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27/11/2007

Clovis Prévost, Maeght et Arte, bientôt...

   Vendredi 30 novembre à 22H20, la chaîne TV ARTE programme un Thèma consacré à l'éditeur d'art et galeriste Aimé Maeght.
    Le programme de la soirée  comprendra deux films: 
Maeght, une histoire de famillesuivi par Les Mains Eblouies, un documentaire de 2007 par Cyril de Turckheim qui a apparemment opéré par remontage (si l'on suit le descriptif paru ces temps-ci sur
le site d'Arte) de films plus anciens produits par Maeght, à partir du Miró de Franco Lecca, du Calder de Clovis Prévost et Charles Chaboud, du Giacometti d'Ernst Scheidegger, et enfin du Tàpies, un autre film de Clovis Prévost.9c53d01df8cc380abfbffc96f6123aaf.jpg
   C'est l'occasion pour tous les amateurs des films de Claude et Clovis Prévost dont ils connaissaient les films consacrés aux créateurs d'environnements bruts et spontanés d'en apprendre davantage sur un pan de leur filmographie probablement moins connu (je projette bien entendu...).

24/11/2007

L'Institut International de Recherches et d'Explorations sur les Fous Littéraires, Hétéroclites, Excentriques, Irréguliers, Tapés, Assimilés, sans oublier tous les autres...

   "A l'aube du XXIe siècle, dans un monde où le politiquement correct et la pensée unique sont de règles, où la raison n'est que ruine de la fantaisie, il est venu le temps d'exhumer et de considérer enfin, pour éviter que ne meurent une seconde fois les grandes oeuvres des petits auteurs, la piétaille des "Fous littéraires, Hétéroclites, Excentriques, Irréguliers, Outsiders, Tapés, Assimilés..."

    Oeuvrons afin que ces Ecrivains ne soient pas que des Ecrits Vains et essayons de devenir des empêcheurs de penser en rond...

    Voilà la réalité pressante à laquelle veut répondre l'I.I.R.E.F.L.: mettre en lumière des Ecrivains et des Textes oubliés ou inconnus."

    Ce sont  les propos que l'on peut lire dans le dépliant récemment diffusé auprès de quelques happy few par le principal animateur de l'IIREFL, Marc Ways (également libraire-galeriste spécialisé dans le surréalisme, la pataphysique, le groupe Panique, les situationnistes, etc, dans la région de Nancy, voir adresse au bas de cette note). L'homme n'est pas seul, on relève parmi ses collaborateurs les noms de Marc Décimo (évoqué il y a peu sur ce blog pour son livre récemment paru, Les Jardins de l'Art Brut, qui est un recueil de ses articles publiés dans les diverses revues du Collège de Pataphysique), d'André Stas, (collagiste

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André Stas, Le cauchemar de Bush, collage, 2004

et "fils spirituel d'André Blavier"), de Laurent Gervereau (président du "Comité scientifique" de l'IIREFL ; connu de moi comme auteur du livre consacré à Asger Jorn, Critique de l'image quotidienne, aux éditions Diagonales en 2001 ; Gervereau est aussi le conservateur du Musée de l'Histoire Contemporaine, se consacrant dans ce cadre à l'analyse des images). Michel Thévoz lui-même est annoncé comme futur collaborateur des Cahiers de l'Institut.

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     L'IIREFL veut donc poursuivre l'entreprise amorcée dès le XIXe siècle par des auteurs comme Charles Nodier, ou Octave Delepierre, puis recommencée en plus exploratoire par Raymond Queneau dans les années 30 du XXe siècle, enfin continuée en plus systématique par André Blavier, disciple de Queneau et érudit burlesque (voir sa somme sur les fous littéraires rééditée il y a peu aux Editions des Cendres). Marc Ways pense du reste que tout n'a pas été dit par Blavier et que sa somme n'en est donc pas une, il y a des restes. Première idée. Seconde idée, que personnellement je regarde avec plus d'attention, l'IIREFL affiche une volonté d'établir "une passerelle" (on aime ça les passerelles, au Poignard Subtil) "entre le monde de la Folie littéraire et la Création artistique: art et écrits bruts, cinéma, architecture, littérature de SF et fantastique, BD, livres monstres, création asilaire, etc.". Cette idée est sympathique et rétablit les ponts qui étaient plus ou moins coupés entre art brut et fous littéraires, deux recherches historiquement liées (Queneau dans les années 30 a précédé Dubuffet avec son Art Brut, qu'il ne commence à rassembler qu'après la Deuxième Guerre Mondiale, voir là-dessus Bruno Montpied, D'où vient l'art brut? Esquisses pour une généalogie de l'art brut, article inséré dans le dossier Devenir de l'art brut paru dans Ligeia, dossiers sur l'art n°53-54-55-56, juillet-décembre 2004).

Pour s'abonner aux futurs Cahiers de l'Institut (deux numéros par an, 50€, étudiants et moins de 25 ans, 25€), on écrit à l'IIREFL, 1, rue du tremblot, 54122 Fontenoy-la-Joûte, France. E-mail: iirefl@orange.fr. Parution des Cahiers de l'Institut n°1, février 2008.

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Librairie-Galerie l'Agité du Bocal à Fontenoy-la-Joûte

 

22/11/2007

Lisez le blog du " petit Champignacien illustré"

  

"Du stalinisme en voie de décongélation

Il faut savoir arrêter une grève.
Ce soir, dans le grand journal de la France-Inter de 18 heures, cette phrase a été attribuée à notre überprésident tout seul, sans aucune référence d'origine et en précisant "comme l'a dit Nicolas Sarkozy". C'est bô ! J'applaudis des deux mains ! Maurice Thorez à la trappe ! On est dans la récriture des phrases comme dans celle des photos officielles, ainsi que cela se faisait à la plus belle époque du Petit Père des Peuples (remplacé aujourd'hui par le Petit Père des People). Chaque citation sera demain l'oeuvre unique du Petit Monier."
[Lu sur le blog Le petit Champignacien illustré à la date du 21 novembre, "le Petit Père des People", je ne l'avais pas encore lu, j'ai bien ri...]
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20/11/2007

L'ange du bizarre, l'art immédiat par l'exemple

   Plutôt que chercher indéfiniment une définition qui tendrait au catégorique, pourquoi ne pas donner un exemple d'art immédiat comme il apparaît, tel un éclair, sans coup férir, au tournant du moment?

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B.Montpied, L'Ange chauve va tirer sa flèche, assemblage, 2007 (oeuvre détruite)

 

   Cet ange chauve, confectionné en pensant à autre chose (je ne faisais pas semblant de penser à autre chose, je vous prie de croire à ma sincérité), à partir d'un bâton d'esquimau (on a les Inuits qu'on peut...), d'une serviette en papier et d'une paille à l'esthétique Buren involontaire, et quelques traits de stylo à bille (qui est la seule activité interprétative qui aide à lire ce que je voyais dans l'objet), est venu aussi vite qu'il est reparti... Car je l'ai ensuite jeté, après l'avoir dûment photographié. Crise du logement oblige... Art immédiat, mystère de ce personnage né de la dernière pluie véritablement, cousin des sculptures involontaires que Dali recense, si mes souvenirs sont bons, dans un célèbre article de la revue Minotaure. Il tient un semblant d'arc, qui est aussi un noeud certes (il le tient? Ou plutôt ce dernier est suspendu à sa taille, les bras étant atrophiés...) La psychanalyse n'a plus alors qu'à jouer sa petite musique qui va toute seule... (arc, Eros ; noeud, phallus ; bras atrophiés, castration ; etc...). Rien n'est décidément plus risqué que le dessin, ou l'assemblage, automatiques...

18/11/2007

Le retour perpétuel de Matija Skurjeni

   

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Matija Skurjeni, oeuvre illustrant l'exposition Un Skurjeni inconnu et figurant sur le site du musée international d'art naïf de Croatie, Zagreb

    J'ai appris avec retard la nouvelle d'une exposition de la collection du surréaliste Radovan Ivsic d'oeuvres du merveilleux peintre naïf Matija Skurjeni qui s'est ouverte le 18 octobre au musée international d'art naïf de Croatie à Zagreb et qui était prévue pour s'achever aujourd'hui 18 novembre (titre: Un Skurjeni inconnu)...

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Matija Skurjeni, Les cerises, 1960 (illustration provenant de La peinture naïve yougoslave de Boris Kelemen, Zagreb, 1969)

     Je suis un inconditionnel de ce peintre qui au sein de la peinture naïve yougoslave m'a toujours paru à part, ainsi que quelques autres comme Emerik Fejes, ou Ilija Bosilj.

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Matija Skurjeni, illustration pour le bulletin surréaliste Bief (1960), "Oui à la paix, non à la guerre"

     Tous trois font partie des cas-limites entre naïfs et bruts, au point qu'on devrait créer une catégorie-tampon à leur usage personnel (on y rangerait ainsi aussi bien Séraphine Louis et ses splendides gerbes de vulves-calices, que Pietro Ghizzardi, ou Henri Trouillard, Célestine, Nikifor, ou encore Morris Hirshfield...; on pourrait aussi y ranger des créateurs qui sont actuellement classés soit dans les collections d'art brut, soit dans la collection Neuve Invention de Lausanne par exemple).

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Matija Skurjeni, Le jardin des prêtres (ou la Cathédrale de Zagreb, selon Albert Dasnoy), 1958, extrait du livre déjà cité de Boris Kelemen

     Dans le cas de Skurjeni, en dehors d'une palette, d'un dessin et de moyens techniques lui permettant de rendre le moindre des ses natures mortes ou paysages comme illuminé secrètement de l'intérieur, faisant rayonner toutes ses images faites d'après des motifs pris dans la réalité rétinienne d'une lumière véritablement surréelle, c'est le recours répété à l'activité onirique comme sujet d'inspiration de plusieurs de ses toiles qui le fait classer à part du reste de la peinture yougoslave qui, il faut bien le dire, vieillit mal (elle n'était pas déjà, du temps de son apparition, bien vaillante, trop léchée et vitrifiée qu'elle était et qu'elle reste aujourd'hui). Skurjeni apparaît du coup, du moins dans une partie de ses oeuvres connectée fortement à l'inspiration surréaliste, comme un cas assez patent de surréalisme ingénu.

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Matija Skurjeni, Gorgone, 1968, extrait du catalogue Naivi 77 (exposition à Zagreb)

    Le poète, essayiste et dramaturge Radovan Ivsic, qui soutint en France dès 1960 (voir son petit texte, Un nouvel ami, dans Bief, Jonction surréaliste, n°spécial 10-11, 15 février 1960) le peintre, puis rédigea pour lui plusieurs préfaces à des catalogues d'exposition qu'il l'avait aidé à organiser à Paris puis à Cologne, Radovan Ivsic ne s'y est pas trompé en axant ses analyses d'abord sur cette activité de rêve chère au surréalisme comme on sait. Il vient d'y revenir dans le n°53 de la NRF (octobre 2007 ; merci à Emmanuel Boussuge de me l'avoir transmis), avec un texte de souvenirs intitulé  Mon grand ami Matija Skurjeni, le mineur des rêves (apparemment, Skurjeni travailla comme mineur de fond dans un premier temps -ce qui l'apparente aux activités professionnelles d'un Augustin Lesage- avant de devenir cheminot). Il y rappelle, dans une volonté d'homologation de ses services parfois un peu trop insistante, les liens qui l'unirent très instantanément à la personne et à l'oeuvre de Skurjeni (Ivsic nous apprend que ce patronyme se traduit par"Brûlés" en français). Il  l'hébergea à Paris dans son petit appartement près de Notre-Dame dans les années 60. Il relie certaines des toiles que Skurjeni exécuta alors, notamment celle qui s'intitule A deux pas de la Tour Eiffel à des faits dont il fut le témoin il y a désormais plus de quarante ans.

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Matija Skurjeni, Rêve d'un serpent s'attaquant à moi, dessin extrait du site du musée international d'art naïf de Zagreb   
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Matija Skurjeni, La vie en Afrique, dessin extrait de la même source que celle citée ci-dessus

     L'exposition du musée d'art naïf croate de Zagreb est tout entière constituée d'oeuvres qui sortent de sa collection: dix-huit peintures, vingt dessins et plusieurs estampes. Un catalogue monographique écrit par Radovan Ivsic paraît également à cette occasion.7ba8ae2c87b00bb3e34b6b895ec06ea4.jpg

    Signalons qu'il existe aussi un musée consacré à Matija Skurjeni dans la ville où il a vécu, à Zapresic. On peut aller sur son site, où une musique traditionnelle peut parfois s'y révéler, certes par suite de manips multiples peut-être erronées, assez vite obsédante et angoissante (les temps des divers phases mélodiques se recouvrant les unes et les autres, ce qui crée cette atmosphère étrange citée précédemment, probablement de façon involontaire de la part du créateur du site).58e4fd2f8507d3f27370ec9d8245ca52.jpg Ce musée a une architecture curieuse lui aussi, il ressemble à un bureau géant, pourvu d'un toit sous lequel on aperçoit des fenêtres qui font penser à des poignées de tiroirs (ce qui est finalement adéquat pour un musée).

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Matija Skurjeni, Studij, 1972, oeuvre reproduite dans le catalogue de l'exposition Naivi 77, Zagreb

    Radovan Ivsic a fait paraître plusieurs recueils de ses textes ou pièces de théâtre ces temps-ci chez Gallimard (Poèmes, Théâtre). Dans le recueil de textes consacrés à divers sujets d'ordre artistique ou politique, Cascades, on peut également retrouver un de ses textes plus anciens consacrés à Skurjeni.

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Radovan Ivsic (à g.) et Matija Skurjeni (à d.), Paris, années 60, extrait du catalogue Naivi 77

 

17/11/2007

Un maître coq

   Transmise ces jours-ci, accrochée à la poignée de ma porte, une inscription saignante (à tous les sens du mot) sur un papier d'emballage de boucherie où traînaient encore quelques reliefs sanguinolents... Merci à Frédérique M. de cet apport.

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(Photo B.Montpied)

13/11/2007

Un endroit où vivre (suite)

   J'ai donc vu Somewhere to live, film de Jacques Brunius qui paraît à l'évidence un film de commande. Il fait partie d'un ensemble de films sur les travaux de reconstruction de l'Europe des années 50 (plan Marshall), avec le dernier film d'Humphrey Jennings The good life, tourné en Grèce où cet auteur trouva la mort.

   Le film de Brunius a en gros deux parties, la première qui montre dans des images aux couleurs passées qui vont bien aujourd'hui à l'évocation de ces époques les ruines de Caen juste après la guerre, et qui font un peu penser aux images du Montmartre lépreux que l'on aperçoit dans le film d'un autre ami des frères Prévert, Roger Pigaut, Le Cerf-volant du bout du monde (film pour la jeunesse ayant gardé aujourd'hui toute sa fraîcheur, encore vivement apprécié des enfants contemporains), et une deuxième partie où l'on doit dire que l'on ne retrouve plus du tout le Brunius de Violons d'Ingres, amateur de bizarreries et de singularités. Le film se termine en effet dans un vibrant hommage aux cités et aux barres que l'on édifiait en masse pour résoudre au plus vite la crise du logement dans ces années d'après-guerre, dressant en même temps sous le ciel un autre décor de misère, plus morale celle-là (que dénoncèrent assez vite situationnistes et libertaires de tous poils dans les années 60 et 70).

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  Cette deuxième partie a un côté "lendemains radieux qui chantent". Brunius était-il partie prenante de ce lyrisme? Peut-être n'y voyait-il qu'un inconvénient mineur, si l'on songe au documentaire de ses amis Prévert, comme le magnifique Aubervilliers, qui dénonçait l'insalubrité et la misère des logements ouvriers de la banlieue nord...Ce que Brunius approuvait certainement, lui qui avait fait partie du mouvement d'agit'prop à la française qu'était le Groupe Octobre... Mais peut-être en définitive,  était-il avant tout bridé par ses commanditaires...

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   On le retrouve davantage dans la première partie du film, plus primesautière, plus poétique malgré le ton sérieux de la bande-son et du commentaire. Brunius prête sa voix, de façon fugace, à ce commentaire qui prend dès lors un rythme plus gouailleur et plus humoristique (hélas, l'intervention est courte). Sous prétexte de nous montrer les ruines de Caen (impressionnantes images historiques et je gage assez rares de cette époque ; on voit aussi à un moment  les ruines de St-Malo...), la caméra se promène vers d'étranges modes de logement alternatifs mis en oeuvre par les habitants en attente de logements plus confortables (et architecturalement plus normés aussi). On voit une baraque improbable construite sur des moignons de château, cabane que son habitant baptise du coup "château" avec dérision, et esprit de détournement sûrement aussi. On découvre des maisons venues en kit de plusieurs pays d'Europe qui dotaient alors la France de toits bigarrés et d'architectures hétéroclites, reflétant différents styles nationaux.

    La musique du film prend un tour excentrique à un moment. Brunius fait intervenir la mélodie du Troisième Homme de Carol Reed, avec son air fameux à la cithare, et souligne que c'est un peu, après-guerre, l'hymne de l'Europe en train de se reconstruire. Pour illustrer le propos le cinéaste fait jouer  le fameux air à un sonneur de biniou en costume traditionnel breton sur fond de ruines, la musique célèbre se déforme alors étrangement... Court -et fort rare!- moment de surréalisme musical pour le coup (on sait que la musique et le surréalisme ont rarement fait bon ménage)... Certes, le film ne fait pas l'éloge de ces habitats éphémères, puisque le propos de ses commanditaires insiste avant tout sur l'appel à une reconstruction plus massive, et à une justification de la demande de subventions américaines dans le cadre du plan Marshall, mais en filigrane, il est possible de deviner un propos autre de Brunius, favorable par dessous à ces habitats originaux nés de l'adversité.

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   Du coup, le film prend un aspect intriguant du fait de ce double niveau de langage. Un autre intérêt se trouve également à rechercher du côté de son montage alerte en courtes images successives, ce qui paraît une marque caractéristique du style cinématographique de Jacques Brunius.

    Ce film repasse à la Cinémathèque à Paris samedi 17 novembre à 17h.

11/11/2007

Infos Expositions un peu partout

    Le musée Im Lagerhaus de Saint-Gall en Suisse (voir ma note du 5 juin 2007) lance une nouvelle expo, intitulée (en allemand, mais je traduis comme je peux, en devinant): "Mère, Madone, Monstre", ce qui est une intéressante piste de recherche, n'est-il pas? Je ne comprends pas l'allemand, alors je vous renvoie si vos connaissances dans ce domaine sont plus grandes que les miennes au site du musée d'art brut et naïf de Suisse orientale. Et voici une image, dont je ne suis pas sûr de l'auteur, peut-être un certain ou une certaine "F.Shearer"...

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   Je continue de signaler des expositions en vrac, comme elles viennent. Paul Duchein nous a écrit qu'il réunissait au musée Ingres à Montauban,aa79a4965f98e72e8f77d45f172b36a3.jpg dans le cadre d'une manifestation plutôt littéraire, "Lettres d'Automne", du 13 novembre au 10 décembre, un ensemble d'"artistes de l'"Art Brut" et assimilés". Cette présentation est destinée à prolonger l'exposition de photos de Mario Del Curto (qu'est-ce qu'elles se baladent ces photos-là...) installées dans le même lieu. Mais Paul Duchein ne donne pas plus d'explications sur les créateurs exposés, et le site municipal de Montauban ne nous en apprend pas davantage. Alors cette info  risque fort de n'être réservée qu'aux Montalbanais et leurs voisins.

 *

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Raymond Humbert, Mer - Porspoder (détail), 1988, ph.Jacques Vasseur (carton d'invitation à l'exposition)

   Des Paysages de Raymond Humbert, artiste et fondateur du musée rural des arts populaires de Laduz dans l'Yonne, comme on sait, sont présentés à partir du 16 novembre au musée des Beaux-Arts de Quimper. Ce qui doit faire plaisir en tout premier à son ancienne colaboratrice Marie-José Drogou, elle-même excellente artiste méconnue, chez qui le peintre venait en visite à Porspoder, dans le Finistère nord dans les années 70-80...38260350ff9b40fc80e0d2ece86bbcf4.jpg Il était normal que la Bretagne s'intéresse aux oeuvres de celui qui aimait ses paysages, et plus encore, les visions et les vertiges qu'il fixait sur ses papiers, entrevus dans le remous des vagues autour des récifs du grand Mouzou...

*

 

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B.Montpied, Famille brûlée, 32 x 25 cm, peinture sur papier, 2005

  

   Sinon, se termine aujourd'hui même, je sais, c'est pas sérieux (et ça l'était d'autant moins que j'y étais exposé...), j'aurais pu en parler avant, mais que voulez-vous, il faut croire que je suis avant tout altruiste... ou pas mal distrait! ... Se termine aujourd'hui même à Reggio-Emilia en Italie l'exposition Ai Marginali dello Sguardo (" Aux Marges du Regard"), l'art irrégulier dans la collection Menozzi, consacrée à la donation d'une partie de la collection

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de ce critique et historien de l'art naïf venu sur le tard à l'art singulier, Dino Menozzi, qui animait naguère la revue Arte Naïve. Cette donation prend place dans le cadre de la Bibliothèque Panizzi (connue entre autres pour héberger aussi des archives d'anarchistes italiens) plus spécifiquement dans son Cabinet d'art graphique "A.Davoli". On retrouve dans cette exposition un petit contingent de créateurs habitués de la Création Franche, dont Charles Boussion, Gaston Mouly,

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 Pierre Albasser ou Ruzena (sur qui j'aurai sans doute l'occasion de revenir), des "Singuliers" (Kurt Haas, Danielle Jacqui, Martha Grünenwaldt par ex.), mais aussi des créateurs venus des collections d'ateliers d'hôpitaux psychiatriques italiens (l'atelier "Blu Cammello" de Livourne, ou l'atelier "Adriano e Michele", par exemple).

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   Un catalogue plutôt bien imprimé est paru à cette occasion.

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Pages de couverture du catalogue, avec des dessin de Pierre Albasser en illustrations
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Dino Menozzi (à droite) avec le peintre Ivan Vecenaj, années 70?

Dictionnaire du Poignard Subtil: Sur cette pierre, je bâtirai...

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  PIERRE:

   "Rien de plus immédiat et de plus autonome dans la plénitude de sa force, rien de plus noble et de plus terrifiant non plus que le majestueux rocher, le bloc de granit audacieusement dressé. Avant tout, la pierre est. Elle reste toujours elle-même et elle subsiste ; et ce qu'il y a de plus important, elle frappe. Avant même de la saisir pour frapper, l'homme se heurte à elle. Pas nécessairement par son corps, mais au moins par son regard. Il constate ainsi sa dureté, sa rudesse, sa puissance. Le rocher lui révèle quelque chose qui transcende la précarité de sa condition humaine: un mode d'être absolu. Sa résistance, son inertie, ses proportions, de même que ses étranges contours ne sont pas humains: ils attestent une présence qui éblouit, terrifie, attire et menace. Dans sa grandeur et sa dureté, dans sa forme ou dans sa couleur, l'homme rencontre une réalité et une force qui appartiennent à un monde autre que le monde profane dont il fait partie."

Mircea Eliade, Traité de l'Histoire des Religions, cité par Gwenc'hlan Le Scouezec et Jean-Robert Masson dans Bretagne Mégalithique, Ed. du Seuil, 1987.

(Inutile d'ajouter qu'à mes yeux, la pierre est bien perceptible ainsi, à l'exception de ces notions "transcendantes" de "mode d'être absolu" et de monde "autre" auxquels appartiendrait la roche et que veut nous refiler subrepticement Eliade . Il me paraîtrait plus exact de dire que l'homme perçoit dans les rochers un mystère qui le dépasse, ce qui n'implique pas qu'on doive en déduire que ce mystère est celui d'une divinité.)

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Cette maison ne craint pas le gros rocher qui paraît la surplomber de façon menaçante, elle l'enlace, telle une moule rivée au bouchot, c'est un rapport profane ici, M.Eliade...
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Ici, le christianisme s'est empressé de coloniser la roche majestueuse d'un "autre" monde, tels les Américains débarquant sur la Lune, se hâtant de ravaler la puissance étrange qui dépasse l'homme en y plantant un ridicule petit bout d'étoffe étoilée... Ou ici, cette affreuse croix ostentatoire.

 

10/11/2007

Commentaire à "Le tribun de la Toussaint", note parue sur Animula Vagula, (version non tronquée)

   Animula Vagula a récemment tronqué le commentaire (du 8 novembre) que j'avais déposé au bas de sa note du 1er novembre consacrée à une diatribe de Gérard Sendrey contre un auteur connu du petit monde des amateurs d'art brut et alentours. Nos lecteurs, s'ils veulent comprendre l'ensemble du dossier (et apprendre également le nom de l'auteur en question) se reporteront au lien que nous mettons ici. Nous n'en disons pas plus, cette présente note n'ayant pas d'autre but que de donner la version intégrale (voir les passages en rouge) de notre commentaire frileusement expurgée par Animula sur son blog:
 
  "D'accord avec vous Animula,
c'est pas bien de ne pas citer les auteurs qu'on incrimine, même si c'était en l'occurrence pour titiller un auteur qui adore qu'on parle de lui, un chatouilleux des protocoles, un qui ambitionne de devenir un jour le Pape des arts singuliers en faisant taire tout ce qui cause à la ronde du même sujet, et qui se garde bien de parler de la valeur intrinsèque des écrits ou des oeuvres, un spécialiste du renvoi d'ascenseur et du copinage intéressé, bref du roi de la compil' que vous n'avez pas mis 5 min à démasquer en mettant vos délicates mimines dans le "cambouis de l'internet" (vous lui prêtez beaucoup de matérialité à ce fameux virtuel). Mais il fallait se méfier, Gérard Sendrey ne fréquente pas autant que vous la Toile. Moi, j'ai fait encore plus rapide (car je ne veux que votre bonheur), j'ai décroché le bigophone et je lui ai demandé sa référence. Le texte n'a pas été "maspérisé", il vient d'une autre source, à savoir du magazine "Art&fact", édité à Liège, n°25, paru en 2006 ; le morceau danchinesque provient d'un texte "adapté" de celui publié d'abord en Finlande (on a affaire à un roi de la compil' qui doit apprécier le copié/collé, le remontage, le démontage, etc.), son titre est "Jean Dubuffet et Alain Bourbonnais, de l'art brut à l'art singulier". Les mots sur la médiocrité (que je trouve aussi sensés, si l'on pense à tous ces festivals d'art singulier ardéchois ou lyonnais, et en même temps mal placés à côté des termes "création franche", "neuve invention", "art singulier", car cela entraînait une ambiguïté dans l'esprit des lecteurs peu informés), les mots sur la médiocrité y sont bien imprimés, comme me l'a bien assuré mon interlocuteur au téléphone.
Ecrit par : Bruno Montpied | 08.11.2007  "


 

08/11/2007

Un endroit où vivre

   Vient de commencer à la Cinémathèque Française à Paris un hommage au peintre surréaliste et poète-reporter (documentariste) anglais Humphrey Jennings (séance inaugurale le 7 novembre, je l'ai déjà manquée, il y avait au programme Spare time que l'on pourrait traduire par Temps libre, film sur les loisirs des ouvriers britanniques de la sidérurgie, du textile et des mines de charbon au début de la Seconde Guerre Mondiale (1939, même date que le film Violons d'Ingres de son ami Brunius), réalisé dans l'esprit du groupe Mass observation qui militait pour une observation anthropologique des occupations du peuple anglais). C'est une réalisation assez brute, très différente du projet de Brunius qui envisageait de préférence les loisirs individualistes de la population française, affichant un certain dédain vis-à-vis des loisirs moins créatifs (comme les jeux de cartes, le sport, la cuisine, la picole...). Jennings se livre à une sorte de revue des loisirs en fonction des métiers, comme une sorte d'état des lieux, sans jugement de valeur, et sans visée apparente ethnologique. Seule une petite phrase placée à la toute fin, du genre "le temps libre est le seul temps qui nous permette d'être nous", donne quelque indice sur la perspective secrète de l'auteur. 

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Image tirée de Spare time d'Humphrey Jennings, fanfare carnavalesque étonnante...

   Ce Spare time repasse samedi 10 à 17h, ce sera la seule autre occasion de le voir, et c'est embêtant car ce jour-là il y a aussi Marc Décimo à la Halle Saint-Pierre à 15h... Il faut également signaler dans le cadre de cette mini rétrospective un autre film, rarement montré, de l'ami Jacques Brunius justement.

  Ca s'intitule Somewhere to live. Ce documentaire de 1951 fut réalisé par le créateur de Violons d'Ingres38e7d6e2f1cb04d4816bd170ea6ac1a5.jpg durant la deuxième partie de sa vie qu'il passa en Angleterre où, pendant la guerre, il travaillait à la BBC comme speaker, faisant reconnaître sa voix à travers les ondes aux vieux amis de l'Affaire est dans le sac, ceux de la bande aux frères Prévert qui n'avaient pas oublié l'acteur qui réclamait un bérai-ai-ait, un bééééret français...!

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Sur le tournage de "L'Affaire est dans le sac", Pierre Prévert est le deuxième à partir de la gauche, Jacques Brunius est le troisième, Jacques Prévert est complètement à droite, debout

    Ce film de Brunius est-il passionnant?  Je n'en sais trop rien, son sujet renvoie aux problèmes énormes de logement auxquels devait faire face l'Europe dévastée par la guerre, et la cité prise en exemple dans ce court-métrage de vingt minutes est la bonne ville de Caen. Mais tout Bruniusophile qui se respecte se devrait d'aller y faire un tour, en attendant qu'on accepte de nous passer un autre film encore plus rare du même Brunius, datant lui aussi de sa période angalise, To the rescue (A la rescousse), film pour la jeunesse qui reçut un prix du film de jeunesse (pour les 12-15 ans, c'était très précis...!) au festival de Venise 1953, court-métrage qui doit être, lui, nettement plus joyeux. Qu'attend-on, plus généralement, pour nous concocter un festival des  pionniers du cinéma pour la jeunesse comme il y a eu il y a quelques semaines, toujours à la Cinémathèque, une programmation sur les pionniers du cinéma d'animation d'Emile Cohl à Paul Grimault (avec un instructif catalogue à la clé)...?

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Jacques Brunius, séducteur quasi faunesque dans Une partie de campagne de Jean Renoir

    Somewhere to live, c'est dimanche 11 novembre à 19h30 et samedi 17 novembre à 17h00. Au même programme, il y aura d'autres films d'Humphrey Jennings et un d'Alberto Cavalcanti, cinéastes que respectait beaucoup le protéiforme Jacques Cottance, alias Jacques Brunius.

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Le nouveau site de la Cinémathèque Française à Bercy, moins mythique que le Palais de Chaillot, mais plus de salles, une bonne librairie, un café...

05/11/2007

Le MASSIF EXCENTRAL (12) a aussi ses prédestinés

   Pas grand chose à déposer le long d'une telle adéquation du patronyme avec le métier de celui qui le porte. Il nous reste à remercier simplement Emmanuel Boussuge de nous l'avoir transmis:

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03/11/2007

Au banquet du bel art naïf, Alphonse Benquet

   On s'impatiente du côté d'une des deux branches de la famille Rassat (les descendants d'Alphonse Benquet), j'ai l'impression. On s'étonne qu'on n'ait pas entendu parler d'André Breton dans la famille. Il y a  des raisons à cela.

    Et pourtant... Il y eut un lien, par delà la mort de Benquet, un lien si fort que c'est un peu grâce à lui qu'on a envie aujourd'hui d'en apprendre davantage sur Alphonse, le "peintre-sculpteur" comme il aimait signer ses peintures (et ce d'autant que ces peintures sont fort attachantes). Un lien comme il en existe entre collectionneurs et artistes qui ne se connaissent pas mais se tendent cependant la main par-dessus l'espace et le temps.

   En effet, la vente de l'Atelier André Breton en 2005 à Drouot a fait resurgir trois peintures de notre homme, intitulées respectivement "Groupe d'enfants, place Gambetta à Tartas (Landes)", "Dans les Landes, concert dans la forêt" et "Facteur dans la grande lande". Tartas, c'est le bourg où vivait Alphonse Benquet.

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P.45 du catalogue de la vente chez Calmels-Cohen de la collection d'André Breton (2005), les trois tableaux de Benquet en vente

   J'avais déjà été intrigué dans le passé par ces peintures, mais où?... Et j'ai retrouvé des notes que j'avais prises, histoire de me souvenir, car le catalogue n'avait pas daigné nous en apprendre davantage sur lui, lors d'une exposition sur l'art naïf à la Halle Saint-Pierre, où étaient montrés des Benquet (deux peintures: une sans titre, ayant un rapport avec le thème de l'Angélus de Millet, tandis que l'autre était "Dans les Landes, concert dans la forêt", même titre que le tableau provenant de la collection Breton). L'exposition s'appelait "Peintres naïfs français, 1886-1960, de Rousseau à Demonchy" et était organisée à la Halle en 1994-1995 dans le cadre du musée Max Fourny qui, pour une fois, avait décidé de montrer de l'art naïf de qualité... Ces deux oeuvres, comme on peut l'apprendre en farfouillant sur internet sur la base Joconde ou à l'agence photo de la réunion des Musées Nationaux (voir tout en bas de cette note), sont conservées au musée de Grenoble (apparemment en plus d'une troisième intitulée "Naufrage"; cependant la notice de la base Joconde indique que "Dans les Landes, concert dans la forêt" aurait été acquise en 1981... Ce qui précise que cela ne peut pas être le même tableau que celui de la collection Breton vendu à Drouot en 2005, mais probablement une version alternative sur un même thème...).

   L'expo de la Halle Saint-Pierre indiquait comme date de naissance pour Alphonse Benquet 1857 et comme date de décés 1933, info puisée dans les bases de documentation du ministère de la culture (on la retrouve dans la base Joconde).

   1933... Une date fatidique.b126f25c5c4ebc9460b7dadbdc7590f3.jpg Breton descend chez  l'écrivain Lise Deharme (dont Breton était amoureux sans être payé de retour), à Montfort-en-Chalosse, dans les Landes, en même temps que Paul  et Nusch Eluard, Man Ray, en août 1935... Donc, Benquet est déjà mort, à 75 ans. Comment sais-je si c'est durant ce séjour que Breton acquit des peintures de Benquet -de même qu'Eluard, qui apparemment comme Breton s'en procura trois, mais les revendit dès 1938...- ? On ne le sait pas avec certitude. Mais on le devine (JE le devine...): en faisant un saut dans le temps, dans les années qui suivent la deuxième guerre mondiale (fruit de cette fatidique année 1933), au moment des débuts de l'Art Brut qu'invente alors Dubuffet, sans l'avoir encore trop cerné (période de l'Art Brut peut-être la plus riche et la plus libre), vers 1948... Dubuffet demande à Breton de l'aide, des relations, des créateurs qu'il pourrait intégrer à la collection qui commence à naître. Il a le projet avec Breton d'un Almanach de l'art brut, il bâtit un sommaire, des collaborations diverses et prestigieuses (Paulhan... Benjamin Péret sur Robert Tatin déjà...) paraissent acquises, Breton a promis des textes. Dubuffet lui demande au détour d'une lettre (consultable sur le site internet passionnant de l'Atelier André Breton), comme subrepticement: "Voyez-vous quelqu'un qui pourrait faire un article sur Benquet?"... Qui lui a parlé de ce dernier, si ce n'est Breton lui-même, se dit-on, comme il le fit avec Maisonneuve ou Scottie Wilson, Baya ou Hector Hippolyte? Breton propose probablement en réponse à la lettre de Dubuffet Lise Deharme qui se fend effectivement d'un texte. Malheureusement, le projet d'Almanach capote, en dépit du fait que le manuscrit était bouclé (pour des "raisons financières", selon Lucienne Peiry dans son livre sur L'Art Brut). Il dort aujourd'hui dans les archives de la collection de l'Art Brut à Lausanne. Une oeuvre de Benquet, appartenant à Breton, (Groupe d'enfants, place Gambetta à Tartas), est cependant exposée en 1949 à la Galerie René Drouin dans l'expo légendaire L'art brut préféré aux arts culturels (expo citée dans le catalogue de la vente de l'atelier d'André Breton chez Calmels-Cohen).

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Tartas est à l'ouest de Mont-de-Marsan, Montfort-en-Chalosse est juste en dessous...

    Voyant le nom de Lise Deharme au sommaire (publié ici et là) de cet Almanach, avec le nom du créateur sur qui elle écrivait, le fameux Benquet, mon sang ne fit qu'un tour, je comprenais à présent où et quand Breton, et Eluard, étaient sans doute tombés sur Benquet. J'écrivis à Lucienne Peiry pour demander la communication du texte (en 2003). Ce qu'elle accepta avec la meilleure des grâces (je la remercie ici une fois de plus). A la lecture de ce texte, consacré bizarrement à "J.D." Benquet (sans doute une erreur de mémoire), on se rapproche sans conteste au plus près du Benquet vivant... Voici le texte de Lise Deharme (que je suis autorisé à publier dans son intégralité par Lucienne Peiry) :

"  J.-D. BENQUET

   Il me souvient d'être entrée un jour, il y a de cela très longtemps, chez Séraphine Louis, à Senlis, sur l'appel d'un écriteau qui vous interdisait l'accès de sa demeure. Une veilleuse brûlait devant la photographie-icône de sa maîtresse défunte -car elle avait été servante.

   Rien de tel chez Benquet.

   C'était un orgueilleux petit septuagénaire à barbiche blanche, propriétaire d'une grande quincaillerie dans un village des Landes -exactement à Tartas.

   Absolument incompris à l'époque où nous nous rendîmes chez lui pour la première fois, il nous vendit avec tristesse un pot à lait. Comme nous l'interrogions, Paul DEHARME et moi, sur l'adresse d'un peintre présumé innocent et qui, en fait, s'était rendu coupable d'affreuses toiles, sa barbiche blanche se dressa de colère et il nous dit:

-Moi, je suis un peintre; comme Rembrandt.

   Il nous mena dans un immense grenier où il avait coutume de travailler. Il y avait là de belles armoires de chêne qu'il sculptait au couteau et d'où l'on voyait sortir en relief les têtes de ses parents -j'en possède une. Il y avait des toiles, pour la plupart inspirées de cartes postales, qui allaient de l'"Angélus" de Millet à un Panamorama [sic] de l'Exposition Universelle de 1900, en passant par des scènes régionales landaises: échassiers, boeufs à l'étable, la maison de St Vincent de Paul. Il y avait aussi des panneaux de bois sculptés, fort beaux, représentant, l'un Victor Hugo, l'autre un empereur romain, ou son grand-père, dont la longue barbe était traitée d'une manière extraordinaire. Dans l'ensemble, une quantité de toiles, presque toutes dans des cadres sculptés par lui. Nous remarquâmes également une certaine roue ovale, chef d'oeuvre de compagnon, qui fut achetée un peu plus tard par André BRETON.

   J.-D.BENQUET, né à Tartas le 23 septembre 1857, mort dans cette même ville en 1933, se mit à peindre vers l'âge de soixante ans. Charron de son métier, il avait quitté le pays natal à seize ans pour faire son Tour de France, en portant sur son dos ses outils dans un sac, ne mangeant pas tous les jours à sa faim. Puis, un an de service militaire à Bordeaux, et quatre ans d'Afrique. C'est là qu'il sculpta une grosse canne, que nous avons vue encore récemment, ornée d'une fort belle main aux doigts repliés, et de signes mystérieux probablement inspirés des Arabes.

   Revenu à Tartas, il achète une mule et s'en va de marché en marché, vendant des produits de toutes sortes. A force de travail il put enfin acheter sa quincaillerie.

   Il vécut là des années, pêchant, chassant, guettant l'arrivée des palombes dans de petites huttes construites près de la cime des arbres, tout en jouant de la guitare.

   En 1928-1929, quelques touristes anglais s'étant intéressés à sa peinture, il reprit la grande route, avec une poussette sur laquelle ses toiles étaient accrochées ; il se rendit ainsi à HOSSEGOR, s'installa sur la place, et réussit à vendre quelques tableaux. Puis il partit pour Paris, plaça son éventaire sur le pont de l'Alma, et ne vendit rien.

   Ainsi vécut BENQUET, vieil homme en béret basque et veston de satinette noire, qui croyait à son étoile et eût été heureux, mais certes pas surpris de se voir aujourd'hui à l'honneur.

    Lise DEHARME "

("J.-D.Benquet", par Lise Deharme, texte inédit prévu pour le numéro de juin 1948 de l'"Almanach de l'Art Brut", archives de la Collection de l'Art Brut de Lausanne).

    Donc, on comprend à présent qui "découvrit" véritablement en premier Alphonse Benquet. André Breton a dû trouver logique d'adresser Dubuffet à la personne qui avait le plus approché Benquet de son vivant, Lise Deharme. Bien sûr, il faudrait chercher des nouvelles des descendants de cette dernière, ce qui s'annonce plus difficile d'après mes premiers sondages. Mais peut-être vont-ils aussi sur internet comme Mme Jocelyne Rassat et M.Dominique Rassat qui sont entrés en contact avec moi suite à ma note sur la roue ovale dans "Un doux penchant"... Et qui sont distincts de l'autre monsieur Rassat (Jacques) qui a laissé un commentaire récent sur ce blog (ça fait donc deux arrière-petits-fils si je compte bien)...

     La roue ovale -et c'est une preuve de plus- Lise Deharme, comme Jacques Brunius dans son film Violons d'Ingres (1939 ; dans ce film précieux à plus d'un titre figurent aussi des images de peintures de Benquet, ainsi qu'un portrait photographique de Benquet coiffé d'un bérèt basque), Lise Deharme donc signale elle aussi qu'elle fut achetée par Breton et qu'elle est bien d'Alphonse Benquet (j'ai récemment écrit à L'Atelier d'André Breton, le site, pour leur demander de modifier en plus précis la légende apposée sur l'image du Mur de l'atelier Breton du Musée National d'Art Moderne à Beaubourg). Cette petite roue est  un chef d'oeuvre -cocasse!- de compagnon, là-dessus Gilles Ehrmann ne s'était pas trompé.

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Légende parue dans le livre de photographies faites vers 1966 par Gilles Ehrmann dans l'atelier d'André Breton, extraite (et agrandie) du livre 42, rue Fontaine, Adam Biro éditeur

    Peut-être fut-elle créée durant la jeunesse de son auteur, à la suite de son Tour de France. La date de 1878 donnée par Ehrmann est basée sur la date qui était inscrite sur la roue elle-même (on la voit dans le film lorsqu'elle tourne, projetée dans un champ). Benquet était donc un ancien charron, devenu ensuite quincailler (Brunius dans son film le signale quincailler dès "1875"). Il s'était peut-être mis à peindre et à sculpter à l'âge de la retraite (comme tant d'autres du continent des bruts et des populaires), si l'on suit l'âge de soixante ans fourni par Lise Deharme. On peut déduire que c'est plutôt vers  les années 1910 qu'il a dû commencer à créer des oeuvres d'art (et non pas vers 1875 comme c'est signalé dans certaines notices) et ce durant une quinzaine d'années jusqu'en 1933. Cela est confirmé par la date apposée sous un buste sculpté par lui, autoportrait qui est toujours conservé dans sa famille: 1919 (voir ci-dessous). Lise Deharme signale aussi qu'à la fin des années 20, il chercha à vendre ses peintures sur les marchés.

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Cet autoportrait d'Alphonse Benquet est inédit. Il appartient à la collection de Mme et M.Rassat
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"A.Benquet. Né en 1857. Sculpté par lui-même en 1919" (inscription sur le socle de l'autoportrait)

     Mme et M.Rassat m'ont appris qu'avait été montée une exposition Benquet à la Galerie Jeanne Bucher en  juin 1937. Animula Vagula a eu l'extrême amabilité de nous envoyer le fac-simile virtuel du carton d'invitation de l'exposition, imprimé en caractères manuscrits, document fort rare dont nous la remercions bien évidemment. Cependant, sur le site de la célèbre galerie, toujours en activité comme on sait, pouvait déjà se lire le texte de ce carton, mis en ligne depuis je ne sais quand...

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Carton d'invitation à l'exposition Benquet à la Galerie Jeanne Bucher, 1937 (j'ajouterai pour me moquer quelque peu de l'auteur ancien de ces lignes: Benquet se crut un grand peintre... et, "quelque part", il avait raison!)

    J'avais retrouvé de mon côté des traces de la préparation de cette exposition dans la correspondance qu'échangea Paul Eluard avec Gala Eluard (Paul Eluard, Lettres à Gala, 1924-1948, édition établie par Pierre Dreyfus, éd.Gallimard, 1984). Le poète écrit à son ex-dulcinée (elle est alors avec Dali) en avril 1937: "J'attends Mme Bucher qui veut me voir pour exposer Benquet. Peut-être pourrais-je en vendre, ce qui serait excellent" (p.277). Cette lettre avait été précédée d'une autre, écrite dans les premiers jours de septembre 1935 de retour de chez Lise Deharme à Montfort-en-Chalosse, après le séjour commun avec Breton et Man Ray, lettre où Eluard annonçait: "Dans le Midi, j'ai acheté des tableaux d'un peintre naïf de grande valeur, mort. Je vous ferai cadeau de l'un d'eux: L'angelus de Millet" (p.258). Comme dit Pierre Dreyfus qui a établi l'édition de cette correspondance, on sait l'importance de ce thème de l'Angélus traité par Millet sur quelqu'un comme Dali, et il est étonnant d'apprendre la contribution de l'obscur quincailler-charron-peintre-sculpteur Benquet à la paranoïa-critique de Salvador Dali!  A signaler au passage que Pierre Dreyfus dans une autre de ses notes donne des renseignements inexacts sur la date de naissance de Benquet puisqu'il la situe en 1861. Mais en même temps, il nous apprend qu'Eluard ne vendit apparemment pas ses tableaux à l'expo de Jeanne Bucher, mais un an plus tard, à Roland Penrose. Trois peintures de Benquet parmi tant d'autres d'auteurs à l'époque plus prestigieux partirent ainsi en Grande-Bretagne: leurs titres figurent dans le livre de Jean-Charles Gateau , Paul Eluard et la peinture surréaliste, Droz, 1982. Il s'agit de Le berger (peut-être le même qu'un autre tableau, montré à l'exposition du Centre Georges Pompidou sur Paul Eluard et ses amis peintres en 1982, mais qui était titré Dans les Landes, bergers tricotant et filant au rouet ; il est mentionné dans le catalogue de l'exposition), d'un "Portrait de Gambetta" et d'un "Paysage"... Une partie de la collection Penrose paraît avoir migré au musée d'Edimbourg à présent en Ecosse... A suivre...

    Si Eluard a acquis des oeuvres de Benquet durant son séjour chez Lise Deharme, il paraît évident que c'est à cette occasion que Breton en acquit parallèlement, en même temps que la roue ovale... Non? L'édition de la correspondance de Breton (En 2016? Faut encore pas mal attendre...) nous l'apprendra sans doute de façon définitive. Mais Le Poignard Subtil sur ce point aura fait gagner quelques années d'avance aux amateurs...!

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   Enfin, je signale pour clore provisoirement cette note-fleuve (y a-t-il encore du monde qui me suit?), qu'il existe un "Intérieur landais" dans les collections du défunt musée des ATP, rebaptisé MuCEM, et en cours de déménagement et transfert à Marseille pour être relogé dans un nouveau bâtiment dont on se demande s'il va voir enfin le jour (ce qui est préoccupant, étant donné l'importance et la richesse des collections artistiques et ethnologiques du musée national des Arts et Traditions Populaires). On peut en voir une reproduction sur ce lien.

   A suivre, certainement...