31/01/2018
Une cascade qu'on n'attendait pas
"Nathalie se reconvertit..." dixit Darnish qui est l'auteur de cette photo, prise sans doute du côté de Dieppe; on peut espérer que la cascade promise, dans ce qui n'est ici qu'un humoreux télescopage sous forme de palimpseste involontaire, ne soit pas une simulation d'électroCUTION (voir le mot caviardé par le déchirage de l'affiche).
00:22 Publié dans Art immédiat, Inscriptions mémorables ou drôlatiques, Tel quel | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : télescopages, nathalie arthaud, lutte ouvrière, cascades, électrocution, inscriptions cocasses, darnish | Imprimer
29/01/2018
PIF, PAF, POUF
"PIF (Patrimoines Irréguliers de France) est une association ayant pour objectif la protection et la mise en valeur d’univers inventés par des irréguliers de l’art. Bâtis, sculptés et/ou dessinés, ces patrimoines fleurissent dans les banlieues du système culturel, qu’ils court-circuitent pour leur résistance à être saisis, à être catégorisés. Ils associent plusieurs techniques, médiums et disciplines et évoluent avec les auteurs qui les créent, suivant le flux de leurs rêveries. Réels et irréels à la fois, ils sont donc évolutifs, éphémères, interdisciplinaires, inclassables. Ils demeurent souvent dans la clandestinité, risquant l’oubli. A travers des rencontres, des expositions et des publications, Patrimoines Irréguliers de France vise à faire sortir de l’ombre ces lieux autres, qui ouvrent une brèche dans le réel, en suggérant que la vie est rêve."
C'est le laïus que m'a envoyé récemment la fondatrice, Roberta Trapani, avec deux autres acolytes, de cette association qui veut développer un certain flair (hi, hi) en matière d'"environnements singuliers", comme elle préfère dire pour désigner les "univers" de créateurs populaires ou d'artistes marginaux. En effet, je souligne ce terme d'univers qui nous indique qu'il ne s'agit pas seulement d'attirer l'attention des amateurs sur des environnements ou des sites, mais aussi sur des objets. On peut supposer en effet que les animateurs de ce PIF (PAF¹-POUF) s'intéressent aussi bien à des œuvres morcelables qu'à des ensembles de pièces créées pour être solidaires dans l'espace, comme dans le cas des environnements spontanés des habitants-paysagistes bruts ou naïfs. Quoique jusqu'à présent, d'ailleurs, l'association ait passablement mis l'accent sur des artistes singuliers plutôt que sur des créateurs populaires – comme Jean Linard (et sa "Cathédrale" en mosaïque, mal digérée de visites chez Picassiette, mixée à de vagues architectures de tipi amérindiens) – que personnellement je ne considère pas du tout comme faisant partie des environnements populaires spontanés, ou de l'art brut. On devine en tout cas qu'il s'agit pour cette association, au fond, de ne pas élever de distingo entre artistes et créateurs, comme je le fais personnellement, tout au contraire, sur ce blog (et dans mes livres), soucieux que je suis d'attirer l'attention sur une inspiration qui naît en milieu non artiste. Car cela remet en cause la division du travail chez les artistes patentés, et la notion commune que nous avons tous de l'art, généralement perçu comme une activité plus ou moins sacralisée, praticable seulement par une caste d'élus. Ce n'est donc pas seulement un caprice terminologique de ma part.
Le dessin qui sert d'illustration à ce carton relève a priori d'une iconographie illustrative fantastique, proche de la bande dessinée (genre Fred) des années 1970, de la revue Planète aussi, d'un certain psychédélisme futuriste et alternatif... ; elle ne rend pas trop compte des autres productions de cet artiste, qui me paraît avoir créé, aussi, si je me souviens bien, des machines imaginaires.
Le PIF présentera du 1er février au 25 février prochain une exposition, dans la galerie de la Halle Saint-Pierre, consacrée plutôt, justement, à un artiste marginal (synonyme à mes yeux d' "artiste singulier"), Jean-Luc Johannet.
Ce que fait de plus original, je trouve, l'artiste : cette maquette d'une ville de rêve... Expo dans la galerie au rez-de-chaussée de la Halle St-Pierre, ph. Bruno Montpied, février 2018.
_____
¹ Le PAF reste à créer en effet... Le Patrimoine Anarchique de France... Et le POUF : Patrimoine Oublié Ubuesque de France?
00:12 Publié dans Art singulier, Environnements singuliers | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pif, patrimoines irréguliers de france, artistes marginaux, contre-culture, roberta trapani, halle saint-pierre, jean-luc johannet, artistes ou créateurs, art singulier, environnements singuliers | Imprimer
27/01/2018
Un mousquetaire à Montmartre
Un cinquième mousquetaire, à Montmartre cette fois, ph. Bruno Montpied, 2018 (cinquième, puisque, comme on sait, les Trois Mousquetaires de Dumas étaient quatre).
Tout à coup, comme surgie du bitume du trottoir, apparaît une forme corpulente se déplaçant avec lenteur, et stoppant tous les cinq mètres. Me sautent surtout au visage les inscriptions sur le dos du personnage, autour d'une croix, grossièrement fleurdelysée, et pour cause, je vais peu à peu m'en convaincre: le monsieur s'est confectionnée une veste en référence à l'uniforme des mousquetaires sous Louis XIII, puis Louis XIV (etc... ; y a eu des mousquetaires, paraît-il, jusqu'en 1816)... Les inscriptions, plutôt peintes et non brodées, sont rouges et se rapportent aux mousquetaires sans ambiguïté : on lit aisément les noms d'Atos (sic), Portos (re-sic), Aramis et d'Artagnant (re-re-sic). Plus des dates (? : 1245, 1114, 1195, 1244), des noms de pays, de peuples, ou de religions: "Grek", "Serb" (écrit deux fois), "Juif", "Orthodox", "Israël", "France en Ange"...
Plus prés... ph. B.M., Montmartre, 2018.
Je n'ai pas le courage de contourner l'homme volumineux qui avance par paliers, dans l'idée de lui adresser la parole.... Je saisis juste l'image de cette veste hors-les-normes, la volant au passage certes, et la mettant en ligne qui plus est, dorénavant, mettant très volontairement le pied dans le plat – comme dirait une langue de vipère intercalaire de ma connaissance – afin de souligner, des plus lourdement comme de juste, cet exemple supplémentaire de poésie vestimentaire "brute" et quotidienne. Que se passerait-il en effet, s'il nous passait à tous fantaisie de graver sur nos parures expressions diverses, images par nous admirées, icônes ultra personnelles en tous genres, plutôt que ces inscriptions publicitaires et ces marques qui font de nous des hommes et des femmes sandwichs au service des marchandises? Seuls les bruts se permettent ce genre d'audaces (on connaît en effet bien d'autres exemples dans ce domaine comme les costumes chamarrés et originaux que portait Vahé Poladian sur la Côte d'Azur).
Un ami est retombé sur lui le lendemain du jour où je pris les photos. L'homme est serbe, d'une famille dont la lignée lui est source de grande fierté (les dates sur la cape se rapportent ainsi à des événements fondateurs de cette lignée), de confession juive au départ, mais converti par la suite en chrétien orthodoxe. "Atos" fait référence à la fois au mousquetaire popularisé par Dumas et au mont Athos qui est situé en Grèce. Cette veste est au fond un manifeste identitaire promené devant tout un chacun par ce monsieur.
16:00 Publié dans Art immédiat, Fantastique social, Inscriptions mémorables ou drôlatiques | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : street art sauvage, inscriptions insolites, vêtements bruts, mousquetaires, croix fleurdelysée, d'artagnan, porthos, aramis, athos | Imprimer
23/01/2018
A propos des fous littéraires, une rencontre avec Marc Décimo
La Halle Saint-Pierre ne lâche jamais l'affaire. Dans le cadre des animations de l'auditorium, elle invite cette fois Marc Décimo, distingué professeur, sémioticien (ouh le mot qui fait peur...), historien d'art, j'en passe et des meilleurs, samedi 27 janvier 2018 de 16h à 17h30, pour venir nous entretenir de sujets en rapport avec ceux que Charles Nodier, Raymond Queneau et André Blavier, entre autres, ont qualifié de fous littéraires. L'actualité éditoriale de Marc Décimo, aux Presses du Réel, ces temps-ci, est extrêmement active. Il vient de faire paraître en même temps deux épais ouvrages, l'un en collaboration avec le sieur Tanka G.Tremblay, Le texte à l'épreuve de la folie et de la littérature (600 p., 42€), et l'autre, en solo, Des fous et des hommes. Avant l'art brut, suivi de Marcel Réja: L'art chez les fous, le dessin, la prose, la poésie (1907), édition critique et augmentée. Dans ce dernier, il paraît, aux dires de l'auteur lui-même qu'outre l'édition augmentée, il apporte des lumières nouvelles sur plusieurs créateurs présents dans l'historique livre de Réja (alias le docteur Paul Meunier, nom démasqué en son temps par Michel Thévoz), qui avait déjà été réédité il y a plusieurs années.
Le premier livre, Le texte à l'épreuve de la folie et de la littérature, que personnellement j'ai préféré prendre (il y a tant de choses à lire, tant, qu'une seule vie ne peut y suffire), traite de la relativité du terme de "folie", selon que tel ou tel chroniqueur l'emploie, et selon l'époque où il l'emploie. Pour Marc Décimo, surtout, semble-t-il, on a traité de fous des auteurs qui bien souvent étaient parfois en avance sur leur temps, avec des projets tellement audacieux qu'ils paraissaient aberrants aux yeux de leurs contemporains. Notamment, notre sémioticien distingué (qui écrit dans une langue fort claire, en dépit de quelques mots rares dont le lecteur pas paresseux ira repêcher le sens dans un dictionnaire de figures de style, comme par exemple ces étranges termes : "apocope", "métathèse"...) voit dans ces fous littéraires souvent de "la pataphysique par anticipation" et rappelle l'article de Noël Arnaud, paru dans le n° spécial de la revue Bizarre, en avril 1956, sur "les Hétéroclites et les fous littéraires", où il traitait Louis de Neufgermain (ailleurs qualifié de "fou littéraire") de "poète hétéroclite". Décimo, pour sa part, ajoute qu'on aurait pu également considérer le même comme "oulipien", "par anticipation" là aussi... Collège de Pataphysique et Oulipo sont deux ensembles pourvus de nombreuses passerelles et d'auteurs en commun qui intéressent Marc Décimo au premier chef, lui qui est par ailleurs régent du fameux Collège et titulaire de "la chaire d'Âmoriographie littéraire, ethnographique et architecturale"... Peut-être peut-on alors voir dans ce dernier ouvrage la dernière vision des fous littéraires telle que les entendent les pataphysiciens et les oulipiens actuels, à savoir des génies précurseurs, entre autres des inventions en termes de langage?
Rendez-vous donc samedi prochain pour tous ceux qui voudront bien faire un bout de balade en compagnie de cet érudit ludique, Marc Décimo, digne héritier des Queneau et des Blavier...
15:59 Publié dans Fous littéraires ou écrits bruts | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : halle saint-pierre, marc décimo, presses du réel, pataphysique, oulipo, jeux de langue, marcel réja, fous littéraires, l'art chez les fous | Imprimer
16/01/2018
Trouvetout...
–
Photo Régis Gayraud, Paris, rue Vivienne, 2018.
Cela faisait longtemps que je ne vous avais pas transmis de nom prédestinant. Ce Gustave-là, un Trouvé – trouvé deux fois en quelque sorte ces jours-ci – par le camarade Régis Gayraud, avait le nom de l'emploi. Une sorte de Géo Trouvetou, en somme.
Le personnage des studios Disney, Géo Trouvetou.
Mais, étourdi que je suis, et trop heureux de la trouvaille de ce possible nouveau nom prédestinant, je ne me suis pas avisé que c'était sans doute trop beau pour être vrai... Régis Gayraud me signale que Gustave Trouvé, ça peut aussi se lire "G.Trouvé"... Et que cela pourrait ressembler à un canular (en dépit des nombreuses notices biographiques que l'on trouve par-ci par-là sur internet, Wikipédia, data-BNF, la Nouvelle République, etc., qui paraissent, s'il s'agit d'une supercherie, relever d'un travail particulièrement acharné...). J'avais été, dans un premier temps, alerté par la typographie et la couleur de la plaque qui me paraissent très, très proches de celles des anciennes fausses plaques commémoratives qui fleurirent un temps à Paris (j'en ai déjà parlé ici). Alors? Supercherie ou véritable nom prédestinant?
14:41 Publié dans Inscriptions mémorables ou drôlatiques, Noms ou lieux prédestinants | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : géo trouvetout, régis gayraud, gustave trouvé, noms prédestinants, aptonymes, supercherie, faux inventeur | Imprimer
07/01/2018
Benjamin Péret à la Halle Saint-Pierre, quelques événements pour un riche retour sous la lumière
Du 8 au 28 janvier, la Halle Saint-Pierre accueille une évocation de Benjamin Péret dans sa "galerie" du rez-de-chaussée, centrée sur les voyages qu'il fit entre 1955 et 1956, fasciné par les arts des Indiens et l'art populaire du Brésil. En effet, les éditions du Sandre, au même moment où elles publiaient mon Gazouillis des Eléphants – qui traite aussi d'art populaire – a sorti en novembre 2017 un beau livre consacré à Benjamin Péret et intitulé Les arts primitifs et populaires du Brésil, photographies inédites, qui illustre une fois de plus le profond intérêt qu'éprouvait le poète surréaliste pour l'art primesautier où qu'il se manifeste dans le monde. Si la galerie de la Halle présente sept vitrines d'exposition de différents documents et objets relatifs à cette période de la quête pérétienne, le tout sous le titre "Du merveilleux, partout, de tous les temps, de tous les instants", il convient de signaler – outre le vernissage (en entrée libre, comme tout ce qui concerne ces événements) autour de Péret qui aura lieu le jeudi 11 janvier prochain de 18h à 21h – également une après-midi consacrée à la présentation du livre, ainsi qu'à celle du dernier numéro (le n°6) des Cahiers Benjamin Péret dans l'auditorium de la Halle, au sous-sol, le dimanche suivant 14 janvier, à 15h. Cela se fera en présence de Leonor de Abreu et de Jérôme Duwa, co-responsables du livre des éditions du Sandre, ainsi que de Gérard Roche (président de l'Association des amis de BP), celui-là même qui vient de signer la magnifique et vivante édition de la correspondance André Breton-Benjamin Péret chez Gallimard (2017).
Une correspondance fascinante, pleine de vie, qui restitue les deux poètes avec une spontanéité et une chair que l'on ne rencontre pas de la même manière dans leurs autres écrits (même si Péret écrivait comme il respirait) ; certainement un des meilleurs volumes de la correspondance jusqu'ici parue concernant Breton. A n'en pas douter, ce furent eux les piliers du château étoilé...
Il faut dire que l'actualité éditoriale est richement consacrée au retour de Benjamin Péret dans nos esprits et dans notre mémoire en ce moment. Il ne faut pas oublier de mentionner en effet la très bonne biographie de Barthélémy Schwartz, Benjamin Péret, l'astre noir du surréalisme, parue en 2016 chez Libertalia¹, qui permettra à tous ceux qui apprécient cet enfant terrible de la poésie, de l'amour sublime et de la révolte, s'ils ne savent pas de qui il s'agit exactement, de faire un copieux tour du personnage, documenté de faits, d'analyses et d'anecdotes savoureuses comme celle qui campe Péret, sortant de chez André Masson, et qui, chaque fois qu'il passait devant la loge où les concierges laissaient voir leur repas en famille, lançait : "Alors? Elle est bonne la merde?", ou encore cette autre, racontée par Marcel Duhamel, où, déambulant en voiture avec Tanguy, Prévert et Duhamel, il tirait au revolver en l'air au long des routes, comme un fêtard mexicain...
Photo de Benjamin Péret extraite du livre aux éditions du Sandre ; Lampião et Maria Bonita, céramique polychrome, Mestre Vitalino, Caruaru, État du Pernambouc, coll. Museu de Arte Popular, Recife.
Benjamin Péret, comme le souligne pertinemment Schwartz dans sa biographie, était un des rares autodidactes du mouvement surréaliste, avec Yves Tanguy, par ailleurs d'origine bretonne comme lui (Péret était nantais). Cela est à mettre en liaison directe avec son goût jamais démenti pour les techniques automatiques surréalistes, lui servant à lâcher les rênes d'une inspiration qui ne mettait jamais longtemps à traîner dans la boue les autorités, le clergé, l'armée, les juges, tout ce qui s'opposait à l'exercice de la liberté et de l'amour. Et cela explique aussi, outre le fait qu'il était de par ses origines prolétaires anti élitiste et anti bourgeois, sa compréhension profonde pour les arts populaires, les mythes et légendes dont il prisait essentiellement l'esprit magique, le merveilleux sous toutes ses formes (voir par exemple cet article qu'il consacra dans Minotaure aux armures délirantes de la Renaissance, ou aux automates) et vers la dernière partie de sa vie, pour deux figures importantes de l'art singulier (aux limites de l'art brut), Robert Tatin et Gaston Chaissac.
En effet, si l'on connaît le texte qu'il consacra à Chaissac, daté de 1958, dans l'édition de luxe des Inspirés et leurs demeures de Gilles Ehrmann, L'homme du point du jour, tel qu'édité dans le livre d'Henri-Claude Cousseau sur l'œuvre graphique de Chaissac chez l'éditeur Jacques Damase en 1982, texte différent (on découvre en effet des paragraphes alternatifs d'une version à l'autre...) de la version intitulée Sur Chaissac dans Benjamin Péret, Œuvres complètes Tome VI (Association des amis de Benjamin Péret/libraire José Corti, 1992), on connaît bien moins le texte étonnant qu'il écrivit pour présenter Robert Tatin en 1948 (il venait de rentrer du Mexique en France), découvert par hasard semble-t-il, dans une galerie rue du Petit-Musc à Paris. Ce texte – inédit dans ses Œuvres Complètes – avait été proposé à Jean Dubuffet pour le projet d'Almanach de l'Art brut que ce dernier décida finalement de ne pas publier, en raison probablement de son désaccord ultérieur avec Breton. Il vient d'être (enfin) publié (en 2017, là aussi), en reprint d'après les tapuscrits, par la Collection de l'Art Brut, l'Institut Suisse d'Etude de l'Art et 5 Continents. Il nous montre que Péret n'eut de cesse de veiller aux irruptions de poésie sauvage qu'elles proviennent des jungles amazonienne ou mexicaine, ou de zones marginales de la créativité populaire en France. Voici un passage qu'il écrit au sujet de Tatin, alors seulement céramiste et peintre, et n'ayant donc pas commencé son environnement ébouriffant et syncrétique de la Frénouse à Cossé-le-Vivien en Mayenne (il recroisera la route des surréalistes au début des années 1960, ce que Péret n'aura pas su puisqu'il décédera en 1959) : "Sa peinture a en effet la force primitive de tous les arts archaïques (...) Robert Tatin revient donc aux origines mêmes de l'art, au point d'intersection qui contient en puissance l'infini des possibilités." (L'Almanach de l'Art Brut, p. 473). Dans ce même Almanach, on trouve un autre texte sur les peintures populaires des cafés mexicains où l'on buvait de la pulque (alcool d'agave), Enseignes de pulquerias. Il me semble qu'il a été édité dans ses Œuvres complètes, dans le tome VII (à vérifier). A propos de ces Œuvres complètes (sept jusqu'à présent), on notera aussi un texte qu'il consacra à l'architecture délirante de Gaudi à Barcelone.
Péret aurait vécu plus longtemps, nul doute qu'il aurait fait un tour plus appuyé du côté de tous les inclassables de l'art et autres poètes plastiques de la spontanéité apparus après les années 1960, du côté de l'art brut et dans ses marges. De l'art brut, je n'ai relevé jusqu'à présent qu'une mention par Péret. Elle figure dans son texte contre l'art abstrait, La soupe déshydratée, paru dans l'almanach surréaliste du demi siècle (réédité par Plasma en 1978). Et il est dit quelque part (un texte d'exégète dans la récente édition de l'Almanach de l'art brut ? J'avoue avoir la flemme d'aller retrouver la source...) qu'il accompagna Breton et Dubuffet aux Puces lorsqu'il s'agit d'aller acquérir des masques en coquillage de Pascal-Désir Maisonneuve vers 1948, à l'époque où tout allait encore bien entre le pape de l'art brut naissant et le chef de file du mouvement surréaliste...
_____
¹ On rappellera aussi le film de Remy Ricordeau, déjà signalé sur ce blog, Je ne mange pas de ce pain-là, Benjamin Péret poète c'est-à-dire révolutionnaire, sorti en DVD, production Seven Doc, sorti en 2015. La première partie de son titre est repris du titre d'un des recueils de Péret, tandis que la deuxième récupère un autre titre, celui d'une émission de radio de Guy Prévan de 1999, elle-même, comme il est précisé dans les commentaires ci-après par R.R.., reprenant un fragment du Déshonneur des poètes, ce livre de Péret contre la poésie de circonstance qui fit scandale chez les Aragonéluards en 1945, puisqu' y étaient visés les poètes stalino-nationalistes qui à la Libération confisquaient la vie culturelle à Paris.
____
21:25 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art populaire insolite, Art rustique moderne, Art singulier, Photographie, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : benjamin péret, éditions du sandre, arts primitifs et populaires du brésil, surréalisme, andré breton, barthélémy schwartz, libertalia, halle saint-pierre, cahiers benjamn péret, gérard roche, art populaire, gaston chaissac, robert tatin, almanach de l'art brut | Imprimer
04/01/2018
Laissez libre le graffitiste cinéphile de Douarnenez! Un "préjudice"? Où ça, un "préjudice"?
Ouest-France a publié le 2 janvier une nouvelle qui m'a passablement consterné. On a interpellé – fut-ce à la suite d'une plainte de la municipalité? On n'ose l'imaginer – et apparemment, si l'on en croit un autre article publié dans le Télégramme de Brest, sur la foi du "descriptif donné par un témoin", un homme de 44 ans à Tréboul (ville jouxtant Douarnenez), convaincu d'être celui que j'avais surnommé dans mes notes du 8 août 2017 et du 21 août suivant "le graffitiste cinéphile de Douarnenez". Et Régis Gayraud et moi-même sommes cités par le même Ouest-France comme ayant "cosigné" une note sur ce graffitiste insolite.
Capture d'un extrait de l'article d'Ouest-France du 2 janvier 2018 tel qu'on peut le lire sur le Net.
Capture de l'article paru dans le Télégramme de Brest du 2 janvier 2018, tel qu'on peut le trouver sur le Net.
Que penser d'une telle garde à vue pour ce qui apparaît (un préjudice? Vraiment?), comme beaucoup de bruit pour rien...? Certes, on nous dit que ce graffiteur faisait "beaucoup parler de lui dans la ville" pour les graffiti (et non pas des tags) qu'il apposait "depuis des années". Mais, cet homme, probablement un pauvre diable (notons les mots attribués par l'article d'Ouest-France aux gendarmes : "un tagueur [encore ce terme inadéquat] systématique, sans doute compulsif, mais sans intention de nuire"), gênait-il, causait-il un "si grand préjudice" – chiffré à la somme mirobolante de 85 000 € tout de même – depuis toutes ces années où l'on passait à Douarnenez à côté de ses inscriptions, sans les voir réellement (toutes des titres de films ou de séries télévisées) ? Dans ma première note du blog, j'avais indiqué du reste que je ne les aurais pas vus tout de suite ces graffitis, si mon camarade Régis n'avait pas insisté (il s'intéresse de fort près aux inscriptions dans les villes, faut dire). Je suis bien sûr que plein de passants n'y accordaient aucune importance, exactement comme moi au début. Apposées sur du mobilier urbain qu'on ne voit littéralement pas tant il est banal, ces inscriptions en outre n'empiétaient jamais sur les textes officiels, les mots de la signalétique, ne les occultant pas, ne causant donc aucune nuisance. Le mobilier urbain en question, comme la bouche d'incendie que je reproduis ci-contre (photo Bruno Montpied, 2016), n'était pas plus dégradée par ces graffitis que par la crasse ou les taches d'usure qui le recouvrent sempiternellement. De plus, comme me l'a fait remarquer mon ami Régis, beaucoup de ces graffitis étaient en voie d'effacement par usure... Dès lors, que la municipalité puisse voir un préjudice dans ces graffitis est une pure plaisanterie... Autant demander au climat de rembourser les 85 000 €...
A moins qu'un vilain calcul ne se soit glissé derrière la tête d'un élu, calcul qui consisterait à se faire de l'argent sur le dos d'un – j'y insiste – pauvre bougre, de l'aveu de la gendarmerie "compulsif, et sans intention de nuire"... Ce serait véritablement odieux, s'il en était ainsi. Et qu'on ne vienne pas dire non plus que ce monsieur aurait besoin peut-être d'être soigné, qu'un petit séjour chez les psychiatres pourrait s'imposer. Car son entreprise systématique, comme Régis, moi et plusieurs commentatrices et commentateurs, l'avons considéré, certes sous un angle hypothétique (quoique étayé d'analyses), relève à mes yeux de la poésie urbaine (voire de l'art brut de l'inscription), surtout s'il s'avère que les titres de films apposés en maints endroits de la ville, avec des numéros et des flèches, pourraient avoir un rapport avec l'histoire de ces lieux. Comme si notre graffitiste cinéphile avait voulu dresser un portrait pluriel des habitants de Douarnenez. Cela serait proprement génial, comme nous l'avons dit. Et mériterait d'être protégé dès lors, comme un patrimoine quasi immatériel qui ferait à terme la gloire de Douarnenez (et non pas une tache sur la réputation de la ville).
Non, décidément, plus j'y pense, plus je me dis qu'il faut flanquer la paix à notre "compulsif", abandonner les poursuites et surtout les amendes (quelle bonne action ce serait, messieurs les édiles) , et revenir à l'élucidation du mystère de cette "geste", mystère qui, n'en déplaise aux journalistes, n'est pas "tombé" au moment où les gendarmes ont interpellé notre graffitiste cinéphile... A Rouen, où les Rouennais possèdent eux aussi un graffitiste compulsif de même acabit, ils ont su laisser "pisser le mérinos", comme dit la sagesse populaire. Ne me dites pas que les Douarnenistes ne peuvent en faire autant...
Graffitis sur une armoire électrique près de la grande Poste de Rouen, tracés par Alain R., ph. Bruno Montpied, 2010.
*
Information subséquente (1) du 4 janvier
Il semblerait, si l'on doit suivre l'information transmise sur Ouest-France Facebook il y a environ huit heures, que la mairie de Douarnenez renoncerait à poursuivre le graffitiste cinéphile, ce qui est tout à son honneur. Depuis quelques jours les témoignages affluaient sur les réseaux sociaux pour manifester de la colère devant l'interpellation du graffitiste, et de la honte qu'on puisse envisager de lui demander raison d'un préjudice financier concernant l'imaginaire dégradation d'un mobilier urbain jugé par certains laid et anti-poétique. L'individu qui a dénoncé le graffitiste à la gendarmerie était particulièrement vilipendé pour sa délation rappelant de mauvais souvenirs d'un autre temps.
Information subséquente (2) du 9 janvier
Comme signalée ci-dessous en commentaire (par "Gueveur"), une autre plainte aurait été déposée, cette fois par Douarnenez communauté... Le même chiffre du "préjudice" revient sur la table, 85 000€, toujours aussi aberrant, étant donné l'imaginaire atteinte aux biens publics (des poubelles, des panneaux de signalisation, des rambardes, des piquets, des armoires électriques dont tout le monde se contrefiche).
relevé sur Facebook d'Ouest-France ; merci du signalement à Régis Gayraud.
00:05 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Graffiti, Questionnements | Lien permanent | Commentaires (25) | Tags : graffitis, graffitiste cinéphile de douarnenez, télégramme de brest, ouest-france, inscriptions, cinéma, télévision, poésie urbaine, art brut des inscriptions, street art sauvage | Imprimer
02/01/2018
Les éléphants viennent gazouiller sur Radio-Libertaire jeudi 4 janvier prochain
On est toujours dans la présentation du Gazouillis des éléphants, mon inventaire des environnements populaires spontanés de France métropolitaine, paru au Sandre en novembre dernier. Je suis invité à converser sur le sujet dans le cadre de l'émission "Bibliomanie" par Valère-Marie Marchand, sur Radio-Libertaire, ce jeudi qui vient, à 15h (jusqu'à 16h30). A noter que l'animatrice de l'émission est elle-même écrivain et dessinatrice, et qu'elle est l'auteur, entre autres, d'un livre sur le Facteur Cheval aux éditions du Sextant (il y a une dizaine d'années), une biographie imaginaire du Facteur selon ce qu'elle m'a confié (je n'ai pas encore eu l'occasion de lire l'ouvrage).
01/01/2018
Voeux, vaches, cochons... Et roitelet
Carte de vœux numérique conçue par Louisette et Michel Darnis : à quoi bon chercher mieux pour souhaiter la bonne année aux lecteurs du Poignard?
Et si! On peut trouver mieux... Voir ci-dessous le vrai roitelet, car le zoziau ci-dessus, choisi par Louisette et Michel est en réalité un rouge-gorge... 2018 commence bien, avec une erreur... (Merci à Cécile et à Brigitte pour nous avoir remis sur le bon rail):
Roitelet triple bandeau, © Robert Balestra, site Oiseaux.net
00:05 Publié dans Tel quel, Voeux de bonne année | Lien permanent | Commentaires (2) | Imprimer