26/02/2016
Y a bon phone
Il y a quelques années, dans la rue de Flandre – qui n'avait pas encore été élevée, si je me rappelle bien, au rang d'"avenue" –, ma curiosité avait été piquée au vif par un panneau où s'étalait un logo publicitaire, mi naïf, mi ésotérique, vantant une boutique de vente de téléphones cellulaires, logo signé, étonnamment en un tel endroit (un pauvre mur cachant une boutique bricolée au pied du talus du chemin de fer de ceinture qui enjambait la rue, peu avant la porte de la Villette), du nom de Tokoudagba. Le même nom que celui d'un artiste béninois (né en 1939, il est disparu en 2012) dont à l'époque, j'avais découvert des œuvres tout à fait remarquables à l'Institut du Monde Arabe dans une exposition temporaire (il avait auparavant exposé aux Magiciens de la Terre en 1989). J'ai déjà eu l'occasion de parler de lui ailleurs sur ce blog. C'était surprenant de retrouver un dessin peut-être dû au même Tokoudagba dans un endroit aussi banal. Il était tracé en noir sur blanc. Je n'ai pas pu le photographier sur le moment (un camarade le fit, mais sa photo n'a toujours pas été retrouvée, en dépit de mes demandes répétées...). Mais, repassant dans la même rue à peu de temps de là, je fus encore plus sidéré de constater que le logo, s'il avait perduré, probablement copié et transféré, le décor entier du mur de clôture et des portes de la boutique visible au fond d'une courette avait progressé, composé de fresques en couleur où la couleur jaune Turner (un jaune doré) dominait, éclatante dans cet environnement urbain uniformément gris. La boutique "Y a bon phone" se faisait ainsi une publicité tout à fait dans le style des enseignes naïves d'Afrique de l'ouest. Très unique cas audacieux en plein Paris. Inutile de dire que ce décor ne dura pas longtemps, sans que je sache la raison de sa disparition.
Décor naïf africain pour une boutique de téléphones, Paris XIXe ardt, photo Bruno Montpied, 2003
Le jeune habillé à l'européenne lance un portable vers son aïeul resté au pays : le message est clair, grâce à cet appareil, les générations peuvent garder le contact, ph BM, 2003
Le logo inclus dans les fresques, refait d'après le logo primitif noir et blanc de Tokoudagba, on note l'alliance entre le serpent et le téléphone, la tête disparue dans l'arborescence d'un réseau de racines se dispersant dans toutes les directions ; ce logo entretient des rapports avec la représentation de la Mami Wata ; ph BM, 2003
Autre peinture sur l'avers du deuxième battant du portail: "Y a bon phone", ph BM, 2003
24/02/2016
Philipe Carcaly, un artiste bordelais (un de plus) à suivre...
Ce monsieur Carcaly m'a récemment signalé qu'il allait exposer à partir du 4 mars à Bordeaux (au café de l'Etoile, rue Bouquière). J'avais déjà reçu de ses nouvelles auparavant mais je ne parviens pas à retrouver ce qu'il m'avait envoyé. Je me souviens seulement que cela m'avait paru fort séduisant. Philippe Carcaly est de ceux que le collage pur ne parvient visiblement pas à satisfaire, il lui faut le faire entrer en composition avec la peinture (aquarelle? Gouache? Lavis? Je ne sais). Et il a bien raison, vu les résultats que je vous laisse le soin de découvrir ci-dessous.
Philippe Carcaly, Empire burlesque 3, 62 x 30 cm, vers 2013
Derviche (ou New Mamamouchi, que je trouve personnellement un meilleur titre)
Philippe Carcaly, Minotaure
Cet artiste possède un site internet, qu'il alimente parcimonieusement quoique avec rigueur. C'est de celui-ci que j'ai extrait mes images. Si j'étais vous, j'irais faire un tour dans ce café de l'Etoile le 4 mars. Avec un tel nom, le lieu ne peut être foncièrement mauvais...
00:07 Publié dans Art moderne ou contemporain acceptable | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : philippe carcaly, café de l'etoile, collage et peinture | Imprimer
23/02/2016
Dictionnaire du Poignard Subtil
HUMOUR NOIR
"On demande à Stevie Wonder si ce n'est pas trop triste de naître aveugle. Il répond : « Ça aurait pu être pire, j'aurais pu naître noir! »"
Charles-Henri Favrod, Citation, récitation, Infolio éditions, 2015
10:12 Publié dans DICTIONNAIRE DE CITATIONS DU POIGNARD SUBTIL | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : aphorismes, mots d'esprit, stevie wonder, charles-henri favrod, humour noir, aveugles, infolio éditions | Imprimer
14/02/2016
Création Franche n°43 où les inspirés du bord des routes sont de retour
Le n°43 d'une revue fondée en 1989
Voici le nouveau numéro de Création Franche, revue bi-annuelle, un numéro au printemps, un numéro en hiver... Disponible sur abonnement, ou directement au Musée de la création franche à Bègles, et de temps à autre à la librairie de la Halle St-Pierre, Paris 18e ardt...
Au sommaire − en dehors de l'édito du directeur, Pascal Rigeade, qui, cette fois-ci, nous présente le nouveau rendez-vous du musée, appelé de façon très branché "le Lab" (qui, d'après ce que j'en ai compris, souhaite révéler le dialogue que noueraient telle ou telle œuvre de la collection avec le contexte social, économique, culturel, etc, de sa production... Ambitieux programme...), et de l'article de Gérard Sendrey, l'ancien directeur, et fondateur du musée − on trouve cinq chroniqueurs extérieurs : Paul Duchein, Dino Menozzi, Denis Lavaud, Bernard Chevassu et moi-même. Les deux créateurs évoqués par Duchein et Menozzi ne m'ont, je dois dire, pas beaucoup retenu. Non, je me suis plutôt attardé sur l'article de Bernard Chevassu qui propose une balade du côté des "racines et des rêves", autrement dit, de créateurs qui ont ce point commun de s'intéresser fortement aux formes suggestives de la nature, notamment arboricole. On y retrouve, au hasard des pages, quelques images des œuvres de Félix Gresset, personnage dont je n'avais plus entendu parler depuis une éternité, je crois bien que c'était dans une ancienne brochure de l'Aracine la dernière fois...
En cherchant un peu dans ma documentation, j'ai finalement retrouvé une notice sur lui, illustrée de deux reproductions, dans le catalogue Art Brut, collection de l'Aracine, édité par le LaM, musée d'art moderne de Villeneuve-d'Ascq en 1997. Il y est dit que Gresset, ouvrier forestier dans le Jura, avait installé des personnages constitués de branches, de racines, ou bien encore de souches interprétées, devant sa maison, dans un village joliment appelé Chantegrue (un nom de lieu prédestinant là encore, sûrement). Ce qui me permet de le ranger parmi les créateurs populaires d'environnements chers à mon cœur. L'article de Chevassu vagabonde avec raison de façon agréable chez les assembleurs et interprètes amateurs (ou non : plusieurs de ceux qu'il cite paraissent plus "artistes") de poésie naturelle. On sait que, rien que dans la catégorie des créateurs autodidactes populaires, ils sont légion. On aime à ramasser du bois mort, ou des galets aux formes tourmentées, qui représentent d'étranges formes interprétables. C'est la manière que les fées et les trolls ont trouvée pour se perpétuer jusqu'à notre époque trop raisonnante.
Le jardin de Félix Gresset, photo parue dans Art brut, collection de l'Aracine (1997)
Ce numéro de Création franche s'attarde plus que d'habitude chez les inspirés du bord de routes. C'est ainsi que l'on lit avec plaisir l'entretien que Francis David, l'émérite photographe du Guide de l'Art insolite dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie (Herscher, 1984), a donné avec bonne grâce à Denis Lavaud. Le dialogue revient sur le parcours de ce pionnier en matière de recherche d'inspirés, en nous révélant que c'est, entre autres, à la suite des expositions de Claude et Clovis Prévost que dès 1977 à Chartres, Francis David décida de s'intéresser de plus près aux habitants-paysagistes. Il y a en effet une chaîne de quêteurs d'inspirés du quotidien qui va, ininterrompue, depuis le début du XXe siècle (si l'on pense aux photographes anonymes qui nous ont gardé la trace par la carte postale de tant de sites du passé) jusqu'à aujourd'hui.
Francis David, en plus de son travail photographique des années 1980, aurait très bien pu développer l'écriture, de façon tout aussi originale que dans sa photographie. Il s'est en effet rapproché des écrivains-voyageurs, si l'on se réfère aux quelques rares notes de balade (des vers en réalité) qu'il fit paraître dans le catalogue de l'exposition Les Bricoleurs de l'Imaginaire (Musées de Laval et de La Roche-sur-Yon, 1984). Ces dernières se terminaient par ces mots:
"rouler jusqu'à la nuit / avec l'ivresse de ces courses et de ces rencontres / avec le vertige / d'avoir à délimiter / les fondations d'une tour de Babel / que des rêveurs s'acharnent / à bricoler pour nous / tous."
Un Gabriele Mina, en Italie, s'est souvenu de cette tour de Babel dans le titre de ses livre et site web (Costruttori di Babele...). De même qu'un certain Bruno Montpied ne rougit pas de reconnaître qu'il a dû se souvenir des "bricoleurs de l'imaginaire" (cf. le titre du catalogue et de l'exposition initiés par Francis David), pour le film qu'il a écrit avec le réalisateur Remy Ricordeau, Bricoleurs de paradis...
B.M., dans ce même numéro 43 de CF, a rapporté un petit reportage sur un environnement étourdissant, très atypique, qu'il est allé voir en Espagne, en compagnie de deux camarades, l'été dernier. Ce site incroyable, créé par un certain Julio Basanta, pour commémorer le meurtre de son frère, puis de son fils, par la police, à vingt ans d'intervalle, est imprégné d'un mysticisme légèrement délirant qu'il paraît fréquent de rencontrer chez nos voisins ibères. L'article aurait pu faire partie de la série de notes que j'ai commencée sur ce blog (intitulée − bien présomptueusement puisqu'il n'y a eu jusqu'ici, je m'en avise avec confusion, qu'un seul épisode s'y rapportant − "Journal de voyage en Espagne"), évoquant en pointillé cette dérive automobile en Espagne. Je ne me laisserai pas aller à évoquer cette création architecturale et sculpturale, car cela nous emmènerait trop loin. Publions juste une photo supplémentaire et renvoyons nos lecteurs qui voudraient en savoir plus vers la revue. Car la fin du papier par la lecture sur internet n'entre pas dans mes vues...
La "Casa de Dios" de Julio Basanta, ph. Bruno Montpied, 2015
01:02 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art singulier, Environnements populaires spontanés, Hommages, Photographie, Poésie naturelle ou de hasard, paréidolies | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : création franche n°43, inspirés du bord des routes, environnements spontanés, habitants-paysagistes, denis lavaud, francis david, bruno montpied, félix gresset, poésie naturelle, bernard chevassu, julio basanta, casa de dios, environnements populaires espagnols, art brut espagnol | Imprimer
04/02/2016
Dégringolade d'avortons et autres spectres chez Dettinger: Ruzena et Pierre Blondeau
La galerie Dettinger a loué ses locaux à des fantômes d'êtres qui ressemblent furieusement à des mort-nés et des poupées d'exorcisme. A des mort-nés surtout dans le cas de Ruzena.
Ruzena, sans titre, technique mixte sur papier, 60x40cm, 2014
Parce que, du côté de l'autre artiste présenté, Pierre Blondeau, on se croirait plutôt en présence de poupées pour zombies, du genre de celles qu'on pourrait imaginer aux mains des cadavres quand ceux-ci tentent de se distraire dans la froideur de leurs sépulcres. Ruzena adore accoucher, si j'ose dire, de ces esprits, parfois proches du phasme, qui paraissent comme recueillis, en larmes presque, pleurant leur impossible naissance au monde réel, condamnés à venir rôder à jamais sur la rugosité des grandes feuilles de papier où l'artiste obsessionnellement les couche, farfadets, petits démons aussi bien, si l'on veut, certains autres jours, comme lorsqu'on les voyait, à une époque, cernant des familles entières de bons Français mis sur leur 31.
Ruzena, portrait de famille, mai 2008, technique mixte sur photo, ph. Bruno Montpied
Blondeau doit hanter quant à lui, non les cimetières (quoique...Vaudous...?), mais les cultures autres, loin de l'Europe et de ses anciens parapets, du côté de l'Afrique peut-être, cette Afrique que le galeriste Alain Dettinger, place Gailleton à Lyon, expose tout au long de l'année, sur des rayons parallèles de sa si originale galerie...
Ruzena, "dessins"-Pierre Blondeau, "mutants mutins", du 30 janvier au 27 février, Galerie Dettinger-Mayer, 4, place Gailleton, 69002 Lyon. Tél 04 72 41 07 80. <www.galerie-dettinger-mayer.com> et dkart2@yahoo.com
23:54 Publié dans Art moderne ou contemporain acceptable, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : ruzena, pierre blondeau, galerie dettinger-mayer, art irrégulier, art singulier, art ethnique, vaudou, avortons, mort-nés, poupées d'exorcisme, famille, démons, farfadets | Imprimer