26/03/2010
Exposition des Prévost, les Bâtisseurs de l'Imaginaire à Melun
Les frères Prévost, Claude et Clovis... Quoi, le sciapode, que dites-vous là? Ce ne sont pas des frères, enfin, que ces Claude Lenfant (nom prédestinant?)-Prévost et Clovis Prévost, mari et femme, chercheurs associés depuis quelques décennies pour nous parler de, ou pour laisser parler plutôt, les dix même créateurs singuliers aux pas desquels ils se sont attachés depuis les années 70, les années des cultures alternatives (outsider en somme) dont ils sont imprégnés passablement (surtout Claude?). Ils les ont exposés depuis cette époque dans de nombreux lieux, notamment à la mythique exposition des Singuliers de l'Art en 1978 au musée d'art moderne de la ville de Paris.
Les dix: soit le facteur Cheval, l'abbé Fouré (qu'ils s'entêtent à orthographier Fouéré, respectant plus l'état-civil que le choix propre de l'abbé qui signait Fouré sur ses autographes), Picassiette (lotissement décoré d'une immense mosaïque de bouts d'assiettes à Chartres), Camille Vidal (statues en ciment à Agde), Marcel Landreau ("le caillouteux" de Mantes-la-Jolie), Irial Vets (l'homme qui se bricola une Chapelle Sixtine dans une chapelle qu'il avait rachetée pour son usage privé, à Broglie dans l'Eure), Robert Garcet et sa Tour de l'Apocalypse (Eben-Ezer en Belgique), Fernand Chatelain (avant ripolinage maquillé en restauration), le mirobolant Monsieur G. (Nesles-la-Gilberde, Seine-et-Marne). A ces neuf créateurs s'ajoute Chomo, présenté judicieusement par les Prévost, qui connaissent leurs gammes, comme un "artiste plasticien", ce qui le distingue des neuf précédents, moins "artistes", même s'ils sont tout autant des créateurs (et même infiniment plus originaux à mon humble avis que le Chomo). Ils vont présenter à Melun, à l'Espace Saint-Jean, à partir du 10 avril, une exposition multi-média (photographies et films) intitulée "Les Bâtisseurs de l'Imaginaire et hommage à Chomo", dont le tire entérine la différence qu'ils établissent entre les deux groupes (oui, on va dire que Chomo est un groupe à lui tout seul, même s'il vaudrait mieux parler d'un groupe de groupies...). L'expo se terminera le 10 juillet.
Le propos des deux chercheurs est de laisser parler les créateurs sans chercher à raconter leur histoire. Il n'y a en apparence aucune intervention des cinéastes durant le film, un effet de réel étant poursuivi tout du long, les créateurs parlant ou se taisant et apparemment laissés à eux-mêmes, comme on se figure qu'ils sont la plupart du temps en l'absence de tout spectateur, dans l'intimité de leur vie quotidienne de créateur oeuvrant avant tout pour soi-même.
Voici en supplément quelques éléments biographiques et conceptuels prélevés dans le petit catalogue de la rétrospective qui fut consacré à Clovis Prévost par le musée national d'art moderne en 1993 au Centre Georges Pompidou:
"Clovis Prévost est né le 5 novembre 1940 à Paris. Après des études d'architecture à l'Ecole des Beaux-Arts de Paris et de sémiologie des médias à l'Université de Paris VII, il dirigera à partir de 1969 le département Cinéma créé par Aimé Maeght. (...) Montrer "comment l'imaginaire se symbolise à travers certaines figures formelles, spatiales, comportementales" est le sens du regard porté par Claude et Clovis Prévost tout le long de leur recherche cinématographique sur l'art."
Espace Saint-Jean, 26, place St-Jean, 77 Melun. Vernissage le samedi 10 avril à 18h. Cinq films au programme, Monsieur G. et le sanctuaire des lasers, Chomo: le fou est au bout de la flèche, Chomo le débarquement spirituel, La légende du silex: Robert Garcet, Le facteur Cheval: où le songe devient réalité. En outre, le samedi 29 mai, à 15h, Claude et Clovis Prévost assureront une visite guidée de l'exposition.
10:36 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art singulier, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : claude et clovis prévost, environnements spontanés, bâtisseurs de l'imaginaire, abbé fouré, picassiette, robert garcet, marcel landreau, camille vidal, fernand chatelain | Imprimer
22/03/2010
Le plein pays de Jean-Marie M., nouvelle projection parisienne
10:30 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Cinéma et arts (notamment populaires), Environnements populaires spontanés, Fous littéraires ou écrits bruts | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : antoine boutet, cinéma et art brut, jean-marie m., musique brute, environnements spontanés, archéologie sauvage, marminiac | Imprimer
21/03/2010
Etoiles noires de Robert Giraud
Robert Giraud, on commence à le connaître davantage, grâce au blog d'Olivier Bailly, Le copain de Doisneau, qui a ranimé sa mémoire sur internet avant de publier une courte biographie sur lui chez Stock, intitulée Monsieur Bob. Plusieurs livres de lui sont aujourd'hui disponibles, notamment chez l'éditeur Le Dilettante. Son livre le plus connu, Le vin des rues a été réédité chez Stock, en même temps que sortait la biographie d'Olivier Bailly.
C'était un connaisseur et un écrivain du Paris populaire des années 50 aux années 90 (il est disparu en 1997) que l'histoire littéraire a tendance à passablement occulter. Lisons ces lignes d'Olivier Bailly qui cerne en quelques mots les centres d'intérêt du personnage: "Il ne traitera que de sujets en marge: clochards, tatoués, gitans, petits métiers de la rue, prostitution, bistrots, sans oublier la cohorte des excentriques de tout poil. Son premier coup d'éclat, il le réalise avec Doisneau, dans Paris-Presse, avec la publication d'un reportage au long cours, "Les étoiles noires de Paris", onze articles consacrés à des personnages insolites qui peuplent le Paris de cette époque et que Bob croise pour certains dans ses périples journaliers et là où il boit son vin quotidien." (Monsieur Bob, p.84). Le vin était une autre de ses passions, sang de la vigne qui irriguait le corps de ses passions pour la vie immédiate. Olivier Bailly note qu'il fréquentait les bistrots qui avaient une certaine exigence en matière de crus, ceux tenus par des bistrotiers qui allaient sur place dans les régions chercher leurs récoltants, en évitant les "bersycottiers", c'est-à-dire les négociants de Bercy qui s'étaient enrichis pendant la guerre grâce au marché noir avec des mauvais vins (surnommés "côteaux de Bercy", synonymes de piquettes). Giraud, qui fut aussi un temps secrétaire de Michel Tapié au début de l'histoire de la collection de l'art brut, en 1948, alors que Dubuffet était parti voyager en Algérie, et qui garda mauvais souvenir de ce dernier qui le traitait en factotum (bien longtemps après, il parlait de lui en disant que Dubuffet n'était qu'un cave...), Giraud eut-il le temps de lire la "biographie au pas de course" (publiée dans Prospectus et tous écrits suivants, tome IV, 1995) où Dubuffet se vante lorsqu'il était marchand de vins justement à Bercy d'avoir renfloué son entreprise grâce au marché noir (il précise avoir alors vendu des "vins d'une qualité un peu supérieure" au vin de consommation courante, ce qui lui procura des bénéfices qui lui permirent d'éponger les dettes de son commerce d'avant-guerre, car il n'y avait sans doute plus de taxes sur ce négoce réalisé sans factures, sur parole)...? Nul doute que cela lui aurait confirmé ses impressions de la fin des années 40.
Giraud vécut de divers petits métiers (il vola même un temps des chats, il fut avec sa femme Paulette bouquiniste à la hauteur de la Samaritaine). Ses sujets de prédilection étaient les clochards, les tatoués, les bistrots, et l'argot sur lequel il publia de nombreux livres. Il s'intéressa aussi aux créateurs insolites, plusieurs de ses articles publiés dans différentes revues et journaux (outre Paris-Presse, il y eut aussi Franc-Tireur et la revue Bizarre) s'y rapportent: par exemple Frédéric Séron dans Les étoiles noires de Paris (1950 ; avec Robert Doisneau, son complice photographe qui fit de nombreux reportages avec lui, il paraît l'un des tout premiers à avoir rendu visite à Séron, avant Gilles Ehrmann en particulier), Picassiette (dans Bizarre n°V en juillet 1956), ou encore Gaston Chaissac dans Franc-Tireur en août 1956 (Chaissac de qui il reçut une correspondance dont certains éléments ont été publiés par Dubuffet et Paulhan dans Hippobosque au bocage en 1951). Charles Soubeyran (auteur des Révoltés du Merveilleux, livre consacré à Doisneau et Ehrmann où l'on voit plusieurs des créateurs évoqués dans les "étoiles noires de Paris" comme Jean Savary, Maurice Duval, Frédéric Séron, Pierre Dessau) a un jour signalé que certain "dandy de muraille" peint par Chaissac renvoyait au frère de Robert Giraud, Pierre Giraud qui était un dessinateur et un peintre spontané, associé un temps à l'aventure de la débutante collection de l'art brut.
Les chroniques de Robert Giraud sur les figures de la rue parisienne, vivant sous d'autres coordonnées mentales que le commun des mortels, au fond, on pourrait les voir comme issues d'une tradition de chroniqueurs du Paris populaire excentrique, qui rassemblent par exemple ces auteurs du XIXe siècle connus sous le nom de Lorédan Larchey (Gens singuliers), Champfleury (Les Excentriques), Charles Yriarte, Charles Monselet, etc, tous auteurs que l'on retrouve aujourd'hui au catalogue des précieuses éditions Plein Chant.
En attendant que quelque éditeur veuille enfin réunir les différentes contributions de Robert Giraud à la cause de l'art brut, on se contentera d'initiatives isolées comme cette réédition à Noël 2009 des onze articles parus dans Paris-Presse, "Les étoiles noires de Paris", sous l'aspect d'un livre-objet conçu par Bernard Dattas qui s'est amusé pour le compte des "Editions des Halles" à publier cet ensemble sous la forme d'un livre massicoté en étoile, qui une fois ouvert révèle des dizaines d'autres étoiles de toutes couleurs (c'est joli mais ne va pas sans faire des difficultés pour la lecture...).
Bonne idée qu'a eu là Bernard Dattas (qui ne paraît pas à son coup d'essai, d'autres ouvrages ont semble-t-il été réalisés auparavant sur lesquels je n'ai que des ouï-dire, le monsieur cultivant, semble-t-il, un certain secret). On découvre ainsi l'ensemble des personnages qu'avait évoqués Giraud en 1950, ceux que j'ai déjà cités, plus Armand Févre, André Gellynck, Salkazanov, M. Dassonville et sa cane Grisette, Gustave Rochard, M. Nollan dit l'Amiral, le peintre Héraut, Pierre Dessau qui se baladait en costume Directoire et juché sur un grand Bi à travers Paris... Malheureusement je ne puis renvoyer mes lecteurs à une quelconque adresse qui leur permettrait d'avoir accès à leur tour à cette charmante publication. A moins que M. Dattas, s'il nous lit, veuille bien éclairer nos lanternes.
15:44 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art populaire contemporain, Environnements populaires spontanés, Fantastique social, Littérature, Paris populaire ou insolite | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : bernard dattas, robert giraud, robert doisneau, étoiles noires de paris, frédéric séron, environnements spontanés, figures de la rue parisienne, paris insolite | Imprimer
20/03/2010
Friches de l'art, le blog
Joseph Ryczko, un des accros des arts singuliers sur la planète des amateurs d'art spontané, auteur d'un fanzine intitulé Les Friches de l'Art , qui était plutôt confidentiel il faut bien le dire, et traitait souvent davantage d'art des Singuliers que d'art brut proprement dit (je me base sur les rares numéros auxquels j'ai été éphémèrement abonné) - continue-t-il d'être publié (il semble que oui, ils en étaient il y a peu encore au n°33 et des brouettes... de facteur Cheval bien sûr)? L'information ne me parvient que difficilement, par bribes... - Joe Ryczko s'est lui aussi mis au blog depuis 2008. Il semble que ce fut un départ bref, suivi d'un long silence - pas de notes après 2008, durant toute l'année 2009. Cela reprend plus énergiquement puisque les notes tombent à présent comme à Gravelotte. Mais peut-on faire remarquer qu'on aimerait tout de même lire sur ce blog autre chose que des resucées des dossiers de presse, et autres copiés-collés d'anciens articles repris du fanzine, et davantage d'articles écrits spécialement pour le blog, des interprétations ou des opinions personnelles, et surtout inédites? Je sais qu'on me rétorquera que cela permet de donner les articles non lus au public qui n'est pas abonné, mais cela donne en même temps l'impression aux internautes qu'on ne trouve pas internet digne de recevoir autre chose que les copies des éditions papier, cela marque ainsi un certain dédain préjudiciable à la lecture de ce blog. Au point de vue de l'esprit critique, cela reste aussi pour le moment largement consensuel et plutôt timide.
Je suis loin, également, de partager les mêmes enthousiasmes que lui vis-à-vis de tel ou tel sujet ou créateur, mais enfin, il fait partie du paysage des amateurs qui militent pour une reconnaissance des différentes formes d'art spontané depus tellement d'années qu'il serait malhonnête de ne pas signaler ce nouveau blog éponyme de ses Friches de l'Art donc (plus je le regarde, plus je me dis que le blog est conçu comme la vitrine du fanzine). Je le joins à ma liste de liens pour que le lecteur se fasse une idée. A souligner la note que Joe Ryczko - le premier? - a écrit sur Gabrielle Decarpigny, créatrice de Bagnères-de-Luchon (Non! Bagnères-de-Bigorre, voir commentaire ci-dessous...) à qui il avait d'abord consacré un article dans Création Franche, que j'avais signalée en son temps sur ce blog. Cette dame a elle aussi créé un site que j'ajoute également dans mes liens.
14:56 Publié dans Art Brut, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : joe ryczko, les friches de l'art, art burt, art singulier, art archaïque | Imprimer
18/03/2010
Hung-Tung, le retour
Cette note contient une mise à jour
Prononcez paraît-il "Rong-Tong". Mais ça s'écrit Hung-Tung, et on l'a déjà vu à Paris, c'était à la Halle Saint-Pierre en 1998, sous le titre "17 Naïfs de Taïwan", une exposition organisée par le musée d'art moderne de Taipei en collaboration avec le musée d'art naïf Max Fourny (qui est toujours hébergé encore aujourd'hui quelque part dans la Halle, c'est même un jeu, enfants, cherchez où se cache la collection Max Fourny...). Il y avait aussi le musée de Louvain-la-Neuve sur le coup à l'époque. Etaient exposés des naïfs (peintures de genre exécutées avec des distorsions, des perspectives non réalistes, des couleurs subjectives, une déformation primitiviste des lignes, etc.) effectivement, fort séduisants, mais aussi des créateurs plus détachés de la référence au réel comme Lin Yuan par exemple ou le fameux Hung-Tung, né en 1920 et disparu en 1987.
Voici qu'il nous revient, dans le cadre du Festival de l'Imaginaire patronné par la Maison des Cultures du Monde, à la Galerie Frédéric Moisan (sur laquelle j'ai déjà eu l'occasion de faire une note lorsqu'elle avait exposé le peintre d'ex-voto mexicain Alfredo Vilchis). C'est commencé depuis jeudi 11 mars et c'est prévu pour se terminer le 10 avril 2010. Il s'agit il est vrai avant tout d'une exposition de trois "artistes taïwanais contemporains" (Hung Tung, Hou Chun-Ming, et Mei Dean-E). Mais je ne choisis dans le cadre de ce blog qui s'intéresse avant tout à la création spontanée que d'évoquer la figure de Hung Tung, créateur "brut", homme d'extraction humble, aux parents disparus alors qu'il était encore enfant, et qui fut une bonne partie de sa vie un pauvre paysan. Le taoïsme eut une grosse influence sur la formation de son caractère, nous renseigne la notice que l'on trouve dans le catalogue des "17 Naïfs de Taïwan" (édité par le musée d'art moderne de Taipei ; j'emprunte quelques photos à ce catalogue en espérant qu'on me pardonnera du côté de Taipei, c'est pour la bonne cause). Le village où habitait notre héros possédait un temple renommé fréquenté par de nombreux fidèles. Hung-Tung fut enrôlé dans ce temple comme médium chargé de transcrire les paroles des dieux par le papier et l'encre, paroles interprétées ensuite par les moines. Tout à coup, à 50 ans pile, notre médium décide de cesser de pourvoir à l'entretien de sa famille (une femme et cinq enfants) pour se consacrer à une pulsion graphique et picturale irrépressible qui va l'occuper toute sa vie jour et nuit désormais. Il semble qu'il voulut montrer ses oeuvres dans un premier temps, allant jusqu'à les exposer dans la rue. après avoir d'abord essuyé des rebuffades, notamment de la part des milieux artistiques conventionnels (un peu comme dans le cas de ce qui se passe vis-à-vis de l'art brut au Japon dans les milieux intellectuels et esthètes), il est remarqué par un journaliste qui le fait connaître à Taipei la capitale. Il est exposé au centre d'information américain dans cette ville (en 1976), puis dans un grand magasin. Mais après cette date, il décide de s'enfermer dans sa maison, comme las de ses démarches pour la reconnaissance, ou tout simplement las des autres... Il rejette les visiteurs, même ceux qui veulent lui acheter ses peintures. Sa femme, son seul soutien matériel, décède en 1986. On le retrouve au début de 1987, mort dans son atelier, vingt-quatre heures après qu'il a rendu son dernier soupir.
Hung-Tung n'a donc jamais suivi de cours artistiques. Il semble que son inspiration et ses stimulations à dessiner soient à rechercher du côté de ses fonctions de médium au temple de son village. Cela le relie aux profils sociologiques de plusieurs créateurs de l'art brut occidental. Son comportement vis-à-vis du monde de l'art, son renfermement, le style de ses oeuvres, qui paraissent empreintes de références aux légendes populaires et à la culture religieuse taoïste (je pense notamment devant ses peintures aux silhouettes découpées dans le cuir du théâtre d'ombres chinois), ses imitations de l'écriture chinoise qu'il ne savait pas écrire, la traitant comme si elle était revenue à sa seule apparence de dessin, de signe cabalistique, tout cela le distingue grandement des deux autres artistes taïwanais qui sont ici exposés avec lui. Cela le distingue, et ne l'amoindrit pas, tout au contraire! Il est simplement autre. Ailleurs. Avec ce type de créateurs, nous rencontrons une autre pratique de l'art, profondément immergée dans la vie quotidienne, vécue tellement immédiatement qu'il n'y a plus aucun temps de disponible pour sa sa médiatisation. Nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer sur ce blog des cas comparables, je pense ainsi sur le moment au "photographe" Miroslav Tichy. C'est sans doute ce total investissement intellectuel et physique qui garantit à de telles oeuvres cet impact esthétique d'une grande intensité stylisée.
Merci à Remy Ricordeau qui m'a signalé l'expo
Et à propos de Hung Tung, lisez cette note supplémentaire que m'a envoyée le même Remy Ricordeau:
"Concernant son expression graphique, il est à noter une autre inspiration qui n'a certes pas été relevée mais que je crois réelle, même si Hung Tung lui-même ne l'a pas revendiquée (mais en général les artistes bruts ne revendiquent rien quant à leur inspiration): la proximité de couleurs vives (avec dominante de rouge) de beaucoup de ses tableaux ainsi que celle de la forme des visages qu'il peint ou dessine, avec les représentations de l'art aborigène taïwanais me semble frappante (particulièrement avec les bas-reliefs sur bois ou les tissages).
Si Hung Tung n'était pas lui-même d'origine aborigène, il vivait dans un village près de Tainan (au centre/sud de l'ile) où vivent plusieurs communautés aborigènes différentes. Dans cette région, les populations sont mélangées au sein des villages et il ne pouvait donc que connaître ou au moins avoir vu plusieurs représentations de cet art populaire à connotation tribale et religieuse (en général représentation des esprits). Ma remarque est bien sûr une hypothèse, mais compte tenu du fait qu'à l'époque où Hung Tung a été remarqué, l'art aborigène était encore l'objet de beaucoup de mépris de la part de la plupart des Taïwanais (ce qui a changé depuis pour des raisons qu'il serait trop long d'exposer ici), cette "filiation", je pense, a été passée sous silence et maintenue par paresse ou conformisme jusqu'à maintenant.
Mon amie taïwanaise qui s'intéresse à l'art brut formosan, me dit par ailleurs qu'aujourd'hui la plupart des créateurs contemporains sont des aborigènes (ou métis) qui se sont émancipés de l'inspiration spirituelle d'origine de leurs ancêtres pour représenter des scènes de la vie quotidienne ou en rapport plus ou moins direct avec l'actualité. Leur style reste cependant très influencé par leur milieu culturel d'origine. Il y a là tout un univers à découvrir..."
(Remy Ricordeau)
PS: Cette évolution de l'inspiration des aborigènes formosans, s'affranchissant de leur inspiration spirituelle pour aller vers des contenus plus contemporains, profanes, est à mettre en rapport avec l'évolution de l'art des aborigènes australiens.
04:33 Publié dans Art Brut | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : hung-tung, at brut taïwanais, galerie frédéric moisan, festival de l'imaginaire | Imprimer
03/03/2010
Ataa Oko et Frédéric Bruly-Bouabré, deux créateurs africains à la collection de l'art brut à Lausanne
La Collection de l'Art Brut de Lausanne, qui était fermée depuis quatre mois suite à des dégâts des eaux, réouvre ses portes le 5 mars prochain avec une exposition qui fera date dans l'histoire de la collection. Elle accueille deux créateurs africains, Frédéric Bruly-Bouabré tout d'abord, déjà bien connu (cet ancien collaborateur de Théodore Monod fut montré notamment à la grande exposition du Centre Georges Pompidou et de la Grande Halle de la Villette en 1989 Les Magiciens de la Terre ; vous savez, cette expo où Jean-Hubert Martin s'illustra en affirmant qu'il ne voyait aucun singulier primitiviste en occident, à part Chomo, pour être mis en parallèle avec les créateurs du tiers-monde qu'il voulait présenter à Paris, c'était dire l'étendue de son savoir...), ce qui fera que je ne m'étendrai pas à son sujet (même si ses oeuvres sont absolument séduisantes) et un autre créateur qui, lui, est beaucoup moins notoire, Ataa Oko Addo.
Ataa, ça veut dire "grand-père" au Ghana, dans l'ethnie Ga dont fait partie cet étonnant nonagénaire toujours actif aujourd'hui (Oko signifie "jumeau", il eut une soeur jumelle qui mourut peu après la naissance). Cette fameuse ethnie s'est rendue célèbre auprès des amateurs d'art populaire africain contemporain par la confection de ces cercueils imagés (fèves de cacao, effigies de policiers, mercédès-benz, lion, oignons, etc) dédiés aux grands personnages que l'on veut enterrer pour se concilier leurs faveurs (voir ma note précédente sur le sujet). Certains de ces cercueils, qui intéressent maintenant les collectionneurs, ont été montrés dans des grandes manifestations (ceux de Kane Kwei furent présentés aux Magiciens de la Terre).
Son histoire et son destin sont hors du commun sur le plan de l'histoire des arts populaires en Afrique (et ailleurs). D'après l'ethnologue suisse Regula Tschumi (qui fut hôtesse de l'air avant de choisir cet autre métier), qui étudie les coutumes religieuses des Ga, c'est Ataa Oko qui aurait créé le premier cercueil sculpté en 1945, à l'effigie d'un crocodile. Mais elle ne fournit pas de preuve photographique du fait (puisque les cercueils que les menuisiers ont sculptés avec soin, telles de véritables oeuvres d'art, sont enterrés avec les défunts à l'intérieur, disparaissant donc sous la terre, où, nous dit Philippe Lespinasse dans son documentaire Ghana, sépultures sur mesures (1), ils sont rapidement dévorés par les termites).
Dans le catalogue qu'édite la Collection de l'Art Brut en collaboration avec l'éditeur suisse Infolio, elle ne montre qu'une photo datant de 1960 (où l'on voit Oko ave sa femme posant devant un cercueil en forme de cargo). L'ethnologue se base sur le témoignage du dit Ataa Oko et le recoupe avec les témoignages d'autres personnes qui confirment que Oko construisait bien des cercueils sculptés, et qu'il encouragea Kane Kwei à en faire à son tour, ce même Kane Kwei qui a été présenté internationalement comme le fondateur de cette tradition (il ne fit rien pour démentir la rumeur). L'idée vient alors à Regula Tschumi de demander à Ataa Oko de lui dessiner ses cercueils de 1945-1948, histoire de voir à quoi ils pouvaient bien ressembler...
Elle apporte des blocs de papier à dessin, des crayons de couleur et Ataa Oko se prête de bonne grâce au jeu. Il commence à dessiner prudemment, sans appuyer, les formes des cercueils qu'il a confectionnés après 1945. Puis petit à petit, il se pique au jeu, il s'enhardit, prend confiance, et de dessin en dessin se lance à corps perdu dans son imaginaire délaissant les représentations imitatives du début (qui durèrent de 2004 à 2005, les années de début de cette production graphique). Ce sont ces dessins aux crayons de couleur, où se donne libre cours l'imagination de l'auteur, quoiqu'avec des références à l'animisme Ga, qui ont intéressé la Collection de l'Art Brut qui en possède désormais une bonne sélection semble-t-il, si l'on se rapporte aux oeuvres illustrant le charmant catalogue d'exposition. Le reste est dans les mains de Regula Tschumi qui a acheté régulièrement, au fur et à mesure qu'elle était produite, toute la production d'Ataa Oko. Ce qui est unique dans l'histoire des oeuvres d'art brut sur lesquelles on ne possède généralement pas de renseignements par exemple d'ordre chronologique. Lucienne Peiry précise au début du catalogue: "C'est ainsi que 2500 dessins ont vu le jour en six ans (2003-2009)". On voit là une oeuvre rangée dans le corpus de l'art brut en train de se faire quasiment sous nos yeux, ce qui est un fait nouveau.
Autre fait étonnant et rare, on se confronte avec cet Ataa Oko à un autre phénomène qui m'apparaît unique. C'est un créateur qui est à l'origine à la fois d'une tradition de sculpture funéraire populaire et, par la suite - soixante ans après, excusez du peu! - aussi, d'une nouvelle expression individualiste populaire, dite "brute". C'est Dieu, ce type-là.
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(1) Ce film a été édité en DVD chez Grand Angle Productions. Grand Angle Distribution, 14 rue des Périchaux, 75015 Paris. +33 1 45 359 258. n.labid@grandangle.com et www.grandangledistribution.com. Philippe Lespinasse livre aussi un texte de témoignage sur Ataa Oko dans le catalogue de l'exposition. Cette dernière se tient à Lausanne du 5 mars au 22 août 2010 (en parallèle avec Bruly-Bouabré): www.artbrut.ch
01:26 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art populaire contemporain, Danse macabre, art et coutumes funéraires | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : ataa oko, regula tschumi, art brut, art populaire contemporain, collection de l'art brut, cercueils du ghana, bruly-bouabré, philippe lespinasse | Imprimer
22/02/2010
Infos-Miettes (7)
Jean Linard is dead
Ce titre résume à lui seul tout ce que j'ai à dire sur ce blog au sujet du céramiste Jean Linard, auteur d'un environnement appelé communément "la Cathédrale" à La Borne, village comme on sait de potiers depuis des générations. L'info nous a été transmise par le site ArtInsolite.com. Il était l'auteur d'un environnement très "artiste" (et un peu trop mystique pour mon goût) très différent des environnements du genre qui me retient sur ce blog. Pour information, je répercute l'annonce de cette disparition vers ceux que cela pourrait concerner, avec mes condoléances à ses proches.
Expos François Burland et Alp-Traüme au Museum Im Lagerhaus, St-Gall, en Suisse orientale...
Tiens, ça faisait longtemps que je n'avais pas fait d'info sur le Musée d'art naïf et d'art brut suisses de St-Gall. C'est que leurs informations me parviennent toujours en allemand que je déchiffre fort mal... Mais bon, il est toujours loisible de jouer à la devinette. S'achève en ce moment (ça se termine le 7 mars prochain) une exposition de photographies d'Hildegard Spielhofer (dont je ne perçois pas trop le rapport à l'art brut ou à l'art naïf) et de "jouets" créés par François Burland qui n'en finit plus de produire des maquettes de bateaux, et autres véhicules variés, bricolés en matériaux de récupération, qui ne sont pas sans faire songer à d'autres maquettes telles qu'on en rencontre dans l'art brut conservé en Suisse, à Lausanne notamment (pensons aux bateaux de Forestier par exemple, mais plus généralement, l'art brut n'est pas avare de grands enfants jouant encore graphiquement avec des trains - David Braillon, Willem Van Genk... - des voitures, des engins spatiaux - André Robillard... - etc.).
Et cette expo sera suivie d'une autre, Alp-Traüme, plus inspirante à mon goût sur des créateurs du massif montagneux du Säntis (région d'Appenzell et Toggenburg), riche en traditions populaires (voir les Sylvester klaüse d'Urnasch et leurs costumes prodigieusement inventifs) et en peintres originaux, Alp-Traüme que l'on doit pouvoir traduire simplement par Rêve d'alpe, nein? Il s'agit cette fois de nouveaux noms, comme Erich Staub, ou Imma Bonifas, Willy Künzler, présentés à côté de plus connus comme Hans Krüsi. Nouveaux noms et nouvelles créations, plus dégagées de l'imitation du réel que dans le cas des peintres d'alpage déjà présentés précédemment dans ce musée (les peintres de poyas décorant les chalets et les étables de la région). L'exposition se tiendra du 24 mars au 4 juillet 2010.
Colloque sur "l'art outsider" en Sicile, "la création différente"
Mlle Roberta Trapani m'a signalé récemment trois jours (26-27-28 mars prochains) où l'on va colloquer vaillamment à Palerme sur l'art brut et consorts, voir ici le programme en français et le programme (plus détaillé) en italien, à l'initiative de "l'Association culturelle" Start Factory (pas très sicilien le titre). Ce sera "coordonné scientifiquement" par la professore Eva Di Stefano qui dirige à Palerme un "Observatoire Outsider Art" dans le cadre de l'université locale.
Joël Lorand et Claude Massé à Carquefou
Ah, ce Joël Lorand, il en aura fait des voyages à travers la France, c'est un des plaisirs qui accompagnent tous ceux que la poursuite d'une quête imaginative titille. Outre des oeuvres représentatives de ses différentes périodes précédentes, proches du graffito au début, puis les "personnages floricoles", et les "boucliers", il montrera dans une nouvelle exposition au Manoir des Renaudières (direction de l'action culturelle de Carquefou) une nouvelle série d'oeuvres. Est-ce que la peinture reproduite sur le carton d'invitation en fait partie? Faut aller voir l'expo pour répondre.
Avec lui, au même moment, on pourra également voir les "patots" de Claude Massé, sculptures-assemblages sur liège. Pour le vernissage du 6 mars, à 16h30, Massé fera d'ailleurs une conférence-débat sur "l'Art Autre".
Exposition du 6 mars au 4 avril 2010, ouverte les ven., sam. et dimanche de 14h à 18h et sur RDV (02 28 22 24 40). Entrée libre.
Histoire d'une Collection (2)
Là c'est à Paris, c'est le deuxième volet d'une exposition qui paraît vouloir retracer l'histoire de la collection du centre d'étude de l'expression, collection qui est abritée dans le centre hospitalier Ste-Anne, dans le 14e ardt. Anne-Marie Dubois est l'organisatrice de l'expo qui est accompagnée aussi par la publication d'un troisième tome de son ouvrage De l'art des fous à l'oeuvre d'art. Cette collection vaut surtout à mes yeux pour sa partie ancienne, rassemblant des oeuvres produites par des patients que l'on n'avait pas encore encadrés soit artistiquement (artistes-thérapeuthes) soit chimiquement. L'expo La Clé des champs qui s'était tenue à la Galerie Nationale du Jeu de Paume en 2003 avait permis de s'en rendre compte de façon nette. L'expo actuelle, commencée le 28 janvier, s'achévera le 28 mars 2010, elle se tient dans le musée Singer-Polignac, à l'intérieur du centre hospitalier (ne craignez rien, on vous laissera ressortir...).
16:08 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art populaire insolite, Art singulier, Galeries, musées ou maisons de vente bien inspirés | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : jean linard, eva di stefano, françois burland, alp-traüme, museum im lagerhaus, art naïf, art brut, art singulier, joël lorand, anne-marie dubois | Imprimer
02/02/2010
Il y a cent ans mourait l'abbé Fouré: le Guide de son Musée des bois sculptés réédité dans un dossier signé Bruno Montpied
Ouf, ça y est enfin, est paru le dossier que je préparais depuis des lustres sur les sculptures en bois de l'abbé Fouré, parfois appelé aussi l'ermite de Rothéneuf. Il sort dans une revue nouvelle, L'Or aux 13 îles, d'inspiration surréalisante, concoctée par le poète et collagiste Jean-Christophe Belotti, qui en l'espèce avec la collaboration d'un bon maquettiste, Vincent Lefèvre, a réalisé là un très bel objet (108 pages, illustrations noir et blanc et couleurs en majorité) .
N°1, janvier 2010. Cent ans après la mort de l'abbé, je tire ainsi mon chapeau à la mémoire de cet extraordinaire sculpteur de roches à l'air libre (sur la côte, au-dessus de la Manche, nous sommes dans la banlieue de St-Malo, dans un bourg qui fut autrefois du temps de l'abbé, au début de l'autre siècle, une station balnéaire en vogue) et sculpteur aussi, ce que l'on sait un peu moins, de bois aux formes tourmentées qu'il entassait dans son "ermitage" au coeur du bourg. Les cartes postales ont popularisé ces statues géniales qui étaient joyeusement peinturlurées en outre (ce que les cartes en noir et blanc ne révèlent malheureusement pas).
Le dossier se divise en deux parties, une introduction qui resitue le personnage, son oeuvre, et retrace également les étapes qui m'ont mené à découvrir vers 1989 l'existence d'un document étonnant que personne jusqu'ici n'avait songé à rééditer en son intégralité (en l'occurrence, en fac similé), le Guide du Musée de l'ermite, daté de 1919 (la même année que La Vie de l'Ermite de Rothéneuf, autre petite brochure plus biographique dûe à la plume de l'historien régional Eugène Herpin, dit "Noguette" et imprimée dans la même maquette chez le même imprimeur de St-Malo (R. Bazin)). Les lecteurs de ce modeste blog se souviendront peut-être que je l'ai mis en ligne ici même à la date du 24 septembre 2009. Ce Guide décrit par le menu les oeuvres que conservait le musée après la mort de l'abbé. Dans cette réédition de L'Or aux 13 îles, j'ai bien entendu mis en parallèle les cartes postales montrant les oeuvres décrites. Tout fonctionnait ainsi à merveille à l'époque pour les estivants qui visitaient l'Ermitage de Haute-Folie (tel était le nom de l'habitation de l'abbé). On pouvait repartir avec un guide et des images sur cartes postales. Ces dernières sont plus rares aujourd'hui que celles représentant les rochers sculptés, car les pièces sculptées et l'ermitage ont désormais disparu tandis que les rochers subsistent, sans qu'on sache très bien à quel moment l'anéantissement eut lieu (il faudra faire confiance aux chercheurs qui nous suivront pour éclairer ce point).
Pour marquer le coup de cette parution (veuillez lire les renseignements pratiques pour l'acquisition de la revue au bas de cette note), je ferai un exposé sur l'abbé Fouré à l'auditorium de la Halle Saint-Pierre, 2, rue Ronsard à Paris (18e ardt), le dimanche 7 février prochain à 15 heures, illustré de photos des sculptures de l'ermite, sur bois et sur roches. Jean-Christophe Belotti sera également là pour présenter la revue et toute l'étendue de son sommaire qui ne se limite pas, loin de là, à mon dossier sur l'ermite. On y trouve de nombreuses collaborations, un dossier fort important sur le peintre surréaliste discret Jean Terrossian, un article sur le film Démence de Jan Svankmajer, des textes polémiques à propos de Sade et de Nadja par Jean-Pierre Guillon pour le premier, et par Jorge Camacho, Bernard Roger et Alain Gruger pour la seconde, une enquête sur l'exaltation avec des réponses de Roger Renaud qu'illustrent des oeuvres de Josette Exandier fort belles ma foi. Le tout coiffé d'un éditorial rédigé par Jean-Christophe Belotti dont les collages parsèment la revue.
10:10 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Environnements populaires spontanés, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : l'or aux 13 îles, environnements spontanés, abbé fouré, ermite de rothéneuf, rochers sculptés de rothéneuf, jean terrossian, jan svankmajer, nadja, art brut | Imprimer
Le Plein Pays d'Antoine Boutet, séance de rattrapage
Pour ceux qui auraient raté les séances du cinéma Le Méliés à Montreuil (voir note du 1er octobre 2009) où avait été projeté le film sur Jean-Marie M., Le Plein Pays d'Antoine Boutet, on propose une séance de rattrapage, au cinéma Le Nouveau Latina, 20, rue du Temple, dans le 4e ardt à Paris, mercredi 10 février à 19h. L'occasion de découvrir, ou de re-découvrir, les talents de chanteur brut du Jean-Marie, plus connu auparavant comme prophète apocalyptique, creuseur obsessionnel de galeries souterraines à la recherche d'improbables civilisations oubliées.
10:05 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Cinéma et arts (notamment populaires) | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jean-marie m., antoine boutet, cinéma et art brut, musique brute, environnements spontanés | Imprimer
30/01/2010
Décès de Louise Tournay, dite "Loulou"
J'apprends par un mail ultra-bref la disparition de "Loulou", c'est-à-dire Louise Tournay, le 25 janvier dernier. Elle était cette créatrice bien connue de ceux qui fréquentaient le Château-Guérin dans les années 1980 à Neuilly-sur-Marne où se cachaient les premières acquisitions de la débutante collection de l'Aracine (elle n'est cependant pas restée apparemment uniquement attachée à cette période).
Issue d'une famille bourgeoise, elle avait suivi des cours à l'académie des Beaux-Arts de Liège, mais avait gardé son indépendance d'esprit et sa spontanéité pour créer, dans l'intimité près de son époux tout au long d'une vie plutôt tranquille (elle était née en 1925), tout un peuple de statuettes en terre cuite qu'elle peignait. Sa thématique principale était les gens, les types de gens qu'elle croisait. Le résultat était à la fois attachant et grotesque, assez voisin de ce qu'avait réussi au tournant du XIXe et du XXe siècle en Suède l'autodidacte paysan Axel Petersson, dit Döderhultarn (voir Bruno Montpied, « Histoire de Döderhultarn », Plein Chant n°36, Bassac, été 1987), qui croquait à plaisir ses contemporains en sculptant rugueusement le bois (les artistes qui font dans le grotesque oublient en effet parfois, le plus souvent, de rester attachants...).
Le LaM à Villeneuve-d'Ascq conserve, grâce à la donation de la collection de l'Aracine plusieurs oeuvres de Loulou. Du reste on avait pu admirer à Paris dans les locaux de l'INHA, pour l'expo Les chemins de l'art brut 8 (actuellement du côté de Villeneuve d'Ascq), une de ses oeuvres, une sorte de foule de personnages en terre cuite qui était exposée sous un cube de plexiglas (voir note du 11 octobre 2009). Les éditions de l'Atelier de l'Agneau ont consacré naguère un numéro de leur revue à cette créatrice, qui s'intitulait "Pour Louise Tournay". On est désormais en droit d'attendre une rétrospective de l'oeuvre de cette dame secrète au style si personnel, en dépit d'un matériau bien convenu.
00:17 Publié dans Art Brut | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : art brut, art immédiat, louise tournay, l'aracine, atelier de l'agneau | Imprimer
17/01/2010
Bohdan Litnianski revient hanter la Toile
Un monsieur me signale qu'un site internet vient d'ouvrir sur Bohdan Litnianski, disparu en juin 2005 comme on sait, et me demande d'en répercuter l'existence sur ce blog. Très volontiers, cher monsieur. Suivez donc ce lien (je le reproduis aussi dans ma liste en colonne de droite, les "doux liens").
Apparemment ce site émane des éditions Vivement Dimanche, basées à Amiens, qui s'étaient fait connaître en publiant un album de photos sur Litnianski et son environnement de matériaux divers récupérés et agglomérés en murs et en colonnes dans son jardin et pour ses clôtures (il paraît que l'intérieur de sa maison aussi est décoré ; je n'ai pas été invité à la visiter lors de la rencontre que je fis de Litnianski en 1988).
En vagabondant entre ses rubriques, agrémentées essentiellement de photos du site mais aussi d'une biographie fournie, on apprend incidemment que certaines idées seraient "en germe" dans la région et qu'il devrait y avoir bientôt du nouveau. On sait que la propriété est à vendre, son vendeur demandant aux acheteurs qui se présenteraient de respecter le caractère unique du lieu. Et c'est pas les idées qui manquent en matière de désir de sauver les environnements d'autodidactes populaires. Souhaitons donc que ces germes s'enracinent et donnent les plus belles fleurs.
Je renvoie par ailleurs les internautes qui connaîtraient mon blog depuis peu à ce lien qui les ménera aux trois notes où j'ai déjà évoqué le site de Litnianski (selon que l'on écrit son prénomBohdan, Bodhan ou Bodan, on ne tombe pas sur internet sur les mêmes sources d'information). Histoire de souligner à voix basse que les oeuvres de bords de routes sont regardables par tous, et non par un seul (ce que pourrait avoir l'air de suggérer l'établissement d'un site consacré à un environnement d'oeuvres comme celles de Litnianski).
01:31 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : bohdan litnianski, bodan litnianski, bodhan litnianski, viry-noureuil, vivement dimanche, environnements spontanés, art brut | Imprimer
12/01/2010
Sur les traces de Jean Smilowski à la Ferme d'en-Haut
(Cette note comporte une mise à jour)
J'ai évoqué brièvement l'exposition-parcours Smilowski qui s'est tenue à Lille en octobre dernier, ainsi que ce que m'écrivait Mme Bénédicte Lefebvre (voir la note en bas de l'article "Devenir de l'art brut" du 13 décembre), qui défend avec ses amis de l'Association La Poterne la mémoire et la sauvegarde de l'oeuvre, et de l'environnement, de Jean Smilowski, ce monsieur qui vécut pendant quarante ans (de 1943 à 1985) dans une cabane qu'il appelait "Mon Ranch" au pied des fortifications de Vauban dans le Vieux-Lille. On trouve sur la toile quelques renseignements et vidéos épars à son sujet (notamment sur le site de l'INA). Clovis Prévost prépare depuis quelques années un film sur Smilowski, dont on a pu voir ici ou là quelques "pré-maquettes". Il fait partie des documents qui sont évoqués dans le programme qui annonce un "diaporama et un montage de films" dans le cadre de la nouvelle exposition qui lui est consacrée du 16 janvier au 14 mars prochains à La Ferme d'en-Haut (268, rue Jules Guesde, 59650 Villeneuve-d'Ascq). Son projet - et sa caméra aussi bien! - tournent autour des malles peintes par le créateur (dessus, dessous, sur toutes leurs faces) dans une lente giration filmique chargée de faire surgir comme d'une boîte de Pandore les motifs de l'imaginaire smilowskien: Ramona, encore et toujours (la grande obsession de Jean Smilowski), Sitting Bull, Mao, Sainte Rita (la patronne des causes désespérées), Clark Gable, De Gaulle, John Wayne, Napoléon, Charlie Chaplin.
Cette exposition correspond semble-t-il plus adéquatement aux désirs des adhérents et des animateurs de l'Association la Poterne qui souhaitent évoquer la figure de Smilowski dans son environnement original au plus prés de ce dernier, dans la totalité de sa création, et non pas fragmentairement, dispersée au gré des cimaises d'un musée, serait-ce même aux cimaises du futur musée d'art brut de Villeneuve-d'Ascq (qui possède, via les collections de l'Aracine, une quarantaine d'oeuvres de Smilowski). Elle rassemblera ainsi peintures, dessins, livres illustrés sans doute aussi, ainsi que malles et objets peints. L'univers intérieur de la cabane elle-même sera reconstituée dans la salle d'exposition.
Voici un descriptif complet de l'exposition qui vient de m'être envoyé par l'Association La Poterne (l'accrochage étant fin prêt):
"Le rez-de-chaussée expose les toiles, de petits recto-verso représentant des animaux et quatre vitrines d'objets (cavaliers, animaux, boites et trousses fabriquées et peintes, broderies), deux meubles peints, et une photo agrandie sur bâche représentant Smilowski dans sa cour devant sa fresque "Sitting Bull et Ramona".
Le niveau intermédiaire expose le livre de 1600 pages, un cahier, un des ses albums-photos et divers objets, et un diaporama d'une partie des pages du livre (environ 500) que nous venons de réaliser pour cette expo. A ce niveau, on a installé aussi des grands recto-verso, des malles peintes, et les avions, la montgolfière, la fusée, la loco.
Enfin le niveau des combles accueille l'intérieur d'une pièce de sa cabane, avec ses objets perso, ses meubles et malles peints, plus un montage d'extraits de films (Smilo se filmant lui et son environnement, et films de sa filmothèque : Charlot, Laurel et Hardy, cow-boys et indiens...) qui a été réalisé aussi pour l'expo, avec le soutien de La Ferme d'en-Haut, et donc de la ville de Villeneuve-d'Ascq.
La prémaquette de Clovis passera en boucle au rez-de-chaussée sur un écran télé, comme dans l'expo de Lille. Par contre nous ne pourrons pas faire de projections de sa maquette, ni du film de Yohan Laffont (L'ampleur de Smilowski), faute de salle."
Expo visible les samedi et dimanche de 15h à 19h.
10:55 Publié dans Art Brut | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jean smilowki, association la poterne, bénédicte lefebvre, ferme d'en-haut, art brut, environnements spontanés, ramona, clovis prévost | Imprimer
08/01/2010
Des roches gravées à Batz-sur-Mer
Mon camarade Remy Ricordeau s'ouvre si bien à l'art brut qu'il ne finit pas d'en découvrir ici et là. Dernière surprise en date, du côté de Batz-sur-Mer (dans la Presqu'île de Guérande), l'été dernier, il est tombé sur d'étranges roches de bord de mer, sculptées dit-il, gravées dirai-je plutôt, ressemblant un peu aux graffiti anciens incisés dans des murailles, comme les graffiti de prisonniers médiévaux, ou ceux de ces Poilus de la première guerre mondiale qui n'hésitaient pas dans leur rage d'expression à creuser la roche de leurs carrières de casernement provisoire jusqu'à dégager des sculptures en trois dimensions (voir ma note du 28 décembre 2008 sur un livre causant des graffiti de tranchées paru cette année-là), et voir plus généralement le musée Serge Ramond consacré aux graffiti historiques à Verneuil-en-Halatte).
On se balade en bord de mer, et l'oeil découvre éberlué le travail anonyme qui a consisté à racler, et à évider la roche granitique afin d'en extraire des profils ultra stylisés, des visages grossiers et hallucinatoires, tentative primitive analogue à celle du fameux abbé Fouré qui à Rothéneuf en Ille-et-Vilaine a sculpté au début du XXe siècle les rochers du rivage en créant en une quinzaine d'années plusieurs dizaines de personnages aux formes interprétées d'après les circonvolutions de la matière brute. Ciselées dans une muraille naturelle de blocs joints dans une maçonnerie naturelle (qui est peut-être responsable de l'inspiration de l'auteur), pas plus haut que ce que la taille d'un homme peut permettre, on reconnaît à Batz quelques figures, un hippocampe par exemple (la seule figure un peu réaliste), des profils géométrisés, dont peut-être celui d'un rapace, et deux figures affrontées, quelque peu cubistes.
Le style employé semble celui d'un individu qui s'essaierait à la sculpture, les expressions restant en affleurement seulement, à peine dégagées de la roche, esquissées, ce qui peut être aussi par volonté - inconsciente? - de transmettre leur côté hallucinatoire avant tout. Du reste, à force de les regarder, on en devine plus que le sculpteur a voulu en faire, une roche dominant l'ensemble semble ainsi représenter la gueule d'un crocodile mais le style est tellement différent du reste qu'on se convainc bientôt qu'il s'agit là d'une extrapolation de la part de l'interprète dont l'inconscient a été fort mis en branle (il y a souvent contamination de la vision lorsqu'on est en présence d'images interprétées d'après des formes naturelles ; à Rothéneuf, à côté des rochers sculptés par l'abbé Fouré, on se met à deviner d'autres figures possibles qui ne sont en réalité que formes du hasard avec lesquelles joue l'imagination). On lit un chiffre à un endroit, 35, ou plus vraisemblablement 95 sans trop savoir ce qu'on doit en tirer, peut-être la date de la gravure?
Ces roches vous prennent un aspect précolombien sans doute bien involontairement. On pense aussi aux gravures des pictogrammes de la Vallée des Merveilles dans les Alpes du Sud. On ne sait rien de l'anonyme graveur ayant furtivement travaillé sur ces roches, en y passant pourtant un bon moment on suppose...
01:00 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art populaire insolite, Environnements populaires spontanés, Graffiti | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : batz-sur-mer, art rupestre populaire, art brut, environnements spontanés, remy ricordeau, graffiti, roches gravées | Imprimer
13/12/2009
Devenir de l'art brut
L'art brut prend des aspects de plus en plus variés, éclectiques, hétéroclites, il recouvre des oeuvres et des personnalités qui peuvent être aussi cultivées que non cultivées. C'est l'évolution actuelle, depuis une dizaine d'années environ. Ce qui pose problème, je trouve, le terme et la notion dans cet élargissement du champ perdant de plus en plus de leur netteté (la netteté de la définition n'étant déjà pas évidente au départ, combinant à la fois des oeuvres médiumniques, des créations de bord des routes, de l'art produit par des aliénés, des oeuvres produites par des marginaux, retraités, exclus, dépressifs, êtres en manque affectif, etc.).
C'est une constatation que je me suis faite ces jours-ci, d'abord suite au colloque "L'art brut, une avant-garde en moins?" organisé par le LaM à l'auditorium de l'INHA à la galerie Colbert à Paris les 7 et 8 décembre derniers, puis en découvrant successivement l'expo consacrée à Fernand Desmoulin par la galerie Christian Berst, rue de Charenton dans le XIIe ardt, ainsi qu'à la lecture du journal de l'exposition "Anatomia metamorphosis" (Galerie ABCD, Montreuil), notamment la notice biographique et les reproductions centrées sur le cas de l'artiste Lubos Plny (là, on peut vraiment parler "d'artiste"). Sans compter l'annonce d'une expo prochaine à la Collection de l'Art Brut à Lausanne (de mars à août 2010) qui se tourne (avec clairvoyance) du côté de deux créateurs d'art brut africains (j'y reviendrai).
En effet, l'art brut à mes yeux, dans les premiers temps où je me suis intéressé à lui (grosso modo à partir de 1980, date à laquelle je suis tombé sur les fascicules de l'art brut dans les locaux de la librairie Artcurial prés des Champs-Elysées), relevait d'une filiation avec les arts populaires qui sautait aux yeux, que ces derniers soient rustiques ou urbains, filiation qui s'établissait en dépit de la rupture évidente au point de vue esthétique entre les oeuvres populaires du passé et celles que Dubuffet et Thévoz défendaient sous le nom d'art brut (rupture esthétique qui était le reflet aussi d'une rupture sociale, les auteurs d'art brut étant des internés, des femmes frustrées, des marginaux de la société, des retraités, des clochards...). J'ai ainsi pu écrire en 1992: "l'art brut (qui est une forme hyper-individualisée et réprimée de la créativité populaire qui survit à l'anéantissement des liens communautaires)" (Bruno Montpied, Formes pures de l'émerveillement, dans Masgot, l'oeuvre énigmatique de François Michaud, éd. Lucien Souny, 1993). Définition qui tapa dans l'oeil de Madeleine Lommel qui me fit l'honneur de la reprendre en citation dans ses ouvrages (avec des coquilles dans la référence, cf la deuxième mouture de son livre où mes phrases sont attribuées à un "Art populaire en France" paru chez Arthaud, il y a là visiblement une confusion avec le livre de Jean Cuisenier du même titre, mais quel honneur qu'on puisse me confondre avec cet ancien conservateur des ATP!).
Bien sûr au départ dans le corpus des créations rassemblées sous le terme art brut, il y avait déjà, héritées en particulier des recherches précédentes des surréalistes (André Breton), des créateurs cultivés mêlés à des hommes et des femmes du peuple (notamment chez les médiumniques, que l'on pense au Comte de Tromelin, à Victorien Sardou, à Fernand Desmoulin, peintre post-impressionniste et symboliste, ami de naturalistes comme Emile Zola, peintre aux goûts visionnaires qui eut une brève période de dessin automatique médiumnique entre 1900 et 1902 - voir l'expo actuelle chez Christian Berst, où sont montrés quelques exemples (il y avait déjà eu une expo sur les dessins retrouvés de Desmoulin à la Galerie de Messine à Paris en 2002, organisée par cette dernière conjointement avec l'association ABCD) ; cependant on trouve d'autres créateurs cultivés dans d'autres secteurs de l'art brut comme par exemple Gabritschevsky, Aloïse elle-même, ou Juva, alias le prince Juritzky, ou encore Magali Herrera, fille d'aristocrate et de propriétaire foncier en Uruguay). D'autant que la notion d'art brut cherchait à prouver qu'existait une créativité artistique en dehors du champ artistique reconnu comme tel, en dehors du monde professionnel de l'art. Il fallait, de ce point de vue, ne pas se limiter à des créateurs issus du peuple. Cependant, ces derniers constituaient une bonne proportion dans l'ensemble des créateurs retenus (la majorité probablement). Parmi les internés des asiles psychiatriques, on rencontre ainsi nombre de créateurs issus des classes sociales défavorisées (ce qui paraît logique, le monde du travail est rarement lieu d'épanouissement et d'harmonie, plutôt un champ de bataille).
Avec l'internationalisation des découvertes de créations associées à l'art brut de Dubuffet, ou à l'art outsider des Anglo-saxons (concept encore plus ouvert que celui d'art brut), ce dernier ayant beaucoup d'influence sur le vacillement amplifié des limites du concept d'art brut, avec le développement de la connaissance de l'art brut américain, anglais, chinois, japonais, slave, sud-américain, bientôt africain, etc., le nombre de créateurs qui pourraient être aussi bien rangés sous la bannière d'un art visionnaire, d'un surréalisme instinctif, ou d'une inspiration cultivée hétéroclite, est en voie d'expansion considérable.
Le cas de Lubos Plny, artiste découvert par l'association ABCD paraît exemplaire de ces nouveaux cas-frontières. Dessinateur, collagiste, peintre, auteur de performances, intervenant sur son corps par des piercings ou de la couture, qui pourraient relever de ce que l'on nomme ailleurs le body-art, modèle en académie, il paraît être un homme de grande culture artistique. Ceux qui le rangent dans l'art brut semblent le faire en regard de son état - passager? - de schizophrène, associé à une inventivité indéniable. A ce compte-là, Van Gogh, Edvard Munch, pour ne citer que deux artistes du passé, pourraient être eux aussi catalogués rétrospectivement dans l'art brut.
Ce dernier en vient à signifier un corpus incroyablement hétéroclite de créations tous azimuts (on y incorpore aussi les environnements de bords de routes faits par des autodidactes, secteur où la culture apparaît facteur de distinction marquée cependant entre créateurs, que l'on compare par exemple le facteur Cheval avec le Jardin des Tarots de Niki de Saint-Phalle). Ce corpus contient de plus en plus de véritables oeuvres se confrontant ouvertement au monde de l'art professionnel. L'adjonction, ces dernières années, de l'art produit par des handicapés mentaux, tels ceux venus de Belgique - issus d'ateliers supervisés par des animateurs dont la culture et le discernement artistiques ne paraissent pas compter pour du beurre... - cette adjonction paraît jouer à plein pour la fusion qui semble se préparer entre art brut et art professionnel. Le colloque sur l'art brut, que je citais au début de cette note, initié par le musée d'art moderne, d'art contemporain et d'art brut de Villeneuve-d'Ascq, a semblé vouloir avancer ce genre de proposition, même si cela n'affleurait qu'entre les lignes, au gré des interventions, elles-mêmes assez hétéroclites ( à l'image du champ actuel de l'art dit brut -de moins en moins "brut" du reste?) de plusieurs étudiants et chercheurs surgis ces dernières années dans le sillage d'un engouement nouveau dans le monde des nouvelles générations de chercheurs. Intégrées à un musée d'arts moderne et contemporain, les oeuvres d'art brut, que les intervenants du colloque disaient avec une hésitation perplexe produites tantôt par des "artistes" tantôt par des "créateurs" (montrant par là que la question de l'usage social de la création dans l'art brut n'est pas prise en compte véritablement par les chercheurs formés avant tout sur un plan esthétique), les oeuvres de l'art brut paraissent devoir être associables dans les prochaines années aux oeuvres des artistes professionnels classés dans l'histoire de l'art, sur le même rayon, en effaçant l'origine sociale, le contexte de production de ces oeuvres(1) (c'est dans ce sens qu'il fallait je crois interpréter les mots "d'avant-garde en moins?": l'art brut aurait pu être une autre avant-garde, une avant-garde oubliée en quelque sorte, selon les concepteurs du titre de ce colloque, idée pour le moins étrange et plutôt erronée). Il se passe peut-être en ce moment le même phénomène de vitrification esthétique, par rapport à l'art brut, que celui qui affecte les objets ethnologiques muséifiés dans un espace peu défini comme le musée du Quai Branly (le fait que ce dernier musée n'ait pas de qualification plus précise est déjà remarquable en soi).
(1) Je suis ici en accord avec ce que m'écrivait récemment en privé Mme Bénédicte Lefebvre, gardienne de la mémoire de l'autodidacte Jean Smilowski en tant que présidente de l'Association La Poterne à Lille, qui renâcle avec ses camarades de l'association à la perspective d'offrir toutes les productions de leur protégé à un musée qui ne prendrait pas en charge l'ensemble de cette oeuvre d'art total, véritable environnement. L'approche muséale, privilégiant des accrochages classiques d'oeuvres égrenées sur des cimaises, peut paraître en effet fort réductrice de ce point de vue et peu en accord avec le sens complet de ces créations brutes, déployées dans l'espace de la vie quotidienne, oeuvres indissolublement liées à des comportements marginaux, à des conduites de vie en rupture bien souvent avec l'environnement normalisé.
15:53 Publié dans Art Brut | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : art brut, une avant-garde en moins?, lubos plny, art des handicapés mentaux, abcd, christian berst | Imprimer
03/12/2009
Le jardin d'Emile Taugourdeau danse encore dans les ronces
Qu'est-ce que ça devient chez Emile Taugourdeau, le maçon disparu en 1989, qui avait laissé derrière lui dans son jardin des dizaines et des dizaines de statues naïves, brutes, immédiates, ce qui constituait un des environnements de statues naïves ou brutes parmi les plus importants de France? Vingt ans qu'il est décédé, et pas de commémoration pour lui (il n'aura pas eu la chance d'un Chomo par exemple, plus artiste sans doute et reconnu comme tel par ses pairs).
Il était en concurrence, au point de vue strictement quantitatif bien entendu, avec le jardin de Gabriel Albert à Nantillé en Charente-Maritime (on y a dénombré environ 400 statues, chez Taugourdeau, cela devait être approchant), lui aussi désormais en grand péril. On a parlé de lui autrefois (et abondamment, ce qui me justifie de venir en reparler aujourd'hui: Francis David le tout premier dans Les Bricoleurs de l'imaginaire, Jean-Louis Lanoux dans Plein Chant n°45, Taugourdeau étant alors encore de ce monde, puis après sa mort, dans ce fatras qu'était le Guide de la France Insolite de Claude Arz, etc.).
Un article dans un journal spécialisé dans la brocante, longtemps aprés la mort de l'auteur, eut paraît-il une influence néfaste, car à la suite de cette publication qui aurait fait trop de bruit, on vola certaines statues qui étaient sans surveillance (les statues que M. Taugourdeau exposait de l'autre côté de la route, en face de sa maison, les laissant avec confiance pour la récréation de tout un chacun qui passait sur ces petites routes charmantes de la Sarthe).
Le silence retomba. Certains familiers du site, continuant de lui rendre visite secrètement (à noter un article du modeste Zon'Art, vers 2003, si je me rappelle bien), familiers qui récupéraient au passage certaines pièces qui étaient à vendre (et ils faisaient bien, faute de mieux)... Personnellement, j'y étais passé en 1991, en compagnie de la photographe et artiste Marie-José Drogou, afin de fixer sur pellicule le plus possible d'oeuvres. J'y suis revenu longtemps après, en 2003, puis récemment donc en juillet 2009.
Chez Taugourdeau, il y a (il y avait) beaucoup d'animaux, des cervidés, mais aussi des crocodiles, des dinosaures, des serpents, des chiens, des chevaux, et énormément de volatiles. Et aussi des footballeurs lilliputiens (les équipes, les buts, rien n'était oublié, ça grouillait, il fallait faire attention de ne pas buter sur eux). Un Bernard Hinault (il est tombé par terre, c'est pas la faute à Voltaire, mais plutôt la tempête dernière). Une voiture ancienne avec passager et chauffeur (plus de poussière soulevée par ses roues, mais du lierre à la place qui grimpe vaillamment à l'assaut).
Des carrioles conduites par des hommes paraissant porter sombreros (la forêt, les ronces les ont-elles mangés? Je ne les ai pas revues à mon dernier passage en juillet dernier).
Taugourdeau paraissait aimer les personnages, principalement couverts de chapeaux. Les sombreros revenaient souvent, semblant indiquer une fascination du créateur pour les Mexicains (il avait représenté deux Mariachis, les guitares absentes de leurs mains à mon passage en 1991). Il y avait aussi, récurrents, des petits couples gentils, des couples de danseurs certes immobiles mais paraissant tourner sur eux-mêmes simultanément, des grenouilles cachées comme des larves dans des jardinières carrées montées sur pieds.
Des arbres de ciment - toujours le ciment - aux branches couvertes d'oiseaux. Des pêcheurs à la ligne, oui aussi en ciment, qui cherchaient à prendre des poissons eux-mêmes en ciment (c'était les premiers sujets que commença Taugourdeau après s'être essayé à un canard). Des mariés qui dansaient galamment sous les arbres. Des cigognes aux longs cous. Un phacochère. Une déesse Kali (du moins l'ai-je identifiée ainsi, on l'a appelée aussi "la magicienne") plutôt du genre souriante, des serpents sur les bras (elle est toujours là, à mon passage en juillet dernier, je lui ai remis sur les bras les serpents qu'un antiquaire indélicat avait jetés par terre, à ce que me confia Mme Taugourdeau). Un moulin avec son petit meunier (il avait le bras fendu, on l'a acheté, puis emmené à l'abri ailleurs, loin de cette jungle). Il y avait (oui, toujours l'imparfait) deux cavaliers sur deux chevaux qui avaient l'air de fendre les airs pour aller où? On en a vu filer un récemment encore, du côté de L'Isle-sur-la-Sorgue sur une brocante, à l'évidence échappé du jardin de M. Taugourdeau (voir ci-dessous le cavalier encore en place en 2003). Il est resté le second, une variante, avec de subtiles différences, de l'ordre de quelques centimètres de plus ou de moins (j'ai vérifié, il a les jambes plus longues, des étriers plus dégagés de la masse de ciment...)
Il y avait, surtout, plus oubliés encore que les statues, d'étonnants tableaux de ciment teint dans la masse, d'une très belle facture naïve. Dans le jardin, exposés à la merci des intempéries, leurs couleurs ravivées à chaque pluie.
Qu'ils étaient beaux, ces tableaux... Et que le coeur me fend de les imaginer perdus, brisés, cassés? Ici ou là, tassés parfois à plusieurs contre un mur de parpaings, petit à petit couverts de terres, de mousses, enserrés par des racines accrocheuses, on en redécouvre, en les feuilletant d'un bras qui les retient de tomber pendant que l'autre prend la photo.
D'autres disparaissent sous la couleur uniformément verdâtre qui glace l'ensemble de l'oeuvre encore en place (les statues ne sont pas fendues, résistant encore bien malgré vingt ans sans entretien à l'air libre depuis la mort de leur créateur).
Peut-être que certains ont été tout simplement vendus? Car c'est ce qui arrive, la famille laisse partir par petits bouts les oeuvres du jardin, tantôt chez des amateurs désireux de sauvegarder ces chefs-d'oeuvre naïfs, tantôt à des brocanteurs peu scrupuleux qui acquièrent à bon compte des jardinières en mosaïque, en renversant au passage les statues qui ne les intéressent pas, et qu'ils ne songent pas une minute à relever, l'affaire étant faite. C'est ainsi, il ne semble pas qu'aucune autre possibilité de sauver ce qui resterait encore à sauver puisse se mettre en place désormais. Il reste des écrits, des photos, peut-être des films, et quelques statues échappées chez les uns et les autres pour garder la mémoire de cette magnifique création.
Le jardin, encore visible un peu il y a cinq ans, un jour que nous le visitions après un nettoyage saisonnier, se couvre à d'autres moments d'une végétation qui semble partie pour le dévorer complètement. Le redécouvrira-t-on un jour comme on a découvert les temples mayas dans la jungle du Yucatan?
23/11/2009
Une exhumation: "L'Homme-Serpent" de Pierre Jaïn
« L'Homme-serpent »
Cet objet a été découvert lors des fouilles menées pendant l'été 2006 dans l'ancien jardin de Pierre Jaïn, à Keryoré sur la commune de Kerlaz dans le Finistère. C'est au cours de son récent nettoyage (août 2009), que la trouvaille a révélé sa véritable nature ; les petites traces laissées par des outils indiquent visiblement l'intervention du sculpteur ; ainsi, sur la face postérieure, à la perpendiculaire de la base du nez, deux marques de sciage sont nettement apparentes (Fig. 2).
Enfoui pendant près d'une quarantaine d'années - entre 1967, année du décès du sculpteur et 2006, année de son exhumation - l'objet est en assez bon état. Il s'agit du cartilage d'une corne de vache, demeuré à l'état brut ; à peu près en son milieu et à sa base, un trou de 2 cm de diamètre laisse deviner sa structure interne cloisonnée. A son extrémité, le petit bout de crâne subsistant représente la tête d'un personnage vu de profil (Fig. 3).
Le nez est long et recourbé ; par sa forme, selon le point de vue adopté, la bouche, peut paraître petite et fermée sur des lèvres fines ou alors, plus large et ouverte sur des petites excroissances comme des dents. La mâchoire est soulignée par la forme naturelle de l'os, la jonction du crâne et du cartilage se poursuivant sur toute la hauteur de la tête du personnage ; un trou perçant la cloison de l'os figure un œil à l'expression triste. Un clou en fer rouillé y est introduit, l'os ayant été exhumé dans cet état. Cet élément matériel mais aussi l'esthétique et la forme générale de cette petite sculpture viennent interroger son association possible avec les thèmes abordés par le sculpteur Jaïn dans l'environnement de son jardin.
L'os était enfoui à une faible profondeur, au pied d'un tertre de 1,50 m de hauteur élevé par Jaïn à proximité d'un jeune pommier au début des années 1960. Il y avait aménagé une niche abritant une sculpture en bois, toujours existante, figurant un homme nu et barbu portant un cache-sexe (Fig.4, ci-contre); la « Hutte d'Adam » était reliée par une chaîne à une autre composition, le « Baquet d'Eve ». Cette demi-barrique renversée, décorée de ciment incrusté d'objets divers, redécouverte en 2006, était le refuge d'une autre sculpture représentant une femme nue couchée (Fig. 5) inspirée de La Tentation d'Ève d'Autun, un bas-relief d'époque romane. L'ensemble de cet aménagement formait ainsi une évocation personnelle du paradis terrestre (Fig. 6).
L'os était-il fixé sur les montants en bois encadrant la « Hutte d'Adam », comme laisse présumer ce clou ? Probablement car une scène du film super 8 tourné par le Docteur Maunoury et son épouse en 1965 permet d'entrevoir un objet à la forme similaire aux abords de l'aménagement.
Simple conjecture, en observant cette œuvre singulière, il est possible d'imaginer que cette tête humaine et son appendice animal est une créature fantastique, une sorte de monstre hybride, mi-homme mi-serpent, marchant sur son ventre. Et comme cet « Homme-Serpent » semble exprimer ici un grand désarroi, comment ne pas voir en lui Nahash, le « Serpent » de la Genèse qui entraîne la chute d'Adam et Ève en les faisant goûter au fruit défendu ? La thématique religieuse et biblique est omniprésente dans l'œuvre de Jaïn, grand mystique aux interrogations millénaristes.
Par son matériau, cet objet n'est pas unique dans la création de Jaïn puisqu'il en réalisa environ une trentaine entre 1964 et 1966, alors qu'il souffrait en silence d'une psychose hallucinatoire chronique. La Collection de l'Art Brut conserve neuf os sculptés et colorés ; les héritiers de l'artiste en possèdent une douzaine dont une tête de personnage, également déterrée à Keryoré au début des années 1990 (Fig. 7). Sculptée à l'épiphyse d'un fémur, semblable aux pièces conservés à Lausanne (cf. notamment Pierre et Renée Maunoury, « Pierre Jain », in L'Art Brut, fascicule n° 10, p.92) elle est singulièrement expressive et, à l'inverse du sombre « Homme-Serpent », celle-ci détonne par son sourire farceur.
Benoît Jaïn
(Saint-Brieuc, 1er Novembre 2009)
Post-scriptum du sciapode: On ne s'étonnera pas de constater que ce farceur de Pierre Jaïn, ton grand-oncle, a choisi pour représenter ce "serpent" tentateur (proche d'un pommier dis-tu) un os à la forme phallique bien conquérante.
00:46 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Poésie naturelle ou de hasard, paréidolies | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pierre jaïn, art brut, poésie naturelle, benoît jaïn, pierre et renée maunoury | Imprimer
14/11/2009
André Breton, lettres à Aube
Gallimard vient de publier dans la collection blanche les "Lettres à Aube" qu'André Breton a envoyées des années 30 aux années 60 à sa fille. Cette publication est le signe avant-coureur de la correspondance plus générale du poète du surréalisme que l'on verra publiée, probablement en plusieurs volumes, tant elle s'annonce profuse et variée, à partir de 2016 (conformément à ses volontés testamentaires, qui ne s'appliquaient pas à la correspondance détenue par sa femme et sa fille). Tout amateur du surréalisme ne peut que s'en enchanter. Car la vie du poète fait partie d'un ensemble uni indissolublement à son oeuvre, à son message général face à la vie et à la société, à la philosophie du surréalisme qui comme on sait n'est pas un mouvement limité à une esthétique, qu'elle soit plastique ou littéraire. Breton vivait au sein d'un faisceau de signes, d'évènements, de rencontres (importance, incroyable peut-être aux yeux d'un contemporain, de la place prise par la sociabilité dans ce qui ressort de cette correspondance... Les amis, la famille aimée, l'amour, que le poète ne cesse de réclamer autour de lui) qu'il assemblait dans une recherche attentive à en dégager les significations merveilleuses latentes.
Pour ne se cantonner qu'aux allusions à des sujets qui nous occupent plus particulièrement sur ce blog, les rapports à l'art brut, à l'art naïf et l'art populaire, on trouvera dans cette correspondance quelques notations intéressantes.
Dans la lettre du 12 octobre 1948, Breton décrit à sa fille, alors âgée de treize ans, son projet d'Almanach de l'art brut (à noter qu'il ne fait aucune allusion à Dubuffet...): "Tu te demandes peut-être ce que ça peut être que l'art brut? Cela groupe tous les tableaux et objets que font quelquefois des gens qui ne sont pas artistes: par exemple un plombier-zingueur, un jardinier, un charcutier, un fou, etc. C'est extrêmement intéressant". "Des gens qui ne sont pas artistes", c'est à souligner, en ces temps où le terme d'artistes, appliqué aux créateurs de l'art brut, ne cesse plus d'être employé à tout va. En quatre lignes, ce père attentif à faire passer ce qu'il croit bon de faire apprécier à son enfant trouve les mots clairs et accessibles, résumant finalement assez bien le sujet pour un premier contact.
Il faut attendre une dizaine d'années plus tard pour trouver dans une lettre du 16 juillet 1958 une autre allusion cette fois à son intérêt pour l'art naïf. "J'attends l'arrivée, par les soins du camionneur, d'une vingtaine de tableaux naïfs que j'ai prélevés dans la soupente de l'atelier rue Fontaine et qui me semblent devoir ici [ dans sa maison de Saint-Cirq-Lapopie dans le Lot] égayer un peu tous les murs." On se demande à quoi pouvaient ressembler ces tableaux. Certains ont-ils fait partie de la vente Breton en 2003 à Drouot? Cela serait plausible, quand on se rappelle (et le catalogue de la vente par Calmels-Cohen aide à s'en souvenir) le nombre de tableaux naïfs que collectionnait Breton, par des peintres connus, Ferdinand Desnos, Hector Hippolyte, André Demonchy, Miguel Vivancos, par exemple, ou moins connus comme Alphonse Benquet, voire des peintres anonymes (le catalogue présente plusieurs oeuvres "d'auteurs non identifiés").
Breton s'est à maintes reprises passionné pour des autodidactes, comme son ouvrage Le surréalisme et la peinture le montre déjà abondamment. Une nouvelle preuve nous en est administrée à la page 121 de cette correspondance inédite (lettre du 11 septembre 1958 destinée à Aube et son mari Yves Elléouët). "Hier, avec Joyce et son mari, nous sommes allés voir ce vieux boulanger-sculpteur de Corbeil dont je crois vous avoir déjà parlé. J'ai ramené de lui un tableau ultra-naïf qui n'est pas sans charme." Eh bien, le "boulanger-sculpteur de Corbeil", ça ne vous rappelle rien, ô vous lecteurs fidèles et assidus de ce blog? Mais bon sang, c'est bien sûr, comme aurait dit le commissaire Bourrel, il s'agit là de Frédéric Séron une fois de plus! En 1958, tout le monde allait chez lui, Doisneau, J-H. Sainmont, Breton, Dumayet, Gilles Ehrmann, et même ce grand mondain frelaté qu'était Cocteau (qui avait acquis des sculptures de Séron pour sa propriété de Milly: toujours présentes?). J'aimerais bien savoir où est passée finalement ce "tableau ultra-naïf" que Breton eut la bonne idée de sauver en l'achetant... Est-ce un des tableaux étiquetés par Calmels-Cohen, "auteur non identifié", là encore (mais il ne semble pas, voir ci-dessous)? Wait and see... Qui dissipera le mystère? Pour en savoir plus sur les peintures que faisait Séron, à côté des statues qu'il avait mises dans son jardin, on se reportera au documentaire-interview de Pierre Dumayet mis en ligne sur le site de l'INA que j'ai déjà évoqué et mis en lien sur ce blog (voir ci-dessus, le nom Frédéric Séron). Deux tableaux y sont commentés, dont une "Chasse à courre" et une "Paix chez les animaux". Ultra-naïfs en effet... A noter cependant que les tableaux de Séron étaient signés à gauche en bas, selon ce que répond Séron lui-même à Dumayet dans l'interview. On devrait donc pouvoir facilement les identifier si on les retrouve...
Noël Californien
14:04 Publié dans Art Brut | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : californai christmas, galerie impaire, art des handicapés, art brut, creative growth center | Imprimer
10/11/2009
Info-miettes (6)
Art en Marge...
devient Art ET Marges. Cette association a poussé les murs semble-t-il et agrandi ses locaux, ce qui lui permet, annonce-t-elle sur son site internet modifié lui aussi, de présenter ses riches collections (2500 oeuvres réunies en 25 ans d'existence) dans "un confort muséal optimal". Mazette... Ils ouvriront leurs portes sur cet espace muséal tout neuf le 2 décembre 2009 prochain à 18h. Juste avant une année 2010 qui s'annonce comme une date inspirante pour beaucoup d'amateurs et d'animateurs férus d'art spontané en tous genres (Villeneuve-d'Ascq, Lausanne et sa Collection d'art brut qui fait des travaux de rénovation au Château de Beaulieu...). Comme si le XXIe siècle du triomphe de l'art brut et consorts commençait seulement en 2010. Pour marquer le coup, l'association a remanié aussi son nom, histoire de faire écho à leurs préoccupations plus récentes qui consistent à établir des confrontations entre artistes isolés, étrangers aux milieux professionnels de l'art, voire même des artistes très reconnus (Max Ernst), avec des personnes "psychologiquement fragiles", handicapées. Leur exposition de rentrée s'intitulera "Liaisons insolites".
Discographisme créatif...
Tel est le titre d'un livre paru aux éditions Bricolage /En Marge en octobre dernier qui m'a été signalé par Cosmo Helectra de l'émission Songs of praise (Aligre FM). Il s'agit d'une tentative de compilation de couvertures de vinyls sur lesquelles leurs propriétaires sont intervenus à divers titres et de diverses manières, dessins, peinture, collages, montages divers. Il semble que les pochettes en question aient été pour la plupart collectées dans les brocantes et autres disquaires alternatifs. Un art involontaire, fort désinvolte en tout cas, fait en s'amusant, non trop éloigné des dessins que l'on griffonne au téléphone ou pendant des cours casse-pieds.
Le livre est présenté dans différents endroits dont on trouvera les références sur le site indiqué en lien ci-dessus. Il est également diffusé à la librairie Bimbo Tower dans le passage Saint-Antoine, dans le XIe ardt à Paris.
LES ANGES DE LA PISTE...
est le titre d'un film de Remy Ricordeau que j'ai déjà eu l'occasion de citer ici. C'est une balade avec une troupe de jeunes artistes de cirque chinois qui se débattent contre le déclin de leur activité, la crise économique, les difficultés de survivre dans la Chine campagnarde contemporaine. Le véritable héros du film est le camion servant à transporter leurs vies et tout leur matériel, qu'ils poussent, réparent sans cesse, et qui est perpétuellement au bord de l'avarie définitive. Un mythe de Sisyphe revisité en somme... Ce long-métrage documentaire (76 min.) sort actuellement en DVD. Voir ce site pour les détails de toute commande éventuelle. A signaler qu'édité entre autres par L'Harmattan, le DVD devrait de ce fait être trouvable au comptoir de vente de DVD de cette maison d'édition que l'on trouve à côté de ses librairies, rue des Ecoles dans le 5e ardt à Paris.
01:23 Publié dans Art Brut, Art populaire contemporain, Art singulier, Cinéma et arts (notamment populaires), Confrontations | Lien permanent | Commentaires (4) | Imprimer
04/11/2009
Complaintes et messages de Jean-Marie M.
J'ai récemment parlé de Jean-Marie M., le creuseur de tunnels sauvage du Lot. Antoine Boutet a fait un extraordinaire film sur lui, Le Plein pays (intitulé comme cela par allusion à sa manière de chanter Le Plat pays de Jacques Brel). Une de mes surprises en voyant le film fut de découvrir les insoupçonnables talents de chanteur-psalmodieur de cet archéologue pulsionnel. Il fait corps avec la nature, au creux de laquelle, après tant d'années de compagnonnage intime, il a besoin de se nicher pour chanter ses drôles d'incantations. Se rencoignant dans certaines grottes creusées par lui à mains nues, et s'y recroquevillant comme foetus régressant. Du reste, le contenu de ses chansons qu'il improvise en utilisant une technique de répétition parle de procréation qu'il faut cesser, de trop plein de population, d'apocalypse à venir (cela dure depuis trente ans). Il faut selon lui que les hommes restent avec les hommes et les filles avec les filles, sans préciser plus avant ce qu'il compte leur proposer comme occupations.
Une autre découverte est le talent artistique quasi enfantin de Jean-Marie. Il apparaît en fait plus flagrant lorsqu'on va sur le site internet qu'Antoine Boutet a consacré aux "complaintes et messages" de ce vieil enfant sauvage du Lot. En toile de fond, on aperçoit en effet des dessins aux traits tremblés qui sont touchants. Des collages aussi, au milieu desquels, la tête rejetée, il pose comme abattu, tel un cadavre. Des petites peintures tendant vers la recherche pictographique. Le site, intitulé " Les complaintes de Jean-Marie", permet d'entendre en outre les fameux chants de l'auteur (le site en a choisi quatre), proches du cantique et de la psalmodie médiévale telle qu'on a l'habitude de l'entendre plutôt résonner au fond des cathédrales à l'acoustique réverbérante. On trouve aussi quelques fragments de vidéo et des photos (dont celles que je reproduis pour illustrer cette note).
Chaleureuse gratitude à Antoine Boutet qui nous a révélé l'existence de son site plutôt secret, du moins peu connu des amateurs "d'art brut", ou de land art spontané, d'environnements étranges, et de proclamations apocalyptiques. A noter que, selon ce qu'il nous a confié, Boutet a longtemps constitué sa culture musicale à l'écoute de l'émission "Songs of praise" dont un des animateurs intervient depuis quelque temps sur ce blog. Il n'y a décidément pas de hasard...! Cette émission aura donc sans doute aidé cet auditeur inspiré à rechercher puis finalement à nous fournir un exemple supplémentaire de ce que l'on peut peut-être appeler de la "musique brute". Je gage que cela te mette du baume au coeur, cher Cosmo Helectra...?
Sinon, pour ceux qui l'auraient raté à Montreuil récemment, à signaler d'autres occasions de voir le film d'Antoine Boutet, Le Plein pays:
Festival les Ecrans Documentaires à Arcueil dans le 94 (compétition internationale)
jeudi 29 octobre 2009 - 22h00
http://www.lesecransdocumentaires.org/2009/
Festival International du Film de Belfort (compétition internationale). Du 28 novembre au 6 décembre 2009
http://www.festival-entrevues.com/-2009-/films-competition2009.htm
Les Hivernales du documentaire à Nègrepelisse
samedi 14 novembre 2009
http://leshivernalesdudoc.free.fr
Mois du documentaire - Cinéma Jean Renoir à Martigues
samedi 28 novembre 2009 - 20h30
http://cinemajeanrenoir.blogspot.com
25/10/2009
Marcel Landreau n'est donc pas mort
Je ne tenterai pas en rédigeant cette note de m'attribuer un mérite qui revient de fait au blog Animula Vagula qui a su ces derniers jours ouvrir ses fenêtres à des nouvelles des statues de silex du "caillouteux" Marcel Landreau que l'on croyait définitivement perdues. Je voudrais seulement rediriger vers cette sympathique information les lecteurs qui n'y seraient pas déjà allés. Veuillez donc suivre le lien ci-dessus s'il vous plaît d'en apprendre davantage.
Deux personnes, nommées sur le blog cité en référence "Freddy et Cathy", ont donc sauvé de l'oubli un certain nombre de statues de Marcel Landreau qui végétaient dans un recoin perdu. Bien sûr on aimerait en apprendre plus, combien de statues, quand est-ce que Landreau avait déménagé de Mantes-La-Jolie (où il a créé son décor de statues de silex collées à l'Araldite de 1961 à 1990 environ...) pour les Deux-Sèvres, quand il est mort, ce que devinrent ses statues avant d'atterrir dans le recoin oublié, ce que comptent faire les deux conservateurs par la suite, pensent-ils à une conservation qui serait plus assurée dans une quelconque institution muséale, (Le futur LaM de Villeneuve-d'Ascq par exemple?), etc...
Animula avance en outre que l'on pouvait déduire le départ de Landreau pour les Deux-Sèvres à partir du chapitre que Clovis et Claude Prévost ont consacré à Landreau dans leur livre Les Bâtisseurs de l'imaginaire en 1990. Cela me paraît un peu gratuit comme affirmation. Rien dans ce chapitre ne me paraît de nature à autoriser une telle "déduction". Par contre, j'ai personnellement signalé oralement à divers interlocuteurs dans les années 90 (dont par exemple Laurent Danchin qui l'a répercuté dans certains de ses textes) que je me demandais si Landreau n'était pas retourné dans sa région d'origine, aprés que j'eus filmé en 1992 son jardin aux statues disparues (séquence que j'ai montée dans le petit sujet en Super 8 que j'ai consacré à Landreau et que j'ai joint à l'ensemble Les Jardins de l'art immédiat, voir Le petit dictionnaire Hors-Champ de l'art brut au cinéma). Le petit "musée" que signalent Claude et Clovis Prévost dans leur livre était installé dans le grenier de la maison de Mantes. Je l'ai personnellement visité en présence de Landreau en 1987.
La nouvelle de la pérennité d'un certain nombre de ces merveilles d'inventivité spontanée et populaire est une excellente nouvelle qui paraît prouver ce que me confia un jour Maugri, autre créateur autodidacte, paysan de la région de Brancion, à savoir que les oeuvres fortes se défendent toutes seules, comme douées d'une vie propre, protégées qu'elles sont par le talisman d'une magie liée à la fascination qu'elles exercent sur ceux qui les voient.
17/10/2009
Expo-parcours Jean Smilowski à Lille du 10 au 24 octobre
Voici que j'apprends qu'un parcours consacré à la mémoire du créateur inspiré Jean Smilowski se tient depuis le 10 octobre dans le Vieux-Lille, et ce jusqu'au 24. Pressez-vous, si vous avez la disponibilité pour aller chez nos amis lillois. Vous pourrez d'une pierre faire deux coups. Les déviants textiles (voir note du 16 octobre) et Smilowski.
Je ne tenterai pas aujourd'hui de dépeindre tout du long qui était ce curieux bonhomme, que je découvris il y a de nombreuses années dans une expo de l'Aracine en 1992, Art et Bricolage, à Neuilly-sur-Marne, et dont l'oeuvre a été conservée après sa mort (1989) par les fervents admirateurs de l'association La Poterne. Il vivait misérablement dans une sorte de cabane, qu'il appelait "Mon ranch", ou "Mon palais", au pied des fortifications du Vieux-Lille, qu'il avait décorée d'une fresque consacrée à Ramona et à Sitting-Bull (il avait un certain goût pour les Peaux-Rouges), fresque en bas relief que l'on peut admirer aujourd'hui dans l'entrée de la mairie du Vieux-Lille (charmante petite bâtisse). Plusieurs de ses oeuvres, sculptures, assemblages, malles peintes, sont conservées à la fois par l'association La Poterne qui les montre à l'occasion de dates anniversaires comme en ce moment, mais aussi par le musée d'art brut issu de la collection de l'Aracine qui se trouve désormais hébergé à Villeneuve-d'Ascq (une quarantaine d'oeuvres de Smilowski, selon La Poterne, est entrée en 1992 à l'Aracine). Vous aurez beaucoup plus de renseignements au sujet des lieux d'exposition actuels à Lille en cliquant sur le mot parcours.
Jean Smilowski, malle avec effigie de Ramona et maquette d'avion de chasse des années 1940, extraits d'un "coffret-cadeau" édité par l'association La Poterne vers 1993
00:05 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : jean smilowski, association la poterne, mairie du vieux-lille | Imprimer
16/10/2009
Sur le fil, déviances textiles à la Maison Folie de Wazemmes
Pascal Saumade et Barnabé Mons sont les deux commissaires de l'exposition "Sur le fil", sous-titré "déviances textiles" qui a débuté le 10 octobre dernier à la Maison Folie de Wazemmes, quartier au sud-ouest de Lille, connu pour ses Géants de carnaval. Cette Maison est une ancienne usine textile, lieu parfaitement adapté au projet de ces deux supporters de l'art modeste (Saumade collabore avec le MIAM de Sète) qui ont pris l'habitude depuis quelque temps de monter des expositions dans le Nord, notamment l'expo récente "Kitsch-Catch" qui évoquait l'univers du catch à travers l'imagerie populaire et l'art populaire contemporain, en particulier au Mexique. Peut-être cette recherche de proximité avec le Nord est-elle à mettre en relation avec le futur musée d'art brut et d'art moderne qui ouvrira l'année prochaine ses portes à Villeneuve-d'Ascq dans un bâtiment prolongé et rénové?
Ces déviants textiles (je préfère le sous-titre au titre, qui a vraiment trop servi ici et là, c'est vraiment la métaphore évidente dès qu'on parle de textile) sont constitués de créateurs hétéroclites (art populaire, art brut, art contemporain, art outsider), et tant mieux, ayant pour point commun de travailler des matériaux textiles. Un hommage est particulièrement dressé à celui qu'on classe généralement parmi les Naïfs contemporains, auteur de nombreuses "tapisseries", fresques brodées, patchworks de pièces de tissus, Jacques Trovic qui habite dans le Nord justement et qui est actif depuis les années 50. A côté de lui, l'association La Gamelle Publique (association à l'origine du projet) a "rassemblé plus de 50 artistes d'univers et de nationalités divers au sein d'un parcours labyrinthique".
Maison Folie Wazemmes. Expo du 10 octobre au 22 novembre 2009, ouverte du mercredi au samedi de 14h à 19h, dimanche de 10h à 19h, 70 rue des Sarrazins - 59000 Lille. T: + 33 (0)3 20 78 20 23
mfwazemmes@mairie-lille.fr
Accès : Métro Gambetta - Wazemmes (ligne 1) - Montebello (ligne 2)
00:51 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art populaire contemporain, Art populaire insolite, Confrontations | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art modeste, art populaire contemporain, jacques trovic, pascal saumade, sur le fil, maison folie de wazemmes, art naïf | Imprimer
08/10/2009
La Passerelle, foyer artistique à Cherbourg, la poésie souffle toujours où elle veut
Une jolie surprise m'est venue ces jours-ci de ma boîte e-mail. Un monsieur nommé Romuald Reutimann m'a donné un lien vers son blog, celui d'un foyer artistique pour déficients mentaux (c'est le terme qu'il utilise), la Passerelle, situé à Cherbourg, la ville des mythiques Parapluies dont on ne sait pas grand-chose à part ces sempiternels clichés pluvieux, ou ses homards à multipinces venus des environs de La Hague...
Or, c'est idiot de ne pas chercher à en savoir plus sur cette ville oubliée au bout du Cotentin, face à la mer qu'elle contemple, on le suppose, extasiée depuis des éternités. J'aurais bien envie de commencer par les usagers de cette Passerelle justement. Les oeuvres reproduites sur le blog (créé semble-t-il depuis peu, le mois d'août dernier?) sont fraîches, simples, inventives, et les commentaires qui les accompagnent sont au diapason, sans prétention aucune, ce qui nous change des proses et des poses artistiques habituelles.
Christine, sans titre, 2002
Yann, L'animal dans la personne, 2009
"Actuellement nous accueillons plus ou moins une vingtaine de participants divisés en deux groupes qui se réunissent les mardis et jeudis, après le travail, entre 17 et 19h. Nos moyens et notre espace de travail sont modestes mais l'enthousiasme et l'assiduité sont là..." (Romuald Reutimann)
Le travail se fait dans un appartement, sobrement mais aussi assez elliptiquement décrit, ce qui lui confère une aura de mystère. Les oeuvres montrées sur ce blog me séduisent passablement, me faisant désormais croire que vient de surgir en France un centre de création pour handicapés qui pourrait rivaliser avec les centres belges du type de la Pommeraie, ou du foyer Reine Fabiola à Neufvilles, ou encore avec ceux dont les oeuvres sont montrées de temps à autre chez Art en Marge à Bruxelles, ou dans le Mad-musée à Liège. En attendant, je ne peux faire moins que l'ajouter à ma liste de doux liens.
22:52 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Sur la Toile | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : la passerelle | Imprimer
04/10/2009
Art brut, les florilèges des Yeux Fertiles
La galerie Les Yeux Fertiles, connue pour ses expositions rue de Seine à Paris dans le 6e arrondissement (voir ce lien) qui sont généralement tournées du côté du surréalisme et des domaines avoisinants, présente une exposition d'art brut, intitulée "Florilèges de l'art brut" du 9 octobre au 28 novembre 2009.
ACM, Anselme Boix-Vives, Joseph-Fleury Crépin, Philippe Dereux, Domsic, Fischer, Eugène Gabritschevsky, Madge Gill, Chris Hipkiss, Emile Josome Hodinos, Horacek, Jakic, Kôczy, Simone Le Carré-Gallimard, Leonardini, Augustin Lesage, Sluiter, Schröder-Sonnenstern, Scottie Wilson, Gironella, Slavko Kopac, Michel Nedjar... Tels sont les noms des créateurs dont les oeuvres seront accrochées aux cimaises de cette petite galerie, qui déjà par le passé a organisé des expos sur cette catégorie d'art, à juste titre, si l'on constate la proximité d'inspiration entre l'art brut, sorte de surréalisme inconscient, et le mouvement historique qui revendique l'action et l'art surréalistes.
On notera que sont mêlés aux créateurs d'art brut au sens strict, des artistes plus délibérément "artistes", conscients de se confronter à l'histoire de l'art, comme Philippe Dereux, Slavko Kopac (immense artiste, collaborateur de Dubuffet dans la deuxième Compagnie de l'Art Brut, et simultanément ami des surréalistes: exploit qu'il fallait mener quand on sait la solide rivalité qui oposait Dubuffet au groupe surréaliste dans les années 50-60 de l'autre siècle), Chris Hipkiss, Michel Nedjar... Sans doute par souci de faire figurer dans cette présentation des oeuvres aux contenus en harmonie avec une inspiration qui fait la part belle à l'imagination par les sujets et le graphisme.
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01/10/2009
Le Plein Pays, documentaire d'Antoine Boutet sur Jean-Marie M., archéologue sauvage
Je n'avais plus de nouvelles de ce monsieur Jean-Marie M. depuis bien longtemps. Depuis que j'étais allé le voir en 1987 avec Gaston Mouly qui s'était gentiment chargé de faire le médiateur entre nous (j'ai tourné un petit film en Super 8 à cette occasion que j'ai intégré par la suite à l'ensemble de petits films d'amateur sur les environnements que j'ai intitulés Les Jardins de l'art immédiat). L'ami Joël Gayraud m'avait signalé un article de Walter Lewino paru en 1984 dans Le Nouvel Observateur qui évoquait cette présence peu commune dans une forêt du Lot (article Le Malthusien des Bruyères).
Jean-Marie creusait le sol, effectuant un travail colossal à mains nues au début, puis, après s'être perfectionné côté outillage et engins, avec plus de moyens, élargissant ses tunnels, ses puits, ses crevasses dans l'espoir de découvrir une civilisation préhistorique sous son terrain. On était dans une région de grottes célèbres, Pech-Merle, Cabrerets... Le Périgord aussi n'était pas très loin.
Il fouillait la terre comme une taupe humaine, acharné de façon hyperbolique, creusant sans cesse comme à la poursuite du secret des origines. Qui n'étaient à chercher nulle part ailleurs, bien sûr, qu'au sein de la terre-mère. Il vivait seul avec sa mère sur ce territoire qu'il perçait de galeries. Il interdisait qu'on aille vers sa maison qu'on devinait par delà deux pyramides de pierres, où vivait la génitrice protégée comme une idole. Il interdisait aussi qu'on emmène de la terre de son fief sous les semelles de nos chaussures. Il nous épousseta bien soigneusement, Gaston et moi, avant que nous ayons eu le temps de franchir la limite de la propriété.
Je ne suis pas descendu dans les galeries et les salles creusées dans la terre rouge quand je vins chez lui, tellement cela me paraissait périlleux en l'absence de lumière et sans plus d'information. Le sculpteur Ipoustéguy qui a visité en 84 le site avec Walter Lewino avait été plus téméraire, il descendit au fond, se frottant aux parois de terre rouge, rapportant que l'on voyait quelques gravures de Jean-Marie à certains angles. Sur le terrain lui-même, il y avait peu d'interventions "artistiques". Sur les pyramides évoquées ci-dessus (des cairns améliorés), on pouvait apercevoir quelques grossières incisions, tentant d'imiter les gravures rupestres du Val Camonica en Italie ou de la Vallée des Merveilles dans les Alpes françaises. Interrogé par nous sur ce qu'il avait réussi à mettre au jour jusqu'alors (1987, je le répète), il s'était embrouillé, avait seulement soulevé une bâche pour nous montrer une belle améthyste, qui consistait à ce que nous crûmes comprendre en son unique trouvaille de quelque valeur... Peut-être était-ce avant tout sa quête qui le faisait vivre, et peu importait la fin.
A suivre l'article de Walter Lewino, J-M en 1984 avait un message écologique et démographique à faire passer au monde (ce qui le range aussi du côté des "fous littéraires"). Selon lui, la Terre étant bien trop peuplée, il fallait réduire d'urgence la population en cessant de procréer (sa théorie était peu claire, il militait pour une "extinction de l'espèce humaine", ce qui est nettement plus radical qu'une simple diminution démographique ; de plus il en voulait à son père de lui avoir donné le jour, il prédisait l'arrivée des extra-terrestres qui retrouveraient ses vestiges et en feraient un palais merveilleux ; au fond, il proclamait son désir de n'avoir jamais existé). Il avait confié à Lewino un message à publier dans les média, ce que ce dernier fit (voir ci-dessous).
Texte dicté à sa mère par J-M, photos de l'article de Walter Lewino, Le nouvel Observateur, 8-6-1984
Je commençai d'écrire quelque texte à son sujet, que je finis par délaisser, n'ayant que peu de tribunes à ma disposition, puis je me mis à en parler autour de moi, le cas était tout à fait intriguant, j'attendais une occasion, et je me demandais comment en parler adéquatement... J'étais impressionné aussi par l'impact que pourrait avoir la révélation de cette existence sur un public plus large. Des articles parurent cependant ici et là, par exemple dans le magazine Dire Lot qui ne cacha pas le nom de Jean-Marie, si je me souviens bien, ou dans Gazogène également à qui je l'avais signalé (revue éditée à Cahors). Dans ce dernier bulletin, vers 2000, il fut fait état d'une nouvelle fantastique, la mère de Jean-Marie étant décédée, et ayant été enterrée au cimetière, loin de leur terrain sacro-saint, celui-ci n'avait pu le supporter et était parti la déterrer (toujours cette quête du souterrain), pour l'exhumer et la ramener chez lui. Cela ressemble au comportement de l'auteur du fameux plancher de Jeannot dont j'ai déjà parlé ici. Jean-Marie, avais-je alors appris, avait pu regagner son domicile après quelques démêlés avec les autorités. Depuis je n'avais plus de nouvelles.
Et voilà que j'apprends qu'on a fait un film avec lui, où son nom - à juste titre peut-être - n'est pas prononcé. Seul son prénom apparaît dans les dossiers de presse qu'on m'a communiqués (grand merci à Remy Ricordeau pour cette information précieuse). L'auteur du documentaire est Antoine Boutet. Le film, daté de 2009, est un moyen-métrage de 56 minutes. Son titre: Le plein pays. Il sera projeté dans la région parisienne incessamment (c'est l'avant-première). Rendez-vous le mercredi 7 octobre à 21h au cinéma Le Méliès à Montreuil. Je ne sais pas vous, mais moi, j'y serai. Voici le résumé tel que je l'ai trouvé sur le site des "Rencontres cinématographiques autour du documentaire" qui se tiennent du 6 au octobre à Montreuil:
"Robinson au milieu d'une forêt française, avec pour seuls compagnons une radio et un magnétophone : l'homme que filme Antoine Boutet est un solitaire, un homme qu'on pourrait dire « des bois » ou « des grottes », tant il fait corps avec ces lieux secrets. Il les sculpte et les manipule, les chamboule et les creuse. Dans un même mouvement, du plus profond de lui, éclôt sa voix, ses mythes et bientôt, par bribes, son histoire."
C'est le genre de film à rapprocher de celui qu'ont fait les animateurs du blog "Playboy communiste" sur le "griffonneur de Rouen", Alain R. Voir dans ma note ancienne ce que j'en avais dit. Ainsi que le lien vers leur blog dans ma colonne consacrée aux liens.
24/09/2009
La Vie de l'abbé Fouré, par Noguette (1919)
Il y a 90 ans cette année, soit donc en 1919, paraissait la première biographie consacrée à l'Ermite de Rothéneuf, l'abbé Adolphe-Julien Fouré, connu pour avoir sculpté non seulement les rochers de la côte, sur le site de la Haie, dans le bourg de Rothéneuf, mais aussi toute une série de statues en bois étonnantes qu'il montrait dans le village même, dans l'enceinte de son Ermitage.
Pour fêter en quelque sorte cet anniversaire, j'ai décidé de publier ici le texte de cette courte biographie, ce que personne n'a eu l'idée de faire depuis sa première édition. Seuls quelques fragments ont paru en de brefs extraits ici ou là. Elle est due à un écrivain régionaliste breton, spécialiste de la Côte d'Emeraude du début XXe siècle, Eugène Herpin, qui signait du pseudonyme de "Noguette".
La Vie de l'Ermite de Rothéneuf
(L'Abbé Fouré)
I
L'abbé Fouré - qu'on appelait l'ermite de Rothéneuf - naquit à Saint-Thual, canton de Tinténiac, le 7 mars 1839 (1). Guillaume, son grand-père paternel, était fermier-général d'Etienne-Auguste Baude de la Vieuville, marquis de Châteauneuf, guillotiné à l'âge de quatre-vingt-deux ans, sur la place du Champ-de-Mars, à Rennes, le 4 mai 1793.
Ce Guillaume avait épousé Françoise Laisné, de Dol, dont le frère François-Henri, entré dans les Ordres, était économe au Séminaire de cette ville à l'époque de la Révolution, et émigra à Jersey, où il mourut le 3 mai 1795.
Du mariage de Guillaume Fouré, avec Françoise Laisné, naquirent deux enfants, Adolphe et Albert, qui furent élevés par leur oncle.
Adolphe devint le domestique de Mgr Urbain René de Hercé, dernier évêque de Dol, et passa avec lui en Angleterre, à l'époque des mauvais jours. Son frère Albert le suivit.
Revenu en France, après deux années d'exil, il se fixa à Saint-Thual. En 1796, il fut nommé maire de cette commune et en devint le bienfaiteur.
Mgr Urbain de Hercé ayant été nommé grand-aumônier de l'armée catholique et royale, par le pape Pie VI, son fidèle serviteur Adolphe l'accompagna dans la malheureuse expédition de Quiberon, et fut fusillé avec son maître, sur la Garenne, à Vannes, le 29 juillet 1795.
Un grand-oncle maternel de notre bon ermite, Jean Astruc, de Saint-Solen, était patron de barque. Ce fut lui qui, à la descente de Quiberon, conduisait le bateau où se trouvaient le général de Sombreuil et le comte Bozon de Périgord, son officier d'ordonnance. Une balle frappa Jean Astruc, en plein cœur, au moment où il allait aborder le rivage, et son sang éclaboussa l'uniforme de ses illustres passagers. On le voit, l'Abbé Fouré avait du sang de chouan dans les veines (2).
Son enfance, bercée des souvenirs de la Révolution, s'écoula au milieu des landes paisibles de Saint-Thual: c'est là que naquit, dans son âme de paysan breton, le goût de la solitude et de la rêverie. Le recteur de la paroisse, ayant remarqué sa piété, lui enseigna les premières notions de latin. Adolescent, il fut envoyé au Petit-Séminaire de Saint-Méen, d'où il entra au Grand-Séminaire de Rennes. Ordonné prêtre, en 1863, il exerça d'abord son ministère sacerdotal, comme vicaire dans différentes paroisses du diocèse. Alors, il fut nommé recteur de Paimpont.
De cette période de sa vie, il conserva un inaltérable souvenir. Grand pêcheur, ainsi qu'intrépide chasseur, épris de la vie contemplative, il adorait sa chère paroisse, dont le clocher se mire dans l'étang, sur lequel glissent, dans leurs robes de brouillard, les mystérieuses « dames blanches ». Il aimait s'égarer dans les mystères de cette étrange forêt de Brocéliande, où les légendes, dit le folkloriste, sont nombreuses autant que les feuillages. Ce fut, dans le domaine de Merlin l'Enchanteur, de la fée Vivianne et du Val-sans-Retour, dans ce paradis breton des fées, des chevaliers de la Table Ronde, du roi Arthur... que le futur sculpteur de Rothéneuf trouva sa tournure d'esprit et l'inspiration de ses œuvres futures.
Lorsque l'abbé Fouré était recteur de Paimpont, les forges, aujourd'hui endormies, étaient en pleine activité. Elles étaient la richesse, l'animation et la gloire de la paroisse. Dans le cours de l'année 1866, le bruit se répandit, dans le bourg, qu'elles allaient être fermées. Les princes d'Orléans, retirés à Londres, étaient alors les propriétaires, tant de la forêt que des hauts-fourneaux. A cette nouvelle, le bon recteur partit pour l'Angleterre. Auprès des princes, il plaida, avec toute son âme, la cause de ses paroissiens et de leurs hauts-fourneaux. Il perdit son procès: la décision était irrévocable. Le cœur désolé, il revint auprès de ses ouailles. Peu de temps, après, il fut nommé recteur de la paroisse de Retiers, et ensuite de celle de Langouet, canton de Hédé.
Cependant, la vieillesse venait. Le bon recteur était devenu sourd. Puis ce fut une paralysie de la langue. Il fallait songer à la retraite: où aller ? Il demanda conseil au recteur de Rothéneuf. Celui-ci lui décrivit sa paroisse, bornée par la mer et des rochers sauvages. L'abbé Fouré donna sa démission de recteur, et vint à Rothéneuf, où il loua un petit logement. C'était en octobre 1893 (3).
II
Désormais, ce ne sera plus la vision de la légendaire Brocéliande, ou de la verdoyante et paisible campagne de Langouet ; ce sera la vision de la mer qui charmera, seule, l'âme rêveuse du vieux prêtre breton.
Quelle émotion! Quand, pour la première fois, par un de ces prestigieux couchers de soleil, qui sont un des charmes de la Côte d'Emeraude, il contempla I'admirable site que domine la pointe de La Haie. Tout près, l'île Bénétin tenant, dans ses tenailles de granit, l'émouvant squelette d'une goélette naufragée. Plus loin, à gauche, découpant leurs silhouettes aux tons mauves, dans les teintes orangées du couchant, le Grand et le Petit-Chevret. Au premier plan, le Gouffre, dont les roches noires prolongent, jusqu'à la mer, leurs béantes excavations.
Et, le soir tombant, il remarqua que les rochers, à mesure qu'ils s'estompaient, prenaient des formes étranges. Celui-ci devenait un monstre fabuleux ; cet autre, un reptile fantastique. Dans ses courses, au fond des bois et des chemins creux, il avait fait déjà la même observation, se plaisant à deviner tout un monde mystérieux, dans les silhouettes des arbres et les replis de leurs séculaires racines, se tordant, comme des couleuvres, sur le revers des fossés. Profiter des contours du rocher et des sinuosités d'une branche, ou donner le coup de pouce pour faire naître, du granit ou du chêne, l'œuvre ébauchée par la nature : tel fut le système de l'ermite de Rothéneuf.
Ce fut, pour occuper sa solitude et son désoeuvrement, qu'il se mit au travail, fouillant, de son ciseau, le roc et le granit. Jamais il n'avait eu ni leçons ni conseils, et ses instruments étaient rudimentaires.
Voici les Rochers sculptés. Les sujets se pressent, se tassent, se bousculent. C'est là, aspergé par les embruns et secoué par les vagues, un art primitif, étrange, qui rappelle les grimaçantes silhouettes des gargouilles moyenâgeuses. Dominant le tout, un haut calvaire qui bénit cet étonnant musée de pierre.
Non loin de ce musée de pierre, signalons tout spécialement la fontaine Jacques-Cartier, située au bout du chemin vicinal, à l'endroit appelé « les Bas-Chemins ». A cette fontaine, qui est intarissable, Jacques Cartier, raconte la tradition populaire, fut puiser sa provision d'eau, à la veille de partir, sur la Grande-Hermine, à la découverte du Canada.
L'ermite aimait se reposer au pied de cette fontaine, dont il sculpta la pierre, avec un attrait tout particulier.
Mais, visitons surtout l'ermitage. Au-dessus du mur crénelé qui lui sert de clôture, émergent des têtes grimaçantes et naïves, qu'animent des yeux verdâtres, des bouches béantes et des coiffures aux rutilantes couleurs. Elles semblent regarder ironiquement le visiteur. Elles se nomment: Enguerrand de Val, Pia de Kerlamar, Marc de Langrais, Yvonne du Minihic, Perrine des Falaises, Adolphe de la Haye, Cyr de Hindlé, Jeanne de Lavarde, Karl de la Ville-au-Roux, Gilette du Havre et Benoît de la Roche.
A l'intérieur, l'établi rudimentaire sur lequel les racines de chêne se transformaient en serpents, en hiboux et en dragons. Sur cet établi, son dernier travail demeure inachevé. Voici son beau portrait, grandeur nature. Voici le banc sur lequel il peignait ses oeuvres, et le fauteuil, orné de devises, sur lequel, tant de fois, il s'est assis pour donner, gracieusement, des milliers et des milliers d'autographes à ses innombrables visiteurs.
Je ne puis, évidemment, décrire toutes les œuvres de l'ermite, soit rangées dans des galeries, par les soins du propriétaire de ce curieux musée, soit groupées dans le jardin et dans les différentes pièces de la jolie gentilhommière.
Signalons, toutefois, M. et Mme de Rothéneuf. Le mari est un marin et sa « payse », avec la coiffe d'autrefois, tient un perroquet que son « homme » lui a rapporté des îles. Egalement, le groupe qui représente les Nations au pied de la Vierge, le Chasseur indien et Ranavalo qui, juchée sur un monstre, traverse une rivière à la nage. Une mention toute spéciale à ces troncs de chêne que le ciseau de l'ermite transforma en Gargantua. Des fleurs nombreuses, des têtes sans fin complètent cette œuvre curieuse dont, à différentes reprises, l'ermite refusa des sommes importantes,
Oh ! Il n'était pas intéressé, le bon ermite. A l'entrée de son musée, il y avait un tronc. Donnait qui voulait ! Et, si la recette, à la fin de la saison, dépassait, ses modestes besoins, il en donnait le surplus aux pauvres.
L'ermite avait un curieux album, sur lequel étaient les autographes les plus variés. J'en ai détaché ces deux strophes :
Ici, l'art, à son tour, embellit la nature,
A ces différents blocs, le ciseau d'un sculpteur
Habile a su donner des traits, une figure,
Voici des cavaliers ; plus loin, un enchanteur.
Dragons ailés, serpents, fantastiques chimères,
Des monstres effrayants, des êtres fabuleux
Invoquant, du passé, légendes et mystères,
Des héros et des saints apparaissent à nos yeux.
Ayant, pendant vingt années, sculpté le bois et le granit, et, avec son art primitif, fait la fortune de Rothéneuf, l'abbé Fouré - le dernier des ermites de France - mourut pieusement dans sa petite gentilhommière, au milieu de ses statues de chêne. C'était le 10 février 1910.
Le 29 juillet suivant, des amis firent apposer sur sa maison une plaque commémorative portant, en lettres d'or, cette inscription :
"HOMMAGE A L'ABBÉ ADOLPHE FOURÉ
L'Ermite de Rothéneuf
Né à Saint- Thual (I.-et-V.) le 7 mars 1839 (4)
Décédé, dans cette demeure, le 10 février 1910.
En sculptant, il se fit le bienfaiteur de ce pays."
Deux jours après la pose de cette pierre, avait lieu la vente aux enchères des curieuses sculptures. M. Galland, propriétaire de la maison, eut l'heureuse idée d'en acheter le plus grand nombre. En sa faveur, notamment, furent adjugées, en bloc, toutes celles qui remplissaient le jardin. Ainsi, l'œuvre de l'abbé Fouré a pu être conservée, et elle attire toujours l'attention du touriste qui ne va pas visiter Rothéneuf, sans aller voir, « le Musée de l'Ermite » (5).
NOGUETTE
(Imprimerie Bazin, 1919, Saint-Malo)
1. Cette date ne correspond pas à celle de l'acte de naissance. Voir ci-dessous.
2. On notera que Noguette oublie de nous indiquer clairement qui étaient les parents de l'abbé. L'acte de naissance publié par Frédéric Altmann en 1985 (voir ci-dessous pour les références exactes de son ouvrage) les identifie sous les noms de François Fouéré et Anne Redouté. La graphie "Fouéré" n'apparaît que dans les actes d'état-civil. L'abbé signait les cartes postales représentant ses rochers d'un autographe indiquant "l'abbé Fouré". Je garde personnellement cette graphie conforme aux usages de l'abbé.
3. On a ici la date exacte de l'arrivée de l'abbé à Rothéneuf, et par conséquent la date du début de ses travaux aussi.
4. Cette date ne correspond pas à celle qui est apposée sur l'acte de naissance de l'abbé, à savoir le 4 septembre 1839. Acte qui a été republié dans Frédéric Altmann, L'Ermite de Rothéneuf, le sculpteur des rochers de Rothéneuf, 1839-1910, AM, Nice,1985.
5. Hélas, ce musée a disparu aujourd'hui, sans qu'on sache précisément à quelle date. Les rumeurs parlent d'une destruction intervenue pendant la guerre, période pendant laquelle les populations civiles qui habitaient Rothéneuf furent évacuées. Les seuls objets sculptés qui réapparaissent au gré des expositions en galeries (par exemple à la Galerie de Messine à Paris, ou à la galerie de l'association ABCD à Montreuil) sont des meubles, tabernacle, commode ou bois de lit. Ce qui paraît logique lorsqu'on sait qu'à la vente aux enchères des biens de l'abbé ce furent surtout des meubles qui partirent de l'ermitage. On acheta utile à cette époque. Les sculptures étaient sans doute soit moquées soit réservées au propriétaire de l'Ermitage qui en racheta effectivement la majorité. Cela causa paradoxalement leur perte, puisqu'elles disparurent avec l'ermitage censé les protéger.
00:05 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : abbé fouré, noguette, rochers sculptés de rothéneuf, environnements spontanés, art brut | Imprimer
22/09/2009
Aux racines de l'Aracine, expo d'art brut à l'INHA
La dernière exposition d'art brut concoctée avec la collaboration de Madeleine Lommel ouvre ses portes au public à partir du jeudi 24 septembre prochain. Cela se tient dans les locaux flambant neuf de l'INHA (Institut National d'Histoire de l'Art, établissement, ou département paraissant dépendre de la Bibliothèque Nationale) qui se situent dans la galerie Colbert (dans la salle Roberto Longhi exactement) à Paris, ce passage rejoignant à une de ses extrémités la galerie Vivienne, vous savez, cette galerie si charmante aujourd'hui infiniment plus distinguée et classieuse (trop même) que du temps où Huguette Spengler, artiste excentrique, y tenait une boutique aux vitrines bizarres toujours envahies d'un décor se réclamant d'un climat fantastico-baroque (qui se souvient encore de cette boutique? Et même Huguette Spengler, je ne sais si je ne me trompe pas de nom... Il m'est revenu à l'heure d'écrire ces lignes, fantôme hantant la mémoire de ces passages si parisiens).
"Les Chemins de l'art brut VIII", c'est le titre de cette manifestation hors-les-murs organisée par le musée d'art moderne de Villeneuve-d'Ascq. Elle se veut, semble-t-il, l'occasion de récapituler l'histoire de la collection d'art brut de l'Aracine qui fut longtemps animée, principalement, par Madeleine Lommel, Claire Teller et Michel Nedjar (avec beaucoup d'autres prêtant une aide ou des concours ponctuels et discrets). Un film de Claude et Clovis Prévost devrait être au rendez-vous de l'expo, diffusé sur des postes le long du parcours, faisant témoigner les principaux fondateurs de cette association qui, dotée de faibles moyens, et composée de gens simples, eut cependant le talent de faire entrer sa collection d'art brut dans un musée d'état français en l'espace de seulement vingt ans. Joli tour de force tout de même...
On sait que cette association, au nom ressemblant à un mot-valise (art-racine, mais aussi simultanément art privé de racines ; peut-être au fond voulait-on parler d'un art avec d'autres racines? Car je crois pour en avoir souvent causé avec elle que c'était plutôt ce sens que défendait Madeleine Lommel), cette association s'est constituée aprés l'exposition des Singuliers de l'art du musée d'art moderne de la Ville de Paris en 1978. Et surtout aussi par suite du départ de la collection d'art brut de Jean Dubuffet pour la Suisse.
La première exposition d'ensemble, "Jardins barbares", eut lieu en 1982 à la Maison de la culture d'Aulnay-sous-Bois dans le 93, où elle fut accompagnée d'une série de projections sur différents créateurs (le mince dépliant qui accompagna l'expo n'a pas gardé trace des documentaires projetés). Je me souviens que Marcel Landreau, dont certains assemblages avaient été prêtés pour l'expo, était présent dans l'auditorium, ainsi que d'autres créateurs de l'art brut. C'était d'ailleurs un des aspects sympathiques des expositions que montait l'Aracine, on pouvait croiser les créateurs qui n'avaient aucune espèce de gloire autre que d'estime au sein d'un cercle restreint de passionnés qui restaient peu nombreux, et discuter avec eux (c'est ainsi que je devins l'ami de certains d'entre eux, comme Gaston Mouly ou Maugri). Il n'y avait pas encore de marché de l'art brut, ni aucune sacralisation.
Voici les noms de ceux dont on devrait retrouver les travaux au cours de cette exposition:
Aloïse Corbaz, Benjamin Bonjour, Paul Engrand, Auguste Forestier, Georgine Hu, Aimable Jayet, Jules Leclercq, Raphaël Lonné, Dwight Mackintosh, Jean Pous, Guillaume Pujolle, Émile Ratier, Hélène Reimann, André Robillard, Scottie Wilson, Louise Tournay, Pépé Vignes, Josué Virgili, Théo Wiesen, Carlo Zinelli... Certes, des personnages déjà bien connus du petit monde des amateurs d'art brut, souvent exposés par le passé noamment dans le cadre des expos initiées par l'Aracine, mais qui trouvent en cette occasion une éclatante reconnaissance de la part de l'establishment artistique français. On ne peut en effet s'empêcher de constater le contraste qui s'établit entre l'écrin luxueux de la galerie Colbert et les Peaux d'Anes (ou d'Ours) de l'art brut. Il y a de la revanche dans l'air.
En lien avec l'exposition, le colloque Une avant-garde en moins ? se tiendra à l'Institut national d'histoire de l'art les lundi 7 et mardi 8 décembre 2009. Ce colloque se propose entre autres questions de débattre de la question de l'intégration de la notion d'art brut à l'histoire de l'art et à l'histoire du goût. La place de l'art brut dans l'art moderne. Suggérons aux organisateurs de ce colloque de se pencher plus généralement sur les relations qui existent entre le corpus des arts populaires dans leur ensemble et celui de l'art moderne.
INSTITUT NATIONAL D'HISTOIRE DE L'ART
GALERIE COLBERT, SALLE ROBERTO LONGHI
6 RUE DES PETITS CHAMPS, 75002 PARIS
WWW.INHA.FR
LES 7 ET 8 DÉCEMBRE, DE 9 H À 10 H 30 ET DE 14 H 30 À 18 H
ENTRÉE LIBRE SUR INSCRIPTION
T. : +33 (0)1 47 03 89 00 / 86 04
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18/09/2009
Un monde modeste, film sur Arte
Le dimanche 27 septembre à 23h25 sur Arte, sera diffusé le documentaire de Stéphane Sinde, écrit avec Bernard Tournois, réalisé cette année, "Un monde modeste" (52 min).
Consacré essentiellement à l'art modeste - ce concept voulu indélimité et forgé par Hervé Di Rosa, traitant d'un champ de l'art particulièrement vivant et souvent poétique, grosso modo l'art populaire manufacturé, le monde des collectionneurs de bibelots, objets et images publicitaires, le kitsch, etc. - ce film permet d'apercevoir (vite, car l'esthétique du film a fort à voir avec le clip) Guy Brunet dans son décor, Joseph Donadello, Bernard Belluc et ses installations compulsives, Alfredo Vilchis, l'habitant-paysagiste populaire Yves Floch, "l'Organugamme" de Danielle Jacqui, ainsi que divers médiateurs, Hervé Di Rosa, Bernard Stiegler, et Pascal Saumade (récent commissaire de l'exposition "Kitsch-Catch", qui après une première installation à Lille, s'est déplacée ensuite début 2009 au Musée International des Arts Modestes à Sète, musée dont on voit quelques images fugitives dans le film).
Ce film, que nous avons vu en projection pour la presse (le P.S. ne recule devant rien pour satisfaire ses lecteurs), disons-le tout de suite, ne sert peut-être pas bien la cause de l'art dit modeste. Et encore moins celle des créateurs populaires qu'il nous laisse par bribes superficielles entrapercevoir. Le montage rapide, amusant au début, cherchant à créer l'illusion de la modernité (qui est aujourd'hui assimilée dans une large frange du cinéma documentaire à la vitesse, à l'épate par l'étourdissement, plutôt qu'au temps laissé à la réflexion), devient vite agaçant. Certains créateurs semblent même présentés pour amuser la galerie (Guy Brunet est montré en train de faire un film à partir de ses silhouettes naïves, faisant parler des effigies de cartons comme des marionnettes, le public rigole de tant de naïveté...). On amalgame les plus inspirés (Brunet, Donadello, Floch, Vilchis, Belluc) avec des histrions a priori légèrement hystériques et incohérents (Michel "El coyote" Giroud).
De temps à autre des fragments surnagent. Le philosophe Bernard Stiegler (qui sort un livre chez Galilée ces temps-ci) insiste sur l'esprit de résistance à la pensée unique qui se manifeste chez les créateurs autodidactes, ainsi que sur la collectionnite qui caractériserait les travaux et autres objets réunis dans l'art modeste. Un artiste péruvien parle de cette nouvelle forme d'art qu'il pratique - et qui pourrait s'appliquer aussi à l'entreprise de Bernard Belluc - "le collage-archivage". Mais son interview, là comme ailleurs, passe à la vitesse du TGV, on a à peine le temps de le remarquer encore moins de s'en souvenir... Di Rosa, pourtant à l'origine le fondateur du concept d'art modeste, est à peine interrogé. Pascal Saumade, excellent dénicheur de talents populaires contemporains (ex-votos mexicains, imagerie du catch, affiches et portraits naïfs de Guy Brunet, posters faits main pour la publicité de films ghanéens de série Z), fait des apparitions fantomatiques.
Le film n'est qu'un tourbillon de couleurs et de fragments de phrases qui laisse l'amateur de ces formes d'art profondément sur sa faim. Pourtant le concept d'art modeste mériterait mieux, une collection de petits films (posés) sur chacun de ses domaines. On pourrait pousser plus loin l'interrogation à propos de ses diverses sous-catégories. L'art brut est-il un sous-ensemble de l'art modeste? Le terme de "modeste" n'est-il pas dépréciatif pour des Donadello, des Floch, des Guy Brunet, des Alfred Vilchis? Danielle Jacqui à un moment du film a le mérite d'avoir repéré le bât qui blesse, elle le clame avec netteté: "Je ne suis pas modeste, je fais l'Organugamme"... Jacqui pas modeste, ça, on peut dire qu'elle parle d'or. Il est du reste passablement paradoxal que le Musée des Arts modestes lui ait précisément proposé à elle d'exposer son projet en cours, le Colossal d'Art Brut, initialement projeté pour décorer la façade de la gare d'Aubagne (voir son blog en cliquant sur le lien à son nom).
On aurait pu, surtout, laisser parler les créateurs populaires, et laisser de côté les spécialistes de la pensée, si intéressants soient-ils. Mais peut-être veut-on voir le populo sous un oripeau décidément trop modeste?
18:39 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art populaire contemporain, Cinéma et arts (notamment populaires), Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : art modeste, miam, pascal saumade, hervé dir rosa, stéphane sinde, joseph donadello, bernard belluc, guy brunet, environnements spontanés, ex-voto mexicains | Imprimer
08/09/2009
Nouvelle expo à la Galerie Christian Berst (ObjetTrouvé perdu...)
Exposition de rentrée à la galerie nouvellement rebaptisée "Galerie Christian Berst", ex-Galerie Objet Trouvé, avec quelques créateurs nouveaux au bataillon, mais pas toujours nouveaux en terme de concepts d'oeuvres. J'en prends pour preuve Raimundo Camilo, ce patient brésilien qui côtoya paraît-il Arthur Bispo de Rosario dans l'hôpital où il avait été admis consécutivement à des troubles de la personnalité après que son patron l'eut traité comme un chien et qui se mit à créer ses propres billets de banque (ce qui entre parenthèses pourrait se transformer en vraie monnaie si la spéculation se met de la partie).
Des billets de banque réinventés, ça me rappelle un autre cas connu dans le petit monde de l'art brut, qui avait été exposé dans les anciens locaux de l'Aracine à Neuilly-sur-Marne, celui de Georgine Hu qui "payait" ses médecins du côté de Fleury-les-Aubrais dans le Loiret avec des billets de banque. On peut également penser à Emile Josome Hodinos, ancien graveur en médailles, qui s'ingéniait à dessiner des pièces de monnaie de son invention.
La galerie exposera Yuri Titov, Sylvia Katuszewski (qui n'est donc plus ici Sylvia K. Reyftmann?), Leonhard Fink, Eric Benetto, Patrick Heidsieck, Chris Hipkiss, en plus donc de Camilo. J'avoue avoir un petit faible pour Yuri Titov. De même que pour un certain dessin de Leonhard Fink, visible sur le site de la galerie, qui m'enchante particulièrement. Ce "premier Autrichien dans le cosmos", daté de 2008, est à ranger à côté des cosmonautes de Robillard, tout aussi immédiats.
11:00 Publié dans Art Brut | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : galerie christian berst, art brut | Imprimer