraient la statue de cette effigie confortablement barbue.
Pour revenir à la revue belottienne, il faut ajouter quelques nouvelles librairies parisiennes à la liste déjà signalée, toutes situées dans le Ve ardt. Elle est désormais également disponible à l'Arbre à lettres, 2 rue Edouard Quenu. Aux Autodidactes, 53 rue du Cardinal Lemoine, à la Galerie La Sorbonne, 52 rue des Ecoles. Et chez Compagnie, 58 rue des Ecoles. On espère pouvoir incessamment la voir déposée en Bretagne, où, me dit-on, quelques amateurs particulièrement bien documentés auraient autre chose à révéler sur le fameux abbé. Lyon, Marseille et Bordeaux l'auraient également en vente dans quelques bonnes adresses. Enfin on la trouve depuis peu à Clermont-Ferrand et à Murat, grâce à l'homme de Recoins, revue amie concoctée par Emmanuel Boussuge, adresses: Bouqui'Disk, rue des petits gras à Clermont, et Aux Belles Pages à Murat (mon rêve enfin réalisé: être distribué dans le Cantal!).
Il faut signaler qu'un documentaire existe sur l'abbé Fouré, de Frédéric Daudier et Olivier Gouix, intitulé "L'Homme de granit, le sculpteur des rochers de Rothéneuf" (co-production Arcanae-TV Breizh-DRC Films). Il dure 52 min et date de 2002.
Enfin, signalons un article de Mme Virginie David paru dans Le Pays Malouin du 8 avril dernier qui permet aux lecteurs de la région de St-Malo d'apprendre l'existence de notre revue et de son dossier sur Fouré. Grâces lui soient rendues...
00:11 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : abbé fouré, ermite de rothéneuf, rochers sculptés de rothéneuf, art brut, environnements spontanés, l'or aux 13 îles | Imprimer
02/02/2010
Il y a cent ans mourait l'abbé Fouré: le Guide de son Musée des bois sculptés réédité dans un dossier signé Bruno Montpied
Ouf, ça y est enfin, est paru le dossier que je préparais depuis des lustres sur les sculptures en bois de l'abbé Fouré, parfois appelé aussi l'ermite de Rothéneuf. Il sort dans une revue nouvelle, L'Or aux 13 îles, d'inspiration surréalisante, concoctée par le poète et collagiste Jean-Christophe Belotti, qui en l'espèce avec la collaboration d'un bon maquettiste, Vincent Lefèvre, a réalisé là un très bel objet (108 pages, illustrations noir et blanc et couleurs en majorité) .
N°1, janvier 2010. Cent ans après la mort de l'abbé, je tire ainsi mon chapeau à la mémoire de cet extraordinaire sculpteur de roches à l'air libre (sur la côte, au-dessus de la Manche, nous sommes dans la banlieue de St-Malo, dans un bourg qui fut autrefois du temps de l'abbé, au début de l'autre siècle, une station balnéaire en vogue) et sculpteur aussi, ce que l'on sait un peu moins, de bois aux formes tourmentées qu'il entassait dans son "ermitage" au coeur du bourg. Les cartes postales ont popularisé ces statues géniales qui étaient joyeusement peinturlurées en outre (ce que les cartes en noir et blanc ne révèlent malheureusement pas).
Le dossier se divise en deux parties, une introduction qui resitue le personnage, son oeuvre, et retrace également les étapes qui m'ont mené à découvrir vers 1989 l'existence d'un document étonnant que personne jusqu'ici n'avait songé à rééditer en son intégralité (en l'occurrence, en fac similé), le Guide du Musée de l'ermite, daté de 1919 (la même année que La Vie de l'Ermite de Rothéneuf, autre petite brochure plus biographique dûe à la plume de l'historien régional Eugène Herpin, dit "Noguette" et imprimée dans la même maquette chez le même imprimeur de St-Malo (R. Bazin)). Les lecteurs de ce modeste blog se souviendront peut-être que je l'ai mis en ligne ici même à la date du 24 septembre 2009. Ce Guide décrit par le menu les oeuvres que conservait le musée après la mort de l'abbé. Dans cette réédition de L'Or aux 13 îles, j'ai bien entendu mis en parallèle les cartes postales montrant les oeuvres décrites. Tout fonctionnait ainsi à merveille à l'époque pour les estivants qui visitaient l'Ermitage de Haute-Folie (tel était le nom de l'habitation de l'abbé). On pouvait repartir avec un guide et des images sur cartes postales. Ces dernières sont plus rares aujourd'hui que celles représentant les rochers sculptés, car les pièces sculptées et l'ermitage ont désormais disparu tandis que les rochers subsistent, sans qu'on sache très bien à quel moment l'anéantissement eut lieu (il faudra faire confiance aux chercheurs qui nous suivront pour éclairer ce point).
Pour marquer le coup de cette parution (veuillez lire les renseignements pratiques pour l'acquisition de la revue au bas de cette note), je ferai un exposé sur l'abbé Fouré à l'auditorium de la Halle Saint-Pierre, 2, rue Ronsard à Paris (18e ardt), le dimanche 7 février prochain à 15 heures, illustré de photos des sculptures de l'ermite, sur bois et sur roches. Jean-Christophe Belotti sera également là pour présenter la revue et toute l'étendue de son sommaire qui ne se limite pas, loin de là, à mon dossier sur l'ermite. On y trouve de nombreuses collaborations, un dossier fort important sur le peintre surréaliste discret Jean Terrossian, un article sur le film Démence de Jan Svankmajer, des textes polémiques à propos de Sade et de Nadja par Jean-Pierre Guillon pour le premier, et par Jorge Camacho, Bernard Roger et Alain Gruger pour la seconde, une enquête sur l'exaltation avec des réponses de Roger Renaud qu'illustrent des oeuvres de Josette Exandier fort belles ma foi. Le tout coiffé d'un éditorial rédigé par Jean-Christophe Belotti dont les collages parsèment la revue.
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24/09/2009
La Vie de l'abbé Fouré, par Noguette (1919)
Il y a 90 ans cette année, soit donc en 1919, paraissait la première biographie consacrée à l'Ermite de Rothéneuf, l'abbé Adolphe-Julien Fouré, connu pour avoir sculpté non seulement les rochers de la côte, sur le site de la Haie, dans le bourg de Rothéneuf, mais aussi toute une série de statues en bois étonnantes qu'il montrait dans le village même, dans l'enceinte de son Ermitage.
Pour fêter en quelque sorte cet anniversaire, j'ai décidé de publier ici le texte de cette courte biographie, ce que personne n'a eu l'idée de faire depuis sa première édition. Seuls quelques fragments ont paru en de brefs extraits ici ou là. Elle est due à un écrivain régionaliste breton, spécialiste de la Côte d'Emeraude du début XXe siècle, Eugène Herpin, qui signait du pseudonyme de "Noguette".
La Vie de l'Ermite de Rothéneuf
(L'Abbé Fouré)
I
L'abbé Fouré - qu'on appelait l'ermite de Rothéneuf - naquit à Saint-Thual, canton de Tinténiac, le 7 mars 1839 (1). Guillaume, son grand-père paternel, était fermier-général d'Etienne-Auguste Baude de la Vieuville, marquis de Châteauneuf, guillotiné à l'âge de quatre-vingt-deux ans, sur la place du Champ-de-Mars, à Rennes, le 4 mai 1793.
Ce Guillaume avait épousé Françoise Laisné, de Dol, dont le frère François-Henri, entré dans les Ordres, était économe au Séminaire de cette ville à l'époque de la Révolution, et émigra à Jersey, où il mourut le 3 mai 1795.
Du mariage de Guillaume Fouré, avec Françoise Laisné, naquirent deux enfants, Adolphe et Albert, qui furent élevés par leur oncle.
Adolphe devint le domestique de Mgr Urbain René de Hercé, dernier évêque de Dol, et passa avec lui en Angleterre, à l'époque des mauvais jours. Son frère Albert le suivit.
Revenu en France, après deux années d'exil, il se fixa à Saint-Thual. En 1796, il fut nommé maire de cette commune et en devint le bienfaiteur.
Mgr Urbain de Hercé ayant été nommé grand-aumônier de l'armée catholique et royale, par le pape Pie VI, son fidèle serviteur Adolphe l'accompagna dans la malheureuse expédition de Quiberon, et fut fusillé avec son maître, sur la Garenne, à Vannes, le 29 juillet 1795.
Un grand-oncle maternel de notre bon ermite, Jean Astruc, de Saint-Solen, était patron de barque. Ce fut lui qui, à la descente de Quiberon, conduisait le bateau où se trouvaient le général de Sombreuil et le comte Bozon de Périgord, son officier d'ordonnance. Une balle frappa Jean Astruc, en plein cœur, au moment où il allait aborder le rivage, et son sang éclaboussa l'uniforme de ses illustres passagers. On le voit, l'Abbé Fouré avait du sang de chouan dans les veines (2).
Son enfance, bercée des souvenirs de la Révolution, s'écoula au milieu des landes paisibles de Saint-Thual: c'est là que naquit, dans son âme de paysan breton, le goût de la solitude et de la rêverie. Le recteur de la paroisse, ayant remarqué sa piété, lui enseigna les premières notions de latin. Adolescent, il fut envoyé au Petit-Séminaire de Saint-Méen, d'où il entra au Grand-Séminaire de Rennes. Ordonné prêtre, en 1863, il exerça d'abord son ministère sacerdotal, comme vicaire dans différentes paroisses du diocèse. Alors, il fut nommé recteur de Paimpont.
De cette période de sa vie, il conserva un inaltérable souvenir. Grand pêcheur, ainsi qu'intrépide chasseur, épris de la vie contemplative, il adorait sa chère paroisse, dont le clocher se mire dans l'étang, sur lequel glissent, dans leurs robes de brouillard, les mystérieuses « dames blanches ». Il aimait s'égarer dans les mystères de cette étrange forêt de Brocéliande, où les légendes, dit le folkloriste, sont nombreuses autant que les feuillages. Ce fut, dans le domaine de Merlin l'Enchanteur, de la fée Vivianne et du Val-sans-Retour, dans ce paradis breton des fées, des chevaliers de la Table Ronde, du roi Arthur... que le futur sculpteur de Rothéneuf trouva sa tournure d'esprit et l'inspiration de ses œuvres futures.
Lorsque l'abbé Fouré était recteur de Paimpont, les forges, aujourd'hui endormies, étaient en pleine activité. Elles étaient la richesse, l'animation et la gloire de la paroisse. Dans le cours de l'année 1866, le bruit se répandit, dans le bourg, qu'elles allaient être fermées. Les princes d'Orléans, retirés à Londres, étaient alors les propriétaires, tant de la forêt que des hauts-fourneaux. A cette nouvelle, le bon recteur partit pour l'Angleterre. Auprès des princes, il plaida, avec toute son âme, la cause de ses paroissiens et de leurs hauts-fourneaux. Il perdit son procès: la décision était irrévocable. Le cœur désolé, il revint auprès de ses ouailles. Peu de temps, après, il fut nommé recteur de la paroisse de Retiers, et ensuite de celle de Langouet, canton de Hédé.
Cependant, la vieillesse venait. Le bon recteur était devenu sourd. Puis ce fut une paralysie de la langue. Il fallait songer à la retraite: où aller ? Il demanda conseil au recteur de Rothéneuf. Celui-ci lui décrivit sa paroisse, bornée par la mer et des rochers sauvages. L'abbé Fouré donna sa démission de recteur, et vint à Rothéneuf, où il loua un petit logement. C'était en octobre 1893 (3).
II
Désormais, ce ne sera plus la vision de la légendaire Brocéliande, ou de la verdoyante et paisible campagne de Langouet ; ce sera la vision de la mer qui charmera, seule, l'âme rêveuse du vieux prêtre breton.
Quelle émotion! Quand, pour la première fois, par un de ces prestigieux couchers de soleil, qui sont un des charmes de la Côte d'Emeraude, il contempla I'admirable site que domine la pointe de La Haie. Tout près, l'île Bénétin tenant, dans ses tenailles de granit, l'émouvant squelette d'une goélette naufragée. Plus loin, à gauche, découpant leurs silhouettes aux tons mauves, dans les teintes orangées du couchant, le Grand et le Petit-Chevret. Au premier plan, le Gouffre, dont les roches noires prolongent, jusqu'à la mer, leurs béantes excavations.
Et, le soir tombant, il remarqua que les rochers, à mesure qu'ils s'estompaient, prenaient des formes étranges. Celui-ci devenait un monstre fabuleux ; cet autre, un reptile fantastique. Dans ses courses, au fond des bois et des chemins creux, il avait fait déjà la même observation, se plaisant à deviner tout un monde mystérieux, dans les silhouettes des arbres et les replis de leurs séculaires racines, se tordant, comme des couleuvres, sur le revers des fossés. Profiter des contours du rocher et des sinuosités d'une branche, ou donner le coup de pouce pour faire naître, du granit ou du chêne, l'œuvre ébauchée par la nature : tel fut le système de l'ermite de Rothéneuf.
Ce fut, pour occuper sa solitude et son désoeuvrement, qu'il se mit au travail, fouillant, de son ciseau, le roc et le granit. Jamais il n'avait eu ni leçons ni conseils, et ses instruments étaient rudimentaires.
Voici les Rochers sculptés. Les sujets se pressent, se tassent, se bousculent. C'est là, aspergé par les embruns et secoué par les vagues, un art primitif, étrange, qui rappelle les grimaçantes silhouettes des gargouilles moyenâgeuses. Dominant le tout, un haut calvaire qui bénit cet étonnant musée de pierre.
Non loin de ce musée de pierre, signalons tout spécialement la fontaine Jacques-Cartier, située au bout du chemin vicinal, à l'endroit appelé « les Bas-Chemins ». A cette fontaine, qui est intarissable, Jacques Cartier, raconte la tradition populaire, fut puiser sa provision d'eau, à la veille de partir, sur la Grande-Hermine, à la découverte du Canada.
L'ermite aimait se reposer au pied de cette fontaine, dont il sculpta la pierre, avec un attrait tout particulier.
Mais, visitons surtout l'ermitage. Au-dessus du mur crénelé qui lui sert de clôture, émergent des têtes grimaçantes et naïves, qu'animent des yeux verdâtres, des bouches béantes et des coiffures aux rutilantes couleurs. Elles semblent regarder ironiquement le visiteur. Elles se nomment: Enguerrand de Val, Pia de Kerlamar, Marc de Langrais, Yvonne du Minihic, Perrine des Falaises, Adolphe de la Haye, Cyr de Hindlé, Jeanne de Lavarde, Karl de la Ville-au-Roux, Gilette du Havre et Benoît de la Roche.
A l'intérieur, l'établi rudimentaire sur lequel les racines de chêne se transformaient en serpents, en hiboux et en dragons. Sur cet établi, son dernier travail demeure inachevé. Voici son beau portrait, grandeur nature. Voici le banc sur lequel il peignait ses oeuvres, et le fauteuil, orné de devises, sur lequel, tant de fois, il s'est assis pour donner, gracieusement, des milliers et des milliers d'autographes à ses innombrables visiteurs.
Je ne puis, évidemment, décrire toutes les œuvres de l'ermite, soit rangées dans des galeries, par les soins du propriétaire de ce curieux musée, soit groupées dans le jardin et dans les différentes pièces de la jolie gentilhommière.
Signalons, toutefois, M. et Mme de Rothéneuf. Le mari est un marin et sa « payse », avec la coiffe d'autrefois, tient un perroquet que son « homme » lui a rapporté des îles. Egalement, le groupe qui représente les Nations au pied de la Vierge, le Chasseur indien et Ranavalo qui, juchée sur un monstre, traverse une rivière à la nage. Une mention toute spéciale à ces troncs de chêne que le ciseau de l'ermite transforma en Gargantua. Des fleurs nombreuses, des têtes sans fin complètent cette œuvre curieuse dont, à différentes reprises, l'ermite refusa des sommes importantes,
Oh ! Il n'était pas intéressé, le bon ermite. A l'entrée de son musée, il y avait un tronc. Donnait qui voulait ! Et, si la recette, à la fin de la saison, dépassait, ses modestes besoins, il en donnait le surplus aux pauvres.
L'ermite avait un curieux album, sur lequel étaient les autographes les plus variés. J'en ai détaché ces deux strophes :
Ici, l'art, à son tour, embellit la nature,
A ces différents blocs, le ciseau d'un sculpteur
Habile a su donner des traits, une figure,
Voici des cavaliers ; plus loin, un enchanteur.
Dragons ailés, serpents, fantastiques chimères,
Des monstres effrayants, des êtres fabuleux
Invoquant, du passé, légendes et mystères,
Des héros et des saints apparaissent à nos yeux.
Ayant, pendant vingt années, sculpté le bois et le granit, et, avec son art primitif, fait la fortune de Rothéneuf, l'abbé Fouré - le dernier des ermites de France - mourut pieusement dans sa petite gentilhommière, au milieu de ses statues de chêne. C'était le 10 février 1910.
Le 29 juillet suivant, des amis firent apposer sur sa maison une plaque commémorative portant, en lettres d'or, cette inscription :
"HOMMAGE A L'ABBÉ ADOLPHE FOURÉ
L'Ermite de Rothéneuf
Né à Saint- Thual (I.-et-V.) le 7 mars 1839 (4)
Décédé, dans cette demeure, le 10 février 1910.
En sculptant, il se fit le bienfaiteur de ce pays."
Deux jours après la pose de cette pierre, avait lieu la vente aux enchères des curieuses sculptures. M. Galland, propriétaire de la maison, eut l'heureuse idée d'en acheter le plus grand nombre. En sa faveur, notamment, furent adjugées, en bloc, toutes celles qui remplissaient le jardin. Ainsi, l'œuvre de l'abbé Fouré a pu être conservée, et elle attire toujours l'attention du touriste qui ne va pas visiter Rothéneuf, sans aller voir, « le Musée de l'Ermite » (5).
NOGUETTE
(Imprimerie Bazin, 1919, Saint-Malo)
1. Cette date ne correspond pas à celle de l'acte de naissance. Voir ci-dessous.
2. On notera que Noguette oublie de nous indiquer clairement qui étaient les parents de l'abbé. L'acte de naissance publié par Frédéric Altmann en 1985 (voir ci-dessous pour les références exactes de son ouvrage) les identifie sous les noms de François Fouéré et Anne Redouté. La graphie "Fouéré" n'apparaît que dans les actes d'état-civil. L'abbé signait les cartes postales représentant ses rochers d'un autographe indiquant "l'abbé Fouré". Je garde personnellement cette graphie conforme aux usages de l'abbé.
3. On a ici la date exacte de l'arrivée de l'abbé à Rothéneuf, et par conséquent la date du début de ses travaux aussi.
4. Cette date ne correspond pas à celle qui est apposée sur l'acte de naissance de l'abbé, à savoir le 4 septembre 1839. Acte qui a été republié dans Frédéric Altmann, L'Ermite de Rothéneuf, le sculpteur des rochers de Rothéneuf, 1839-1910, AM, Nice,1985.
5. Hélas, ce musée a disparu aujourd'hui, sans qu'on sache précisément à quelle date. Les rumeurs parlent d'une destruction intervenue pendant la guerre, période pendant laquelle les populations civiles qui habitaient Rothéneuf furent évacuées. Les seuls objets sculptés qui réapparaissent au gré des expositions en galeries (par exemple à la Galerie de Messine à Paris, ou à la galerie de l'association ABCD à Montreuil) sont des meubles, tabernacle, commode ou bois de lit. Ce qui paraît logique lorsqu'on sait qu'à la vente aux enchères des biens de l'abbé ce furent surtout des meubles qui partirent de l'ermitage. On acheta utile à cette époque. Les sculptures étaient sans doute soit moquées soit réservées au propriétaire de l'Ermitage qui en racheta effectivement la majorité. Cela causa paradoxalement leur perte, puisqu'elles disparurent avec l'ermitage censé les protéger.
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21/07/2009
Il y a 100 ans disparaissait l'abbé Fouré, pour fêter ça, le restaurant Brébion est parti en fumée...
En repassant à Rothéneuf (prés de Saint-Malo) dernièrement, où j'aime tant m'asseoir sur les rochers sculptés par l'abbé Fouré entre 1894 et 1910 (ce sont les dates exactes, faites-moi confiance, toutes les autres, c'est du pipeau), quelle n'a pas été ma surprise de me retrouver nez à nez avec une pelleteuse qui était en train d'aplanir l'emplacement de l'ancien restaurant Aux Rochers Sculptés, le même qui avait été créé par Henri Brébion en 1907, dans le but de profiter de l'affluence des visiteurs du site de granit taillé au ciseau par l'abbé dans les roches de la falaise de la Haie, un site d'art rupestre populaire quasi unique au monde (et dont les institutions se moquent éperdument depuis des lustres).
En fait, l'ancien propriétaire du restaurant, M. Janvier, à ce que m'a appris son fils désormais en charge du droit de visite sur le fameux site sculpté, avait pris sa retraite voici déjà quelques années, et avait vendu le restaurant qui avait été du coup rebaptisé par le nouveau propriétaire "Le Bénétin". Mais voilà-t-y pas que le nouvel établissement s'est retrouvé l'année dernière la proie des flammes... Ce qui explique son rasage, et le projet d'un nouveau restaurant qu'un permis de construire annonce sur place prêt à bientôt renaître de ses cendres, la gastronomie devant être au rendez-vous avec ce nouveau restaurateur. Rothéneuf ne ressemble en effet plus beaucoup à l'ancien village où avait débarqué le pauvre abbé à la fin du XIXe siècle. Il a pris désormais des allures nettement plus résidentielles. Les trognes grotesques, les traits burinés des généraux de la guerre des Boers, les âpres visages des Saint-Budoc et autres "mousses" de Jacques Cartier, qui achèvent de s'estomper sur les rochers jouxtant la mer n'en paraissent que plus déplacés...
Par contre, si j'ai bien vu le fauteuil de l'abbé avec sa devise "Amor et dolor", ainsi que son grand portrait photographique rehaussé au fusain (comme me l'a précisé sur place le fils de M. Janvier), qui sont toujours conservés dans la guérite à l'entrée du site, j'ai oublié de demander des nouvelles des quelques souvenirs liés à l'abbé qui se trouvaient à une époque traînant à l'étalage du magasin de souvenirs - des faïences bretonnes pour la plupart - comme le portrait de l'abbé en buste, tout à fait banal, mais tout de même un souvenir de son temps puisqu'il avait été réalisé en hommage après sa mort avec l'accord de la municipalité. Est-il parti en fumée lui aussi ? Et qu'en est-il également de ce Saint-Nicolas, qui n'était pas de la main de l'abbé, lui non plus, mais qui provenait de l'ermitage où ce dernier avait accumulé comme on sait des splendides bois sculptés, mais aussi des tas de bibelots, objets pieux, etc. ? Voici les photos qu'une amie, Laure Lemarchand, avait faites de ces sculptures vers 1989:
01:45 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : abbé fouré, restaurant le bénétin, rochers sculptés de rothéneuf, environnements spontanés | Imprimer