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14/06/2016

Dimanche 19 juin, on causera de petite brute et d'épouvantails à la Halle St-Pierre...

     Dans quelques jours (dimanche 19 juin, rendez-vous à 15h), nouvelle présentation des quatre titres de la Petite Brute à l'auditorium de la Halle St-Pierre avec la projection du film de Remy Ricordeau, tiré du troisième livre de la collection (au titre éponyme), Denise et Maurice, dresseurs d'épouvantails. Je serai présent, ainsi que Remy Ricordeau, pour défendre et expliquer le projet de cette collection, montrer les livres, et notamment le quatrième titre, que j'ai écrit, Marcel Vinsard, l'homme aux mille modèles. L'entrée est libre, bien entendu.

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Bruno Montpied, quatrième titre de la collection La Petite Brute

    Ce dernier livre, qui est une petite monographie consacrée à un créateur d'environnement peu chroniqué jusqu'à présent (72 p., et 65 illustrations en couleur), sera en vente en avant-première à un prix exceptionnel (révélé le jour même, ou bien encore ici), à la manière d'une souscription en quelque sorte. Sa sortie en librairie n'est prévue en effet que pour octobre. Si vous voulez profiter de l'occasion, venez donc nous en serrer cinq et acquérir du coup quelques livres. Les autres titres seront également en dédicace : le premier de la collection, Remy Ricordeau, Visionnaires de Taïwan, le deuxième, Bruno Montpied, Andrée Acézat, oublier le passé, et le troisième, Remy Ricordeau, Denise et Maurice, dresseurs d'épouvantails. Ces titres, inutile de le rappeler, mais je le fais quand même, sont d'ores et déjà disponibles en permanence à la librairie de la Halle St-Pierre, qui reste LA librairie de référence en matière de documentation sur l'art brut et apparentés.

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Les épouvantails-mannequins de Denise Chalvet et Maurice Gladine dans l'Aubrac, photo Bruno Montpied, 2012

Jardin, Ensemble de têtes, ph B.Montpied, 2013 (2).jpg

Chez Marcel Vinsard (en Isère), un rassemblement de masques et sujets divers en polystyrène peint, ph. B.M., 2013

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21/03/2015

Lucienne Peiry éditée en Chine

    On apprend sur le site web, que Lucienne Peiry continue d'animer sur internet, Notes d'Art Brut, (site que j'ai récemment ajouté à la liste de mes "doux liens" en colonne de droite), après l'avoir créé au départ je crois à l'intérieur du site de la collection d'Art Brut de Lausanne dont elle fut la conservatrice puis la directrice des relations internationales jusqu'à décembre dernier, que son livre L'Art Brut de 1997, paru chez Flammarion, paraîtra en Chine à l'enseigne des éditions Shanghai University Press en juin prochain.

 

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Couverture de l'édition chinoise de L'Art Brut de Lucienne Peiry 

 

    Nul doute que cette traduction (on l'espère fidèle) permettra aux amateurs d'art brut chinois de saisir plus exactement ce que Dubuffet entendait par art brut, catégorie inventée par lui qui ne se limitait ni à l'art des fous, ni aux productions des spirites et ne voulait pas être confondu avec l'art des enfants, l'art naïf ou l'art populaire. Ce que je ne sais pas, c'est si Lucienne Peiry aura songé, ou pu, opérer quelques mises à jour du côté des découvertes qui furent faites depuis 1997 concernant certains créateurs chinois comme Guo Fengyi en Chine populaire ou Hung Tung et Lin Yuan à Taïwan (a-t-elle fait attention aussi aux articles que Remy Ricordeau a aussi publiés sur notre blog même, concernant certains environnements sur l'ancienne île de Formose?)

14/05/2014

Art brut à Taïwan (7): Entre art rituel et art populaire acculturé, les décors aborigènes contemporains, par Remy Ricordeau

    Nous donnons sur ce blog la dernière des communications de Remy Ricordeau sur "l'art brut à Taïwan". J'en profite pour le remercier de l'ensemble de ses communications qui ont su trouver je crois un public attentif (signalons en outre que si le lecteur voulait retrouver l'ensemble de ces sept textes relatifs aux environnements taïwanais, il lui suffit de taper les mots-clés "environnements spontanés taïwanais" dans la fenêtre de notre blog intitulée "Rechercher" et il les retrouvera tous rangés les uns à la suite des autres):

 

Entre art rituel et art populaire acculturé,

 les décors aborigènes contemporains

 

        En parcourant la montagne du sud de l’île de Taiwan dans le district de Ping Dong, on peut voir de nombreux villages  aborigènes aménagés dans les années soixante à l’intention des populations austronésiennes. Il s’agissait à l’époque de s’assurer de leur soutien à l’Etat-parti (le Guomindang, parti nationaliste chinois) en leur offrant les attributs matériels de la « civilisation », c'est-à-dire des maisons en béton, l’eau courante et l’électricité. Sous le prétexte d’une accession au confort moderne, c’était également une manière de regrouper des populations à l’habitat épars et de les acclimater aux « charmes » de la propriété privée que jusqu’à un passé proche plusieurs d’entre ces peuples ignoraient encore (ne connaissant que la propriété communautaire correspondant à leur mode de vie). C’était enfin une manière de les contrôler en les organisant selon des préceptes  de représentation définis par l’Etat.

        Pour m’être attardé un peu plus longtemps dans l’un de ces villages, je prendrai ici l’exemple d’une des communautés Paiwan, un des 14 peuples austronésiens de Taiwan.

 

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Porte traditionnelle ancienne, ph. Remy Ricordeau, 2014

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Autres éléments de décor extérieur d'une maison de chef de clan, volet et linteau, ph. RR

       Traditionnellement leurs maisons étaient construites en torchis, en pisé ou en schiste et recouvertes de toits de chaume ou de lauses. Mises à part les maisons communautaires, dites maisons des hommes où se déroulaient différents rites relatifs à la vie sociale de la communauté, et les maisons de chefs de clan assez richement décorées de pans de bois sculptés, l’ornement des maisons d’habitation se résumait le plus souvent à des portes et des linteaux de bois assez grossièrement sculptés. Sur la plupart de ces décors figuraient des personnages évoquant les ancêtres, ainsi que les symboles mythologiques protecteurs que sont les serpents-aux-cent-pas. Représentés seuls ou sous forme de coiffe, ceux-ci sont en effet pour les Païwans le symbole même de notre humanité, l’humanité elle-même étant le fruit de la copulation de deux de ces serpents. Ces décors sur totems, portes ou linteaux représentaient également souvent des scènes rituelles de la vie de la communauté : guerre, chasse ou fêtes.

 

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Reconstitution d'une façade traditionnelle, ph. RR, 2014

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Panneaux de bois sculpté contemporains, ph. RR, 2014

 

      Transplantée dans un village moderne bétonné comme celui de Taiwu dans le district de Pingdong, la communauté Paiwan qui l’habite aujourd’hui s’est attachée à recréer des décors inspirés de leurs traditions.

 

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Une maison moderne Païwan, ph. RR, 2014

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Premier détail, une scène de retour de la chasse, ph. RR, 2014

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Scène indéfinie (un rituel indéterminé), ph. RR, 2014

 

      Cependant si les formes et la facture s’en sont trouvées renouvelées, l’esprit qui préside à leur création en est assez fondamentalement différent. Les symboles traditionnels comme les serpents-aux-cent-pas sont certes toujours présents, ainsi que les scènes représentant des activités traditionnelles qui pour la plupart ont évidemment disparu, mais leur fonction semble aujourd’hui plus décorative que porteuse d’un sens sacré ou magique. Les supports de ces décors sont ainsi plus variés du fait de la quasi absence de bois dans les matériaux de construction de ces maisons modernes. Les portes en fer ou les linteaux en béton ne pouvant plus être sculptés, ils sont désormais peints comme peuvent l’être également les façades, ce qui n’était pas le cas des maisons en pisé ou en schiste.

       Pour ces raisons les décors extérieurs des maisons sont aujourd’hui colorés contrairement aux bas-reliefs sculptés traditionnels qui ornaient l’extérieur des portes, des fenêtres et quelquefois leurs pourtours (les panneaux sculptés des décors intérieurs pouvaient par contre, par le passé, être colorisés). Si la facture des fresques décoratives est naïve, elle est d’une naïveté que je qualifierais de moderne en ce qu’elle se différencie de la simplicité et de la pureté «sophistiquée» des formes de représentations de l’art dit primitif ou tribal. La naïveté contemporaine de ces peintures témoigne à l’évidence d’une acculturation achevée par rapport à la tradition à laquelle elle se réfère. Peut-être serait-il cependant plus juste de dire qu’elle relève plutôt d’une autre culture, plus contemporaine, qui consiste à vouloir enchanter son univers par des décors et représentations désacralisés qui transcendent aujourd’hui toutes les traditions culturelles. Mais pour être complet il convient également de souligner une autre motivation à la réalisation de ces décors.

 

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Autre décor contemporain, ph. RR, 2014

 

       L’esprit qui préside à leur mise en œuvre est en effet également d’une nature différente. Ces représentations n’ont plus comme fonction première de permettre aux vivants de rester en contact avec les esprits de la tribu ou du clan et de se transmettre ainsi de génération en génération, mais plutôt de perpétuer le souvenir d’une culture aujourd’hui disparue. Si celle-ci subsiste cependant sur un mode réifié et folklorique, (la plupart des aborigènes ayant en outre été christianisés), les décors contemporains qui ornent les maisons du village ont en effet aux yeux de leurs créateurs un sens implicite de fierté identitaire qu’il faut comprendre dans le contexte politique taïwanais de recherche et d’affirmation de racines culturelles non chinoises. En ce sens, les décors contemporains aborigènes se distinguent assurément par leur fonction des autres types de création d’art populaire. Au-delà des divergences de message, la naissance et le développement d’un mouvement identitaire autochtone dans les années 80 a sans doute donné à ces décors contemporains une fonction culturelle d’une certaine manière assimilable aux fresques murales revendicatives qui ornent par exemple les villes et villages de nombre de pays d’Amérique centrale ou du Sud. C’est ainsi, il me semble, qu’il convient de les aborder plutôt que comme expression inspirée de la singularité de leurs créateurs.

Remy Ricordeau

27/04/2014

Art brut à Taïwan (6): l'œuvre sculpté du paysan Lin Yuan, par Remy Ricordeau

Le parc de l'oreille de buffle:

l'œuvre sculpté du paysan Lin Yuan

 

      Lin Yuan  (1913 – 1991) est aujourd’hui internationalement reconnu comme un des grands noms de la création brute taïwanaise.

 

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Quelques exemples de peintures de Lin Yuan, photo extraite d'un catalogue chinois sur Lin Yuan, DR

 

      Si son œuvre graphique a pu faire l’objet de plusieurs expositions à l’étranger comme à Paris où l’une de ses peintures illustrait l’affiche de l’exposition collective 17 naïfs de Taiwan¹ organisée en 1997/98 à la Halle Saint-Pierre,environnements spontanés taïwanais,art brut à taïwan,lin yuan,art brut chinois,le parc de l'oreille de buffle,pu li,huang pinsong,hung tung,jean dubuffet,rochers sculptés,van gulik,amour et sexualité en chine son œuvre sculpté, tout au moins pour sa partie monumentale qui est la plus importante, est par contre moins connue du seul fait qu’elle ne peut pas être déplacée. Il faut se rendre en effet dans le parc dit de l’Oreille de Buffle, où elle est exposée, pour pouvoir en mesurer l’importance. Ce parc se trouve à Pu li, qui est la ville la plus proche du village de montagne dans lequel Lin Yuan a passé l’essentiel de sa vie. Il se situe à peu près au centre de l’île.

 

 

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La maison initiale de Lin Yuan avec sa manière personnelle de présenter ses rochers sculptés, ph. extraite d'un catalogue chinois sur ce créateur, DR

 

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Vue d'une partie du parc de l'Oreille de Buffle avec quelques rochers sculptés de Lin Yuan, transférés de leur emplacement d'origine ; ph. extraite d'un catalogue chinois sur Lin Yuan, DR

 

      Ouvrier agricole analphabète originaire du canton de Wuzhi, Lin Yuan est devenu veuf très tôt. La cinquantaine passée, ses enfants (cinq garçons et trois filles) devenus adultes, lui suggérèrent d’abandonner le travail des champs et lui proposèrent pour soulager sa vie trop solitaire et laborieuse de s’occuper de la garde de leurs propres enfants. Tout en accomplissant cette tâche, il s’amusa à leur confectionner des jouets à l’aide de divers matériaux de récupération. Il se prit au jeu de la création. Croisant un jour des voisins remontant des galets de la rivière toute proche pour quelques travaux de maçonnerie, l’envie lui vint d’essayer d’en sculpter. Il s’attaqua ensuite à des roches et des rochers de plus grande taille. Le bouche à oreille aidant,  une réputation d’artiste-paysan se mit à circuler sur son compte, laquelle fit l’objet d’un article dans un magazine local.

 

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Lin Yuan sur un de ses rochers peints, ph. extraite de la monographie sur Lin Yuan, DR

 

       Un banquier fortuné de la ville de Pu li  dénommé Huang Pinsong,  lui rendit visite et, fasciné par cette œuvre singulière, lui acheta la totalité de sa production. Lin Yuan, encouragé alors par l’enthousiasme de Huang, décida de se consacrer désormais sans relâche à ses activités créatrices. A partir de ce moment, et suite à sa rencontre avec Hung Tung, autre créateur autodidacte aujourd’hui également reconnu, il convint de diversifier ses travaux en s’initiant à la peinture et même à la broderie sur toile.

 

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Broderies de Lin Yuan, ph. extraite de la monographie sur le créateur, DR

 

       Soutenu par quelques intellectuels et artistes, la réputation de  Lin Yuan s’élargit alors au-delà des limites du comté. Quelques expositions furent organisées dans différentes villes de Taiwan et son protecteur Huang Pingsong contacta même Jean Dubuffet pour attirer son attention sur Lin Yuan.

 

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Lettre de Jean Dubuffet à Ping-Song Huang, 9 novembre 1982, reproduite dans la monographie sur Lin Yuan, DR

 

      Au milieu des années 80, ce même Huang Pingsong décida d’acquérir à Pu li un terrain pour présenter les œuvres de son protégé et lui permettre d’en créer de nouvelles en lui offrant de meilleures conditions de vie et un minimum de confort. Lin Yuan s’installa ainsi  dans une petite maison qui y fut alors construite à son intention (actuellement encore habitée par l’un de ses fils). Aujourd’hui le jardin qui comprend un petit musée et est agrémenté de ses sculptures les plus volumineuses, est devenu un lieu de promenade et de villégiature : après la disparition de Lin Yuan en 1991, son mécène fit construire une cafétéria et un ensemble hôtelier en bungalows pour recevoir des groupes de touristes et rentabiliser le lieu.

 

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Moufflon de Lin Yuan, photo Remy Ricordeau, 2014

 

     Les nombreuses sculptures en extérieur, malgré le peu de soins apportés à leur présentation et à leur conservation, sont impressionnantes par leur grande force expressive qui ne s’embarrasse pas de fioritures. Jamais peut être la notion de « brut » ne s’est aussi bien appliquée à une œuvre qu’à celle de Lin Yuan. Les traits grossiers, comme les coups de marteaux ou de ciseaux vont à l’essentiel. L’artifice est absent de cette œuvre que l’on sent convulsive, comme si elle avait dû être réalisée dans une urgence pour rattraper un temps perdu. Pendant les sept ans que dura son séjour à l’Oreille de Buffle, il aurait créé plusieurs centaines d’œuvres de tous formats et sur tout support afin d’alimenter ce qui allait devenir son musée. Une photo le représente assis sur une des roches  qu’il a sculptée dans l’attitude de celui qui vient de terrasser un monstre.

 

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Lin Yuan, Le Baiser, ph. Remy Ricordeau, 2014

 

       La sculpture semblait pour lui un combat ou un défi qu’il relevait chaque jour comme si l’enjeu était de parvenir à maitriser une matière brute qui ne cessait de lui résister. La lutte dût être si intense qu’en 1988 il tomba malade et dût être hospitalisé. Après cette crise, devant ménager ses forces, il privilégia des créations moins physiques comme la broderie ou la peinture.

 

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Lin Yuan, la femme de mauvaise vie, ph. R.R., 2014

 

       Si l’inspiration de Lin Yuan est fortement influencée par son milieu d’origine, ce qui l’amènera à représenter nombre d’animaux domestiques, d’élevage ou sauvages, il était également très porté sur des sujets que traditionnellement les Chinois ont plutôt tendance à occulter : l’amour et la sexualité (selon l’historien sinologue Van Gulik, la représentation amoureuse ou sexuelle dans l’art chinois a le plus souvent une visée didactique). Ces deux thèmes sont pourtant très présents dans l’œuvre de Lin Yuan, quelques-unes de ses représentations, sans aucune visée didactique, confinant même à une certaine pornographie comme cette femme de mauvaise vie exhibant les parties les plus intimes de son anatomie. Les attributs sexuels masculins, souvent de taille fort honorable, sont également très souvent représentés dans ses peintures comme dans ses sculptures les plus monumentales. Dans un pays de culture encore très pudibonde, cette partie de son œuvre fut interprétée de son vivant comme la conséquence de son veuvage précoce. Lui ne s’en expliqua jamais, s’amusant sans doute des explications délivrées en son nom et n’en continuant pas moins allègrement à représenter des personnages librement inspirés.

Remy Ricordeau



¹ A Taïwan et désormais en Chine où l’emploi du terme se diffuse dans les milieux intéressés, on emploie maintenant le vocable de Su ren yi shu pour désigner l’art brut que l’on pourrait littéralement traduire par l’art des hommes purs, contrairement à Tien zhen yi shu qui signifie art naïf, Tien zhen signifiant en l’occurrence naïf.

 

21/04/2014

Art brut à Taïwan (5): Le jardin enchanté d'un garde-barrière retraité, Chen Kunpiao

Le jardin enchanté d'un garde-barrière retraité

 

     Avant mon départ pour Taiwan à la recherche d’environnements spontanés, je m’étais renseigné auprès de quelques amis sur place susceptibles de me suggérer quelques pistes. Une amie m’avait alors indiqué avoir entendu parler par une de ses connaissances d’une « installation » étrange entrevue par celle-ci quelques années auparavant devant une maison des faubourgs de la ville de Taidong le long de la route qui mène à Kuanshan.

        La brève description qui m’en avait été faite m’avait fort intrigué : un petit ensemble bariolé avec des animaux divers de facture très grossière. Muni de ces renseignements lapidaires, j’ai parcouru lentement la route dans la direction indiquée. Au bout d’une vingtaine de kilomètres, ma recherche s’était révélée vaine. Persuadé que le site avait été détruit, j’effectuai le trajet de retour vers Taidong très déçu de cette déconvenue. Mais comme souvent lors de ce genre de recherche, la magie se manifeste lorsqu’on ne l’attend plus. C’est dans la partie la plus dense du faubourg, là où précisément je ne pensais pas le trouver, que je le découvrai finalement. Installé à même le trottoir, sans doute masqué par une voiture lors de mon premier passage, l’ensemble bariolé pourtant de taille fort modeste m’apparut tout d’un coup dans son énormité, c’est à dire dans toute la mesure de son incongruité en un tel lieu.

 

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Le préambule, côté rue, ph. Remy Ricordeau, 2014

 

 

        Je m’arrêtai donc pour photographier cette curiosité et essayer de me renseigner sur son créateur. M’adressant à quelques ménagères qui conversaient bruyamment devant la boutique voisine, on me fit comprendre avec quelque malice que je ne voyais là qu’un préambule à la partie « la plus belle » qui se trouvait derrière la maison. J’utilise des guillemets car je crus déceler dans le ton de leurs propos une ironie moqueuse, ce que la suite me confirmera. Passablement excité par la vue de cette première partie dont la forme et les couleurs m’apparaissaient déjà aussi  originales qu’intrigantes, je fis donc le tour du pâté de maisons pour accéder à la cour arrière qu’on m’avait indiquée. Les voisines ne m’avaient pas menti. Et je leur en suis d’autant plus reconnaissant que sans leurs indications je me serais sans doute contenté du préambule, sans imaginer que l’essentiel se trouvait à l’arrière.

 

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Devant la porte arrière de la maison, une girafe et un footballeur faisant sécher 2 pantoufles, ph. RR, 2014

 

         L’essentiel, en l’occurrence, est constitué d’un incroyable jardin ou des éléments végétaux, arbustes et plantes tropicales, côtoient de très étranges sculptures en ciment de facture très grossière représentant divers spécimens du monde animal.

 

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Le jardin arrière vu de la ruelle, ph. RR, 2014

 

 

       Sans certitude, j’ai cru en effet reconnaître des bovins, des éléphants, des girafes, des oiseaux, ainsi que d’autres animaux plus difficilement identifiables disposés au milieu de pierres ou de galets peints des couleurs les plus éclatantes. Quelques représentations humaines aux allures de footballeurs, ce qui est fort étrange dans un pays où ce sport n’est pas particulièrement populaire, figurent également dans ce jardin extraordinaire.

 

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Le jardin arrière, vue générale, ph. RR, 2014

      La première chose qui m’a frappé, outre le choix de couleurs identiques au site de M. Huang à Taizhong, est le fait que le sol des allées de ce petit jardin y était également décoré dans une forme et dans une esthétique très proches. J’apprendrai par la suite que son créateur, M. Chen Kunpiao, ainsi que sa famille avec laquelle il vit, ignorent absolument l’existence de l’œuvre de leur compatriote de Taizhong.

 

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L'entrée du jardin, ph. RR, 2014

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Une partie du jardin sous tonnelle avec personnages, ph. RR, 2014

 

        Je commençais de la rue à prendre quelques photos lorsque je vis une femme sortir de la maison pour mettre du linge à sécher. Après m’être présenté, elle sembla étonnée que l’on puisse porter de l’intérêt à son jardin, d’autant plus peut-être que celui qui s’y intéressait était occidental. (Les occidentaux sont très peu nombreux dans cette partie de l’île). Elle m’expliqua qu’en vérité ce n’était pas son jardin mais celui de son père avec lequel elle vit et dont elle s’occupe avec sa famille. (Il n’est pas rare à Taiwan de voir trois générations vivre sous le même toit). Celui-ci, garde-barrière à la retraite et aujourd’hui âgé de 94 ans (une autre similitude avec Huang Yongfu) s’est mis à récolter des pierres et des galets depuis une vingtaine d’années et consacre son temps à les agencer de la sorte. Il s’est également mis à sculpter le ciment et tous les matins de l’année il passe son temps à peindre et repeindre inlassablement le jardin.

 

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Un détail, ph. RR, 2014

 

          Son activité créatrice est devenue si obsessionnelle, m’a expliqué sa fille, que celle-ci a dû lui interdire de s’attaquer aux murs de la maison qu’il semble un temps avoir convoités. J’ai senti aux explications de celle-ci un certain désarroi ou une certaine honte à l’égard de l’activité créatrice de son père qu’elle ne comprend et ne goûte visiblement pas. Par égard pour lui, elle le laisse faire et accepte sa création comme expression de sa sénilité au prix sans doute de quelques moqueries de la part du voisinage. Sur mon insistance, elle est allée chercher son père qui finissait son repas à l’intérieur de la maison. Celui-ci a écouté mes louanges d’un air amusé. Je lui ai montré des photos de sites français créés dans un esprit similaire. J’ignore s’il a vraiment compris ce que je lui disais car il semblait un peu ailleurs et répondait à mes questions d’une manière plutôt incohérente. Il manifestait en tous cas peu de soucis de complaire à quelque public que ce soit. Pour l’essentiel je suis resté sur ma faim quant aux motivations de sa démarche créatrice. J’aurais aimé avoir avec lui un échange un peu plus approfondi mais de toute évidence, au crépuscule de sa vie, le temps des explications était déjà passé.

 

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Chen Kunpiao, le créateur, ph. RR, 2014

 

12/04/2014

Art brut à Taïwan (4): Le jardin en folie d’un aborigène Amei, par Remy Ricordeau

Le jardin en folie d’un aborigène Amei

 

aborigène amei,aborigènes de taïwan,art brut taiwanais,environnements spontanés,poésie naturelle      Après avoir traversé la montagne d’Ouest en Est, je suis arrivé sur la côte pacifique de Taiwan. La région qui s’étend de l’estuaire des gorges de Taroko, un peu au nord de Hualien, jusqu’à la ville de Taidong, plus au sud, est une zone de peuplement aborigène. Jusqu’à sa sinisation plus ou moins forcée à l’époque de la colonisation japonaise (de la fin du XIXe siècle à la fin de la seconde guerre mondiale), la région était essentiellement habitée par les aborigènes Amei. Si à l’époque moderne beaucoup d’entre eux ont dû s’exiler pour chercher du travail en ville (le plus souvent comme manœuvres sur des chantiers de construction), beaucoup ont gardé des attaches avec la terre de leurs ancêtres et reviennent s’y établir à l’âge de la retraite. C’est le cas de Wu Tianlai qui, issu d’une famille de paysans Amei, avait quitté sa région pour gagner sa vie comme jardinier sur les terrains de golf à Taiwan et ultérieurement au Japon avant de revenir s’établir sur sa terre d’origine.

 

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Portrait de Wiu Tianlai par son fils Wu Zhexiong, DR

 

    Empreint de la culture traditionnelle Amei très respectueuse de la terre, dans le sens symbolique communautaire autant qu’écologique du terme, il avait hérité d’un terrain en bordure de mer au lieu-dit de la montagne aux buffles (Niu shan).

 

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Wu Tianlai, Le buffle en matériaux naturels trouvés et assemblés, mis en situation au-dessus de la propriété, photo Remy Ricordeau, 2014

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Wu Tianlai, entrée du site, ph. RR, 2014

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Wu Tianlai, côté plage, l'arbre à tongs, ph. RR, 2014

 

      Il y a plus d’une vingtaine d’années, il entreprit de le mettre en valeur en l’agrémentant de quelques-uns des nombreux bois flottés trouvés sur les plages environnantes. Dans un premier temps, il se contenta de les choisir en fonction de leurs formes suggestives sans autres interventions de sa part. Mais dans un second temps il se prit au jeu de les transformer légèrement en ajoutant quelques traits de peinture ou en effectuant quelques entailles sur le bois pour accentuer les formes qu’il voulait faire apparaître.aborigène amei,aborigènes de taïwan,art brut taiwanais,environnements spontanés,poésie naturelle

     Doué d’un goût certain dans le choix de ses matériaux et d’un sens de l’humour non dénué de provocation, l’âge de la retraite venant,  il décida de diversifier ses activités créatrices. Renouant avec la tradition totémique de ses ancêtres, il réalisa quelques sculptures de grande taille. Mais ce retour à la tradition s’effectua en vérité pour mieux la transgresser car beaucoup de ces sculptures sur bois comportent en effet des connotations grivoises assez peu orthodoxes. Ainsi prenait forme petit à petit un jardin en liberté dont il avait rêvé au cours de sa vie de jardinier salarié. Pour parachever le bestiaire qu’il s’était déjà créé, il s’initia enfin au travail du ciment afin de réaliser des pièces trop volumineuses pour être exécutées en bois.

 

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Wu Tianlai, une partie du bestiaire, ph. RR, 2014

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Wu Tianlai, l'intellectuel..., ph. RR, 2014

 

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Wu Tianlai, I love you, ph. RR, 2014

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Wu Tianlai, le diable en érection, ph. RR, 2014

 

     Fidèle à sa philosophie il sensibilisa son fils, Wu Zhixiong, à la nécessité de respecter le lieu et lui transmit le terrain pour lui permettre d’y vivre en ouvrant un café et un gîte afin d’y recevoir des visiteurs de passage. Lorsque je m’y suis rendu, ceux-ci étaient peu nombreux. Wu Tianlai et son fils étaient en outre absents, partis pour la journée effectuer quelques travaux à l’extérieur. Seule sa belle fille présente pour servir les clients put répondre à quelques-unes de mes questions. Elle m’expliqua que depuis plusieurs années déjà père et fils travaillaient de conserve à l’entretien et à l’embellissement du jardin. Elle me raconta qu’un an auparavant une partie des sculptures en bois avaient été détruites par un incendie consécutif à un court circuit. Depuis, le père et le fils avaient mis les bouchées doubles pour créer de nouvelles sculptures ou, tirant partie des œuvres en partie calcinées, avaient réussi à les intégrer de nouveau au jardin afin de rendre le lieu à sa magie originelle. Aujourd’hui, le fils étant devenu aussi créatif que son père, le jardin pouvait donc être considéré comme une œuvre conjointe.

 

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Wu Tianlai, sculpture calcinée, ph. RR, 2014

 

 

       Dans ce décor grandiose entre mer et montagne, il émane de ce jardin de la montagne aux buffles un souffle magique étonnant empreint d’une grande sérénité. L’originalité du  lieu me semble tenir au fait qu’il relève autant de la poésie naturelle que de la création brute. Mais foin de catégorisation car du fait de l’origine ethnique de ses créateurs, il est également un exemple intéressant de ce que l’on pourrait appeler un art populaire transgressif ; c'est-à-dire d’un art populaire qui s’est émancipé des caractéristiques  traditionnelles dont ses créateurs se sentent par ailleurs héritiers. Ainsi l’avenir de l’art et de la culture Amei passe assurément par le jardin de la montagne aux buffles.

       Remy Ricordeau

03/04/2014

Art brut à Taïwan (3): La falaise sculptée du paysan Chen Ruiguang, par Remy Ricordeau

La falaise sculptée du paysan Chen Ruiguang

 

       A l’Est d’une plaine côtière large d’une cinquantaine de kilomètres, la partie centrale de l’île de Taiwan est constituée d’une zone montagneuse qui court du Nord au Sud. Sur les contreforts de la montagne Alishan,  la préfecture de Jiayi, au centre de l’île, est une région d’agriculture  tropicale (Taiwan est traversé par le tropique du Cancer) à la végétation luxuriante. Champs d’ananas, de bananiers ou de cocotiers côtoient des plantations de caféiers, lesquels ont justement besoin de l’ombre de ces derniers pour se développer. Si la nature se montre ici généreuse, les  paysans qui travaillent cette terre n’en ont pas pour autant fait fortune. Les parcelles sont petites qui obligent souvent les enfants à aller chercher du travail à la ville. Ceux qui restent, s’ils savent se contenter de revenus modestes, ont au moins la satisfaction de ne pas se tuer à la tâche : peu de travail en effet en dehors des périodes d’entretien ou de récolte, ici la nature accomplit seule la besogne.

 

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Portrait du créateur extrait d'un site web chinois, DR

 

 

      Peut-être est-ce cette relative disponibilité de temps qui a amené Chen Ruiguang, un paysan du district de Zhong Pu à vouloir commencer à s’exercer à la calligraphie. Cet art lui plaisait mais n’ayant pas poursuivi ses études au-delà du cycle primaire, il en était resté ignorant. Ses premiers travaux sur papier se révélèrent d’une facture maladroite. Sans doute, étant lui-même insatisfait  devant ces premiers résultats, l’envie lui vint alors de changer d’exercices et de se mettre à copier des hiéroglyphes égyptiens sur des écorces d’arbre récupérées. Encouragé par des résultats qui le comblaient davantage, il songea qu’il pouvait s’essayer à copier également des caractères chinois primitifs, du type de ceux qui ont été gravés il y a quelques milliers d’années sur des carapaces de tortue (Les Jiakuwen qui constituent les premières inscriptions connues de l’écriture chinoise). L’exercice lui plut et voulant passer de la copie à la création il se mit à en imaginer et à en dessiner d’autres de même facture, mais cette fois de son cru.

 

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Inscription sur rocher, photo Remy Ricordeau, 2014

 

 

      Au début des années 2000, arrivé à l’âge de la cinquantaine, M. Chen s’avisa de la fragilité des supports qu’il avait jusqu’alors utilisés. Il se dit que s’il se mettait à graver ses caractères sur quelque rocher, il laisserait ainsi des traces moins éphémères de son passage sur terre, à l’image de certains empereurs dont des calligraphies ont pu être reproduites sur les montagnes sacrées taoïstes.

 

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Echafaudage nécessité par les travaux d'inscription de Chen Ruiguang, cliché extrait d'un site web chinois, DR

 

      Non loin de chez lui se trouvait précisément  une petite falaise dont la roche, suffisamment plane pour être gravée, s’étendait sur une longueur d’une centaine de mètres. Aidé de quelques amis, il en débroussailla les abords et ouvrit un chemin pour y accéder (lequel fut goudronné quelques années plus tard).

 

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Inscriptions sur roche le long de la route goudronnée, ph. RR, 2014

 

 

   Au grand désespoir de sa femme qui le considérait comme mentalement un peu dérangé, il décida alors de ne se consacrer dorénavant qu’à la réalisation de son grand œuvre. A cette fin il installa un échafaudage en bambou pour accéder à la partie supérieure de la falaise haute de plus d’une dizaine de  mètres et se mit à graver.

 

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Ph. RR, 2014

 

      En un peu plus de cinq ans, au prix d’un travail journalier, M. Chen a ainsi à peu près couvert la totalité de la surface disponible. Du fait de l’humidité du climat les premières graphies commencent à être recouvertes de mousse. Je n’ai pas eu le loisir de rencontrer le créateur qui a la réputation d’avoir un caractère un peu bourru. Mais à ce qu’il m’a été confié, il songerait à les rendre de nouveau un peu plus visibles.

 

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Ph. RR, 2014

 

    Je n’ai malheureusement pas obtenu d’informations fiables sur les raisons d’un tel acharnement dans la création ni non plus sur le sens ou le message mystérieux dont cette étrange calligraphie se veut peut-être le vecteur. Les voisins prétendent qu’elle ne veut rien dire. C’est peut-être vrai à moins que pour quelque raison le créateur veuille garder pour lui son secret. Il est certain cependant que d’éventuels archéologues des siècles futurs se perdront en conjectures en essayant de déchiffrer le sens de ces inscriptions qui, pour un néophyte, ont toutes les apparences de véritables caractères chinois. En utilisant en effet des éléments constituant des caractères réels, M. Chen s’est amusé à créer une écriture imaginaire pour son propre plaisir. Seuls quelques dessins ou traits d’animaux ou de visages viennent cependant mettre la puce à l’oreille de l’observateur en le laissant soupçonner une supercherie. Mais c’est précisément l’intérêt de ce site que d’intriguer le passant par le mystère de ses inscriptions car il y a fort à parier que le badaud resterait indifférent s’il ne se trouvait en présence que de simples reproductions de sentences vertueuses.

     Remy Ricordeau

 

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 Sur cette paroi le long de la route on voit des dessins mêlés aux inscriptions, davantage des sortes de pictogrammes que des signes chinois ; ph. RR, 2014

 

23/03/2014

Art brut à Taiwan (2): Le temple idéal d'un pisciculteur taoïste, par Remy Ricordeau

Le temple idéal d'un pisciculteur taoïste

 

Au sud de Taizhong, la côte ouest de Formose est en grande partie dévolue à la pisciculture ainsi qu’à la culture des huîtres et coquillages dont raffolent les Taïwanais. Dans le district de Fuxing sur la commune de Zhanghua, Huang Qichun (un autre M Huang) est un pisciculteur qui s’est spécialisé dans l’élevage de poissons exotiques destinés au plaisir des aquariophiles. Pour satisfaire ses clients, M Huang les fournit également en coquillages évidés, pierres colorées ou débris de coraux afin de décorer les aquariums. Même si cette activité professionnelle nécessite sans doute une certaine sensibilité artistique, elle ne le prédisposait cependant pas particulièrement à devenir le créateur de la plus étrange construction qu’il m’ait été donné de voir à Taiwan.

 

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Huang Qichun, portrait photographique extrait d'un site web chinois, DR.

 

Après le décès de sa femme il y a une trentaine d’années, et pour ne pas en être séparé, M Huang lui a construit une tombe dans le jardin, juste derrière sa maison. Comme de son vivant celle-ci était particulièrement pieuse, il a également décidé de lui consacrer un temple, non pour l’honorer, précise-t-il,  mais pour permettre à celle-ci de prier sur place lorsque, selon les croyances taoïstes, son esprit redescend sur terre pour rendre visite aux vivants qui lui étaient proches.

N’étant pas fortuné il se mit donc en demeure de construire le bâtiment de ses propres mains et avec les moyens du bord. Il n’avait par ailleurs aucune expérience particulière en maçonnerie ou en charpente, aussi commença-t-il assez naturellement  sa construction sans plan particulier et en utilisant les matériaux à sa disposition, c'est-à-dire pour l’essentiel ceux que lui fournissaient ses voisins conchyliculteurs et ostréiculteurs. Une étrange bâtisse sortit ainsi de terre décorée de coraux et de coquillages les plus divers et agrémenté de débris de statues religieuses en céramique multicolore destinées au rebut. L’extérieur est entièrement constitué de coquilles d’huîtres sauvages, ce qui explique leur grande taille, et est enserré dans une structure métallique qui évoque des échafaudages, afin de protéger le passant de la chute éventuelle d’éléments de décor. Car M Huang avoue ne pas être tout à fait sûr de la solidité de sa construction.

-265.jpgLes objets qui forment le décor intérieur sont un mélange de personnages mythologiques et de chimères propres aux croyances taoïstes ainsi que des représentations de visions qui lui sont plus personnelles. Le lieu est séparé en différents espaces. Passé la porte d’entrée lourdement décorée de rocaille et de coquillages, une première cour arborée constitue une sorte de vestibule à ciel ouvert qui donne accès au temple proprement dit. Il est gardé par dix-huit Luo han qui selon la mythologie taoïste sont en quelque sorte les soldats de l’au-delà, ceux qui font régner un minimum d’ordre dans l’enfer et le paradis. Alors que d’ordinaire dans les temples ceux-ci sont toujours en tenue d’apparat avec armes et armures, ici M. Huang les a représentés torse nu effectuant différents mouvements de kung fu qu’il a lui-même appris au cours de son service militaire.-267.jpg Seuls les visages qu’il dit ne pas savoir sculpter sont des masques récupérés, ce qui donne une étrange allure à ces personnages. Le temple lui-même, de forme carrée, est constitué d’une pièce centrale dédiée à vénérer Wang Gong, un des dieux de la terre les plus importants du panthéon taoïste.

 

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Deux des luo han agrandis, ph. Remy Ricordeau (comme les deux précédentes), 2014

 

Plus intéressante est la galerie qui entoure cette pièce centrale sur trois de ses côtés. Dans celle-ci se trouvent en effet les plus surprenantes chimères que l’imagination humaine ait conçues. Ce sont des Qi ling, animaux mythologiques protecteurs de la terre. Ceux-ci sont ici très expressifs et très richement recouverts d’une variété étonnante de coquillages et de coraux qui ne sont pas sans rappeler les créations colorées et baroques d’un Paul Amar.

 

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Tête d'un des qi ling, ph. RR, 2014

 

La galerie accueille  malheureusement aussi quelques statues artefact d’une facture particulièrement kitch représentant les diverses déesses que l’on retrouve dans les très nombreux temples taoïstes de Taiwan.

Dans la partie du temple dédié à Wang Gong se trouve un petit escalier accédant à un couloir souterrain qui relie le temple à l’espace commercial de M Huang. Dans l’esprit de celui-ci, cette partie du site est indépendante du temple lui-même. D’une longueur de vingt à trente mètres, le couloir est entièrement décoré par des représentations de visions qui lui sont apparues dans sa jeunesse lors d’une tragique circonstance. Au cours d’une baignade avec quelques camarades dans la mer toute proche il avait été emporté par les vagues déferlantes et sauvé in extremis de la noyade. Ayant perdu connaissance, il raconte que ce sont des dragons et des phénix (qui règnent sur les mers et les airs) qui l’ont sorti de ce mauvais pas. Ils lui sont encore apparus ultérieurement lors de la construction du temple et lui ont alors demandé de les représenter également. Le couloir leur est donc entièrement dédié.

 

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Le couloir aux dragons et phénix, ph. RR, 2014

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Détail du plafond cloisonné, ph. RR, 2014

 

Le plafond est entièrement cloisonné et composé de figures en fleurs de coquillages. La toiture quant à elle est en partie constituée d’éléments de céramiques cassées et de statues comportant des malfaçons que M Huang a recyclées pour agencer un décor.

 

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Détail d'une partie du toit, ph. RR, 2014

 

Sa partie la plus intéressante représente une sorte de proue de bateau décorée d’un phénix  qui donne à l’ensemble du bâtiment de forme un peu massive, une allure de vaisseau prêt à s’envoler vers quelque destination dont tout donne à penser que seul son créateur a le secret¹.

Remy Ricordeau

 

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La proue (en haut à gauche), vue de l'arrière du temple, ph. RR, 2014

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¹ Peut-être vers le même espace intersidéral que le dragon d'André Gourlet, créateur d'environnement à Riec-sur-Belon (Finistère) qu'on aperçoit dans le fil que nous avons co-écrit,  cher RR...?

 

14/03/2014

Art brut à Taiwan (1): Les visions nocturnes du vieux soldat Huang Yongfu, par Remy Ricordeau

      Nous débutons ici une série de petites présentations de diverses formes de création autodidacte brute repérées à Taiwan par Remy Ricordeau qui, en dehors d'être un cinéaste documentariste dont j'ai déjà parlé à plusieurs reprises sur ce blog, est également un fin connaisseur de la Chine. Le résultat de ses prospections sur l'ancienne île de Formose est proprement excitant. Je lui souhaite de pouvoir bientôt l'éditer sur papier et le remercie par la même occasion d'avoir choisi le Poignard Subtil pour faire bénéficier ses lecteurs en avant-première en quelque sorte de ses découvertes.

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Les visions nocturnes du vieux soldat Huang Yongfu

 

    En concluant ma note du 27 août 2013 dans laquelle je vous faisais part d’une étonnante découverte en matière d’environnements spontanés à Taiwan, celui de M. Huang Yongfu¹ à Taizhong, je faisais le pari, qui relevait plus en vérité d’une intuition, que tout restait encore à découvrir dans ce pays pour qui s’intéresse aux inspirés du bord des routes.

 

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Taiwan (anciennement Formose)

 

    Bien sûr, Taiwan était déjà connu pour ses naïfs qui avaient fait l’objet à Paris d’une belle exposition à la Halle Saint-Pierre il y a une quinzaine d’années. Quelques-uns de ces créateurs (relevant à dire vrai plutôt de l’art brut que de l’art naïf), Hung Tung, Lin Yuan, etc, pour les plus talentueux et originaux d’entre eux, sont ainsi aujourd’hui reconnus à leur juste valeur et sont consacrés artistes nationaux dans leur pays du fait du rayonnement international dont l’île, en mal de reconnaissance à tout point de vue, bénéficie par leur intermédiaire.

  Il faut reconnaître que sur le terrain artistique contemporain, à l’exception du domaine cinématographique et peut-être chorégraphique, Taiwan ne brille pas d’un feu très intense au-delà de ses propres frontières. Mais cette découverte du 27 août, associée à la connaissance que j’avais d’un art populaire encore persistant entre autres au sein des communautés aborigènes qui forment la population originelle de l’île (constituée, rappelons-le, de 13 groupes ethniques qui préexistaient avant les premières migrations chinoises initiées par les Hollandais à la fin du XVIe siècle) me laissait supposer que d’autres découvertes devaient être possibles. Disons-le tout de suite, la réalité a dépassé mes espérances.

    Je me suis bien sûr d’abord rendu à Taizhong pour voir de mes propres yeux ce site découvert presque par hasard sur internet. L’environnement qui l’entoure est tout d’abord assez étrange : un immense terrain fraîchement rasé duquel émerge quelques masures bariolées. Comme je l’avais appris, ce lieu était un ancien village militaire construit à la hâte au début des années 50 et prévu pour être temporaire, le temps que l’armée nationaliste de Chiang Kai Sheck se ressaisisse avant de partir à la reconquête du continent. On sait que ce n’est pas ce qu’il advint et le village abrita donc ses occupants abandonnés à eux-mêmes jusqu’à un passé très récent. L’ensemble du village aurait donc été entièrement rasé si M. Huang, mû par un désir incontrôlé de décorer son univers, ne s’était pas mis, au seuil de ses 80 ans (il en a aujourd’hui 93), à prendre le pinceau pour passer à l’acte.

 

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Entrée du site, photo Remy Ricordeau, 2014

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M. Huang devant sa porte avec à côté de lui une grille couverte de petits papiers accrochés par ses visiteurs et contenant des vœux, ph RR, 2014

    Selon le témoignage que je recueillis auprès d’une voisine, ce passage à l’acte s’est au demeurant opéré de manière très graduelle et au début de manière quasi clandestine. M. Huang peint en effet la nuit pour répondre aux instances émises par les personnages qu’il représente (il en est ainsi toutes les nuits, ce qui fait de lui un créateur très prolixe). Il a commencé par décorer l’extérieur de sa masure par petites touches sans revendiquer dans les premiers temps en être l’auteur La supercherie ayant été mise à jour par le voisinage et le résultat ayant été jugé par celui-ci très esthétique, M. Huang fut alors invité et encouragé à laisser libre cours à son imagination qui est aussi débordante que son caractère est modeste et son expression orale mesurée. Toutes les nuits donc, vers 3 heures du matin, M. Huang (qui se couche à 8 heures du soir) s’évertue à peindre ou repeindre ses visions à la lumière des réverbères du quartier. Aux dires de ceux qui ont pu le voir en action, il serait alors dans une sorte de transe, absolument sourd et aveugle à l’environnement extérieur, comme les auteurs de dessins médiumniques. Lorsqu’on l’interroge sur l’identité des personnages qu’il représente, il affirme que la plupart lui sont inconnus et viennent d’un autre monde. Quelques uns cependant sont des humains identifiés qui peuvent être des personnages de l’actualité, télévisuels ou sportifs tel ce basketteur taiwanais jouant dans un club américain et apparemment très connu.

 

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Détail d'une fresque, ph RR, 2014

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Autres détails de fresques, ph.affaires culturelles de la commune

    Après ses travaux nocturnes M. Huang qui a une vie très réglée, réintègre alors la pièce unique dans laquelle il vit seul depuis plusieurs décennies et s’accorde les bienfaits d’un petit déjeuner bien mérité. Il consacre ensuite le début de sa matinée à réaliser quotidiennement deux dessins sur papier (pas un de plus, pas un de moins) représentant des personnages ou animaux plus ou moins fantastiques d’une facture semblable à ceux représentés en extérieur.

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M. Huang montrant avec un ami un de ses dessins (des sortes de lutins?), ph. affaires culturelles de la commune

 

    Dans la suite de la matinée, le lieu commence à lui échapper, c'est-à-dire pour être plus précis, la ruelle qu’il a décorée est alors envahie par des dizaines, voire, certains jours, des centaines de jeunes gens venant se faire prendre en photo.

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"Des dizaines de jeunes gens viennent se faire prendre en photo...", ph. RR, 2014

   J’ai été très surpris par l’extrême jeunesse de la plupart des visiteurs mais les raisons de leur intérêt pour ce lieu l’expliquent en partie : elles sont essentiellement de nature superstitieuse dues aux couleurs, aux sentences bienveillantes exaltant l’amour, le bonheur et la paix ainsi qu’à la facture très manga japonais de certains dessins qui évoquent l’innocence naïve de l’enfance et qui concourent à transformer la ruelle en temple dédié au  Dieu du bonheur. Ces pèlerins d’un genre singulier expriment ainsi leurs vœux et leurs espoirs sous la forme de petits papiers qu’ils suspendent à des fils.

 

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Vue extérieure avec des rochers disposés dans le jardin pour être peints, ph. RR, 2014

 

     Une telle fréquentation ne pouvait évidemment que susciter un début d’exploitation commerciale qui pour être encore fort modeste (vente sur place de cartes postales reproduisant certains détails des murs) laisse cependant craindre un développement plus industriel. Si jusqu’à présent le décor peint par M. Huang est en effet l’objet d’une protection plutôt désintéressée, un responsable culturel de la ville que j’ai rencontré sur place lors de mon second passage ne m’a pas caché l’ambition de la municipalité d’utiliser le site comme lieu touristique pour faire connaître la ville de Taizhong au-delà des frontières de Taiwan. A cette fin ont été créés à côté du site un parking et un square dans lequel ont été disposées de grosses pierres et érigés des panneaux en ciment que M. Huang a été invité à couvrir. De même les enduits de certains des murs extérieurs du pâté de maison encore immaculés ont été refaits et seront prochainement peints en toute liberté par l’artiste ainsi honoré. Car pour être honnête, il faut reconnaître que celui-ci se félicite de toute cette attention qui lui est accordée car, en manque d’espace à peindre, il est réellement boulimique en surfaces à recouvrir, au point de peindre également et de repeindre sans cesse le sol de l’espace qui lui est imparti.

Remy Ricordeau

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¹ Yongfu correspond à son prénom et Huang à son nom.

 

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Une vue parmi des dizaines d'autres d'une zone de sol couvert des peintures et parfois des inscriptions de M. Huang, ph. affaires culturelles de la mairie

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    A paraître bientôt sur ce blog d'autres articles rédigés par Remy Ricordeau à la suite de son voyage de prospection à Taiwan:

Le temple idéal d'un pisciculteur taoïste

La falaise sculptée du paysan Chen Ruiguang

Le jardin en folie d'un aborigène Amei

Le jardin enchanté d'un garde-barrière retraité

Le parc de l'oreille de buffle: l'œuvre sculpté du paysan Lin Yuan

Entre art rituel et art populaire acculturé, les décors aborigènes contemporains

 

 

27/08/2013

Une découverte stupéfiante de Remy Ricordeau à Taïwan

     Je viens de faire une stupéfiante découverte, qui fera efficacement écho au complément que je vous avais adressé et que vous aviez inséré dans votre note du 16 mars 2010 consacrée au peintre taïwanais Hung Tung.

 

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Photo Steve Barringer


    Au centre de Taïwan, dans la périphérie de la ville de T. et plus précisément dans un ancien quartier militaire réservé aux soldats qui avaient accompagné Chang Kai Shek lors de sa fuite sur l’île en 1949 (à l’issue de la guerre civile chinoise), on peut voir d’étranges fresques murales pour le moins bariolées représentant dans un joyeux désordre, personnages, animaux et ornements floraux du plus bel effet. Les formes représentées et plus encore les couleurs de cette production baroque font d’abord bien sûr penser à l’œuvre de Hung Tung et comme pour celui-ci, tout au moins en ce qui me concerne, à l’influence de l’art traditionnel aborigène. Pourtant à l’instar de Hung Tung, son créateur n’a aucune origine aborigène. D’autant moins peut être que H. Y-F., ainsi le nommerai-je, est un Chinois originaire du continent, contrairement à Hung Tung qui lui, était natif de l’île.

 

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Ph. SB


      Né dans un milieu fort modeste de Koolong, un des quartiers de Hong Kong à la fin des années 20, il se retrouve pris dans la tourmente de la guerre civile enrôlé dans l’armée nationaliste du Kuomingtang. Il échoue donc très jeune à Taïwan où il passera la plus grande partie de sa vie dans divers quartiers militaires réservés. Peut être faut-il préciser que de nombreux quartiers de ce type avaient été construits à la hâte pour héberger dès 45 (année de la restitution de Taïwan à la Chine) les nombreux  soldats de l’armée nationaliste. Avec le temps la plupart de ces quartiers ont été détruits et ses résidents relogés. Seuls quelques-uns subsistent, dont celui de T. dans lequel réside H. Y-F.

     A la fin de la première décade du siècle, ayant dépassé allègrement ses 80 ans, pour remédier à la grisaille de son environnement autant que pour passer le temps, celui-ci se mit à décorer l’extérieur de sa maison de quelques fresques représentant des personnages de la télévision (acteurs ou présentateurs), des animaux ou des végétaux stylisés. Il se mit également à agrémenter ses dessins de sentences naïves exaltant la paix, le bonheur et le remerciement aux dieux (il semble qu’il soit autant bouddhiste que taoïste, comme la plupart des Taïwanais). Encouragé par ses voisins, ceux-ci l’invitèrent à poursuivre sa création sur les murs de leurs propres maisons pour donner une cohérence à l’ensemble. Il se mit alors à peindre également le sol comme pour occuper totalement l’espace.

 

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Ph SB


      La cité était condamnée à la destruction prochaine lorsque des jeunes étudiants de l’université voisine découvrirent ce décor surprenant. L’information circulant et la superstition chinoise faisant le reste, le quartier devint rapidement une destination de prédilection, entre autres pour les jeunes mariés et autres aspirants au bonheur. Une pétition fut lancée pour sauver le lieu des appétits des promoteurs qui semble avoir été entendue puisque le maire de la ville s’est engagé à en assurer la préservation¹. Selon mes informations, à ce jour H. Y-F serait toujours vivant et, encouragé par son succès, continuerait son œuvre. Il semble qu’il se soit également mis à peindre des tableaux. Pourtant cette reconnaissance ne lui a pas apporté la fortune : à côté de sa boîte aux lettres il a pris soin d’installer une tirelire pour solliciter les dons afin de pouvoir continuer à s’acheter la peinture nécessaire.

 

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Ph. Todd Alperovitz

     Taïwan et plus généralement l’Asie sont encore en grande partie terra incognita pour ce qui concerne l’art brut. Je suis persuadé que tout reste encore à découvrir. Inutile de dire que suite à cette découverte, je compte bien m’y rendre prochainement...

Remy Ricordeau

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¹ Selon des informations datant de 2010.