14/01/2019
AME, sculpteur, peintre, designer, et roi du pneu... dans "Création Franche" n°49
"Je reviens d'une tournée avec deux amis dans le Nord de la France et en Belgique, à la recherche comme d'habitude de curiosités, bizarreries, œuvrettes de plein air, sites et environnements insolites, etc. C'est ainsi que je conçois les voyages. Dériver dans les provinces en quête de merveilles populaires ou autres surprises...
On musardait en direction de Gravelines et de Dunkerque, à la recherche d'un endroit où casser la croûte, lorsque notre attention fut attirée brusquement par des grandes statues noirâtres, indéniablement peu communes, qui étaient installées sur un terre-plein sur fond de magasin peint en un jaune clinquant, faisant office de dépôt-vente et d'entrepôt spécialisé dans la "déco". On aurait pu faire mieux comme écrin pour ces sculptures.
Ce qui m'avait frappé lorsque notre voiture était passée, assez vite, à la hauteur de ces œuvres, c'était la curieuse matière dans laquelle étaient façonnées les "statues". En revenant à pied vers elles, il fallut se rendre à l'évidence : c'était du pneu, de l'assemblage de pneu, qui a priori, me disais-je, ne devait pas être un matériau facile à maîtriser, et à façonner. L'auteur y était pourtant parvenu, et de main de maître...
Nous finîmes par apprendre son adresse, il habitait non loin, un peu plus à l'intérieur des terres. Pour aller vers ce point, il fallait nous dérouter, rentrer davantage dans l'intérieur du pays, mais l'appât d'une possible rencontre nouvelle avec un créatif nous en convainquit..."
(Bruno Montpied)
Pour lire ce texte, dans une version complète, alternative, veuillez vous reporter au dernier numéro de la revue Création Franche, le n°49, qui vient de sortir (écrire au Musée du même nom, 58 ave du maréchal de Lattre de Tassigny, 33130 Bègles, prix 8€)...! On retrouve au sommaire d'autres contributeurs que votre serviteur bien entendu, comme Dino Menozzi, Ans Van Berkum (dont on apprend qu'elle collabore avec le nouveau musée d'art outsider d'Amsterdam sur un projet d'exposition consacrée à Willem Van Genk ; on se souviendra en effet qu'elle anima un temps le défunt musée d'art outsider de Zwolle, dont les collections sont aujourd'hui repliées sur le museum du Dr.Guislain, à Gand en Belgique), ou encore Dominique Jeanson (pas au plus haut de son inspiration, j'ai trouvé) ou encore une évocation du "Schizomètre" de Marco Decorpeliada (en roman-photo).
Quelques photos inédites des œuvres d'Amadou Ba, dit AME, dont parle mon article de Création Franche :
Amadou Ba, une bête devant le magasin de déco, non loin de Nortkerque, assemblage et sculpture de pneus, ph. Bruno Montpied, juillet 2018.
Amadou Ba, une bête devant sa maison à Nortkerque, assemblage et sculpture de pneus, ph.B.M., juillet 2018.
Amadou Ba, une bête dans le jardin, assemblage et sculpture de pneus, ph. B.M., juillet 2018.
Amadou Ba, sans titre (un cortège...), huile sur toile, sd (vers 2018), ph. B.M., juillet 2018 ; car AME ne fait pas que sculpter les pneus, il peint aussi.
Amadou Ba, sans titre, huile sur toile, vers 2018, ph. B.M. juillet 2018.
Portrait d'Amadou Ba, par le photographe Jean-Baptiste Joire, 2014.
00:07 Publié dans Art immédiat, Art insolite, Art moderne ou contemporain acceptable, Art singulier, Art visionnaire | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : ame, amadou ba, designer, sculpture en pneu, pneumatique, art singulier africain, art contemporain africain, art contemporain sénégalais, création franche n°49, schizomètre, bruno montpied | Imprimer
08/05/2015
Monleme Gladys (c'est pas une jeune fille)
De passage à Lyon, le week-end du 1er mai dernier, j'ai fait un petit bonjour à mon galeriste préféré, l'ineffable Alain Dettinger qui, en dépit du black out des lieux fermés pour cause de pont du 1er mai, était resté ouvert, parce que pour lui il ne s'agit pas d'un travail mais d'une passion, de l'air qu'il respire chaque jour, quelle que soit l'actualité. Il y avait toujours autant de tableaux et d'objets, de photographies accrochés aux murs et surtout entassés au sol, bouchant toute l'arrière-boutique. En voilà un à qui on devrait donner un peu plus d'espace, tant son travail de découvreur et de défricheur de talents ressemble à une entreprise de salubrité publique. Car nos esprits ont autant besoin de remèdes que nos corps.
Il exposait les savants travaux d'équilibrisme en noir et blanc de Danielle Stéphane, je l'ai déjà signalé. Et comme toujours, en marge de son expo du moment, il y avait pour moi une autre découverte à faire. Alain Dettinger est un passionné d'Afrique comme on sait, c'est l'autre registre de sa galerie, parallèle à l'art plastique et graphique de singuliers contemporains. Il avait rencontré en compagnie d'une amie galeriste, située un peu plus loin de son échoppe (il est place Gailleton dans la Presqu'île à Lyon), à savoir la Galerie du Triangle, 33, rue Auguste Comte, un artiste béninois autodidacte (comme semblent l'être beaucoup de créateurs contemporains en Afrique noire), se présentant sous l'étrange prénom féminin de "Gladys". La Galerie du Triangle lui organise une exposition qui dure jusqu'au 16 mai.
Alain Dettinger pour sa part s'est contenté d'acquérir deux peintures de cet artiste, toutes deux signées plus complètement "Monleme Gladys". Il paraît vivre à Abomey, au Bénin, et créerait quelque peu dans l'orbite d'un autre artiste de là-bas, déjà pas mal "lancé", le dénommé Dominique Zinkpe, créateur d'un centre culturel, qui lui-même a parmi ses influences admises le peintre d'origine haïtienne Jean-Michel Basquiat. Et ce dernier, pour le côté peut-être un peu déstructuré de ses compositions paraissant souvent sur le point de se dissoudre, est sans doute une référence aussi pour notre Gladys.
Monleme Gladys, sans titre (un homme tient à bout de bras sa tête coupée, tandis qu'un autre homme le menace de sa lance), 83 x 87 cm, technique mixte (sur papier marouflé sur panneau de bois?), 2010, Galerie Dettinger-Mayer, Lyon, ph. Bruno Montpied
Monleme Gladys, sans titre (accouchement d'un serpent par le bas et accouchement d'un être humain par le haut...), 83 x 87 cm, technique mixte (sur papier marouflé sur panneau de bois?), probablement de la même année 2010 que le précédent, coll. privée, Paris ; ph. B M
Les deux compositions m'ont fait penser que l'homme doit en outre être inspiré par les mythologies propres à son pays, car en dépit du fait qu'elles sont assez sobres, tracées sur un fond uni quoique plein d'une matière graineuse, elles restent assez difficiles à interpréter pour un Européen peu au fait de ces mythes, ce qui est mon cas.
Détail d'un portrait de Gladys devant ses peintures, archives Alain Dettinger, 2015
Le problème, c'est qu'à côté de ces deux compositions-là, l'artiste en question paraît travailler parfois un peu plus vite, et peut-être de façon moins inspirée (afin de satisfaire à une commande qui le bouleverse ?). L'exposition de la Galerie du Triangle de mon point de vue révèle cet aspect préoccupant (car le fait de se montrer inégal peut desservir grandement un artiste, par la réputation qu'elle risque de lui tailler), même si dans l'ensemble on peut découvrir de fort belles choses en ce lieu courageux. Si un grand tableau sans titre au centre de l'expo reste de très belle facture (voir ci-dessous), ainsi que deux ou trois autres compositions sur panneaux, plusieurs dessins sur papier paraissent cependant moins frappants.
Gladys, sans titre, sans date (?), environ 1 m x 1 m (?), peinture sur panneau ou toile, exposition Galerie du Triangle, 2015 ; ph. BM ; c'est l'une des plus intéressantes œuvres de l'expo
Gladys, une autre de ses grandes peintures exposées Galerie du Triangle, elle aussi fort belle... ; ph. BM
Gladys, une de ses peintures sur papier datée de 2014; l'inspiration n'est-elle pas moins forte ici (personnages moins narratifs, posés platement côte à côte, seule la couleur paraissant avoir été traitée avec attention) ? Exposition Galerie du Triangle, 2015 ; Ph BM
Alors? Qu'est-ce qui explique cette différence d'inspiration et de graphisme entre les peintures de 2010 et les quelques œuvres de 2014 montrées en ce moment à Lyon? Mais il faudra sans doute attendre d'en voir davantage... Ce qui n'est pas sûr d'arriver quand on connaît le grand nombre d'artistes qui créent en Afrique, notamment de l'Ouest.
20:02 Publié dans Anonymes et inconnus de l'art, Art Brut, Art immédiat, Art moderne ou contemporain acceptable, Art populaire contemporain, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : monleme gladys, gladys, art contemporain africain, art d'autodidactes africains, art immédiat africain, galerie dettinger-mayer, galerie du triangle, dominique zinkpe, jean-michel basquiat, mythologie individuelle | Imprimer
26/06/2009
La Mami Wata de Cyprien Tokoudagba
Ces histoires de sirènes africaines, les Mami Wata, m'ont fait oublier je ne sais pourquoi de parler d'un bel ouvrage édité par la Fondation Zinsou au Bénin (l'ancien Dahomey) au sujet de cet extraordinaire artiste nommé Cyprien Tokoudagba, que j'apprécie énormément, surtout depuis une exposition qui s'était tenue à l'Institut du Monde Arabe en 1994, Rencontres Africaines, où ses tableaux gigantesques montrant des figures isolées sur fond blanc, manifestement inspirées des cultes vodoun, figures d'une grande audace picturale, m'avaient littéralement sidéré. Certes, en France, le travail de Tokoudagba avait déjà surtout été révélé par la remarquable exposition des Magiciens de la Terre (organisée en même temps à la Villette et au Centre Beaubourg en 1989). A l'époque dans la foule de créateurs venus des quatre coins du monde pour les besoins de cette exposition fondatrice, j'avais surtout remarqué d'autres créateurs africains, en particulier Bruly Bouabré ou Bodys Isek Kinghelez, mieux mis en scène sans doute.
Dahomey, Rois et dieux, Cyprien Tokoudagba, tel est le titre de cet ouvrage (bilingue anglais-français) que j'ai trouvé sur un stand dédié à la culture béninoise tel qu'on pouvait en voir un peu en marge de l'immense espace du Salon du Livre en mars dernier. Il parut à l'occasion d'une expo du même titre consacrée à l'artiste à Cotonou à la même Fondation Zinsou en 2006. Or, ce livre en plus du fait qu'il permet d'en apprendre davantage sur Tokoudagba (à lire l'éclairant texte de Joëlle Busca en particulier), nous met en contact avec une autre version de la Mami Wata, cette fois concocté par notre artiste béninois.
A côté de sa reproduction, une notice donne de précieux renseignements sur la "sirène" en question, en réalité une déesse, un "génie de la mer": "Elle habite les profondeurs de la mer et commande à des myriades d'ondines. Souvent elle se présente sous les traits d'une très belle femme lorsqu'on l'invoque surtout au bord de la mer. Elle est détentrice de beaucoup de richesses (argent, bijou, or...) convoitées par les humains à qui elle les dispense (...). Elle s'entoure de serpents qu'elle enroule autour d'elle. Son culte est assez répandu. En tant qu'esprit, elle peut prendre la forme qu'elle veut, tel ici un personnage visiblement masculin à trois têtes..." Elle peut "prendre la forme qu'elle veut"... On ne saurait mieux dire... Au vu de toutes les reproductions de Mami Wata en circulation (voir ma note du 9 novembre 2008 ), on s'en convainc aisément. Dans le même livre, on trouve aussi, entre autres images magnifiques, une toile représentant le dieu Gou, du fer et de la guerre (c'est le même qu'Ogun, une sorte "d'homologue du dieu Mars de la mythologie latine", dit le catalogue), c'est une image géniale, hallucinée...
00:24 Publié dans Art immédiat, Art inclassable, Art moderne ou contemporain acceptable, Art naïf, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : cyprien tokoudagba, mami wata, sirènes, art populaire africain, art contemporain africain, vodoun | Imprimer
23/06/2009
La sirène du festival de l'Oh! (Suite)
La communication du festival de l'Oh! est fort bien faite, merci à M. Rym Nassef en particulier qui m'a précisé que le nom de l'auteur de la sirène dont je parle dans "le bal des sirènes" (note du 20 juin) était Toyin Loye (il paraît que c'est marqué en petit dans un coin de l'affiche...). Ce dernier est un artiste nigérian, fils de roi, ayant étudié les Beaux-Arts, et faisant une carrière internationale. Une galerie aux Pays-Bas notamment, la galerie Chiefs and Spirits, basée à La Haye, le représente. C'est sur son site qu'on trouvera des renseignements supplémentaires sur cet artiste qui vit actuellement dans cette même ville. Il y est dit que Toyin Loye intègre souvent dans ses oeuvres des éléments symboliques appartenant aux cultures traditionnelles de son pays (c'est un Yoruba). Alors, d'ici à ce que cette sirène soit cousine avec les Mami Wata du Congo... Peut-être est-elle davantage proche d'une représentation de la déesse de la mer appelée Yemoja que Toyin Loye aime à représenter, à l'instar d'autres déités vénérées par son peuple comme Ogun le dieu du fer. Ca ne vous rappelle rien ce nom d'Ogun? En Haïti, on le retrouve dans les peintures naïves inspirées par le Vaudou (Ogun Ferraille).... Je subodore du coup que dans l'oeuvre de Loye passe un petit parfum de Vaudou...
15:39 Publié dans Art moderne ou contemporain acceptable, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : sirène, art contemporain africain, toyin loye, festival de l'oh! | Imprimer