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14/01/2008

Yvonne Robert naïve à Carquefou brute à Lausanne

    Michel Leroux me signale une exposition d'Yvonne Robert à Carquefou, qui fait partie de la métropole du grand Nantes en Loire-Atlantique. Avec un tel nom  craquant au vent fou venu des profondeurs de l'océan pour vous emporter les idées noires, on aurait pu imaginer cette petite ville au bord de  la mer, eh bien c'est sur les bords de l'Erdre (cet affluent de la Loire, occulté à Nantes, comme la Bièvre à Paris, et à qui manque un M initial qui achèverait de l'amarrer inexorablement au père Ubu)...

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    Cela se passe du 6 au 20 février 2008 à l'Espace Culturel la Fleuriaye (renseignements: 02 28 22 24 40, courriel: culture@mairie-carquefou.fr). Yvonne Robert a commencé à faire grandement parler d'elle grâce à une petite étude de Guy Joussemet dans le fascicule n°14 de la Collection de l'Art Brut à Lausanne (édité en 1986). Elle peint depuis 1974 des saynètes de tous ordres se rapportant à une vie rurale qui paraît de plus en plus aujourd'hui s'éloigner de nous. Née en 1922, elle n'a pas quitté la Vendée où elle a connu une vie d'enfant difficile dans une famille où les parents se déchiraient Sa vie d'adulte a connu d'autres moments durs, avec des employeurs sans scrupules notamment, aussi des hommes qui l'ont brutalisée.

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    Guy Joussemet parle d'une peinture qui en 1986 semblait s'éloigner de débuts qualifiés plutôt de naïfs pour se diriger avec assurance vers une dimension nettement plus "brute". Cependant, avec le temps, il semble que cela apparaisse moins net et moins tranché. La production est désormais, trente-quatre ans après ses débuts (1974), vaste et multiple, parfois inégale. Les références à la végétation, aux animaux, à des scènes de tragédie banale telle que celle que je montre ci-dessous,

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Comme font les oiseaux Mélanie s'est cachée derrière son armoire pour mourir Victorien dit à Mélina je suis sûr que ta mère a ses sous dans l'armoire sous ses chemises Dépêche-toi les autres vont arriver... Peinture d'Yvonne Robert, 2002, coll.privée, Paris, photo B.Montpied

 montrent qu'Yvonne Robert ne se résout pas à se détacher complètement de la réalité telle que la perçoivent ses yeux. On n'assiste pas avec elle à une plongée griffonnante et débridée dans l'imaginaire et l'abstrait. Il semble que seuls quelques traitements affectant une partie de l'image puissent prendre un aspect "automatique" échappant au contrôle de la raison (l'étagement des divers plans dont la peintre ne sait rendre la perspective, par exemple, ce qui la conduit à inventer un autre mode d'expression et un autre langage, ce qui devrait faire taire les rieurs).

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    A Carquefou, elle est présentée comme artiste naïve, de ce fait sans doute. A Lausanne, c'est une autre chanson. A cheval (Ferdinand...) entre brut et naïf, Yvonne Robert? Personnellement, cela ne me dérange aucunement. L'enfance du regard est intact des deux côtés. 

(Les photos sans auteur mentionné proviennent du site de la mairie de Carquefou)

27/12/2007

Pépé Vignes joue sûrement de l'accordéon au paradis

    Il me semble que personne n'en a parlé (*), mais Pépé Vignes s'en est allé. et cela fait déjà quelques mois cette année, cette année qui meurt à son tour... Nous ne savions plus grand-chose de lui depuis bien longtemps, tant il était protégé de ses admirateurs par ce qui lui restait de famille. Il serait temps de songer à repartir à sa recherche. Voici une première trace ci-dessous. 

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Pépé Vignes, sans titre, crayons de couleur sur papier Canson, 1976, coll.privée, Paris (ce qui pourrait ici ressembler aussi bien à un châlet suisse est en réalité un tonneau, normal pour un homme qui s'appelle Vignes...)
 
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(*): Personne? Pas tout à fait. En regardant mieux, j'ai trouvé que le site du musée de la Création Franche avait indiqué la date du décès de Joseph Vignes à la date de cette année... Un peu plus d'ampleur serait cependant souhaitable pour une telle nouvelle. Il n'y a pas que Julien Gracq qui mérite des hommages.
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Post-scriptum n°2: Personne? Ouh là là... Suite au commentaire de "fd" paru à la suite de cette note, j'ajoute qu'on doit signaler aussi le blog consacré à l'art singulier et à l'oeuvre de Jerzy Ruszczynki qui contient une notice sur Pépé Vignes enrichie de belles reproductions de ses oeuvres, notice où a été également signalée la date de décès de M.Vignes.

27/10/2007

Le vingt-huitième numéro de "Création Franche"

 

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  Le n°28 de la revue Création Franche, qui paraît apparemment deux fois l'an, vient de sortir (numéro de septembre). Au sommaire, toujours une suite d'articles sur des créateurs variés, avec ce principe maintes fois réaffirmé auparavant par le rédacteur en chef Gérard Sendrey (artiste et deus ex machina du musée éponyme de la Création Franche, situé comme on sait au 33, ave du Maréchal de Lattre de Tassigny, 33130 à Bègles ; c'est aussi à cette adresse qu'on peut se procurer la revue (8€ le numéro), voir également ici le site du musée), on ne doit y parler que des vivants... Cependant, cette fois, il y a des petites entorses à la règle (mais elles sont justifiées). On parle dans ce numéro (article de mézigue, Bruno Montpied, un habitué des entorses...!) d'environnements spontanés datant "d'avant le facteur Cheval" (François Michaud, Jean Cacaud, la cave des Mousseaux à Dénezé-sous-Doué, une maison sculptée en Margeride, l'abbé Fouré -pas tout à fait d'avant le facteur Cheval celui-ci, c'était en fait un contemporain de Ferdinand- et surtout d'un certain Louis Licois et de son bas-relief très naïf à Baugé dans le Maine-et-Loire).

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Bas-relief de Louis Licois à Baugé (1843), inscription: "J'ai réussi grâce à l'Etre Suprême", (Photo B.Montpied)

   Gérard Sendrey lui-même  pratique aussi l'entorse à ses propres principes puisqu'il évoque dans ce numéro 28 la mémoire des magnifiques dessins tourmentés de Swen Westerberg, le défunt époux de Claude Brabant de la galerie l'Usine à Paris (qui défend depuis tant d'années la création imaginiste de tous bords). Il faut dire que ce principe ne s'applique pas, me semble-t-il, à des créateurs qui sont passés au milieu de nous furtivement et sans trompettes. La renommée n'a pas eu le temps d'apprendre leur existence que déjà ils s'éclipsaient. Et ils avaient très mal su faire leur propre publicité, ce qui est le péché des péchés au jour d'aujourd'hui... Autant dire que l'époque regorge encore plus que les précédentes de créateurs originaux que l'on n'a pas su remarquer. Swen est incontestablement de ceux-là. Les dessins que publie ce numéro de Création Franche, et qui ont déjà fait l'objet d'un livre édité par Claude Brabant dans le cadre de sa galerie (avec 270 dessins reproduits), datent apparemment des années 60. Moi qui ai fréquenté la galerie dans les années 80, je n'avais pas eu vent de leur existence, les dessins que j'avais alors vus ne m'ayant pas autant intrigué. L'auteur n'avait alors peut-être plus l'envie de les montrer.

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Dessin de Swen (veuillez cliquer dessus si vous voulez agrandir l'image)

    Joseph Ryczko, un vieux de la vieille dans ces domaines des arts buissonniers, nous fait découvrir des dessins très ornementaux d'une nouvelle au bataillon, Gabrielle Decarpigny, qui paraît vivre du côté des Pyrénées, dessins fort séduisants si l'on en juge par ceux qui sont reproduits ici.

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Gabrielle Decarpigny, dessins reproduits dans Création Franche

   Trois plumes venues de la Collection d'Art Brut de Lausanne, Sarah Lombardi, Lucienne Peiry et Pascale Marini occupent également le terrain de ce numéro avec des articles sur Rosa Zharkikh, sur les "travaux de dames", les textiles de l'art brut, et sur Donald Mitchell (il m'ennuie un peu celui-ci, déjà aperçu à Montreuil du côté d'ABCD il me semble...). Et que je n'oublie pas de mentionner un article également de Dino Menozzi sur l'artiste Tina San , Menozzi sur qui je reviendrai dans une note suivante de ce blog.

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Juliette Elisa Bataille, Vieille maison de Montmartre, 1949 (Photo Olivier Laffely, Coll.de l'Art Brut, Lausanne, publié dans le n°28 de Création Franche, article de Lucienne Peiry)

    Ce Création Franche est un numéro peut-être un peu plus bref que de coutume mais il contient des textes et des images qui apportent du nouveau et auront peut-être ainsi quelque chance de revenir nous hanter. 

19/10/2007

Un anonyme amateur de nuages, de merveilleux nuages...

   Les brocantes, les "foires aux jambons", les puces sont peut-être les plus féconds et simultanément les plus décevants terrains de rencontre des objets ou des oeuvres bruts, naïfs, insolites, poétiques, surréalistes...

   Je les fréquente sporadiquement. Car j'ai, paradoxalement, une sainte horreur de l'amas, une lassitude incommensurable devant l'entassement sans limites du bazar hétéroclite des objets rejetés, promis à d'autres mains, objets qu'on se lance d'une collection à l'autre, en attente du doux bercail d'un musée qui les sédentariserait enfin...

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Feu d'artifice? Un visage lunaire, une écharpe tricolore... (Photo B.Montpied)

    Il y a de cela plusieurs années, ce devait être vers la fin des années 80 de l'autre siècle (quel délice de pouvoir écrire cela, avantage de vivre à la charnière de deux siècles, cela nous octroie l'illusion de vivre plus longtemps...), à la braderie de Houilles, que l'on présentait alors comme la deuxième plus grande braderie de France, après Lille (cette dernière devenue aujourd'hui bien décevante), en traînant la savate au long d'une allée, je perçus du coin de l'oeil, dépassant d'un carton à dessin, le tout petit bout d'un dessin à la craie sur papier noir montrant un arrangement de lignes intéressant. Les vendeurs étaient des adolescents qui visiblement n'accordaient que très peu d'intérêt aux dessins. Ils m'extirpèrent du carton un ensemble de dessins format raisin (50x65 cm). C'était tout à fait original quoique légèrement abîmé par la suite de nombreux frottements. La craie n'avait sans doute jamais été fixée et les multiples manipulations avaient étalé les couleurs autrement que ce qu'avait probablement voulu l'auteur primitivement. Mais cela restait prodigieusement attractif, intrigant. Un nom se laissait deviner sur chaque dessin que j'acquérais pour une bouchée de pain, Robert Roseff, crus-je lire...

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Un feu, un oiseau, des êtres fantastiques dans les nuées... Un ciel nocturne visionnaire (Ph.B.Montpied)

   Les ados me laissèrent entendre qu'il s'agissait d'un parent à eux, mais qu'ils ne savaient pas grand-chose, voire rien du tout à son propos... Je me retrouvais  avec trois dessins étranges (un compagnon que j'avais alerté en acquit d'autres aussi). L'un qui montrait visiblement un feu d'artifice "visionnarisé", un autre qui se concentrait sur des visions interprétées d'après des formes nuageuses et végétales, gentiment hallucinatoire, et un troisième qui paraissait plus abstrait et plus directement visionnaire (malgré un rapprochement possible là aussi avec les feux d'artifice), le tout représentant à chaque fois des scènes se déroulant dans le ciel nocturne représenté par le fond du papier Canson noir que l'auteur avait laissé en réserve.

   Le hasard a fait jusqu'à présent que je n'ai jamais rencontré d'autre écho au sujet de cet auteur ou d'une autre de ses oeuvres. Créateur à ranger donc du côté des grands secrets enfouis à l'intérieur des vies quotidiennes qui ne se dévoilent que bien longtemps après leur disparition (par suite d'une vente à un brocanteur), comme on en voit dans  l'art brut. Ce dernier se déniche de ce fait particulièrement au fond des brocantes, là où finissent la plupart du temps les secrets qu'on n'a pas voulu détruire avant de mourir.

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Gerbes et fusées de couleurs pâles, une tête qui tire la langue, une cocarde tricolore dans le bas à gauche... Feu d'artifice visionnaire et brut? (Ph.B.Montpied ; cliquez pour agrandir)

18/10/2007

Les Jardins de l'art Brut de Marc Décimo, présentation du livre

J'ai reçu l'annonce ci-dessous ces jours-ci, je répercute... : 
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"R e n c o n t r e   d é b a t
avec  
Marc Décimo
auteur du livre
Les Jardins de l'art brut
(Editions Les Presses du Réel)
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samedi 10 novembre à 15 heures

Auditorium de la Halle Saint-Pierre
Entrée libre
***
     Les Jardins de l'art brut, de Marc Décimo, parution octobre 2007
     Un essai sur la naissance et le devenir de l'art brut, un parcours en images hors des musées.
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    A partir des traditions médicale, littéraire et artistique qui, chacune selon leur point de vue, se préoccupaient de l'"art des fous", émerge la notion d'art "brut", telle que la définit Jean Dubuffet. A savoir, finalement, la possibilité de faire du résolument neuf dans les pratiques artistiques. Et de croiser, chemin faisant, Raymond Queneau, André Breton et... Marcel Duchamp. 
   Si l'art "brut" trouve enfin place dans divers musées du monde et devient populaire, où aujourd'hui fuit cet art ? C'est ce à quoi se propose de répondre ce livre de façons diverses, explorant jardins et visitant le monde.
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   Maître de conférences à l'Université d'Orléans, Marc Décimo est linguiste, sémioticien et historien d'art. Il a publié une vingtaine de livres et de nombreux articles sur la sémiologie du fantastique, l'art brut, les fous littéraires, sur Marcel Duchamp et sur l'histoire et l'épistémologie de la linguistique.
*
(Auditorium Halle Saint Pierre, 2 rue Ronsard, 75018 Paris)  "
*
(Les images proviennent toutes du site de l'éditeur Les Presses du Réel)

12/10/2007

La couleur des mots

    Passant devant l'hôpital Sainte-Anne à Paris, j'avise l'affiche suivante:

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   Plus que quelques jours pour aller voir au Musée Singer-Polignac cette exposition conçue par le Centre d'Etude de l'Expression (et que je n'ai personnellement pas encore vue ; à noter qu'elle fait apparemment écho à une autre expo faite sur le même thème qui voyagea de la Collection d'Art Brut de Lausanne à la Halle Saint-Pierre). Mardi est le seul jour de fermeture, et c'est ouvert de 14 à 19h. Les oeuvres présentées proviennent de la collection de Ste-Anne, et des artistes contemporains sont présentés en parallèle qui, à ce que j'ai entraperçu sur le site du Centre d'Etude et de l'Expression, ne m'emballent pas des masses...

02/10/2007

Pierrot Cassan, un imagier de l'immédiat: MASSIF EXCENTRAL (10)

   Il tenait un dépôt de pain sur la place Pompidou à Mauriac dans le Cantal. C'était une figure du bourg, modeste, discrète, qui ne fit que passer, et n'ayant que peu quitté sa région natale.

   Pourtant il a laissé de nombreuses traces dans la mémoire et les légendes locales. On se souvient de lui de manière tenace. Né en 1913, il est disparu en 1982. Pierre Cassan, dit plus communément Pierrot Cassan, fut charcutier avec ses parents de nombreuses années avant de tenir le dépôt de pain.

  Chétif de constitution, il se fit un point d'honneur à devenir moniteur de gymnastique, initiateur bénévole des gosses de son pays à la natation dans un bassin naturel, et sauveteur d'une quarantaine de personnes sur le point de se noyer. Cela à lui seul lui aurait assuré une place durant quelque temps dans la mémoire locale.

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Photo B.Montpied

  Il eut envie de faire plus. Il se mit sur le tard à peindre la vie de son village. Sur des pauvres cartons qu'il distribuait à l'occasion (car les témoins le répètent, il ne vendait pas). Par exemple à son ami peintre Pierre Mazar (peintre plus académique apparemment), qui les garda pour les sauvegarder. Ou à d'autres amis. Il les exposait sous la vitrine de sa boutique modeste, sans que les passants n'y prêtent beaucoup d'attention.

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Photo publiée sur l'affiche de l'exposition de la médiathèque de Mauriac

  Le temps aidant, les éloges ayant été réitérés par quelques supporters de la région (Pierre Mazar, ou l'écrivain Pierre Chaumeil, un ami de Robert Giraud ce dernier, le blog du "Copain de Doisneau" nous en a déjà parlé à l'occasion...), parfois venus de plus loin (Bernard Buffet...), plusieurs expositions lui ont été régulièrement consacrées, la dernière en date étant celle de la Médiathèque de Mauriac en février 2007. Cette même médiathèque se propose de conserver du reste l'oeuvre afin de la montrer de temps à autre.

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Photo B.M.

   La chasse et ses exploits rarement exempts d'innocentes fanfaronnades, que ce soit après des lièvres, un ours (cantalien?) ou des sangliers, étaient souvent sujets prisés par Pierre Cassan.

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Photo B.M.

   A d'autres moments, ce sont comme des grâces rendues aux compagnons animaux, l'âne, le boeuf, aux nécessaires travaux de tous les jours, à la bonne cuisine (où l'on retrouve le malheureux lièvre qui passe à la casserole "aurillacoise")...

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Photo B.M.

   De même que les saynètes galantes, parfois traitées avec un certain sens du grotesque, comme dans le cas de ces "poutous" échangés entre un certain "Jean-Claude Lassale" et une brune répondant au doux prénom de "Pétuninia"... 

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"Pour l'amour d'une poule, combat de coq à Mauriac"... Le peintre se fait à l'occasion moraliste (Photos B.M.)

   Il n'oublia pas non plus de rendre hommage à celui qu'il appelle, peut-être de manière un peu trop grandiloquente - avec quelque malice bon enfant?- le "maître", Pierre Mazar, plus simplement et avant tout "son ami".

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Photo B.M.

   Ce sont ainsi autant d'instantanés qu'il fixa avec simplicité, ou comme je préfère dire, avec immédiateté, réussissant avec une grâce sans apprêts à traduire directement  son appréhension sensible et truculente des spectacles qui l'environnaient dans son village, approche où il reste cependant difficile de faire la part entre malice et naïveté.

Remerciements à Jean Estaque qui me parla de Cassan aux environs de 1991, ce que je n'avais pas oublié, à Emmanuel Boussuge qui m'en reparla ces derniers temps, à Agnès Barbier qui m'a signalé l'expo de Mauriac, à Régis Gayraud qui nous y a conduits, et à Monique Lafarge de la Médiathèque de Mauriac qui m'a confié gentiment la trop rare documentation qui existe sur ce peintre, que je souhaite ardemment plus connu, spécialement de tous ceux qui s'intéressent aux limites de l'art brut et de l'art naïf. 

16/09/2007

L'indiscipline n'a-t-elle laissé que des vestiges?

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    "Vestiges de l'indiscipline", tel est le titre d'un bel ouvrage qui va bientôt être disponible au Canada (lancement prévu pour le 21 septembre à la Cinémathèque québécoise), et ailleurs pourvu qu'on songe à le commander (voir renseignements au bas de cette note). L'indiscipline, me suis-je dit au vu du titre, n'aurait-elle donc laissé aujourd'hui que des vestiges? Le titre est musicalement beau, mais il peut aussi vouloir dire cela. Cependant, le sens est ailleurs. La photo de couverture le proclame sans ambages, ainsi que le sous-titre. On veut nous parler des environnements de "patenteux" québécois, d'"anarchitectures" parmi les plus singulières qui soient apparues ces dernières décennies au Canada. L'"indiscipline" dont il est question est celle de l'"art indiscipliné" défendu par la Société du même nom. L'auteur du livre est comme de juste Valérie Rousseau, directrice de cette même Société, "doctorante en histoire de l'art et chercheuse associée au Laboratoire d'anthropologie et d'histoire sur l'institution de la culture et du Musée canadien des civilisations"... (ça en jette, n'est-il pas?).

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Extrait du dépliant annonçant le lancement du livre

     Les patenteux, au Québec, depuis le livre et la recherche formidables des trois jeunes femmes Louise de Grosbois, Raymonde Lamothe et Lise Nantel ("Nous avons pris position pour une classe sociale dont les manifestations culturelles sont ignorées ou méprisées", écrivaient-elles) en 1972-1974, ce sont les bricoleurs-inventeurs naïfs ou populaires des bords de route (une patenteuse (mais tentante?), répondant au doux nom de Mathilde Laliberté définissait ainsi le mot: "Un patenteux, c'est quelqu'un qui fait des affaires que d'autres ont pas faites jamais et puis qui a de l'imagination dedans").

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4ème de couverture des Patenteux du Québec (1978)

    Valérie Rousseau a voulu restreindre son étude, divisée en trois parties, à un petit groupe de créateurs, choisis sans doute pour leur grande inventivité, proche de celle de l'art brut, et situables à la croisée des chemins et pour l'un d'entre eux, de l'art moderne: Léonce Durette, Richard Greaves, Roger Ouelette, Charles Lacombe, Emilie Samson et Adrienne Samson-Fortier (ces deux dernières étaient déjà recensées, ainsi que Roger Ouellette dans "Les Patenteux du Québec"), Palmerino Sorgente et l'autodidacte naïf/brut plus connu Arthur Villeneuve, sur lequel en France nous ne disposons d'aucune documentation (malgré une exposition montée il y a déjà longtemps à la Halle Saint-Pierre).

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Un détail de la maison décorée par Arthur Villeneuve, et actuellement conservée dans la Pulperie de Chicoutimi (Photo copyright Pulperie de Chicoutimi)

    Ces trois parties sont rédigées dans un style limpide et vivant, la première d'entre elles se chargeant d'évoquer les créateurs (tous bien choisis du point de vue de l'originalité de leurs oeuvres et sans doute aussi pour les parallèles que peut tracer Valérie Rousseau entre eux). Ces évocations  s'appuient sur des descriptions et des entretiens avec les auteurs, des extraits de leurs écrits (car c'est une des caractéristiques de ces patenteux étudiés par Mlle Rousseau d'être aussi des écrivains spontanés, leur philosophie les poussant d'ailleurs vers une sorte d'art total -bien différent de celui que prônait Richard Wagner...).

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Léonce Durette dans l'arrière-cour de son environnement, ph Richard-Max Tremblay

     La deuxième partie, la plus épaisse quantitativement (80 pages) dans un ouvrage qui en contient 193, est un dossier photographique (le photographe étant pour la majorité des clichés, datés de 2001, Richard-Max Tremblay ), la troisième partie (Espaces mitoyens et analogies) étant réservée à une approche plus analytique de l'ensemble du phénomène des environnements indisciplinés (synonyme: anticonformistes ? Voir cependant le chapitre "Indiscipline et tradition", p.149, où l'auteur précise la définition). L'auteur met à cette occasion en relief un certain nombre de caractéristiques communes repérées par elle chez les créateurs, la tendance au repli autarcique sur soi (le rapport des créateurs d'environnements avec les mollusques secrétant leur coquille a déjà été remarqué, dès André Breton notamment, voir son texte de préface aux Inspirés et leurs demeures de Gilles Ehrmann que Roger Cardinal -voir p.163 des "Vestiges..."- connaît très bien, Mlle Rousseau...), ou un désir d'échapper aux contingences temporelles par exemple (voir la phrase de Charles Lacombe ci-dessous...),6773bfd51cb181d1312553b526191697.jpg désir en même temps contradictoire avec l'aspect éphémère des installations érigées (exemple de Charles Lacombe qui sème des dessins dehors à la merci des intempéries, ou les constructions défiant l'équilibre de Richard Greaves (à l'esprit proche de celui du dadaïste Kurt Schwitters comme le remarque ave justesse Valérie Rousseau), édifiant entre autres une Maison des 3 Petits Cochons en bois, ce qui correspond à la deuxième maison dans la chronologie du conte célèbre, située à équidistance de la plus éphémère, la première, celle en paille et de la troisième, la plus durable, celle en brique).

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Détail de l'environnement de Charles Lacombe, ph Richard-Max Tremblay

    La place nous manque évidemment pour en parler plus en détail. Renvoyons le lecteur avec confiance à l'acquisition de l'ouvrage fort enrichissant.

    Et signalons pour finir une erreur un peu ennuyeuse, pas spécialement imputable à Valérie Rousseau (note 98, p.182) mais plutôt à Jean-Yves Jouannais (si la référence à ce dernier est exacte) dont l'auteur cite un des ouvrages, Artistes sans oeuvre, I would prefer not to (1997). Ce dernier impute, selon Mlle Rousseau donc, la phrase suivante: "J'aimerais assez que ceux d'entre nous dont le nom commence à marquer un peu l'effacent" à Jean Dubuffet. Je ne sais si ce dernier a recopié lui-même cette phrase dans un de ses écrits (ce dont je doute), ce que je sais en revanche c'est qu'elle figure mot pour mot dans le second Manifeste du surréalisme (1930) sous la plume d'André Breton qui cite ainsi son camarade surréaliste belge Paul Nougé. Il se sert de cette phrase pour introduire sa demande d'"occultation profonde, véritable du surréalisme" afin que le public moutonnier des gogos ne puisse plus imposer de confusion au message réel du surréalisme. Déshabiller André pour habiller Jean est symptomatique de l'attitude récupératrice de certains historiens ou critiques d'art qui pratiquent ainsi une étrange manière d'"occulter" le surréalisme, nettement plus répressive, au bénéfice de l'anti-culture dubuffétienne...

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Une oeuvre de Roger Ouelette, ph Richard-Max Tremblay 

Vestiges de l'Indiscipline, Environnements d'art et anarchitectures, (208 pages, 106 photos couleur), 34,95$, édité par la Société du Musée Canadien des Civilisations. Diffusion Prologue Inc., 1650,bvd Lionel-Bertrand, Boisbriand, (Québec), J7E 4H4. Service de commandes postales: Musée canadien des civilisations, 100, rue Laurier, C.P. 3100, succursale B, Gatineau (Québec) J8X 4H2. Site web: cyberboutique.civilsation.ca

13/09/2007

Petit calendrier d'expositions très potables

*    Bernard Pruvost expose à la Galerie Dettinger-Mayer, 4, place Gailleton, Lyon, du 26 octobre au 24 novembre, et Ô coïncidence, montre aussi des oeuvres, un peu plus tôt, au Musée de la Création Franche à Bègles (Gironde ; du 29 septembre au 25 novembre), dans ce dernier cas avec d'autres créateurs (Exposition "Visions et Créations Dissidentes", dont Pascale Vincke, qui est défendue avec raison par le MAD musée à Liège, ou le Batave Herman Bossert, présenté par la Galerie Hamer de Nico Van Der Endt à Amsterdam qui a apparemment des Mouly dans ses réserves -tiens, puisque vous êtes sages, on peut cliquer ici pour en voir un...). Bernard Pruvost, c'est un spécialiste des encres arachnéennes.

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Oeuvre de Bernard Pruvost (Photo Galerie Dettinger-Mayer)
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*   Plus prés dans le temps, commence le 17 septembre une expo consacrée à Yolande Fièvre, artiste au patronyme très évocateur, amie de Jean Paulhan, spécialiste des éléments naturels ovoïdes et glandulaires assemblés dans des coffrets, artiste très influencée au préalable  par le dessin et l'écriture automatiques. Elle a devancé de très loin tous les "singuliers" qui sont venus à partir des années 80. Ce sera l'occasion de le vérifier, à la Halle Saint-Pierre du 17 septembre 2007 au 9 mars 2008. En même temps que cette expo, qui comme d'hab dure un temps un peu trop immense (6 mois...), il y aura une expo pour évoquer la courageuse figure de Varian Fry, cet Américain qui vint sauver des griffes nazies nombre d'intellectuels et d'artistes européens qui se pressaient à Marseille au début des années 40, une des rares issues qui restait encore après la Débâcle. Il a d'ailleurs écrit le récit de son aventure dès 1942. Elle ne fut publiée aux USA qu'en 1945, et traduite en français seulement en 1999 chez Plon (l'édition est épuisée et l'éditeur serait bien inspiré d'en faire des retirages...).

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    C'est bien sûr l'occasion pour les organisateurs de l'expo de montrer des oeuvres de plusieurs surréalistes dont Fry put s'occuper, comme Breton, Max Ernst, Jacques Hérold, Jean Arp (qui resta en Europe), Wifredo Lam, Victor Brauner, André Masson, Jacqueline Lamba ou Matta (alors que Camille Bryen, Alberto Magnelli, Lipchitz, Wols, eux aussi exposés, malgré ce qu'avance avec confusion le laïus de présentation de l'expo sur le site de la Halle, si ce sont bien des artistes parfaitement honorables, ne furent  pas pour autant surréalistes...).

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    Des "dessins collectifs" (sans doute des cadavres exquis et des épreuves originales  du "Jeu de Marseille" que les surréalistes et leurs amis, réunis dans le petite communauté de la Villa Air-Bel confectionnèrent, histoire d'inventer un jeu nouveau porteur derrière ses nouveaux emblèmes de mythes nouveaux) sont également promis.

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("Dessins collectifs" surréalistes, photo récupérée sur le site de la Halle Saint-Pierre)

   "Varian Fry était comme un cheval de course attelé à un chariot rempli de pierres" (Jacques Lipchitz, selon Pierre Sauvage, texte dans le dossier de presse de l'exposition)

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*    Sinon, il me semble que peu d'amateurs auront remarqué qu'une rétrospective des oeuvres de Philippe Dereux (1918-2001) avait été organisée à la Galerie Chave durant cet été. Des dessins, des collages d'épluchures, des peintures et des livres illustrés de 1960 à 2000 sont montrés dans cette prestigieuse galerie jusqu'au 30 octobre 2007, soit une bonne partie de cet automne encore, donc. J'ai une tendresse toute particulière pour l'oeuvre et le personnage de Philippe Dereux qu'il m'est arrivé de rencontrer un soir dans la Presqu'île à Lyon avec son fils... Ce qui me fascine toujours chez Dereux, c'est justement le travail de sa vie, cette épluchure de l'expression, d'abord peut-être recherchée à travers l'écriture, puis ensuite dans les arts plastiques (il a mixé les deux approches dans différents livres, comme Le Petit Traité des Epluchures paru en 1966 chez Julliard). Pour se rapprocher au plus prés de la vérité, du parler juste, sans emphase, sans fioritures, sans tricherie, sans afféterie mensongère. Et qui passait peut-être par le recyclage de ces épluchures dans une combinatoire dédramatisant cette obsessionnelle quête d'épure.

   La galerie Chave annonce pour l'occasion une monographie en préparation qui s'intitulera "La Mémoire des épluchures".

   (Galerie Alphonse Chave, 13, rue Isnard, 06140 Vence, Tél: 04 93 58 03 45.)  

09/09/2007

Chez Prinzhorn, sur Arte

    Ce dimanche aura été illuminé par l'excellent documentaire de Christian Beetz au titre à double sens (au moins dans sa traduction française), un "art insensé", insensé de force et de beauté poétique.

    Bien sûr, on a sous la main le bouquin de Hans Prinzhorn, traduit depuis les années 80, on a le catalogue de "La Beauté insensée" de l'expo du Palais des Beaux-Arts de Charleroi (1995-1996), on a des catalogues en pagaille venus de la clinique d'Heidelberg où se trouve la collection Prinzhorn (par exemple un des plus récents, de 2006, très soigné comme tout ce qui provient de la Sammlung Prinzhorn, "Wahnsinn sammeln, Outsider Art aus der Sammlung Dahmmann-Collecting Madness, Outsider Art from the Dahmmann Collection), mais personnellement, je n'arrivais pas à me faire une idée exacte de la qualité des oeuvres de cette fameuse collection Prinzhorn (jamais montrée en France à ce qu'il me semble?), hormis quelques cas célèbres très souvent reproduits, comme August Natterer (connu d'abord sous le nom de Neter), Karl Brendel (ces deux créateurs ayant influencé Max Ernst dans quelques-unes de ses oeuvres, quelques-unes sur des milliers comme on oublie souvent de le souligner), Joseph Schneller (Sell), ou encore le célèbre Heinrich Anton Müller. "La Beauté insensée" du musée de Charleroi, avec son côté austère, ses fiches signalétiques médicales, la pâleur de ses reproductions, n'aidait pas, il faut dire...

    Le film de Christian Beetz avec ses choix esthétiques parfaits, la qualité des commentaires de ses intervenants (tous collaborateurs ou responsables de la collection Prinzhorn: Thomas Röske, Bettina Brand-Claussen, Ferenc Jadi, Inge Jadi -conservatrice de la collection-,Sabine Mechler, etc), leur générosité et leur compréhension vis-à-vis des créations mises en lumière par une caméra non voyeuse mais rendant à César ce qui appartient à César, ce film tout à coup en deux fois vingt-cinq minutes révélait la haute qualité des oeuvres conservées à Heidelberg, leur haute valeur humaine, la profonde nullité des Nazis qui ont massacré leurs auteurs dans les chambres à gaz après avoir tenté de stigmatiser leurs oeuvres dans une exposition de mise à l'index (l'"Art" soi-disant "dégénéré"), le film révélait tout cela de manière éclatante. Un rayon de soleil passait subitement à travers la télévision et son habituel océan de vulgarités. Montrant subrepticement ce que pourrait faire la télévision si elle se transformait plus souvent en loupe merveilleuse se promenant sur les oeuvres d'art et leurs rapports avec la vie, la souffrance, les joies des hommes, instrument idéal de médiation directe entre les hommes et la poésie.

    Une seule petite critique aurait pu s'adresser à Thomas Röske qui affirme un peu vite à un moment du film que le surréalisme n'aurait sans doute pas pu exister sans les oeuvres de Natterer, ce qui est aller un peu vite en besogne tout de même... 

03/09/2007

Explorer en fauteuil la collection Prinzhorn

     Oyez, oyez, chers lecteurs attentifs du Poignard Subtil, dimanche 9 septembre prochain, il y aura une rediffusion sur Arte du documentaire de Christian Beetz (daté de 2006, et déjà diffusé hier paraît-il, pour sa première partie en tout cas -je tiens l'information de Laurence Maidenbaum de la Halle St-Pierre qui la tenait elle de l'animateur du bulletin Zon'art, Denis Lavaud, qui lui-même... (etc)...), L'art insensé, tel est son titre. C'est une exploration filmique de la célèbre collection du docteur Hans Prinzhorn, aujourd'hui transformée en musée dans une clinique à Heidelberg.f7c74a90f1cca3f3afb8f643986495b5.jpg

    Le documentaire est découpé en deux parties de trente minutes chacune environ. Dimanche, elles passent à deux moments de la journée, je ne sais la raison de ce découpage, a-t-on peur sur Arte d'ennuyer avec un tel sujet? Toujours est-il que la première partie, intitulée "Un génie inouï", c'est pour 13h30, tandis que la deuxième partie, "La texture de la douleur" (qui parle davantage des femmes internées comme Else Blankenhorn par exemple), est diffusée en soirée à 20h15. Tous à vos magnétos...96cbd0dfe591119ffd2272c451eba863.jpg

 

 

 

 

(photos Sammlung Prinzhorn)

30/08/2007

Mystère, énigmes et non-sens à Montreuil

    Du 15 septembre prochain (date du vernissage de 12 à 19h) au 29 juin 2008, la galerie ABCD de Montreuil invite chacune et chacun à faire une "visite-surprise" à leur nouvelle exposition intitulée "Brut alors!". "A la découverte des oeuvres d'art brut, à la recherche de leurs secrets", ajoute-t-on.

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     Avec seulement le carton d'invitation en main, sans plus d'explication, on se sent invité à une sorte de jeu (si on trouve pas, on "donne sa langue au chat"), à déchiffrer des "codes secrets" ou à "découvrir des formes cachées". Les images cachées, justement on aime ça au Poignard Subtil.

    Mais cela ressemble aussi à une enquête policière, car le carton parle de "piste de l'art brut". On cherche à dévoiler un secret. Et un calligramme élégant strié des slogans ci-dessus cités simule une empreinte digitale...

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    Du coup, on se dit aussi qu'on nous invite à enquêter sur la piste d'un secret... ou d'un crime (Car c'est le propre des enquêtes policières)? Or la police, en général, cherche à embastiller des coupables. Quel serait alors le rapport avec cette visite-surprise?

    Il faudra aller à Treuilmont pour en savoir davantage... 

15/08/2007

"Trait d'union, les chemins de l'art brut (6)" au Château de Saint-Alban-sur-Limagnole: MASSIF EXCENTRAL (6)

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     En Margeride, bien perdue dans une région de la Lozère où les loups manquent vraiment dans le paysage tant ils y seraient bien accordés (sans parler de la Bête du Gévaudan), au milieu de ces massifs d'épineux aux verts ténébreux, à la lumière lugubre, une exposition d'art brut, une de plus au Château de St-Alban. Je me souviens d'une autre en effet il y a quelques années, consacrée à une petite partie de la collection ABCD.

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     C'est qu'ici est née la psychothérapie institutionnelle des psychiatres Bonnafé, Tosquelles, Jean Oury, Roger Gentis, etc... Un mouvement psychiatrique qui voulait soigner aussi bien l'hôpital que les malades qu'il recueillait, en associant, entre autres moyens, ces derniers à la vie de l'hôpital, dans une sorte de participation égale des soignants et des soignés dans l'organisation de la vie quotidienne, ou des fêtes, dans la tenue d'un journal appelé "Trait d'union", d'où le titre de l'exposition ci-dessus nommée, organisée avec la participation du Musée d'Art Moderne de Lille-Métropole, qui a prêté pour l'occasion quelques pièces de la donation de l'Aracine.

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Vue d'une partie de la salle consacrée aux "Chemins de l'art brut (6)", un Barbu Müller à gauche sous vitrine, la robe de Bonneval, des broderies de Marguerite Sirvins et des sculptures et dessins de Forestier au fond, ph. B.Montpied, juillet 2007.

     C'est ici aussi qu'est né l'art brut, d'une certaine manière, non pas parce qu'Auguste Forestier y avait déjà commencé à faire de l'art brut avant que Dubuffet n'en ait inventé le terme (1945, comme on sait), mais parce que c'est précisément avec des créateurs tels qu'Auguste Forestier que Dubuffet commença véritablement à initier sa recherche, et à commencer ses explorations qui allaient devenir par la suite plus méthodiques et systématiques, notamment avec ses voyages en Suisse. Je l'ai déjà signalé dans un assez long article (Bruno Montpied, D'où vient l'art brut? Esquisses pour une généalogie de l'art brut, dans Ligeia, dossiers sur l'art, n°53-54-55-56, Paris, 2004).

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      L'art brut, comme on commence à le savoir, n'a pas été inventé par ceux que l'on classe sous ce nom, Auguste Forestier, Wölfli, Müller ne faisaient pas d'art brut. C'est un concept inventé par Dubuffet, non un mouvement. Lorsque François Tosquelles écrit (du moins c'est Mireille Gauzy, dans le catalogue de l'expo, qui lui prête ces mots): "Lorsque je suis arrivé à Saint-Alban en 1940, Forestier avait déjà inventé l'art brut", cette phrase n'a pas de sens et introduit de la confusion. Beaucoup d'auteurs, ensuite rangés dans l'art brut, créèrent bien avant que Dubuffet ne les découvre, comme par exemple Wölfli, ou Forestier. Tosquelles, s'il a dit cette phrase, voulait peut-être assimiler ces créateurs à des artistes en train d'élaborer un mouvement esthétique ou politique, etc. Mais cela ne correspond pas à la vérité de leur démarche. Ces hommes et ces femmes que l'on a rangés dans l'art brut créaient en état d'urgence, sans se préoccuper le moins du monde de confrontation avec le monde de l'art, dont la plupart du temps, ils ne savaient rien.

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Dessin aux crayons de couleur d'Auguste Forestier sur la couverture du catalogue de l'exposition, "Le Loup et Lagneau"

       C'est donc à Saint-Alban qu'opérait Forestier le sculpteur (qui avait été aussi auparavant un dessinateur, deux beaux dessins sont exposés dans l'expo actuelle de St-Alban ; ces dessins, conservés au départ par le Docteur Maxime Dubuisson, furent ensuite recueillis par son petit-fils le docteur Bonnafé qui en a fait don au Musée de Villeneuve-d'Ascq). C'est là que le découvrit en 1943 Paul Eluard qui fuyait alors Paris avec sa femme Nusch, du fait de son engagement politique avec le Parti Communiste et auparavant avec les surréalistes, desquels il venait justement d'être exclu pour son adhésion au parti stalinien (on sait que certains de ses anciens amis furent inquiétés, comme Desnos, resté lui à Paris bien trop visiblement, et qui fut dénoncé et déporté dans un camp en Tchécoslovaquie où il mourut ; Benjamin Péret fut emprisonné et s'évada, Breton fut inquiété à Marseille lors de la visite de Pétain, etc.).

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Autres dessins de Forestier, dont un représentant la guillotine avec un texte parlant d'Anatole Deibler et d'une exécution capitale prévue à Albi (un peu de sadisme chez Forestier?)

Eluard a ramené des oeuvres de Forestier à Paris dès 1944, il en fait parvenir à Picasso, à Queneau (le catalogue reproduit un "homme-oiseau" que possédait ce dernier, et qui avait déjà été reproduit dans le livre de Dominique Charnay, Queneau, dessins, gouaches et aquarelles, p.69, Buchet-Chastel, Paris, 2003). Dubuffet qui fait la connaissance d'Eluard en 44 en voit chez lui, à Paris donc tout d'abord. Il existe une correspondance avec Queneau (de mai 45) qui prouve qu'il s'intéresse de près à Forestier dont il ne verra les oeuvres à St-Alban que plus tard, après son premier voyage d'exploration en Suisse (en juillet 45 ; il ira ensuite, au début de septembre, à Rodez chez Ferdière et Artaud, interné à Rodez, puis par la même occasion à St-Alban). On ne sait pas précisément le détail de ces prises de contact de Dubuffet avec l'oeuvre de Forestier, et aussi surtout avec ceux qui la collectionnaient. Et il faut dire que cette exposition rate un peu l'occasion d'apporter justement des éclaircissements sur la question... Il faut fouiller le catalogue (p.120) pour trouver simplement une petite phrase énigmatique de Christophe Boulanger qui nous apprend tout à coup que "Dubuffet [fut] mal reçu à Saint-Alban"... Tiens donc, et pourquoi? Aucune explication supplémentaire ne nous est proposée... Cependant, il est loisible au lecteur d'imaginer que les hommes en présence ne sympathisèrent pas (à l'époque, ni Jean Oury, ni le Dr. Roger Gentis, qui eurent des relations avec Dubuffet par la suite, n'étaient à St-Alban), et que ce fut pour cette raison que Dubuffet attendit assez longtemps pour parler de Forestier dans les fascicules de la compagnie de l'Art Brut, et qu'il ne publia un texte sur lui (avec l'aide d'informations venues de Jean Oury, médiateur plus idoine, et arrivé plus tard à St-Alban, soit en 1947) , qu'en 1966 dans le fascicule n°8 de l'Art Brut. Jean Oury a par ailleurs révélé que c'était lui qui avait donné toutes les sculptures qu'il possédait de Forestier à la Collection de l'Art Brut (en 1948-1949 ; il dit cela page 190 de Création et schizophrénie, éd. Galilée, Paris, 1989).

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Une sculpture en bas-relief de Forestier exposée à Saint-Alban, ph B.M., juillet 2007 (il me semble que cette oeuvre fait partie de celles qui sont reproduites dans le fascicule n°8 de la Compagnie de l'Art Brut)

       Sur Forestier, on lira dans le catalogue l'intéressant texte de Savine Faupin,  Le voyageur immobile, où entre autres remarques, elle met en parallèle les fugues de Forestier (interné une première fois de 1906 à 1912, puis une seconde de 1914 à sa mort en 1958 à 71 ans) qui aurait pu croiser sur les routes du Massif Central, nous dit-elle, cet autre infatigable marcheur appelé Albert Dadas, dont la vie et les étranges errances ont été récemment remises en lumière dans l'intéressant ouvrage de Ian Hacking, Les Fous Voyageurs, aux éditions Les empécheurs de penser en rond (en 2002).  J'ai également remarqué ce cas de mystérieux somnambulisme, assez proche du déplacement en état de rêve éveillé, que j'ai plutôt de mon côté associé aux expériences de dérives surréalistes et situationnistes des années 20 et 50 (cf. L'art Brut, l'utopie situationniste, un parallèle, deuxième version remaniée et en cours de rédaction, faisant suite à la publication en 2000/2001 d'une première version parue en américain dans une revue universitaire du Mississippi). 

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Auguste Forestier, un bateau (appelé "Euréka"?)

     Il y eut donc comme un différé dans l'histoire de la découverte de Forestier par Dubuffet. Certaines oeuvres présentées à St-Alban m'ont paru moins connues comme ce bateau "Euréka", que j'insère ci-dessus et qui me semble différent de celui que tient le Dr. Tosquelles sur la carte postale d'invitation à l'exposition (reproduit plus haut en vignette). Ce dernier ressemble davantage à celui que j'ai photographié dans la collection du Dr Ferdière en 1990, après le décés de ce dernier (voir ma note sur Les Nefs des fous), il possède simplement un peu plus d'éléments et de superstructures sur le pont (le catalogue en montre un, appelé "Myra" qui est crédité comme ayant appartenu à Ferdière). Il est difficile de s'y retrouver... Un catalogue exhaustif des travaux connus de Forestier se révélerait utile.

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Autre vue de la salle d'exposition, ph.B.M., juillet 2007

       L'expo de St-Alban n'est pas très grande. elle mêle de façon assez arbitraire des oeuvres de créateurs ayant vécu dans l'hôpital et qui sont classés dans l'art brut (Aimable Jayet, Benjamin Arneval, Marguerite Sirvins, ou Forestier) à celles d'autres auteurs d'art brut dont le lien avec St-Alban n'existe pas, hormis le fait qu'ils ont vécu dans d'autres asiles (Carlo, André Robillard, l'anonyme de Bonneval). C'est une simple expo d'art brut, voilà tout. Des photos sur l'abbé Fouré voisinent aussi ici avec un barbu Müller, sans trop de liens là non plus avec Saint-Alban. C'est l'occasion pour Alain Bouillet de se fendre dans le catalogue d'un long article sur Fouré où il s'insurge de ce que le propriétaire actuel des Rochers n'ait jamais songé à entourer les sculptures de l'abbé d'une information plus sérieuse à leur sujet.

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Détail d'un dessin d'Aimable Jayet exposéà Saint-Alban, ph.B.M., juillet 2007

      De son côté, Madeleine Lommel s'insurge contre l'hypothèse défendue par certains journalistes que l'art brut serait un art "culturel", ce dont elle s'afflige, mais quelques lignes plus bas de son même texte (paru en ouverture du catalogue), elle souligne aussi que les oeuvres d'art brut sont "autant d'invites à ne pas oublier son passé: art populaire, artisanat, travail de la main..." Ce qui est bien dire, me semble-t-il, que l'art brut participe d'un art dont les soubassements culturels sont à rechercher du côté des anciens savoirs artisanaux ou artistiques populaires, non?

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(A gauche, imagerie populaire datant du XVIIIe siècle sur le thème de la Bête du Gévaudan, et à droite, la même Bête sans doute, sculptée par Auguste Forestier, oeuvre -ayant appartenu primitivement à Paul Eluard- prise dans le jardin du Dr.Ferdière en 1990, juste après sa disparition ; à souligner qu'elle a été acquise par l'Aracine en 1995 ; ph.B.M.)
        Il faut aussi souligner pour finir que le film sur André Robillard, excellent mais très court, que Claude et Clovis Prévost viennent de réaliser, est projeté en annexe de l'exposition. Cette dernière se termine le 1er septembre prochain.

05/08/2007

L'écrit brut tel un palimpseste

    Dans la catégorie des écrits bruts, on insiste le plus souvent sur le contenu des textes, à juste titre, puisqu'il est peu pris en compte, parce qu'on a tôt fait en lisant ces écrits de les croire incohérents, hermétiques (ce qu'ils sont tout de même parfois). C'est une lecture rebutante, qui nécessite un patient travail de déchiffrage. Personnellement, je suis souvent paresseux dans ce genre d'exercice. J'aime ce qui coule de source...

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     Peut-être est-ce pour cette raison que je préfère alors me tourner du côté de la dimension physique de ces écrits. Leur matérialité. Nous avons, depuis quelque temps, à Paris, devant l'hôpital Ste-Anne (grâces soient rendues à Animula Vagula de l'avoir signalé sur son propre blog), divisé en trois parties (alors qu'à l'origine, il était sculpté en deux sections) , le plancher d'un certain Jeannot, paysan béarnais (des marches pyrénéennes) qui grava le sol de sa chambre, come s'il incisait la matière même de sa douleur, pour clamer comme une sorte de dernier cri testamentaire. Il le commença du moment où sa mère mourut (il l'avait enterrée sous l'escalier de la maison familiale, maison dont il ne sortait pratiquement jamais, s'y étant reclus avec sa soeur, aussi délirante que lui), et paraît l'avoir continué jusqu'à l'instant où il se laissa périr d'inanition (en 1972, il avait alors 33 ans). Comme s'il avait jeté ses dernières forces dans une ultime bataille, ne désirant plus les reconstituer par la nourriture.

   Ce plancher ne fut découvert que fort tardivement, vingt ans environ après la mort de Jeannot, sa soeur, restée seule dans la propriété qui se délitait progressivement, étant à son tour décédée vers 1993.

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     Le docteur Guy Roux a recueilli plusieurs informations sur la vie de cet homme qui faisait peur aux gendarmes, aux autorités préfectorales et à ses voisins (il patrouillait le fusil à la main sur un tracteur en tournant autour de sa maison, il fit une fois une incursion agressive chez ses voisins, terrorisant les gens). Il les a rassemblées dans l'ouvrage intitulé Histoire du plancher de Jeannot, sous-titré Drame de la terre ou puzzle de la tragédie, éd. Encre et Lumière, Cannes et Clairan, 2005 (préface d'Alain Bouillet).

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    L'auteur conclut en effet à un "drame de la terre", suggérant que Jeannot avait été enchaîné dans la poursuite de l'exploitation familiale jadis prospère, que son père, présenté comme un bourreau de travail (le mot "bourreau" fait réfléchir...), avait développée jusqu'à ce qu'il se suicide d'une façon brutale et inexpliquée en se pendant dans une grange (ce mode de suicide me fait penser à celui qu'a choisi un autre auteur d'art brut, Jean Grard, à Baguer-Pican, près de Dol-de-Bretagne).

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    L'histoire de cette famille recluse, coupée du reste du monde, je l'associe un peu au scénario de ce film magnifique du Suisse Fredi M.Murer, L'Ame-Soeur (1985), où l'on voit une famille de quatre personnes, appartenant à un clan apelé "les Irascibles" vivant en autarcie sur un versant de montagne, se décomposant peu à peu après les amours incestueuses du frère simple d'esprit, sourd-muet (le "Bouèbe") et de sa soeur, vivant de rêves, coupés qu'ils sont du monde par la vie que leur font mener leurs parents qui pourtant puniront leurs amours (l'auteur a dit de son film, écho étrange aux propos du Dr.Roux: "Je voulais raconter l'histoire de l'AME-SOEUR d'une manière linéaire, comme les tragédies grecques où l'on savait à l'avance ce qui allait se passer").

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     Le plancher se retrouve donc à présent exposé aux yeux de tous, en bord de rue, devant des bâtiments de l'Hôpital Ste-Anne, divisé en trois, sans explication sur cette division et sur l'ordre de lecture (on suppose qu'il faut le lire de gauche à droite), dans un emboîtage vitré dressé à la verticale (légèrement penché vers la rue) qui empêche notablement la lecture de ce qui est sauvagement gravé à la gouge et au poinçon (les lettres étant formées de trous circulaires et de barres incisés dans le bois, les trous ayant sans doute servi à éviter que la gouge ne dérape et ne rende illisibles les lettres).

    En effet, les vitres miroitent, superposant aux lettrages le reflet de la rue Cabanis (14e ardt) où se trouvent les panneaux (au n°7). Découvrant pour la première fois ce plancher gravé d'inscriptions, je me fis la réflexion que les concepteurs de cette présentation avaient inconsciemment voulu, sous prétexte de protéger les panneaux de tout vandalisme, vitrifier ce cri inscrit au coeur du chêne. Je crus impossible de faire une photo valable des panneaux, jusqu'à ce que je m'avise à la longue que grâce à un logiciel de traitement d'images, de retour à mon domicile, les lettres pouvaient resurgir à travers les reflets de la rue, tels des palimpsestes, ces manuscrits qu'on réécrivait par-dessus d'anciens textes grattés et lavés. Palimpsestes que sont peu ou prou toutes ces entreprises de cris, de proclamations de persécutions réelles ou imaginaires, qui s'opèrent sur la chair même du monde, au coeur de la trame immédiate de la vie, chez ceux qui se sont brûlés les ailes et l'âme à trop se frotter à cette vie justement.

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    Le hasard faisait un malin geste, comme un clin d'oeil qui semblait dire que, malgré la présentation calamiteuse (les psychiatres et les laboratoires pharmaceutiques ne font décidément pas de bons esthètes) de ce plancher, son cri continuait de parvenir aux spectateurs malgré tout, mais d'une façon peu immédiate, occulte (merci le logiciel, savante prouesse technologique mise pour le coup au service de la force d'expression brute...).

    Pourquoi ne pas l'avoir exposé au musée tout proche, au Centre d'Etude de l'Expression (http://www.centre-etude-expression.fr/pages/bluerings_ind...), qui se trouve dans  l'enceinte de Ste-Anne, où, si l'on avait décidé d'en faire un musée des expressions brutes (ils possèdent des collections fabuleuses, surtout les plus anciennes, provenant de créateurs ayant oeuvré durant leurs hospitalisations), on pourrait ainsi découvrir dans des conditions idéales (le plancher exposé sans ces atroces vitrages) les fameuses inscriptions de Jeannot. Il est vrai que pour le moment les collections du Centre d'Etude de l'Expression ne sont pas ouvertes au public de façon permanente (cela fonctionne plutôt sur rendez-vous pour des chercheurs et des professionnels). Un "Musée Singer-Polignac" est bien ouvert à côté, mais on n'y montre que des expositions temporaires, utilisant parfois quelques oeuvres provenant du fonds du Centre d'Etudes. A quand une politique plus ambitieuse de ce côté-là? Voilà qui serait un geste plus radical en faveur de la créativité des patients artistes, de la reconnaissance de leur personne. 34cd6b5ea073fa94223675e415d9b72c.jpg

(Photos B.Montpied)

      A noter aussi que le docteur Roux n'a pas du tout insisté sur les quelques mots soulignés en blanc par l'auteur du plancher qui comme par hasard résument l'essentiel du message de Jeannot: "C'est la religion les crimes" et "nous sommes innocents"... Messages qui contiennent quelque parcelle de vérité et ne relèvent pas nécessairement du délire total...

10/06/2007

Pascal-Désir Maisonneuve

  

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   Voici le masque de coquillages auquel fait allusion Régis Gayraud dans un commentaire récent, commentaire paru avant que le blog parallèle Animula Vagula ait eu la sagacité d'aller dénicher l'image sur le site du Musée des Beaux-Arts de Bordeaux (Animula donne quelques éléments d'informations supplémentaires très intéressants sur la provenance de ce masque). Simple "masque" mais pourtant stupéfiant, n'est-il pas?

   Pascal-Désir Maisonneuve, qui avait une formation de mosaïste, créait ces masques d'assemblage de coquillages dans le droit fil d'une tradition arcimboldesque, ce qui contredit les présupposés de la notion d'art brut qui stipulent que les créateurs d'art brut sont sans référence à une culture artistique.

Un créateur intriguant...

   Voici une image récupérée sur le site d'Art Brut Connaissance et Diffusion qui nous le pardonnera, car nous voudrions ainsi les presser de nous en dire plus sur celui qui est à l'origine de cette oeuvre. On trouvera la reproduction, sur le site d'ABCD à la rubrique "Acquisitions récentes". Lorsque je suis passé sur le site, la notice biographique était signalée en attente. Seul le nom du créateur est donné: Charles Benefiel.

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   L'Association ABCD a le grand mérite à nos yeux de constamment chercher à montrer du nouveau du côté de l'art brut. Rappelons qu'ils ont un espace d'exposition à Montreuil (le site sus-mentionné donne également  toute l'information utile à ce sujet) où se poursuit actuellement (jusqu'au 8 juillet) l'exposition sur le Creative Growth Center d'Oakland aux USA intitulée "Montreuil California". On peut y voir les oeuvres de Dwight Mackintosh, Donald Mitchell, Judith Scott, Daniel Miller et Aurie Ramirez (des cinq, celle qui m'attire le plus).

08/06/2007

Là où il y a Eugène, il y a du plaisir

   L'Abbaye de Beaulieu-en-Rouergue ? A cinquante kilomètres environ de Montauban. Il s'y montre de fort belles oeuvres depuis des années (depuis 1970 en fait). Il y a eu là-bas des événements artistiques majeurs, je cite au hasard, les tapisseries et autres travaux textiles de Karskaya, une rétrospective Michaux en 1985 l'année de sa mort, une rétrospective de la "tachiste" Marcelle Loubchansky, bien oubliée généralement des commissaires d'exposition et autres conservateurs), une exposition sur le "Fantastique intérieur" qui interrogeait les résurgences et la permanence du surréalisme d'après-guerre (là aussi, l'initiative était courageuse face à ceux qui ont sempiternellement voulu enterrer le surréalisme).

    Entre autres monstrations cet été (je continue de faire l'anti-tournée des festivals de l'été), on retrouvera cette fois à Beaulieu Eugène Gabritschevsky (cliquez donc sur ce lien où vous trouverez toutes les explications pratiques).

   "Retrouvera", car il fut déjà exposé en 1980 à Beaulieu. L'exposition est réalisée en collaboration avec la Galerie Chave de Vence, galerie qui exposa dès 1961 cet étonnant visionnaire (et qui depuis l'a exposé régulièrement, voir aussi le magnifique livre qu'elle lui a consacré en 1998 avec des textes d'Annie Le Brun, Georges Limbour, Georges Gabritschevsky, Florence Chave, et dont nous avons extrait nos illustrations).

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   Gabritschevsky (né à Moscou en 1893) créa quelques milliers de gouaches entre 1935 et 1979, date de sa mort (à 86 ans donc). Il passa cinquante ans dans l'hôpital psychiatrique de Haar en Allemagne (c'est près de Munich). Il n'intéressa pas tout de suite Jean Dubuffet, comme l'a rappelé Annie Le Brun en s'appuyant sur les recherches de Luc Debraine, lui-même s'étant basé sur les archives conservées sur Gabritschevsky à la collection de l'Art Brut de Lausanne. Dubuffet, dans une lettre de janvier 1948, suite à une sollicitation du frère d'Eugène, Georges, avait d'abord rejeté les premiers échantillons qui lui avaient été montrés, "comme participant trop de l'art classique européen". C'est seulement après 1959, après qu'il a connu la galerie ouverte par Alphonse Chave à Vence, que Dubuffet se reprit de curiosité pour l'oeuvre de ce génie étonnant.675bad80082140fdc2df6b4f8805fde0.jpg

   Selon Annie Le Brun, on doit cependant la découverte de l'oeuvre dans toute son amplitude davantage à Alphonse Chave. Daniel Cordier peu de temps après acquerra plusieurs oeuvres, qui finiront par aterrir au Musée National d'Art Moderne de Paris à la fin des années 80 (exposition de la fameuse donation Cordier ; une salle entière, séparée de façon quasi étanche de tout le reste, était consacrée à Gabritschevsky et ce fut une révélation).d4444c57f2c712fb0c9eaf1a9f048098.jpg

   Le cas psychologique de Gabritschevsky paraît rare. Sa situation qui aurait dû évoluer vers l'obscurcissement progressif n'alla justement  pas dans ce sens au rebours de ce qu'attendaient les psychiatres. Comme si pour cet homme, le fait de s'affronter avec l'ombre qui aurait dû prendre sans cesse plus d'emprise sur son psychisme lui avait permis par le truchement de la création visionnaire de retourner la ténèbre en lumière créative.900608de2ad9bf968a001a1a477d7a42.jpg Ce créateur avait été au départ un biologiste brillant, spécialisé dans la génétique. On ne peut s'empêcher de voir dans l'éventail de ses gouaches toutes plus inventives les unes que les autres, dans cette véritable parade de l'expérimental (comme un Max Ernst brut), une tentative de simulation du délire biologique tout à coup inscrit dans la chair de l'homme, réussissant à se formuler de façon maîtrisée à travers une technique picturale autodidacte mais raffinée en même temps... Comme si le biologiste à la faveur de cet ambivalent état que l'on appelle folie avait délaissé d'un coup et brutalement l'attitude de l'analyste pour celle du créateur, n'examinant plus seulement les cellules inconnues sous son microscope mais les générant désormais, tout au contraire.

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Au fait, pour ceux qui pourraient y aller avec le court délai que je vous laisse, le vernissage, c'est pour demain 9 juin à l'Abbaye de Beaulieu. 15h30... L'expo durera ensuite jusqu'au 30 septembre 2007.

05/06/2007

Im Lagerhaus, l'autre musée d'art brut en Suisse

  A feuilleter l'innombrable documentation sur l'art brut, on tombe parfois sur la mention du "Museum Im Lagerhaus" à Saint-Gall (St-Gallen en Suisse alémanique), spécialisé, ultra-spécialisé même, dans l'art brut et naïf suisse, uniquement suisse. Et pour corser le tout, ses deux animateurs principaux, Simone Schaufelberger-Breguet et Pierre Schaufelberger, lorsqu'on leur demande de préciser, ajoutent: oui, suisse et même de Suisse orientale...

  Nulle trace de chauvinisme derrière une telle spécialisation, comme je l'avais redouté en allant me promener à St-Gall récemment. Simplement, un désir de mieux faire  connaître une région méconnue à la fois sur le plan artistique et sur le plan géographique.

  Un autre des amis du musée, Peter Killer (j'adorerais m'appeler ainsi...), dans Le Säntis, montagne magiqueLe Massif du Säntis, ph.B.Montpied, 2007.jpg (publié dans le catalogue "Oh la vache", Art naïf suisse né autour de la montagne magique du Säntis, expo à la Halle Saint-Pierre en 1997 qui était entièrement pilotée par les animateurs du musée Im Lagerhaus) souligne qu'en Suisse l'art populaire singulier se rencontre avant tout dans deux zones "bien délimitées",  dans la zone ouest et dans la zone est. Rien au nord et au sud, donc...

  Ca tombe bien, il y avait déjà un musée d'art brut à l'ouest, celui de Lausanne pour ceux qui l'auraient oublié, il en fallait donc un à l'est et c'est à Saint-Gall qu'il est né voici déjà 19 ans... Non loin du massif de l'Alpstein que domine la montagne effectivement magique du Säntis (notre photo ci-dessus). Cependant, petite, ou grosse, différence avec Lausanne, on n'y montre pas seulement de l'"art brut". Les animateurs d'Im Lagerhaus (au fait, ça veut dire quelque chose comme "l'Entrepôt") se passionnent tout autant pour l'art brut (ils ont défendu Hans Krüzi ou Aloïs Wey par exemple) que pour les peintres paysans naïfs, voire naïfs-bruts, de l'Appenzell-Toggenburg (car c'est incroyable le nombre de générations de créateurs qui se sont succédées autour de cette fameuse montagne; on ne peut guère comparer ce genre de phénomène qu'à des pays comme Haïti où des dizaines de créateurs autodidactes se sont manifestés au fil du siècle; pourtant Haïti et la Suisse, le vaudou ou la vache, la pauvreté et la richesse, qu'est-ce qui les unit? Un seul trait commun peut-être, une certaine idée de la sauvagerie, les cérémonies vaudou et le rite des Sylvester Klaüse, les Hommes sauvages d'Urnasch, au pied du Säntis encore et toujours...). Ils aiment aussi ce qu'ils appellent, à la manière anglo-saxonne, les "Outsiders" (Ignacio Carles-Tolra par exemple). Ils laissent leur compas d'appréciation (un autre outil aussi utile qu'un poignard subtil) grand ouvert.

  Lors de ma visite ultra courte (deux heures de temps), avec la chance de tomber sur les deux animateurs du musée qui préparaient leur nouvelle exposition (sur des créateurs d'instruments de musique faits à partir de matériaux de récupération, Max Goldinger, Gottfried Röthlisberger et autres), je suis allé de découverte en découverte. Avez-vous entendu parler de Pya Hug?

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(Dans le musée de cire de Pya Hug, d'après photo Mario Del Curto)

       Connaissez-vous Ulrich Bleiker? Aloïs K.Hüllrigl? Et John Elsas (formidable, John Elsas)? Et Maria Török? Tous ces créateurs, je ne sais où je dois les ranger, je n'ai vu d'eux que leurs oeuvres accrochées dans la collection permanente, ou bien seulement en illustrations dans des livres (il y a une petite librairie extrêmement bien fournie) sans rien comprendre du contexte sociologique de leur création. Mais ce que j'ai vu m'a exceptionnellement intrigué, me donnant l'envie d'en apprendre plus. e91a335e07ad6fbbe4c53663f7fb7cea.jpgLa langue allemande est l'obstacle à l'amplification de la découverte, mais grâce aux deux animateurs de l'endroit, Pierre et Simone Schaufelberger, qui ont eu le courage et la générosité d'apprendre à parler un excellent français, on doit espérer que les ponts resteront jetés entre l'est et l'ouest. Je n'ai pas encore dit à quel point ces deux personnes m'ont laissé une grande impression de culture, de savoir-faire, de passion désintéressée pour ceux qu'ils rassemblent et tentent magnifiquement de faire connaître... Eh bien, c'est chose faite.

   A l'avenir, j'espère pouvoir revenir plus au large sur les créateurs ci-dessus mentionnés.

 

 

   Les photos de cette note sont dues à B.Montpied sauf celle de Pya Hug qui a été extraite par nos soins de la monographie Das  wunderbare Universum von Pya Hug écrite par Simone Schaufelberger (sans date), disponible au musée "Im Lagerhaus" (pour les contacts, cliquer sur le lien surligné en bleu au début de la note).