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29/07/2020

Un portrait du célèbre Facteur cavalant...

     J'ai réagi avec une sorte d'esprit de l'escalier vis-à-vis d'un portrait insolite que je n'avais fait qu'entrevoir il y a plusieurs mois de ça (et quand je dis "entrevoir", c'est-à-dire voir avec l'inconscient...). J'avais fait une note sur des statues d'Alfonso Calleja, de Gujan-Mestras, retrouvées par moi, en compagnie de deux amis, dans un stand d'antiquaire aux Puces de St-Ouen. On peut la retrouver ici. Sur la première photo mise en ligne sur mon blog on voit, derrière une statue d'Indien la main sur le front en position de guetteur, les deux amis en train d'observer quelque chose cachée derrière un mur. Je la remets ci-dessous.

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Photo Bruno Montpied, 2019.

      Agrandissons l'arrière-plan....

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     Ils ne regardent pas en effet un objet posé sur la table à gauche. Ce dernier aurait dû attirer mon attention tout autant, sinon plus, que les statues de Calleja. Mais ces dernières me surprenaient, venues jusqu'à St-Ouen depuis le Bassin d'Arcachon. Et je ne pouvais faire face à deux surprises en même temps...

      Je décidais d'y repasser peu avant le déferlement du Covid. Et cette fois je me concentrai sur le personnage représenté. Un facteur pour le buste, et un cheval pour le reste du corps... Un centaure d'un genre spécial, un facteur... cheval... Comme aurait dit l'inspecteur Bourrel: "Bon sang, mais c'est bien sûr!". J'étais devant un portrait inédit du Facteur Cheval. Le rébus de l'homme-cheval, était pour le coup charmant, modelé avec grâce. La technique – un modelage en terre cuite colorée réalisée avec du mouvement et, simultanément, de l'instantanéité – servait fort adéquatement le portrait à base de calembour. Je ne fis ni une ni deux, j'acquérais l'objet.

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Sans titre inscrit sur l'œuvre, ailleurs appelée "Le Centaure", 45 x 20 x 32 cm, photo et coll. B.M.

 

      Par la suite, il me revint qu'un autre artiste, Laurent Jacquy, avait lui-même eu cette idée de figurer ainsi le Facteur, dans l'effigie d'un timbre imaginaire conçu par lui. Cela venait vite à l'imagination ce genre d'image.  Rancillac, de son côté, avait préféré superposer le museau d'un cheval au portrait du Facteur, de manière à ce qu'un troisième œil lui apparaisse au milieu du front. C'était, à mon goût, une image plus plate.

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Laurent Jacquy, timbre imaginaire.

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Affiche d'expo  "Avec le Facteur Cheval" au Musée de la Poste, en 2007, faite d'après Rancillac.

 

     Une signature était inscrite en creux dans l'encolure, à la lisière du dos plus clair, avec une date : "Serge Castillo,  26 jan 2007"... Cela, c'est mon camarade Régis Gayraud, expert en farfouillages sur la Toile, qui le reconstitua, car la signature manuscrite, qui avait été gravée dans la terre quand elle était encore encore molle, était d'emblée dure à lire. L'antiquaire de St-Ouen prétendait ne pas savoir le nom de l'artiste. Or, en cherchant un peu sur le Web, on retrouvait la trace de l'objet, intitulé par une autre marchande, bordelaise, "le Centaure". facteur cheval,centaure,serge castilloAvec quelques précisions sur Serge Castillo, sculpteur contemporain, actif à une époque du côté d'Uzès dans le Gard (mais aujourd'hui ayant un atelier, semble-t-il, plutôt du côté de Belle-Ile-en-Mer), ayant exposé – tout se tient – au Palais Idéal du Facteur Cheval en 2005, comme il est signalé sur son site internet à la rubrique "parcours du sculpteur". Un artiste contemporain certes, qui n'a rien de naïf ou de brut, d'un autre temps pourtant, aux portraits fort sensibles, souvent consacrés à des gens simples venus du peuple, portraits d'écoliers, d'immigrés espagnols fuyant la répression franquiste (cet artiste d'origine espagnole doit avoir quelque souvenir de ce côté-là...). Je dois dire que j'admire sans la moindre réticence, notamment, ses portraits, toujours en terre polychrome, par exemple Rimbaud, Adam et Eve, si proches de personnes vivantes d'aujourd'hui, Carmen, et autres sculptures telles qu'on peut les découvrir sur son site internet.

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Serge Castillo, Rimbaud (et son paletot idéal?)

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Serge Castillo, Adam et Eve.

17/07/2020

Ni Tanjung n'est plus...

      J'insère ci-dessous la nouvelle que je viens de recevoir de la part du plus grand ami de Ni Tanjung, Georges Breguet.

 

      "Chers amis,

     Une très mauvaise nouvelle m'est parvenue durant la nuit, notre grande amie et protégée, l'artiste balinaise d'art brut Ni Nyoman Tanjung est décédée au petit matin du 17 juillet 2020 à plus de 90 ans. 
   Je suis très triste même si je m'y attendais car elle n'allait pas bien depuis quelques jours et refusait même de s'alimenter. Elle est partie rejoindre ses ancêtres entourée de sa fille et de sa famille. 
   Nous sommes tous tristes car Ni Tanjung représentait la force vitale et la créativité malgré son corps décharné et sa vie difficile. Sa vie, dont nous aurons l'occasion de reparler plus tard, a été une histoire extraordinaire. Pauvre glaneuse dans les rizières de Bali elle est devenue une artiste reconnue internationalement dans des galeries et des musées. Preuve en est que l'art et la beauté peuvent éclore dans les plus terribles conditions. 
    Bon voyage Nini sayang vers tes ancêtres qui étaient déjà présents dans tes créations. Tu as maintenant quitté cette terre mais tes créations y resteront et témoigneront de ton incroyable créativité et vitalité.
 

Ni Tanjung sur son lit de mort 17.07.2020.jpg

Photo Georges Breguet, 2020.

 
     La tradition balinaise permet, et même encourage, de diffuser une image d'un défunt sur son lit de mort c'est pourquoi je me permets de joindre une photo de ce type à ce message. J'ajoute une photo d'elle bien vivante avec son célèbre miroir que j'ai prise en 2017, ainsi qu'une image de son plus grand assemblage.
 
     Cordialement.
     
     Georges Breguet. "
 

2017 09 11 ph G Breguet (2).jpg

Ni Tanjung et son miroir pour regarder ses visiteurs, ph. G.B, 11 septembre 2017.

Assemblage 100x130 cm, septembre 2017 coll G Bréguet (2).jpg

Le plus grand assemblage de figures dessinées sur papier qu'ait composé Ni Tanjung, 100 x 130cm, septembre 2017, ph. G.B., 

15/07/2020

Le musée de proximité de Tamaya Sapey-Triomphe

     Tamaya, je l'ai rencontrée à la suite de mon film sur Eric Le Blanche. Petite-fille de la cousine d'Eric, ayant connu enfant ledit Eric en accompagnant son père Frédéric, artiste numérique apparaissant dans le film que j'ai écrit (Eric Le Blanche, l'homme qui s'est enfermé dans sa peinture, mars 2019), elle avait envie de découvrir le film et plus généralement des informations sur l'art brut et consorts (notamment pour documenter une émission qu'elle s'apprêtait à faire sur Radio-Nova le lundi en début de soirée).

Attroupement dvt le musée de proximité d'Angerville (2).jpg

Attroupement le 10 juillet 2020 devant le Musée de Proximité d'Angerville ; ph. Bruno Montpied.

 

     Récemment, pour son diplôme de fin d'études en architecture, elle a monté durant trois grosses semaines, à Angerville, "en dessous" d'Etampes, un projet un peu 'pataphysique, un "Musée de Proximité".

Plan 2 du musée de proximité d'Angerville (avec légendes BM).jpg

Plan dessiné par Tamaya Sapey-Triomphe, légendé par Bruno Montpied.

Dispositif 2 du périscope (2).jpg

Le périscope vu de l'intérieur ; ph. B.M.

 

     Ayant "squatté" – très légalement, en respectant tout un cahier des charges côté agence immobilière et instances administratives du lieu – un cabinet de coiffure abandonné depuis 25 ans, elle y a installé un dispositif bricolé à base de planches et de cartons. L'idée étant de présenter à 5 mètres du trottoir, visible par un petit trou tracé dans un badigeon de blanc d'Espagne (ou de Meudon, ou de Bougival, etc.), et au bout d'un "périscope" géant, une œuvre ou un objet ayant de la valeur pour son auteur ou son prêteur (seul donc à faire le choix de ce qui serait présenté, dans une politique "muséale" ultra démocratique donc).

Une spectatrice essaye le trou du périscope (2).jpg

Une spectatrice colle son œil à l'œilleton de la vitrine de gauche ; ph. B.M.

Le dresseur d'auréole de BM au bout du périscope (à 5 m)(2).jpg

Ce que voyait la spectatrice ci-dessus, un dessin en couleur de Bruno Montpied, Le dresseur d'auréole (2020), placé cinq mètres plus loin au fond de la boutique ; ph. B.M.

La vitrine de la collection permanente du musée de proximité (2).jpg

Dans la vitrine de droite du "musée", la collection "permanente" ; ph. B.M.

 

      Cet objet n'était destiné qu'à rester un seul jour au bout du périscope (voir vitrine de gauche de la boutique). Après quoi, il passait dans la vitrine de droite, appelée la "collection permanente". Une permanence tout éphémère en réalité, puisque le musée de proximité devait s'arrêter le 14 juillet...

Le Dresseur d'auréole, 32x24cm, 2020 (2).jpg

Bruno Montpied, Le Dresseur d'auréole, Série des "Auréolés", 32 x 24 cm, 2020.

 

     J'ai été heureux de m'associer à ce projet, pour le principe, en prêtant un de mes dessins récents, Le Dresseur d'auréole, pour la seule journée du 10 juillet. En dépit du fait que, malgré le concept généreux que mettait en application le projet de Tamaya Sapey-Triomphe – accoucher d'un musée qui serait le fait de tout un chacun, un musée sans conservateur, reflet de la multiplicité des goûts culturels des prêteurs, en évolution permanente, un musée de l'immédiat, comme il y a un art de l'immédiat –, l'idée restait assez chimérique, intellectuelle (ce qui n'est pas un gros mot sur mon clavier), partageable par peu de gens, car mettant en jeu une sorte d'avant-plan culturel finalement assez complexe. Comme pour l'art de l'immédiat, si la production pouvait relever de l'immédiat, la réception, elle, ne l'était pas à tout coup...

     Mais au fond, peu importait, l'idée était belle, et la réalisation hors du commun par ces temps moroses de peu d'inventivité, et de peu de poésie. Grâces en soient rendues à la prometteuse et tonique Tamaya.

TST à l'entrée de son musée de proximité, le 10 juil 2020 (2).jpg

Tamaya S-T. à la réception de son musée de proximité, un peu semblable à une voyante tireuse de cartes ; ph.B.M.

14/07/2020

Gabriel Albert et ses 420 statues, la restauration en cours

Merci à Michel Leroux pour nous avoir signalé ce petit film qui expose assez précisément l'étape du processus de restauration du jardin de Gabriel Albert à Nantillé (Charente-Maritime).

09/07/2020

Bacchanale 1978

Jean Lafon, Bacchanale, 19x24cm, 1978 (2).jpg

Jean Lafon, Bacchanale, 19 x 24 cm, huile sur panneau de bois, 1978, photo et collection Bruno Montpied.

 

      Ce petit tableau m'a sauté aux yeux alors que je quittais les trottoirs de ma brocante parisienne favorite. Le mouvement vert de ces quatre danseurs (deux hommes, deux femmes ? Tous adeptes des cheveux longs – en accord avec la mode des années 1970), pris d'une sorte de transe naturiste en ce virage d'un chemin encerclé par des montagnes, m'a littéralement hameçonné. Verdeur de leurs attitudes, verdeur des reflets sur leurs peaux... Comme s'ils étaient nés de la végétation qui les entoure.

        Voici que, le temps passant, des artistes inconnus (qui est ce Jean Lafon qui signe ici avec application et netteté ?) émergent auprès de moi, qui vécus ces mêmes années 70 sans avoir croisé le moindre artiste de ce genre à l'époque (je ne connaissais alors pas ces mots : art naif, art brut, art singulier...). 1978, c'est l'année de l'exposition, à bien des égards séminale, des "Singuliers de l'Art" au Musée d'Art Moderne de la ville de Paris. Ce Jean Lafon en entendit-il parler? De mon côté, étudiant en lettres, je commençais tout juste à dessiner, et tombais amoureux d'une muse dans un sanatorium à la montagne. Montagne derrière laquelle, peut-être, Jean Lafon peignait cette "bacchanale"...

02/07/2020

Disparition d'un grand collectionneur

      Désormais, il faudra écrire sur les pages d'histoire de l'art brut l'inscription  Gerhard Dammann (1963-2020).

      Directeur médical de la Clinique psychiatrique de Münsterlingen et directeur des services hospitaliers psychiatriques du canton de Thurgovie, en Suisse, Gerhard Dammann, d'origine allemande, était psychiatre, psychologue et psychanalyste. Sa femme Karin et lui étaient des collectionneurs passionnés d’œuvres créées dans le contexte psychiatrique, associées à l’art brut et l’art outsider, avec des incursions aussi du côté de l'art médiumnique.

       J'adresse toutes mes condoléances à sa femme et à ses quatre filles. Cette nouvelle m'a, je l'avoue, passablement ému, même si je ne faisais pas partie des intimes.

Lit sculpté de Bonneval, coll Dammann, voir collecting madness vol 1.jpg

Le lit sculpté de Bonneval, photo extraite du catalogue "Collecting Madness, outsider art from the Dammann Collection" (exposition 2006 à la Fondation Prinzhorn à Heidelberg).

 

           Dans le cadre de l'OAF, vers 2016, on s'était croisé lui et moi au détour d'un couloir. J'avais apprécié la finesse, la simplicité et la courtoisie du personnage. On était entre collectionneurs au fond, même si je n'avais guère les mêmes moyens. Simplement, on était avant tout entre sincères amateurs. Il s'était spécialisé, en accord avec son métier, dans la collection de la folie, comme le titre d'un catalogue de la Fondation Prinzhorn à Heidelberg, "Collecting madness", le rappelait, en accompagnant une exposition de sa collection. Catalogue Collecting madness, outsider art from the Dammann collection001.jpgMais il ne se limitait apparemment pas à ce champ d'exploration, puisque, outre certaines pièces remarquables en provenance d'asiles divers (comme un lit étonnant à l'auteur énigmatique, venu d'un asile près de Chartres, peut-être celui de Bonneval), il lui arrivait de mettre la main sur des œuvres dites "médiumniques", peut-être pour masquer l'absence totale d'informations les concernant, comme le tableau ci-dessous, intitulé au sommet de la bâtisse représentée: "Le Château des deux sœurs jumelles".

Capture.JPG

Auteur inconnu, Le Château des deux sœurs jumelles, 123 x 135 cm, sans date, provenance France, collection Gerhard et Karin Dammann.

 

      Lorsque Gerhard Dammann m'a interrogé sur ce que je pensais de ce tableau, je n'ai pas pu lui rétorquer grand-chose, comme je n'avais guère donné d'éclaircissements non plus à François Vertadier de la galerie Polysémie qui l'avait détenu auparavant et qui lui aussi avait demandé aux internautes via sa newsletter des informations. Il est d'ailleurs intéressant de donner les précisions suivantes que m'avait délivrées M. Vertadier (en janvier 2016):

"Des inscriptions : au dos rien, mais impossible à décoller de son support, car il est fait de plusieurs morceaux.

Sur le dessin, pas de  signature mais quelques mots :

Gros, devant les jambes d’un personnage entre deux fenêtres.

Bas nylon, au centre en bas.

Galilée, pour le  personnage dans la partie haute de la tour de droite.

Et surtout au tampon T SCHEWEICHLEIN au dessus du personnage en dessous. Est-ce l’auteur ou quelqu’un d’autre ? A ce jour, mystère. Je n’ai trouvé aucune trace d’artiste ou de personnalité de ce nom."

      Je gage qu'aujourd'hui, quatre ans après, on n'a guère progressé au sujet de ce tableau. De plus, pour bien l'analyser, il faudrait, de prime abord, une reproduction en meilleure résolution. Le château en question avec ses loges me fait penser personnellement à un théâtre de marionnettes. Les "sœurs jumelles" n'ont pas l'air très jumelles justement. Certains détails, comme la caravelle (du moins est-ce ainsi que je l'identifie) survolant la composition, permet de dater l'oeuvre des années 1960 environ... 

      J'ajoute que M. Vertadier m'avait également informé que le tableau aurait été connu d'André Breton, et que parmi les nombreuses mains entre lesquelles il est passé, avant d'atterrir, donc, finalement, chez Gerhard et Karin Dammann, il y aurait eu une femme très connue des milieux surréalistes, amie avec  Breton (Joyce Mansour par exemple? Hypothèse gratuite que je lance ici...).

 

Conférence et présentation de la collection du couple Dahmann par Gerhard Dammann, en 2011, dans les cadre des Hôpitaux Universitaires de Genève.