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24/09/2008

Connaissez-vous Claire Chauveau?

Cet article contient des mises à jour (de janvier 2020)...

 

    Je ne sais pas trop où il faudrait ranger les trois gravures que je mets ici en ligne. Art brut, naïf ou singulier, ou tout simplement inclassable, et séduisant, parlant à la délicatesse et à l'imagination.

    Je suis tombé sur ces gravures lors d'une de ces journées portes ouvertes improbables, où je ne vais généralement pas, de peur d'être rasé de près par les artisteuhs hyper narcissiques se croyant tous sortis de la cuisse de Jupiter parce qu'ils ont la bonne fortune d'étaler un peu de dégoulinade colorée avec plus ou moins d'inspiration et de maestria sur tous les supports de leur choix (allez, je ne vise, on l'aura compris que ce qu'on appelait autrefois les m'as-tu-vu ; a-t-on remarqué du reste à quel point on n'emploie plus ce mot, alors que la chose est pourtant si fréquente?). On m'avait mis au parfum, faut dire. Monelle Guillet et Joël Gayraud m'avaient signalé une "artiste" intéressante dans l'atelier d'un de leurs amis, André Elalouf.

Claire Chauveau, gravure aux chasseurs, vers 1995, ph.B.Montpied.jpg
Gravure, sans date, vers 1995 ; ph.B.Montpied

    Elle était sur les lieux, dans cet atelier de la rue Bichat dans  le 10e ardt, il y a déjà quelques années maintenant. Il était difficile de lui parler. Sa mère très présente à ses côtés répondait pour elle. Quelque chose commençait à se dire, mais la protectrice, sans doute inquiète, venait se superposer à ce discours qui ne parvenait pas à l'esquisse d'une formulation qui aurait eu peut-être - c'est l'impression toute subjective que j'en retirais - besoin de plus de temps pour se déployer.

Claire Chauveau, gravure aux hippocampes, vers 1995, ph.B.Montpied.jpg
Gravure sans titre, sans date, vers 1995 ; ph.B.M.

    En attendant (en attendant quoi?), j'acquis trois gravures où les sujets représentés distillaient une sensation de raffinement enfantin. C'était une scène de chasse avec hommes des bois avec fusil et arc. Plus une autre où l'on découvrait un avion à réaction larguant des bombes à côté, au-dessus, on ne savait trop, d'un Pégase géant (il me semblait reconnaître des souvenirs de mythologie gréco-latine), une chèvre attachée par le licol comme un appât pour un improbable tigre, un ange en robe, des arbres fragiles tentant vaille que vaille de croître dans le vide. Une troisième image représentait dans un médaillon central tout déchiqueté sur son pourtour une scène de chasse à la baleine, comme dans un dessin d'Inuit, avec des hippocampes, ces animaux démodés...

Claire Chauveau, gravure au Pégase, vers 1995, ph.B.Montpied.jpg
Gravure sans titre, sans date, vers 1995 ; ph.B.M.

     Je ne les ai jamais encadrés, jamais accrochés au mur chez moi. Je les garde dans un carton, où je vais les repêcher de temps à autre, les regardant avec reconnaissance pour leur grâce et leur finesse, leur simplicité raffinée. J'ai revu d'autres gravures de Claire Chauveau il y a quelques années à la Halle Saint-Pierre, dans l'espace pompeusement nommé "galerie" entre cafétaria et moignon de collection Max Fourny, au rez-de-chaussée. Le charme n'était plus le même, une certaine sophistication avait remplacé l'élan candide des départs. Comme si avait été conjurée l'immédiateté poétique, un peu étrange, hors-normes, des débuts... Mais peut-être n'est-ce là que suppositions et devrai-je faire place ici, plus tard, à un correctif...

 

Note du 14 janvier 2020 : Je reviens sur cette note de 2008 pour signaler le nom de l'animatrice de l'atelier de gravure de l'ADAC, rue des Arquebusiers dans le IIIe ardt (où, entre parenthèses, j'ai moi-même pratiqué de manière éphémère la typographie dans les années 1980), Mireille Baltar, qui accompagna, m'a-t-elle écrit ces jours-ci, Claire Chauveau dans ses travaux de gravure durant vingt ans, sans se préoccuper de ses coordonnées psychiques.

16/09/2008

Zon'Art tire sa révérence

    Zon'Art s'arrête, vive autre chose? Je ne sais pas, faut voir...

    Pour son dernier numéro, ce mince bulletin proche du fanzine qui était épris d'une humilité dans les commentaires (que je trouvais de façade) sur des sujets qu'il affectait de trouver eux-mêmes modestes, mais qui apportait à l'occasion des informations nouvelles sur l'art brut et consorts (les environnements surtout), à la différence de soi-disant spécialistes du même champ recyclant leur éternel ronron conformiste, ce bulletin, donc, a obtenu de la Halle St-Pierre la permission de monter une exposition et une projection de films durant le mois d'octobre prochain. On y verra de l'art singulier, des évocations photographiques d'environnements spontanés que j'aime aussi beaucoup (voir notes récentes sur Donadello, et les photos que j'insère ci-dessous) et les cartes postales anciennes de Jean-Michel Chesné (voir ma note du 8 juin 2008). Sur Donadello (Bépi Donal), on pourra voir le film de Noémie Dumas que j'ai cité récemment (probablement grâce à l'Association Hors-Champ de Nice).

Joseph Donadello, ses sculptures sur des rayonnages, Saiguède, Hte-Garonne, ph.Bruno Montpied, 2008.jpg
Joseph Donadello, un aspect de son jardin de sculptures à Saiguède (Haute-Garonne), ph.B. Montpied, 2008

   Autant vous donner tout de suite le programme général de l'exposition:

Pour la parution de son dernier numéro,

Zon’Art présente (du 3 au 30 octobre 2008) : «SUITE & FIN»

[Galerie de la Halle St-Pierre (Rez-de-chaussée), Paris 18e]

 

Dessins, sculptures, documents :

Stéphanie Buttay, Gustave Cahoreau, Chomo, Clem,

Jacques Karamanoukian, Sam Mackey, Raâk, Gérard Sendrey.

Environnements d’hier et d’aujourd’hui :

Cartes postales anciennes de la collection Jean-Michel Chesné.

Jamain, La-Croix-de-Vie,(Indre-et-Loire), carte postale ancienne.jpg
"Jamain Peintre", Carte postale montrant un jardin de loisirs contenant diverses oeuvres et ouvert au public, La-Croix-de-Vie, Indre-et-Loire ; exemple de carte collectionnée par J-M.Chesné, mais par d'autres amateurs aussi ...(merci Michel Boudin) ; coll.B.M.

Photos de sites et sculptures

Bar du Mont Salut [André Morvan, dans le Morbihan, souches d'arbres assemblées en plein air]

Joseph Donadello

Jean Grard

Emile Taugourdeau

Jean Grard,André Verchuren, vers 2000, coll.privée, Paris, ph.Bruno Montpied.jpg
Jean Grard, André Verchuren, matériaux divers récupérés, assemblés et peints, coll. privée, Paris ; ph.B.Montpied

 

Samedi 4 octobre 2008 à l’auditorium, à partir de 14 heures

Festival audiovisuel (3e édition)

Programme des projections :

N’oubliez pas l’artiste ! (Cartes postales anciennes), diaporama de Jean-Michel Chesné, 45 mn

Vladan Popov de Jean-Michel Zazzi (1999), 13 mn

Raymond Reynaud de Jean-Michel Zazzi (1999), 18 mn

Le jardin de Bépi (Joseph Donadello)  de Noémie Dumas (2007), 17 mn

La porte du mystère (Raâk, l’eau, la terre, le feu) deStéphanie Buttay (2008), 12 mn (En présence de la réalisatrice)

C’est le matin... ((Gérard Sendrey, la fabrique de galaxies) deStéphanie Buttay (2008), 8 mn

Poétique mécanique (Le manège de Petit Pierre), de Jean-Michel Zazzi (2007) 4:30 mn

L’émotion est au bout de la route, diaporama (1984 à 2008 : le bar du Mont Salut, François Lozevis, Joseph Le Bail, Emile Taugourdeau) de Michel Leroux, 45 mn

L'univers de pierres de Nek Chand,diaporama de Laurence Savelli, 40 mn [Voici un bel exemple de ronron et de redite...]

Film surprise : 13 mn

 

Halle Saint-Pierre

2, rue Ronsard - 75018 Paris

M° : Anvers ou Abbesses - Tél : 01 42 58 72 89

 

13/09/2008

Joseph Donadello, suite, un Panthéon passé à la loupe

  

Joseph Donadello, le Panthéon, vue rapprochée, Saiguède, ph. B.Montpied, 2008.jpg
Le Panthéon, vue rapprochée ; de gauche à droite du haut vers le bas: Irène, Louis Seize, A Dada, deux chevaux sculptés par un ami bouliste de Bepi Donal, à savoir Séverino De Zotti (voir au musée des Amoureux d'Angélique), et enfin Lori (sic) ; ph. Bruno Montpied, 2008

    Suite à la note récente sur l'environnement de statues et de maquettes créé par Joseph Donadello à Saiguède en dessous de Toulouse, et en particulier suite aux commentaires de Michel Valière sur certains détails du Panthéon où ce dernier semblait reconnaitre un Roi Salomon cher au Compagnonnage (à gauche sur notre photo) - effectivement, les motifs décoratifs sur le poitrail du personnage semblent bien représenter une équerre et un compas croisés des emblèmes compagnonniques -, j'ai reçu de la part de Pierre-Louis Boudra, responsable du musée des Amoureux d'Angélique, quelques précisions, ou rectifications, à ce sujet.

Joseph Donadello,Pinocchio, ph. Martine et Pierre-Louis Boudra.jpg
Joseph Donadello, Pinocchio (qui était placé à droite de la statuette du personnage à jupette), aujourd'hui disparu ou déplacé du jardin; notons que lui aussi porte une jupette...; photo Pierre-Louis et Martine Boudra
Joseph Donadello,statuette disparue de son jardin, maquette du Panthéon, ph.Martine et Pierre-Louis Boudra.jpg
Joseph Donadello, La fille de leurs voisins, noter au-dessus la statue de "Charles", portant aujourd'hui un autre nom ; photo Pierre-Louis et Martine Boudra 

   Il connaît assez bien le lieu et le créateur, pour y être passé plusieurs fois. Lui et sa femme ont fait des photographies du site avant moi qui montrent des statuettes qui ont disparu depuis (sans doute vendues). Deux statuettes, un Pinocchio et une représentation de la fille de leurs voisins, encadraient, à une date pas encore déterminée, le Panthéon aux extrémités de la terrasse avec les colonnes. En outre, certaine statuettes qui sont encore en place avaient d'autres noms. En haut à droite, Le "Louis Seize" d'aujourd'hui s'appelait autrefois "Charles" (ce serait Charlemagne pour Pierre-Louis). La photo qu'il m'a envoyée le montre clairement. A noter aussi que Bepi a incorporé au décor de cette maquette deux oeuvrettes de son ami Séverino De Zotti (voir photo au début), autre sculpteur populaire contemporain de la même région, qui joue souvent aux boules avec lui. Cette présence d'autres oeuvres, même réduite, à elle seule, introduit l'idée pour cet environnement d'une tentation de faire oeuvre collective...

Joseph Donadello,Irène, détail de sa maquette du Panthéon à Saiguède, ph.B.Montpied, 2008.jpg
Joseph Donadello, Irène (de Russie? I...reine Salomon?), détail de la photo du début de cette note ; ph.B.M., 2008

   Le personnage au chef semble-t-il couronné (à moins que ce ne soit une sorte de calot, ou de toque), et portant jupette, que Michel Valière interprète comme un Roi Salomon, représentait, paraît-il Catherine de Russie...Catherine de Russie.jpg Mais là, pas de preuve. Pierre-Louis tient sans doute cela de la bouche de Bepi (Donadello). Par contre, en zoomant sur ma photo du Panthéon de juillet 2008, j'ai découvert qu'en fait un prénom était inscrit sur ce "Roi-Salomon-de-Russie-en-jupette": IRENE... Les emblèmes compagnonniques restent-ils toujours reconnaissables ou sont-ce seulement des ornementations en croisillon !

Roi Salomon.jpg   Bepi Donal est un farceur qui nomme ses personnages selon des géométries variables, semble-t-il. De quoi bien énerver les commentateurs de tous poils, et générer  de potentiels crépages de chignons... 

06/09/2008

La rentrée c'est aussi à la Galerie Objet Trouvé

    Au début, cette galerie Objet Trouvé avait à mes yeux des choix assez hésitants, impression parfaitement subjective je m'empresse de l'ajouter. Dans le fil du temps, en même temps qu'elle changeait de locaux, quittant la rue Daval pour la rue de Charenton, dans l'ombre de l'affreux Opéra de la Bastille (cette architecture de dentiste), elle a pris sous l'impulsion de son responsable, Christian Berst, une direction sans cesse plus aimantée du côté de la création brute et singulière de qualité, n'hésitant pas à chercher toujours de nouveaux créateurs, ne se se contentant pas, comme tant d'autres, des acquis et des valeurs établies (on sait qu'il y en a désormais beaucoup dans ce champ aussi).

Monique Le Chapelain, sans titre, gouache, vers années 80, ph Bruno Montpied.jpg
Monique Le Chapelain, sans titre, sans date (années 80 vraisemblablement), gouache sur papier, 30x44 cm, coll.privée, Paris, ph.B.Montpied

    Donc, mon jugement sur la galerie s'est grandement bonifié (il n'y a que les imbéciles, ou les staliniens, qui ne changent pas d'avis n'est-ce pas)... Je reçois les informations de ce côté avec une véritable confiance, sûr que ma curiosité se trouvera satisfaite par la découverte d'un créateur ou l'autre proposé par la galerie. Pour cette rentrée, dès le vernissage du jeudi 11 septembre, on pourra ainsi faire connaissance avec une bonne escouade de nouvelles recrues, Monique Le Chapelain (ce qui me ravit pour elle, ayant été le premier à la faire connaître, à travers le Musée de la Création Franche notamment ; on est toujours content de voir ses intuitions confirmées par d'autres), ou Johan Korec (dont la galerie nous signale la disparition récente), un autre pensionnaire de la Maison des artistes, Kurt (ou Karl?) Vondal, ainsi que d'autres comme Raimundo Camilo, ami paraît-il de l'extraordinaire Bispo de Rosario, ou encore Henriette Zéphir, (redécouverte récemment après Dubuffet par Alain Bouillet, voir la revue Création Franche ou le catalogue de la récente exposition L'Eloge du Dessin à la Halle Saint-Pierre), Sava Sekulic, etc. Pour en savoir plus, prière de se connecter ici (le site de la Galerie Objet Trouvé).

Galerie Objet trouvé, H.Speller, sans titre (détail), 2008.jpg
H.Speller, sans titre (détail), sans date, Galerie Objet Trouvé, 2008

    Allez-y de confiance à votre tour, si ce n'est déjà fait.

Objet trouvé, adresse.gif

28/08/2008

Luigi Buffo, le retour (Les Amoureux d'Angélique, 2)

     J'avais demandé sur un autre blog, où l'on se contentait de ressortir de vieilles photos du temps passé consacrées à lui (je n'ai rien contre les archives, cela dit), des nouvelles de Luigi Buffo (signant parfois "Lui" Buffo), cet ancien maçon qui avait réalisé un décor de statues en ciment très archaïsantes sur les murs de clôture de sa propriété à Lagardelle-sur-Lèze, non loin de Toulouse, à la fin des années 70 (Jean Teulé avait été le premier à en parler dans son émission de télé L'Assiette Anglaise, puis dans son livre tiré de l'émission, Les Excentriques de l'Assiette Anglaise, en 1989, aux éditions Antenne 2-Du May ; à l'époque dans son texte il dénombrait 400 statues de "bois, cailloux, ciment"...).

Luigi Buffo dans Les Excentriques de l'Assiette Anglaise de Jean teulé, 1989.jpg
Luigi Buffo, l'homme et ses oeuvres, photogrammes du documentaire sur lui extraites de l'ouvrage Les Excentriques de l'Assiette Anglaise de Jean Teulé, 1989 (dans le coin inférieur gauche de ce patchwork photographique, on peut discerner des statues en bois, serrées comme des sardines et accrochées sur un mur)

     Eh bien, les nouvelles sont venues toutes seules, à croire qu'il y a un ange quelque part qui veille sur les hantises, ou un démon (celui de ma curiosité)... En découvrant le petit musée de sculptures et de peintures naïves et brutes des Amoureux d'Angélique au Carla-Bayle en Ariège (voir ma note du 9 août), j'ai eu la surprise, et quasiment la commotion de tomber pour la première fois de ma vie sur des sculptures du fameux Luigi Buffo, conservées dans une salle entièrement consacrée à lui, salle qui est sans conteste la plus impressionante du musée fondé par le couple Boudra (bon, j'arrange l'histoire, en réalité, c'est Pascal Hecker à la Halle St-Pierre qui m'avait indiqué l'air de rien que les Amoureux d'Angélique avaient récupéré l'oeuvre en bois d'un "certain Buffo").

Salle Luigi Buffo au musée des Amoureux d'Angélique, Le Carla-Bayle, ph.B.Montpied, 2008.jpg
Salle Luigi Buffo au musée des Amoureux d'Angélique, Le Carla-Bayle, avec la statue de la Liberté en bas à gauche (couronnée), photo B.Montpied, 2008

     Il s'agit là de sculptures en bois essentiellement, que les Boudra ont récupérées et sauvées il y a un an ou deux, aprés accord avec le nouveau propriétaire du site. Les statues en ciment, suite au décès de la femme de Luigi Buffo qui les avait conservées en l'état jusqu'à ces dernières années, se sont trouvées en effet détruites il y a  peu de temps (vers 2005-2006?). Ne resteraient en fait à Lagardelle-sur-Lèze que trois ou quatre statues, dont un taureau et un personnage assis les mains tendues laissant s'échapper un oiseau... peut-être l'âme de ce site étonnant...? La destruction est intervenue suite au désir des enfants de vendre les lieux et d'y faire place nette. En ce sens, l'oeuvre en ciment de Buffo aura eu moins de chance que celle d'un Charles Billy à Civrieux-d'Azergues dont la maison et le jardin de maquettes en pierre furent rachetées par un particulier qui s'est montré très respectueux du site.

Lui Buffo, quelques statuettes en bois et en ciment, musée les Amoureux d'Angélique, ph.B.Montpied, 2008.jpg
Luigi Buffo, statues en bois et quelques-unes en ciment, dont la plaque d'origine du musée, musée Les Amoureux d'Angélique, photo B.M., juil 2008

     Les statues en bois de Luigi Buffo, selon certains commentateurs (par exemple Jean-François Maurice, la fameuse concierge de l'Art Brut, dans le n°38 du Bulletin de l'Association des Amis de François Ozenda, en 1989 aussi, avec un temps de retard sur Jean Teulé et L'Assiette Anglaise), les statues en bois étaient, paraît-il, au coeur de la démarche créative de Buffo. Il s'en inspirait pour faire ensuite ses statues en ciment, nous dit la fameuse concierge. Elles étaient présentées sous les statues en ciment parfois, à l'ombre... Comme semble le montrer la photo d'Animula Vagula que j'insère ici (prise au début des années 90 ; des statues en bois s'abritent sous un auvent de ciment derrière un des personnages à sombrero).Lui Buffo 2 personnages ph C Edelman.jpg Ou bien dans un local à part, comme semble le montrer la petite photo publiée dans un petit coin du livre de Jean Teulé (voir ci-dessus au début de ma note)... On croit retrouver parmi ces fantômatiques pièces sculptées présentes sur ce photogramme flou, les mêmes pièces que l'on peut voir aujourd'hui au musée des Amoureux d'Angélique, où elles sont présentées de façon légèrement moins serrées qu'à l'origine, semble-t-il, ce qui leur va plutôt bien, j'ai trouvé...

Lui-Buffo,-plusieurs-statue.jpg
Luigi Buffo, Madone à l'enfant et autres pièces en bois, dont certaines datées 1984 (à droite, un personnage avec sabots placés en dessous de sa tête et autres faces fait songer à la disposition des minuscules sabots décorant les affiquets des brodeuses), musée Les Amoureux d'Angélique, ph BM, 2008

     Bien sûr, les statues en bois ne sont plus dans leur local d'origine, et je n'ai pas eu le temps de demander aux Boudra s'ils avaient connu le site du temps de sa splendeur, et s'ils avaient vu comment Buffo avait situé les oeuvres les unes par rapport aux autres (il semble l'avoir découvert juste au moment où cela était sur le point de disparaître complètement, ils sont intervenus in extremis, exhumant les statues d'un tas de débris prêts à finir au feu... ; un petit film fort émouvant a été tourné sur ce sauvetage). Je ne sais pas non plus si les figures sculptées sont chargées de représenter des personnages précis (j'ai juste reconnu Pinocchio dans un coin avec son grand nez de menteur, une madone  à l'enfant, ainsi que la statue de la Liberté avec une couronne). Telles quelles, elles sont déjà remarquables, archaïsantes, comme réminiscences de la statuaire romane des églises pyrénéennes toutes proches, tout en évoquant des ex-voto gaulois, mas aussi des fétiches africains... Et bien qu'elles aient été déplacées, transplantées, elles gardent intacte leur très grande force.

Luigi Buffo,sculptures musée les Amoureux d'Angélique, ph B.Montpied, 2008.jpg
Luigi Buffo, l'homme et son bétail, souvenir vague de statuettes propitiatoires? Musée des Amoureux d'Angélique, ph BM, 2008
Luigi Buffo,4 têtes, musée les Amoureux d'Angélique, ph B.Montpied, 2008.jpg
Luigi Buffo, quatre têtes, musée Les Amoureux d'Angélique, ph BM, 2008

24/08/2008

Cités singulières (chemins de l'art brut VII) à Lille, mais hétérotopies à Francfort

     Le Musée d'Art Moderne de Villeneuve d'Ascq et la Maison de l'Architecture et de la Ville du Nord-Pas-de Calais organisent une exposition sur le thème de l'architecture et l'urbanisme tels qu'ils se reflètent dans les collections de l'Aracine ainsi que dans une collection d'art brut privée. Cela constitue la septième mouture des "Chemins de l'art brut". C'est prévu du 2 septembre au 1er novembre prochain (vernissage le 9 septembre) à Lille . Les créateurs représentés (par une cinquantaine d'oeuvres, sculptures ou dessins) sont ACM, Paul Duhem (pourtant ses villes doivent se résumer à des portes...), Paul Engrand, Désiré Geelen, Frank Jones, Titus Matiyane, Helmut Nimozewski, Willem Van Genk (ses gares, ses imperméables...) et Théo Wiesen (j'ai une petite préférence pour les "totems" de celui-ci).

Théo Wiesen,Chemins de l'Art Brut II, MAM de Villeneuve d'Ascq, 2002, ph B.Montpied.jpg
Salle consacrée à Théo Wiesen aux Chemins de l'Art Brut II en 2002 dans l'ancien Musée d'Art Moderne de Villeneuve d'Ascq, ph B.Montpied

     Le film de Claude et Clovis Prévost sur le facteur Cheval sera diffusé durant l'exposition. En effet, associer au thème de l'exposition les environnements spontanés paraît fort logique. L'idée est légèrement poussée plus loin dans l'expo. Un diaporama diffusé sur place évoquera au delà des sites du facteur Cheval et de l'abbé Fouré d'autres cas d'"habitants-paysagistes" (terme inventé par Bernard Lassus). Le concept de l'expo paraît se focaliser avant tout sur la dimension utopiste et onirique des visions architecturales propres aux créateurs des collections présentées (en dehors de celle de l'Aracine, on annonce une collection privée extérieure). Savine Faupin, sur le site de la MAV de Lille rappelle cependant que le Musée d'Art Moderne de Villeneuve d'Ascq mène une recherche sur la conservation des sites en collaboration avec le CNRS (mais on aimerait cependant savoir quels travaux ont été ajoutés à la suite de la journée sur les sites environnementaux spontanés du 10 décembre 2005 -où entre parenthèses eurent lieu, en marge, de belles rencontres entre amateurs des sites, n'est-ce pas Signor Belvert?). Elle ajoute, sur le même site, cette information qu'il y aura après la réouverture du nouveau Musée d'Art Moderne une grande "exposition transversale" intitulée "Habiter poétiquement" qui traitera plus amplement du thème de l'habitat à travrs les trois composantes des collections du Musée, l'art moderne, l'art contemporain et l'art brut (il va donc falloir s'habituer à ce genre de confrontations à Villeneuve d'Ascq...). Parmi les créateurs présentés à l'exposition, Théo Wiesen est le seul exemple d'environnementaliste spontané, avec ses totems étranges qu'il avait installés dans l'allée qui menait à sa scierie. Les deux photos que j'insère ci-dessus et ci-dessous montrent ceux qui avaient été déjà présentés en 2002 à Villeneuve d'Ascq dans Les chemins de l'Art Brut II.

Theo Wiesen, Les Chemins de l'Art Brut II, MAM de Villeneuve d'Ascq,2002, ph.B.Montpied.jpg
Théo Wiesen, détail d'une barrière sculptée, Les Chemins de l'Art Brut II, 2002, MAM de Villeneuve d'Ascq, ph.B.M.

    Architecture et urbanisme dans l'art brut sont dans le vent en ce moment puisque se terminait ce week-end à Francfort sur Main en Allemagne, au Musée Allemand d'Architecture, une autre expo intitulée Heterotopia. Arbeiten von Willem Van Genk und anderen (Hétérotopies, Oeuvres de Willem Van Genk et autres, du 31 mai au 24 août 2008), expo réalisée en collaboration avec le musée du Dr. Guislain situé à Gand en Belgique. L'idée de la manifestation était d'emprunter à une conférence de 1967 de Michel Foucault (intitulée "Espaces autres") la notion d'"hétérotopie". Ce dernier définissait ainsi des espaces concrets hébergeant l'imaginaire, comme autant de localisations physiques d'espaces utopiques. Il englobait là-dedans aussi bien les cabanes d'enfants, que les parcs de loisirs, les cimetières, ou les asiles. Lieux qui pouvaient constituer un négatif ou une marge de la société. Il aurait pu y joindre les environnements créés par les autodidactes de tous poils qui font notre bonheur ici sur ce blog, entre autres.

Gérard Van Lankveld,Place de la Victoire, 1982-1984, Boîte à musique, collection Fondation Monera, Musée du Dr.Guislain, Gand, expo Heterotopia, Francfort 2008, ph. Piet Kuppens.jpg
Gérard Van Lankveld, Place de la Victoire, 1982-1984, boîte à musique, expo Heterotopia, collection Fondation Monera, Musée du Dr.Guislain, Gand, photo Piet Kuppens, Gemert, Pays-Bas

    Je n'ai pas vu cette dernière exposition, mais seulement le catalogue (trouvable à la Halle St-Pierre ; bilingue allemand-anglais).Heterotopia,catalogue de l'exposition au DAM de Francfort en 2008.jpg Si je n'apprécie que très peu les dessins de Van Genk (son usage de la couleur me repousse, ce qui on le comprendra ne prétend de ma part à aucune objectivité), j'ai été fort intrigué par plusieurs cas présentés dans cette expo, notamment ceux de Gérard Van Lankveld, qui paraît avoir créé un état imaginaire de Monera borné à sa seule personne et à ses productions, d'étranges maquettes de monuments-objets conservées au Musée du Dr.Guislain à Gand, et de Hans-Jörg Georgi et Stefan Häfner, ces deux derniers ayant semble-t-il en commun le goût de confectionner des maquettes de villes bizarroïdes qui comme dans le cas de Häfner font parfois fortement penser à une sorte de ville situationniste, type New Babylon, passée à la moulinette d'un cyclone spécialiste en déboîtages...

Stefan Häfner,Zukunfstadt I-III, DAM,Francfort, expo Heterotopia, ph.Thomas Spier.jpg
Stefan Häfner, Zukunftsstadt I-III, 2000-2005, matériaux divers, Deutsches Architekturmuseum, Francfort et exposition Heterotopia, photo Thomas Spier, Berlin

09/08/2008

Les Amoureux d'Angélique (1)

    Note dédiée à Pierre Gallissaires

    Cela faisait longtemps que je n'avais pas entendu parler en France d'un nouveau musée d'art brut, ou naïf, ou simplement d'art populaire contemporain (étiquette qui en l'espèce correspond assez bien).

Une entrée du musée Les Amoureux d'Angélique, Le Carla-Bayle, ph.B.Montpied, 2008.jpg
Une entrée du musée d'art brut, naïf et populaire Les Amoureux d'Angélique au Carla-Bayle, ph.Bruno Montpied, 2008

    L'Aracine verra bientôt on l'espère ses collections présentées en un espace bien défini et distinct de l'art moderne dans les nouveaux espaces du musée de Lille-Métropole à Villeneuve-d'Ascq dans le Nord. La Fabuloserie, et ses collections d'"art-hors-les-normes" (dont pas mal d'oeuvres récupérées d'environnements spontanés qui allaient être détruits, exemple assez réussi de sauvetage et de déplacement de fragments d'environnements qui devrait faire taire les puristes toujours prompts à taxer ce genre de solution d'"ânerie" ou de "ridicule", cf Belvert et "J2L"), la Fabuloserie tient bien le coup dans l'Yonne à Dicy. Le Petit Musée du Bizarre (de tous, celui qui s'apparente le plus au musée dont je veux vous entretenir) semble perdurer en Ardèche à Lavilledieu, près de Villeneuve-de-Berg (on aimerait avoir des nouvelles fraîches de l'endroit, si un lecteur de ce blog passe par là...), premier musée sur la question en France (car créé en 1969). Nous avons également des musées d'art naïf de qualité (à Laval, collection ouverte au public au Musée du Vieux-Château depuis 1966 ; à Nice, musée construit à partir de la collection d'Anatole Jakovsky, depuis 1982). Un musée consacré à la création singulière (un zeste d'art brut, un peu d'art naïf, un soupçon de surréalisme et beaucoup de singuliers, alias des créateurs marginaux et autodidactes de l'art contemporain), le Musée de la Création Franche, créé par Gérard Sendrey depuis 1988, existe également à Bègles en banlieue de Bordeaux. Le Musée International d'Art Modeste de Di Rosa et Bernard Belluc à Sète montre aussi des oeuvres relevant davantage de l'art populaire manufacturé, comprenant parfois des créateurs aux limites des collections précédemment citées. Sans compter les divers musées d'art populaire ou écomusées, privés ou publics, qui contiennent également nombre de créations relevant de ces mêmes champs, l'art brut, l'art naïf, les environnements spontanés...

    Statuette anonyme représentant une sorcière, prénommée Angélique par les animateurs du musée de Carla-Bayle Les Amoureux d'Angélique, ph B.Montpied, 2008.jpg La découverte du musée des "Amoureux d'Angélique", fondé par l'association Geppetto, qu'animent Martine et Pierre-Louis Boudra au Carla-Bayle en Ariège, une cinquantaine de kilomètres en dessous de Toulouse, non loin de Pamiers, je la dois à un petit dossier qu'avait publié naguère Denis Lavaud à partir des notes et des photos de Bernard Dattas dans le bulletin Zon'Art (n°14, automne-hiver 2005). A dire vrai, ce dossier était avant tout centré sur l'évocation de divers sites et environnements bruts/naïfs de la région de Toulouse, sans trop insister sur les Amoureux d'Angélique,  qui pourtant avaient indiqué aux auteurs les sites en question.

Le Carla-Bayle, ph. Jean-Paul Agulhon sur jpa.galerie.free.fr.jpg
Le Carla-Bayle, ph. Jean-Paul Agulhon

    Pierre-Louis et Martine, chercheurs modestes mais acharnés de la poésie populaire cachée (du Sud-Ouest au Massif Central sans oublier la Région Parisienne dont ils sont originaires), sont à l'origine de nombreuses découvertes, ou de sauvetages de créateurs tout à fait insolites et intéressants. Installés depuis huit ans au Carla-Bayle (soit donc vers 2000, à l'orée du nouveau siècle), ils y ont aménagé une bâtisse sur plusieurs niveaux où finalement ils commencent déjà à manquer de place tant les oeuvres conservées et sauvegardées pullulent. La maison est rustique, la muséographie est simple et bon enfant, sans chichis, semblant inséparable d'une visite guidée en compagnie des propriétaires. Les portes, aux heures d'ouverture au public (mieux vaut téléphoner avant de venir), sont ouvertes dans  la plus grande des confiances. Des chats, des chiens font la visite avec vous. Carla-Bayle, les remparts.jpgLe village ressemble à un de ces villages d'artistes perchés sur une colline comme on en connaît du côté de la Provence par exemple, le snobisme et l'apprêt en moins. De ses remparts, par beau temps, on aperçoit la chaîne des Pyrénées au loin.

Expo Roger Beaudet, les maquettes, la sirène, etc, Musée Les Amoureux d'Angélique, Le Carla-Bayle, 2008, ph B.Montpied.jpg
Exposition Roger Beaudet chez Les Amoureux d'Angélique, vue partielle, les maquettes de bateaux, une sirène, etc., juil 2008, ph.B.Montpied

    Chaque été, en sus de la collection permanente forte d'une dizaine de créateurs, Pierre-Louis et Martine organisent une petite exposition temporaire. Si la saison dernière, ce furent des "jouets" de Pierre et Raymonde Petit (venus de deux collections privées), l'été 2008 est consacré à Roger Beaudet, créateur ouvrier de la région de Roanne, où il sculpte des jouets, des maquettes, et des personnages organisés en saynètes dans un local exigu. Les Boudra indiquent qu'au début ces oeuvres étaient destinées aux enfants, et que par la suite des collectionneurs sont arrivés pour lui en acheter. Beaudet oeuvre à la commande paraît-il, étant capable sur la foi d'une photographie de reproduire, passée bien sûr au tamis de son imagination et de ses déformations, l'image du collectionneur et de sa femme par exemple.

Roger-Beaudet,le berger (peut-être auvergnat) et son troupeau, musée les Amoureux d'Angélique, été 208, ph. B.Montpied.jpg
Roger Beaudet, exposition au musée Les Amoureux d'Angélique, été 2008; on notera les moutons entortillés de fils venus de leur laine peut-être, ph.B.Montpied
Thierry Chanaud,dessin aux crayons de couleurs, musée Les Amoureux d'Angélique, ph B.Montpied, 2008.jpg
Thierry Chanaud, dessin aux crayons de couleur, sans titre, musée Les Amoureux d'Angélique, ph B.Montpied, 2008

     La collection permanente, à l'image des oeuvres de Roger Beaudet, est fortement marquée par l'empreinte de l'enfance. Que ce soit dans les dessins de Thierry Chanaud, qui ressemblent à des imagiers enseignant le vocabulaire aux enfants quoique réinventés par leur auteur, ou dans ses sculptures archaïsantes,Thierry Chanaud,deux sculptures, musée les Amoureux d'Angélique, ph B.Montpied, 2008-.jpg dans les peintures de Gilbert Tournier, ancien maréchal-ferrant (spécialisé dans les chevaux d'hippodrome) découvert par les Boudra du côté de Champigny-sur-Marne (une de leurs premières découvertes, je pense) qui dessinait le nez collé sur le support,Gilbert Tournier,sans titre, musée Les Amoureux d'Angélique, ph B.Montpied, 2008.jpg ou d'autres sculpteurs comme Joseph Donadello -par ailleurs auteur d'un environnement remarquable dans la région sur lequel je ferai bientôt une note à part- ou le fils de tzapiuzaïre (faiseur de copeaux, selon P.Mamet dans Les Artistes Instinctifs,  Almanach de Brioude, 1924...) Denis Jammes en Haute-Loire. Les attelages d'Henri Albouy, par leur côté miniaturisé, eux aussi font penser à des maquettes et à des jouets. Les statues d'Honorine Burlin, elles aussi venues d'un environnement de la région à côté de Cintegabelle, à Picarou, ont quelque chose de fortement candide.

Joseph Donadello, quelques statues conservées au musée Les Amoureux d'Angélique, ph.B.Montpied, 2008jpg
Des statues en ciment peint de Joseph Donadello (alias Bepi Donal), à gauche Adam et Eve, à droite Ketti et Mario ; les juments au-dessus sont de Séverino De Zotti ; Musée Les Amoureux d'Angélique, ph B.Montpied, 2008

     Pourrait-on forger pour ce petit musée fort sympathique l'étiquette d'art populaire enfantin? Pourquoi pas... Cependant, au coeur de ce musée, existe aussi une autre salle consacrée à un autre créateur à qui l'étiquette ne colle pas tout à fait... Mais cela, je vous en parlerai dans un épisode suivant...

 

Contacts: 

Les Amoureux d'Angélique, 09130, Le Carla-Bayle, tél: O5 61 68 87 45, e-mail: amoureuxanges@hotmail.com

Pour le moment, pas encore de catalogue sur place, seulement des cartes postales et des mini-dépliants comme ci-dessous (merci à Pierre-Louis et Martine Boudra pour m'avoir laissé prendre toutes les photos que je voulais):

Annonce Roger Beaudet, 2008.jpg

  

02/08/2008

Miroslav Tichy, océan pacifique

    J'avais été intrigué à l'exposition de la collection d'art brut d'Arnulf Rainer, à la fondation Antoine de Galbert-La Maison Rouge (en 2005, Paris), par quelques photos qui paraissaient comme volontairement abîmées, plutôt floues, représentant des femmes comme s'il s'agissait de clichés voyeuristes. Un photographe brut? Tiens, tiens...

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Miroslav Tichy, Inv. -Nr 1-35, 20,9 x 24,8 cm, collection Fondation Tichy Ocean, Zürich (catalogue de l'exposition au Centre Pompidou, 2008)

    Il existait bien aux USA le cas d'Eugène Von Bruenchenhein, cet homme qui adorait sa femme et la photographiait sans cesse parée de bijoux, parfois dans le plus simple appareil (quoique sans trop d'érotisme). De la photographie amateur existe aussi bien entendu (aujourd'hui le domaine doit exploser avec tous ces petits appareils numériques pas plus grands que des cartes à jouer). Des livres ont été souvent consacrés à la question, plus précisément à la photo anonyme. Sur ce blog, j'ai également évoqué les cartes postales à plusieurs reprises, notamment le 30 mars. La photo a prolongé bien évidemment l'imagerie populaire gravée. Roger Cardinal, interrogé sur la photo "brute", m'a indiqué avoir écrit sur la question. J'espère avoir communication ultérieure de cet article. Or, voici une importante exposition au Centre Georges Pompidou consacrée à Miroslav Tichy, qui nous renseigne davantage (que l'expo de la Maison Rouge), en une centaine de clichés au moins, sur les recherches de cet homme hors du commun.

Catalogue expo Miroslav Tichy au centre Pompidou en 2008.jpg
Couverture du catalogue de l'expo Tichy au Centre Pompidou

     Il n'y aurait pas de Miroslav Tichy sans le rôle central, quoique discret, joué par un médiateur capital, Roman Buxbaum. Cet attelage à deux individus, le créateur et son médiateur auprès du public, nous rappelle déjà un trait commun aux créateurs de l'art brut. Ces derniers viennent rarement jusqu'à nous sans un truchement extérieur, qui assure la communication. En l'occurrence, il semble que l'activité photographique de Tichy n'ait pas été destinée à être montrée. Roman Buxbaum (voir Un Tarzan en retraite, souvenirs de Miroslav Tichy, publié dans le catalogue de l'expo du Centre Pompidou) restitue l'aspect relativement contradictoire de la position de Tichy vis-à-vis de la communication de ses photos: "Il aime les montrer à ses visiteurs. Mais admet rarement avoir donné son accord pour que ses oeuvres soient exposées. Et lorsqu'il est de mauvaise humeur, il accuse et insulte quiconque ose les montrer au public. Pourtant, lorsque je lui ai apporté le catalogue de l'exposition de Séville [première exposition de ses photos en 2004 à l'initiative de Harald Szeemann], il n'a pas caché son émotion".

Miroslav Tichy Inv.-Nr.5-2-7,24-x-21,5 cm, collection Magasin 3 Stockhom Konsthall.jpg
Miroslav Tichy, Inv. Nr 5-2-7, 24 x 21,5 cm, collection Magasin 3 Stockhom Konsthall (catalogue Centre Pompidou)

     L'activité photographique de Tichy, toujours selon Buxbaum, paraît une activité très intime qui se serait développée après une crise psychotique survenue dans les années 50, suite au vernissage d'une expo à Prague dans un lieu réputé où ses peintures avaient été sélectionnées mais que Tichy décida brusquement de retirer à la dernière minute (Tichy est aussi un peintre et un illustrateur, ayant eu au départ une formation à l'école des Beaux-Arts de Prague). Il a été sujet à de nombreuses dépressions depuis l'adolescence, nous dit-on, qui sont des périodes où paraît s'anéantir une créativité qui ne se développe au contraire que lorsqu'il est en bonne santé.

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Miroslav Tichy, Inv. -Nr. 6-12-7, 29 x 21 cm, Fondation Tichy Ocean, Zürich (et catalogue Centre Pompidou) ; chef-d'oeuvre d'ambiguïté

      Ses photos, que Buxbaum va parfois repêcher dans le magma océanique du logis où Tichy laisse aller ses affaires à vau-l'eau, parlent très souvent des femmes, des corps de femmes inconnues, croisées, entraperçues, semble-t-il à leur insu. Ces clichés volés montrent des instants de grâce, de beauté érotique qui surgissent inopinément, dans un paradoxe seulement apparent, au travers d'une technique bricolée. Matériel photographique de Miroslav Tichy, coll fondation Tichy Ocean, Zürich.jpgTichy a réinventé le sténopé, la boîte à chaussures munie d'un trou et d'un papier photographique, il a fabricoté des appareils à partir d'objets de récupération (dans le film que lui a consacré Roman Buxbaum -Miroslav Tichy, Tarzan à la retraite, édité en DVD, disponible à la librairie de l'expo au Centre Pompidou- il montre le bouton de rembobinage d'un de ses appareils faits à partir d'une capsule dentelée de bouteille de bière). Idem pour son agrandisseur confectionné à partir de planches et de lattes arrachées à une clôture. Appareil photo de M.Tichy, coll Fondation Tichy Ocean, Zürich.jpgC'est comme si nous avions affaire au cousin de l'André Robillard qui fabrique des objets symboliques (ces fusils qui ne font feu qu'imaginairement), sauf que les appareils photo assemblés vaille que vaille avec des boîtes de conserve par ce "cousin", ici, peuvent prendre aussi des photos!

      Les organisateurs de l'expo, en raison de ces bricolages, l'associent aux outsiders et à l'art brut. Mais la parenté avec cette dernière conception est également à rechercher ailleurs, comme je l'ai souligné au début de cette note. L'oeuvre photographique (cela finit par être une oeuvre, en dépit du fait, en outre, que Tichy "n'aurait jamais accepté d'être considéré comme un photographe", dixit Buxbaum) est avant tout une action qui cherche à se rapprocher au plus près de la vérité de ses sujets. Il s'agit pour Tichy de capter au plus immédiat la grâce de la vie, le mystère des formes et des incarnations qu'il a tendance à concevoir comme des apparences illusoires (dans son film, Tichy évoque le mythe de la Caverne de Platon, mythe destiné à prouver que l'homme est condammné à n'entrevoir de la vérité que son ombre).

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Miroslav Tichy, Inv. -Nr 4-11-23, 26 x 20,5 cm, coll Fondation Tichy Ocean, Zürich (et catalogue Centre Pompidou) ; avec cette photo, Tichy prend tout à coup des allures de Lewis Carroll décalé

    "Quand quelque chose attirait son attention, il attrapait son appareil, soulevait de sa main gauche le bord de son pull et, de sa main droite, ouvrait l'étui et appuyait sur le déclencheur sans même regarder dans le viseur. Son mouvement était si fluide et rapide qu'il était presque impossible à remarquer. En riant, il dit qu'en procédant ainsi, il pouvait attraper une hirondelle en plein vol" (Roman Buxbaum, les derniers mots soulignés par l'auteur sont de Tichy). L'hirondelle de ses désirs...

    Signe supplémentaire de son indifférence à l'égard des conventions esthétiques de présentation, Tichy a confectionné des cadres bricolés avec des pauvres matériaux de hasard, décorés parfois de dessins ou de motifs griffonnés, pratique qui rappelle celle du poète Boris Bojnev (un Slave là aussi) qui en Provence s'était adonné à la mise en cadre d'oeuvres naïves trouvées en brocante. Ces deux formes de création réalisées autour d'un sujet empreint de poésie vitale sont du reste apparues dans les mêmes décennies d'après-guerre (Tichy, qui est toujours vivant, paraît avoir cessé ses activités artistiques dans les années 90, période qui précéde curieusement sa reconnaissance publique, comme si cette dernière ne pouvait avoir lieu qu'après la création et pas pendant). Certes Tichy a eu une formation artistique, et cela le distingue des autodidactes de l'art brut. Il serait à mettre en rapport avec ces grands inclassables de l'art que sont Soutter, Charles Meryon, Louis Wain (dont je parlais dans une note précédente), Ernst Josephson, etc, autant de créateurs artistes au départ qui à la faveur d'un basculement dans un état psychotique ultérieur ont orienté leurs travaux dans un sens profondément intériorisé. Ce qui est bien en rapport avec l'enjeu de l'art brut en définitive.

Miroslav Tichy Inv. -Nr.6-12-13, 25,1 x 17,9 cm, coll Fondation Tichy Ocean.jpg
Miroslav Tichy, Inv. -Nr 6-12-13, 25,1 x 17,9 cm, coll Fondation Tichy Ocean (et catalogue Centre Pompidou) ; à la faveur de cette spectralisation du corps nu, on retrouve cette recherche de la figure du désir assez analogue aux recherches d'un Bellmer par exemple

L'expo Miroslav Tichy se tient au MNAM du Centre Pompidou, à la Galerie d'art graphique, du 25 juin au 21 septembre 2008. Les photographies exposées proviennent sauf quelques-unes de la fondation Tichy Ocean basée à Zürich. "Tichy" en tchèque se traduit par paisible, pacifique. L'univers de chaos et de hasard dans lequel vit Tichy ressemble à un océan. L'océan Tichy. Ce qui donne par jeu de mots l'océan pacifique... D'où le nom de la fondation de Zürich.

30/07/2008

Eloquentes obsessions

 

british outsider art.jpg

    En marge de l'exposition sur l'art des outsiders british qui termine son séjour à la Halle St-Pierre à Paris (clôture le 1er août), Mr Roger Cardinal qui passait ces jours-ci par Paris nous a glissé une petite carte annonçant une autre exposition à venir cette fois, et se tenant dans les faubourgs de Londres à Twickenham, sans doute le même Twickenham que pour le rugby. "Eloquent obsessions", cela s'appelle, et c'est organisé à la Orleans House Gallery, à Riverside, Twickenham (vous trouverez bien tout seul où ça se situe exactement à Londres). La manifestation est organisée conjointement avec la Henry Boxer Gallery basée à Richmond. Le carton n'est pas très bavard sur les créateurs que l'on devrait retrouver dans ce lieu, et je ne suis pas encore arrivé à dénicher sur la Toile une référence à cette expo. C'est peut-être trop tôt. Le vernissage est pour le 3 septembre, et c'est prévu pour durer du 30 août au 19 octobre. Comme je sens que je vais oublier d'en reparler, je l'ai casé ici tout de suite. Comme ça vous aurez le temps de réserver le très cher TGV pour l'Angleterre (c'est le genre d'expo pour la jet set de l'art brut ; qui ne sait plus où placer ses sous en matière d'art moderne ou contemporain). On va y retrouver des noms bien connus, Henry Darger, Madge Gill (prononcez "Guill", m'a recommandé Roger) ou Scottie Wilson, ainsi que quelques oeuvres des pensionnaires de Gugging en Autriche.

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Madge Gill, expo British Outsider Art à la Halle St-Pierre, Paris

Louis Wain Galerie Henry Boxer.jpg

    On devrait aussi, surtout, y trouver un créateur peu connu de ce côté-ci du Channel, à savoir le dessinateur obsédé de la race féline, le dénommé Louis Wain, que je ne connais guère autrement personnellement qu'à travers le portail internet de la galerie Henry Boxer. La notice de la galerie nous signale que le monsieur fut d'abord un grand illustrateur célèbre spécialisé dans les dessins de chats, avant de sombrer dans la psychose (on parle de schizophrénie à son sujet). Interné, il continua à représenter les êtres qu'il affectionnait entre tous, mais ses images prirent des allures qualifiées de "kaléidoscopiques".

Louis Wain Galerie Henry Boxer.jpg

     Ses chats devinrent psychédéliques, se fragmentant en dizaines, centaines d'éclats colorés qui les font rejoindre les images de dragons tels qu'on peut en voir dans l'art d'extrême-orient. Cela les rapproche aussi d'autres célèbres chats de l'art naïf, ceux de Van Der Steen.

        
         Van-Der-Steen,-un-de-se.jpg         Tigre-porte-bonheur.jpg
A gauche un des chats de Van Der Steen, à droite un jouet porte-bonheur chinois, un tigre que l'on offre aux enfants comme objet protecteur (art traditionnel XXe siècle)

    Souhaitons que nous ayons l'occasion de voir des oeuvres de Louis Wain un de ces jours prochains en France.

Vonn Ströpp, galerie Henry Boxer, expo British Outsider Art à la Halle St-Pierre, 2008.jpg
Vonn Ströpp, sans titre, vers 1984, 114,3x190,5 cm, acrylique, Henry Boxer Gallery

    L'expo British Outsider Art, si elle nous a tout de même permis de découvrir les rares dessins d'Andrew Kennedy ou encore les compositions visionnaires hallucinantes de Vonn Ströpp, a raté l'occasion de nous montrer un ensemble plus vaste concernant le champ des créateurs spontanés autodidactes britanniques, et notamment a loupé l'occasion de nous présenter donc quelqu'un comme Louis Wain.

Andrew Kennedy, expo British Outsider Art, Halle St-Pierre, Paris, 2008.jpg
Andrew Kennedy, Bibliothèque de l'université d'Edimbourg, exposé à British Outsider Art à la Halle St-Pierre du 24 mars au 1er août 2008

   Elle n'a traité qu'une petite partie du champ. La collection Musgrave-Kinley par exemple (désormais prêtée sans limitation de temps au musée d'art moderne de Dublin) n'a pas été associée au projet (pour des raisons qui n'ont pas été évoquées), pas davantage que ses organisateurs n'ont souhaité nous présenter quelques oeuvres de l'étrange Richard Dadd, pourtant fort peu connu en dehors de la Grande-Bretagne. Dommage, dommage...

Richard Dadd Crazy Jane 1885, site noumenal.com .jpg
Richard Dadd, Crazy Jane, 1885, image reprise du site noumenal.com

03/07/2008

Art Brut, architectures marginales, un livre de Marielle Magliozzi

     En chantier depuis quelques années (au départ ce fut une thèse de doctorat en histoire de l'art soutenue en 2003), l'ouvrage qui paraît ces temps-ci aux éditions de l'Harmattan, Art brut, architectures marginales, sous-titré Un art du bricolage, aura nécessité beaucoup de souffle à son auteur, Marielle Magliozzi, puisqu'il aura fallu le remanier, le retravailler profondément afin de le faire passer du format universitaire à une version plus grand public.

Art brut, architectures marginales, couvertire du livre de Marielle Magliozzi.jpg
Couverture du livre de M.Magliozzi, où l'on reconnaît la maison peinte de Danielle Jacqui au Pont de l'Etoile à Roquevaire

     L'ouvrage que je n'ai pas encore eu entre les mains paraît traiter, dans une optique d'art du bricolage (le texte du 4ème de couverture réunit Lévi-Strauss avec Dubuffet) appliqué à la création d'environnement artistique, d'au moins une vingtaine de sites disséminés en France, certains ayant disparu aujourd'hui (on sait que ces environnements n'ont pas encore reçu la grâce d'être considérés comme des éléments incontournables de notre patrimoine, on se demande toujours pourquoi...).

4ème de couverture du livre de M.Magliozzi sur les architectures marginales.jpg
4ème de couverture

    Peut-être Marielle Magliozzi revient-elle en particulier dans cet ouvrage sur ce créateur, nommé Louis Auffret, basé à Six-Fours dans le Var, qu'elle avait succinctement évoqué dans le n°49 de Raw Vision à l'hiver 2004-2005... Auteur d'un environnement complexe qui s'est trouvé par la suite rasé, avant qu'on ait eu le temps d'en entendre parler (Marielle est la seule à ma connaissance à posséder des photos de ce site)... Il semble acquis en tout cas qu'on retrouvera dans son livre certains créateurs plus connus comme Chomo ou Marcel Landreau, le "caillouteux" de Mantes-la-Jolie, dont les statuettes organisées en saynètes parfois automatisées étaient confectionnées à l'aide de morceaux de silex collés les uns aux autres. Son site était un des plus extraordinaires parmi tous ceux qui ont pu exister en France. Hélas... Mille fois hélas, il fut lui aussi balayé après la disparition de son auteur.

Marcel Landreau, 1987, photogramme des Jardins de l'Art Immédiat, film Super 8 de Bruno Montpied (1981-1991).jpg
Marcel Landreau, 1987 ; photogramme extrait du film en Super 8 Les jardins de l'art immédiat, 1981-1991, de Bruno Montpied (cette image est prise sur des personnages d'un manège de danseurs qui était en mouvement au moment du film, bercé par le célèbre air de La Paloma joué par Yvette Horner et diffusé par haut-parleur...)

    Attendons donc d'avoir le livre pour en parler plus largement, et donnons à tous ceux qui n'auraient pas eu l'info les renseignements que Marielle Magliozzi a eu la gentillesse de nous faire parvenir. Le livre peut d'ores et déjà se commander dans n'importe quelle librairie, en attendant de le voir en rayon à la rentrée après les grrrrrandes vacances (prix 32 €).

    

24/06/2008

Recoins n°2, Des fous de Tolbiac à Aubert d'Antignac

    Vient de paraître juste avant la grande migration estivale le n°2 de la revue Recoins qui se consacre, comme il est dit dans son sous-titre, aux arts, belles lettres et rock'n roll. Enfin, pas tout à fait seulement à cela. Cette revue, éditée à Clermont-Ferrand, et qui se qualifie aussi de "revue moderne d'arrière-garde", outre de nombreux articles sur le rock, la publication d'une bande dessinée, quelque détour vers la boxe pratiquée dans les rues du New-York du XIXe siècle, publie cette fois-ci (voir la recension succincte que j'avais déjà faite du n°1 dans mon Billet du Sciapode dans Création Franche n°26) plus d'articles concernant les sujets qui nous sont chers, à savoir le surréalisme, les environnements spontanés de bord des routes, et la littérature tournée vers les moeurs populaires qu'elle soit liée aux plus fous ou aux plus champêtres des figures du peuple.

Recoins n°2, juin 2008.jpg

   Au chapitre du surréalisme, Anna Pravdova nous donne une présentation instructive de Tita, jeune surréaliste tchèque qui a fait partie du groupe surréaliste de La Main à Plume, groupe de jeunes gens qui eurent à coeur de poursuivre vaille que vaille l'activité surréaliste dans la France occupée, pendant que leurs aînés, plus connus, avaient fui ou se cachaient, poursuivis ou menacés qu'ils étaient par le régime vichyste. Ces jeunes gens commencent désormais à mieux émerger de l'ombre où on les a longtemps tenus. A noter qu'un n° spécial de la revue Supérieur Inconnu, dirigée par Sarane Alexandrian et Marc Kober, et publiée tout récemment (printemps-été 2008, n° consacré à "la vie rêvée"), évoque elle aussi un autre membre de La Main à Plume, Marc Patin, en publiant deux récits de rêve avec leur analyse par l'auteur. Marc Patin, dont Tita illustra de dessins deux plaquettes de poèmes. Anna Pravdova nous révèle dans cet article la fin exacte de la jeune peintre juive qui fut arrêtée durant la tristement célèbre rafle du Vél d'Hiv, et déportée à Auschwitz via le camp de transit de Drancy.

Une solitaire dansant sur une piste de guinguette à Champigny-sur-Marne, photo Bruno Montpied, 1989.jpg
Une danseuse solitaire dans une guinguette de Champigny-sur-Marne, vue par B.Montpied en 1989 (pour s'associer avec l'évocation ci-dessous ; photo non éditée dans Recoins)

   "Quatre fous de Tolbiac", tel est le titre d'un texte absolument remarquable (et je vous prie de croire que ce n'est pas parce qu'il s'agit là d'un vieil ami que je dis cela) de Régis Gayraud sur des souvenirs (en réalité, plus que cela) relatifs à des figures de la rue parfaitement saisissantes, et angoissantes pour certaines d'entre elles. Il s'agit là, pour reprendre un terme cher à Mac Orlan et à Robert Giraud de pur fantastique social. Ecrit dans un style dépouillé (bien éloigné du style des années 80, que l'auteur qualifie lui-même de "maniéré", tout en phrases longues, et bourré d'excès divers, que je connais bien pour en avoir publié dans ma revuette La Chambre Rouge, vers 1984, quelques morceaux choisis, comme Faire chou blanc, plaquette tirée à part...), nous faisons connaissance avec quatre figures inoubliablement campées par Régis. Elles entrent de plein droit dans une longue tradition d'évocation littéraire des figures de la rue, qui nous est personnellement très chère.  Cela faisait fort longtemps que Régis Gayraud n'avait pas repris la plume de façon plus directement créative et surtout de façon publique. On le connaît en effet davantage comme traducteur de russe et essayiste, spécialiste du poète-éditeur Iliazd (comme le commentaire qu'il nous a laissé récemment le laisse deviner). On ignore -et c'est très dommageable- qu'il est un écrivain de première force, à la personnalité hors-norme et baroque, pourvue d'un humour parfois féroce...  Ce texte à lui seul vaut l'achat de ce n°2 de Recoins.

Maison de François Aubert à Antignac, photo B.Montpied, 2003.jpg
La maison de François Aubert à Antignac, avec l'entrée du musée minéralogique derrière la porte à tête de mort, photo B.Montpied, 2003 (reproduite dans Recoins

     Un autre texte vaut cependant également le détour, l'évocation documentée et fouillée par Emmanuel Boussuge (par ailleurs directeur de la publication) de la vie et de l'oeuvre du maçon créateur d'environnement spontané François Aubert à Antignac, dans le Cantal (agrémentée de quelques-unes de nos photos faites en accompagnant Emmanuel sur les lieux). Cette mini monographie, s'appuyant sur des souvenirs et des documents confiés par la fille de François Aubert, ainsi que des témoignages d'une érudite locale, Odette Lapeyre, restitue assez bien le cas Aubert. Ce dernier a laissé derrière lui une maison décorée de bric et de broc, avec des animaux en ciment armé de style naïf, un musée minéralogique (point commun avec le facteur Cheval qui comme on sait avait donné pour vocation à son Palais Idéal, dans les débuts, d'abriter un musée de pierres trouvées), une architecture employant des matériaux jurant les uns avec les autres, mariant l'intention farceuse au goût du désordre provocateur. Maison à vendre aujourd'hui et en péril (les statues ont été aujourd'hui cependant mises en lieu sûr, suivant la solution du "déplacement" -chère à Patricia Allio, voir le cas de Jean Grard- et sage décision si l'on se réfère à d'autres sites, comme ceux de Gabriel Albert en Charente, de Raymond Guitet en Gironde ou encore d'Emile Taugourdeau dans la Sarthe). Nous reviendrons personnellement, avec notre propre vision, sur le site de François Aubert à une autre occasion. Je renvoie pour l'heur les lecteurs à ce n°2 de Recoins décidément fort riche.

Maison de François Aubert, vue du côté droit, ph.B.Montpied, 2003.jpg
La maison de François Aubert, vue de la route, côté droit ; photo B.Montpied, 2003 (inédite)

Coordonnées pour acquérir la revue:

Sur Paris, on est sûr d'en trouver quelques exemplaires à la librairie incontournable de la Halle Saint-Pierre, rue Ronsard, 18e arrondissement. Sinon on la commande à Recoins, 13, rue Bergier, 63000, Clermont-Ferrand. (Contact e-mail: revuerecoins@yahoo.fr). Prix au numéro: 6€, abonnement 4 numéros: 20€ (+ toujours le "formidable cadeau"...).

   

21/06/2008

Le griffonneur de Rouen

Graffiti, Alain R., à Rouen, ph Bruno Montpied, 2005.jpg
Graffiti d'Alain R. sur une armoire électrique rue Jeanne d'Arc, Rouen ; photo Bruno Montpied, 2005

   

     J'ai déjà évoqué, quoique subrepticement (dans Création Franche n°26, sept.2006 ), ce vagabond des mots graffités sur les murs de Rouen. Je l'ai découvert dans le livre de Pascale Lemare, le Guide de la Normandie Insolite (éd. Christine Bonneton, juillet 2005). Rencontré au tout petit matin en compagnie de  mon camarade Philippe Lalane, il nous avait glissé son nom, Alain R., susurré serait plus juste, au coeur d'un flot de paroles fort difficiles à saisir. Et ce nom, ces mots mis bout à bout dans une kyrielle de sons quasi inintelligibles, ressemblaient aux mots que l'on trouve en différents lieux de Rouen, plus lisibles, plus intelligibles sur les murs que dans sa propre parole. Pas de phrases, des mots seuls, et beaucoup de noms propres.

Alain R., graffiti Boulevard des Belges, ph David Thouroude, 2006.jpg
Boulevard des Belges, Rouen ; photo David Thouroude, extraite de "Playboy Communiste"
Alain R., photo de David Thouroude, 2008.jpg
Alain R., photo David Thouroude, 2008, blog "Playboy Communiste"

     Coluche, Jesse James, Antoine, Lutte Ouvrière, Langevin, Humanité, Karl Marx (auquel Alain R, sur certaines photos, commence à ressembler...), Capa, SNCF, Martine, Louis XVI, Robinson Crusoe (comme lui, Alain R. a fait naufrage),Portrait d'Alain R. par David Thouroulde, 2006.jpg Essaouira, Tintin, Gai Luron, Chateaubriand, Carlos, Aznavour, Ysengrin, Géronimo, Jean Gabin, Arsène Lupin, Gaston Doumergue, Les Garçons Bouchers, Perpignan (un rare nom de ville), Cavanna, Ribeiro (peut-être Catherine), Crochet (le capitaine), Don Quichotte, Mauritanie, Sidi Brahim, Ali Baba, Oncle Picsou, Haribo, Laguiller, PCF, Mitérand (sic), Patrick Bruel, Gagarine, Olivier Besançonot (sic),graffiti d'Alain R., ph David Thouroude, 2008.jpg Socrate, Gotlib, Polidor 1854, Mandrika, Landru... Que de noms semés au hasard des murs plâtreux, avec une orthographe rarement en défaut, ce qui est à noter. Cela pourrait correspondre à un besoin de rassembler en une gerbe éclatée ce qui reste d'une mémoire, d'une culture (très contre-culture du reste) en danger de dissolution...? Les murs étant les pages du sans domicile fixe (mais Alain R. en est-il un?).

Graffiti quai Gaston Boulet, Rouen, ph David Thouroude, 2008.jpg
Graffiti d'Alain R., quai Gaston Boulet, Rouen, ph David Thouroude, 2008, blog "Playboy Communiste"

    Dans cette litanie, on trouve aussi des noms communs. Les mots: playboy (qui revient à quelques reprises), toise, enchaîné, chéri, goupil (à moins que ce ne soit "Romain Goupil"), ciné, bijou, petit bouchon, dérailleur, occultistes, gaufres, flûte, aligator (sic), mosquée, pied, parole, femme, ménate, regard, devin, trique, tambourinement, paparano...Graffiti d'Alain R.,rue Lecanuet, ph B.Montpied, 2005.jpg Les graffiti laissent parfois les mots bien distincts, mais parfois aussi ils se chevauchent, rendant la lecture difficultueuse. Le support devient alors palimpseste, agrégat de lettres confusément entassées, comme si dans ces moments-là la mémoire s'affolait et ne pouvait plus empêcher la grande mêlée, la grande confusion... Pour moi qui travaille dans l'animation avec des enfants ces inscriptions pulsionnelles ressemblent fort aux efforts enfantins d'apprentissage du langage qui passent par des accumulations de mots écrits laborieusement, en tirant la langue ou pas, les mots s'entassent en vrac, dans une disposition brute sans souci d'ordonnancement, absolument hors de toute norme d'affichage...

Alain R. graffiti rue des Bons Enfants, Rouen, ph B.Montpied, 2005.jpg
Alain R. graffiti rue des Bons Enfants, ph B.Montpied, 2005

    Il n'y a pas très longtemps, un blog s'est créé sur internet entièrement voué à notre griffonneur, avec un inventaire photographique de David Thouroude, recensant un maximum d'inscriptions dans la ville de Rouen (tenant le registre qui plus est des inscriptions effacées ou disparues... Travail de fourmi passionnée qui laisse pantois!). Les animateurs du blog en outre ne se sont pas contentés de faire des photographies mais ils ont aussi relevé tous les mots inscrits par leur héros... Alain R. s'y trouve portraituré à différents endroits de la ville, avec son accord à ce que dit Pascal Héranval sur le blog. Comme je n'ai pas recueilli cet accord (lorsque nous l'avons rencontré, il fut impossible d'établir un véritable dialogue), je m'en tiens à son prénom et à l'initiale de son nom comme cela été déjà utilisé dans un article de Jean-François Robic, Le texte des villes,  qui l'évoque dans l'ouvrage collectif Dessiner dans la marge (textes réunis par Boris Eizykman, éd. de l'Harmattan, 2004). Le nom du site s'inspire des mots d'Alain R.: PLAYBOY COMMUNISTE.Alain R., graffiti rue de l'Ecole, Rouen, ph David Thouroulde, 2006.jpg Avec ce blog, est apparu aussi récemment un film tourné sur Alain R., qui a fait l'objet de plusieurs projections dans le cadre du festival Art et Déchirure à Rouen (selon Philippe Lalane, les séances multiples ont toutes été complètes ; il y a visiblement autour de ce griffonneur un intérêt du public, des habitants de la région, Jean-François Robic le signalait déjà dans l'article cité ci-dessus). Les auteurs du film sont David Thouroude et Pascal Héranval, et sa durée est de 52 min. Ce sont eux aussi qui sont à l'origine du blog "Playboy Communiste", sur lequel on peut aussi apercevoir des fragments de leurs vidéos.

plancher d'Alain R., photo David Thouroudejpg
Graffiti sur une paroi verticale d'Alain R. route de Bonsecours, qui, photographiés ainsi par David Thouroude en 2007, montrent leur ressemblance avec le plancher gravé de Jeannot qu'on peut voir devant l'hôpital Ste-Anne à Paris

20/06/2008

"Les Cahiers de l'Institut" n°1 est paru

    Prévu pour février (voir ma note du 24 novembre 2007), le n° 1 des Cahiers de l'Institut, émanant de l'IIREFL (Institut International de Recherche et d'Exploration sur les Fous Littéraires, etc...) est finalement paru en juin de cette année.

Les Cahiers de l'Institut, n°01,2e trimeste 2008.jpg
Couverture du n°01 avec un collage d'André Stas, intitulé "Naufrage de la pensée" (2007)

   Diffusé a priori essentiellement sur commande, on peut l'obtenir grâce aux coordonnées que j'affiche au bas de cette note. Disons-le tout de suite, c'est une superbe revue, écrite de façon tonique et claire, apportant du neuf sur le petit monde des fous littéraires,  popularisé avant cet "Institut" par Nodier, Queneau et Blavier. La revue ne se limitant pas aux excentriques littéraires, elle se permet aussi des incursions vers certains cas d'art brut, ou des créateurs simplement atypiques de l'art.

    Par exemple, dans ce n°1, nous trouvons un long article passionnant de Frédéric Allamel (p.110) sur l'environnement à la fois littéraire et architectural de Billy Tripp, situé aux USA (Marc Décimo l'a également fait figurer dans son récent livre sur les Jardins de l'Art Brut, éd. Les Presses du Réel), à Mindfield dans l'ouest du Tennessee. "Les correspondances abondent et laissent transparaître un at total dessinant un art de vivre faisant l'éloge du local". Billy Tripp illustre assez bien la fusion du fou littéraire et du créateur d'environnement poétique, ce qui est un cas unique à ma connaissance. Un détail du site de Billy Tripp à Brownsville (Tennessee, photo publiée dans les Jardins de l'Art Brut de Marc Décimo)).jpgLa revue a la bonne idée également de republier un article de Marcel Réja (qui, comme on le sait depuis Michel Thévoz, cachait le nom de l'aliéniste Paul Meunier, collaborateur du Dr Marie et ami traducteur d'August Strindberg), datant de 1901, L'Art malade: dessins de fous, texte anticipant sur le livre que publia par la suite en 1907 Réja. Assurant la transition avec la principale préoccupation de la revue qui reste avant tout l'univers des fous littéraires, un article de Michèle Nevert et Alice Gianotti (p.94) traite de la conservation miraculeuse de nombreux manuscrits d'aliénés de l'asile de Saint-Jean-de-Dieu à Montréal, qui sont donc autant de textes que l'on qualifierait du côté des amateurs d'art brut d'"écrits bruts" (Les anonymes du siècle, Manuscrits asilaires de Saint-Jean-de-Dieu: première traversée ; cependant, il est à noter que les extraits publiés par les auteurs de l'article sont avant tout des lettres de patients à leurs médecins et qu'ils sont écrits dans une langue sans grande invention, à la différence des écrits bruts rassemblés par Thévoz). On connaissait déjà certaines recherches de Michèle Nevert qui avaient été publiées dans les actes du colloque Indiscipline et marginalité édités par Valérie Rousseau dans le cadre de la Société des Arts Indisciplinés en 2003 au Québec.

Dessin de fou, coll Dr.Sérieux, servant à illustrer un article de Marcel Réja dans le n°01 des Cahiers de l'Institut.jpg
"Dessin de fou, collection du Dr. Sérieux", légende publiée dans ce n°01 des Cahiers de l'Institut pour illustrer l'article de Marcel Réja

    Bien d'autres sujets sont évoqués dans les colonnes de cette revue grosse de 145 pages. Marc Décimo, le rédacteur en chef, de son côté, s'évertue (p.22) à recenser les traces laissées chez divers auteurs  par Jean-Pierre Brisset (connu pour avoir voulu démontrer par des séries de calembours étourdissants que l'homme descendait de la grenouille). S'ensuivent quelques extraits caractéristiques des écrits de Brisset. On trouve encore dans ces Cahiers un article d'Allen Thiher, professeur à l'université du Missouri, intitulé Folie et littérature (p.56). Au sein d'un assez long développement, M.Thiher avance cette étonnante remarque: "La littérature dans presque tous les sens du mot n'est-elle pas précisément une expression directe d'un petit accès psychotique, c'est-à-dire, une extériorisation d'une hallucination qui vise à se substituer au monde soi-disant réel -réel dans le sens le plus banal du terme"... Jean-Jacques Lecercle, dans son Eloge des fous littéraires (p.10), estime que les fous littéraires de façon inconsciente mette en avant une autre philosophie du langage. Michel Criton présente les cas d'un certain nombre de mathématiciens fous (p.64). Paolo Albani (p.73) étudie l'usage de la contrainte littéraire librement employée (à la façon des écrits de l'Oulipo) à l'intérieur même de certains écrits de fous littéraires (il cite par exemple le cas de Jean-François de Mas-Latrie, (1782-?) qui pratiqua le lipogramme, ce jeu qui se propose d'éliminer une ou plusieurs lettres volontairement dans les textes à produire). Il cite aussi le cas de ce roman destiné aux plus jeunes, de Mary Godolphin (alias Lucy Aikin), un Robinson Crusoe en mots d'une syllabe...

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Une peinture d'Emilie-Hermine Hanin, 1929, reproduite dans le n°01 des Cahiers de l'Institut

    La revue ne s'arrête pas aux articles ci-dessus mentionnés, elle fourmille d'érudition sur les loufoques de partout, avec le ton humoristique et pince-sans-rire que l'on connaît aux Pataphysiciens, jamais éloigné d'une certaine propension à la malice et à la supercherie. Au détour d'un article ou l'autre, il sera loisible au lecteur de s'arrêter sur la découverte qui le concernera plus particulièrement. J'ai personnellement fait mon miel d'une note relative -dans le cahier central de la revue imprimé sur papier jaune, consacré aux notes de lecture et aux fragments bibliographiques- à un ouvrage appartenant à l'Institut. Son titre: Super-despotes et son auteur, Emilie-Hermine Hanin. Si l'ouvrage est essentiellement consacré à la défense et à la vengeance du père de l'auteur, inventeur malheureux d'un calendrier perpétuel, il permet également de faire découvrir que cette femme était aussi peintre (et souffrait d'une tendance au délire de persécution). L'oeuvre Le piège à avions (du nom d'une invention d'Herminie Hanin), reproduite dans ces Cahiers de l'Institut, révèle un talent naïf/brut de fort bon aloi, qui fait un peu penser aux tableaux naïfs de la collection Courteline. Je me permets de le reproduire ci-dessus. A noter que Jean Selz a publié dans Les Lettres Nouvelles (Les Cahiers de l'Institut ne donnnent pas la référence exacte du numéro) le récit de ses deux rencontres avec cette dame. André Blavier l'a également cité dans son anthologie.

Pour acquérir la revue:

Adresser sa commande (25€ le numéro, 50€ pour deux numéros par an, 140 pages illustrées en noir et blanc) à:

I.I.R.E.F.L., 1, rue du Tremblot, 54122 Fontenoy-la-Joûte, France. Règlement par chèque bancaire à l'ordre de I.I.R.E.F.L. Virement bancaire Société Générale compte n°30003 01463 00050336469 22. Paypal (iirefl@orange.fr). Abonnement étranger: En raison des frais bancaires, des frais de change et des frais de port, l'abonnement est fixé au prix de 70€. Règlement par virement bancaire international par IBAN et BIC. IBAN FR76 3000 3014 6300 0503 3646 922. BIC SOGEFRPP. Paypal (iirefl@orange.fr).

Il est également possible de trouver la revue à la librairie de la Halle Saint-Pierre, rue Ronsard dans le 18e ardt à Paris.

 

15/06/2008

"ET POUR CELA PREFERE L'IMPAIR(E)"... UNE NOUVELLE GALERIE D'ART BRUT A PARIS

  

Entrée de la Galerie Impaire, rue de Lancry, Paris 10, ph.Bruno Montpied, 2008.jpg
La Galerie Impaire, dans la cour du 47, rue de Lancry dans le 10e arrdondissement à Paris ; ph.B.Montpied, 2008

    Longtemps je me suis défié de l'art des handicapés, tant ce que j'en voyais en France me paraissait proche de l'art des enfants, et très piloté à distance peut-être par une sorte de deus ex machina, l'animateur de l'atelier du home d'accueil, qui donnait en secret une coloration à toutes les oeuvres de ses protégés. J'entendais parler de "handicaps" avec la même indifférenciation que celle que l'on applique aux "fous", aux "schizophrènes". Pourtant, on en revient à présent de ce magma sans nuances. Il semble que l'on établit des distinctions, on découvre des cas séparés, on parle même de formes atypiques de génie...Dan Miller, photo de Cheryl Dunn, exposée à la Galerie Impaire, juin 2008.jpg La notion de handicap quant à elle semble évoluer. Si les auteurs d'oeuvres produites dans certains centres d'art devenus aujourd'hui notoires, comme Art en Marge ou la Pommeraie en Belgique, ou bien le Creative Growth Art Center à Oakland en Californie (un des plus anciens puisque fondé en 1978, il y a donc tout juste trente ans ; ses animateurs préfèrent eux parler d'incapacités ("disabilities") plutôt que de handicaps), si ces auteurs peuvent paraître d'un côté incapables de se fabriquer ne serait-ce que leurs propres sandwichs, d'un autre ils sont capables de prodiges de mémoire, avec des calendriers perpétuels dans la tête par exemple. Ils se trouvent simplement porteurs de facultés autres.

   Ce qui conduit certains d'entre eux à pratiquer naturellement l'art. Certaines techniques plutôt que d'autres (le pastel, les feutres chez John Martin et autres créateurs du Creative Growth Art Center, le textile chez Judith Scott, plutôt que la peinture à l'huile ou autres pigments peut-être, parce que plus immédiats, parce que l'esprit recherche le chemin le plus court qui va de la pensée au support?). Des créateurs de qualité incontestable ont été révélés au public ces dernières décennies, en Europe, Paul Duhem,Paul Duhem, pastel et crayon, sans titre, coll.privée, ph Bruno Montpied.jpg Oskar Haus ou Alexis Lippstreu par exemple, venus du Centre "la Pommeraie" à Ellignies-Sainte-Anne en Belgique. Depuis pas mal de temps (cela a commencé pour moi avec l'exposition montée à la Galerie ABCD à Montreuil), on entend parler des créateurs qui oeuvrent au Creative Growth Art Center en Californie, Donald Mitchell, Dwight Mackintosh, Aurie Ramirez, Judith Scott,Judith Scott, exposition Untitled à la Galerie Impaire, juin 2008, ph.B.Montpied.jpg John Martin, Kerry Damianakes, Dan Miller, entre autres (je crois qu'il y a environ 140 créateurs qui sont passés entre les murs de ce centre). Certains commencent à être fort connus, exposés à l'extérieur du monde de l'art brut même, dans des musées américains d'art contemporain. Dan Miller est rapproché par Tom di Maria du travail d'un Cy Twombly par exemple, créateur signiste.

Peinture de Dan Miller, Galerie Impaire, ph B.Montpied, juin 2008.jpg
Dan Miller, Exposition Untitled, Galerie Impaire, juin 2008, ph B.Montpied

    C'est vrai que certaines de ces oeuvres sont fortes. Ma première idée de les rapprocher de l'art des enfants (au vocabulaire plastique toujours un peu restreint, parfois cependant assez fascinant en raison de ce que les enfants parviennent à faire en dépit de ces limites précisément) n'était pas pertinente. J'ai évolué peu à peu. J'aime Duhem, Oskar Haus, Lippstreu. Aurie Ramirez m'intrigue aujourd'hui fortement. On peut découvrir quelques-uns de ses dessins dans l'exposition "Untitled" montée en ouverture de la nouvelle galerie Impaire qui vient de s'installer au 47 de la rue de Lancry (chiffre impair bien sûr) dans le 10e arrondissement de Paris (merci à "Monsieur Info" qui a eu l'obligeance de nous le signaler dans son récent commentaire).Aurie Ramirez, exposition Untitled, Galerie Impaire, juin 2008, ph B.Montpied.jpg Ce lieu est une expérience que tente le Centre d'Art d'Oakland, en jetant un pont entre les USA et l'Europe par-dessus l'océan. Etonnante et risquée tentative, mais salutaire à laquelle je pense nous pouvons souhaiter la bienvenue. On y retrouve les noms cités ci-dessus dont une sélection d'oeuvres est présentée en parallèle avec des portraits photographiques des créateurs par la photographe new-yorkaise Cheryl Dunn (magnifiques portraits qui nous changent un peu des photos de Mario Del Curto, certes fort belles mais perpétuellement exposées, à cause de cette manie paresseuse qu'ont les organisateurs d'expositions de se tourner toujours vers les mêmes recettes, les mêmes "spécialistes", les mêmes confiscateurs de parole...).

Barbara Mealey, photo de Cheryl Dunn, Galerie Impaire, juin 2008.jpg
Barbara Mealey (où s'arrête le masque?), photographiée par Cheryl Dunn, exposition Untitled, Galerie Impaire, juin 2008, Paris

     Tom di Maria nous a confié qu'il souhaite voir associées les oeuvres de ses "poulains" avec les oeuvres d'art contemporain, tant son désir est grand de voir les handicapés regardés pour leurs créations et non pas en fonction d'un handicap qui affecterait leur réception auprès des autres. Ce souhait est communément partagé par tous les animateurs d'ateliers d'art à l'usage des handicapés. Il me semble que cela dissimule aussi parfois le fait que ces animateurs sont parfois eux-mêmes des créateurs qui se tiennent en retrait et qui possèdent une culture artistique pétrie de références à l'art contemporain justement. N'y aurait-il pas (et ici je reviens à la deuxième impression que j'ai signalée au début de cette note) une influence sourde, diffuse, de cette culture non-dite sur le style des productions des créateurs accueillis dans les homes et autres centres d'art pour handicapés? Le désir de voir mêlé l'art des handicapés à l'art contemporain révélerait ainsi le désir rentré des animateurs eux-mêmes désireux de se voir rattachés, via leurs "poulains", à l'art du "mainstream"...?

Vue d'une partie de l'exposition Untitled à la Galerie Impaire en juin 2008, ph B.Montpied.jpg
Vue d'une partie de l'exposition Untitled, à la Galerie Impaire en juin 2008, de gauche à droite: Aurie Ramirez, George Wilson, Kerry Damianakes, Dwight Mackintosh, Ramon Avalos ; sur le sol une oeuvre de Judith Scott ; ph B.M.

      On en profitera pour noter ici une différence remarquable entre les créateurs de l'art brut et les créateurs modernes ou contemporains, c'est que les premiers sont toujours flanqués d'une deuxième personne qui les introduit dans le monde extérieur, d'un médiateur (écrivain, chercheur ou critique, animateur de centre d'art, collectionneur, marchand, ou que sais-je encore) qui les rendra visibles et les fera exposer, alors que les seconds peuvent très bien le faire tout seuls. Un problème de conscience en quelque sorte.

William Scott photographié par Cheryll Dunn, exposition Untitled, Galerie Impaire, Paris, juin 2008.jpg
William Scott, photographié par Cheryll Dunn ; le masque de la créature du Dr.Frankenstein, assimilée dans la langue courante à Frankenstein lui-même, n'est ici pas insignifiante, l'handicapé est-il parfois la "créature" de son animateur?
(NB: cette note a été concoctée indépendamment de notre consoeur Animula Vagula, les grands esprits se rejoignent, je m'aperçois, en insérant ma note, qu'ils ont pensé au même titre que nous dans la note qu'ils viennent de publier eux-mêmes il y a 40 minutes... Verlaine, ça nous fait au moins un point commun)

08/06/2008

Cartes postales exhumées du pays des éternelles vacances

    Je joue, entre autres casquettes, au collectionneur voué aux seules cartes postales qui traitent des créations environnementales populaires. Collectionneur n'est pas le terme exact. J'amasse de la documentation variée sur le sujet depuis bientôt vingt-huit ans. Dans cette documentation, les cartes postales montrant des créations populaires insolites ont un charme et une place à part dans mon coeur.

Le-Facteur Cheval-et-sa-brouette carte postale d'époque.jpg

     Ces dernières ont commencé à m'intriguer du jour, je crois bien, où je me suis intéressé à l'abbé Fouré et ses rochers sculptés à Rothéneuf en Bretagne (vers 1981). Le facteur Cheval et lui avaient fait éditer de copieux lots de cartes qu'ils vendaient sur leurs sites. Ce petit bout de carton était familier et réputé dans les milieux populaires au début du XXe siècle. Pas cher, facile à employer, à faire circuler, il véhiculait sans peine l'image qu'on souhaitait transmettre de son travail ou de ses moments passés loin de ses proches ou de ses amis. Une forme d'art modeste, dirait-on du côté de Sète. C'était une forme de publicité très populaire, de médiatisation immédiate si l'on peut dire, que les deux créateurs d'environnement, dans la Drôme et en Ille-et-Vilaine, surveillaient jalousement (tous deux eurent maille à partir avec des indélicats qui voulurent vendre leurs clichés sans autorisation des créateurs, est-ce la raison pour laquelle du reste, on trouvait sur le site des rochers à Rothéneuf un buste titré "L'avocat des rochers"? Inscription effacée avec le temps...). Notons au passage que ce genre de publicité modeste organisée autour de leurs environnements contribue à distinguer les créateurs d'environnements, tels Cheval et Fouré (Charles Billy aussi par exemple a édité des cartes sur ses réalisations) des autres auteurs d'art brut, beaucoup moins (si ce n'est pas du tout) préoccupés de faire connaître leurs travaux à l'extérieur de leur cercle intime (ceci pour répondre à une discussion initiée avec Régis Gayraud, par commentaires interposés...). Les environnementalistes spontanés me paraissent les extravertis de l'art brut, si l'on peut dire...

Abbé Fouré, la sculpture représentant l'Ermite et au-dessus à droite l'Avocat des rochers.jpg
Abbé Fouré, sculptures de rochers et maçonnerie au bord de la mer à Rothéneuf (Ille-et-Vilaine), entre 1894 et 1910 ; l'abbé s'est représenté les bras écartés, protégeant les pauvres, l'inscription au-desus de sa tête désignant "l'ermite" qu'il était ; "L'avocat des Rochers" est en haut à droite ; actuellement, certaines de ces sculptures ont disparu, ainsi que les inscriptions et les couleurs, l'ensemble des sculptures encore en place étant très érodées par les embruns; carte postale début XXe siècle, coll.B.M. 

 

     Les cartes postales, en outre, sont un conservatoire minuscule mais paradoxalement efficace (il y a un charme) des sites d'art brut disparus, ou modifiés dans la suite des temps. Grâce à elles, nous disposons de la nouvelle objective (effacée souvent partout ailleurs...) de leur passage effectif dans une certaine durée du temps. Pour les plus anciennes, elles sont en noir et blanc. Cela ajoute à leur mystère. Elles ont tout des mirages, illusions pourtant fixées.

    Ceux qui ont vu parmi les premiers l'intérêt qu'il y avait à conserver ces cartes qui témoignaient d'oeuvres bien oubliées dans la cascade du temps sont les géniaux animateurs du Musée rural des Arts Populaires de Laduz (dans l'Yonne), Raymond et Jacqueline Humbert et leur collaboratrice, Marie-José Drogou. Dans leur département consacré à la Sculpture Populaire, on pouvait voir, dès le début du musée (à la fin des années 1980), accrochées aux cimaises certaines de ces cartes postales anciennes concernant par exemple Claude Poullaouec, étonnant créateur qui avait peint des lits clos de façon ultra-naïve à Plougonvelin (voir ma note du 7 juillet 2007), ou bien l'étrange maison sans fenêtres de Pierre Dange, à Rogny-les-Sept-Ecluses dans l'Yonne, ou encore les bois et les pierres sculptés de l'abbé Fouré sur les falaises de Rothéneuf.

Pierre-Dange,-son-château-à.jpg
Pierre Dange posant devant son étrange maison à Rogny-les-Sept-Ecluses (Yonne) ; un de ses tableaux (paraissant représenter des chevaux) est posé contre un mur à côté de lui; carte postale coll.B.M.

    J'ai donc ramassé des cartes de manière intermittente, au hasard des brocantes et des magasins spécialisés destinés aux monomaniaques adorant tripoter ces petits bouts de papier jauni. Car ça n'est pas très ragoûtant, et ça ne donne pas une grande idée de la dignité humaine que de voir ces obsessionnels traquer la perle rare en triant sempiternellement leurs piles de cartes poussiéreuses classées par département, villes et "sélections". J'y allais un peu à reculons à chaque fois, à dose homéopathique... Ma collection a crû du coup très lentement... J'en utilisais à l'occasion pour illustrer des articles, par exemple sur François Michaud (La "Villa des Fleurs" curieuse villa décorée de sculptures à Montbard), en 1991, ou dans mon fanzine L'Art Immédiat...

Villa-des-Fleurs.jpg
La Villa des Fleurs à Montbard (Côte-d'Or) avec son auteur (le Docteur Chevreux, selon Gazogène) probablement présent, sur la droite montrant à un visiteur la maison curieusement décorée ; coll.B.M.
Page du livre sur FMichaud, la villa des fleurs à Montbard.jpg
Une autre carte sur La Villa des Fleurs fut reproduite dans le livre Masgot, L'Oeuvre Enigmatique de François Michaud, à l'intérieur du texte de B.Montpied, Formes pures de l'émerveillement ; Ed. Lucien Souny, 1991 

      Pendant ce temps, les scientifiques, les systématiques, les méthodiques arrivaient... Les marchands qui ne comprenaient jusque là pas trop bien le genre de cartes que je cherchais, puisque ces cartes n'avaient jamais fait l'objet d'aucune collection, commencèrent tout à coup à mieux situer le champ... Une terminologie s'esquissait: "Monsieur cherche des jardins fantastiques populaires sans doute?", ça c'était le marchand pointu, mais j'entendais surtout: "Vous cherchez des facteurs Cheval ?"...

      Tout à coup Jean-Michel Chesné fut là! Ayant de plus rencontré la célèbre concierge de l'art brut qui éditait la revue Gazogène du côté de Cahors, cette dernière n'ayant pas souvent d'idées grandioses pour nourrir son teuf-teuf, on se mit à assister à une véritable "déferlante" de numéros consacrés à la collection proprement faramineuse de l'ami Chesné. En tout, on arrive aujourd'hui avec le dernier numéro hors-série de la revue, intitulé "N'oubliez pas l'artiste", paru en avril 2008, à trois numéros entièrement consacrés aux environnements vus à travers la carte postale. Des expositions ont également montré les cartes de la collection Chesné, au musée de la Création Franche à Bègles et à la Halle Saint-Pierre (dans l'espace près de la caféteria) avec l'appoint des animateurs du bulletin Zon'Art. Les XIe Rencontres autour de l'Art singulier, organisées par Hors-Champ à Nice le 7 juin (hier...Voir ma note récente sur le sujet), ont aussi eu la riche idée de faire venir la concierge et le collectionneur pour présenter au public des amateurs le résultat de la pêche miraculeuse.

Gazogène hors-série N'oubliez pas l'artiste.jpg

      Je raille la concierge mais je mets mon chapeau bas devant le collectionneur Chesné qui a fait de bien belles découvertes. Plusieurs cartes étaient en effet inconnues dans sa moisson (et je ne parle ici que des cartes en rapport avec des environnements en France, champ de recherche auquel je me limite personnellement, non par chauvinisme mais par besoin de circonscrire): le cul-de-jatte des "petits châteaux" de Sévérac en Loire-Inférieure,Gazogène-cp-Séverac.jpg le musée en plein air du Castel Maraîchin de l'ancien St-Gilles-Croix-de-Vie en Vendée, le mur d'A.Bouvant à Montreuil, le bateau sculpté dans l'os par un Poilu à St-Vigor-d'Ymonville en Loire-Inférieure (c'est la Loire-Atlantique), le Carrousel Savoyard de bois trouvés dans la nature de Sixt (en Haute-Savoie), ces dernières cartes étant reproduites dans le récent numéro hors-série précédemment cité.Bateau en os sculpté par un Poilu, carte de la coll.Chesné reproduite dans Gazogène 2008.jpg Dans les autres numéros de Gazogène, les n°24 et 27 (respectivement Les rocailleurs du rêve -sans date- et L'Internationale des rocailleurs -sans date toujours-), si le deuxième est consacré dans sa totalité à des sites situés hors de France, le n°24 quant à lui révélait des cartes étonnantes comme celles de la "Maison artistique" de Jargeau (dans le Loiret), les "rocailles d'art de la Maison Marais aux Haies" à Laigle, diverses fantaisies médiévales en ciment, les meubles couverts de mosaïque d'un certain Duval à Lisieux, les fausses grottes du Luc près d'Espiet dans la Gironde, oeuvre aujourd'hui encore intacte, mais gardée secrète par son propriétaire, due à un certain Alcide Teynac (très belle découverte de Chesné et de J-F.Maurice, il faut le souligner)...

        Les auteurs de ces compilations mêlent avec raison aux cartes montrant des environnements créatifs des cartes présentant aussi des habitats précaires bricolés à partir d'ingénieux recyclages comme ces cabanes faites à partir de bateaux retournés.Cayeux-le-pauvre-Toto.jpg Ils ont lu les livres de Michel Racine sur les rocailleurs du XIXe siècle.  Tous les habitats imaginatifs, tels qu'on peut en voir dans d'autres ouvrages comme Les Bâtisseurs du rêve de  Michaël Schuyt, Joost Elffers et George R. Collins (éd. Chêne/Hachette, 1980), maisons dans les arbres ou insolites édifices publicitaires, les requièrent pour établir des passerelles avec l'art brut environnemental. Pourquoi pas? 

      Signalons que des cartes de la collection Chesné ont également été récemment publiées par lui dans la revue Raw Vision n°61, hiver 2007 (article Lost in time).

     Je reviendrai bien sûr dans les notes à venir sur certains de ces sites connus grâce aux cartes postales.

Pour trouver la revue Gazogène, on peut toujours la demander à la librairie de la Halle St-Pierre à Paris. Autrement, voici son adresse: Gazogène, Le Bourg, 46140 Belaye. Tél: 05 65 35 61 68. (Comme quoi mon honnêteté l'emporte sur la rancune à l'égard de la malhonnêteté intellectuelle de son auteur...).

03/06/2008

André Robillard fait du théâtre

 

    Etonnante nouvelle que vient de me couler l'amie Frédérique M. (avertie elle-même par Clovis Prévost qui depuis quelque temps "suit" André Robillard) dans le creux du portable, forme moderne de bouche à oreille, j'apprends qu'André Robillard fait du théâtre à présent... Il va participer au spectacle d'Alexis Forestier, "Tuer la misère" au Théâtre de la Bastille, mercredi 4 juin à 20h30 en compagnie d'Alexis Forestier, Emma Juliard, Charlotte Ranson, et Antonin Rayon. Si vous ne me croyez pas, regardez vite la rubrique Tous les programmes sur le site du théâtre... Je sais pas vous, mais moi, qui n'aime pas trop le théâtre généralement, je vais faire un accroc à mes habitudes. On n'est plus dans l'adaptation de quelque chose de l'art brut au théâtre, là... Il se passe autre chose.

André Robillard, deux assemblages et un dessin, collection l'Aracine, exposition Les chemins de l'Art Brut 6 à St-Alban-sur-Limagnole, ph B.Montpied.jpg
Des travaux d'André Robillard présentés aux Chemins de l'Art Brut 6 au Château de St-Alban-sur-Limagnole en 2007
 
 André robillard dans le film de Claude et Clovis Prévost, Visites à André Robillard, 2007.jpg
 
André Robillard, dans le film de Claude et Clovis Prévost, Visites à André Robillard qui était présenté en 2007 à St-Alban-sur-Limagnole (merci à Frédérique pour le travail de transmission)

   Les organisateurs de cette pièce -c'était en germe dans le spectacle de Sylvie Reteuna et de Bruno Decharme aux Rencontres de la Villette (voir note du 28 mars 2008), puisque les acteurs déambulaient parmi des oeuvres d'art brut de la collection ABCD- les organisateurs du spectacle ici mentionné ont cette fois fait monter un créateur de l'art brut directement sur scène.

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Jeudi 5 juin

   Retour sur la soirée du 4 au Théâtre de la Bastille. "Tuer la misère" a finalement bien tenu la promesse de son titre. Si l'on entend misère par misère morale et intellectuelle. Et cela surtout grâce à l'incroyable énergie inspirée d'André Robillard incarnée sur scène par des sketchs, des danses, des  performances vocales (j'aime particulièrement quand il parle dans un allemand de nazi bouffon, ou bien en langue martienne, talent qu'il partage avec Hélène Smith qui l'écrivait, elle... ), certes incrustés dans une mise en scène, et téléguidés, accompagnés par les autres comédiens de la compagnie. Robillard collabore avec eux -c'était évident pour le public-  dans un esprit de camaraderie sans chichis, qui n'aliénait pas l'énergie propre à ce curieux visionnaire, mixte de prolo et de pythie... Et je me suis dit que d'ailleurs, cette énergie robillardienne a sans doute besoin de ce cadre et de ces contraintes, de ces régles de mise en scène pour avoir le tremplin réactif nécessaire à l'essor de ses récréations.

   Le plateau était semé d'oeuvres de Robillard sur bois (faites exprès pour le spectacle), ainsi que des fusils, un balai, de divers objets (des cages avec ses perruches qui ne peuvent guère rester à la maison sans lui, paraît-il). Spectacle qui a commencé à La Roche-sur-Yon, puis s'est déplacé à La Fonderie au Mans avant de s'arrimer au théâtre de la Bastille à Paris. A la fin, Alexis Forestier invita du reste  le public à monter sur scène afin de mieux s'approcher de ces oeuvres (déambulation peut-être inspirée du concept de spectacle récent d'ABCD aux Rencontres de la Villette?). 

    Les jeunes gens qui entourent Robillard ne le vampirisent pas, ne se servent pas de lui, comme on pourrait être tenté de l'interpréter dans un premier temps (surtout au début du spectacle qui, hier soir, avait du mal à "décoller" dans sa première moitié). Robillard est au coeur d'une représentation qui ne cache pas ses ficelles, ses rouages, ses réglages. Le bricolage est une donnée importante en l'occurrence. Il était juste qu'il soit représenté lui aussi sur scène. Robillard a une énergie créatrice (à 76 ans...) et une inventivité, une fantaisie rugueuse qui contamine ces jeunes gens, et les stimule. Cette émulation amène progressivement la pièce à tourbillonner de façon bouffone et poétique, d'une façon qui finit par nous enchanter et peut-être aussi par nous contaminer à notre tour, nous autres simples spectateurs...

    Une dernière remarque. Robillard, on le sait grâce au texte merveilleux de Roger Gentis, paru dans le fascicule 11 de la Collection de l'Art Brut en 1982, avait un père garde-forestier à côté duquel il allait à la chasse en forêt d'Orléans. C'est un médecin appelé Renard qui  a fait connaître ses oeuvres à la Collection d'Art Brut... Lorsqu'il est allé visiter la fameuse Collection à Lausanne, Gentis rapporte que Robillard s'était en particulier arrêté sur les sculptures d'Auguste Forestier exposées à côté des siennes. La série continue: pourquoi s'étonner qu'il ait participé à une telle expérience théâtrale, dés lors qu'elle était animée par, entre autres maîtres d'oeuvre, un certain Alexis Forestier...?

 

31/05/2008

Grandeur et décadence du jardin zoologique de Raymond Guitet

Raymond Guitet, Le Jardin Zoologique à Sauveterre-de-Guyenne, années 70, photo Jacques Verroust.jpg
Photo Jacques Verroust (années 70), extraite des Inspirés du Bord des Routes, 1978 ; à l'époque, ni arbres, ni haies ne cachent les statues du fond, et au pied du singe sur son arbre, on peut encore voir la saynète "T'en fais pas, la Poste marche si mal   

     De tous les sites et environnements imaginés par des autodidactes d'origine populaire, j'ai un faible pour le "jardin zoologique" de Raymond Guitet qui agonise à Sauveterre-de-Guyenne dans ce que l'on appelle l'Entre-Deux-Mers, les "mers" en question étant la Dordogne et la Garonne. Je l'ai visité trois fois. Une première en 1988, une seconde en 1991 et la troisième tout récemment en mai 2008 (je fêtais l'anniversaire de ma première visite faut croire, mais ce fut une triste fête, le jardin est en voie de complet anéantissement).

Raymond Guitet, le jardin zoologique, ph.B.Montpied, 1991 .jpg
Le Jardin zoologique en 1991, la peinture s'efface, les statues résistent vaille que vaille quarante ans après... Photo B. Montpied
Raymond Guitet, statues des Trois Sages et autres, ph.B.Montpied, 1991.jpg
Au premier plan, la saynète des "Trois sages" et leurs conseils gravés sur une pierre à leurs pieds ; à droite, derrière des animaux semés sur un sol couvert de gravier, sous un parasol, la saynète de "Crédit est mort, les mauvais payeurs l'ont tué", ph.B.Montpied, 1991
Raymond Guitet, inscription des conseils des Trois Sages subsistant encore en 2008, ph.B.Montpied.jpg
Seule reste en mai 2008 l'inscription récapitulative aux pieds des "Trois Sages"... sans les Trois Sages désormais envolés...

     En 1988, avec Christine et Jean-Louis Cerisier, aux portes de la bastide de Sauveterre, en demandant  à des personnes assises sur un banc si on était encore loin du jardin, on s'était vu rétorquer que non, mais "c'est qu'il n'y avait plus rien là-bas"... Celle qui nous renseigna s'avèra une proche parente de Guitet (ce dernier étant décédé depuis un petit bout de temps, au moins trente ans). Une fois sur place -le site était à une centaine de mètres-, nous nous avisâmes qu'il y avait encore beaucoup de statues, certes en mauvais état (beaucoup étaient fissurées, avaient perdu leur ciment, montrant les infrastructures en tôle rouillée sur lesquelles l'auteur avait coulé le ciment, certaines statues avaient été enlevées...). Ainsi, il y avait encore quelque chose, et simultanément aux yeux des proches "il n'y avait plus rien". Cela me fit réfléchir. Les créations de Raymond Guitet avaient été associées par cette femme de façon tellement étroite à Guitet de son vivant que celui-ci une fois mort, sa création avait disparu aussi à ses yeux...

Raymond Guitet, un des mauvais payeurs de la saynète Crédit est mort..., ph.B.Montpied, 1991.jpg
Une des statuettes du groupe "Crédit est mort...", ph.B.Montpied, (en1988)

     Ces statues avaient un aspect rugueux, surtout parce qu'à cette époque elles avaient perdu leurs couleurs. Car elles étaient peintes, comme on peut s'en convaincre en regardant les photos, vraisemblablement du début des années 70, de Jacques Verroust, publiées dans son livre de 1978 (écrit avec Jacques Lacarrière) Les Inspirés du Bord des Routes (Le Seuil éditeur). Je fais comme ces auteurs au fait, j'orthographie Guitet avec un "t", comme le créateur lui-même l'orthographiait, il n'est que de lire les panneaux en ciment où il a apposé plusieurs fois son nom (l'orthographe avec deux "t" se trouve notamment dans les livres de Claude Arz sur la "France insolite" par exemple, et dans des ouvrages anglo-saxons qui ont recopié cette graphie à partir de Arz).

     Les statues étaient disposées leur face tournée vers la route, à l'intention des passants sans l'ombre d'un doute, derrière un portique décoré de statuettes où un médaillon en ciment proclamait fièrement "L'an 1950 jardin zoologique de Sauveterre créé par R.Guitet". Au revers, une autre inscription ajoutait cette précision: "à l'âge de 75 ans".Raymond Guitet, inscription donnant sur la route, Le Jardin zoologique..., ph B.Montpied, 1991.jpg Ce portique existe encore aujourd'hui, mais la première inscription a été maladroitement badigeonnée de ciment, et il ne reste plus qu'une statuette pendouillant lamentablement (une sorte de lutin avec un bonnet). 75 ans en 1950, je m'étais dit que Guitet avait donc dû naître vers 1875, ce qui faisait de lui un créateur avec un pied culturel dans le XIXe siècle. On a donné la date de 1956 pour sa disparition (Jean-Louis Lanoux, voir bibliographie à la fin de cette note) , qui a donc suivi de près la réalisation de son jardin, elle-même étalée, finalement, sur un assez court laps de temps. Pour le reste, on ne sait pas grand-chose sur Raymond Guitet. J'ai retrouvé dans mes notes de 1988 qu'il aurait exercé le métier de charron, puis de marchand de fruits. Patrick Riou le signale quant à lui comme "cantonnier", ce qui a été répété ensuite sans confirmation de la véracité du fait...

Raymond Guitet, Son jardin en mai 2008, ph.B.Montpied.jpg

Le jardin zoologique, plus très zoo, plus très logique... ; il reste trois grandes statues lézardées, un ou deux animaux, le portique, mais c'est bien tout... ph.B.Montpied, mai 2008

      Pour faire un peu progresser la bio de ce créateur magnifique mais peu prolixe (on ne connaît de lui que cet unique jardin paysagé de quelques dizaines de mètres carré), je suis allé demander à J-L. Lanoux où il avait trouvé la date de la mort de Guitet. Il a eu la grande amabilité de me communiquer les dates exactes de naissance et de mort: 18 juin 1876-13 janvier 1956, ainsi qu'une copie d'un document intéressant. Il a été en contact avec une habitante de Sauveterre s'intéressant au "cas Guitet". Cette dame avait également ajouté les précisions suivantes: "(...) marié à 22 ans à Marie Barthélémy (27 ans). Profession jardinier. (...) Homme vaillant, a élevé quatre enfants. Il fut adjoint au maire en 1929 et en 1940. Il faisait les marchés, notamment volailles, oies, oeufs. Il avait créé également une petite scierie. Une de ses filles mariée au Maroc l'avait mis en contact avec un exportateur d'agrumes et avec toutes ces activités il avait à ses moments de détente élaboré ce jardin "zoologique" que le temps inexorable a griffé bien sérieusement..." (Extrait d'une lettre de Mme G. à J-L.Lanoux, 17 avril 1990). La mairie actuelle, comme on le voit, aurait pu prendre davantage soin de l'oeuvre d'un des anciens responsables, petite remarque en passant...

     "Zoologique", pour qualifier ce "jardin" m'a toujours paru curieux... Guitet avait campé des animaux certes, un singe avec un boulet (disparu), un serpent, un lièvre debout (disparu), un chien (encore en place aujourd'hui), plusieurs oiseaux, des oies, des dindons, des vautours avec leurs nichées (dont un oeuf en train d'éclore dans un des nids ; ces vautours perchés sur des aquariums sans eau où étaient suspendus des poissons sont actuellement absorbés dans les buissons et les arbres qui ont envahi l'arrière du jardin), un ou deux lions (dans la saynète représentant un dompteur de "cirque", saynète elle aussi disparue)... Raymond Guitet, le général Leclerc, ph.B.Montpied, en 1991.jpgMais ce que l'on remarquait avant tout, c'était les statues représentant des êtres humains, personnages célèbres de l'histoire de France, comme le général Leclerc (statue toujours en place), Jeanne d'Arc (en place), le général (sic) De Lattre de Tassigny (en place), des autoportraits (il y en avait deux à deux tailles différentes, statues aujourd'hui toutes les deux disparues...) et des saynètes de type caricatural ("T'en fais pas, la Poste marche si mal", groupe de deux petites statues qui avait déjà disparu avant 1988 ; on connaît leur existence par les photos de Jacques Verroust et de Patrick Riou, elle se situaient aux pieds du singe sur son arbre ) ou illustrant un dicton ("Crédit est mort, les mauvais payeurs l'ont tué", groupe abîmé en 1988, disparu en 2008). Il est probable que Guitet n'avait pas trop fait attention à cette petite contradiction. Mais du coup les braves généraux et la célèbre pucelle se retrouvaient embringués dans une drôle d'Arche de Noé...

     Plusieurs statues pouvaient être identifiées grâce à des inscriptions gravées dans le ciment de socles ou de médaillons placés au sol devant les statues. Une de ces inscriptions que j'ai photographiée déjà bien abîmée en 1988, et qui était alors installée à même le sol au risque d'être recouverte par la végétation, avait été à l'époque des photos de Jacques Verroust dressée contre les jambes de la grande statue représentant Guitet. Voici ce qu'elle disait:

Raymond Guitet, inscription dans le jardin de Sauveterre-de-Guyenne, ph B.Montpied, 1988.jpg

Inscription sur une galette de ciment posée à même le sol (et rehaussée par moi) ; disparue aujourd'hui... Photo B. Montpied, 1988   

     La statue comportait elle-même une inscription à ses pieds qui identifiait Guitet sous les traits de cet homme à gilet et casquette, en sabots, tenant un oiseau sur le poignet: M.Guitet créateur du jardin zoologique de Sauveterre [...]. Ce terme de "créateur" est à souligner. Il est assez rare qu'un de ces créateurs d'environnement spontané qualifie lui-même de façon aussi nette son activité. Le terme d'"artiste", on le voit en tout cas, n'a pas été retenu par l'auteur lui-même (à nos yeux de façon tout à fait pertinente).

     Raymond Guitet, autoportrait à la casquette, ph.B.Montpied, 1991.jpg    Raymond Guitet, socle de l'autoportrait à la casquette vide en mai 2008, ph.B.Montpied.jpg
Deux états différents de la même statue, à gauche en 1991, l'autoportrait de Guitet avec la casquette (brisée), et, à droite, le socle vide en mai 2008, ph.B.M.

     L'autre statue autoportraiturant Guitet le représentait, dans des dimensions nettement plus réduites par rapport aux quatre autres statues placées sur la même ligne au fond du jardin, avec un immense chapeau (peut-être traditionnel?) et des accessoires qui paraissent comme les attributs d'une profession (une corde autour de la taille?). Est-ce une petite roue qu'il porte sur l'épaule gauche (où sur ma photo de 1991, se tient un morceau écroulé du chapeau)? Toutes ces précisions auraient pu être apportées par la moindre recherche d'un érudit régional qui serait allé enquêter auprès de la famille. Il n'est pas dit que cette enquête n'ait pas été menée (comme on le sent dans les recherches de Lanoux qui datent de 1990). Mais pour le moment, nous n'en avons pas entendu parler.

Raymond Guitet, les autoportraits, Jeanne d'Arc, De Lattre, ph.B.Montpied, 1991.jpg
Les deux statues autoprtraits de Guitet, Jeanne d'Arc et De Lattre de Tassigny au fond, ph.B.M., 1991

      Ce jardin était une merveille. Ses statues, son ordonnancement, l'idée de placer en son centre un bassin (quadrilobé, joli mot précis, n'est-ce pas Jean-Louis?) qui était rempli d'eau autrefois (on en voit sur les photos de Jacques Verroust), d'où émergeait l'étrave d'une barque avec un marin juché dessus brandissant une pagaie, et qui comportait, semble-t-il lui aussi une inscription que cite Patrick Riou dans son livre ("15 juin date mémorative") -peut-être un souvenir de combats auxquels Guitet aurait pu participer? Hypothèse que j'aventure... La naïveté de sa conception, de sa facture, naïveté rugueuse et non mièvre... comme je les regrette à présent que tout est parti à vau-l'eau. Son Leclerc qui ressemble encore un peu à un Golem, sa Jeanne d'Arc à quelque solide guerrier africain, et l'air quelque peu éberlué de son De Lattre ne donnent plus qu'un faible écho de ce que l'on ressentait en découvrant ce petit théâtre de verdure avec ses simulacres en plein vent.

Raymond Guitet, Le général Leclerc, ph.B.Montpied, mai 2008.jpg
Le général Leclerc, le haut de son buste au képi brisé, la ruine menaçant... ph.B.M., mai 2008
Raymond Guitet, Jeanne d'Arc, ph.B.Montpied, mai 2008.jpg
Jeanne d'Arc cernée par la végétation, ph.B.M., mai 2008 

     Je l'ai déjà égrenée la liste des statues anéanties, ou volées (ce qui est un des espoirs qui nous restent, que ces statues ressortent un jour sur quelque brocante, et c'est parfois la dernière solution qui reste lorsque toutes les bonnes volontés ont été épuisées pour sauver légalement un site dont les successeurs ne veulent rien faire), mais il faut la redire, en une litanie résignée: plus de singe au boulet et de serpent autour de l'arbre, "Crédit est mort" et bien mort..., plus de marin sur son esquif, où sont passés "les trois sages" qui "voyaient, entendaient tout, mais ne disaient rien" (et dont les conseils auront finalement été bien trop entendus)? Envolés... Plus de cirque miniature, plus de lièvre, plus aucun autoportrait de Raymond Guitet, plus d'animaux, dindons cocasses, vaguement ubuesques. Le terrain bâille à la mort, tout est déséquilbré, infirme, il ne reste plus que l'attente d'un coup de grâce...

1204489244.jpg
Le cirque est vide, le spectacle est fini, les fauves ont-ils été lâchés...? Ph.B.M., mai 2008
Tronc de Raymond Guitet, jardin de sauveterre-de-Guyenne, ph B.Montpied, mai 2008.jpg
Le tronc qui est encore aujourd'hui accroché au grillage de la clôture, photo B.Montpied, mai 2008: N'OUBLIE PAS LE CREATEUR...

 

      Bibliographie sur Raymond Guitet:

Jacques Verroust et Jacques Lacarrière, Les Inspirés du Bord des Routes, Le Seuil éditeur, Paris, 1978.

Patrick Riou, Les Jardiniers du Quotidien, ou l'art populaire dans le grand Sud-Ouest,  Patrick Riou, Toulouse, 1984 (vraisemblablement).

Bruno Montpied, Le Ciment des Rêves, une promenade chez quatre créateurs de sites naïfs ou bruts du Sud-Ouest [François Michaud, Gilis, Raymond Guitet et Gabriel Albert], in Plein Chant  n°44, Bassac, printemps 1989. Ce texte est émaillé de petites erreurs que j'ai plaisir à corriger aujourd'hui (attributions de noms erronés aux statues de Guitet, erreur sur le nom de Gabriel Albert, coquilles de l'imprimeur, n'en jetez plus)... Ce texte n'en reste pas moins le premier à parler de Guitet, les deux ouvrages précédents ne montrant que des photos sans apporter beacoupde commentaires. La briéveté de ma visite, ses conditions de clandestinité (nous avions tout de même sauté sans autorisation la petite clôture...), le fait que j'ai surtout photographié à tour de bras et filmé aussi en Super 8 ce jour-là (avec la crainte d'être embêté par les voisins), tout cela est grandement responsable des erreurs d'interprétation. Mes successeurs eurent beau jeu de les rectifier, à partir de ce premier jet. Mais il est vrai aussi que la vérité se construit à plus d'un.

Jean-Louis Lanoux, L'autre vie de Raymond Guitet, Bulletin de l'Association les Amis d'Ozenda n°44, septembre 1991. Dans cet article Jean-Louis concluait en demandant, optimiste comme on le connaît: "Alors, pour Raymond Guitet, une autre vie demain?". On a vu la réponse, hélas.... Cette autre vie risque fort de ne plus exister que dans nos mémoires, photographiques ou autres. Merci en tout cas à J2L qui s'est gentiment fendu pour notre blog de ses informations inédites sur Guitet.

(Il y eut d'autres personnes par la suite qui parlèrent un  peu de Guitet, mais rien de fondamentalement nouveau ne fut apporté, semble-t-il (mais nos lecteurs peuvent très bien nous communiquer d'autres références que nous n'aurions pas vues) ; on se contenta de publier des photos et de recopier platement ce qui avait déjà été écrit (sans citer ses sources bien entendu), je pense notamment au plumitif peu inspiré qui livra un texte sans relief dans Zon'Art n°5, au printemps 2001, "La curieuse zoologie de Raymond Guittet" (sic) )

22/05/2008

XIes Rencontres autour de l'Art Singulier à Nice

 Affichette des XIes rencontres autour de l'Art singulier à Nice le 7 juin 2008.jpg

 

    J'ai reçu enfin le carton annonçant la nouvelle programmation des excellentes Rencontres autour de l'Art Singulier qui se tiennent sous l'égide de l'association Hors-Champ, animée entre autres par Pierre-Jean Wurtz, une fois par an, généralement à la fin du mois de mai, à Nice, dans l'auditorium du Musée d'Art Moderne et d'Art contemporain. La prochaine rencontre se tiendra donc le samedi 7 juin de 10h à 17h30. Cela fait plusieurs années que cette association s'ingénie à réunir autour de l'art singulier -le terme englobe à leurs yeux tout ce qui relève de l'art brut, des environnements spontanés, voire de l'art naïf, et à l'étranger de l'art outsider- cinéastes, créateurs et amateurs de ces formes d'art marginal dans un climat qui se veut cordial. Ces rencontres furent souvent l'occasion de fructueux échanges de vues entre amateurs divers, de transmissions d'information qui se passent aussi bien dans le cadre de la journée de programmation qu'en dehors, dans les restaurants ou cafés du vieux Nice.

Carton d'invitation aux Xes Rencontres autour de l'Art Singulier à Nice en 2007.JPG
Carton d'invitation aux 10es Rencontres de 2007

    Cette année, on pourra découvrir des films sur Ni Tanjung (cette Balinaise dont on parle dans le dernier fascicule de la Collection de l'Art Brut à Lausanne), sur Joseph Donadello (dont le petit fanzine Zon'Art de Denis Lavaud et Bernard Dattas avait déjà parlé), sur Pya Hug (intrigante créatrice suisse dans un film de Mario Del Curto). Ainsi qu'un film de Guy Brunet (un extrait où ce grand candide raconte à sa façon dans un cinéma documentaire bricolé à la maison l'histoire du festival de Cannes... En présence d'acteurs ou de metteurs en scène célèbres réalisés en silhouettes peintes, voir ma note du 1er mai 08). A voir également, chaudement recommandé par Pierre-Jean Wurtz, un film d'Enrico Ranzanici sur un collecteur de galets de rivière, Luigi Lineri, qui les choisirait pour leurs formes parlantes -ça me rappelle Mme Bassieux à Dieulefit dans la Drôme... Pour le programme complet, voir les photos que j'insère à la suite.

Programme (contenant quelques trucages) des XIes Rencontres autour de l'Art Singulier, association Hors-Champ, Nice 2008.jpg
Programme des XIes Rencontres du 7 juin 2008 (contenant quelques trucages)

    L'association a chaque année la lourde tâche de trouver des subventions pour la réalisation de cette journée et il faut les féliciter d'y arriver depuis onze ans. Une parenthèse ici cependant: est-ce parce qu'ils sont trop obsédés par ces sponsors à dénicher qu'ils finissent par oublier de remercier les amis et les simples particuliers, qui, comme votre serviteur, leur ont proposé des idées de films à passer? Ainsi en va-t-il cette année du film de Jean Painlevé sur le créateur populaire danois Axel Henrichsen que j'avais proposé il y a quelque temps à Pierre-Jean Wurtz (voir la note du 17 février 2008 que j'ai consacrée sur ce blog à l'édition récente en DVD de ce film rare). Comme personne ne songera à opérer cette précision (dont j'ai la faiblesse de penser qu'au lieu de servir ma gloire, elle sert surtout à informer le public sur qui fait quoi), j'ai cru bon de l'ajouter (merci Photoshop) sur le libellé du programme de cette onzième journée niçoise...

détail du programme Hors-Champ 2008 comportant un rajout par nos soins.jpg
Détail du programme (comportant un ajout)

   Je n'en suis d'ailleurs pas resté là, puisque je me suis également amusé à "rectifier" sur ce programme le nom d'un des participants à cette journée, que je ne saurais appeler autrement que "La concierge de l'art brut" depuis qu'il fait circuler sur le net des "mémoires" (au reste assez ridicules) où il me prête des propos mensongers (courts certes mais mensongers et rapportés) dans le plus pur style délateur ou ragots de chiottes (voir le site de la galerie La sardine collée au mur), propos que j'aurais tenus sur des amis à lui. Belle attitude de concierge (de plus chez quelqu'un qui se prétend libertaire...). En conséquence, si je me dois de citer les travaux plus intéressants auxquels ce triste sire participe, lorsqu'il est infiniment mieux inspiré, comme la parution à l'égide de la revue Gazogène qu'il édite du côté de Cahors de numéros consacrés à l'extraordinaire collection de cartes postales consacrées aux environnements spontanés et autres de Jean-Michel Chesné, ou sa participation aux côtés de Chesné à ce XIe festival où ils présenteront un certain nombre d'images fascinantes, je ne saurais le citer autrement que sous ce grotesque vocable (je n'ai rien contre les concierges, sauf quand elles s'avisent de faire les pipelettes ce qui a été souvent leur vocation comme on sait).

en présence de Jean-Michel Chesné et de la concierge de l'art brut (directeur de la revue Gazogène).jpg
Détail du programme (comportant un ajout)

    J'en reviens à ces Rencontres 2008... Les programmations sont conçues aux dires mêmes de leur principal animateur, Pierre-Jean Wurtz, dans la perspective du documentaire avant tout. Point de fictions dans ce festival (et pourtant, il y aurait de quoi faire, car le cinéma s'est emparé plusieurs fois des biographies de créateurs de l'art brut ou de l'art naïf, comme Aloïse, Ligabue, Pirosmanachvili, récemment Hélène Smith...). Les responsables de Hors-Champ  se sont donnés comme règle de choisir des documentaires, et parmi ceux-ci, en priorité les films montrant les créateurs vivants au milieu de leurs oeuvres, les commentant le cas échéant (ce qui explique donc, qu'ils aient dés lors écarté les fictions). La durée des films aussi compte dans la composition de la programmation (et les fictions sont des longs-métrages la plupart du temps). Ceci étant établi, on ne peut que constater, au vu des programmations des onze années précédentes, l'étendue et la richesse du (hors-) champ "art brut et cinéma documentaire". Conscients du fait que l'information a été jusqu'ici par trop confidentielle sur l'ensemble des films montrés à Nice, les animateurs de cette sympathique association ont mis en chantier la publication d'un livre qui devrait réunir toute l'information souhaitable sur les créateurs présentés depuis onze ans dans le cadre de leurs festivals. On devrait y retrouver par la même occasion nombre d'acteurs de la médiation de ces créateurs. L'ouvrage serait prévu pour cet automne, à ce que je crois savoir...

 

20/05/2008

Abdelkader Rifi est parti lui aussi, on ne m'en avait rien dit

    En me baladant sur le net, cherchant tout autre chose en fait (comme d'habitude), je suis tombé sur la triste nouvelle, incidemment annoncée sur le blog du festival Art et Déchirure qui se tient en ce moment à Rouen (expo, films...), de la disparition d'Abdelkader Rifi. Cela fait déjà trois ans qu'il nous a quittés. Et cela faisait bien plus longtemps que je pensais à lui, de façon toute intermittente, comme on peut le faire à propos de tant de choses dans ce monde plein à ras bord de tant d'informations à la fois tristes et belles, tellement plein qu'on est parfois tenté, comme disait récemment un libraire de mes amis de tout laisser aller pour préférer se concentrer sur le vide... Oui, j'aurais dû... Pourquoi s'être livré à tant de procrastination (je crois que ça veut dire ça...) tant de temps...? Parce qu'on se figurait que peut-être, on aurait gêné à vouloir venir demander des nouvelles de la création que ce monsieur menait, très enfantine, très pimpante, colorée et gaie, l'affichant sur les murs de sa maison... Je l'avais du moins subodoré en entendant quelque racontar sur lui, sans doute infondé, mais qui avait fait son impression sur mon imagination.

    Et maintenant, devant la brutale nouvelle glanée au coin du bois virtuel, je suis bien sûr que je ne me rebaignerai plus deux fois dans le même fleuve, façon de parler, car les paroles qui sortaient de la bouche de Rifi, entrevu autrefois dans les locaux de Neuilly-sur-Marne au Château-Guérin vers 1984, tenaient davantage du ruisseau, mais qu'importe, les petites rivières font aussi bon usage pour les amateurs de vraie poésie.

    J'insère à la suite la petite notice recopiée du blog Art et Déchirure (curieusement au fait, ce blog porte le nom de José Pierre dans son adresse URL... sorte d'hommage?):

Abdelkader Rifi et sa femme, Gagny, photo provenant du blog d'Art et Déchirure.jpg
Photo extraite du blog Art et déchirure

"Rifi (1920 – 2005)

Né en 1920, Abdelkader Rifi a travaillé très jeune comme maçon. C’est au petit jour, avant de partir pour ses dix heures de travail quotidiennes, qu’il se mettait à peindre, composant à petits traits, à petits points, d’un pinceau unique trempé directement dans la couleur pure du tube et sur des matériaux divers : papier, carton, contreplaqué, portes de placard de récupération,…un monde paradisiaque. Fleurs et oiseaux multicolores, petits animaux, espèces végétales diverses, vasques et urnes naîtront ainsi des mains de cet artisan maghrébin. Parfois, ces jardins primordiaux s’engendrent à partir d’une nébuleuse spiralée faite de points polychromes qui impulse une dynamique tournoyante à ce microcosme symbolique. Dans la banlieue parisienne où il résidait [Gagny], Abdelkader Rifi, avait construit, au coeur d’un petit lopin de terre, une maison dont il avait décoré l’extérieur et l’intérieur à l’instar de ses dessins : oiseaux, plantes et fleurs en mortier peint pour en orner les façades ; grandes peintures sur papier pour en illuminer les pièces. “J’ai des jardins plein la tête “ disait-il d’un sourire radieux. "

   

17/05/2008

Théâtre d'après des écrits de Samuel Daiber

    On fait dans l'acide, et on a raison, cher(e?) "info mateur" (voir commentaire à ma note du 15 mai), j'ai laissé de côté, par négligence et manque de temps surtout, l'information concernant les représentations de la pièce "sx.rx.Rx au lieu de garder silence, j'ai voixé", spectacle de Patricia Allio réalisé à partir de textes de Samuel Daiber (voir le fascicule 11 de la Collection de l'Art Brut en 1982 ou les Ecrits Bruts (PUF, 1979), anthologie d'écrits exécutés par des pensionnaires d'hôpitaux psychiatriques, voir notamment pour "Samuel D.", p.61 ), qui avait le goût de transformer les mots entre autres en créant des mots-valises comme "personnagité", ou surtout de se livrer à des orgies de suffixes et préfixes luxueusement proliférants, par exemple "tercandélivrancader". Au point de créer, involontairement sans doute, une poésie sonore, chose qui personnellement m'avait principalement séduit lorsque j'ai vu une des premières représentations du spectacle de Patricia Allio à la Fondation Cartier (vers 2002, je crois).

     Je n'ai pas eu le temps d'aller assister aux représentations de cette nouvelle mise en scène (avec Didier Galas comme acteur, et la collaboration de Guillaume Robert, "plasticien-vidéaste", Béatrice Houplain comme scénographe, Juliette Dieudonné pour "l'animation flash", etc.). Je suppose que le travail a dû s'approfondir depuis les premières représentations. Aujourd'hui il reste quelques dates pour la voir au Théâtre de la Bastille, les 22, 23, 24, 27, 28, 29 et 30 mai à 21h.

      Allez, vous reprendrez bien, cela dit, un peu de gingembre? 

14/05/2008

Singulier art brut

    La galerie Nuitdencre 64, rue Jean-Pierre Timbaud, Paris 10e.jpgVite, c'est pour dans deux jours, la galerie Nuitdencre 64 au 64 (comme de juste), rue Jean-Pierre Timbaud, dans le 10e arrondissement à Paris, continue d'explorer le spectre de l'imaginisme contemporain, du surréalisme à l'art singulier. C'est ce dernier, confronté à quelques représentants des collections d'art brut, qui fait l'objet de l'exposition qui commence vendredi prochain 16 mai (soir du vernissage) et qui est prévue pour se clore le 30 juin.

Martha Grünenwaldt, dessin aux crayons de couleur, site d'Art en Marge.jpg
Dessin de Martha Grünenwaldt récupéré sur le site de l'association bruxelloise Art en Marge

    L'expo est montée en collaboration avec l'association Oeil'Art dont on (des amis singuliers) m'a déjà dit le plus grand bien -on peut visiter leur site pour se faire une idée ICI. Au programme, Martha Grünenwaldt (disparue récemment, voir ma note du 30 mars 2008), Gustave Cahoreau (le protégé de Michel Leroux), Alain Lacoste (grand ancêtre des singuliers), Jean-Paul Henri, Jacques Trovic (parfois aussi classé dans l'art naïf, un brodeur de grand talent que j'aime particulièrement), Cako (de son nom complet Charles Cako Boussion, capable de réalisations fort inspirées quand "l'esprit souffle", témoin les sirènes ci-dessous que j'ai photographiées il y a peu dans une collection privée distincte de l'expo de Nuitdencre),

Charles Cako Boussion, Enluminures et Voluptueuses Sirènes, n°I, août 1999, coll.privée, photo Bruno Montpied.jpg

 Joël Lorand (c'est l'invasion, Lorand en ce moment), Gilles Manero (le délicat, le raffiné, le bon, le discret Gilles Manero), Faravel, Matemma, Adam Nidzgorski, Jean-Marie Heyliguen, Dominique Bottemane, Pascal Masquelière, Andrea Leierseder et Jean-Michel Messager.

Gilles Manero, Lycanthropie gouloukienne, 2006, coll.privée, Paris, photo B.Montpied, 2008.jpg
Gilles Manero, Lycanthropie gouloukienne, 2006 (image créée numériquement et peinte sur papier)

04/05/2008

Bohdan Litnianski, le jardin en péril de Viry-Noureuil

     Francis David nous a fait découvrir en 1984 Bohdan Litnianski dans son ouvrage Le Guide de l'Art Insolite Nord/Pas-de-Calais, Picardie (Editions Herscher, Paris), puis longtemps après, Agnès Varda, a fait figurer son étrange jardin dans son poétique documentaire Les glaneurs et la glaneuse, ce qui assurera sans doute à la mémoire de Litnianski de ne pas être trop oubliée lorsque son oeuvre aura disparu de la surface de la terre.

 Le jardin des merveilles de Bohdan Litnianski, éd.Vivement dimanche, 2004.jpg
Le jardin de Litnianski à Viry-Noureuil, photo Bruno Montpied en avril 2008.jpg

     Car cette disparition est en bonne voie, hélas... Me rendant récemment à Amiens pour sa Réderie (brocante), j'ai fait un petit détour par le site de Bodhan à Viry-Noureuil dans l'Aisne. La végétation s'y est développée de façon galopante, si l'on se réfère aux photos du livre de Denys Riout et Benjamin Teissèdre, paru chez l'éditeur Vivement Dimanche (basé à Amiens) en 2004, un an avant la mort de Bohdan Litnianski (ce dernier est né en 1913, il avait donc aux environs de 91 ans), ouvrage qui comportait du reste une préface d'Agnès Varda.

Piliers du jardin de Bohdan Litnianski, côté droit par rapport à la route, ph.B.Montpied, avril 2008.jpg

 

     Au point de donner l'impression qu'elle a avalé, telle une jungle vorace et vampire, de l'intérieur, les piliers faits d'objets de rebut agglomérés, les passerelles les reliant entre eux avec leurs nombreuses figurines de baby-foot en plastique, forêt de piliers qui suggérait un Alhambra fantasmagorique recomposé à partir des décharges où allait fouiner perpétuellement ce génial récupérateur de matériaux divers qu'était Litnianski ( son principal métier avait été maçon depuis qu'il était arrivé d'Ukraine en 1930; mais je crois me rappeler que lorsque je l'avais visité en 1989, en compagnie de José Guirao et de Serge Ancelet, il m'avait dit faire alors le chiffonnier). Deux forêts donc, en quelque sorte affrontées...

Bohdan Litnianski, les lianes à la conquête de l'enfant au crâne ouvert, ph.B.Montpied, avril 2008.jpg

     L'épouse de Bohdan vient à son tour de décéder, à ce que nous a confié un des voisins de la propriété, désormais bien abandonnée. Seuls les piliers du pourtour du jardin apparaissent aujourd'hui, à se demander si Bohdan, ou quelqu'un d'autre n'avait pas déjà fait table rase des piliers de l'intérieur. L'ensemble ressemblant assez aux pyramides maya du Yucatan enfouies sous la jungle d'Amérique Centrale...

Bodan Litnianski, partie arrière du jardin, ph.B.Montpied, avril 2008.jpg    Bohdan Litnianski, détail d'un pilier sombrant dans la grisaille, ph.B.Montpied, avril 2008.jpg

      J'ai consciencieusement fait le tour, photographiant en détail ce qui se laissait encore voir. Des piliers, nouveaux par rapport à ma visite de 1989, avaient été ajoutés derrière la maison d'habitation, comme réminiscents de fragments du Palais Idéal du facteur Cheval (mais ce n'est qu'un parallélisme de hasard, rendu possible par l'idée, commune aux deux autodidactes, d'ériger des colonnades fantomatiques). Bohdan Litnianski disait qu'il pouvait réaliser une colonne en une journée seulement, empilant ce qu'il trouvait sous la main parmi les matériaux ou objets (beaucoup de poupées) qu'il avait préalablement triés (c'était ce collectage et ce tri qui lui causaient le plus de travail). Mais les rencontres, les voisinages des objets et des formes agglomérés au hasard possèdent à les regarder de prés (et la photographie est un précieux auxiliaire révélateur de ce point de vue) une grande force poétique, comme s'ils avaient été réanimés d'avoir été ainsi incrustés, absorbés dans le grand magma de ce torrent figé charrié par le puissant égoût de la société de consommation-consumation...

Bohdan Litnianski, détail de ses agglomérats, Viry-Noureuil, ph.Bruno Montpied, avril 2008.jpg

     Réanimés parce qu'abîmés aussi, regardons ces têtes aux boîtes crâniennes ouvertes, ces têtes échevelées penchées mélancoliquement, cet homme-lion gesticulant, ces poupées aux peaux brûlées couvertes de cloques et semblables à des poupées d'exorcisme...Bohdan Litnianski, détail de ses assemblages, jardin de Viry-Noureuil, Aisne, ph.B.Montpied, avril 2008.jpgBohdan Litniansli, détail de ses oeuvres dans le jardin de Viry-Noureuil, ph.B.Montpied, avril 2008.jpg

 

Bohdan Litnianski,détail de ses oeuvres qui s'abîment dans son jardin de Viry-Noureuil, ph.B.Montpied, avril 2008.jpg

      

     Quelle étrange unité à travers le disparate et l'apparente incohérence des assemblages... Tout cela ne mériterait-il pas qu'on essaye de le sauver et de le préserver? Les couleurs déjà s'évaporent (les arborescences coralliennes sur les tuyaux par exemple), la grisaille s'installe, le grand mur pignon à droite de la propriété, entièrement fait d'objets et de matériaux hétéroclites maçonnés rigoureusement et solidement devient plus que jamais un Mur des Lamentations érigé au départ face à la société de consommation avec peut-être un peu de malice inconsciente mais prenant un autre sens maintenant que ce jardin est entré dans l'agonie...

Bohdan Litnianski, mur pignon à droite de la propriété par rapport à la route, Viry-Noureuil, ph.B.Montpied, avril 2008.jpg

 

 

25/04/2008

Hilma Af Klint?

    C'est un prénom et un nom, Hilma Af Klint, ce n'est pas une incantation barbare. Il s'agit d'une femme, née en 1862 et disparue en 1944. Elle faisait de l'art, de la peinture, et c'était une cachottière. Avant de mourir, elle fit promettre à son neveu (Erik Af Klint comme de juste), de ne pas montrer ses oeuvres (environ un millier) tant que vingt années ne se seraient pas écoulées. En fait, les oeuvres ont attendu vingt années de plus, puisque ce n'est qu'en 1986 que ses toiles furent révélées au public, au Los Angeles County Museum, à l'occasion de l'exposition "The Spiritual in Art: Abstract Painting 1890-1985" (où, à côté de Mondrian, Kandinsky et de Malevitch, elle fut présentée comme une pionnière de l'art abstrait).

The Message, catalogue de l'exposition sur l'art et l'occultisme à Bochum en Allemagne, 2008.jpg

     Il y a quelque temps, ayant acquis le catalogue de l'exposition "The Message, Kunst und Okkultismus (Art and Occultism)" qui vient de se terminer au musée des Beaux-Arts de Bochum en Allemagne (16-02 au 13-04-2008), qui contient d'intéressants textes de divers auteurs réputés (Claudia Dichter, Barbara Safarova, Peter Gorsen, etc.), ainsi qu'une traduction du texte de référence d'André Breton, "Le Message Automatique" (traduit partiellement en allemand, et par Guy Ducornet intégralement en anglais), l'ayant parcouru comme d'habitude en diagonale, au hasard, dans tous les sens, mon oeil s'était arrêté à ce nom et cette oeuvre inconnus de moi. Hilma Af Klint... De précieuses, délicates géométries qui paraissaient dater de l'époque de l'Art nouveau ou de l'Art déco... Comme des plans de rosaces destinées à des verrières... Je glanais dans ce catalogue grâce aux traductions en anglais qu'il contient quelques renseignements sur l'artiste.

      Après des études très sérieuses dans les écoles artistiques suédoises, et avoir pratiqué une peinture de genre qui ne la distingue sans doute pas notablement de l'ensemble des peintres de son temps, elle se tourna vers des cercles spirites, apparemment à dominante féminine, où ses talents de médium l'avaient orientée. Elle produisit une centaines d'images entre 1906 et 1908, fortes compositions colorées où se rencontrent des motifs ornementaux floraux ou géométriques, des lettres ainsi que quelquefois des visages d'êtres humains (ainsi que des évocations symboliques de la fusion des corps qui provoqueront de l'émoi autour de l'artiste...qui décida par la suite de se vouer à la chasteté tout en se sacrifiant éperdument à l'art, ce qui fait penser à Séraphine "de Senlis", la misère matérielle en moins...).

Hima Af Klint, peinture de 1907, extraite du catalogue de son exposition de 2008 au Centre Culturel Suédois.jpg
Hilma Af Klint, tableau présenté au Centre Culturel Suédois, série WU (La rose), groupe I, Les grandes peintures de figures, n°8, 148x164cm, 1907  

     Il semble qu'après sa rencontre avec la théosophie de Rudolf Steiner et sa passion pour cet enseignement, elle ait décidé de ne plus placer sa peinture sous le guide des "entités surnaturelles" et de peindre plus en conscience et en contrôle. Elle resta active artistiquement parlant jusqu'à son grand âge, mais ne montra plus ses oeuvres de l'époque occultiste.

      Une exposition est actuellement montée à Paris, au Centre Culturel Suédois, du 11 avril au 27 juillet. Un petit catalogue est édité à cette occasion, sous une jaquette noire où l'on peut lire ce titre imprimé en argent: "Hilma Af Klint, Une Modernité Révélée"...

Catalogue d'exposition 2008 au Centre Culturel Suédois à Paris: Hilma Af Klint.jpg

     Cette exposition est prévue pour offrir un prolongement à l'évocation de cette artiste qui paraît devoir s'insérer dans l'exposition prochaine au Centre Beaubourg (oui...Pompidou, je sais) intitulée "Traces du Sacré" (titre qui me fait sourire, vilainement narquois comme il m'arrive de l'être, car ces "traces" me laissent rêveur quand je repense à ce que me dit un jour un camarade dans la rue devant des excréments de chien étalés sur un trottoir, "Regarde... La chair de Dieu..."). Peu d'oeuvres de la période 1906-1908 sont en tout cas présentées au centre suédois, et celles qui le sont, le groupe des "Grandes Peintures de figures", sont intriguantes et laissent un peu le spectateur sur sa faim, côté peintures médiumniques. Il semble qu'on ait avant tout présenté au Centre les oeuvres produites sous l'influence de la théosophie, assez lourdement symboliques, semblant vouloir prouver une doctrine préexistant au travail de création de l'artiste. Et signalons au passage dans le catalogue l'affirmation de Pascal Rousseau, très "coup de pied de l'âne", qui juge l'art brut une "catégorie mineure" de l'art: "Il faut (...) cesser de ranger son oeuvre dans la catégorie mineure de l'art brut: un art d'inspirés, de fous ou d'illuminés, un art qui dessaisit l'artiste plutôt qu'il ne consacre la radicalité consciente de son vocabulaire". Difficile de faire mieux dans le renversement réactionnaire méprisant....

     Il faudra sans doute aller chercher à Beaubourg un peu plus d'information (quel effort il me faudra accomplir... Vu les traces en question...). 

05/04/2008

Des Indes à la planète Mars, médium es-tu là?

  

Affiche du film Des Indes à la planète Mars.jpg

    Est sorti ce mercredi 2 avril un film dit documentaire sur l'expérience médiumnique d'Elise Müller, dite "Hélène Smith", qui dans les dialogues qu'elle avait noués avec le docteur Théodore Flournoy parlait, inspirée par des esprits qui l'occupaient provisoirement, des langues orientales ainsi qu'une langue martienne. Elle était également auteur de splendides vues de paysages étranges, habités par ces esprits qui venaient la visiter et parlaient à travers elle.

Hélène Smith, paysage ultramartien, 1900, coll O.Flournoy .jpg
(J'aime dans ce paysage particulièrement le "bois-nuage" dans le coin supérieur gauche, ainsi que le berger en jupette et sandales au visage d'une largeur inaccoutumée. Le "bois-nuage" me fait penser par association à certains paysages de Joseph Sima)

   On sait qu'André Breton dès 1933, dans son texte sur l'art médiumnique Le message automatique, paru dans la revue Minotaure, avait mis en regard certaines visions d'Hélène Smith avec l'architecture inspirée de l'autodidacte Ferdinand Cheval, réalisée elle en trois dimensions dans la Drôme. L'analogie est en effet patente.

André Breton, le Message automatique dans Minotaure, le passage sur Hélène Smith.jpg

 

   Je n'ai pas encore vu le film, je n'ai lu que le synopsis ultra-succinct que l'on peut trouver sur internet... D'après quelques bribes de critiques journalistiques (qui lui semblent assez favorables), le film (de Christian Merlhiot et Matthieu Orléan) paraît tourné presque entièrement dans un studio d'enregistrement où des acteurs (on annonce Jacques Bonnaffé, Mireille Perrier, Edith Scob...) lisent des morceaux du livre Des Indes à la planète Mars. Le terme de "cérébral" est prononcé ici ou là à son sujet... Que cela ne nous dissuade pas cependant de tenter l'expérience de son visionnage. Y trouvera-t-on d'autres vues de paysages martiens d'Hélène Smith, autres que ceux qui sont sempiternellement reproduits dans les catalogues de l'art brut ?Rien n'est moins sûr...

Mireille Perrier joue Hélène Smith.jpg

30/03/2008

Départ de Martha Grünenwaldt

   J'ai appris grâce à l'animateur du blog sur l'art singulier, Frédéric Lux, la disparition à 97 ans de Martha Grünenwaldt. Elle eut longue vie, en dépit de nombreuses souffrances et difficultés (fille d'un musicien ambulant qu'elle accompagnait lors de ses tournées, elle fréquenta peu l'école, joua du violon aux terrasses des cafés pour nourrir ses trois enfants qu'elle dût élever seule après sa séparation avec son mari, puis fut domestique). Peut-être continuera-t-elle, désormais, à jouer du violon au ciel de notre mémoire en compagnie de l'accordéon de Pépé Vignes?  Orchestre d'anges new look, avec pourquoi pas Pierre Jaïn à la batterie?

    Il nous reste quelques documents sur elle (un petit film de Bruno Decharme par exemple, réalisé il y a peu de temps semble-t-il, peut être visionné sur le site de ce dernier), des quantités de dessins surtout (activité commencée en 1981), la plupart réalisés aux crayons de couleur et  au feutre, ce dernier outil  étant bienfragile hélas, comme on s'en convaincra avec le dessin ci-dessous, exécuté aux alentours de 1985, et qui a pâli...

Martha Grünenwaldt, dessin au feutre sans titre, sans date (vers 1985), coll.privée, Paris, photo Bruno Montpied.jpg

    Révélée par l'association Art en Marge de Bruxelles, elle fut souvent exposée chez eux (elle y eut une rétrospective en 2002 entre autres). L'Aracine aussi possède de nombreuses oeuvres d'elle (ainsi que le Musée de la Création Franche à Bègles), et il m'est déjà arrivé, en 1989 dans Artension (deuxième série), d'écrire au sujet d'une exposition Grünenwaldt organisée dans les locaux de l'Aracine à Neuilly-sur-Marne.

    Martha Grünenwaldt utilisait tous les papiers qui lui tombaient sous la main, afin de satisfaire sa véritable compulsion de dessin. La femme, les animaux sont les sujets fréquents de ses dessins. Mais il y a aussi toute une efflorescence de motifs et d'ornements à la limite de l'abstraction, de l'informel, ambivalents comme dans une recherche de formes à la naissance (à la racine) de l'expression et de la mise en forme. 

28/03/2008

Théâtre et art brut aux Rencontres de la Villette

    Du 16 au 27 avril prochain, dans le cadre des "Rencontres de la Villette", abcd s'implique dans un mixte d'exposition et de représentation théâtrale montée en collaboration avec les compagnies théâtrales de la Sybille et de l'Oiseau-Mouche. Titre: L'appartement. Voici le descriptif tel qu'il m'a été transmis en service de presse pour la journée du 17 avril ( il y aura des "déambulations théâtrales"  tous les jeudi, vendredi, et samedi, à différents horaires ; les autres jours, on pourra voir l'exposition permanente d'art brut ainsi que les films réalisés par Bruno Decharme):

" 19h / 22h
Durée : 30m, au studio 1 (Grande Halle de la Villette, Paris 19e arrdt)

abcd (art brut connaissance et diffusion)
Cie La Sibylle - Cie de L’Oiseau-Mouche
L’appartement.
(Exposition d'art brut et déambulations théâtrales)  
Parmi les œuvres d’art brut de la collection abcd, les comédiens de Sylvie Reteuna déambulent et font résonner des textes de personnes internées dans des hôpitaux psychiatriques.
(Les spectateurs sont invités à visiter l’appartement où six colocataires en errance déambulent au rythme de leurs songes et des œuvres d’art brut qui peuplent leur univers. En décembre 2007, une lecture déambulatoire est présentée par Sylvie Reteuna et Bruno Decharme à la galerie abcd à Montreuil. Les Rencontres de la Villette leur ont proposé de développer cette collaboration qui met en résonance les oeuvres exposées et des textes. Les fragments de lettres, écrits ou « délires », dits par les acteurs, mais aussi la plupart des tableaux exposés sont l’oeuvre d’hommes et de femmes ayant connu l’enfermement psychiatrique. C’est aussi l’occasion pour les Rencontres de retrouver les comédiens de la Cie l’Oiseau-Mouche — déjà accueillie en 2001 avec Le Labyrinthe — qui participent avec d’autres acteurs à ce projet.)

Conception et réalisation: Bruno Decharme, Kate France, Sylvie Reteuna. Contacts : pour La Sibylle : Sylvie Reteuna - sylviereteuna@free.fr ,: Lydia Rozenberg - abcd@abcd-artbrut.org"

*
 
     Le concept, plus proche de la performance que de la représentation théâtrale classique, est assez original semble-t-il. A suivre donc... Si l'on veut plus de renseignements, voir ici le lien pour ces Rencontres de la Villette.  

23/03/2008

Séraphin Enrico perdu et retrouvé, par Olivier Thiébaut (1995)

   Avec plus de dix ans de retard, je publie sur ce blog alors qu'au départ elle était prévue pour le papier de mon bulletin L'Art Immédiat n°3 la contribution d'Olivier Thiébaut (datée de 1995) au sujet de Séraphin Enrico qui avait créé un environnement à St-Calais dans la Sarthe, des statues diverses et variées dont une Vénus portant l'inscription "la luna rossa" sur son fessier dénudé ... Inscription qui finit par être reprise par Thiébaut pour intituler le jardin qu'il a ouvert à Caen où il conserve un certain nombre de fragments d'environnements qu'il a préservés ou exhumés, à l'exemple du site d'Enrico. Ce jardin de la Luna Rossa à Caen est le deuxième exemple en France après la Fabuloserie et son parc d'environnements à Dicy dans l'Yonne de tentative de conservatoire des environnements spontanés, par nature éphémères et terriblements "immédiats".

Francis David, couverture des Bricoleurs de l'Imaginaire, Musées de Laval, 1984.jpg

   Notons que le site de Séraphin Enrico avait d'abord été repéré par Francis David dans le catalogue Les Bricoleurs de l'Imaginaire, Inventaire pour une région (Musées de Laval, 1984). Olivier Thiébaut a, en 1996, publié un ensemble de textes sur ses découvertes, Bonjour aux promeneurs! aux éditions Alternatives, où il parle entre autres de Séraphin Enrico (son texte étant une variante, en outre un peu écourtée, de celui qu'il m'avait donné et que j'insère ci-dessous). 

   "Né le 3 juillet 1898 à Mougrando (Italie), Séraphin Enrico est issu d'un milieu modeste. Cimentier à l'âge de 14 ans, il découvre la rude épreuve du travail. En 1915, il est mobilisé dans les chasseurs alpins italiens.

Séraphin Enrico, portrait photo années 60, document Olivier Thiébaut.jpg
     
Séraphin Enrico, autoportrait en ciment teinté, document Olivier Thiébaut, 1995.jpg

     La Grande  Guerre lui fait subir les souffrances du froid: il a les mains gelées par la neige, et perd un doigt.    Après la guerre, il décide de partir pour la France qui a besoin de main d'oeuvre dans le bâtiment.

    Séraphin Enrico travaille sur plusieurs chantiers, à Grenoble et Chambéry, puis s'installe à Grand-Lucé dans la Sarthe. Il se marie quelque temps plus tard avec Virginie Vineis. En 1925, il déménage à Saint-Calais, et achète un terrain à la sortie du bourg, sur la route de Vibraye. Situé dans une petite vallée, le lieu est idéal pour y construire sa maison et son merveilleux jardin.

     A partir de 1959, il entreprend la réalisation d'une propriété qui devient son "grand-oeuvre", une sorte de jardin d'Eden. Sculptures, bassins, fontaines, tonnelles, alcôves et souterrains agrémentent sa maison sur un terrain en espaliers dominant le cours de l'Anille. Pendant une vingtaine d'années, armé d'une simple brouette et de truelles, Séraphin Enrico construit un univers de rêve. Les ciments et mortiers colorés lui servent de matériaux de base. Son goût pour la sculpture et la peinture se traduit dans son travail par la réalisation de personnages et d'animaux peints qu'il installe dans des décors appropriés. La peinture florentine, le sport, la mythologie et les femmes en tenue "sexy" sont ses principales sources d'inspiration. Le caractère placide de Séraphin Enrico semble en contradiction avec ses oeuvres et sa réputation. Considéré souvent comme un farfelu et n'étant pas vraiment reconnu par les habitants de Saint-Calais, il met son imaginaire au service d'un autre public en inventant des aires de jeux pour les enfants.Séraphin Enrico, le jardin avec les visiteurs enfantins sur les statues, vers 1968, document Olivier Thiébaut.jpg Au milieu des années soixante, le jardin de Séraphin Enrico est un foisonnement de couleurs et de sculptures, c'est l'attraction locale où l'on peut lire "Entrée Libre": des centaines de familles viennent lui rendre visite. M. Mercier, son ancien voisin, se souvient: "L'oeuvre était de taille! Il y en avait partout, rangées en rangs d'oignon. On n'avait jamais vu ça, ce genre de chose. On se demandait d'où cela pouvait bien lui venir. C'était son pays, son petit coin de paradis où il s'exprimait, car il était plutôt discret, le père Enrico, et pas toujours très commode! Il avait du caractère. Son goût pour la décoration ne le quittait pas. Tous les soirs, il travaillait à faire ses bonnes femmes, quand il s'y mettait, on ne pouvait plus l'arrêter. Même à son travail, ses employeurs lui reprochaient de faire un peu trop de décorations ou de fioritures inutiles dans les chantiers. C'est surtout avec les enfants qu'il s'entendait, c'était spontané avec eux! Certains parents n'aimaient pas trop d'ailleurs laisser traîner leurs enfants, ils le prenaient pour un satyre, en voyant certaines de ses oeuvres. C'était un drôle de bonhomme, le père Enrico, et il avait ses idées à lui! Je me souviens qu'il avait fait une vache et plusieurs bonnes femmes qui avaient un système de rigole dans le dos, ça récupérait l'eau quand il pleuvait et elle sortait par le zizi. Il avait aussi creusé des souterrains dans son jardin qui partaient d'en bas et remontaient jusque sous sa maison, il voulait même traverser la route. Mais on a dû l'arrêter, parce qu'on a retrouvé un jour sa femme qui étendait le linge, enterrée jusqu'à la poitrine. Ca s'était effondré! Il avait fait aussi des choses en hauteur avec des personnages montés les uns sur les autres, mais ça c'était du solide! M.Enrico connaissait bien le ciment. Quand il a dû partir, il a tout abandonné, le pauvre, ça a été certainement très dur pour lui. C'est triste à dire, mais je me souviens qu'ils en ont mis du temps pour tout enlever, c'était du béton armé extrêmement dur!"

Séraphin Enrico, cariatides retrouvées et restaurés par Olivier Thiébaut à Caen, 1995.jpg

     Jusqu'en 1972, Séraphin Enrico va travailler inlassablement à son jardin, dépensant toute son énergie et tous ses revenus dans sa réalisation. Sans argent, il va continuer ses travaux en fabriquant alors lui-même son ciment avec les pierres de la rivière qu'il réduit en poudre. A 74 ans, il quitte la région contre son gré, pour aller finir ses jours avec sa famille à Divonne-les-Bains dans l'Ain. C'est dans cette nouvelle maison qu'il a réalisé ses dernières sculptures, décidé à recommencer malgré son âge, encore et encore!

     Séraphin Enrico meurt en 1989, laissant derrière lui une oeuvre méconnue.

     La méconnaissance de cet ensemble unique et son isolement "culturel" ont certainement contribué à sa disparition. Aujourd'hui  [en 1995] la municipalité de Saint-Calais semble n'en avoir gardé aucune trace, malgré le reportage télévisé diffusé en 1973 (un documentaire sur la destruction du jardin malheureusement perdu ou égaré). Depuis cette époque, les oeuvres de Séraphin Enrico dorment sous une épaisse couche de terre.

Séraphin Enrico, une tête d'une de ses sculptures retrouvée dans la terre par Olivier Thiébaut en 1995.jpg

     En mai 1995, grâce au témoignage de M.Justin Stern, et grâce à de vieilles photographies conservées par les voisins, nous retrouvons l'emplacement d'une ancienne mare où quelques sculptures ont été enfouies.

      La tentation est trop forte! Une fouille est entreprise pour la découverte du travail de Séraphin Enrico et pour le plaisir des yeux. Pendant une dizaine de jours, nous creusons dans l'ancienne mare. Une multitude de fragments sont mis au jour, et à notre grande surprise, peinture et ciment n'ont pas été altérés: écritures et dessins apparaissent comme un livre ouvert dans le sol.

Séraphin Enrico, le buste d'une de ses statues émerge du sol où elle avait été enfouie, document Olivier Thiébaut, 1995.jpg

     Certaines de ces sculptures devaient atteindre trois mètres de haut et sont recouvertes de petites phrases ou devises italiennes (Il giro del lago; Pane, pace, Amore, Libertà; Santa Maria; Vénus; La luna rossa; Spectaccolo del natura; la petto materne; Pittura Fiorentino; Sono libera!...). La facture et l'originalité des pièces révèlent la grande inventivité de leur auteur: ciments polis, cheveux en mortier colorés, incrustations d'objets, systèmes hydrauliques. Baigneurs, Vénus, madones et créatures aux profils asiatiques vont pouvoir à nouveau contempler le ciel, sous l'aile tendre des "séraphins".

     OLIVIER THIEBAUT, 1995."

(Tous les documents ici mis en ligne et confiés à moi en 1995 appartiennent à Olivier Thiébaut)

17/02/2008

A la découverte d'Axel Henrichsen avec Jean Painlevé (1956)

    J'ai parlé naguère de Jacques Brunius dont la vie et l'oeuvre me fascinent. Dans son film génial sur les créateurs  de violons d'Ingres en tous genres, daté de 1939, premier documentaire sur l'art populaire et brut (avant la lettre pour ce dernier terme) en Europe (et on peut bien l'oser: au monde...), apparaissait de façon fugitive un autre cinéaste poétique et tout aussi génial, cousin en esprit de Brunius, j'ai nommé Jean Painlevé.

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    Né en 1902 et disparu en 1989 (pour sa biographie, on peut se reporter utilement à cette notice dûe à Brigitte Berg qui anime aujourd'hui les Documents Cinématographiques, garants de la mémoire de Jean Painlevé), ce dernier est surtout connu comme le pionnier d'un cinéma scientifique de vulgarisation, ce dernier terme n'étant bien entendu pas à prendre dans un sens dépréciatif, puisque Painlevé songeait par là à la facilitation de la diffusion du savoir scientifique vers le grand public (pour ne pas dire le public populaire). Pour ce faire, il ne s'interdit jamais d'user de l'humour, de la poésie et de la fantaisie dans ses documentaires concis, où la musique, par exemple le jazz de style "jungle" dans son film Assassins d'eau douce sur la prédation en milieu aquatique, est parfois amenée à jouer un grand rôle créant des décalages amusants. Painlevé ne dédaigne pas non plus d'employer un regard parfois fortement anthropomorphiste, attitude qui après des décennies d'éteignoir sous prétexte de recherche d'objectivité reprend de la faveur ici ou là (par exemple dans la littérature jeunesse documentaire). Elle lui fut reprochée, comme l'a souligné Brigitte Berg (voir lien ci-dessus), mais Painlevé balayait l'argument en disant ceci par exemple: "Tout est matière à l'anthropomorphie la plus saugrenue, tout a été fait pour l'homme et à l'image de l'homme et ne s'explique qu'en fonction de l'homme sinon " ça ne sert à rien " ".

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   Son oeuvre, qui nous revient aujourd'hui à la faveur de sa réédition sous forme de DVD, grâce aux Documents Cinématographiques (société de production fondée par Jean Painlevé en 1930), n'a pas pris une ride, et a gardé toute sa fraîcheur. A la parcourir, on s'aperçoit aisément qu'elle a influencé des générations de documentaristes spécialisés dans l'évocation de la nature (je pense notamment à l'excellente série sur les "Inventions de la vie" de Jean-Pierre Cuny). Jusqu'à présent, trois DVD sont sortis, contenant bien entendu les documentaires animaliers et scientifiques qui ont fait la renommée de Painlevé (beaucoup étant en rapport avec le monde sous-marin, avant les films de Cousteau), mais aussi certains courts-métrages plus expérimentaux comme Mathusalem (1927), ensemble de cinq séquences (où joue Antonin Artaud)

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initialement prévues pour une pièce de théâtre d'Ivan Goll (avec qui Jean Painlevé, entre parenthèses, collabora pour le n°1 de la revue Surréalisme, revendiquant ce vocable inventé par Apollinaire de façon différente de celle revendiquée  par les jeunes André Breton, Philippe Soupault, Aragon, etc. ; à noter que Painlevé resta à l'écart du surréalisme bretonien, même s'il entretenait de bons rapports avec certains de ses membres, apparemment selon Brigitte Berg pour des divergences de vue sur l'importance de la musique). On trouve aussi dans ces trois compilations, un film d'animation extraordinaire avec des personnages en pâte à modeler, Barbe-Bleue (adaptation de 1937 du célèbre conte de Perrault), dont la technique devance de très loin les films des studios Aardman (Wallace et Gromit).

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Titre du film de jean Painlevé tel qu'il apparaît à l'écran, copyright Les Documents Cinématographiques

     Et puis, on y trouve aussi (DVD n°3, édité en 2007, double DVD), un film qui nous regarde davantage, quant à la thématique plus particulière de ce blog, à savoir LE MONDE ETRANGE D'AXEL HENRICHSEN qui date de 1956. Oui, Jean Painlevé s'est aussi intéressé à l'art des autodidactes, et grâce à ce film peut figurer dans ce segment du documentaire artistique qui concerne l'art brut,7871c7a13f80f7e12b26b9cdc99ab7a3.jpg naïf, populaire, où vient en tête Violons d'Ingres de Jacques Brunius (1939), et où figurent aussi le Palais Idéal d'Ado Kyrou (1958), puis Le Facteur Cheval, "Où le songe devient la réalité" de Claude et Clovis Prévost (1980), films que l'on a eu la chance de voir projetés à Nice dans les programmations de l'Association Hors-Champ (qui projette pour bientôt la publication d'un petit ouvrage sur sa programmation et cette filmographie à part).

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Personnages en os rehaussés de couleur, Axel Henrichsen, dans le film de Jean Painlevé, copyright Les Documents Cinématographiques

      J'ai découvert ce film à la fin des années 80 à une rétrospective des films de Painlevé qui avait lieu au cinéma Le République. Painlevé était là et présentait les films. Sur Axel Henrichsen, il se plaignit de ce qu'il n'ait jamais enregistré aucune réaction à son sujet. J'étouffai au fond de mon fauteuil, en moi une voix criait, mais comment donc, votre film est pourtant absolument magnifique, en outre il révèle un créateur que le corpus de l'art brut ou autodidacte n'a jamais retenu. Je m'étais alors juré de trouver un jour un espace où parler de ce film et de ce créateur.

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Axel Henrichsen à l'ouvrage, film de Jean Painlevé, copyright Les Documents Cinématographiques

      "Une famille près de Copenhague créait par des moyens très personnels des formes du vivant avec des matériaux variés. L'un d'eux, forgeron, utilisait aussi bien du bois que des détritus végétaux ou animaux (il possédait un grand jardin où régnait sa femme avec de magnifiques plantes et fleurs diverses...).

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Une autre image du film de Jean Painlevé, copyright Les Documents Cinématographiques

     J'en filmais une "actualité" qui, comme quelques autres d'entre elles, n'intéresse personne... C'était en vue de susciter chez les gosses des imitations du même ordre, de fabrication peu coûteuse... (...) Les distributeurs qui connaissaient le genre de mes films, méprisèrent celui-ci en décrétant qu'il n'offrait aucun intérêt. Je l'avais fait en deux jours, un d'été et un d'hiver." (extrait du catalogue "Jean Painlevé" édité en 1991 par Les Documents Cinématographiques).

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Racines en lutte dans Le monde étrange d'Axel Henrichsen, Jean Painlevé, copyright Les Documents Cinématographiques

      Axel Henrichsen, comme le dit Painlevé faisait partie d'une famille qui aimait se récréer grâce à divers techniques artistiques. Le film montre au début du reste quelques peintures dûes à ses proches, que l'on trouvera à juste titre assez conventionnelles. C'est Axel qui fabrique des oeuvres vraiment plus originales à partir de racines dans un premier temps (à partir de 1942 semble-t-il, "son pied ayant heurté une racine" -phrase qui fait penser fortement à la première pierre trouvée par Ferdinand Cheval) puis avec des os de boucherie ensuite (os que lui ramènent ses chats et les renards qui rôdent autour de sa maison, on les voit dans le film). Et ces oeuvres pourraient tout à fait à mon sens relever de l'art brut tant elles figurent des personnages grotesques et drôlatiques faisant parfois songer à des diables de cathédrales ou à des extra-terrestres, en tout cas assez peu en référence à la vision convenue de la réalité.

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Etranges échassiers d'Axel Henrichsen, film de Jean Painlevé, 1956, copyright Les Documents Cinématographiques

      On aimerait fortement savoir ce qu'est devenue l'oeuvre de ce monsieur au Danemark. L'exposition "Gars du nord" organisée  en 1988 à la Maison du Danemark, consacrée en partie à l'art populaire du Jutland, ne parlait pas de lui. Google me paraît bien muet aussi sur ce sujet. Alors, si quelque internaute a des lumières sur la question, qu'il n'hésite pas...

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Ce monsieur-là s'appelait Hans Orla Villy Petersen, il fut photographié par Jorgen Borg dans les années 80 dans le Jutland (exposition "Les Gars du Nord") au Danemark, sa jupette me fait penser à "Monsieur G." qui vivait à Nesles-la-Gilberde et qui lui aussi prisait fort les jupes par anti-conformisme

 

27/01/2008

Des dessins retrouvés de la maison des artistes de Gugging?

     En furetant et en traînant la savate l'autre jour dans une brocante au sud de Paris, je déniche dans une liasse de papelards deux petits dessins aux crayons de couleur qui me font instantanément songer à certaines images qui sont produites en Autriche à la Maison des Artistes de l'asile de Klosterneuburg, appelé plus communément Gugging, du nom de la commune auquel appartient l'hôpital, prés de Vienne. Voici les deux dessins, sans titre, sans nom d'auteur. Le marchand interrogé ne possédait, comme c'est le cas la plupart du temps, aucun renseignement sur l'origine des dessins qu'il charriait parmi beaucoup d'autres n'ayant rien à voir les uns avec les autres, ne serait-ce que par le style, ou l'époque...

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     A qui me font penser plus exactement ces dessins? J'ai trouvé deux auteurs dans le fascicule n°12 des publications de la Collection de l'Art Brut, dont les travaux pourraient en être rapprochés... 

     Voici le  premier avec ce dessin qui représente des croix sur des tombes, dû à Franz Kernbeis... 

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     Ou peut-être plus valablement pourra-t-on les rapprocher de ce dessin dû à Johann Scheïbock ? : 

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20/01/2008

Marcello Cammi: une oasis de plus qui disparaît

  

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Signature de Cammi au verso de ses dessins: "M Cammi Bordighera col vino unico al mondo" ("Cammi Bordighera avec du vin unique au monde"), 1988

    Ah, quel homme c'était ce Marcello Cammi, plus vieux communiste qu'"anarchiste révolutionnaire" comme il a été dit quelque part par quelqu'un de mal informé. Vieux "coco" avec la langue pas dans la poche, vieux socialiste partageux plutôt, pour éviter toute confusion...e34ac15898a4e70d951024906af4e89b.jpg

Marcello et Vittoria Cammi, photo site web Artsens   

     Il vivait à Bordighera sur la Riviera italienne, où de façon improbable il avait créé un jardin de sculptures étonnant qui s'annonçait de la rue sous le terme générique de "Galleria d'Arte". Une galerie d'art en plein air, du moins pour les sculptures, car il faisait aussi des peintures qui étaient abritées dans un petit atelier. Des peintures et des dessins sur taches de vin qu'il interprétait au stylo, renouvelant la leçon de Vinci, son vieux prédécesseur, qui enseignait de regarder les murs aux taches de lèpre pour faire travailler l'imagination graphique ou picturale.7fd79410a7e7d0aada4a820a41fa9a1e.jpg C'était improbable, surtout pour un Français qui venant de la richissime Côte d'Azur, laissait derrière lui palais, yachts, et grands hôtels luxueux. Tomber sur une friche pareille, hérissée d'oeuvres rugueuses et noyée dans une végétation de jungle vineuse (la treille envahissait presque tout le jardin) tenait du mirage.

    J'étais tombé dessus par Raymond Dreux, cet artiste un peu hippie, disparu récemment (en 2005), qui avait fondé un temps du côté de Laurac-le-Grand  (prés de Castelnaudary) un musée de l'Imaginaire sans Frontières, avec des artistes singuliers comme son amie Ciska Lallier. Au téléphone, fort enthousiaste, il m'avait parlé de "40 000 statues" façonnées par Cammi sur son petit territoire -rien que ça! (en réalité cela devait tourner plutôt à quelques centaines)-, le tout réparti sur les deux rives d'un petit torrent canalisé qui avait, qui a toujours, pour nom le rio Sasso.

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La passerelle créée par Cammi, avec Raymond Dreux sur la rive droite, fantôme de l'autre côté du pont... (Photo B.Montpied, 1990)

    J'ai raconté dans le Bulletin de l'Association des Amis de François Ozenda d'abord (n°41, juillet 1990), puis dans Raw Vision (n°6, été 1992 ; photos de Pierre Marquer; traduction en anglais de Peter Wood, ce qui ne fut pas signalé dans la revue, malgré ma demande), ma visite à ce jardin. Elle se passa sous la pluie, un comble pour cette région bénie des dieux habituellement côté météo, ce qui rendit mes photos sombres et un poil trop floues. Je revois ce souvenir aujourd'hui dans un brouillard de mémoire qui se mêle à une atmosphère vaporeuse, l'eau tombée du ciel s'élevant du sol sous l'effet de la chaleur. Il faisait moite dans ce jardin, et il fait désormais éternellement moite dans le souvenir que je garde de cette jungle vinassouse.

 

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     Marcello Cammi, ultra cordial et exubérant, baragouinait un langage fait d'un mélange d'italien et d'emprunts à d'autres langues pour essayer de me transmettre toutes sortes de propos qui lui paraissaient importants de transmettre. Il paraissait avoir été déporté à Mauthausen, il en gardait bien entendu une souffrance, il ne pouvait oublier les autres déportés qui étaient restés là-bas, il les avait sculptés sur les rives du rio Sasso, comme émergeant du limon, comme s'ils revenaient pour crier qu'on ne les oublie pas, rampants pathétiques.

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    Les statues de Cammi étaient pour la plupart couleur de terre, et sous l'humidité de ce jour-là,  couleur de rouille. Par moments, elles prenaient même des allures fécales. Elles se pressaient dans le petit espace au bord de la rivière, par-dessus laquelle Marcello avait eu la bonne idée de jeter une passerelle dont les balustrades des deux côtés étaient constituées de personnages, certains faisant des sortes de ronds de jambe.

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Photos B.Montpied, 1990

      C'était un site comme une petite île au milieu du cancer urbain désordonné de la ville, l'un des plus étonnants qu'on n'ait jamais vu en Europe. Une oasis au vrai sens du terme si l'on songe qu'il était entouré des vestiges d'une palmeraie.  Commencé  vers 1952, il s'acheva avec la mort de l'auteur en 1994. Les problèmes de pérennité du lieu commencèrent dès lors à se poser. Sa veuve Vittoria ne pouvait à elle seule protéger le lieu qui appartenait à la commune. Cette dernière ne faisait rien pour sauver le site. Le rio Sasso, encombré en amont de divers débris, déborda plusieurs fois ces dernières années. Les sculptures en pâtirent bien évidemment. Jusqu'au jour où une crue plus dramatique que les précédentes se chargea de faire table rase de ce qui restait. La passerelle fut emportée et avec elle, la plupart des statues furent détruites. Des lecteurs italiens de ce blog, Gabriele et Francesca Mina, m'ont envoyé quelques photos récentes montrant les vestiges encore en place. Presque rien.

   
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Photos Gabriele et Francesca Mina, vers 2007 
  

 Une petite trentaine de sculptures seraient conservées par la commune, qui sur un site, montre quelques oeuvres, sculptures et peintures. J'ai également appris que la Fabuloserie avait également pu récupérer quelques oeuvres en 2001. Des Français, venus revoir le site qu'ils aimaient, ont été arrêtés par la police locale alors qu'ils avaient enfourné dans leur voiture des statues qu'ils voulaient simplement sauver... Geste désespéré que je comprends, que nous devrions tous comprendre! Car, pourquoi des oeuvres d'art, jetées à la mer suite à  l'indifférence communale, devraient-elles rester propriété des vandales?

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Photo B.Montpied, 1990

     Un site de plus qui disparaît... Il reste comme toujours à garder sa mémoire. Gabriele et Francesca Mina en particulier veulent faire un ouvrage sur les environnements de Ligurie, dont le jardin de Marcello Cammi (leur adresse e-mail que je suis autorisé à transmettre: gabrielemina@hotmail.com). Si vous avez des documents sur le jardin, de n'importe quelle époque, vous pouvez contacter ce blog (voir e-mail indiqué ci-joint dans la colonne de droite).

      On consultera pour plus de photos l'album que je mets en ligne à partir d'aujourd'hui (Voir également colonne de droite)