08/01/2010
Des roches gravées à Batz-sur-Mer
Mon camarade Remy Ricordeau s'ouvre si bien à l'art brut qu'il ne finit pas d'en découvrir ici et là. Dernière surprise en date, du côté de Batz-sur-Mer (dans la Presqu'île de Guérande), l'été dernier, il est tombé sur d'étranges roches de bord de mer, sculptées dit-il, gravées dirai-je plutôt, ressemblant un peu aux graffiti anciens incisés dans des murailles, comme les graffiti de prisonniers médiévaux, ou ceux de ces Poilus de la première guerre mondiale qui n'hésitaient pas dans leur rage d'expression à creuser la roche de leurs carrières de casernement provisoire jusqu'à dégager des sculptures en trois dimensions (voir ma note du 28 décembre 2008 sur un livre causant des graffiti de tranchées paru cette année-là), et voir plus généralement le musée Serge Ramond consacré aux graffiti historiques à Verneuil-en-Halatte).
On se balade en bord de mer, et l'oeil découvre éberlué le travail anonyme qui a consisté à racler, et à évider la roche granitique afin d'en extraire des profils ultra stylisés, des visages grossiers et hallucinatoires, tentative primitive analogue à celle du fameux abbé Fouré qui à Rothéneuf en Ille-et-Vilaine a sculpté au début du XXe siècle les rochers du rivage en créant en une quinzaine d'années plusieurs dizaines de personnages aux formes interprétées d'après les circonvolutions de la matière brute. Ciselées dans une muraille naturelle de blocs joints dans une maçonnerie naturelle (qui est peut-être responsable de l'inspiration de l'auteur), pas plus haut que ce que la taille d'un homme peut permettre, on reconnaît à Batz quelques figures, un hippocampe par exemple (la seule figure un peu réaliste), des profils géométrisés, dont peut-être celui d'un rapace, et deux figures affrontées, quelque peu cubistes.
Le style employé semble celui d'un individu qui s'essaierait à la sculpture, les expressions restant en affleurement seulement, à peine dégagées de la roche, esquissées, ce qui peut être aussi par volonté - inconsciente? - de transmettre leur côté hallucinatoire avant tout. Du reste, à force de les regarder, on en devine plus que le sculpteur a voulu en faire, une roche dominant l'ensemble semble ainsi représenter la gueule d'un crocodile mais le style est tellement différent du reste qu'on se convainc bientôt qu'il s'agit là d'une extrapolation de la part de l'interprète dont l'inconscient a été fort mis en branle (il y a souvent contamination de la vision lorsqu'on est en présence d'images interprétées d'après des formes naturelles ; à Rothéneuf, à côté des rochers sculptés par l'abbé Fouré, on se met à deviner d'autres figures possibles qui ne sont en réalité que formes du hasard avec lesquelles joue l'imagination). On lit un chiffre à un endroit, 35, ou plus vraisemblablement 95 sans trop savoir ce qu'on doit en tirer, peut-être la date de la gravure?

Ces roches vous prennent un aspect précolombien sans doute bien involontairement. On pense aussi aux gravures des pictogrammes de la Vallée des Merveilles dans les Alpes du Sud. On ne sait rien de l'anonyme graveur ayant furtivement travaillé sur ces roches, en y passant pourtant un bon moment on suppose...
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01/01/2010
Une tombe imagée dans la Haute-Vienne
En France aussi - mais il faut bien chercher! - nous avons des tombes qui pourraient faire écho aux cercueils ghanéens dont je parlais il y a peu (note du 19 décembre de la dernière année). L'inventaire reste à faire des sépultures imagées qui pourraient émailler de leurs rares présences tant de nos cimetières monotones.
La tombe ci-dessus semble avoir appartenu à un négociant en vins de la Haute-Vienne, voire à un viticulteur? Est-il le responsable du choix de ce tombeau fort insolite quoique bachique, ou est-ce le résultat des agapes d'après inhumation, quand la famille décida de la forme de sa dernière demeure, un peu comme une plaisanterie d'ivrognes (en ce lendemain de réveillon, cette hypothèse parlera à nombre de mes lecteurs)...? Toujours est-il qu'il voyage désormais dans la mémoire des hommes (qui passent par Rochechouart, ou par ce blog...) dans son tonneau pour l'éternité, moderne Diogène post-mortem.
19/12/2009
Enterrés dans une image, art funéraire au Ghana
Il est une coutume funéraire contemporaine au Ghana qui consiste à enterrer certains dignitaires de l'ethnie Ga (il faut être un notable, avoir des moyens) dans des cercueils qui sont autant d'effigies emblématiques de la destinée du défunt, symboles aussi de sa fortune durant son parcours sur la terre (si Nicolas Sarkozy était ghanéen, on l'enterrerait peut-être dans un stylo ou une montre?). On vous enterre là-bas dans des oignons, des poissons, des pirogues, des voitures, des poules, des lions, des avions, tous sculptés dans le bois, ce qui est bien plus poétique on en conviendra qu'une simple caisse en sapin...
J'écris "contemporaine", cependant, il faudrait préciser que cette coutume remonte déjà à la fin des années 1950. Elle remonterait même exactement à 1957, date à laquelle un menuisier du nom d'Ata Owoo (1902-1976, un contemporain de Dubuffet...) fabriqua pour un chef de sa région un palanquin en forme de cabosse de cacao. 1957 est aussi la date d'accession à l'indépendance pour le Ghana qui fut autrefois colonie britannique (sous le nom de la Gold Coast).
En France, ces coutumes ont été révélées au grand public par le photographe et cinéaste Thierry Secrétan qui a mené une recherche sur le sujet dès le début des années 1980. Un beau livre en fut l'aboutissement aux éditions Hazan en 1994 (Il fait sombre, va-t-en, Cercueils au Ghana). La grande exposition des Magiciens de la Terre a été la première en France, en 1989, à faire connaître ces cercueils-logos parmi tant d'autres merveilles de créativité populaire qui y furent simultanément présentées, provenant de différentes contrées du monde (les organisateurs français de cette expo avaient à l'époque cru bon d'estimer qu'il n'y avait personne en Europe capables d'être comparés avec les créateurs populaires du Tiers-Monde, hormis Chomo, dixit Jean-Hubert Martin, qui aurait dû passer à l'époque un bon cours de rattrapage en matière d'art brut et autres inspirés du bord des routes, quelle extraordinaire ignorance).
Une exposition plus récente vient de se terminer sur les cercueils du Ghana - je l'ai appris un peu tard, mille excuses! - au musée d'Evreux, dans l'ancien évêché (31 octobre - 29 novembre 2009, merci à Philippe Lalane pour l'info). On y montra des photographies de Thierry Secretan mais aussi quelques cercueils venus de l'atelier de Paa Joe, neveu de Kane Kwai, émule lui-même du fameux Ata Owoo, qui fit beaucoup par son talent de sculpteur pour consacrer ce nouvel art funéraire en passe de devenir une tradition (on raconte que Kane Kwei proposa entre autres formes de cercueils le perroquet tenant en son bec un stylo pour symboliser les universitaires...). L'absence d'entreprise de pompes funèbres au Ghana, et l'importance capitale des rites funéraires qui ont pour enjeux de permettre aux défunts de rejoindre leur "famille céleste" et aussi de se réincarner par la suite parmi les vivants expliqueraient le développement de cet art fort imaginatif.

Ces cercueils sont maintenant bien connus, au point que les commandes affluent de partout dans le monde, et probablement aussi - surtout? - pour des raisons d'ordre esthétique et marchand. Les cercueils présentés à Evreux provenaient par exemple de la galerie Dieleman, située à Gembloux en Suisse. D'autres cinéastes ont réalisé des documentaires sur le sujet, comme Philippe Lespinasse, connu pour sa collaboration entre autres avec la Collection de l'art brut à Lausanne (plusieurs de ses films édités en DVD y sont diffusés). Ghana, sépultures sur mesure, un moyen-métrage de 52 minutes, a été diffusé il y a peu sur France 5.
10/12/2009
L'envol
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16/10/2009
Sur le fil, déviances textiles à la Maison Folie de Wazemmes
Pascal Saumade et Barnabé Mons sont les deux commissaires de l'exposition "Sur le fil", sous-titré "déviances textiles" qui a débuté le 10 octobre dernier à la Maison Folie de Wazemmes, quartier au sud-ouest de Lille, connu pour ses Géants de carnaval. Cette Maison est une ancienne usine textile, lieu parfaitement adapté au projet de ces deux supporters de l'art modeste (Saumade collabore avec le MIAM de Sète) qui ont pris l'habitude depuis quelque temps de monter des expositions dans le Nord, notamment l'expo récente "Kitsch-Catch" qui évoquait l'univers du catch à travers l'imagerie populaire et l'art populaire contemporain, en particulier au Mexique. Peut-être cette recherche de proximité avec le Nord est-elle à mettre en relation avec le futur musée d'art brut et d'art moderne qui ouvrira l'année prochaine ses portes à Villeneuve-d'Ascq dans un bâtiment prolongé et rénové?
Ces déviants textiles (je préfère le sous-titre au titre, qui a vraiment trop servi ici et là, c'est vraiment la métaphore évidente dès qu'on parle de textile) sont constitués de créateurs hétéroclites (art populaire, art brut, art contemporain, art outsider), et tant mieux, ayant pour point commun de travailler des matériaux textiles. Un hommage est particulièrement dressé à celui qu'on classe généralement parmi les Naïfs contemporains, auteur de nombreuses "tapisseries", fresques brodées, patchworks de pièces de tissus, Jacques Trovic qui habite dans le Nord justement et qui est actif depuis les années 50. A côté de lui, l'association La Gamelle Publique (association à l'origine du projet) a "rassemblé plus de 50 artistes d'univers et de nationalités divers au sein d'un parcours labyrinthique".
Maison Folie Wazemmes. Expo du 10 octobre au 22 novembre 2009, ouverte du mercredi au samedi de 14h à 19h, dimanche de 10h à 19h, 70 rue des Sarrazins - 59000 Lille. T: + 33 (0)3 20 78 20 23
mfwazemmes@mairie-lille.fr
Accès : Métro Gambetta - Wazemmes (ligne 1) - Montebello (ligne 2)
00:51 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art populaire contemporain, Art populaire insolite, Confrontations | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art modeste, art populaire contemporain, jacques trovic, pascal saumade, sur le fil, maison folie de wazemmes, art naïf | Imprimer
02/09/2009
Petit théâtre de sculpture improvisée
Fin d'inspection aux Puces de Vanves durant ce cher mois d'août parisien dépeuplé. Pas de bousculade, quel plaisir... J'arrive au bout du dernier trottoir point complètement exploré, et je me dis que je ne trouverai rien comme souvent. Et puis, comme voulant malignement déjouer ce pessimiste pronostic, je m'avise d'une boîte vitrée contenant quelques petites sculptures placées sur le fond d'un collage de deux fragments de photos dont l'une est décolorée, tirant sur le bleuâtre. A côté, s'étalent des outils de dinandier ou de chaudronnier (à ce que me précisera mon camarade Philippe Lalane, qui explorait de concert avec moi ce matin-là). Ce sont ces outils que le marchand espère vendre, semble-t-il. Les petites statuettes ne paraissent guère soulever son estime. Il pense que ce ne fut qu'un passe-temps éphémère de la part de son auteur. J'avoue ne pas comprendre très bien le peu de cas fait de ces oeuvrettes qui m'ont séduit moi en revanche immédiatement. Mais comme il va me faire un prix fort raisonnable, j'oublie rapidement mon étonnement...
J'emporte la boîte, ôte prestement la vilaine photo d'arrière-plan une fois rentré à mon domicile. Je note au passage que les photos, collés sur la paroi vitrée renvoient à deux fragments de calendrier évoquant en légendes les villes de Rochefort-en-Terre (dans le Morbihan) et de Collioure (Pyrénées-Orientales), images toutes deux dues au photographe Jacques Verroust, connu pour son livre avec Jacques Lacarrière sur les Inspirés du bord des routes... Ces photos ne paraissent là que pour constituer un arrière-plan médiévisant aux statuettes montrant des personnages du monde rural. Seule exception à cette thématique ruralisante, se distingue cependant une statue de femme africaine nue, à genoux, la poitrine généreusement proéminente et le fessier bombé.
Photo BM, 2009
Il y a six petites statues, un homme qui joue du marteau, paraissant être un forgeron (je retrouverai un second marteau sur le bois qui sert de plancher, avec des ornements ovales tracés au crayon pour suggérer un dallage quelconque ; et je le raccrocherai à la main restée libre). A ses pieds, une enclume où l'on n'aperçoit aucun outil à forger... L'homme n'est pas fixé. Ce qui n'est pas le cas de la saynète des deux causeurs assis, sculptés dans des couleurs différentes. On les a munis d'une pointe par-dessous qui les retient au sol.
Les causeurs, photo BM, 2009
En plus de la femme africaine agenouillée, on découvre aussi un bûcheron, au faciés passablement proche du squelettique. La Mort bûcheronnant?
23:35 Publié dans Art populaire insolite | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : art populaire insolite, sculpture populaire, sculpture naïve, dinandiers, chaudronniers, forgerons | Imprimer
19/08/2009
Naïve aventure
NAÏVE DEVANTURE
Quand on quitte la station de métro Maraîchers par la sortie donnant sur la rue des Pyrénées, on rencontre aussitôt une ruelle transversale dénommée rue du Volga. Son nom masculinisé de façon insolite, son étroitesse, qui contraste avec l'idée d'immensité qu'on se fait d'un tel fleuve, et surtout le pont du chemin de fer de ceinture qui arrondit sa voûte au-dessus d'elle une centaine de mètres plus loin, agissent comme autant d'irrésistibles appâts qui aimantent les pas du promeneur et l'incitent à s'y engager.
Il longe alors sur le trottoir - ou, devrais-je dire, la rive gauche - quelques ateliers transformés en isbas, dont les jolies façades de bois le font rager d'autant plus fort contre les promoteurs coupables d'avoir bâti juste en face une de ces casemates de béton bouygo-stalinien qui défigurent, tel un lupus hideux, le visage des villes. Mais alors que le promeneur croyait son chemin tout tracé jusqu'à la voûte du chemin de fer, il est arrêté par le débouché de la rue des Grands-Champs qui, à la manière d'un indolent affluent, se jette dans le Volga par la rive droite; et là, comme l'âne de Buridan, notre homme hésite sur le parti à prendre. Les grands champs évoquent en lui tout à la fois la clé des champs et les grandes largeurs, deux pôles inscrits depuis longtemps sur le cryptogramme de sa sensibilité. Mais la voûte l'attire, comme tout ce qui lui rappelle les arcades, ces reconstructions urbaines de la caverne primitive où prend son élan la poussée utopique de l'humanité. Or justement, en ce soir de mai, ce n'est pas d'un abri qu'il a besoin, ni de la nostalgie des origines, mais de la liberté des grands champs, ce qui le décide finalement à s'y vouer. Par un détail qui ne manque pas d'avoir infléchi ce choix, la rue ne présente pas de perspective au regard, mais amorce un virage à quelques encablures; et nul n'ignore que le flâneur est toujours avide de découvrir ce qu'il y a après le virage.
Et de fait, le flâneur, qui n'éprouvait qu'un vague espoir de trouvaille, n'a pas été déçu dans son attente sans objet : au rez-de-chaussée du numéro 107 de la rue des Grands-Champs, juste après le virage, s'ouvre la vitrine d'un salon de coiffure, ornée sur les murs qui en constituent la devanture de fresques murales représentant une énorme paire de ciseaux, une sirène alanguie (1) et d'autres figures naïvement peinturlurées. Au-dessus de la porte une plaque de pierre où s'inscrit l'expression latine TEMPUS FUGIT nous rappelle notre condition de mortel, reliant sans doute, dans l'esprit de la tenancière des lieux, une nommée Virginie, s'il en faut croire l'enseigne, le thème de la fuite du temps à celui de la chute irrésistible des cheveux, l'universelle et inexorable calvitie que seuls des soins appropriés prodigués par une main experte, et l'on espère très caressante, sont capables de retarder.
Joël Gayraud
___________
(1). Note du Poignard Subtil: à l'époque où fut faite la photo du salon de coiffure en question, à savoir seulement quelques semaines après que ce texte ait été rédigé, la "sirène" s'était visiblement transformée en clown... Ou faut-il croire à quelque hallucination de la part de l'auteur de ce texte? D'autre part, à nos yeux, il ne s'agit pas là d'un décor proprement "naïf" mais plutôt d'un exemple de ce que le peintre Di Rosa appelle de l'Art modeste, à mi-chemin entre la décoration des camions et les fresques de graffeurs.
00:05 Publié dans Art naïf, Art populaire insolite, Littérature, Paris populaire ou insolite | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : joël gayraud, rue du volga, enseignes insolites, paris populaire et insolite, grenouilles, clowns, art modeste | Imprimer
09/08/2009
Haïti et vaudou au Musée du Montparnasse
"Le dernier voyage d'André Malraux en Haïti ou la découverte de l'art vaudou", tel est le titre de l'exposition qui s'est ouverte le 19 juin dernier au Musée du Montparnasse, et qui est prévue pour durer jusqu'au 19 novembre prochain.
Je ne suis personnellement pas très attiré par les gesticulations et les manières de génie qui se la joue profond de l'ancien ministre de la culture André Malraux, mais c'est l'occasion ici de voir quelques oeuvres d'art haïtiennes, certaines bien sûr en provenance de la communauté de Saint-Soleil (communauté dissoute en 1978) qu'alla plus particulièrement visiter Malraux en 1975.


A côté des artistes de Saint-Soleil (j'aime bien Louisiane Saint-Fleurant en particulier), qui sont souvent difficiles à distinguer les uns des autres, comme si un moule avait été édicté d'où toutes les oeuvres découleraient, à côté de ces créateurs - souvent vite classés du côté de l'art brut en raison de leurs formes enfantines à la Chaissac - on trouve ici une petite surprise sous la forme de deux tableaux d'un certain Edouard Duval-Carré (au nom prédestinant semble-t-il, car les deux tableaux sont de format...carré justement).
Il a représenté la rencontre d'André Breton et d'Hector Hyppolite, l'un des tout premiers peintres primitifs haïtiens (on sait que le phénomène s'est développé en Haïti au tournant des années 1940, essentiellement grâce à l'impulsion que donna à la peinture la fondation à Port-au-Prince d'un Centre d'Art fondé par le professeur américain Dewitt Peters, centre qui était à la fois une école et un lieu d'exposition), rencontre qui eut lieu lors des conférences que donna Breton en Haïti en décembre 1945, conférences qui s'accompagnèrent alors de journées révolutionnaires appelées les "Cinq Glorieuses".
Les deux hommes sur le tableau se tiennent de façon quelque peu hiératique, Hector Hyppolite, qui était un prêtre vaudou, un houngan, semblant être perçu par le peintre comme un intermédiaire reliant Breton par le contact de branches d'arbres avec la terre qu'il touche de son bras gauche transformé en tronc. C'est assurément là une image peu connue concernant les deux personnages. On sait que Breton acheta une douzaine d'oeuvres à Hector Hyppolite et qu'il projeta de le présenter dans l'Almanach de l'Art brut, projet de Dubuffet qui finit malheureusement par capoter.
Un second tableau représente pour sa part l'assassinat du leader révolutionnaire, ami de Gérald Bloncourt déjà cité, et écrivain important (il a écrit un roman que d'aucuns recommandent chaudement, Compère Général Soleil), Jacques-Stephen Alexis, dans les années 60 par les sbires du dictateur Duvallier. Au-dessus du corps d'Alexis , on semble reconnaître un "Baron Samedi", personnage funèbre qui dans le panthéon vaudou symbolise la Mort (souvent accompagné par "la Grande Brigitte"), avec ses attributs, le chapeau noir, les lunettes noires, le complet veston... Mais la Mort squelettique, d'aspect très mexicain, est ici aussi présente.
A côté de cette découverte des peintures de Duval-Carré, on reste intrigué également par les peintures d'un peintre récemment apparu (déjà signalé dans l'exposition "Peintures haïtiennes d'inspiration vaudou" qui s'était tenue au Musée d'Aquitaine à Brodeaux en 2007), Franz Zéphirin (né en 1963), à l'imagination fertile, amateur de sirènes -personnages importants dans le panthéon vaudou, à la fois féminins et masculins - et pratiquant un dessin et une peinture qui nécessitent un travail conséquent, voir en particulier la grande toile de 2008, présente dans l'exposition, Le destin cosmologique d'Haïti.
19:59 Publié dans Art immédiat, Art naïf, Art populaire insolite, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : art vaudou haïtien, andré breton, cinq glorieuses en haïti, michael löwy, gérald bloncourt, malraux, frans krajcberg, noms prédestinants, sirènes, bruno montpied | Imprimer
Nains de jardin new look
Les nains de jardin parfois s'émancipent, tombant le masque pour ressembler aux propriétaires du jardin. Ils se font rondouillards, ventripotents et bien nourris comme des paysans qui ont su profiter de leur terre. Faudra-t-il aussi les libérer, ceux-là?
00:26 Publié dans Art populaire insolite | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nains de jardin, olonne-sur-mer, art modeste, kitsch contemporain | Imprimer
18/07/2009
C.A.P.U.T., Kézaco?
Ils m'ont contacté récemment via l'adresse de ce blog et je trouve leur blog assez proche cousin du mien. La C.A.P.U.T., ce sigle cache une Collection de l'Art Populaire et de l'Underground Tacite. Commencée vers décembre 2008 (voir à cette date sur le blog de Cynthia 3000, l'éditeur du blog (c'est une petite maison d'édition littéraire par ailleurs semble-t-il, responsable d'une réédition de Laurent Tailhade entre autres) la déclaration éditoriale qui explicite le concept), cette collection paraît se consacrer, en se cherchant au fur et à mesure de son développement et des trouvailles en brocante, terrain de chasse de prédilection des animateurs du blog, Céline Brun-Picard et Grégory Haleux, aux peintres modestes essentiellement. Les deux chercheurs leur trouvent cependant du charme, décelant dans les oeuvres hétéroclites qu'ils chinent une inquiétante étrangeté parfois. Certaines des oeuvrettes acquises (pour moins de 4€, c'est presque une condition d'acquisition) frôlent la naïveté, mais dans l'ensemble, nous touchons là plutôt à une forme d'art modeste que ne renierait pas le peintre Di Rosa dans son Musée international des Arts Modestes à Sète. L'art banal... Contenant en creux une insidieuse poésie, peut-être toute entière dans l'oeil de ceux qui le collectionnent?
En tout cas, un blog à suivre, car on est curieux de voir ce qui va advenir, des découvertes futures. Dès aujourd'hui, je le joins à ma liste de "Doux liens" (colonne de droite). Et puis, ils aiment les ondines, les sirènes, les naïades, ils ne peuvent être complètement mauvais...
01:00 Publié dans Art populaire insolite | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : caput, underground tacite, cynthia 3000, art modeste, peintres du dimanche | Imprimer
15/07/2009
Anonymous Works, un nouveau lien
Cette courte note veut vous engager à cliquer encore et toujours vers d'autres sites ou blogs où vous trouverez sûrement matière à rêvasser devant des découvertes captivantes ou surprenantes, tel ce blog d'Anonymous works, rédigé aux USA apparemment (Los Angelés) et que je mets dans mes doux liens à partir de ce jour (sous le titre, traduit, de "Travaux anonymes").
11:22 Publié dans Art immédiat, Art involontaire, Art naïf, Art populaire insolite, Sur la Toile | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : anonymous works, art populaire américain, folk art, photographie vernaculaire, art naïf, limners | Imprimer
13/07/2009
Au musée des Amoureux d'Angélique, cet été
Cet été, le musée des Amoureux d'Angélique (une petite sorcière, celle-ci) attire nos regards sur deux des créateurs dont la collection permanente possède quelques oeuvres déjà significatives, Joseph Donadello et Denis Jammes. Ce dernier est un "berger tsapuzaïre", proclame l'affichette que m'ont envoyée les animateurs du musée du Carla-Bayle (Ariège). Tsapu-quoi?, vont crier les internautes peu au fait de l'occitan... Comme je l'ai déjà fait moi-même la première fois que je suis tombé sur le mot. C'était en lisant un article de 1924 - oui, je vais chercher mes nouvelles parfois un peu loin dans le passé - d'un certain P.Mamet, qui l'a publié dans L'Almanach de Brioude en Haute-Loire. Cela s'intitulait Les Artistes Instinctifs... Oui, déjà en 1924, on s'intéressait aux autodidactes dans l'art. "Sont artistes instinctifs ceux qui, sans études préalables, sculptent ou gravent des sujets naïfs sur des matériaux vulgaires avec des outils de fortune"... écrivait ce M. Mamet dans ces années-là. Il voyait même dans "les décorateurs de pichets, de boîtes, de cannes" des descendants des graveurs de rennes sur les parois des grottes préhistoriques.
C'est un peu plus loin, continuant sur le sujet de la terminologie, que Mamet emploie le mot qui m'intrigue: "J'aime mieux les appellations dont on les gratifie lorsque, débutants, leurs brimborions encombrent la pièce: Tsapiuzaïre (d'où tsapius et chapuis), faiseurs de copeaux, perdeurs de temps, faseliu, bourdjinaïres, (...). L'intraduisible bourdjinaïre caractérise bien leur travail lent, menu, frivole et non lucratif." P.Mamet donne ensuite quelques exemples de sculpteurs qu'il a rencontrés dans sa région, sans donner malheureusement beaucoup d'illustrations pour qu'on puisse se dire que leurs oeuvres ne devaient être autre chose que ce que l'on appelle aujourd'hui de la sculpture populaire rustique. Hormis ce dessin exécuté d'après des oeuvres d'un certain Ferre-mouches (surnom d'un des compatriotes de l'auteur, nommé en réalité Eyraud, mais son surnom indique bien son niveau d'habileté) et d'un autre nommé Cubizolles, qui de simple berger autodidacte s'éleva rapidement à la promotion d'artiste quasi professionnel (il finit "membre du jury des Beaux-Arts de Lyon", nous dit Mamet), le lecteur en quête de splendides exemples de sculpture populaire insolite et bizarre, revenue du fin fond du passé, reste sur sa faim...
Il me fallait en apprendre davantage sur ces "tzapiuzaïres, faseliu et autres bourdjinaïres"... Et pour cela, il n'y a qu'une adresse! Celle de Michel Valière, émérite connaisseur de la langue occitane, si chère à son coeur. Voici ce qu'il a eu la gentillesse de me préciser (attention, mini cours de langue occitane!):
« Pour les occitaneux, occitanistes contemporains de tous poils, fiers de leur langue, etc., et qui l'enseignent de la maternelle à l'Université, les tailleurs de bois, genre feuillardiers, etc., ce seraient des "chaplusaires", dérivés du verbe "chaplar": tailler, briser, hacher, etc.
Vous l'écrivez comme je vous le dis (avec CH-), mais vous le prononcez comme vous l'écrivez vous (TS-), avec en + le L en principe.
Oui, c'est bien de l'occitan du Massif Central, et du bon !!!
J'ajouterai qu'un grand "chaple", c'est une tuerie, un massacre genre St-Barthélémy, ou même le massacre de la volaille et du cochon dans la basse-cour lors d'un mariage, etc. »
Donc, si j'ai bien compris, il faudrait écrire "chapluzaire" et prononcer "tsapluzaire", en important la phonétique occitane en français, ce qui n'est pas forcément évident...
Pour les autres mots évoqués dans l'article de Mamet, voici ce que m'a également répondu Michel Valière:
« Ecrivez "normatif", "chaplusaire" et prononcez librement. Lorsque vous et moi écrivons en "français" nous avons la même orthographe, mais si vous et moi nous parlons, des nuances liées à nos origines, voire notre culture, sont sensibles et pourraient être phonétiquement réécrites avec quelques différences...
FASELIU : Frédéric Mistral écrivait, lui, FASILHOU, avec pour sens "factotum" (homme à tout faire), mais aussi homme remuant, actif... Et il localise bien ce lexème en Auvergne.
L'occitan moderne préfèrerait la graphie "Faselhon" (ne vous trompez pas: la désinence « -on », se lit « -ou » ! Quant au « -lh » c'est l'équivalent français de « -ill », cf. Millau /Milhau).
BOURDJINAÏRE : un peu plus complexe dans sa graphie fantaisiste locale, il devrait plutôt être écrit : "bordinejaire", c'est -à- dire faiseur de détritus végétaux, voire ramasseur de détritus. Là encore, en oc, "o" se prononce "ou" quand ce "o" n'est pas accentué; et "-jaire" signifie celui qui fait et refait quelque chose (ex. passejaire, se dit de quelqu'un qui ne fait que "passar" - passer - c'est-à-dire simplement un promeneur. »
Ah, eh bien merci M. Valière, on y voit plus clair. Le bordinejaire (prononcez "bourdinejaire", donc...) m'évoque un producteur de petits "bordels", de machins, de trucs que d'aucuns voudraient bien rejeter à la décharge dont ils ont l'air de sortir. Cela me fait repenser à Raymond Reynaud et à ces chères "bordilles" en Provence, ces décharges où il trouvait son miel pour ses oeuvres d'assemblage au point de les avoir reconstituées aux portes de son domaine, histoire d'avoir dans son environnement immédiat un vivier de matériaux et objets de rebut où puiser sans limite...
Il existe donc encore aujourd'hui des tailleurs de copeaux, des qui aime encore perdre leur temps à tailler des trucs en bois, des obsessionnels de la gouge et du canif, en Haute-Loire particulièrement. Denis Jammes continue une tradition que suivait également son père, c'est un dada familial en quelque sorte, comme un secret qui se transmet d'âge en âge.
17:16 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art populaire insolite | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : musée les amoureux d'angélique, joseph donadello, denis jammes, association gepetto, tsapluzaïres, michel valière | Imprimer
07/07/2009
Le Menhir de St-Duzec, une autre image
L'association Gepetto, au Carla-Bayle dans l'Ariège, a réagi à ma récente note sur le menhir de St-Duzec-en-Pleumeur dans les Côtes d'Armor en m'envoyant une autre photo ancienne du même monument, que surveillent deux jeunes femmes charmantes à son pied. On y voit la scène de crucifixion en voie d'effacement, ce qui date la photo d'une année postérieure à celle de la carte postale que j'avais mise en ligne. Années 1930, 1940? Les deux jeunes femmes habillées en blanc semblent toutes eux mordre... dans une pomme? Cela crée un contraste coquin avec la christianisation sommitale du menhir contre lequel elles s'appuient avec une désinvolture quasi sensuelle.
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22/06/2009
Nom d'un menhir
Me baladant sur l'ethnoblogue Belvert de Michel Valière ces jours-ci, je tombe en arrêt à la date du 19 juin sur la photo du menhir de St-Duzec-en-Pleumeur, prés de Lannion dans les Côtes d'Armor, que j'ai toujours voulu visiter, ne l'ayant vu qu'en cartes postales, ou sur livres...
©Tous droits réservés M.-B. L. et Belvert
Pour la description de la panoplie des accessoires de la passion du Christ qui ont été taillés à la surface de ce "monument païen christianisé", bien rangés et très naïvement exécutés (ce qui me séduit au premier chef dans ce menhir), je renvoie mes lecteurs au bolg Belvert où ils trouveront (en cliquant sur le lien ci-dessus) toutes les explications érudites dans lesquelles excelle Michel Valière.
Je n'ai pris la liberté de piquer cette image sur le blog de M.Valière que pour pouvoir comparer son état - restauré récemment, semble-t-il, à savoir bien nettoyé? - à celui qui date de cette carte postale ancienne que j'ai dans mes collections. On voit que la rangée d'accessoires avait été placée au sommet du menhir afin de laisser un espace pour peindre une crucifixion en son centre. Les accessoires eux-mêmes étaient probablement peints comme cette carte en noir et blanc ne l'indique hélas pas. Couleurs qui bien entendu sont tombées avec le temps, ce dont les restaurateurs actuels se seront sûrement souciés, négligeant volontairement de prendre en charge une dépense de plus pour un travail voué à disparaître à brève échéance une fois de plus? C'est là que les documents comme les cartes postales anciennes viennent cependant utilement rappeler l'état "original" (ou plutôt l'un des états à une époque donnée...) de cette sculpture, mainmise chrétienne sur le monument d'un autre culte certes, mais confectionnée avec un goût populaire très séduisant.
22:45 Publié dans Art populaire insolite | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : menhirs christianisés, sculpture populaire, st-duzec-en-pleumeur, monuments païens | Imprimer
31/05/2009
Voitures fantômes revenues du Malawi 1990
Un ami de la région nîmoise, Yohan-Armand Gil, qui fait partie du groupe de créateurs regroupés sous la bannière du titre Venus d'ailleurs (voir leur site en lien), m'a mis en relation avec un autre de ses amis, Claude Ballaré qui en compagnie de son épouse Chris, en 1990, au cours d'un séjour au Malawi, en Afrique australe (c'est entre la Zambie, la Tanzanie, et le Mozambique, pays à la carte tout en longueur, tassé contre l'immense lac Malawi), fit un jour la découverte d'un original qui tressait des simulacres de voitures en bordure de chemin. Effectivement, cette rencontre méritait d'être photographiée et mise au jour. Loués soient donc Chris et Claude Ballaré pour leur ethnologie brute. Je joins ci-dessous les lignes que Claude m'a envoyées pour expliciter autant que faire se peut cette création d'une sorte de land art tout à fait brut.
Ce parc automobile important était situé au sud du pays, un peu à l'écart de la route principale, à proximité de la frontière séparant le Malawi du Mozambique qui était alors en guerre civile. Il ne nous a pas été possible d'établir un quelconque contact avec l'auteur, qui était muet, et semblait être la risée des quelques villageois rencontrés. Il habitait dans l'une de ses voitures. Compte tenu de l'abondance et de la vigueur de la végétation, je pense qu'il devait passer autant de temps à construire ses véhicules qu'à les défendre contre leurs pousses intempestives.

Ces réalisations étaient son unique activité, elles étaient à peine visibles de la route et à distance se confondaient avec la végétation. Pour le reste, il était totalement pris en charge par ses voisins.
Cela se passait il y a vingt ans, compte tenu de l'espérance de vie moyenne dans ce pays, je ne pense pas que ce mystérieux concepteur de véhicules soit encore en vie.
(Claude Ballaré)
Il est à noter qu'un des artisanats répandus au Malawi est la vannerie, et le tissage des fibres végétales (joncs, roseaux...) que l'on trouve en abondance dans les régions côtières du lac, comme Claude Ballaré l'a signalé dans le catalogue de l'exposition Malawi, des jouets, des jeux qu'il rédigea et semble-t-il organisa au Musée d'Allard Montbrison (dans la Loire) en 1989-1990, à partir de ses collections de jouets malawites, dont une partie est entrée par la suite dans les collections du Musée du Jouet de Moirans-en-Montagne (Jura).
00:54 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art involontaire, Art populaire insolite | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : malawi, claude ballaré, voitures sculptées, land art brut | Imprimer
28/05/2009
Souvenir des Pierres qui Parlent, Marie-Antoinette Bassieux
Qui se souvient des "Pierres qui Parlent" et de leur petit musée à Dieulefit dans la Drôme?
Une dame fort âgée, Marie-Antoinette Bassieux l'avait créé dans une boutique vitrée où elle abritait sur des rayonnages des dizaines et des dizaines de cailloux, galets de rivière ou autres. Elle avait perçu des images inscrites à leur surface. Convaincue que bien entendu le public distrait n'a pas toujours la disponibilité requise pour reconnaître ces signes, à ses yeux pourtant évidents, Mme Bassieux avait consenti à souligner d'une légère touche de pinceau trempé dans l'encre noire les contours des personnages qu'elle avait reconnus.
L'inconscient naturel de ces pierres, ou l'imaginaire de Dieu (m'est avis que c'était l'hypothèse envers laquelle penchait en premier le coeur de Mme Bassieux...), n'était pas tout à fait naïf en l'occurrence. Ces images trahissaient une culture artistique moyenne, comme si Dieu, avec un coeur qui ressemble parfois à celui d'une midinette, avait beaucoup regardé des estampes, des profils enclos dans des médaillons, des scènes animalières quelconques. Un Dieu bien provincial somme toute (à la mode de jadis, je dis ça pour "G.M."), qui avait glissé ces copies en catimini dans les pierres, poursuivant je ne sais quel but, mais les voies du Seigneur ne sont-elles pas impénétrables?
Cependant, ces pierres interprétées finissaient par charmer. Sans doute parce que quel que soit le motif aperçu dans les matériaux naturels, l'oeil du spectateur reste amusé, intrigué devant tel phénomène de divination. Il y a comme une magie qui opère lorsqu'on se rend compte que l'interprète a sorti un personnage de rien, de l'informe, où pourtant elle l'avait perçu à l'état embryonnaire. Et peut-être que cette magie est d'autant plus opérante lorsqu'elle se manifeste dans le cas de ce genre de création aux sujets à la limite du banal, du convenu.
La collection de Mme Bassieux, dont a parlé en son temps Pierre Bonte (il l'avait interviewée) dans un de ses Bonjour M.le Maire, fut un moment transférée dans un "Naturodrôme", à Crest dans la Drôme toujours et comme le nom de cette collection consacrée à la poésie naturelle l'indique. Puis elle revint de guerre lasse à son point de départ, à Dieulefit (dont le nom, on s'en convaincra aisément, était déjà tout le programme de Mme Bassieux...). L'interprète des pierres m'écrivit quelques lettres pour me faire part des avatars affectant ses collections. Elle aurait bien aimé trouver un lieu qui protége de façon assurée ses pierres "parlantes" aprés son séjour terrestre. Que sont-elles devenues aujourd'hui? C'est ce que je me demandais ces jours-ci. Alors, si vous le saviez, ne vous privez pas d'éclairer nos lanternes...
15/05/2009
Parasite?
Ce visage en danger de pulvérisation, d'une friabilité qui confine à l'angoisse, me rappelle le visage de l'acteur Charles Laughton qui avait les lèvres presque lippues, des lèvres à la lourde gourmandise, lourde menace, on aurait cru que ces lèvres allaient s'échapper de leur visage pour partir à la chasse à courre, happeuses, voraces...
Mon brocanteur favori, Philippe Lalane, dont je suis les stands nomades à la trace tant je sais pouvoir y trouver de quoi me surprendre, en avait d'autres, confectionnés dans la même matière friable. Du coup, il avait du mal à les présenter sur ses stands, autant tenir du sable dans ses mains. On dirait un champignon parasite des arbres, mais ce n'est pas sûr. En tout cas, de l'art particulièrement éphémère, immédiat, dont la gageure est précisément de le faire durer... Au moins par la photo.
10:47 Publié dans Art immédiat, Art populaire insolite | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : art populaire insolite, anonymes sculptures, sculpture sur champignon, philippe lalane | Imprimer
07/05/2009
Marcel Noël, un trio de bruyère, et des questions
Voici un drôle de trio (ci-dessous) qui a germé sur une racine de bruyère à ce que m'avait confié leur père, le bien nommé Marcel Noël, vieux monsieur hospitalier et affable de 94 ans (mazette...) qui vivait autrefois à L'Isle-sur-la-Sorgue, en 1993 date où j'allai chez lui... Ancien conducteur de travaux et entrepreneur en maçonnerie, à sa retraite, il s'était mis à sculpter le bois en tenant compte de l'aspect tourmenté et expressif des matières. entre autres sensibilités au bois et aux langages de ses noeuds, écorces, fibres, teintes, il connaissait aussi certains lieux spéciaux où l'on rencontre des arbres aux aspects phénoménaux, comme par exemple les faux de Verzy, ces hêtres tortillards sur la Montagne de Reims qui victimes d'un retard de croissance dû à un mystérieux virus se tortillent depuis au moins mille ans dans des sinuosités remarquables ("faux" vient du latin "fagus" qui veut dire "hêtre", mais l'homonymie avec l'adjectif contraire de "vrai" joue certainement inconsciemment dans le retentissement de ces arbres sur la mémoire collective).
Il avait dressé sur le bord de la route un panneau où l'on pouvait lire "Le fantastique dans la nature". Des "messieurs d'Avignon" étaient ensuite venus lui demander de l'enlever, on se demande pourquoi...
C'était Raymond et Arlette Reynaud qui m'avaient mis sur son chemin par une petite notice parue dans le Bulletin des Amis d'Ozenda, que publiaient les Caire à Salernes, en Provence. Mes parents âgés, au cours d'une de nos dernières pérégrinations en commun, m'avaient conduit jusqu'à la maison trapue de monsieur Noël, où dans la cour se montraient quelques statues taillées dans des branches, des racines (de tous ceux qui me menèrent vers ce créateur, tout le monde est mort aujourd'hui, il ne reste plus que moi...). Une cave sombre et fraîche abritait le gros des oeuvres.
Originaire de Ste-Ménehould, dans la Marne, Marcel Noël parlait à l'époque où nous le visitâmes de faire peut-être rapatrier ses oeuvres dans son pays natal, son fils Robert ayant formulé ce souhait, notamment d'installer les oeuvres dans un petit musée à Beaulieu-en-Argonne. M.Noël nous raconta avoir sculpté autrefois un calvaire en béton armé en ce bourg (qu'il prétendait - forfanterie? - avoir en quelque sorte fondé...).
Que sont devenues les sculptures que je photographiai (chichement et plutôt mal ce jour-là, en noir et blanc qui plus est, je me demande pourquoi, pour faire photographe à l'ancienne...)? C'est ce que je me demande en revoyant aujourd'hui ces figures légères et visionnaires, et ce que je propose aux internautes qui d'aventure pourraient peut-être me renseigner sur la question...?
01:21 Publié dans Art populaire insolite, Poésie naturelle ou de hasard, pareidolies | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : marcel noël, raymond reynaud, l'isle-sur-la-sorgue, poésie naturelle | Imprimer
26/04/2009
Armand Goupil, son goût des acrobaties
Pour complaire à ma commentatrice émérite Myriam Peignist, qui paraît traquer les contorsions artistiques en tous genres, voici un Goupil plus nettement acrobatique que dans le cas de la funambule qui la fait rêver à juste titre (insérée dans ma note du 24 mars 2008).
La posture fait beaucoup penser aux images carnavalesques du Pet-en-Gueule avec leur position tête-bêche, quoiqu'ici on ait l'impression que l'homme s'apprête à appliquer une fessée à sa partenaire (peut-être pour la punir d'une blague malodorante précédemment exécutée?)... On notera l'inscription en bas à gauche, Bronze... S'agit-il d'une peinture faite en copie d'une statue vue par Goupil?
Autre situation légèrement acrobatique, celle de cette jeune femme paraissant esquisser une position sciapodesque en se renversant dans les choux, ce qui semble désigner un moment d'extase, corroboré subtilement, en sous-main (bien dans la manière du gentiment pervers Goupil), par la tenue ferme d'une carotte dans la main de la donzelle. Est-elle destinée à la zone froufroutante située sous le jupon qui se retrousse? Il semble bien que oui...
20:21 Publié dans Art immédiat, Art naïf, Art populaire insolite | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : armand goupil, art populaire insolite | Imprimer
25/04/2009
Une image peut en cacher une autre
Une exposition à voir toutes affaires cessantes - et pourtant il y en a un certain nombre ces jours-ci à Paris, Calder, Jorn, Chirico, Kandinsky, Boix-Vives, Macréau (non, pas Warhol dont je me passe bien, personnellement), etc... - c'est L'AUTRE expo du Grand Palais, aux Galeries Nationales, UNE IMAGE PEUT EN CACHER UNE AUTRE. Du 8 avril au 6 juillet. Son chef d'orchestre est Jean-Hubert Martin, qui avait déjà coordonné une autre expo sur le même thème, à Düsseldorf, L'énigme sans fin, Dali et les magiciens de l'ambiguïté, en 2003. Plus lointainement, une expo au Palazzo Grassi à Venise, L'effet Arcimboldo (1987), avait elle aussi abordé le thème de la double image, de l'image cachée dans l'image. De même que plus près de nous, il y eut en 2006 au Palais des Beaux-Arts de Lille l'exposition L'Homme-Paysage, visions artistiques du paysage anthropomorphe entre le XVIe et le XXIe siècle, dont les concepteurs étaient Alain Tapié et Jeanette Zwingenberger, cette dernière se retrouvant au sommaire du catalogue de l'expo actuelle du Grand Palais. Assez en rapport avec cette dernière, on se souviendra également de la note que j'ai donnée le 30 mars 2008 à propos de l'exposition sur les cartes postales insolites, La photographie timbrée, qui fut montée l'année dernière à l'Hôtel de Sully.
C'est le genre d'expo qui peut intéresser tous ceux qui sont fascinés par les images ambivalentes, telles que Dali aimaient en produire (sa paranoïa-critique est basée sur ces jeux d'illusions, l'exposition lui consacre une petite salle avec des oeuvres de très haut niveau), ou telles qu'on peut en voir dans une foisonnante et hétéroclite iconographie dont cette expo montre une large sélection (parmi les artistes modernes, j'ai fait personnellement la connaissance des sculptures à double aspect, se dévoilant en tournant autour, de Markus Raetz). Dans la peinture de la Renaissance par exemple, nombreux sont les exemples de paysages où se dissimulent des têtes plus ou moins grotesques, des profils dans la découpure des falaises (un célèbre tableau de Mantegna avec des nuages façonnés en forme de visages, Pallas chassant les vices du Jardin des vertus, venu de la grande Galerie du Louvre, est présent dans l'expo). C'est un jeu de recherche qui fait le plaisir du visiteur (s'il parvient à s'approcher du tableau, ce qui relève de l'exploit étant donné l'affluence), l'exposition étant pour une fois parée d'une dimension ludique indéniable (qui ne devrait pas déplaire aux enfants qu'on peut y emmener de préférence à toute autre expo).
Mais elle ne se limite pas à cela. Des commentaires brefs mais denses aiguillonnent la curiosité. Notamment lorsqu'il s'agit d'expliquer au visiteur que ces images cachées à l'époque de la Renaissance avaient un sens peut-être édifiant, la nature peinte étant considérée comme le siège d'une sauvagerie qu'il était nécessaire de réduire par la civilisation. Ou bien voyait-on dans ces dissimulations d'images, destinées à être vues dans un second temps de la perception, la démonstration de ce que la contemplation d'une image, en apparence immédiatement lisible, recélait en réalité une autre signification cachée, ce qui ouvrait à une conception transcendante du parcours contemplateur. Dieu est caché dans le moindre détail, n'est-ce pas... Aujourd'hui, l'image cachée répond à d'autres significations, d'autres besoins, notamment celui de s'émerveiller, ou bien au goût des images séditieuses (une partie de l'expo est consacrée aux profils ou silhouettes d'hommes politiques cachés dans des trous, ou des intervalles du paysage, cf. les représentations de Napoléon en silhouette).
Il existe évidemment un lien avec les thèmes plus ou moins carnavalesques du monde à l'envers. L'imagerie populaire n'a pas été oubliée (si l'art brut lui, en dépit de sa présence à l'exposition de Düsseldorf pourtant, avec un article de Claudia Dichter dans le catalogue de cette dernière expo, a été mis de côté, on ne sait pourquoi ; je sais certain dessin de la collection Prinzhorn, présent dans le catalogue de l'expo de Düsseldorf, qui n'aurait pas détoné dans cette expo... ; on ne trouve dans un coin qu'un beau dessin - certes - d'Unica Zürn, qui n'est, de plus, elle, pas tout à fait réductible à l'art brut). L'exposition commence sur un mur constellé de cartes postales en noir et blanc montrant des roches aux formes fantastiques telles qu'on en trouve en nombre un peu partout en France (montage de Jean Le Gac, semble-t-il, mais il y avait trop de peuple, je n'ai pas réussi à me faufiler parmi les visiteurs qui les regardaient en faisant la queue sagement comme on fait la queue dans le métro, et du coup je n'ai pu identifier l'auteur du montage). Des pierres de l'ancienne collection de Roger Caillois sont montrées un peu plus loin (on se référera à ses ouvrages sur L'écriture des pierres). On rejoint là l'intérêt pour la poésie des formes naturelles que sur ce blog nous partageons fortement avec tant d'autres amateurs. Certains objets naturels trouvés reviennent dans l'expo qui avaient déjà été présentés au musée Dapper il y a plusieurs années dans le cadre de la très excitante expo intitulée Résonances (organisée par Yves Le Fur, que l'on retrouve comme par hasard parmi les auteurs du catalogue). Un chapitre de ce catalogue est consacré au thème sous le titre La Nature artiste. Ce secteur est présenté , à ce que je crois me souvenir, à proximité d'un autre espace consacré aux images vues dans les taches d'encre (pliages symétriques), comme par exemple celles de Rorschach dont quelques essais sont montrés à cette occasion (placés à côté de taches de Victor Hugo ou de Justinus Kerner, déjà montré autrefois dans ce même Grand Palais pour la grande exposition L'Ame au corps). Des décalcomanies surréalistes auraient pu également être montrées dans leur voisinage, mais sans doute a-t-on jugé que cela avait été déjà souvent fait (cependant, ce fut souvent de façon ultra partielle, une expo entière serait en réalité souhaitable sur le sujet des techniques d'empreinte dans le surréalisme)? Quelques taches obtenues par pliage et symétrisation produites par des poètes comme Eluard ou Marcel Duchamp sont présentées justement en raison de leur côté inédit, mais on reste un peu sur sa faim.
L'exposition ne manque pas de montrer également des cartes géographiques interprétées de façon à figurer dans les contours des frontières des personnages ou des animaux symboliques des nations, l'ours russe, le lion belge, etc. On retrouve évoquées, trop succinctement à mon gré, les lettres à images, des alphabets anthropomorphes (à ce sujet, on peut toujours se reporter au très bel et complet ouvrage de Massin, La Lettre et l'Image, paru autrefois chez Gallimard). Un bel espace est dévolu à des exemples d'anamorphoses, c'est le lieu où l'on enregistre d'ailleurs le plus grand nombre de torticolis au mètre carré dans l'expo... Les miniatures mogholes n'ont pas été oubliées. Dans le secteur sur le paysage-visage, on découvre que même Courbet sut se laisser impressionner par des rochers hallucinatoires (cf. Le géant de Saillon). Du reste, ce parcours recèle dans certains de ses replis et coins secrets des surprises comme ce très beau tableau de Meret Oppenheim de 1938 qui s'intitule La femme de pierre. De même certaines vidéos se révèlent au passage assez "bluffantes", comme une, due à Alain Fleisher (oublié ce me semble dans le catalogue), intitulée L'Homme dans les draps, qui consiste en une animation de draps se dépliant et dessinant des ombres de profils humains changeants, très belle idée et très belle réalisation...
Comme je le disais au début de cette longue note, décidément oui, une exposition à voir toutes affaires cessantes...
18:41 Publié dans Art immédiat, Art moderne méconnu, Art populaire insolite, Danse macabre, art et coutumes funéraires, Galeries ou musées bien inspirés, Images cachées, images délirantes?, Photographie, Poésie naturelle ou de hasard, pareidolies, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : doubles images, surréalisme, dali, raetz, arcimboldo, poésie naturelle | Imprimer
11/03/2009
Ex-voto du Mexique, Alfredo Vilchis en particulier
La galerie Frédéric Moisan accroche à ses cimaises (jusqu'au 29 mars prochain, se presser...) les petits "retables" naïfs du peintre mexicain d'ex-voto contemporains Alfredo Vilchis, ainsi que ceux de ses descendants, puisqu'à présent c'est tout une famille de peintres qui turbinent pour pondre de l'ex-voto à tour de bras (comme dans le cas de la famille Linarés qui fait dans le squelette polychrome) dans un faubourg de Mexico.

On connaît déjà passablement les peintures de cette famille depuis la parution du livre de Pierre Schwartz, préfacé par Victoire et Hervé Di Rosa, Rue des Miracles, ex-voto mexicains contemporains (Le Seuil, Paris, 2003), qui recensait de nombreux tableaux, dont certains du reste se retrouvent dans cette exposition.
Cette forme d'art populaire contemporain, encore très vivante au Mexique, intéresse comme on sait les animateurs et les sympathisants du Musée International des Arts Modestes de Sète. Parmi eux, Pascal Saumade, animateur par ailleurs de la structure nomade appelée Pop Galerie, avait monté il y a quelques années rue d'Orsel à Montmartre, dans les anciens locaux de l'Art's Factory, une exposition d'autres peintres populaires mexicains d'ex-voto, comme l'auteur du "retable" (tableau) ci-dessous, moins connu qu'Alfredo Vilchis qu'on a tendance à citer un peu trop exclusivement depuis quelque temps...
J'avais cru comprendre à l'époque -mais n'ai-je pas halluciné?- que beaucoup de ces ex-voto portaient des dates qui pouvaient être bien antérieures à leur date d'exécution. Vrai? On aimerait avoir des renseignements plus précis là-dessus... J'ai fait un échange il y a quelque temps avec Frédéric Lux de quatre ex-voto, eux aussi mexicains, dont trois datés des premières années du XXe siècle paraissent visiblement peints avec un pigment bien plus proche de nous dans le temps (le quatrième est plus patiné, donc peut-être plus ancien, paraissant d'une autre main que les trois premiers)... Je laisse juges mes lecteurs...
23:42 Publié dans Art immédiat, Art naïf, Art populaire insolite, Danse macabre, art et coutumes funéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : alfredo vilchis, galerie frédéric moisan, di rosa, ex-voto mexicains | Imprimer
17/02/2009
Art populaire et affirmation individuelle...
ART POPULAIRE ET AFFIRMATION INDIVIDUELLE: DEUX MAITRES-MACONS DE LA VALLEE DE BREZONS
par
Emmanuel Boussuge
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On trouve au Bourguet, en haut de la vallée de Brezons, dans le Cantal, un curieux petit monument composite (1):
Ses deux éléments constitutifs ne sont pas au même niveau, mais le tout est évidemment conçu comme un ensemble. La croix est datée : 1778 ; la scène sculptée aussi : 1805. On peut lire sous celle-ci : "PARVIDALVACHERMMON", c’est à dire : "[fait] par Vidal Vacher Maître Maçon" (2).
En remontant la vallée, à Liverninx, un hameau situé un kilomètre plus loin, on tombe sur un autre croix très similaire à la précédente.


Celle-ci présente la particularité très rare d’avoir un christ sur chaque face (3). On peut lire d’un côté "INRI", initiale de la formule courante qui désigne en latin "Jésus de Nazareth, Roi des Juifs", et de l’autre la date de 1784. Si l’on n’était pas encore convaincu par la très grande similarité du style des sculptures, la proximité des dates assure que les deux croix sont de la même main, qui signe d’ailleurs au bas de celle de Liverninx : "CHANSSANS", ce qui compte tenu de la variabilité de l’orthographe des noms propres au XVIIIe (notamment dans le cas d’un passage du patois au français), de l’alphabétisation peut-être sommaire du sculpteur et des noms usuels localement, peut correspondre à Chanson ou Chassang… Voilà le nom de celui qui notait seulement "Maître Maçon" au Bourguet identifié.
Mais peu importe, ce qu’il faut noter, c’est que le sculpteur a l’habitude de signer son œuvre et qu’il faisait des croix en séries.
Personnellement, je trouve sa fruste technique particulièrement émouvante et son sens de la figuration très satisfaisant pour l’esprit. Qui est ce bonhomme mis sur la croix ? C’est une représentation d’une humanité sans particularité comme celle d’une poupée sommaire ou d’un bonhomme en pain d’épice par exemple. Ce n’est pas en tout cas le Christ agonisant : il ne tient d’ailleurs pas grâce à des clous plantés dans ses membres, mais grâce à un petit piédestal plus confortablement mis sous ses pieds. Il ne faudrait pas croire pour autant à une quelconque intention antichrétienne, mais de même que pour les canons iconographiques savants, le sculpteur s’affranchit ici de tout canon théologique avec la parfaite innocence de l’ignorant et il atteint spontanément à une forme d’universalité inaccessible à ses collègues plus instruits.
Si l’on descend la vallée et bifurque vers celle de Pierrefort maintenant, ce que l’on trouve ce sont des linteaux sculptés, très rigoureusement similaires à celui déposé à terre au Bourguet.

Il peut y avoir un, ou deux serpents, les lions peuvent sembler remplacés par des singes comme à Gourdièges. On ne montre ci-dessus que les plus intéressants (ceux qui comportent une figuration), mais on peut d’ores et déjà recenser six autres linteaux attribuables à coup sûr à Vidal Vacher (même cadre cordé reconnaissable entre tous et dates similaires, entre 1800 et 1810).
Des serpents affrontés à des lions, le thème de prédilection de Vidal Vacher est sans doute à rapporter à une valeur protectrice, une sorte de porte-bonheur allégorique où les forces maléfiques (les serpents) sont vaincues par des forces bénéfiques représentées par les lions. Le cas est un peu plus complexe avec les singes de Gourdièges (si ce sont bien des singes), le singe étant traditionnellement plutôt connoté négativement. Mais de toute façon, ce que l’on voit bien, c’est qu’il s’agit aussi d’une marque personnelle ayant peut-être bien avant tout une valeur publicitaire. Vidal Vacher paraît célèbre dans le secteur pour la finesse de ses linteaux, particulièrement ceux où sont représentés des animaux et celui qu’il a signé et qui nous permet de le connaître est un de ceux-là.
En parcourant la très abandonnée vallée de Brezons, une des plus belles émotions pour le marcheur est de tomber sans cesse sur les traces des anciens habitants qui étaient étonnamment nombreux il y a encore si peu. Parmi ces traces, les sculptures de deux maîtres maçons indigènes sont des témoignages précieux qui engagent le curieux à un jeu de piste passionnant. A la place d’une confrontation avec des créations anonymes ressortant d’une indistincte tradition, on a devant soi des objets que l’on peut rapporter à un homme bien précis (de la chair, des os et des idées à soi, tout comme vous et moi), doué de goûts et de passions personnelles débouchant sur un style reconnaissable. Autant dire, même si c’est un truisme, que des éléments de décors populaires aussi typiques que linteaux et croix étaient bien sculptés par certains de nos congénères et ne sont donc pas l’expression automatique d’une tradition toujours identique à elle-même et indifférente à la personne qui le réalise. Ce n’est pas rien de signer ses œuvres et ce qui est vrai pour la Renaissance et ses prodromes italiens l’est aussi dans le domaine de l’art rustique (4). On a là l’expression d’un individu qui s’affirme et qui revendique ses préférences et ses choix plastiques (quel que soit leur aspect élémentaire). C’est bien cette sorte d’assurance que vont développer et cultiver ensuite les différents créateurs d’environnements spontanés dont le premier, dans l’ordre chronologique, que l’on peut citer est François Michaud (5), le maître maçon de Masgot dans la Creuse qui orna ses demeures successives et son jardin d’extraordinaires sculptures, où toute sa technique professionnelle est sollicitée pour conduire à quelque chose de totalement neuf.
"Dans la mer trop souvent anonyme de l’art populaire", pour reprendre une image de Nicolas Bouvier, certains îlots minuscules mais clairement individualisés se détachent à peine de la surface de l’eau. Les découvrir en marcheur curieux et se soucier de reporter leur nom sur un nouveau type de portulan est en soi enthousiasmant. Ce ne sont pas les immanquables et majestueuses îles de grande singularité comme le sont les créations du facteur Cheval ou celles de l’abbé Fouéré, mais elles émergent sans doute d’un fond commun.
Le tout est d’accorder à ces manifestations émouvantes l’attention qu’elles méritent. Pour finir et pour tirer la langue aux cloisonnements qui règnent trop souvent en la matière, voici un détail du linteau déposé du Bourguet.
(1). Cette photo a été prise par Roger Besse (1907-1968), qui filma et photographia avec une formidable régularité le Sud du Cantal et ses habitants, amassant une documentation extraordinaire sur le monde rural des années 40 aux années 60. La richesse de ce fonds a donné lieu à un spectacle, puis à un DVD intitulé L’œil du pharmacien (L’Auvergne imaginée, 2005) mêlant images et musique et que l’on peut chaudement recommander. On remarque au passage que l’agencement du "monument" a plus de 40 ans. Merci à Pascal Besse de nous avoir communiqué la photo.
(2). Le premier à avoir évoqué le nom de Vidal Vacher est Jean-Claude Roc, mais je n’ai malheureusement pas la référence de son livre sous la main.
(3). Sur les croix, l’ouvrage de référence est celui de Pierre Moulier, Croix de Haute-Auvergne (Créer, 2003), qui se base sur un recensement local d’une ampleur inégalée toutes régions confondues.
(4). Voir Bruno Montpied, Petite promenade dans l'art populaire du Rouergue dans Gazogène, Cahors, 1996.
(5). Voir Bruno Montpied, Formes pures de l’émerveillement dans Masgot, l’œuvre énigmatique de François Michaud, éd. Lucien Souny, Limoges, 1993 et François Michaud et les autres, quelques exemples d’environnements sculptés avant le Palais Idéal du facteur Cheval, dans Création Franche, septembre 2007, pp. 16-20.
23:07 Publié dans Art populaire insolite | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : chanssans, vidal vacher, françois michaud, emmanuel boussuge, croix de chemins, sculpture populaire | Imprimer
Des petites nouvelles du musée de Laduz
Dans ma boîte aux lettres ce jour m'attendait la Lettre du Musée que m'adressait l'équipe du musée rural de Laduz à l'égard duquel je garde mon affection intacte. Malgré l'égrenage des mauvaises nouvelles, le compte des amis du musée qui disparaissent, l'âge ne reculant pas, hélas... Malgré la difficulté d'obtenir des subventions qui s'accentue chaque année davantage, et contre laquelle il faut d'ailleurs se mobiliser pour aider le musée en adhérant à l'Association des Amis (membre de soutien 25€, membre bienfaiteur 150€, à l'orde de l'Association des Amis du Musée, 22, rue du Monceau, 89110 Laduz, l'adhésion devant indiquer les nom, prénom, adresse, tél et éventuellement e-mail, la date et la signature). Plus que jamais, ce splendide musée et son parc, qui ressemblent à une petite partie d'Eden, ont besoin d'aide.
Cette année deux nouveautés, l'expo de l'été continue du côté des artistes contemporains spécialisé dans le textile. Ce sera "Du souffle de la terre", émergence de plis et de couleurs, avec Hélène Soubeyran, sculpteur textile, et la participation de Simonne Pheulpin et de Gérard Lognon, plisseur haute couture. Voci ce qu'écrit Jacqueline Humbert du travail d'Hélène Soubeyran: "En 1993, inspirée par les coupes de bois pétrifiés et des prélévements de sol, Hélène Soubeyran décide "d'immortaliser" ses oeuvres plissées du passé en les emprisonnant. Ce fut un long travail de préparation: d'enveloppes en baluchons, elle empile ses tissus chronologiquement. Il en résulte un bloc destiné à être induré puis il est scié dans une marbrerie en neuf piliers et en lames minces où apparaît, en strates colorées, le contenu des tissus plissés des années 1974 à 1994."
La deuxième nouveauté, c'est l'édition d'un DVD d'une durée de 30 minutes consacré aux collections de la famille Humbert. Bientôt disponible, et que l'on peut déjà commander au prix de 20€+1,50€ de frais de port.
27/12/2008
Le Graffiti de tranchées dans le Soissonnais
Un très bel ouvrage historique est paru il y a peu, cet automne 2008, sur les graffiti des tranchées et plus précisément sur ceux des carrières du Soissonnais où les Poilus de l'armée française se reposaient ou étaient casernés, en alternance avec leurs homologues allemands, au gré des avancées et des reculs des deux belligérants. On a retrouvé également des traces du passage de soldats américains dans ces fameuses carrières, où régnait une pénombre trouée de l'éclat de multiples chandelles jetant sur les parois de ces grottes des lueurs et des ombres propices aux caprices de l'imagination.
Personnellement, j'ai découvert vers 1988 l'existence des graffitis de soldats, notamment au Chemin des Dames, grâce à la visite que je fis à l'époque au Musée des Graffiti Historiques de Verneuil-en-Halatte, situé dans l'Oise et animé par Serge Ramond (je m'en suis ouvert notamment dans l'article Un musée des graffiti dans l'Oise, dans Artension n°8 (deuxième série), mars 1989). Ce dernier avait moulé les graffiti incisés dans le tuf des carrières par les Poilus qui allaient parfois jusqu'à dégager de grandes portions de la roche, la creusant, l'évidant jusqu'au bas-relief, jusqu'à la sculpture en trois dimensions. Son musée avait fort belle allure, car Serge Ramond avait reproduit les empreintes positives des graffiti d'origine à partir du plâtre qu'il coulait dans ces moulages. Il leur donnait ensuite une teinte pour leur conférer l'illusion des originaux.
L'éclairage oblique et rasant dans des salles sombres achevait de donner au visiteur l'impression de se retrouver dans les mêmes conditions que les chercheurs de graffiti au fond des oubliettes, des cachots et des carrières. Ramond avait ainsi sauvé de la destruction et de l'oubli (car il y avait, il y a encore, beaucoup de vandalisme dans ces souterrains) un certain nombre de graffiti étonnants. Le musée, aujourd'hui rebaptisé Musée Serge Ramond, possède plus de 3500 moulages. Il ne s'arrête pas aux graffiti de 14-18 mais va bien au delà.
J'en reviens au livre Le Graffiti des tranchées édité par l'Association Soissonnais 14-18. Curieusement, aucune mention n'y est faite du musée et des sauvetages de Serge Ramond, pourtant entreprise parallèle à la leur. Le graffiti en lui-même n'occupe que la seconde moitié de l'ouvrage, la première étant réservée à des courts textes relatifs à des événéments chargés de restituer l'ambiance de l'époque dans cette boucherie absurde que fut la dite "Grande" Guerre. Ce qui n'est pas inintéressant mais laisse tout de même sur sa faim l'amateur pur et dur de graffiti. La perspective des auteurs est avant tout historique, et patrimoniale. L'association a beaucoup fait pour qu'on préserve les graffiti in situ. Certains d'entre eux sont placés en vis-à-vis dans leur état actuel et dans l'état où les ont conservés les cartes postales en noir et blanc de l'époque. Ces dernières se sont en effet intéressées aux Poilus comme elles se sont intéressées par ailleurs aux sites d'art fantastique populaire. Là aussi, elles s'avèrent une source documentaire fort précieuse.
Diverses cartes ont immortalisé ainsi les réalisations sculptées des soldats durant leurs temps de répit entre deux assauts, entre deux coups de dés à la vie à la mort. Et ce ne sont pas des graffiti exceptionnels qui sont montrés mais plutôt la trace d'un moment émotionnel intense, le souvenir d'êtres engloutis dans le carnage et l'oubli du temps, morts pour servir l'indépendance d'un pays en butte à l'emprise d'un autre, hommes jetés en pâture au néant par des officiers absurdement tenaillés par des visions grandioses d'"offensive à outrance" (théorie du général de Grandmaison en 1914).
Les auteurs de ce livre, semble-t-il le premier ouvrage historique à traiter des graffiti des tranchées, on le sent bien, n'ont pas beaucoup de sympathie pour la guerre qui a dévoré les hommes. Leur souci premier est avant tout l'évocation des êtres humains qui ont souffert de cette tragédie, leur tourment étant d'effacer au maximum l'angoisse que ces hommes dont ils recherchent une trace la plus tangible, la plus étoffée possible, aient pu mourir sans qu'on les reconnaisse, sans que leur souvenir ait été fixé. Leurs graffiti sont cette expression qui permet d'étayer leur présence qui nous hante. Expression pour les auteurs du livre, au delà d'être un art.
Pour trouver où se procurer le livre (43 €), on trouvera tous les renseignements utiles en cliquant ici: sur l'association Soissonnais 14-18 (adresse, bon de commande...)
23:44 Publié dans Art populaire insolite, Graffiti | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : graffiti, art populaire militaire, association soissonnais 14-18, serge ramond | Imprimer
12/12/2008
La revue qui vous attire dans les recoins
Dimanche 14 décembre à partir de 15 heures, à l'auditorium, la revue Recoins veut faire comme tout le monde, se présenter au public des amateurs d'arts populaires et buissonniers, ainsi qu'aux amateurs de littérature qui fréquentent pour alimenter leurs addictions la Halle Saint-Pierre, à Paris dans le XVIIIe ardt (rue Ronsard). Pour ce faire elle a prévu un petit programme avec un "diaporama" (assisté par ordinateur, espérons que ça ne ramera pas...) présenté par votre serviteur (nous avons collaboré au n°2 de la revue), balade dans des images fort variées qui doit servir à naviguer depuis les rives de l'art populaire du temps jadis jusqu'aux terres de l'art naïf insolite, de l'art brut, des environnements spontanés, avec l'espoir que l'on puisse à la faveur des 150 images prévues pour être montrées dégager la notion d'art immédiat...
Emmanuel Boussuge, l'un des animateurs et des fondateurs de Recoins, revue basée à Clermont-Ferrand, viendra également nous parler des "irréguliers" qu'il déniche en Auvergne (nous lui avons signalé un site, dû à un certain M.Goldeman, toujours en cours d'évolution à St-Flour, que nous avions découvert au cours d'une randonnée il y a quelques années ; à son actif, il a découvert un autre site, peut-être plus intéressant, celui de François Aubert dans le village d'Antignac dans le Cantal ; il a du reste publié une étude à ce sujet dans le n°2 de la revue). Puis un autre collaborateur de Recoins, Franck Fiat, clôturera le programme en projetant un film réalisé par lui en compagnie de David Chambriard, Huile de Chien, tirée de l'excellente nouvelle fantastique de l'auteur américain Ambrose Bierce). Un pot pour les soiffards est prévu ensuite...
00:29 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art populaire insolite, Art populaire religieux, Environnements spontanés | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art immédiat, environnements spontanés, recoins, brun montpied, emmanuel boussuge, franck fiat | Imprimer
24/11/2008
Roule galet
La mer les roule inlassablement leur assurant ce poli qui aimante les artistes d'occasion. Ces surfaces lisses comme des joues de bébé donnent furieusement envie de dessiner dessus, non? Je suis personnellement assez amateur de la chose. J'ai des petits galets en stock, trouvés sur une plage de Charente-Maritime dont on ne doit pas dévoiler le nom, car ses galets parfaitements plats, gris pâle, bien calibrés, point trop lourds, pourraient se faire piller par les badauds. J'en ai fait quelque peu provision. Je sais, ça n'est pas très écologique, mais le démon était plus fort que moi.
Jacques Boyer, sans titre (Raspoutine?), 1978, ph.B.Montpied, 2008
Il n'y a pas qu'au bord de la mer que les galets sont charriés. Une fois peints, ou sculptés (là, je pense aux galets aux dessins archaïques de Jean Pous par exemple), les voilà qui commencent comme d'autres objets leurs voyages de main en main au gré de leur navigation plus terrestre cette fois. Ils font des arrêts dans les brocantes et autres vide-greniers. C'est là que furent dénichés les deux galets que je reproduis ici, signés tous deux du même nom, Jacques Boyer, et datés de 1978.
Leur dessin, peut-être de l'encre, est étrange sans pouvoir être qualifié de vraiment naïf, ou de brut. Certains amis lui ont trouvé un air s'apparentant aux bandes dessinées de Fred (le monde de Philémon avec ses voyages dans le A...). Personnellement, l'un des personnages du galet plus effilé me fait songer à Raspoutine. On sent comme une parenté avec les icônes russes orthodoxes. Si les internautes de passage pouvaient apporter des renseignements supplémentaires, j'en serais très heureux.
02:26 Publié dans Art immédiat, Art populaire insolite, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : jacques boyer, galets peints, art immédiat | Imprimer
29/10/2008
La canne populaire, le sceptre du pauvre
Dans le foisonnement des productions d'art rustique, la canne a toujours eu une place de choix. C'est un support de rêve pour les moments de patience et de délassement des paysans, bergers, ou chemineaux et autres petits tailleurs de bois qu'on appelle à certains endroits (en Haute-Loire par exemple) les "tziapuzaïres" (les faiseurs de copeaux). Comme par hasard aussi, du fait que les cannes recevaient ainsi les hommages de sculpteurs improvisés et improvisateurs qui n'étaient pas dans une posture utilitariste (ouvrager une canne d'inscriptions, de proclamations, de figures adulées, humaines ou animales, de figures grotesques, érotiques, voire parfois scatologiques, à quoi cela sert-il?), les résultats ont été dans l'art populaire proches de ce que l'on a appelé l'art brut à partir des années 50. Du reste, dans les collections d'art brut, on trouve nombre de sculpteurs sur bois dont les oeuvres s'apparentent aux cannes les plus torturées qu'on rencontre dans l'art populaire rustique. On trouve des cannes sculptées même dans la collection de l'art brut à Lausanne. Qu'est devenue dans cette collection l'oeuvre de Xavier Parguey en particulier (voir article de Michèle Edelmann dans le fascicule n°5 de la Compagnie de l'Art Brut en 1965), dont certaines pièces étaient aussi autrefois signalées dans les collections des ATP?
Pour se convaincre davantage des parallèlismes et des différences entre art populaire et art brut relativement aux cannes sculptées, voici une belle occasion à ne pas manquer là encore, une extraordinaire exposition organisée par la galerie Laurence Jantzen (spécialiste des cannes de toutes appartenances, du pauvre au riche) au Louvre des Antiquaires. 232 cannes magnifiques vous y attendent jusqu'au 15 novembre 2008 (plus que quinze jours...). Ainsi qu'un catalogue édité à la clé (quoiqu'à un prix légèrement excessif: dans les 70€ pour 190 pages richement illustrées certes, mais le prix reste tout de même peu "populaire"...). On ne sait pas où donner de la tête tant l'accumulation de ces cannes seules éclairées au milieu d'une salle toute noire donne le vertige et crée un climat propice à l'hallucination. Les cannes sont exposées selon des thématiques, cannes à contenu religieux, cannes érotico-scatologiques, cannes militaires, historiques et politiques, animalières, etc... On y trouve des cannes populaires en majorité, mais aussi des cannes dues à des auteurs contemporains (notamment P.Damiean), nettement plus sophistiquées même si elles restent fascinantes elles aussi.
Les cannes, taillées dans un seul morceau de bois ("monoxyles"), je ne peux me défendre de les considérer tels des sceptres pour rois de la dèche. Je connaissais déjà des trônes sculptés ironiquement par des artisans à leur propre usage, je m'aperçois qu'ils avaient aussi des sceptres. Tel apparaît ainsi ce Joseph Cruciani, dit "le grand Joseph", excentrique corse que la carte postale ancienne a fait connaître des amateurs d'art insolite (voir la collection de Jean-Michel Chesné que j'évoque dans ma note du 8 juin 2008), se tenant fièrement debout une haute canne sculptée à la main et le poitrail bardé de décorations probablement fantaisistes, fabricotées à son propre usage fantasmatique. La carte postale en question est reproduite en agrandissement dans l'exposition du Louvre des Antiquaires, et surtout on peut admirer juste à côté deux cannes originales de Joseph Cruciani, dont l'une paraît être celle que l'on voit sur la carte postale (le catalogue reproduit les deux cannes avec des détails et des commentaires).
Les cannes ressemblent à des sceptres, et elles sont chargées parfois aussi de concentrer tout le long de leur fût les symboles ou les objets représentatifs d'une vie entière, ou d'un événement fondamental (une guerre par exemple). Ces microcosmes faits de saynétes ou évocations diverses empilées dans un espace restreint donnent là encore une sensation de vertige. Leurs auteurs les trimballaient avec eux tout au long des jours, insignes de leur destin promenés au long de leur vie quotidienne.
16:40 Publié dans Art populaire insolite | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : cannes populaires, galerie laurence jantzen, art populaire rustique, joseph cruciani | Imprimer
27/10/2008
Léopold Thuilant derniers jours au musée de la Reine Bérengère
Vite, vite, mes petits lapins à montres de gousset ou non à la main... Plus que quelques jours pour aller découvrir une cinquantaine de "pichets-souvenirs" de l'étonnant Léopold Thuilant exposés jusqu'au 11 novembre au musée de la Reine Bérengère au Mans.
Personnellement, j'en avais vu quelques-uns dans les vitrines de la collection permanente de ce petit musée caché dans le vieux Mans il y a quelques années, après avoir découvert l'existence de Thuilant à la Halle St-Pierre, où certaines pièces avaient été montrées de façon ultra marginale durant une exposition en 1994 sur l'art naïf de 1886 à 1960 (la même où l'on pouvait voir des tableaux de Benquet, voir note du 3 nov. 2007).
Pauvre entre les pauvres, c'était un potier à l'inspiration plus que singulière parmi les autres potiers. Sa passion des hommes, de leurs occupations dans des campagnes sarthoises en voie de métamorphose accélérée (il est né en 1862, son oeuvre a été réalisée dans le dernier quart du XIXe siècle), le poussait à accentuer le relief de ses sujets sur les pichets, comme si la fonction utilitaire de ces derniers comptaient moins à ses yeux que le fait de camper ses petits personnages modelés avec tendresse. Je me souviens toujours avec émotion d'un pichet avec un petit train tiré par une locomotive serpentant tout autour du pot dans une parfaite désinvolture vis-à-vis des conventions. Ses pots, ses pichets tirent vers l'oeuvre gratuite, vers la sculpture plus que vers l'ustensilité et l'art appliqué. En ce sens, ils se situent à la limite de la sculpture populaire, non loin de l'art brut. Robert Doisneau, qui avait photographié ces oeuvres dans les années 70, aurait dit: "Chez Thuilant, il n'y a que de l'amour"... Est-ce par défaut de ce dernier qu'il se noya dans la boisson et finit par se pendre en 1916?
J'ajoute qu'un petit catalogue est sorti à l'occasion de cette exposition. Ce qui augmentera quelque peu la documentation sur un créateur au sujet duquel on manque cruellement d'une monographie digne de son oeuvre étonnante.
12:22 Publié dans Art populaire insolite | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : léopold thuilant, musée de la reine bérengère, poterie insolite, art populaire rustique | Imprimer
31/07/2008
De l'ennui
Deux personnages très différents (quoique relevant du sabre et du goupillon qui comme chacun sait font souvent affaire ensemble) lèvent tous les deux les yeux au ciel... Dans le cas de ce christ à l'allure quelque peu vautrée sur sa chaise, lever les yeux au ciel est à prendre bien sûr au pied de la lettre, mon père pourquoi m'as-tu envoyé là, vois ces hommes et plus généralement, "ecce homo", comme il est marqué sur le bandeau qui longe son corps, boudi, que je suis pressé de faire l'"ascension"...
Tandis que ce militaire plus profane paraît simplement se barber, à moins que ce ne soit une expression de simple assoupissement, ou les deux à la fois... Peut-être a-t-il ras le bol de faire les potiches?
13:57 Publié dans Art populaire insolite, Art populaire religieux, Confrontations | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : art populaire insolite | Imprimer
01/05/2008
Guy Brunet, le Cecil B. De Mille de Decazeville, un exemple d'"art modeste"
En mai 2004, j'eus la surprise de découvrir les affiches de cinéma hollywoodien repeintes par Guy Brunet, réfractées à travers le prisme de son imaginaire passionné. Les partisans de l'art modeste l'avaient bien exposé, notamment à Paris à la galerie Arts Factory (à son ancienne adresse de la rue d'Orsel à Montmartre), mais je l'avais manqué.
Tandis qu'en mai 2004, ce fut chose faite de façon amusante -j'étais venu assister à la programmation cinématographique toujours pleine de surprises, telle que la concoctent chaque année depuis dix ans Pierre-Jean Würtz et l'Association Hors-Champ. En 2004, c'était les "Septièmes rencontres autour de l'Art Singulier" qui se tenaient comme à l'habitude dans l'auditorium du Musée d'Art Moderne de Nice (cette année, les rencontres seront les onzièmes et sont prévues pour le samedi 7 juin, mais j'y reviendrai). Je présentais à cette occasion mes propres films sur des environnements que j'avais filmés de 1981 à 1992 en Super 8, en cinéaste amateur adapté à son sujet, avec un projecteur installé en plein milieu de l'auditorium que j'actionnais moi-même tout en commentant les films... Au cours de cette même journée, on passa aussi un film sur Guy Brunet, dû à Philippe Macary et Jean-Marc Pennet (12 minutes). L'"artiste" avait suivi le film qui lui était consacré, accompagnant les réalisateurs, comme c'est souvent l'usage à Nice. Il avait pour l'occasion amené tout un lot de ses "affiches" peintes qu'il se mit à étaler sur l'estrade de l'auditorium dans une sorte d'exposition sauvage. Voici l'une des affiches qui fut acquise à cette occasion par un collectionneur parisien: "Fanfan la Tulipe"... On comparera avec une affiche de l'époque et on notera les similitudes et les différences, celles-ci plus nombreuses que celles-là.
Cette affiche n'est, cela dit, pas tout à fait représentative de l'ensemble de la production "affichiste" de Brunet, qui est un passionné du Hollywood de la grande époque. Ses affiches, véritables recréations, vont plutôt vers le cinéma américain. On put en voir d'autres en 2005, exposées au Musée International d'Art Naïf Anatole Jakovsky à Nice, dans le cadre d'une exposition organisée toujours par Hors-Champ à côté de sa programmation annuelle de chaque fin de mai (se reporter à la première image placée au début de cette note).
Mais notre héros ne s'arrête pas là... Guy Brunet peuple sa petite maison de Viviez, dans le bassin de Decazeville, d'innombrables silhouettes peintes sur carton qui représentent les comédiens, les producteurs, les metteurs en scène, les personnages du cinéma hollywoodien. Depuis peu, il est aussi passé aux vedettes de la télévision. Et il fait des réalisations aussi, des scénarii qui semblent des réécritures de films connus dont il modifie la fin lorsque l'originale ne lui plaît pas. Il paraît aussi procéder par montage de films célèbres en incorporant des scènes où il se filme commentant l'histoire du cinéma qui lui est cher avec une voix qui ressemble à celle de Frédéric Mitterand (la voix traînante de ce dernier, presque soporifique, lorsqu'il se veut commentateur distingué pour cinéphiles). Il faut bien entendu noter que Guy Brunet avait des parents qui tenaient un cinéma dans le Tarn (renseignement tiré du catalogue d'exposition "Le monde rêvé de Guy Brunet" à l'Espace Antonin Artaud de Rodez du 5 au 30 mars 2008).
Il a donc baigné tout enfant dans la marmite de la vie rêvée sur écran et n'en est jamais sorti. Les figures de Hollywood lui servant manifestement de véritables compagnons, plus solides à ses yeux peut-être que ceux qu'il pourrait avoir dans la vie réelle? La question se pose.


Guy Brunet se plonge toujours plus profond semble-t-il au fil des années dans la vie rêvée des anges, celle des acteurs qui ont remplacé les saints de jadis. Les tables tournantes ont été évincées pour l'occasion, le dialogue a été directement établi avec d'autres morts, plus proches et plus visibles, les dieux de la pellicule.
Son travail se classe à la croisée des étiquettes, de l'art naïf, de l'art brut et plus adéquatement peut-être, de l'art modeste d'Hervé Di Rosa qui l'exposa dans son Musée éponyme à Sète (ce fut du reste, semble-t-il, la première exposition de Guy Brunet). Le terme d'art modeste sert généralement à désigner les productions d'art populaire contemporain, notamment tout ce qui est manufacturé, d'usage populaire, et imprégné de références à la culture artistique et médiatique de masse. L'art modeste, ce serait aussi bien le kitsch, sans le sens péjoratif de mauvais goût. Hervé Di Rosa a récemment publié un gros livre sur la question pour faire le point semble-t-il (L'Art Modeste, éditions Hoëbeke, Paris, 2007, avec l'aide de plusieurs photographes dont Francis David, Pierre Schwartz et Thierry Secrétan). Il englobe sous son terme de vastes territoires de production, aussi bien les épouvantails que les peintures de camions, les décors de boîtes de sardines que les espaces accumulatifs d'inspirés du bord des routes (voir les photos inédites de Virgili, de Marcel Landreau, et surtout de Jeanne Devidal à Dinard dans ce livre), les dessinateurs à la craie sur les trottoirs que les pochettes de disque, les portraits-robots que les enseignes publicitaires insolites, les cercueils imagés du Ghana que l'art des maquettes et des modèles réduits, les tatouages contemporains que les sculptures gastronomiques, etc., etc. On se reportera avec fruit à cet ouvrage fort instructif quant aux questions de délimitation des différentes possibilités de classification de la créativité populaire.
Ci-dessous, extraite du site du MIAM (Musée International d'Art Modeste, à Sète), voici la date exacte de l'expo de Guy Brunet telle qu'elle se tint dans ce lieu. On notera le paralléle tout à fait judicieux établi par les organisateurs de l'expo avec les affiches du cinéma ghanéen populaire (plutôt des films d'horreur de série Z), affiches peintes à la main tout à fait étonnantes (voir à ce sujet le livre Hollywoodoo, incredibles movie posters du Ghana, avec une préface de Pascal Saumade, produit par le Dernier Cri, Marseille, janvier 2003):
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19:45 Publié dans Art naïf, Art populaire insolite, Cinéma et arts (notamment populaires) | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : guy brunet, cinéma et art populaire, art modeste, hervé di rosa, association hors-champ, p-j.würtz | Imprimer