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08/04/2008

Hasards poétiques, par Régis Gayraud

Vu en vitrine de l’antiquaire "L’œil du pélican", 13, rue Jean-Jacques Rousseau, une maquette de cathédrale, belle réalisation d’art bout-de-ficelle élaboré à partir d’objets détournés de leur fonction initiale. Dans la décoration, on distingue des trombones, des clous de tapissier, et peut-être bien des balles de fusil. Paraît en contreplaqué recouvert de plâtre poli et peint, mais il y a également d’autres éléments que je n’arrive pas à définir.

Qu’allais-je faire rue Jean-Jacques Rousseau ? J’allais seulement, voyageur solitaire dans ma mélancolie, sur les traces des années perdues, du côté du "Pompadour", et j’ai composé cette petite chanson :

 

 

Te souviens-tu du Pompadour ?

Nous en rêvions tous les jours

C’était le temps du Pompadour.

Le miroir veuf au mur du fond

Ne mire plus le noir profond

De nos sourcils et se morfond

Dans les soucis neufs d’aujourd’hui

Que ceux qui tournent dans la nuit

En brûlant dans le feu ont fuis.

L’escalier qui grimpe à la tour

A perdu le nord des toujours,

Le steak au bleu et tes atours.

Trop loin m’ont emporté mes pas

J’y reviens et tu n’es plus là

Il n’y a plus de Big Buddha.

 

 

A l’issue de la rue Jean-Jacques Rousseau, dont la géographie me fera longtemps penser à celle des divers appartements que j’ai habités, invariablement encombrés d’objets empêchant la marche en ligne droite, je me suis assis à l’intérieur du café de la Bourse pour écrire tout ce qui précède et ce que j’écris en ce moment-même, tout en déplorant la fin de "la Cigale" et de "la Fourmi" et après avoir méprisé le café portant le nom prétentieux et provocateur de "Café des initiés". Crétins qui vous croyez libres, esclaves de vos déterminismes qui vous croyez des initiés parce que vous précédez la mode à venir dans deux ans.

le tabac la Fourmi sans son alter ego la Cigale, photo Bruno Montpied, 2008 .jpg

Là, au "Café de la Bourse", j’ai assisté à l’arrestation d’une jeune femme très digne – mais manifestement bouleversée – dans une petite voiture noire à l’élégance bourgeoise tout comme elle, arrestation effectuée par deux policiers dont l’un ressemblait plutôt à un de ces étudiants à barbe de chèvre d’aujourd’hui et l’autre, asiatique, tonfa au côté, souriant de toutes ses dents malgré sa détermination, sortait d’un film de karaté. Ils l’arrêtèrent tranquillement – pour quel motif ? – en lui barrant la route sans brusquerie, l’aidèrent même à se garer. Elle sortit de l’auto, tendit ses mains lorsqu’ils sortirent les menottes, et ils l’emmenèrent doucement vers le fourgon qui attendait au coin de la rue et que j’avais remarqué quelques minutes plus tôt sans comprendre qu’il était l’outil du drame à venir. Tout cela dans le plus grand silence, à deux mètres de ma table, de l’autre côté du carreau. Je fus le seul à le remarquer et j’eus l’impression de regarder une pièce de théâtre ou mieux un ballet bien réglé. Rien ne paraissait conforme, tout semblait arrangé d’avance. Je crois que je me souviendrai toujours de cette femme, qui avait l’air d’une jeune cadre dynamique, de ce désarroi fulgurant dans ses yeux, mais aussi de cette résignation et de cette façon de dire quelque chose du genre de « Vous m’avez eue », que je n’ai pas entendu mais que j’ai deviné.

Décidément, la rue Jean-Jacques Rousseau n’a cessé de me rappeler à elle. Quelques heures plus tard, chez le bouquiniste et antiquaire russe Lampert, dans un tout autre quartier, rue de Miromesnil, chez qui j’ai acheté quatre recueils de Boris Bojnev en édition originale, j’ai aperçu sur le bureau qui lui sert de comptoir une carte d’une librairie ésotérique sise au 15, rue Jean-Jacques Rousseau, c’est-à-dire exactement à côté de l’antiquaire "L’œil du pélican"102013324.jpg déjà noté plus haut, libraire que je n’ai pas remarqué le matin même, alors que mon regard avait été attiré par l’étrange maquette de cathédrale. En écrivant cela le soir dans le train qui me ramène à Clermont, je remarque que la boucle est bouclée. Moi qui n’achète jamais rien chez les antiquaires, qui m’intéresse peu à leurs devantures, qui n’entre qu’exceptionnellement dans leurs boutiques – d’ailleurs ce matin, après avoir hésité à entrer à "L’oeil du pélican", je suis peureusement resté sur le trottoir – deux fois aujourd’hui je me suis trouvé intéressé par une boutique d’antiquités, la deuxième fois j’y suis entré et y ai même fait des achats. Reste à savoir quel rôle joue dans cela la jeune femme blonde et triste à cette heure-ci prisonnière, et si la librairie ésotérique qui m’a fait signe depuis la rue Jean-Jacques Rousseau chez Lampert a quelque chose à voir avec elle.

 

Régis Gayraud, 6 septembre 2007

05/04/2008

Des Indes à la planète Mars, médium es-tu là?

  

Affiche du film Des Indes à la planète Mars.jpg

    Est sorti ce mercredi 2 avril un film dit documentaire sur l'expérience médiumnique d'Elise Müller, dite "Hélène Smith", qui dans les dialogues qu'elle avait noués avec le docteur Théodore Flournoy parlait, inspirée par des esprits qui l'occupaient provisoirement, des langues orientales ainsi qu'une langue martienne. Elle était également auteur de splendides vues de paysages étranges, habités par ces esprits qui venaient la visiter et parlaient à travers elle.

Hélène Smith, paysage ultramartien, 1900, coll O.Flournoy .jpg
(J'aime dans ce paysage particulièrement le "bois-nuage" dans le coin supérieur gauche, ainsi que le berger en jupette et sandales au visage d'une largeur inaccoutumée. Le "bois-nuage" me fait penser par association à certains paysages de Joseph Sima)

   On sait qu'André Breton dès 1933, dans son texte sur l'art médiumnique Le message automatique, paru dans la revue Minotaure, avait mis en regard certaines visions d'Hélène Smith avec l'architecture inspirée de l'autodidacte Ferdinand Cheval, réalisée elle en trois dimensions dans la Drôme. L'analogie est en effet patente.

André Breton, le Message automatique dans Minotaure, le passage sur Hélène Smith.jpg

 

   Je n'ai pas encore vu le film, je n'ai lu que le synopsis ultra-succinct que l'on peut trouver sur internet... D'après quelques bribes de critiques journalistiques (qui lui semblent assez favorables), le film (de Christian Merlhiot et Matthieu Orléan) paraît tourné presque entièrement dans un studio d'enregistrement où des acteurs (on annonce Jacques Bonnaffé, Mireille Perrier, Edith Scob...) lisent des morceaux du livre Des Indes à la planète Mars. Le terme de "cérébral" est prononcé ici ou là à son sujet... Que cela ne nous dissuade pas cependant de tenter l'expérience de son visionnage. Y trouvera-t-on d'autres vues de paysages martiens d'Hélène Smith, autres que ceux qui sont sempiternellement reproduits dans les catalogues de l'art brut ?Rien n'est moins sûr...

Mireille Perrier joue Hélène Smith.jpg

Accouplement inattendu, par Emmanuel Boussuge (MASSIF EXCENTRAL 14)

    La création des lignes de transports en commun est l’occasion d’accouplements inattendus. La station où je descends habituellement sur la toute neuve ligne de tramway de Clermont associe ainsi un constructeur de logements sociaux et un saint à composter (pourquoi se refuser une facilité de paiement ?). Si bien que mon arrêt est placé sous le patronage cocasse de Saint-Jacques Loucheur.

1422052562.jpg

     Celui-ci ne figurait pas encore, du moins je crois, dans le Dictionnaire des Saints imaginaires et facétieux de Jacques E. Merceron. Mais, peut-être, y a-t-il, ailleurs, un arrêt Saint Thomas de Biais, ou Saint Paul Boiteux, me demandai-je en faisant de l’œil aux lecteurs du Poignard Subtil ?

 

       Emmanuel Boussuge

Dictionnaire des saints facétieux, Jacques E.Merceron.jpg

01/04/2008

Une rétrospective Emile Cohl organisée par le Forum des Images à la Cinémathèque Française

   Voici une nouvelle digne d'un premier avril, puisque du vendredi 11 au dimanche 13 avril prochain,se tiendra une rétrospective de l'oeuvre cinématographique extraordinairement inspirée et inventive de l'ex-Incohérent, ex-Hydropathe, et merveilleux farceur Emile Cohl, oeuvre élaborée dans les premières années du XXe siècle (nous aurons droit à plusieurs films restaurés).

Portrait d'Emile Cohl, inséré dans l'article de Pascal Vimenet.jpg

Portrait d'Emile Cohl, avec les marionnettes de son film Le Tout Petit Faust, extrait de l'article de Pascal Vimenet, dans le n°51 de CinémAction, avril 1989

   Cohl est à l'origine absolue du cinéma d'animation et d'un certain cinéma surréaliste rêvé sans que cela lui soit dans ce dernier cas clairement attribué (le surréalisme n'existait pas en 1908!). Pour le programme on se reportera au site du Forum des Images qui présentera cet important événement dans LES LOCAUX DE LA CINEMATHEQUE FRANCAISE (ne pas se tromper), car le Forum est toujours en rénovation (les travaux ont traïné plus longtemps que prévu décidément).

   Cohl fait partie de ces pionniers du cinéma qui ont été oubliés après la première Guerre, alors qu'ils avaient inventé tant de nouvelles formes. On attribue généralement, en particulier, à Emile Cohl la création du premier dessin animé français, sinon mondial (il y eut d'autres créateurs à l'étranger, l'Américain James Stuart Blackton ou l'Espagnol Segundo de Chomon, ce dernier étant le premier à utiliser la pâte à modeler en animation). Son titre, révélateur de la fantaisie de son auteur: Fantasmagorie (1908)...Emile Cohl, le personnage pour qui il fit plusieurs films, Fantoche Cohl, trop artiste, ne déposa pas de brevets, et après un séjour qu'il fit aux Etats-Unis vers 1912, ayant lancé l'animation aux USA (selon Pascal Vimenet, dans CinémAction, qui reprend une confidence de la fille de Cohl), se fit déposséder très vite de ses inventions...

   On verra que ce cinéaste étonnant a tout de suite mélangé les prises de vues réelles avec les trucages animés, bien avant l'ère moderne (voir le photogramme ci-dessous ; on s'apercevra aussi que les auteurs italiens de la série amusante "La Linea", dans les années 70-80, n'avaient pas oublié Emile Cohl, eux...).Emile Cohl, Fantasmagorie  Ses histoires sont pleines d'humour et de fraîcheur, son dessin est très proche aussi d'un style enfantin qui peut permettre de l'associer à un cinéma de style naïf, au sens de stylisation que contient ce terme (Pascal Vimenet, historien émérite du cinéma d'animation, a reproduit dans un article du n°51 de la revue CinémAction un flip-book d'Emile Cohl intitulé "Gamineries").

Flip-book d'Emile Cohl, dans CinémAction.jpg
Flip-book  "Gamineries" inventé par Emile Cohl

   "Que l'on feuillette les notes, entassées au fil des jours, les carnets de travail, ou des documents photographiques représentant Emile Cohl ou bien ceux ayant trait à ses films, à chaque découverte, on est stupéfait de tant d'ingéniosité et de naïveté mêlées" (Pascal Vimenet) 

    Le graphisme qu'il emploie me fait personnellement penser au dessin sommaire des graffiti populaires tels que Brassaï nous les a conservés à travers ses merveilleuses photos (si bien étudiées et démarquées par Dubuffet dans ses débuts). Il mit en scène également des objets animés (des allumettes par exemple), et des marionnettes (voir son film Le tout petit Faust, de 1910, dont il tient les personnages sur le portrait placé au début de cette note). Son inventivité, son goût de l'expérimentation, le rapprochent véritablement des autodidactes de l'art brut et populaire qui comme on sait lorsqu'ils ont besoin de s'exprimer inventent leurs moyens d'expression et leurs techniques sans passer par des recettes qu'ils n'ont pu apprendre. Les pionniers du cinéma par ce côté technique, cette virginité des territoires qu'ils défrichent, sont très proches parents des autodidactes naïfs ou bruts.

879698863.jpg

    Emile Cohl a recensé lui-même environ 300 courts-métrages créés par lui (comme le rappelle Sophie Le Tetour dans le magnifique catalogue de la rétrospective Du praxinoscope au cellulo, un demi-siècle du cinéma d'animation en France (1892-1948), qui s'est tenue à la Cinémathèque Française en octobre 2007). Avant de se lancer dans le cinéma à plus de cinquante ans, Emile Cohl avait cependant d'abord travaillé comme illustrateur de presse, dessinateur humoristique et caricaturiste pendant de nombreuses années. Un artiste, un inventeur, vous dis-je, auquel il n'est que temps que nous nous initions, un siècle après (cette rétrospective, on l'aura compris, vient évidemment pour le centenaire du premier film d'animation français). Je me suis laissé dire qu'un ouvrage était prévu pour cette année qui rendra toutes ses dimensions à ce créateur hors-normes et génial que fut Emile Cohl. 

30/03/2008

La photographie inventive à travers la carte postale de fantaisie, une expo parisienne que vous ne devriez pas manquer

   "La photographie timbrée, l'inventivité visuelle de la carte postale photographique, à travers les collections de cartes postales de Gérard Lévy et Peter Weiss", tel est le titre exhaustif de l'exposition consacrée à la carte postale fantaisie au Jeu de Paume site de l'Hôtel de Sully, prévue pour durer du 4 mars au 18 mai 2008 et organisée conjointement avec le Museum Folkwang d'Essen en Allemagne. Le commissaire de l'exposition est Clément Chéroux, qui avait déjà collaboré à des expositions fort curieuses comme Le Troisième Oeil, la photographie et l'occulte, qui s'était tenue en 2004-2005 à la Maison Européenne de la Photographie à peu près dans le même quartier que l'Hôtel de Sully, à Paris (exposition sur la photographie de fantômes, d'esprits ou de matérialisations (ectoplasmes) venues soi-disant de l'au delà...).  Il est également l'auteur d'un petit livre paru naguère chez Actes Sud sur la photographie chez Auguste Strindberg.

Couverture du catalogue de l'exposition La Photographie Timbrée au Jeu de Paume.jpg

Détail d'une des cartes postales figurant sur le catalogue de La Photographie Timbrée.jpg

    C'est dire l'intérêt de ce chercheur pour les formes bizarres de la création photographique. Plaçant son travail sur les cartes postales de l'époque 1900 sous les auspices d'une tendance récente de la  réflexion sur la photographie qui "consiste à interroger [cette dernière] en fonction de son support de diffusion", Clément Chéroux profite de cette exposition pour montrer les relations très fortes qui unirent les créateurs souvent anonymes des photographies de cartes postales avec différents artistes d'avant-garde, comme les dadaïstes (Hannah Höch) ou les surréalistes, dont Paul Eluard. Le Musée de la Poste, il y a quelques années (en 1992-1993),  avait déjà présenté, parmi d'autres collections de cartes postales, celle qu'avait amassées ce dernier entre 1929 et 1932 (voir le catalogue de l'expo "Regards très particuliers sur la carte postale", avec un texte de José Pierre sur la collection Eluard où il rapproche la passion des cartes postales de la recherche du poète qui devait l'amener à son anthologie poétique de 1942 où il mettait en parallèle ce qu'il appelait la "poésie intentionnelle" -la poésie des écrivains- avec la "poésie involontaire" -la poésie populaire ou de ready-made, les littératures orales, etc.).

Paul Eluard, André Breton, une inconnue et Valentine Hugo
Photo-carte de studio, extraite du catalogue de l'exposition "La Photographie Timbrée"

    La carte postale a été le premier support permettant de diffuser en masse la photographie vers un vaste public, il n'est pas étonnant d'apprendre que les surréalistes (notamment Georges Hugnet) songèrent à éditer leurs oeuvres et l'expression de leurs recherches sous forme de série de cartes postales. Ce qui nous enseigne que les surréalistes de l'époque furent soucieux d'organiser la diffusion de leur poétique d'une façon qui permettrait d'atteindre le grand public (sans passer par un diffuseur centralisé qui n'existait pas encore alors et dans une société du spectacle qui n'en était qu'à ses balbutiements).

Photographe amateur inconnu, Royaume-Uni, 1909.jpg
Carte de photographe amateur inconnu, Royaume-Uni, 1909, exposition "La Photographie Timbrée" (personnellement, je n'arrive pas à identifier ce que ces individus font là, rassemblés avec ces têtes déformées -à l'exception des deux personnages à gauche au deuxième rang, qui sont peut-être les auteurs de cette farce ; réunion de chasseurs? De sportifs? Quel est l'instrument , ou l'outil, qu'ils tiennent dans leurs mains, mixte d'épuisette, de raquette, et de battoir de cricket...?

    L'exposition présente un certain nombre de cartes postales dites "fantaisie", genre choisi en raison de l'imagination dont elles faisaient preuve en recourant à de multiples techniques nécessaires pour permettre de tenir en haleine l'intérêt du public (un grand choix de ces dernières est proposé dans le très beau catalogue qu'il ne faut pas manquer d'acquérir). Elles sont regroupées en trois sections: les cartes postales produites par des éditeurs, celles produites par des studios photographiques (par exemple les fameux portraits de groupe dans des décors où les clients passaient la tête, voir la carte avec les têtes d'Eluard et de Breton ci-dessus...), et enfin les cartes produites par des amateurs, encouragés par l'industrie photographique de l'époque qui mettait à leur disposition des papiers au format cartes postales sur lesquels ils pouvaient coller leurs propres réalisations.

     C'est ainsi qu'on peut découvrir toutes sortes de récréations visuelles, insolites souvent mais non dénuées parfois de vulgarité, ou d'un certain sentimentalisme, dérivant d'une culture de masse voguant au ras des pâquerettes (la facilité n'étant bien entendu pas toujours absente des goûts populaires, nos médias actuels l'ont compris depuis longtemps en surfant sur les plus petits communs dénominateurs de leurs différents publics). Cette vulgarité prend parfois des aspects humoristiques à interprétation immorale comme dans le cas de ce légume terriblement sexué où passe l'écho de l'esprit carnavalesque et rabelaisien.

        carte italienne, vers 1903, expo la Photographie Timbrée, Jeu de Paume,2008.jpg      Carte éditions A.Chambaud, France, vers 1920.jpg
Deux cartes exposées au Musée du Jeu de Paume 

    On y aime aussi beaucoup les décapitations, le décapité portant son chef sur un plat ou au fond de son panier. Les dédoublements, les permutations entre les sexes, les disproportions, les déformations (bien avant les distorsions d'un Kertesz), les formes grotesques se font nombreuses aussi, parfois en écho à des traditions présentes dans l'imagerie populaire et le folklore depuis bien plus longtemps que l'invention de la photographie. Je pense à cet ensemble de trois cartes postales illustrant à l'évidence le thème du "Monde à l'envers" que les anciennes gravures sur bois avaient déjà passablement mis à l'honneur dans les siècles précédents, ou bien à ces cartes esthétiques traitant des proverbes ou des expressions populaires, relatives au "panier percé", aux "poires", au "rasoir", aux cornes (de cocus), etc.

Cartes postales années1900, expo La Photographie timbrée, Jeu de Paume, 2008.jpg

     Les photomontages y règnent en maîtres, bien avant John Heartfield et les dadaïstes ou surréalistes, prophétisant avant la date les inondations de Paris en 1910 et créant par des rapprochements hétéroclites (la mer aux pieds de la Tour Eiffel) une poésie du détournement et de l'utopie urbaine qui précède d'un demi-siècle les embellissements surréalistes ou situationnistes de Paris (par exemple).

Carte vers 1920, expo la Photographie timbrée, Jeu de Paume, 2008.jpg
Editeur inconnu, vers 1920, exposition La Photographie timbrée, Jeu de Paume 
carte postale anglaise, J.M.Flagg, 1913.jpg
Carte postale anglaise, 1913, illustration de J.M.Flagg, extrait du livre L'Oeil s'amuse, Illusions d'optique, rébus, images cachées...de Julian Rothenstein et Mel Gooding aux éditions Autrement, 1999

Départ de Martha Grünenwaldt

   J'ai appris grâce à l'animateur du blog sur l'art singulier, Frédéric Lux, la disparition à 97 ans de Martha Grünenwaldt. Elle eut longue vie, en dépit de nombreuses souffrances et difficultés (fille d'un musicien ambulant qu'elle accompagnait lors de ses tournées, elle fréquenta peu l'école, joua du violon aux terrasses des cafés pour nourrir ses trois enfants qu'elle dût élever seule après sa séparation avec son mari, puis fut domestique). Peut-être continuera-t-elle, désormais, à jouer du violon au ciel de notre mémoire en compagnie de l'accordéon de Pépé Vignes?  Orchestre d'anges new look, avec pourquoi pas Pierre Jaïn à la batterie?

    Il nous reste quelques documents sur elle (un petit film de Bruno Decharme par exemple, réalisé il y a peu de temps semble-t-il, peut être visionné sur le site de ce dernier), des quantités de dessins surtout (activité commencée en 1981), la plupart réalisés aux crayons de couleur et  au feutre, ce dernier outil  étant bienfragile hélas, comme on s'en convaincra avec le dessin ci-dessous, exécuté aux alentours de 1985, et qui a pâli...

Martha Grünenwaldt, dessin au feutre sans titre, sans date (vers 1985), coll.privée, Paris, photo Bruno Montpied.jpg

    Révélée par l'association Art en Marge de Bruxelles, elle fut souvent exposée chez eux (elle y eut une rétrospective en 2002 entre autres). L'Aracine aussi possède de nombreuses oeuvres d'elle (ainsi que le Musée de la Création Franche à Bègles), et il m'est déjà arrivé, en 1989 dans Artension (deuxième série), d'écrire au sujet d'une exposition Grünenwaldt organisée dans les locaux de l'Aracine à Neuilly-sur-Marne.

    Martha Grünenwaldt utilisait tous les papiers qui lui tombaient sous la main, afin de satisfaire sa véritable compulsion de dessin. La femme, les animaux sont les sujets fréquents de ses dessins. Mais il y a aussi toute une efflorescence de motifs et d'ornements à la limite de l'abstraction, de l'informel, ambivalents comme dans une recherche de formes à la naissance (à la racine) de l'expression et de la mise en forme. 

28/03/2008

Théâtre et art brut aux Rencontres de la Villette

    Du 16 au 27 avril prochain, dans le cadre des "Rencontres de la Villette", abcd s'implique dans un mixte d'exposition et de représentation théâtrale montée en collaboration avec les compagnies théâtrales de la Sybille et de l'Oiseau-Mouche. Titre: L'appartement. Voici le descriptif tel qu'il m'a été transmis en service de presse pour la journée du 17 avril ( il y aura des "déambulations théâtrales"  tous les jeudi, vendredi, et samedi, à différents horaires ; les autres jours, on pourra voir l'exposition permanente d'art brut ainsi que les films réalisés par Bruno Decharme):

" 19h / 22h
Durée : 30m, au studio 1 (Grande Halle de la Villette, Paris 19e arrdt)

abcd (art brut connaissance et diffusion)
Cie La Sibylle - Cie de L’Oiseau-Mouche
L’appartement.
(Exposition d'art brut et déambulations théâtrales)  
Parmi les œuvres d’art brut de la collection abcd, les comédiens de Sylvie Reteuna déambulent et font résonner des textes de personnes internées dans des hôpitaux psychiatriques.
(Les spectateurs sont invités à visiter l’appartement où six colocataires en errance déambulent au rythme de leurs songes et des œuvres d’art brut qui peuplent leur univers. En décembre 2007, une lecture déambulatoire est présentée par Sylvie Reteuna et Bruno Decharme à la galerie abcd à Montreuil. Les Rencontres de la Villette leur ont proposé de développer cette collaboration qui met en résonance les oeuvres exposées et des textes. Les fragments de lettres, écrits ou « délires », dits par les acteurs, mais aussi la plupart des tableaux exposés sont l’oeuvre d’hommes et de femmes ayant connu l’enfermement psychiatrique. C’est aussi l’occasion pour les Rencontres de retrouver les comédiens de la Cie l’Oiseau-Mouche — déjà accueillie en 2001 avec Le Labyrinthe — qui participent avec d’autres acteurs à ce projet.)

Conception et réalisation: Bruno Decharme, Kate France, Sylvie Reteuna. Contacts : pour La Sibylle : Sylvie Reteuna - sylviereteuna@free.fr ,: Lydia Rozenberg - abcd@abcd-artbrut.org"

*
 
     Le concept, plus proche de la performance que de la représentation théâtrale classique, est assez original semble-t-il. A suivre donc... Si l'on veut plus de renseignements, voir ici le lien pour ces Rencontres de la Villette.  

23/03/2008

Séraphin Enrico perdu et retrouvé, par Olivier Thiébaut (1995)

   Avec plus de dix ans de retard, je publie sur ce blog alors qu'au départ elle était prévue pour le papier de mon bulletin L'Art Immédiat n°3 la contribution d'Olivier Thiébaut (datée de 1995) au sujet de Séraphin Enrico qui avait créé un environnement à St-Calais dans la Sarthe, des statues diverses et variées dont une Vénus portant l'inscription "la luna rossa" sur son fessier dénudé ... Inscription qui finit par être reprise par Thiébaut pour intituler le jardin qu'il a ouvert à Caen où il conserve un certain nombre de fragments d'environnements qu'il a préservés ou exhumés, à l'exemple du site d'Enrico. Ce jardin de la Luna Rossa à Caen est le deuxième exemple en France après la Fabuloserie et son parc d'environnements à Dicy dans l'Yonne de tentative de conservatoire des environnements spontanés, par nature éphémères et terriblements "immédiats".

Francis David, couverture des Bricoleurs de l'Imaginaire, Musées de Laval, 1984.jpg

   Notons que le site de Séraphin Enrico avait d'abord été repéré par Francis David dans le catalogue Les Bricoleurs de l'Imaginaire, Inventaire pour une région (Musées de Laval, 1984). Olivier Thiébaut a, en 1996, publié un ensemble de textes sur ses découvertes, Bonjour aux promeneurs! aux éditions Alternatives, où il parle entre autres de Séraphin Enrico (son texte étant une variante, en outre un peu écourtée, de celui qu'il m'avait donné et que j'insère ci-dessous). 

   "Né le 3 juillet 1898 à Mougrando (Italie), Séraphin Enrico est issu d'un milieu modeste. Cimentier à l'âge de 14 ans, il découvre la rude épreuve du travail. En 1915, il est mobilisé dans les chasseurs alpins italiens.

Séraphin Enrico, portrait photo années 60, document Olivier Thiébaut.jpg
     
Séraphin Enrico, autoportrait en ciment teinté, document Olivier Thiébaut, 1995.jpg

     La Grande  Guerre lui fait subir les souffrances du froid: il a les mains gelées par la neige, et perd un doigt.    Après la guerre, il décide de partir pour la France qui a besoin de main d'oeuvre dans le bâtiment.

    Séraphin Enrico travaille sur plusieurs chantiers, à Grenoble et Chambéry, puis s'installe à Grand-Lucé dans la Sarthe. Il se marie quelque temps plus tard avec Virginie Vineis. En 1925, il déménage à Saint-Calais, et achète un terrain à la sortie du bourg, sur la route de Vibraye. Situé dans une petite vallée, le lieu est idéal pour y construire sa maison et son merveilleux jardin.

     A partir de 1959, il entreprend la réalisation d'une propriété qui devient son "grand-oeuvre", une sorte de jardin d'Eden. Sculptures, bassins, fontaines, tonnelles, alcôves et souterrains agrémentent sa maison sur un terrain en espaliers dominant le cours de l'Anille. Pendant une vingtaine d'années, armé d'une simple brouette et de truelles, Séraphin Enrico construit un univers de rêve. Les ciments et mortiers colorés lui servent de matériaux de base. Son goût pour la sculpture et la peinture se traduit dans son travail par la réalisation de personnages et d'animaux peints qu'il installe dans des décors appropriés. La peinture florentine, le sport, la mythologie et les femmes en tenue "sexy" sont ses principales sources d'inspiration. Le caractère placide de Séraphin Enrico semble en contradiction avec ses oeuvres et sa réputation. Considéré souvent comme un farfelu et n'étant pas vraiment reconnu par les habitants de Saint-Calais, il met son imaginaire au service d'un autre public en inventant des aires de jeux pour les enfants.Séraphin Enrico, le jardin avec les visiteurs enfantins sur les statues, vers 1968, document Olivier Thiébaut.jpg Au milieu des années soixante, le jardin de Séraphin Enrico est un foisonnement de couleurs et de sculptures, c'est l'attraction locale où l'on peut lire "Entrée Libre": des centaines de familles viennent lui rendre visite. M. Mercier, son ancien voisin, se souvient: "L'oeuvre était de taille! Il y en avait partout, rangées en rangs d'oignon. On n'avait jamais vu ça, ce genre de chose. On se demandait d'où cela pouvait bien lui venir. C'était son pays, son petit coin de paradis où il s'exprimait, car il était plutôt discret, le père Enrico, et pas toujours très commode! Il avait du caractère. Son goût pour la décoration ne le quittait pas. Tous les soirs, il travaillait à faire ses bonnes femmes, quand il s'y mettait, on ne pouvait plus l'arrêter. Même à son travail, ses employeurs lui reprochaient de faire un peu trop de décorations ou de fioritures inutiles dans les chantiers. C'est surtout avec les enfants qu'il s'entendait, c'était spontané avec eux! Certains parents n'aimaient pas trop d'ailleurs laisser traîner leurs enfants, ils le prenaient pour un satyre, en voyant certaines de ses oeuvres. C'était un drôle de bonhomme, le père Enrico, et il avait ses idées à lui! Je me souviens qu'il avait fait une vache et plusieurs bonnes femmes qui avaient un système de rigole dans le dos, ça récupérait l'eau quand il pleuvait et elle sortait par le zizi. Il avait aussi creusé des souterrains dans son jardin qui partaient d'en bas et remontaient jusque sous sa maison, il voulait même traverser la route. Mais on a dû l'arrêter, parce qu'on a retrouvé un jour sa femme qui étendait le linge, enterrée jusqu'à la poitrine. Ca s'était effondré! Il avait fait aussi des choses en hauteur avec des personnages montés les uns sur les autres, mais ça c'était du solide! M.Enrico connaissait bien le ciment. Quand il a dû partir, il a tout abandonné, le pauvre, ça a été certainement très dur pour lui. C'est triste à dire, mais je me souviens qu'ils en ont mis du temps pour tout enlever, c'était du béton armé extrêmement dur!"

Séraphin Enrico, cariatides retrouvées et restaurés par Olivier Thiébaut à Caen, 1995.jpg

     Jusqu'en 1972, Séraphin Enrico va travailler inlassablement à son jardin, dépensant toute son énergie et tous ses revenus dans sa réalisation. Sans argent, il va continuer ses travaux en fabriquant alors lui-même son ciment avec les pierres de la rivière qu'il réduit en poudre. A 74 ans, il quitte la région contre son gré, pour aller finir ses jours avec sa famille à Divonne-les-Bains dans l'Ain. C'est dans cette nouvelle maison qu'il a réalisé ses dernières sculptures, décidé à recommencer malgré son âge, encore et encore!

     Séraphin Enrico meurt en 1989, laissant derrière lui une oeuvre méconnue.

     La méconnaissance de cet ensemble unique et son isolement "culturel" ont certainement contribué à sa disparition. Aujourd'hui  [en 1995] la municipalité de Saint-Calais semble n'en avoir gardé aucune trace, malgré le reportage télévisé diffusé en 1973 (un documentaire sur la destruction du jardin malheureusement perdu ou égaré). Depuis cette époque, les oeuvres de Séraphin Enrico dorment sous une épaisse couche de terre.

Séraphin Enrico, une tête d'une de ses sculptures retrouvée dans la terre par Olivier Thiébaut en 1995.jpg

     En mai 1995, grâce au témoignage de M.Justin Stern, et grâce à de vieilles photographies conservées par les voisins, nous retrouvons l'emplacement d'une ancienne mare où quelques sculptures ont été enfouies.

      La tentation est trop forte! Une fouille est entreprise pour la découverte du travail de Séraphin Enrico et pour le plaisir des yeux. Pendant une dizaine de jours, nous creusons dans l'ancienne mare. Une multitude de fragments sont mis au jour, et à notre grande surprise, peinture et ciment n'ont pas été altérés: écritures et dessins apparaissent comme un livre ouvert dans le sol.

Séraphin Enrico, le buste d'une de ses statues émerge du sol où elle avait été enfouie, document Olivier Thiébaut, 1995.jpg

     Certaines de ces sculptures devaient atteindre trois mètres de haut et sont recouvertes de petites phrases ou devises italiennes (Il giro del lago; Pane, pace, Amore, Libertà; Santa Maria; Vénus; La luna rossa; Spectaccolo del natura; la petto materne; Pittura Fiorentino; Sono libera!...). La facture et l'originalité des pièces révèlent la grande inventivité de leur auteur: ciments polis, cheveux en mortier colorés, incrustations d'objets, systèmes hydrauliques. Baigneurs, Vénus, madones et créatures aux profils asiatiques vont pouvoir à nouveau contempler le ciel, sous l'aile tendre des "séraphins".

     OLIVIER THIEBAUT, 1995."

(Tous les documents ici mis en ligne et confiés à moi en 1995 appartiennent à Olivier Thiébaut)

22/03/2008

Olivier Thiébaut, archéologue des inspirés, expose à Lisieux

    J'ai trouvé sur le blog de Pascale Herman, "les Inspirés des Bords de Routes" (note du 17 mars 08), cette information: Olivier Thiébaut expose ses boîtes d'objets trouvés et réassemblés en poétiques compositions à la Médiathèque de Lisieux durant ce mois de mars (plus beaucoup de temps pour y aller...).

576925589.jpg
Portrait d'Olivier Thiébaut, photo publiée sur le site de la Médiathèque de Lisieux

     Olivier Thiébaut n'est en effet pas seulement l'archéologue des inspirés environnementaux dont on a enterré les sites après leur mort (il exhumait à une époque, dans les années 90, ce qui restait enfoui, enterré, refoulé sous terre par les familles ou les nouveaux habitants ; il en a recueilli plusieurs fragments dans son Jardin de la Luna Rossa, rue Damozanne à Caen (ouvert le dimanche d'avril à septembre), comme on le sait déjà peut-être. Il est aussi un plasticien qui possède un solide sens de l'assemblage, visant à mettre en scène les menus objets qu'il récupère dans cette autre grande casse de l'exhumation qu'est le vide-grenier ou la chine des biffins.

     Cela m'a rappelé un texte et des photos qu'il m'avait transmis aux fins d'être publiés dans le n°3 de mon Art Immédiat en 1995, numéro qui ne parut finalement jamais. Pourquoi dès lors ne pas les publier à présent, même avec du retard, sur ce Poignard qui est le prolongement naturel à dix ans de distance de mon défunt fanzine? Aussitôt dit, et presque aussitôt fait...

20/03/2008

Y.A.Gil, les dessins venus d'ailleurs

   Le blog a ceci de bon qu'on peut y faire des rencontres tout à fait intriguantes, en l'occurrence avec un artiste de la région de Nîmes, Y.A. Gil, qui en venant me parler de la maison d'éditions et site web qui l'héberge lui et toute une flopée d'autres artistes m'a aussi révélé, en marge de ses nombreuses activités (performances, sculpture, collages et cinéma), des dessins tout à fait remarquables.

Y.A. Gil, Marmiton, 2008.jpg

   Réalisés au stylo, ils sont nés cette année 2008, au nombre d'une cinquantaine pour le moment, après une éclipse où leur auteur s'était davantage exercé aux activités ci-dessus mentionnées. Bien sûr il est loisible d'y retrouver des influences graphiques diverses et variées, mais je préfère m'attacher à leur timbre personnel, à un certain goût du bizarre, de l'irréel volontairement assumé, tel que l'illustre cette phrase citée par un ami de Gil, Eric Garnier (auteur par ailleurs d'un Cabinet d'Eroscopie délectable, voir le site Venus d'aileurs), phrase dûe à Paul Valéry: "Que serions-nous donc sans le secours de ce qui n'existe pas?".

Y.A. Gil, Les murs roses des vents, 2008.jpg

   Ces dessins sont de format 35 x 22 cm. Une douzaine d'entre eux ont été reproduits en format A5 dans un  carnet édité en fac-similé imitant les carnets de dessin à spirale. Voir ici la page du site qui en montre la couverture.

Y.A. Gil, Cabal-Z, 2008.jpg

   Le groupe d'artistes auquel appartient Y.A.Gil édite une revue qui édite fort soigneusement apparemment, une fois par trimestre, une déclinaison de trois "livrets", le premier étant un ouvrage à système fait à plusieurs, le deuxième se consacrant à un artiste ou à un écrivain, le troisième se vouant à une réédition d'un ouvrage court "méconnu ou à redécouvrir" (William Blake, Hakim Bey par exemple...). Le n°5 de la revue devrait sortir en mai, un dépôt serait prévu à la librairie du Palais de Tokyo et une présentation aura peut-être lieu à l'Ecole des Beaux-Arts... Mais une information plus précise viendra ultérieurement.

   Affaire à suivre donc...

18/03/2008

Marilena Pelosi expose chez Dettinger

    "Des prisonnières, mais cette fois-ci pas forcément volontaires, il y en a dans le petit théâtre de Marilena Pelosi, cette créatrice d’origine brésilienne qui paraît se souvenir des gravures naïves de la littérature de cordel, où derrière l’apparente simplicité des images se cachent des ambiguïtés inquiétantes…

Marilena Pelosi, dessin aux crayons de couleur sans titre, 15x17 cm, janvier 2003, coll.privée, photo Bruno Montpied.jpg

     Il y a dans son théâtre des femmes nues bizarrement bâillonnées (on dirait qu’on leur a passé le mors), allongées comme si elles étaient au bronzage, leurs bouches entravées et comme ensanglantées. Des femmes qui portent sur leurs ventres un haricot géant, symbole matriciel féminin, ligaturé avec des cheveux, ces derniers étant souvent perçus comme des liens, ce terme étant à prendre dans le sens de ligatures mais aussi, simultanément, dans le sens de "relations" (comme on l’emploie dans le jargon informatique). Des femmes qui parfois doivent lutter contre leurs destins comme si ces derniers étaient des arceaux qui cernaient leurs corps et dont elles ne pourraient se défaire (prémonition du sinistre bracelet électronique?). Des femmes torturant d’autres femmes en leur faisant miroiter des parures, secrètes armes inventées par la société de consommation pour enchaîner tout un chacun devant le miroir aux alouettes de la marchandise. Plus généralement des femmes, voire des enfants, qui se tiennent sous la coupe de personnages plus grands qui paraissent vouloir leur faire de l’ombre, quand ils ne saignent pas tout simplement sur eux… Décidément un curieux théâtre, un doux et fragile théâtre dessiné aux crayons de couleur de l’enfance, sur papier calque parfois (théâtre faussement transparent) qui nous parle de torture et qui dénonce en même temps."

 

Marilena Pelosi, L'Effet Bienfaisant de l'Eau Tiède, 1999, crayons de couleur et stylo sur papier calque, 66x77 cm, coll.privée, photo Bruno Montpied.jpg

 

    Cet extrait (légèrement remanié) provient d'un texte plus ample, intitulé L'Enfer me ment qui n'a été publié que de façon partielle par les organisateurs du 9ème festival d'Art Singulier d'Aubagne en 2006. Il devait figurer dans le catalogue de l'exposition en regard des seize créateurs que l'on m'avait proposé de présenter dans une salle qui était à ma discrétion (j'y reviendrai). Ce passage consacré à Marilena Pelosi se concentrait sur le thème de "l'enfermement" qui était le fil rouge du festival.

    Pour autant, le travail de cette créatrice ne se réduit pas à ce thème.

 

Marilena Pelosi, Elle voyait comme ça dans son imagination, 1998, gouache sur carton, 27x43 cm, coll.privée, photo Bruno Montpied.jpg

 

   On s'en instruira en se rendant à l'exposition de dessins de Marilena qui ouvrira bientôt ses portes, du 21 mars au 19 avril prochains, à la galerie Dettinger-Mayer, au 4, place Gailleton dans la Presqu'Ile à Lyon (http://www.galerie-dettinger-mayer.com/expositions.htm).

15/03/2008

La note bleue

   Surpris ce musicos soufflant si inspiré, si fort dans son instrument que tout, autour de lui, devint bleu.

La note bleue, photo Bruno Montpied, Paris, Tuileries, 2007.jpg

09/03/2008

Touslas, tout passe, tout casse? Que non pas!

   Note dédiée à Emmanuel Boussuge et à Jean Branciard 

   Voici quelque temps déjà que mon jeune camarade Emmanuel Boussuge m'a glissé malicieusement sous les yeux une carte postale ancienne relative à un "monument aux morts", bricolé de façon naïve, situé à Saint-Jean-de-Touslas dans le département du Rhône.

Carte postale ancienne montrant le monument aux morts de St-Jean-de-Touslas, coll.E.Boussuge.JPG

Monument aux morts en mosaïque et en rocaille, auteur abbé Pierre Cognet, vers 1919, carte postale d'époque, coll. Emmanuel Boussuge

    On se dit devant ces fragiles, quoiqu'évocatrices ô combien, traces de sites bâtis ou confectionnés par des autodidactes, dans un premier temps, que ces lieux n'appartiennent qu'au passé. Tant ce petit bout de papier jauni par le temps, par son côté hors d'âge, semble devoir enfermer son sujet dans une île spatio-temporelle à jamais isolé de nous, de notre présent. Or, il ne faut pas hésiter à interroger la possiblilté que ce lieu ait pu franchir le temps à travers une passerelle protégée.

    Je n'ai donc pas trop traîné avec le monument aux morts de Saint-Jean-de-Touslas. Depuis quelque temps, j'ai une connaissance dans la région lyonnaise, que les lecteurs de ce blog ont du reste rencontré en même temps que moi puisqu'il s'y est manifesté par un commentaire évoquant son oeuvre toute en assemblages forts et poétiques (que j'aurai bientôt l'occasion de présenter plus copieusement), j'ai nommé Jean Branciard. Plus besoin de se déplacer pour vérifier les lieux, je propose l'affaire à celui qui est le plus près dans la région,à savoir lui. Cela l'intéresse. Il se rend sur place, et il ramène de précieuses informations, que je vous livre à présent.

   Le monument existe toujours, sur la place du village, à l'encoignure de deux maisons (il est d'une taille beaucoup plus grande que sur la carte postale). Il est en bon état, on veille sur lui, l'auteur s'appelle l'abbé Cognet, qui a été curé à St-Jean de 1903 à 1932 (comme cela est signalé sur le site du Pays Mornantais). Il a bénéficié des bons soins d'un autre curé, le père Braichet, lui-même sculpteur, décédé voici une dizaine d'années, qui entretint les décors en mosaïque de l'abbé Cognet et qui y ajouta en de petis endroits ses propres oeuvres (voir les petites sculptures dans une niche au bas de la photo du monument actuel).

Le monument aux morts de l'abbé Cognet, St-Jean-de-Touslas, état 2008, photo Jean Branciard.jpg

Le monument aux morts, état actuel (on rélève en inscriptions les mots "Bonjour, Amitiés" sur la partie inférieure du monument, partie qui correspond à la photo de la carte postale ancienne ; il est possible que ce monument ait été continué après la photo de la carte postale, voir l'auvent en tuiles...), photo Jean Branciard, février 2008

   Le site du Pays Mornantais indique que l'abbé Pierre Cognet a créé ses mosaïques entre 1905 et 1925. Il paraît s'être exercé sur trois zones principales dans l'espace de son village de St-Jean-de-Touslas: le monument aux morts, les murs extérieurs de la sacristie, cette dernière étant accollée à l'église du village, et enfin certains murs et corridors du presbytère, où ses interventions paraissent plus timides.

Les murs couverts de mosaïques naïves de l'abbé Cognet sur la sacristie, photo Jean Branciard, 2008.jpg
      
La sacristie de l'église de St-Jean-de-Touslas et ses décors de mosaïque naïve, photo du Site du Pays Mornantais.jpg

   Sur les murs de la sacristie, il s'est amusé à représenter les différents châteaux de sa région dont il a incrusté les reproductions en mosaïque au milieu de compositions décoratives. Son monument aux morts, qui me paraît de tous ses décors le plus frais et le plus primesautier, reproduit les noms des six soldats de la commune morts à la Grande Guerre. Il est à souligner qu'il s'agit là d'un des rares monuments aux morts en France dûs à une initiative individuelle, de plus dans l'espace public. Un autre monument aux morts de style nettement plus pompier fut réalisé en 1929 à quelques distances de celui de l'abbé, la différence d'allure et de caractère des deux monuments saute aux yeux, selon ce qu'en m'en dit mon correspondant. L'existence de ces décors et leur préservation ont bien sûr été favorisés par le fait que leurs auteurs étaient des ecclésiastiques, et donc en tant que tels, personnalités généralement autorisées par la communauté des ouailles, les critiques ne venant généralement dans ce cas que de leur propre hiérarchie (comme ce fut le cas pour l'abbé Paysant avec son Eglise Vivante et Parlante de Ménil-Gondouin dans l'Orne, dont on sait que les interventions et le musée furent anéantis après sa mort, vers 1920, avant de réapparaître ces dernières années et d'être restaurés). 

Intérieur du jardin du presbytère de St-Jean-de-Touslas, avec des mosaïques et des objets traditionnels, ph.Jean Branciard, 2008.JPG

Intérieur du jardin du presbytère à St-Jean-de-Touslas, mosaïques de l'abbé Cognet; cet endroit conserve aussi des objets d'artisanat et de traditions populaires ; photo Jean Branciard, 2008 

07/03/2008

Le géant Isoré

    Je commence une nouvelle catégorie (c'est bon d'ouvrir toutes ces fenêtres, tant qu'on ne rétablit pas l'impôt dessus) sur le Paris populaire ou insolite. Difficile de trouver des environnements singuliers à Paris, les inspirés vivent au bord des routes et semble-t-il pas des rues. La pression sociale étant peut-être plus grande, ceci explique peut-être cela. Que diraient les voisins?

     On habite les grandes villes où l'anonymat est souvent la règle, même si cela peut changer depuis quelque temps avec toutes ces fêtes de quartier et de voisinage où les habitants essayent de remettre de la convivialité au sein d'une froideur générale. Cela est parfois rendu possible par la persistance d'un caractère de "village" dans de nombreux quartiers de Paris (la Butte aux Cailles, Belleville, Ménilmontant, Montmartre...). Ce n'est pas pour autant qu'on rencontre beaucoup de sites bizarres en ces lieux. Ce qui existe se déploie de façon très marginale, soit naïvement (très rare), soit de façon à la limite du pathologique, comme une manifestation de grande dépression. Je donnerai quelques exemples dans les semaines qui viendront.

     Me baladant récemment avec des amis dans le 14e arrondissement (j'allais photographier le Plancher de Jeannot devant Ste-Anne, qui en dépit de sa calamiteuse présentation, se trouve tout de même être devenu une création brute en plein air dans la rue parisienne, rue Cabanis exactement, voir ma note du 5 août 2007 ), ces derniers m'emmenèrent voir le géant Isoré qu'une artiste (nommée Corinne Béoust), avec l'appui d'un groupe enseignant et celui des conseils de quartier, a installé avec l'accord des autorités sur le mur d'une école maternelle donnant sur l'angle de la rue de la Tombe-Issoire et de la rue d'Alésia (cette installation a bien entendu engendré de nombreuses réactions de colère de la part d'esprits conventionnels se croyant les défenseurs du sacro-saint "bon goût").

Le géant Isoré, école maternelle rue de la Tombe-Issoire, Paris 14e ardt, photo Bruno Montpied, 2007.jpg

     Ce géant est inspiré d'une ancienne légende assez obscure relative au passé  et à la géographie de ce coin de Paris. Le nom Isoré serait à l'origine du mot Issoire, ce dernier étant aussi associé parfois à la ville du même nom dans le Puy-de-Dôme. La légende parle d'une ancienne tombe, d'un menhir christianisé, de Sarrasins venus attaquer Paris, de géant gaulois. D'autres sources avancent qu'il s'agissait d'un fief où se trouvait la tombe d'un brigand appelé Issouard, bref, on peut se perdre allègrement dans les hypothèses et vaticiner tout à plaisir autour de ce colosse. L'essentiel étant qu'en l'occurrence une artiste ait pu installer cette statue aux proportions considérables en pleine rue, et dans une position qui la rend très surprenante. Et que cela ait fait jaser, notamment autour d'une légende locale enracinée dans l'histoire du quartier, cela peut participer d'une réappropriation collective du folklore oublié de ce coin de territoire parisien.

Le géant Isoré, par Corinne Béoust, Paris 14e ardt, photo Bruno Montpied, 2007.jpg

05/03/2008

Les noirs dessins de Béatrice Soulié

   Du 13 mars au 12 avril se tient une exposition de dessins, en noir et blanc donc, rassemblant chez Béatrice Soulié (sa galerie se trouve au 21, rue Guénégaud, 75006 Paris) les oeuvres de six créateurs dont Isabelle Jarousse, Joël Lorand, Louis Pons et Ruzena (les deux autres étant Bernard Pruvost et Denis Pouppeville).

    Isabelle Jarousse est connue pour ses dessins touffus sur papiers fabriqués par elle où s'emmêlent au sein d'une jungle inextricable nombre de personnages humains, souvent nus, avec des animaux .

Isabelle Jarousse, encre sur papier sans titre, 17, 5 x 17, 5 cm, vers 2002, photo Bruno Montpied.jpg

    Ruzena a un univers qui lui est proche, là aussi comme une jungle, mais une jungle pour chutes d'anges rebelles, dessin raffiné qui dialogue parfois avec le collage incrusté au milieu des compositions. Ci-dessous, je montre un de ses tout premiers dessins, vu à sa première exposition au Musée de la Création Franche à Bègles en 2001, on y décèle comme une réminiscence de visions graphiques provenant du monde expressionniste d'Europe Centrale (la grand-mère de Ruzena est comme par hasard tchèque).

Ruzena, dessin au crayon noir sur papier sans titre, datant à peu près de 2001, 25 x 31 cm, coll.privée, photo Bruno Montpied.jpg

    Joël Lorand fait un parcours assez fulgurant. On me signale que ces jours-ci serait paru un article sur lui dans la revue Cimaise. Consécration? En tout cas, il s'agit là aussi de mondes touffus, à l'image du ressenti de notre époque sans doute. Un monde plus tourmenté encore que les deux imaginaires précédemment évoqués. Je n'ai pas de reproductions en noir et blanc sous la main, et  je préfère cette image-là...

Joël Lorand, Histoire de coeur, technique mixte sur carton, 50 x 65 cm,2003, coll.privée, Photo Bruno Montpied.jpg

...datant d'une époque picturale déjà dépassée, mais pour laquelle j'ai gardé un faible, sans doute parce qu'y subsistait encore une certaine naïveté moins présente par la suite.

04/03/2008

Un sciapode chez MAX T.

    Mon ami Max T. (voir notes précédentes de février) m'a fait plaisir en nourrissant ma déraisonnable obsession pour les sciapodes. Il m'en a concocté un tout emberlificoté, ficelé comme une paupiette. Avec une inquiétude à la clé, où placer l'orteil d'un tel individu à pied unique? Voici le résultat:

Max T.,sciapode, fil et armature, 2008, photo P.L..jpg

03/03/2008

Diablotin de mèche

    Au centre de la flamme se tient un diable. Il patiente. Il n'a pas tout son temps pourtant. Il se consume, il devrait disparaître dans les heures qui suivent. Mais le voilà raide comme un piquet, comme une bouffarde au coin de la bouche. Aussi fugace qu'un nuage. Et autour de lui, une danse d'anges en cire fondue qui esquisse une ronde...

Diablotin de mèche, photo Bruno Montpied, 2008.jpg
Photo Bruno Montpied, 2008

02/03/2008

Amis des chevilles qui enflent, amis des grosses têtes, bonsoir

    Aperçue ces derniers jours dans le métro parisien, cette affiche publicitaire pour une entreprise qui fabrique des poêles... Le moins qu'on puisse dire, c'est que son PDG ne se sent plus, ni de son plumage ni de son ramage.

     "Détermination d'un homme", "éthique", "talent" de ses 280 employés (parce qu'il faut bien les citer tout de même un peu ces sous-fifres), autant de termes ronflants qui éclatent sous les yeux des voyageurs du souterrain. Je reste pour ma part éberlué devant l'allure du plus pur style m'as-tu-vu du PDG qui n'a pas craint de se représenter sur l'affiche, des "poêles plein la tête", et surtout des poils plein la tête, car l'homme a une sacrée allure, on dirait une sorte de vedette trash de la couture, mâtinée d'une vedette du rock'n roll aux goûts plutôt kitsch (magnifique veste aux revers fourrés dirait-on...), sorte de punk repenti.

Affiche publicitaire, métro parisien, mars 2008, photo Bruno Montpied.jpg

    Les chefs d'entreprise ont le vent en poupe. Ils ne craignent plus de réclamer à leur tour quinze minutes, voire plus, de gloire sous les sunlights. Jean-Pierre Dupire, qu'il s'appelle...

    Moi, j'avoue que je préfère du meilleur.

27/02/2008

Naissance de MAX T.

     Évoluant depuis quelques années déjà au sein des vieux loups de brocantes, individus fréquemment partagés entre antiquaires classieux mais calculateurs, maramians presque enguenillés, alcooliques cachant mal leur vice sous les oripeaux d'un métier proche de la bohème sans en être tout à fait, grands enfants maquillés en excentriques boulimiques, rustres et autres montreurs d'ours aux griffes élimées, faux aristocrates créchant en baraque, bourrus sauvés des eaux, moustaches déguisées en conquistadors à la retraite, Max T. est un cas à part.

    Il trafique comme les autres, vend de l'art populaire, aime les vieux outils, le fer particulièrement. Il s'est mis à retaper les objets un peu trop abîmés selon son goût, et petit à petit devient restaurateur sans s'en apercevoir. Dès lors, il a mis la main dans l'engrenage. Il crée des oeuvres à ses moments perdus, une "patte" enfantine s'y laissant reconnaître.

Max T., dessin sans titre sans date, photo B.Montpied, 2008.jpg
Max T. dessin sans titre sans date, photo B.Montpied, 2008

    Au début, il n'en laisse rien paraître, il sème dans le décor de sa vie quotidienne ses créations au milieu des autres objets chinés en brocante parmi ses congénères brocs, le plus souvent des objets qui n'ont plus d'auteurs avérés. L'anonymat baigne son capharnaüm. Pourquoi pas ses propres réalisations? Je m'y laisse prendre, un jour je photographie un jouet-acrobate jaune le prenant pour un frais et naïf témoignage d'art populaire (voir ma note du 25 juin 2007), alors qu'il semble être sorti tout droit des mains du Max, ce dernier ne le reconnaissant pas tout à fait, à mots couverts seulement (peu amateur d'explicite, le bougre)...

Max T., assemblage de matériaux divers, sans titre (maître et chien?), sans date, photo B.Montpied 2008.jpg
Max T., assemblage, photo B.Montpied, 2008

   Pourquoi n'avoue-t-il pas qu'il en est l'auteur? Par manque de confiance? Par désir de se mesurer à la poésie des objets populaires naïfs, et donc au rebours de l'hypothèse de la timidité, c'est par fierté qu'il agirait ainsi...? La réponse ne vient pas. Il vous regarde de ses yeux cernés, il roule sa vieille clope dégueulasse, l'allume puis tire dessus, laisse le silence répondre à sa place. Et laisse aussi le photographe tirer quelques portraits des dessins, des assemblages, des sculptures en fil...

Max T., comme un épouvantail..., sans titre sans date, matériaux divers, photo B.Montpied, 2008.jpg

Max T., sans titre sans date, assemblage de matériaux divers (la tête est faite des tessons d'un pot qui au départ était intact ; en se brisant, les tessons ont donné un air affaissé original à la tête, la ficelle est venue pour tenir le tout sans doute), photo B.M. 2008

Max T. dessin sans titre sans date au dos d'un cahier, photo B.Montpied, 2008.jpg

Max T. dessin au stylo sur la couverture d'un cahier, sans titre sans date, photo B.M. 2008 

    Il préfère le secret, rester en retrait. Il vit en Normandie avec sa femme et ses deux enfants. Il se délasse avec ces petites créations, Dieu sait où ça le ménera.

Max T., dessin sans titre sans date, stylo, photo B.Montpied, 2007.jpg

Max T., dessin sans titre sans date, stylo, photo B.M. 2008 

24/02/2008

Trolls dans le ciel

   Votre "art immédiat" n'est pas si immédiat que cela, ne serait-ce qu'au point de vue de sa réception, me suis-je entendu rétorquer de temps à autre. Effectivement, et ce pour des raisons d'inhibition et de mauvaise disposition de ceux qui pourraient le reconnaître lorsqu'il se produit (et selon moi, la poésie immédiate est partout à tout moment), au premier rang desquelles je place la nécessité de gagner (perdre) sa vie, de travailler et de survivre dans une société basée sur les sacro-saintes valeurs de profit, de compétition... Abrutis par le boulot et les contraintes qui en découlent, les individus ont le regard voilé, voire aveuglé, et dés lors ne sont pas en état de percevoir la poésie ou le mystère du monde qui les entoure, et encore moins de jouer avec cette poésie, de créer dans sa perspective. Le temps de la retraite est infiniment plus propice à cela, les inspirés du bord de route en sont des exemples patents, de même que les internés des hôpitaux psychiatriques lorsque les médicaments ne les ont pas transformés en légumes, ou lorsque les animateurs d'ateliers d'art-thérapie leur ont laissé la liberté de s'exprimer hors de toute tutelle...

    Tous les jours au-dessus de nos têtes passent les nuages, les merveilleux nuages chers à Baudelaire (c'est presque devenu un truisme égal à "l'inventaire" de Jacques Prévert sous la plume des journalistes culturels). Ils ne sont pas tous parlant. En voici une grappe, photographiée au-dessus de la Planèze de St-Flour l'été 2007 dernier. Je l'avais prise au vol, ayant perçu vaguement une présence dans ces nuages. J'étais en vacances aussi, autre temps de suspens propice aux visions...

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      En la renversant, cette cascade de Chantilly, en accentuant les contrastes aussi bien sûr (il faut bien lutter contre notre fatigue d'homme réifié par le travail), voici que se révèlent les trolls, les trognes et les bestiaux humanoïdes qui se bousculent en elle.

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     Et dés lors j'insiste, je me rapproche de ces têtes brutes, le paysage recule dessous, les formes qui surgissent dans mes peintures sont là dans le ciel, bien plus vivantes, et dans la seconde qui suit sur le point de s'évanouir, de se métamorphoser, oracles dans le ciel, bouleversant ma situation et mon organisation, ma place dans cette société qui ne s'attarde jamais dans la contemplation des nuages.

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22/02/2008

Disparition de Ruth Henry

     J'ai appris très subrepticement, dans une "Lettre du Musée" de Laduz envoyée aux amis du musée, sous la plume de Jacqueline Humbert la disparition de Ruth Henry.

    Allemande, elle vivait à Paris depuis longtemps, ancienne épouse du dessinateur humoristique surréaliste Maurice Henry, correspondante de presse en France. Elle était surtout la grande introductrice de l'oeuvre d'Unica Zürn dans notre pays. C'est  à elle que l'on doit la traduction des deux principaux livres d'Unica, L'Homme-Jasmin" et "Sombre Printemps". Récemment, elle avait également publié les Lettres que lui avait envoyées cette extraordinaire voyante qu'était Unica Zürn (publiées malheureusement à un trop faible nombre d'exemplaires). On l'entend  lire la présentation de cette correspondance sur le site du Centre international de Poésie de Marseille.

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     Peut-être ne s'en est-on pas encore totalement aperçu en France, mais c'est aussi au style de Ruth Henry que l'on doit la révélation des écrits d'Unica. Par la grâce de la traduction, sa voix est indissolublement liée à celle d'une Zürn plus tout à fait "unique-a". De cette passeuse précieuse, il est bon que l'on se souvienne aussi.

17/02/2008

A la découverte d'Axel Henrichsen avec Jean Painlevé (1956)

    J'ai parlé naguère de Jacques Brunius dont la vie et l'oeuvre me fascinent. Dans son film génial sur les créateurs  de violons d'Ingres en tous genres, daté de 1939, premier documentaire sur l'art populaire et brut (avant la lettre pour ce dernier terme) en Europe (et on peut bien l'oser: au monde...), apparaissait de façon fugitive un autre cinéaste poétique et tout aussi génial, cousin en esprit de Brunius, j'ai nommé Jean Painlevé.

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    Né en 1902 et disparu en 1989 (pour sa biographie, on peut se reporter utilement à cette notice dûe à Brigitte Berg qui anime aujourd'hui les Documents Cinématographiques, garants de la mémoire de Jean Painlevé), ce dernier est surtout connu comme le pionnier d'un cinéma scientifique de vulgarisation, ce dernier terme n'étant bien entendu pas à prendre dans un sens dépréciatif, puisque Painlevé songeait par là à la facilitation de la diffusion du savoir scientifique vers le grand public (pour ne pas dire le public populaire). Pour ce faire, il ne s'interdit jamais d'user de l'humour, de la poésie et de la fantaisie dans ses documentaires concis, où la musique, par exemple le jazz de style "jungle" dans son film Assassins d'eau douce sur la prédation en milieu aquatique, est parfois amenée à jouer un grand rôle créant des décalages amusants. Painlevé ne dédaigne pas non plus d'employer un regard parfois fortement anthropomorphiste, attitude qui après des décennies d'éteignoir sous prétexte de recherche d'objectivité reprend de la faveur ici ou là (par exemple dans la littérature jeunesse documentaire). Elle lui fut reprochée, comme l'a souligné Brigitte Berg (voir lien ci-dessus), mais Painlevé balayait l'argument en disant ceci par exemple: "Tout est matière à l'anthropomorphie la plus saugrenue, tout a été fait pour l'homme et à l'image de l'homme et ne s'explique qu'en fonction de l'homme sinon " ça ne sert à rien " ".

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   Son oeuvre, qui nous revient aujourd'hui à la faveur de sa réédition sous forme de DVD, grâce aux Documents Cinématographiques (société de production fondée par Jean Painlevé en 1930), n'a pas pris une ride, et a gardé toute sa fraîcheur. A la parcourir, on s'aperçoit aisément qu'elle a influencé des générations de documentaristes spécialisés dans l'évocation de la nature (je pense notamment à l'excellente série sur les "Inventions de la vie" de Jean-Pierre Cuny). Jusqu'à présent, trois DVD sont sortis, contenant bien entendu les documentaires animaliers et scientifiques qui ont fait la renommée de Painlevé (beaucoup étant en rapport avec le monde sous-marin, avant les films de Cousteau), mais aussi certains courts-métrages plus expérimentaux comme Mathusalem (1927), ensemble de cinq séquences (où joue Antonin Artaud)

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initialement prévues pour une pièce de théâtre d'Ivan Goll (avec qui Jean Painlevé, entre parenthèses, collabora pour le n°1 de la revue Surréalisme, revendiquant ce vocable inventé par Apollinaire de façon différente de celle revendiquée  par les jeunes André Breton, Philippe Soupault, Aragon, etc. ; à noter que Painlevé resta à l'écart du surréalisme bretonien, même s'il entretenait de bons rapports avec certains de ses membres, apparemment selon Brigitte Berg pour des divergences de vue sur l'importance de la musique). On trouve aussi dans ces trois compilations, un film d'animation extraordinaire avec des personnages en pâte à modeler, Barbe-Bleue (adaptation de 1937 du célèbre conte de Perrault), dont la technique devance de très loin les films des studios Aardman (Wallace et Gromit).

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Titre du film de jean Painlevé tel qu'il apparaît à l'écran, copyright Les Documents Cinématographiques

     Et puis, on y trouve aussi (DVD n°3, édité en 2007, double DVD), un film qui nous regarde davantage, quant à la thématique plus particulière de ce blog, à savoir LE MONDE ETRANGE D'AXEL HENRICHSEN qui date de 1956. Oui, Jean Painlevé s'est aussi intéressé à l'art des autodidactes, et grâce à ce film peut figurer dans ce segment du documentaire artistique qui concerne l'art brut,7871c7a13f80f7e12b26b9cdc99ab7a3.jpg naïf, populaire, où vient en tête Violons d'Ingres de Jacques Brunius (1939), et où figurent aussi le Palais Idéal d'Ado Kyrou (1958), puis Le Facteur Cheval, "Où le songe devient la réalité" de Claude et Clovis Prévost (1980), films que l'on a eu la chance de voir projetés à Nice dans les programmations de l'Association Hors-Champ (qui projette pour bientôt la publication d'un petit ouvrage sur sa programmation et cette filmographie à part).

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Personnages en os rehaussés de couleur, Axel Henrichsen, dans le film de Jean Painlevé, copyright Les Documents Cinématographiques

      J'ai découvert ce film à la fin des années 80 à une rétrospective des films de Painlevé qui avait lieu au cinéma Le République. Painlevé était là et présentait les films. Sur Axel Henrichsen, il se plaignit de ce qu'il n'ait jamais enregistré aucune réaction à son sujet. J'étouffai au fond de mon fauteuil, en moi une voix criait, mais comment donc, votre film est pourtant absolument magnifique, en outre il révèle un créateur que le corpus de l'art brut ou autodidacte n'a jamais retenu. Je m'étais alors juré de trouver un jour un espace où parler de ce film et de ce créateur.

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Axel Henrichsen à l'ouvrage, film de Jean Painlevé, copyright Les Documents Cinématographiques

      "Une famille près de Copenhague créait par des moyens très personnels des formes du vivant avec des matériaux variés. L'un d'eux, forgeron, utilisait aussi bien du bois que des détritus végétaux ou animaux (il possédait un grand jardin où régnait sa femme avec de magnifiques plantes et fleurs diverses...).

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Une autre image du film de Jean Painlevé, copyright Les Documents Cinématographiques

     J'en filmais une "actualité" qui, comme quelques autres d'entre elles, n'intéresse personne... C'était en vue de susciter chez les gosses des imitations du même ordre, de fabrication peu coûteuse... (...) Les distributeurs qui connaissaient le genre de mes films, méprisèrent celui-ci en décrétant qu'il n'offrait aucun intérêt. Je l'avais fait en deux jours, un d'été et un d'hiver." (extrait du catalogue "Jean Painlevé" édité en 1991 par Les Documents Cinématographiques).

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Racines en lutte dans Le monde étrange d'Axel Henrichsen, Jean Painlevé, copyright Les Documents Cinématographiques

      Axel Henrichsen, comme le dit Painlevé faisait partie d'une famille qui aimait se récréer grâce à divers techniques artistiques. Le film montre au début du reste quelques peintures dûes à ses proches, que l'on trouvera à juste titre assez conventionnelles. C'est Axel qui fabrique des oeuvres vraiment plus originales à partir de racines dans un premier temps (à partir de 1942 semble-t-il, "son pied ayant heurté une racine" -phrase qui fait penser fortement à la première pierre trouvée par Ferdinand Cheval) puis avec des os de boucherie ensuite (os que lui ramènent ses chats et les renards qui rôdent autour de sa maison, on les voit dans le film). Et ces oeuvres pourraient tout à fait à mon sens relever de l'art brut tant elles figurent des personnages grotesques et drôlatiques faisant parfois songer à des diables de cathédrales ou à des extra-terrestres, en tout cas assez peu en référence à la vision convenue de la réalité.

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Etranges échassiers d'Axel Henrichsen, film de Jean Painlevé, 1956, copyright Les Documents Cinématographiques

      On aimerait fortement savoir ce qu'est devenue l'oeuvre de ce monsieur au Danemark. L'exposition "Gars du nord" organisée  en 1988 à la Maison du Danemark, consacrée en partie à l'art populaire du Jutland, ne parlait pas de lui. Google me paraît bien muet aussi sur ce sujet. Alors, si quelque internaute a des lumières sur la question, qu'il n'hésite pas...

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Ce monsieur-là s'appelait Hans Orla Villy Petersen, il fut photographié par Jorgen Borg dans les années 80 dans le Jutland (exposition "Les Gars du Nord") au Danemark, sa jupette me fait penser à "Monsieur G." qui vivait à Nesles-la-Gilberde et qui lui aussi prisait fort les jupes par anti-conformisme

 

15/02/2008

Deux petits nouveaux chez les sciapodes

     A verser au bataillon des sciapodes en constante augmentation à ce que je crois, voici deux petits nouveaux, Paul et Simon, petits camarades de jeux à moi dans une école où je m'ingénie depuis quelques lustres à repousser les murs... A noter que les enfants à qui j'ai montré des images de sciapodes ont tendance à le prendre en sympathie, au point de l'imiter, donc, parfois...

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12/02/2008

Des sablières aux trésors cachés

    Enfin un très joli et très précieux livre sur les sablières des églises bretonnes!

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    Il y avait bien eu en 1997 une thèse de doctorat due à  Sophie Duhem et publiée aux Presses Universitaires de Rennes ("Les sablières sculptées en Bretagne"), thèse qui a redonné un coup de jeune à la recherche sur les décors sculptés de ces sablières.db883ca9bf04d5c971ff32f59bf764fa.jpg Il y avait eu, il y a plus longtemps, les ouvrages de Victor-Henry Debidour sur l'art de Bretagne, qui causaient  des sablières succinctement au détour d'un chapitre, sur un ton parfois assez ambivalent ("Ce n'est pas là du grand art", écrivait-il des sablières, leur préférant les ciselures des jubés, conditionné qu'il était à apprécier d'abord l'art plus académique ou manifestant plus de maîtrise et de virtuosité, et rabaissant par suite l'art plus simple, plus direct). La collection Images du Patrimoine de l'Inventaire général des Monuments artistiques de la France, de son côté, rarement consacre une page ou deux à ce genre de création marginale, comme dans le cas par exemple du fascicule consacré à la Vallée du Blavet et au Canton de Baud dans le Morbihan.

     D'innombrables petites plaquettes sont bien sûr consacrées aux églises bretonnes avec de ci de là quelques photos de sablières, mais cela fait désordre. Et puis il y a les cartes postales... Les photos personnelles qui s'avèrent vite impossibles à réaliser correctement parce que les sablières, qui sont des poutres à la lisière des charpentes comme on sait, sont bien trop hautes, cachées dans la pénombre qui plus est...476742849383d6e686af3d9ceedb76cf.jpg On ne peut en faire que dans les chapelles aux murs bas, comme dans la rare chapelle Saint-Côme à Saint-Nic au bas des Monts d'Arrée, où, chance!, les sablières sont étranges, expressives et rigolardes, (mais il manque encore et toujours quelque chose, une lumière bien disposée par exemple).

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     C'est pourquoi je dis "enfin!", devant le livre de Claire Arlaux (l'auteur) et d'Andrew Paul Sandford (le photographe), "Trésors cachés des sablières de Bretagne" qui est paru en octobre 2007 aux Editions Equinoxe (Collection Impressions du Ponant, formats des livres à l'italienne), sympathiquement basées dans une ville qui est bien loin de la Bretagne, St-Rémy-de-Provence... Enfin un éditeur (ici régionaliste) et des auteurs qui ont le minimum d'audace requis pour se lancer dans un tel défi artistico-éditorial. Il est certain que l'essor de l'intérêt pour l'art brut et les arts primitivistes en général n'est pas étranger à  ce genre de tentative.

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Sablières dans l'église du Croisty (Morbihan), certains sujets étant présentés vus de haut (le cerf traqué) à côté d'autres vus de profil (les chiens traquant le cerf), photo Andrew Paul Sandford

      Sandford se consacre à photographier la Bretagne, ses paysages et son patrimoine, depuis plus de 30 ans, nous dit-on... Il a ici livré une impressionnante série de clichés pris dans les meilleures conditions d'éclairage et de proximité qui puissent être, rendant l'accés aux décors des sablières le plus confortable du monde. Etonnants décors où la fantaisie et la truculence, la satire et la caricature aussi, parfois anti-cléricale (oui, dans l'église même...), le tempérament métaphysique se donnent libre cours dans des dimensions restreintes qui contraignent les charpentiers sculpteurs de ces poutres à des acrobaties formelles et des solutions plastiques qui les rendent cubistes avant la lettre, en tout cas furieusement modernes bien avant l'heure (Debidour situait la durée de l'art des sablières sculptées depuis 1450 à peu prés jusqu'après 1660, même si bien sûr ici ou là on continua d'en faire jusqu'au XIXe siècle). Bien souvent, on pense en les voyant que leurs auteurs devaient s'occuper, en d'autres moments de leurs commandes, des figures de proue des navires, tant les analogies de style et de figuration viennent à l'esprit naturellement.

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Etonnante sablière où le personnage de droite ressemble à des profils que l'on retrouve fréquemment dans l'art populaire des graffiti, voire dans l'art brut ou singulier (je pense à Gaston Mouly en particulier)

    Le livre est donc avant tout un magnifique album d'images hésitant à être caractérisées comme naïves  ou primitives, voire comme brutes. Un album fatalement vital qui bouleversera nos solitudes modernes de son petit monde coloré et cordial, incroyablement plus proche de l'humain que ne le pourront jamais faire toutes les froides élucubrations actuelles de nos média.

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Photo Andrew Paul Sandford

    Un défilé de trognes colorées de toutes formes, souvent proches d'un certain archaïsme, alterne avec des saynètes de tous ordres, proverbes ou dictons illustrés, ex-voto à d'autres moments dirait-on (le paysan que renverse un attelage de boeufs tirant la charrue). Un bestiaire réaliste ou symbolique

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 s'en donne partout à coeur-joie, ainsi que des évocations mythologiques empruntées aux différentes cultures européennes, celtiques ou gréco-latines. On trouve toutes sortes de personnages dans ces petites églises bretonnes qu'il faut avoir la curiosité de visiter tant les surprises s'y cachent à coup sûr, en dépit d'un aspect extérieur parfois si modeste et bénin qu'on ne les perçoit même plus dans le paysage. Ogres (comme dans la chapelle de Locquémeau à Trédrez, dûs au sculpteur Jean Jouhaff au début du XVIe siècle), contorsionnistes scatologiques ou obscènes,

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 dragons, angelots et masques grotesques, pirates, elfes, enfants tels des petits singes roses jouant à la balançoire,c8cf117ba6d4905e28f8fdcd31554b11.jpg paroissiens aux faces de guignols peinturlurés de façon criarde, animaux musiciens, constituent comme un carnaval évoquant l'imagerie populaire et ses thèmes de prédilection comme les scènes du "Monde à l'envers" ou l'univers du Roman de Renart. Cela n'est pas très éloigné non plus des petites histoires racontées sur les frontons de ruches slovènes, dont j'ai parlé dans ma note du 26 août 2007.

    La situation marginale dans l'espace religieux de ces sculptures étonnantes signale aussi une représentation des péchés à ne pas commettre, selon la doctrine chrétienne, avec leurs ivrognes et leurs bacchantes dont les soi-disant vices, d'être montrés avec la volonté de les stigmatiser, deviennent dialectiquement aussi bien des exemples qu'on pourrait suivre...

     Ces sculptures ne sont pas sans rappeler les oeuvres colorées et grotesques des arts singuliers, brut, naïf, hors-les-normes, etc, qui attirent tant d'amateurs aujourd'hui, les précédant cependant de plusieurs siècles et nous indiquant que l'on a donc affaire avec elles à une sorte de tradition expressive populaire très immédiate, joyeuse et truculente.

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     Et comme elles, parfois (je pense à la discutable restauration ripolinesque du site de Fernand Châtelain à Fyé dans l'Orne), on se demande si les sablières n'ont pas été restaurées à certains endroits, semble-t-il peu nombreux, avec un zèle qui s'exprime dans l'emploi de couleurs peut-être un peu trop criardes. Cela a pour effet d'aplatir la délicate naïveté, la simplicité toute en nuances des saynètes (voir dans le livre les sablières de Treflevenez, de Ploerdut, de Landerneau -qui fait dans le rose bonbon très pâtissier, à moins que ce ne soit un effet pervers des retraitements d'images sous Photoshop?- ou celles de la chapelle Notre-Dame de Lospars à Châteaulin, dont les statues ressemblent furieusement au mauvais goût des santons provençaux, très kitsch).

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05/02/2008

Dictionnaire du Poignard Subtil

PERSONNALITE:

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     "Se dit d'une personne notoirement malade. PERSONNALITE."

     (Mots-gigognes, Claude-Rose et Lucien-Guy Touati, cité dans Le tireur de langue, Anthologie de poèmes insolites, étonnants ou carrément drôles, Ed. Rue du Monde, 2000)

03/02/2008

A la niche les glapisseurs de dieu!...

    La Fédération de Paris de la Libre Pensée et le groupe Francisco Ferrer organisent une conférence de Guy Ducornet à la Bourse du Travail, salle Jean Jaurès, (3, rue du Château d'Eau, tout près de la place de la République à Paris), le jeudi 21 février prochain à 19h 30:
"Surréalisme et athéisme
«A la niche les glapisseurs de dieu !»"

*

     Guy Ducornet (membre du mouvement surréaliste américain depuis 1967) y présentera son dernier ouvrage Surréalisme et athéisme «A la niche les glapisseurs de dieu !» (Gingko éditeur).
     «A la niche les glapisseurs de dieu !» est à l'origine un pamphlet signé par André Breton et 50 surréalistes en 1948, qui a été contresigné sur la proposition de Guy Ducornet, en 2006, par 175 surréalistes du monde entier. Se calquant sur le mot d’ordre «A chacun selon ses désirs» clairement antagonique à la morale chrétienne, ce projet est l’occasion de revenir sur les combats anticléricaux et antireligieux du mouvement surréaliste. 
    Dans cette anthologie de textes méconnus – historiques ou contemporains – l’auteur revient en détail sur l’engagement politique (sur son aspect marxiste et libertaire) des surréalistes.

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   (Cette note est basée sur une information émanant de la Libre Pensée et de Guy Ducornet, que j'ai remontée et légèrement remaniée pour l'adapter au blog ; j'ajoute que je n'ai pas encore eu le livre entre les mains, je répercute de confiance l'information en laissant juges mes lecteurs)

02/02/2008

Doudous, racines de l'art?

    Un doudou qu'est-ce que c'est? Une guenille souvent, un truc informe, qui eut une forme, difficile à reprendre à  celui qui s'y agrippe, le petit enfant, cette espèce humaine à part dirait-on quelquefois, cet alien de notre histoire intime. On les duplique parfois, pour les subtiliser aux petits, afin de pouvoir les laver (mais on ne nous dit pas toujours si ce subterfuge fonctionne à coup sûr). Car ils les traînent partout, dans n'importe quel milieu, parmi tous les microbes possibles qui semblent aussi collaborer à la transformation du doudou, chose triturée, infiniment aimé, enlacé, palpé, suçoté, englouti, chargé de matérialiser tout l'amour, tout l'élan d'amour que l'adulte en gestation est capable de porter au fond de lui, cette force cordiale, ce désir d'embrasser la nature autre que l'on a élue...

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Doudou d'Esther (8 ans au moment de la photo), ph.B.Montpied

    Le doudou est un objet fascinant, comme l'épouvantail, son antithèse, qui, lui, est chargé de repousser, de faire peur... Dans le doudou, se projette tant d'amour, tant de désir, qu'il est passionnant de reconnaître les traces de ces élans dans l'aspect matériel de ces loques, de ces peluches abîmées. C'est à la détérioration de l'objet que l'on reconnaît l'amour de l'enfant. C'est pourquoi ma préférence va à la peluche déglinguée, au tissu effiloché plus qu'au doudou trop propre, trop intact (comme le sont souvent les doudous que l'on a réussi à conserver après usage, rangés dans quelque musée des familles).

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Doudou de Bruno (35 ans au moment de la photo), photo B.Montpied, 1989

    Malheureusement, lorsqu'on en cherche, afin de les photographier (j'ai commencé en août 2007, à la suite de conversations avec une autre professionnelle de l'enfance, Arielle Gallet, durant un centre aéré en école maternelle), ceux qui se proposent sont souvent des peluches un peu trop "nickel".

    Difficile à photographier le doudou... Combien de fois ai-je été tenté ces derniers mois de demander dans le métro l'autorisation de prendre en photo le doudou dépenaillé et crado que triturait le bébé placé sur le strapontin en face de moi... Impossible, me disais-je, les parents vont me prendre pour quelque escogriffe dégénéré aux intentions peu claires! C'est le genre de proposition qui vous classe immédiatement du côté des personnages extrémement ambigus... Et puis, l'enfant ne veut pas forcément le lâcher, son doudou, c'est trop intime, témoin celui que l'on voit sur la photo ci-après, perdu deux jours après ma photo peut-être par refus inconscient de ma photo, l'enfant a refoulé le doudou (son nom, le "la"...). Tu as dévoilé mon doudou, alors qu'il fallait le cacher, est-ce ce qu'elle a voulu dire? Comme les populations de certains pays qui ne veulent pas qu'on les photographie de crainte qu'on ne leur vole leur âme, (ou par refus de la médiation, refus d'être extirpées de l'immédiat de leur vie?)...

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Doudou de Judith (1 an 1/2), appelé par elle le "la" (première syllabe de lapin), ph.B.Montpied

 

     Non, le doudou, il me le faut en loques, en guenille déchiquetée et auréolée de taches variées, ou bien peluches aux nez tordus, mordillés, aux trompes démesurément allongées, aux oreilles déchirées, aux poils hérissés, au pelage galeux... Et, autre recherche connexe, comme me l'a fait remarquer Arielle, il est bon d'essayer de noter le nom donné par l'enfant à la chose, car en plus de la création involontaire qui s'opère sur la forme et l'apparence du doudou (création par la force de l'amour qui ressemble à une destruction, ou à une consomption par excés de consommation...), il y a aussi création langagière par l'enfant, venue parfois à l'âge de la lallation et du babil, lorsque le bébé balbutie ses premiers sons, papa, maman, caca, pipi, dodo. Arielle me citait le nom d'un doudou qu'une personne de son entourage avait appelé "REU-REU"... Le mot "doudou" lui-même est né d'un redoublement de syllabe, comme on l'aura noté certainement dès le départ de cette note. Et du coup, s'intéresser à ce genre de création langagière me ramène à une enquête sur les mots privés des familles que je menais il y a plus de vingt ans et dont je n'ai jamais donné les résultats (ce blog servira peut-être aussi à cela).

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Doudou-peluche, l'ours Bruno, de Frédérique (50 ans au moment de la photo), photo Charlotte Maria, 2007

     Bon, il me faut avouer aussi que j'ai découvert pas plus tard qu'hier, qu'un livre était sorti sur le sujet aux Editions du Chêne (c'est "énervant", dès qu'on a une idée, on peut être sûr que quelqu'un l'a en même temps que vous ailleurs!) ... Photographies d'Alexandra Coslin, présentation et idée de Françoise Boyer.

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     Les auteurs ont placé en vis-à-vis des portraits d'enfants tenant leurs doudous (en noir et blanc) avec ces mêmes doudous photographiés en couleur sur l'autre page, avec le nom donné aux doudous en question, heureux détail. Je reproduis ci-dessous deux des doudous choisis en fonction de leur aspect de guenille ou de leur état de dégradation (ils sont rares dans le livre malheureusement).

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Photo Alexandra Coslin
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Photo Alexandra Coslin
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Ici, on a affaire à un doudou confectionné par un père pour sa fille. Avec un petit air de Totoro... Je n'ai pas constaté qu'il avait été encore beaucoup employé par l'enfant à qui il est destiné... Trop savant? (Photo B.Montpied, 2008)
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Lapin sérieusement rapetassé de partout ; est-ce un doudou? Il fut trouvé dans une brocante, sans indication d'origine; cependant, il est possible de lui trouver une assez grande ressemblance avec un doudou ou une poupée ; photo Philippe Lalane, 2008

    

31/01/2008

Naïfs démiurges, voyeurs conséquents!

    De temps à autre, je compulse mes archives, à la recherche d'une référence, d'une information plus précise, d'un souvenir... Ou plus souvent sans but autre que le compulsage compulsif, automatiquement, en réalité mû par une nécessité intérieure qui ne veut pas parler à voix haute...

    Voici que mes yeux retombent sur cet entrefilet extrait d'un article sur "Les Facteur Cheval" paru dans un almanach "banlieue" de la revue Actuel, numéro hors-série, datant vraisemblablement de 1974 ou 75...:

   "Il y a vingt ans, Monsieur Colaniz, maçon à la retraite, modela une statue de femme nue qu'il installa devant sa maison et qu'il repeignit avec soin jusqu'à sa mort. (Boulevard Circulaire, 93420, Villepinte)".

   Je ne suis jamais allé à Villepinte voir si la femme nue était toujours là, toujours "soigneusement repeinte". Je suppose bien que non. Je m'en console avec d'autres, modelées par des créateurs un peu partout. Dès qu'on se rend compte qu'on sait faire surgir du néant quelque être ressemblant, on est terriblement tenté de se faire démiurge et voyeur! 

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Statues de femmes de Gabriel Albert à Nantillé, Charente-Maritime, photogrammes (1988) extraits des Jardins de l'Art Immédiat, ensemble de films Super 8 sur divers environnements spontanés, B.Montpied
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Oeuvres de Frédéric Paranthoën.
 Parmi les statues que ce marin retraité rangeait à la fin de sa vie la plupart du temps dans son garage au lieu de les exposer à la vue des passants dans le petit jardin qu'il possédait au rez-de-chaussée d'un petit immeuble de Royan, on peut découvrir une jeune Tahitienne en costume d'Eve (l'exotisme autorisant la nudité, comme dans le cas des photos coloniales de jeunes Africaines vivant nues à la manière traditionnelle), photogramme (1988) Les Jardins de l'Art Immédiat, B.Montpied
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Statue de femme nue par François Michaud, installée derrière un Napoléon sur le mur de clôture de sa seconde maison à Masgot dans la Creuse (datable de la deuxième moitié du XIXe siècle, avant 1880...), photo B.Montpied, 1988.
  

  

28/01/2008

Divergentes mais unies

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Photo B.Montpied, 2007, Cantal (clic pour agrandir)

27/01/2008

Des dessins retrouvés de la maison des artistes de Gugging?

     En furetant et en traînant la savate l'autre jour dans une brocante au sud de Paris, je déniche dans une liasse de papelards deux petits dessins aux crayons de couleur qui me font instantanément songer à certaines images qui sont produites en Autriche à la Maison des Artistes de l'asile de Klosterneuburg, appelé plus communément Gugging, du nom de la commune auquel appartient l'hôpital, prés de Vienne. Voici les deux dessins, sans titre, sans nom d'auteur. Le marchand interrogé ne possédait, comme c'est le cas la plupart du temps, aucun renseignement sur l'origine des dessins qu'il charriait parmi beaucoup d'autres n'ayant rien à voir les uns avec les autres, ne serait-ce que par le style, ou l'époque...

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     A qui me font penser plus exactement ces dessins? J'ai trouvé deux auteurs dans le fascicule n°12 des publications de la Collection de l'Art Brut, dont les travaux pourraient en être rapprochés... 

     Voici le  premier avec ce dessin qui représente des croix sur des tombes, dû à Franz Kernbeis... 

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     Ou peut-être plus valablement pourra-t-on les rapprocher de ce dessin dû à Johann Scheïbock ? : 

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