12/09/2020
Ogres et croquemitaines à Laval
Affiche de l'expo avec en illustration Michel Hénocq, le bien Malotru.
Dans sept jours, ouvre au Musée d'Art Naïf et d'Arts Singuliers du Vieux Château, à Laval (Mayenne), une exposition à la thématique réjouissante pour l'imagination. Les ogres, et – revendiquons la parité hommes/femmes – les ogresses (les castratrices?), les croquemitaines, toutes ces figures destinées à faire peur pour des raisons éducatives paraît-il – venues de nos profonds souvenirs inconscients –, dérivent depuis nos rapports enfantins avec le monde des adultes, et des parents en particulier. Papa, Maman, sont les premiers géants, et parfois les premiers ogres et ogresses. C'est finalement les rapports de domination basés sur l'épouvante que veut illustrer cette exposition proposée par Antoinette Le Fahler, directrice du musée, et son équipe. Le musée ne communique pas pour l'instant sur les artistes qui ont été sollicités pour cette manifestation : j'ai appris, à l'heure où j'écris ces lignes, qu'il y aurait déjà au moins Danielle-Marie Chanut, Anne Van Der Linden, Joël Lorand, Denis Dubois, Hélène Duclos (travail fort intéressant sur lequel j'espère pouvoir un jour revenir) et Murielle Belin (ainsi que mézigue). Dans l'ensemble, on est allé pas mal du côté de plasticiens contemporains plutôt que de l'art singulier.
Voici l'argument de l'exposition tel que présenté par le musée:
"L’Ogre, figure populaire alimentant les frayeurs enfantines, symbolise à la fois la puissance paternelle, les violences familiales, le totalitarisme ou les prédateurs sexuels. Le thème de la dévoration présent depuis toujours dans toutes les civilisations est largement traité dans la littérature, les bandes-dessinées, les arts plastiques et visuels. L’exposition "Ogres et croque-mitaines" propose un regard sur la création contemporaine à travers une diversité d’expressions plastiques relevant des Arts Singuliers, de la Nouvelle Figuration, de l’Expressionnisme contemporain ou de la Pop Culture."
Bruno Montpied, L'Ourson dans le ventre, 30,5 x 23 cm, technique mixte sur papier, 2019 (présenté dans l'exposition "Ogres et croque-mitaines" de Laval) ; ph. Bruno Montpied.
La volonté de faire peur aux enfants, par exemple ceux qui sucent leur pouce (une des bases proposées dans l'étymologie du mot "croque-mitaine" – qui peut s'écrire avec ou sans tiret – consiste à suggérer que l'enfant qui s'entête à sucer son pouce va provoquer l'arrivée du mangeur de doigts...), est à l'origine d'une immense cohorte de personnages tous plus angoissants les uns que les autres, énumérés dans une liste donnée sur Wikipédia (le Babau, le Bonhomme sept-heures, L'Homme au Crochet, le Spétin – qui se cache dans le brouillard et les lieux sombres –, El Coco, la Mano Negra, les Nòchtgròbbe, corbeaux de la nuit..., la vieille Chabine dans le Berry, la Mère Tire-Bras en Sologne, le Picolaton, etc...). La palme, selon moi, que je décerne spontanément, revient à la "came-cruse" gasconne, à l'apparence de jambe munie d'un œil à son genou, courant à travers les rues à la recherche des enfants désobéissants...
Attention, le Coco arrive..., Francisco de Goya, 1797.
Mais si personnellement, je peux faire attention à l'usage "éducatif" qui fut fait (et que l'on fait toujours) de ces épouvantails à enfants (on lira avec intérêt le petit livre de la folkloriste Nicole Belmont, Comment faire peur aux enfants, paru il y a plusieurs années (1999) au Mercure de France), j'ai tendance dans mes dessins à traiter le thème avec désinvolture, oscillant entre la représentation horrifique volontairement poussée et le rendu grotesque et moqueur. Les ogres et ogresses sont souvent ridicules à mes yeux, la plupart du temps. Quatre de mes dessins en couleur figurent dans l'exposition du musée de Laval. Dont les deux que je mets en illustration ici.
Bruno Montpied, Cherchant le Petit Poucet, 24 x 17 cm, technique mixte sur papier, 2011.
Au vernissage, le 18 septembre, des "Ogres et Croque-mitaines", ph. Bruno Montpied.
10:54 Publié dans Art moderne ou contemporain acceptable, Art naïf, Art populaire insolite, Art singulier, Galeries, musées ou maisons de vente bien inspirés, Le conte en rapport avec d'autres expressions, Littérature jeunesse | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : musée d'art naïf et d'arts singuliers de laval, géants, parents et enfants, ogresses, bruno montpied, nicole belmont, éducation par la peur, exposition ogres et croquemitaines | Imprimer
22/06/2019
Michel Valière nous a quittés
Michel Valière est mort le 22 février dernier, d'une longue maladie, dit-on... Et, même si je n'avais plus de contact avec lui depuis longtemps, je dois dire que cette nouvelle m'a fait mal. Une sorte d'adage résonne en moi... Lorsqu'un vieillard meurt, c'est comme une bibliothèque qui brûle. Et ici, mieux qu'ailleurs, l'adage se vérifie.
Michel Valière (et sa femme, Michèle Gardré-Valière) en compagnie de Franck Vriet et sa femme, à Brizambourg (Charente), ph. Bruno Montpied, 2006 ; nous visitions ce créateur de statues en plein air situé non loin de chez Gabriel Albert, qu'il connaissait bien, et avec qui il avait réalisé des statues (peut-être en commun?), apparemment plutôt animalières.
Le Corbeau de la fable Le Corbeau et le Renard de La Fontaine, imaginé par Gabriel Albert à partir d'un dessin de costume pour une pièce de théâtre ; cette attribution m'avait été signalée par Michel Valière ; ph.B.M. 2006.
L'homme, que j'avais rencontré au LaM de Villeneuve-d'Ascq, en marge d'une journée sur les environnements spontanés, en 2005, alors que venait de paraître un de ses ouvrages chez Armand Colin, Le Conte populaire, approche ethnographique, s'est engagé à fond durant toute une période dans la défense et la sauvegarde du jardin de 420 statues naïves de Gabriel Albert à Nantillé (Charente-Maritime), sauvegarde qui paraît en voie d'être acquise aujourd'hui (voir la note que j'ai consacrée au cahier de l'Inventaire du Patrimoine de la région Poitou-Charentes entièrement centré sur l'environnement de Gabriel Albert, cahier que Valière a supervisé ; on lira avec fruit, en cliquant sur le lien ci-avant, le débat enrichissant qui s'instaura à la fin de la note, en commentaires, entre Michel Valière, Emmanuel Boussuge et mézigue). Mais, à côté de cela, c'était avant tout un puits de science en matière ethnographique, et de cultures, de langues populaires (notamment en occitan). Les lecteurs anciens de ce blog se rappelleront peut-être ses commentaires érudits et fort pointus (trop?), sous le pseudonyme de "Belvert", qui renvoyait à son propre blog, toujours ouvert à l'heure où j'écris ces lignes... C'était, en dehors de son savoir ethnologique (il s'est consacré beaucoup au collectage de témoignages oraux dans la région du Poitou), en effet, un grand linguiste spécialisé dans les parlers poitevins-saintongeais, ainsi qu'en occitan (né à Paris, il a grandi à Lespignan, dans le Biterrois et l'Hérault). Il nous avait gratifiés sur ce blog, on s'en souviendra, de commentaires pointus sur les tsapluzaïres, ces tailleurs de copeaux, sculpteurs amateurs à leurs heures de loisir, que l'on rencontrait encore jusqu'à ces dernières années dans le Massif Central.
Par ailleurs, Michel Valière était un grand connaisseur de l'art populaire et avait contribué à monter avec d'autres des musées. Mais je ne parviens plus à me rappeler de lequel d'entre eux il m'avait parlé. Son rapport avec des gens dans mon genre montre que sur ses "vieux jours", il s'était ouvert aux nouveaux surgeons de l'art populaire que sont l'art naïf, l'art brut (ce n'est absolument pas signalé dans la notice qui lui est consacrée sur Wikipédia). Même l'art singulier l'intéressait (à ce titre, je lui avais offert une de mes peintures sur papier, Un rugby aux règles étranges, qui faisait une vague allusion à l'ancêtre du rugby, la soule, jeu violent pratiqué dans le Sud-Ouest). Sa curiosité était vaste et variée. Il faut espérer que quelque bonne âme aura eu l'heureuse idée de l'enregistrer, comme lui-même sut le faire pour beaucoup d'interlocuteurs dépositaires de culture populaire.
Bruno Montpied, Un rugby aux règles étranges, 30 x 40 cm, 2005, coll. Michel Valière, ph. B.M.
00:28 Publié dans Art immédiat, Art naïf, Art populaire insolite, Environnements populaires spontanés, Le conte en rapport avec d'autres expressions | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : michel valière, nécrologies, tsapluzaïres, art populaire, ethnologie française, parler poitevin-saintongeais, occitan, gabriel albert, environnements populaires spontanés, inventaire du patrimoine de la région poitou-charentes, conte, franck vriet, bruno montpied, soule, rugby | Imprimer
05/07/2016
La vie dans un tonneau
J'aime bien ce conte du tonneau magique que racontait à l'occasion ce grand diseur qu'est Michel Hindenoch. Lorsqu'on laissait tomber quelque objet que ce soit à l'intérieur, cette chose s'y multipliait jusqu'à ras bord pour le bonheur, ou le malheur, de celui qui l'y avait jeté...
Ici, essayons plutôt le bonheur (quoique... Voir Garou plus bas...).
Joseph "Pépé" Vignes, sans titre, crayons de couleur et graphite sur papier, 24 x 32 cm, 1976, coll. et ph. Bruno Montpied
J'ai mis en ligne, je crois, au moins une fois déjà, ce dessin aux crayons de couleur de Pépé Vignes montrant un tonneau figuré à la fois de face et de profil, ressemblant à un chalet suisse. Tonneau (foudre plutôt) qui repose sur un accordéon, comme me l'a signalé autrefois monsieur de Belvert à la suite de ma première note sur ce dessin.
Cette rencontre de piano à bretelles avec un tonneau résume en grande partie la vie de l'auteur du dessin, Pépé Vignes, que l'on n'a pas oublié dans sa bonne ville d'Elne (Catalogne française) puisqu'une rue porte son nom, comme nous l'a signalé naguère un commentateur de la note citée ci-dessus signant "Illibérien" (habitant d'Elne ; voir sa photo ci-contre). Joseph Vignes, fils et frère de tonneliers, lorsqu'il était enfant, dormait, contraint et forcé, dans un des tonneaux de l'entreprise familiale. Et l'accordéon était l'instrument favori de Vignes, dont il jouait pour animer nombre de fêtes et de bals dans sa région, en dépit des imbéciles qui se moquaient de lui en raison de sa simplicité ("Illibérien" - qui signe aussi, dans les courriels que j'ai échangés avec lui, "Jean de la Lune" - dit qu'il était "retardé ; un Espagnol aurait dit qu'il lui manquait un quart d'heure..."). Photo ci-contre: Pépé Vignes par Mario Del Curto (très myope, Vignes dessinait au ras de sa feuille... Peut-on être plus immédiat que cela en matière de dessin?
Voici quelques souvenirs de Jean de la Lune, l'Illibérien qui connut Pépé Vignes en 1960 (Vignes avait alors 40 ans, et notre Illibérien en avait 16):
"Je vais vous dire qui était Pépé. Fils de tonneliers auvergnats installés à Elne, avenue du Général de Gaulle, Jo est le mal-aimé de la famille. Il n'a pas toute sa tête, il ne fait rien, ne sert à rien (c’est un peu un être inutile). Les Vignes, c'est une famille nombreuse. Ils vivent non pas dans une maison, mais dans une sorte de hangar qui fonctionne comme un tout, atelier ou maison. Le papa tient la tonnellerie avec un des fils. Il y aussi deux filles. Jo est l'aîné, il est né en 1920 − lorsque j'ai bien connu Jo, j'étais adolescent − lui avait 40 ans et moi 16 [nous sommes alors, donc, en 1960]. Dans tous les bals où Jo allait, il y avait ces imbéciles qui lui empoisonnaient la vie − lui ne disait jamais rien, il était gentil. Des fois, il venait au bal avec son accordéon et en bon fils d 'Auvergnat, il aimait la bourrée. Les malfaisants lui faisaient jouer de l'accordéon et danser la bourrée à n'en plus finir. Mais comprenez qu'à la fin, ça devenait lassant de se retrouver avec la même bande de lourdauds qui empoisonnaient ce brave garçon. Pour ce qui est du tonneau dans la cour − je revois leur image encore en vous écrivant (c'est le chemin de l'école, je les voyais quatre fois par jour) − il y avait cinq ou six énormes tonneaux −des foudres énormes− et dans l'un d’eux, Jo dormait. C'était sa chambre à coucher ! Hiver comme été ce brave Jo dormait là ! Vous comprendrez maintenant que le dessin de son chalet prenne la forme d'un tonneau." (Jean de la Lune)
Cela m'est revenu lorsque j'ai eu envie de rassembler pour les besoins de la note présente quelques images ayant pour point commun le tonneau vu comme un habitat (si l'on peut dire cela pour le cas qui suit immédiatement).
La seconde occurrence où figure un tonneau, elle aussi a déjà fait l'objet d'une note précédemment. Mais, dans une autre note qui se veut rassemblement et anthologie d'habitats-tonneaux, cela prend un sens élargi.
Tombe de Léonce Chabernaud, Rochechouart, photo (carte postale) Jacques Thibault
Pour ceux qui n'auraient pas lu les commentaires croisés de "l'Aigre de mots" et de "Pierre-Jean", publiés à la suite de la note donnée en lien ci-dessus, cette tombe représente le wagon-foudre d'un négociant en vins, anticlérical au point d'avoir voulu se faire enterrer sous un symbole qui moquerait les bigots de tous poils dans sa région et au-delà. Et il faut dire que cette sépulture de ce point de vue ne manqua pas sa cible... De plus, elle appelle par analogie d'autres coutumes funéraires pratiquées dans des cultures a priori bien éloignées des nôtres, comme cette coutume au Ghana dans l'ethnie Ga qui consiste à fabriquer des cercueils en forme d'objets ou d'animaux ayant eu un rapport avec la vie du défunt. J'en ai également déjà parlé.
Extrait de Massif Central magazine, années 1990
Revenons à nos tonneaux, cela dit. Non loin de l'Auvergne, dans le Velay, au sein d'une forêt entourant le magique lac du Bouchet, cachant la bouche d'un volcan, vivait autrefois un certain Pierre Brun, dit communément "Garou", homme à tout faire dans cette campagne du Bouchet-Saint-Nicolas. Pauvre d'entre les pauvres, il habitait un tonneau transformé en abri, avec un toit de zinc, une porte et une fenêtre, foudre de "500 hectolitres" que lui avait cédé par troc son marchand de vins favori du Bouchet. Il y survivait tant bien que mal, creusant les trous des morts au cimetière communal, éclusant pas mal de chopines. Il habitait ainsi le logement idoine, étant donné son occupation favorite... Un hasard pathétique voulut qu'en 1971, il termine sa vie en se noyant dans le lac voisin, buvant plus d'eau qu'il n'en avait jamais absorbé sa vie durant. S'il a disparu, il semble bien qu'en revanche son foudre soit toujours debout, abri de fortune pour les promeneurs de passage.
L'abri de Garou, encore debout dans les années 1990... Photo Luc Olivier, Massif Central magazine
L'idée d'un habitat conçu à partir d'un tonneau, même si elle renvoie souvent au mythe du célèbre Diogène, n'a pas eu à ma connaissance (qui reste tout de même fort limitée en ce domaine) d'applications nombreuses à notre époque si l'on excepte des applications d'ordre publicitaire. Voici deux exemples au moins, relevés en France. L'un, repéré en 2010 à Batz-sur-Mer, montre un stand de vente de vins de Bordeaux, logiquement installé dans un foudre.
Batz-sur-Mer, ph. Bruno Montpied, 2010
Le second a été rencontré ces jours-ci par notre correspondant spécial à Clermont-Ferrand, Régis Gayraud, sur la place de Jaude. Là encore, on a affaire à un marchand de vins, mais cette fois son stand est à "roulettes".
Cette camionnette originale est un vestige de la caravane publicitaire du Tour de France 1952, ph. Régis Gayraud, 2016
Voici la camionnette originale parée aux couleurs de Byrrh...
Alors, certes, certains esprits chagrins pourraient nous rétorquer que ce ne sont là que constructions au service du commerce, mais nous pourrons toujours leur répondre qu'en dépit de cela, continue de passer un message poétique, exploité à des fins de négoce bien sûr, mais toujours présent, concrètement prouvé.
08:50 Publié dans Architecture insolite, Art Brut, Art immédiat, Art populaire anti-religieux, Confrontations, Danse macabre, art et coutumes funéraires, Le conte en rapport avec d'autres expressions, Photographie, Véhicules créatifs | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : tonneaux, habitats dans des tonneaux, architecture insolite, abris insolites, foudre, tonnellerie, joseph pépé vignes, art brut, rue pépé vignes, accordéon, illibérien, elne, garou, lac du bouchet, pierre brun, régis gayraud, véhicules insolites, habitat alternatif | Imprimer
19/09/2015
Adivasi?
Ah, dis: vas-y... voir les peintures Adivasi à la galerie 6 Elzévir, présentées par l'antiquaire, marchand de "décoration ethnique", Philippe Saada, dont j'ai déjà parlé sur ce blog pour l'expo Babahoum qu'il avait montée dans cette même galerie l'année dernière presqu'aux mêmes dates. Ce sont des œuvres peintes par les membres d'un de ces "minorités ethniques" que l'on rencontre en Inde, tels les Gond, qui sont eux paraît-il des Aborigènes (plusieurs de leurs œuvres sont également présentées dans le Marais dans une autre galerie, rue Charlot, la galerie Anders Hus).
A propos de Babahoum, on notera que si l'on suit les infos parues sur le site web d'Escale Nomad, la structure d'exposition de Philippe Saada, une expo consacrée à ce créateur marocain se tient jusqu'au 30 septembre à Bruxelles (cliquez sur le lien ci-dessus pour en savoir plus).
Exposition ADIVASI, peintures des minorités indiennes
du 24 au 27 septembre 2015 de 11h à 19h, vernissage jeudi 24 septembre de 18h à 22h
Galerie Six Elzévir
6, rue Elzévir 75003 Paris
06/08/2015
"Outsiders" indonésiens à Bègles
Endru Sil, encre sur papier, 19,5 x 28,4 cm, 2014
Noviadi Angkasapura, encre sur papier, 15,7 x 20,9 cm, 2014
Tri Oktafiyani, encre sur papier, 32,8 x 21,5 cm, 2014
Muhammad Nasir, encre et crayon sur papier, 17,9 x 25 cm, 2014
Shony Wijaya, stylo à bille et crayons de couleur sur papier, 14,8 x 21 cm, 2014
Erna KD, encre et stylo bille sur papier, 21 x 29,7 cm, 2014
Il reste un mois pour aller voir l'expo originale montée au Musée de la Création Franche à Bègles (26 juin - 6 septembre 2015) sur des "Outsiders d'Indonésie".
Ce n'est en effet pas banal comme manifestation. Les amateurs d'art brut ou singulier indonésien n'avaient eu que peu de créateurs à se mettre sous la dent, si j'ose dire. L'un d'entre eux étant cette créatrice génialement inspirée du nom de Ni Tanjung, révélée par les expositions et les publications de la Collection de l'Art Brut à Lausanne (notamment récemment au moment de l'exposition "L'Art Brut dans le Monde"). Si ses peintures sur pierres (des représentations d'esprits je crois) ont disparu petit à petit dans le site en plein air où elles étaient installées (à Bali), elle a continué à s'exprimer sur papier de fort poétique façon.
Ce qu'il restait des pierres peintes de Ni Tanjung en août 2008 à Bali, ph. Petra Simkova
Un autre créateur indonésien fut également montré à Vitré au sein du Centre Français du Patrimoine Culturel Immatériel. Cet auteur javanais a pour nom Dani Iswardana. Sans avoir vu son exposition à Vitré, j'avais trouvé les reproductions de certaines de ses œuvres tout à fait intrigantes. Est-ce l'effet des croisements entre différentes cultures sur ces territoires variés d'Indonésie entre échos de l'art ancien des Papous, influences culturelles musulmanes et bouddhisme, toujours est-il qu'il semble bien que dans ces contrées si éloignées de l'Europe on ait affaire à un riche creuset d'expressions artistiques. Rappelons (source Wikipédia) que cette république d'Indonésie est composée de plus de 17 000 îles, que sa population est la 4e du monde (à majorité musulmane) et qu'elle se situe géographiquement au carrefour d'influences venues à la fois du Moyen-Orient, de l'Inde, des pays asiatiques et de l'Océanie. Parmi ses îles les plus connues, on peut citer Sumatra, Java (où se trouve la capitale Djakarta), les îles Célèbes, les îles Moluques, la Papouasie, une partie de Bornéo, Bali... On a dénombré 1100 ethnies différentes, plus de 700 langues...
Une œuvre de Dani Iswardana montrée à Vitré en 2010 ; Ce plasticien accompagnait ses toiles de récits (art du wayang beber) de façon analogue aux rouleaux narratifs peints des patuas indiens ou au kamishibai japonais (images supports de contes rangées dans des petites armoires ambulantes)
A Bègles, les œuvres présentées paraissent avant tout d'ordre graphique comme on peut en avoir un échantillon en tête de cette note. Elles émanent de créateurs tous autodidactes qui ont pour point commun d'être tous plus ou moins liés au plus productif d'entre eux, le nommé Noviadi Angkasapura, qui ambitionne d'atteindre bientôt le million de dessins afin de fonder un musée à lui seul consacré, musée qui serait un moyen de rendre grâces à ses ancêtres, comme il est dit dans le dossier de presse de l'exposition béglaise (malheureusement non signé : qui est l'instigateur de cette exposition, on ne le sait pas ; cela donne l'impression que l'expo tombe du ciel...). Il paraît stimuler sans cesse autour de lui les potentialités créatives des différents individus qu'ils repèrent autour de lui comme porteurs de pratiques expressives en herbe.
Noviadi Angkasapura, sans titre, 30 x 20 cm, sans date repérée, coll. privée Paris, ph. Bruno Montpied
09:25 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art singulier, Le conte en rapport avec d'autres expressions | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : outsiders d'indonésie, art brut indonésien, noviadi angkasapura, musée de la création franche, dani iswardana, ni tanjung, petra simkova, collection de l'art brut, cfpci, récits et peinture | Imprimer
15/08/2013
Les contes de tradition orale et les environnements (1)
Ce matin, j'ai envie d'entamer une petite série de références à la thématique contes et environnements spontanés. Comme ça, pour voir s'il y a beaucoup d'occurrences, et parce qu'aussi, étant récemment passé en Alsace, j'ai retrouvé un site qui possède plusieurs pièces en rapport avec le thème. Ce sera aussi l'occasion de mettre en évidence les passerelles qui peuvent exister entre culture populaire traditionnelle et environnements spontanés, art populaire contemporain.
"La Clairière des Contes", Yalta, Crimée (Ukraine), cartes postales coll. Bruno Montpied
Pour débuter, pour cette note, je vais revenir passablement en arrière, à l'époque de ma défunte revuette La Chambre Rouge. En particulier au dernier numéro (un double, le n°4/5, 1985). Régis Gayraud m'avait ramené d'URSS (c'était encore l'URSS à ce moment-là si je ne me trompe) un carnet de cartes postales, souvenirs de "la Clairière des Contes" à Yalta en Crimée. Ce carnet contenait dix cartes en couleurs, et dans la Chambre Rouge je décidai d'en reproduire une en noir et blanc, de plus en photocopie (en chapeau du sommaire de mon numéro).
C'es cette carte que j'avais reproduite en noir et blanc dans La Chambre Rouge ; deux personnages aux trognes burlesques devisant gaiement
La couverture du carnet de cartes postales ; les nains sur la photo paraissent vraiment trop démarqués de Walt Disney, comme s'il n'était plus possible après ce dernier d'imaginer les petits hommes qui portent secours à Blanche-Neige autrement... Du moins en Ukraine, c'était ainsi dans les années 80 de l'autre siècle...
Ces trois petits cochons, adaptés à la sauce russe, avec balalaïka et petit accordéon, eux aussi paraissent un peu trop Disneyisés...
Je ne crois pas avoir reçu d'explication à l'époque sur les légendes attachées aux sculptures que montraient ces cartes (apparemment si on regarde sur internet la "Clairière" existe toujours). Ce petit parc était apparemment organisé comme une base de loisirs à thème (si l'on se réfère à la vue des chalets ci-dessus, environnés d'un impressionnant cirque de montagnes). Etait-ce une collection de sculptures populaires? P't-être ben que oui, p't-être ben que non (en fait un peu des deux, mon général). Les styles de ces pièces paraissant variés, on pouvait inférer qu'ils n'étaient pas de la même main. Certaines statues, plus fantastiques que les autres, jouent avec les formes naturelles des bois choisis pour camper les sujets en rapport avec des contes. d'autres sont nettement plus réalistes, flirtant avec le kitsch.
Qui est ce personnage coulant des joues...?
Peut-être avons-nous affaire ici aux "musiciens de la ville de Brême"? (Eh bien, non! Voir le commentaire de Régis Gayraud au pied de cette note, il s'agit du conte "Quartette")
En farfouillant sur internet, on ne trouve pas grand-chose en français. A peine nous indique-t-on sur le site d'une agence de voyages ukrainienne, dans une notice rédigée dans un français approximatif, que ce fut un certain Pavel Pavlovitch Bezroukov qui initia ce site, ayant été rejoint ensuite par d'autres artistes (ce que j'avais subodoré). Régis Gayraud, appelé à la rescousse, m'a appris finalement qu'existait en russe un site web entièrement consacré à ce Musée de la Clairière des Contes. On y apprend - je crois Régis sur parole ici - que le nommé Bezroukov était un garde forestier fondu de contes de fée, si, si, et qu'il n'était pas un sculpteur professionnel (je parierais qu'il est l'auteur des personnages imaginés dans des formes de bois tourmentées)... Il avait bien fait appel à d'autres artistes. Les matériaux employés pour les sculptures évoluèrent au fil du temps, il n'y eut pas que du bois, mais aussi de la pierre, du verre, des matériaux recyclés, du plastique... A parcourir un peu au hasard ce site, on s'aperçoit que la Clairière a bien évolué, organisée différemment, que les Trois Petits Cochons ont été repeints et que le nombre, ainsi que le style des sculptures ont considérablement changé...
Personnages du Magicien d'Oz, sculptures contemporaines de la Clairière des Contes
Ce qui m'intéresse par ailleurs dans la thématique de ce parc, c'est le rapprochement que l'on pourrait faire avec d'autres pratiques, en l'occurrence celles de certains conteurs indiens, qui leur servent à narrer les récits traditionnels de leur pays, le Bengale occidental, lorsqu'ils dévident simultanément des rouleaux (appelés "patua") supportant des images elles-mêmes narratives, illustrant le conte raconté ou chanté. On peut en voir à Paris dans les collections du Musée du Quai Branly (qui ressemble à une contrepéterie). Ce genre de racontée existe encore aujourd'hui (on peut en profiter pour signaler la belle édition réalisée en 2009 par les éditions Rackham qui ont édité sous forme de dépliant magnifiquement illustré (voir ci-contre), un patua intitulé Tsunami, d'après une chanson de Moyna et Joydeb Chitrakar composée au moment de la catastrophe survenue dans le Golfe du Bengale en 2004 ; d'après l'éditeur, il est précisé que ce livre conçu, sérigraphié et relié à la main par l'atelier des éditions Tarai à Chennai en Inde, serait le "premier rouleau patua édité sous forme de livre").
On imagine facilement des criées aux contes organisées dans cette Clairière des Contes, les conteurs se déplaçant de saynète sculptée en saynète sculptée en fonction du conte à dire, chaque saynète jouant alors un rôle identique à celui tenu par les patuas dans les contes du Bengale.
(Suite à cette note, Henk Van Hes, sur son blog Outsider Environments Europe, rédigé en anglais, intéressé par Bezroukov, est allé quérir d'autres informations, voir ce lien)
04:49 Publié dans Art naïf, Art populaire contemporain, Environnements populaires spontanés, Galeries, musées ou maisons de vente bien inspirés, Le conte en rapport avec d'autres expressions, Littérature jeunesse, Poésie naturelle ou de hasard, paréidolies | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : clairière des contes de yalta, régis gayraud, la chambre rouge, contes de tradition orale, contes et environnements spontanés, trois petits cochons, baba yaga, comptines, rouleaux patua, éditions rackham, magicien d'oz | Imprimer
09/10/2011
Ne donne-t-on que de bons exemples aux enfants ? (question-réponse d'Etienne Cornevin)
"Par et.c (Etienne Cornevin), 14 juin, 2011:
La dernière communication du professeur Über et de son assistant le peut-être bientôt professeur Déhè ne laisse plus aucune place au doute : il n’y a pas lieu de s’étonner de l’inconduite de nos enfants, c'est nous-mêmes qui donnons de mauvais exemples ! Réfléchissez un peu aux contes et histoires les plus populaires de 1 à 11 ans :
Le petit chaperon rouge n’écoute pas sa mère
Tarzan vit à moitié nu
Cendrillon rentre à minuit
Pinocchio passe son temps à mentir
Aladin est le roi des voleurs
Batman conduit à 320km/h
La Belle au bois dormant est la championne des paresseuses
Blanche-Neige vit avec sept hommes
Hansel et Gretel ne mangent que des sucreries
Le petit Poucet fait le mur avec ses frères et sœurs
La conclusion s’impose : il faut interdire toutes ces histoires immorales !"
(Relevé sur le site de Nouvelles Hybrides)
Bruno Montpied, Cherchant le petit Poucet, 2011
03/01/2010
Jeu de nouvel an: à qui cette tête?
Et si on faisait un petit jeu pour commencer vaillamment l'année nouvelle?
Voici un joli visage, qui ressemble comme qui dirait à une sainte...
A qui appartient-il en vérité? Ou plutôt - ce sera ma seule et vraie question, qui donnera lieu à un petit cadeau pour la première ou le premier qui répondra juste : quel est son auteur?
Il s'agit du fragment d'une oeuvre, ou d'une création pour parler plus exactement. Le blog l'a déjà montrée dans son ensemble, à un moment donné... Va falloir fouiller dans les archives... A moins qu'une mémoire d'éléphant ne se mette en oeuvre avant tout le monde...?
18:45 Publié dans Art immédiat, Le conte en rapport avec d'autres expressions | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : enigmes, détails cachés, quiz, art immédiat | Imprimer
16/02/2009
Macario de Roberto Gavaldon et Bruno Traven
Cette note touche à plusieurs thèmes. Un que je n'ai pas encore beaucoup abordé ici, le conte de tradition orale traité au cinéma. Depuis quelques années, je collecte des titres de films en rapport avec cette question, et j'essaye aussi de me les procurer sous forme d'enregistrements. La filmographie du conte au cinéma est assez vaste comme on s'en doute. Méliés, comme par d'autres aspects, a été le premier en la matière en adaptant Cendrillon par deux fois, ainsi que la Barbe-Bleue ou les Aventures du Baron de Munchausen (que j'associe au conte populaire parce qu'elles relèvent du thème des menteries, cet équivalent des nursery rhymes anglaises). Sur le sujet, on ne trouve à ma connaissance que très peu d'ouvrages qui aient essayé d'établir une filmographie bien complète. Celle qui a été esquissée dans le catalogue de l'exposition Il était une fois les contes de fées (2001, Le Seuil/BNF ; magnifiques exposition et catalogue tout à la fois) par Alain Carou et Tifenn de La Godelinais Martinot-Lagarde (plus le nom est long, plus ça fait riche) visait "à l'exhaustivité pour le côté français" et à la sélection sur le plan international. Elle reste d'après mon petit doigt assez loin du compte (sans jeu de mots), me semble-t-il...
J'avais découvert à l'occasion d'une rétrospective du cinéma mexicain, cinéma d'une exceptionnelle richesse (il suffit de songer aux films d'Arturo Ripstein, L'Empire de la Fortune par exemple), souvent proche d'une certaine forme de "brut" au cinéma (je pense par exemple aux films d'Emilio Fernandez, surnommé "El Indio", acteur et réalisateur hors du commun), un film en noir et blanc de Roberto Gavaldon, intitulé Macario et tourné en 1960. Remarquable film... Adapté d'un conte de Grimm, assez connu des amateurs, La Mort Marraine. Il se trouve que le nom de "Bruno Traven" est associé à ce film qui le crédite au générique avec ce prénom de Bruno plutôt rare concernant le mystérieux Traven, auteur aux multiples identités, connu pour ses livres Le Vaisseau des Morts, ou encore Le Trésor de la Sierra Madre (adapté par John Huston au cinéma, en présence de Traven qui se faisait passer sur le tournage pour l'agent de Traven sous le pseudonyme d'Hal Croves).
Traven, c'est un thème à lui tout seul, écrivain puissant dont les lignes de force sont toujours en rapport avec une remise en question des rapports sociaux. Pas par hasard puisque Traven fut à n'en pas douter, si l'on suit les différents livres ou recherches filmiques qui lui ont été consacrés ces dernières années, le même homme que Ret Marut, délégué à la propagande pendant l'éphémère République des Conseils de Bavière (1918-1919) qui s'acheva par la répression terrible dirigée par les Prussiens et les corps francs, répression qui poussa certains de ses membres à se cacher, comme Traven-Marut par exemple (arrêté, il put s'enfuir juste avant d'être exécuté). Probablement allemand, sans qu'on sache exactement ses origines (sa présence est mentionnée pour la première fois en Allemagne, alors qu'il est comédien, et qu'il paraît âgé d'une vingtaine d'années, sa date de naissance étant estimée en 1882, voir la récente traduction française de sa biographie par Rolf Recknagel aux éditions de l'Insomniaque, décembre 2008) -il a essayé de se faire passer pour un homme né aux Etats-Unis- Traven publie ses romans en Allemagne d'abord, dans les années 20. Il meurt au Mexique en 1969. Macario est tiré d'une de ses nouvelles (qui ne paraissent pas traduites en français ; l'histoire des éditions et des traductions des livres de Traven, disons-le au passage, est un roman à lui tout seul...). Le rapport au conte de Grimm est un indice de plus de la culture allemande de l'auteur.
Ce conte est un des mieux construits de l'oeuvre des frères Grimm. Il met en scène la Mort, personnage au teint cireux et aux manières presque bienveillantes dans le film, aux prises avec Macario, pauvre paysan devenu riche grâce aux pouvoirs de soigner les malades qui lui ont été conférés par la Dame à la faux justement. Conte métaphysique dont il ne faut pas dévoiler l'intrigue bien sûr, qui s'achève sur une scène magnifique dans une immense caverne emplie des chandelles représentant les vies de tous les êtres sur la Terre. Le film vient de sortir en DVD, chez le label Albarès, dans sa Collection Latine (en même temps que d'autres films rares mexicains, d'Emilio Fernandez ou de Luis Bunuel). C'est une chance de rattrapage pour tous ceux qui seraient intéressés par le sujet...
Adresse e-mail des éditions Albarès: albares.productions@club-internet.fr
12:44 Publié dans Le conte en rapport avec d'autres expressions | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : macario, b.traven, roberto gavaldon, contes de grimm | Imprimer