01/05/2014
Joseph Baqué de Bruxelles à Lausanne, des monstres en visite
Une exposition intitulée "Démons et merveilles" se tient actuellement à Bruxelles dans les locaux d'Art et Marges, jusqu'au 1er juin prochain, avec comme principal invité (du moins à mes yeux) Joseph Baqué (1895-1967), cet ancien gardien de la paix barcelonais dont j'ai déjà parlé dans cette colonne (il y a eu une vente il y a un an de l'ensemble de ses dessins, vente qui fut à 95% conclue avec un seul collectionneur, ce qui fait que l'ensemble de l'œuvre est conservée au même endroit ; c'est d'ailleurs elle qui sert de base à l'expo d'Art et Marges), cet ancien gardien de la paix (si on prend ces mots au pied de la lettre, cette garde prend un autre sens plus poétique) qui des années 30 aux années 60 a créé une étourdissante série de 1500 "Animaux, phénomènes rares, bêtes jamais vues, monstres et hommes primitifs", déclinée en 454 planches numérotées. Il recourut à l'aquarelle, à la mine de plomb, avec des rehauts d'or et d'argent par endroits.
Extrait 111 des "animaux et fauves" de Joseph Baqué, édité en carte postale par Art et marges musée, 2014
Les dessins obtenus par lui sont d'un charme fou, les "monstres" inventés faisant quelque peu songer par leur aspect grotesque, d'où se dégagent un humour et une malice évidents, aux dessins infiniment plus anciens des "songes drolatiques de Pantagruel", dessins probablement dus à François Desprez en 1565 et longtemps attribués à Rabelais. Il est possible que Joseph Baqué ait croisé du regard des ornementations grotesques dans sa jeunesse lorsqu'un oncle le fournissait en magazines consacrés à l'art décoratif.
"Monstres" de Joseph Baqué, section des "hommes primitifs", édités en cartes postales par Art et Marges, 2014
Un des personnages des Songes drolatiques de Pantagruel, gravure de 1565
Plusieurs dessins, faisant partie vraisemblablement d'un lot extérieur aux 1500 "monstres" numérotés vendus l'année dernière, figurent dans les collections de l'Art brut à Lausanne, ce qui explique que l'expo actuelle de Bruxelles, qui confronte Baqué à d'autres créateurs handicapés familiers des cimaises d'Art et Marges (ils aiment faire ce genre de méli-mélo là-bas), continuera à Lausanne, au Château de Beaulieu, mais cette fois je pense, Baqué y sera seul représenté, ce qui est plus adapté car il est bon de souligner la nouveauté de la révélation d'une telle œuvre en n'exposant qu'elle. Ce sera du 6 juillet au 20 octobre prochain.
"Animaux et fauves" ?
19:08 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art populaire contemporain | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : art et marges, démons et merveilles, bruxelles, art brut, joseph baqué, collection de l'art brut, monstres, gardien de la paix, barcelone, songes drolatiques de pantagruel, françois desprez | Imprimer
27/04/2014
Art brut à Taïwan (6): l'œuvre sculpté du paysan Lin Yuan, par Remy Ricordeau
Le parc de l'oreille de buffle:
l'œuvre sculpté du paysan Lin Yuan
Lin Yuan (1913 – 1991) est aujourd’hui internationalement reconnu comme un des grands noms de la création brute taïwanaise.
Quelques exemples de peintures de Lin Yuan, photo extraite d'un catalogue chinois sur Lin Yuan, DR
Si son œuvre graphique a pu faire l’objet de plusieurs expositions à l’étranger comme à Paris où l’une de ses peintures illustrait l’affiche de l’exposition collective 17 naïfs de Taiwan¹ organisée en 1997/98 à la Halle Saint-Pierre, son œuvre sculpté, tout au moins pour sa partie monumentale qui est la plus importante, est par contre moins connue du seul fait qu’elle ne peut pas être déplacée. Il faut se rendre en effet dans le parc dit de l’Oreille de Buffle, où elle est exposée, pour pouvoir en mesurer l’importance. Ce parc se trouve à Pu li, qui est la ville la plus proche du village de montagne dans lequel Lin Yuan a passé l’essentiel de sa vie. Il se situe à peu près au centre de l’île.
La maison initiale de Lin Yuan avec sa manière personnelle de présenter ses rochers sculptés, ph. extraite d'un catalogue chinois sur ce créateur, DR
Vue d'une partie du parc de l'Oreille de Buffle avec quelques rochers sculptés de Lin Yuan, transférés de leur emplacement d'origine ; ph. extraite d'un catalogue chinois sur Lin Yuan, DR
Ouvrier agricole analphabète originaire du canton de Wuzhi, Lin Yuan est devenu veuf très tôt. La cinquantaine passée, ses enfants (cinq garçons et trois filles) devenus adultes, lui suggérèrent d’abandonner le travail des champs et lui proposèrent pour soulager sa vie trop solitaire et laborieuse de s’occuper de la garde de leurs propres enfants. Tout en accomplissant cette tâche, il s’amusa à leur confectionner des jouets à l’aide de divers matériaux de récupération. Il se prit au jeu de la création. Croisant un jour des voisins remontant des galets de la rivière toute proche pour quelques travaux de maçonnerie, l’envie lui vint d’essayer d’en sculpter. Il s’attaqua ensuite à des roches et des rochers de plus grande taille. Le bouche à oreille aidant, une réputation d’artiste-paysan se mit à circuler sur son compte, laquelle fit l’objet d’un article dans un magazine local.
Lin Yuan sur un de ses rochers peints, ph. extraite de la monographie sur Lin Yuan, DR
Un banquier fortuné de la ville de Pu li dénommé Huang Pinsong, lui rendit visite et, fasciné par cette œuvre singulière, lui acheta la totalité de sa production. Lin Yuan, encouragé alors par l’enthousiasme de Huang, décida de se consacrer désormais sans relâche à ses activités créatrices. A partir de ce moment, et suite à sa rencontre avec Hung Tung, autre créateur autodidacte aujourd’hui également reconnu, il convint de diversifier ses travaux en s’initiant à la peinture et même à la broderie sur toile.
Broderies de Lin Yuan, ph. extraite de la monographie sur le créateur, DR
Soutenu par quelques intellectuels et artistes, la réputation de Lin Yuan s’élargit alors au-delà des limites du comté. Quelques expositions furent organisées dans différentes villes de Taiwan et son protecteur Huang Pingsong contacta même Jean Dubuffet pour attirer son attention sur Lin Yuan.
Lettre de Jean Dubuffet à Ping-Song Huang, 9 novembre 1982, reproduite dans la monographie sur Lin Yuan, DR
Au milieu des années 80, ce même Huang Pingsong décida d’acquérir à Pu li un terrain pour présenter les œuvres de son protégé et lui permettre d’en créer de nouvelles en lui offrant de meilleures conditions de vie et un minimum de confort. Lin Yuan s’installa ainsi dans une petite maison qui y fut alors construite à son intention (actuellement encore habitée par l’un de ses fils). Aujourd’hui le jardin qui comprend un petit musée et est agrémenté de ses sculptures les plus volumineuses, est devenu un lieu de promenade et de villégiature : après la disparition de Lin Yuan en 1991, son mécène fit construire une cafétéria et un ensemble hôtelier en bungalows pour recevoir des groupes de touristes et rentabiliser le lieu.
Moufflon de Lin Yuan, photo Remy Ricordeau, 2014
Les nombreuses sculptures en extérieur, malgré le peu de soins apportés à leur présentation et à leur conservation, sont impressionnantes par leur grande force expressive qui ne s’embarrasse pas de fioritures. Jamais peut être la notion de « brut » ne s’est aussi bien appliquée à une œuvre qu’à celle de Lin Yuan. Les traits grossiers, comme les coups de marteaux ou de ciseaux vont à l’essentiel. L’artifice est absent de cette œuvre que l’on sent convulsive, comme si elle avait dû être réalisée dans une urgence pour rattraper un temps perdu. Pendant les sept ans que dura son séjour à l’Oreille de Buffle, il aurait créé plusieurs centaines d’œuvres de tous formats et sur tout support afin d’alimenter ce qui allait devenir son musée. Une photo le représente assis sur une des roches qu’il a sculptée dans l’attitude de celui qui vient de terrasser un monstre.
Lin Yuan, Le Baiser, ph. Remy Ricordeau, 2014
La sculpture semblait pour lui un combat ou un défi qu’il relevait chaque jour comme si l’enjeu était de parvenir à maitriser une matière brute qui ne cessait de lui résister. La lutte dût être si intense qu’en 1988 il tomba malade et dût être hospitalisé. Après cette crise, devant ménager ses forces, il privilégia des créations moins physiques comme la broderie ou la peinture.
Lin Yuan, la femme de mauvaise vie, ph. R.R., 2014
Si l’inspiration de Lin Yuan est fortement influencée par son milieu d’origine, ce qui l’amènera à représenter nombre d’animaux domestiques, d’élevage ou sauvages, il était également très porté sur des sujets que traditionnellement les Chinois ont plutôt tendance à occulter : l’amour et la sexualité (selon l’historien sinologue Van Gulik, la représentation amoureuse ou sexuelle dans l’art chinois a le plus souvent une visée didactique). Ces deux thèmes sont pourtant très présents dans l’œuvre de Lin Yuan, quelques-unes de ses représentations, sans aucune visée didactique, confinant même à une certaine pornographie comme cette femme de mauvaise vie exhibant les parties les plus intimes de son anatomie. Les attributs sexuels masculins, souvent de taille fort honorable, sont également très souvent représentés dans ses peintures comme dans ses sculptures les plus monumentales. Dans un pays de culture encore très pudibonde, cette partie de son œuvre fut interprétée de son vivant comme la conséquence de son veuvage précoce. Lui ne s’en expliqua jamais, s’amusant sans doute des explications délivrées en son nom et n’en continuant pas moins allègrement à représenter des personnages librement inspirés.
Remy Ricordeau
¹ A Taïwan et désormais en Chine où l’emploi du terme se diffuse dans les milieux intéressés, on emploie maintenant le vocable de Su ren yi shu pour désigner l’art brut que l’on pourrait littéralement traduire par l’art des hommes purs, contrairement à Tien zhen yi shu qui signifie art naïf, Tien zhen signifiant en l’occurrence naïf.
00:19 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art populaire contemporain, Art singulier, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (22) | Tags : environnements spontanés taïwanais, art brut à taïwan, lin yuan, art brut chinois, le parc de l'oreille de buffle, pu li, huang pinsong, hung tung, jean dubuffet, rochers sculptés, van gulik, amour et sexualité en chine | Imprimer
21/04/2014
Art brut à Taïwan (5): Le jardin enchanté d'un garde-barrière retraité, Chen Kunpiao
Le jardin enchanté d'un garde-barrière retraité
Avant mon départ pour Taiwan à la recherche d’environnements spontanés, je m’étais renseigné auprès de quelques amis sur place susceptibles de me suggérer quelques pistes. Une amie m’avait alors indiqué avoir entendu parler par une de ses connaissances d’une « installation » étrange entrevue par celle-ci quelques années auparavant devant une maison des faubourgs de la ville de Taidong le long de la route qui mène à Kuanshan.
La brève description qui m’en avait été faite m’avait fort intrigué : un petit ensemble bariolé avec des animaux divers de facture très grossière. Muni de ces renseignements lapidaires, j’ai parcouru lentement la route dans la direction indiquée. Au bout d’une vingtaine de kilomètres, ma recherche s’était révélée vaine. Persuadé que le site avait été détruit, j’effectuai le trajet de retour vers Taidong très déçu de cette déconvenue. Mais comme souvent lors de ce genre de recherche, la magie se manifeste lorsqu’on ne l’attend plus. C’est dans la partie la plus dense du faubourg, là où précisément je ne pensais pas le trouver, que je le découvrai finalement. Installé à même le trottoir, sans doute masqué par une voiture lors de mon premier passage, l’ensemble bariolé pourtant de taille fort modeste m’apparut tout d’un coup dans son énormité, c’est à dire dans toute la mesure de son incongruité en un tel lieu.
Le préambule, côté rue, ph. Remy Ricordeau, 2014
Je m’arrêtai donc pour photographier cette curiosité et essayer de me renseigner sur son créateur. M’adressant à quelques ménagères qui conversaient bruyamment devant la boutique voisine, on me fit comprendre avec quelque malice que je ne voyais là qu’un préambule à la partie « la plus belle » qui se trouvait derrière la maison. J’utilise des guillemets car je crus déceler dans le ton de leurs propos une ironie moqueuse, ce que la suite me confirmera. Passablement excité par la vue de cette première partie dont la forme et les couleurs m’apparaissaient déjà aussi originales qu’intrigantes, je fis donc le tour du pâté de maisons pour accéder à la cour arrière qu’on m’avait indiquée. Les voisines ne m’avaient pas menti. Et je leur en suis d’autant plus reconnaissant que sans leurs indications je me serais sans doute contenté du préambule, sans imaginer que l’essentiel se trouvait à l’arrière.
Devant la porte arrière de la maison, une girafe et un footballeur faisant sécher 2 pantoufles, ph. RR, 2014
L’essentiel, en l’occurrence, est constitué d’un incroyable jardin ou des éléments végétaux, arbustes et plantes tropicales, côtoient de très étranges sculptures en ciment de facture très grossière représentant divers spécimens du monde animal.
Le jardin arrière vu de la ruelle, ph. RR, 2014
Sans certitude, j’ai cru en effet reconnaître des bovins, des éléphants, des girafes, des oiseaux, ainsi que d’autres animaux plus difficilement identifiables disposés au milieu de pierres ou de galets peints des couleurs les plus éclatantes. Quelques représentations humaines aux allures de footballeurs, ce qui est fort étrange dans un pays où ce sport n’est pas particulièrement populaire, figurent également dans ce jardin extraordinaire.
Le jardin arrière, vue générale, ph. RR, 2014
La première chose qui m’a frappé, outre le choix de couleurs identiques au site de M. Huang à Taizhong, est le fait que le sol des allées de ce petit jardin y était également décoré dans une forme et dans une esthétique très proches. J’apprendrai par la suite que son créateur, M. Chen Kunpiao, ainsi que sa famille avec laquelle il vit, ignorent absolument l’existence de l’œuvre de leur compatriote de Taizhong.
L'entrée du jardin, ph. RR, 2014
Une partie du jardin sous tonnelle avec personnages, ph. RR, 2014
Je commençais de la rue à prendre quelques photos lorsque je vis une femme sortir de la maison pour mettre du linge à sécher. Après m’être présenté, elle sembla étonnée que l’on puisse porter de l’intérêt à son jardin, d’autant plus peut-être que celui qui s’y intéressait était occidental. (Les occidentaux sont très peu nombreux dans cette partie de l’île). Elle m’expliqua qu’en vérité ce n’était pas son jardin mais celui de son père avec lequel elle vit et dont elle s’occupe avec sa famille. (Il n’est pas rare à Taiwan de voir trois générations vivre sous le même toit). Celui-ci, garde-barrière à la retraite et aujourd’hui âgé de 94 ans (une autre similitude avec Huang Yongfu) s’est mis à récolter des pierres et des galets depuis une vingtaine d’années et consacre son temps à les agencer de la sorte. Il s’est également mis à sculpter le ciment et tous les matins de l’année il passe son temps à peindre et repeindre inlassablement le jardin.
Un détail, ph. RR, 2014
Son activité créatrice est devenue si obsessionnelle, m’a expliqué sa fille, que celle-ci a dû lui interdire de s’attaquer aux murs de la maison qu’il semble un temps avoir convoités. J’ai senti aux explications de celle-ci un certain désarroi ou une certaine honte à l’égard de l’activité créatrice de son père qu’elle ne comprend et ne goûte visiblement pas. Par égard pour lui, elle le laisse faire et accepte sa création comme expression de sa sénilité au prix sans doute de quelques moqueries de la part du voisinage. Sur mon insistance, elle est allée chercher son père qui finissait son repas à l’intérieur de la maison. Celui-ci a écouté mes louanges d’un air amusé. Je lui ai montré des photos de sites français créés dans un esprit similaire. J’ignore s’il a vraiment compris ce que je lui disais car il semblait un peu ailleurs et répondait à mes questions d’une manière plutôt incohérente. Il manifestait en tous cas peu de soucis de complaire à quelque public que ce soit. Pour l’essentiel je suis resté sur ma faim quant aux motivations de sa démarche créatrice. J’aurais aimé avoir avec lui un échange un peu plus approfondi mais de toute évidence, au crépuscule de sa vie, le temps des explications était déjà passé.
Chen Kunpiao, le créateur, ph. RR, 2014
19/04/2014
Gens ordinaires et univers imaginaires
Le printemps est donc là avec son cortège de projections de docu sur l'art brut et consorts. Hors-Champ à Nice doit être en train de mettre la dernière main à son programme de fin mai début juin au MAMAC de Nice. Peut-être pour nous mettre l'eau à la bouche, voici que son animateur principal, Pierre-Jean Wurst, avec la complicité de Denis Lavaud son homologue parisien féru de cinéma autour des arts populaires, monte à Paris avec un programme de films certes déjà vus ici ou là, mais que les néophytes auront tout intérêt à aller découvrir si ils veulent s'initier de façon vivante et cinétique aux créateurs de l'art brut et apparentés. Demandez donc le dit programme...
Une fois celui-ci placé sous les yeux de tout un chacun, je me permettrai de me fendre de conseils de visionnage pour ceux qui voudraient se faire une culture, ou une anti-culture vite faites en matière de cinéma documentaire sur les arts populaires modernes. Sans aller jusqu'à faire comme les surréalistes qui préconisaient "lisez ceci... et ne lisez pas cela...", ce qui serait d'actualité dans d'autres cas –car tout un chacun a bien le droit d'exprimer ses préférences et ses haines, en dépit de tous les crétins amateurs de nivellement– on peut en l'espèce indiquer quelques pistes qui d'après moi s'annoncent plus originales que d'autres. La programmation est prévue pour deux jours le samedi 26 et le dimanche 27 à la MAISON DES CULTURES DU MONDE (101, bd Raspail dans le VIe ardt, et NON à la Halle St-Pierre... auprès de qui par ailleurs il est prudent de réserver sa place), dans le cadre du toujours passionnant Festival de l'Imaginaire qui se tient depuis des années à Paris, proposant diverses manifestations autour des arts populaires du monde entier (ils ont une antenne, si je puis dire, à Vitré, au Centre Français du Patrimoine Immatériel, où sont montées à la belle saison généralement d'alléchantes expositions, comme par exemple cette année "ANIMAUX TOTÉMIQUES ET DRAGONS PROCESSIONNELS, Le bestiaire fantastique des fêtes méridionales" du 26 avril au 21 septembre).
Animaux (loups?) de procession dans le Midi de la France, image extrait du site du CFPCI
Je ne pense personnellement pas venir le samedi 26, où seuls quelques titres m'intriguent (le samedi matin: Le jardin fantastique de Fiorenzo Pilla de Giuseppe Trudu, en présence du réalisateur ; Driven by vision (Jim Bishop) de Michael McNamara ; et surtout le samedi après-midi Emile Ratier d’Alain Bourbonnais en présence de Caroline Bourbonnais), car malheureusement placés avec d'autres déjà vus dans de précédentes programmations.
Emile Ratier, un de ses assemblages de bois, une grande roue foraine, collection permanente du Musée de la Création Franche, Bègles
En effet, certains autres films comme celui annoncé sur Yvonne Cazier "peintre-médium", s'annoncent, si je me base sur les images d’œuvres récemment reproduites dans le dernier numéro de Création Franche, comme de possibles fausses découvertes. Comme si on s'ingéniait à nous trouver des prolongements spirites à l'heure actuelle, ce qui jusqu'ici n'est pas prouvé, les créateurs (et en l'occurrence plutôt les créatrices) proposés lors d'autres manifestations (Marie Jeanne Gil par exemple ou Henriette Zéphyr) étant assez peu originaux je trouve. Le lecteur cela dit, comme je l'ai déjà dit, se fera bien entendu, à propos d'Yvonne Cazier, son opinion seul à l'aide du programme dans le lien inséré plus haut.
Non, personnellement, je passerai peut-être plutôt le dimanche après-midi, même si je vous conseille de vous débûcher le matin pour aller voir les trois films programmés, l'excellent film de Milka Assaf sur Gugging, et ses créateurs dont plusieurs désormais disparus comme August Walla ou Johan Hauser, et aussi le très poétique documentaire de Vincent Martorana sur Justin de Martigues. L'après-midi, les films sont intéressants aussi. Sont prévus des films de Decharme sur ses chouchous déjà insérés dans son film Rouge Ciel (avec entre autres un sujet sur l'abbé Fouré à propos duquel j'espère qu'il aura fait une mise à jour côté biographie? Parce que son inspiration n'a rien à voir avec une bande de flibustiers du nom de Rothéneuf...), un film de Del Curto et Genoux sur Pya Hug, et un autre sur un créateur asiatique (japonais je crois me souvenir), Macoto Toya –déjà montré par exemple au Lieu Unique à Nantes il y a deux ans– plus le toujours génial film de Michel Ettter, Martial, l'homme-bus, sur une figure de la rue de Lausanne.
Cet après-midi-là, il y a encore un autre film, à se fier à la consonance du patronyme sur un site coréen, Mok Sok Won (ce qui veut dire jardin de bois et de pierres) de Muriel Anssens et Jean-Louis Bartoli. De la poésie naturelle en bord de mer interprétée par un artiste qui hélas plaque un peu trop semble-t-il son idéologie New Age, ce qui plaira certainement à tous nos "artbrutistes" amateurs de contre-culture. Un peu de poudre mystico-dingo faisant toujours bien dans le décor.
09:05 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art populaire contemporain, Art populaire insolite, Art singulier, Cinéma et arts (notamment populaires), Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : association hors-champ, mok sol won, cinéma et arts populaires, environnements spontanés | Imprimer
12/04/2014
Art brut à Taïwan (4): Le jardin en folie d’un aborigène Amei, par Remy Ricordeau
Le jardin en folie d’un aborigène Amei
Après avoir traversé la montagne d’Ouest en Est, je suis arrivé sur la côte pacifique de Taiwan. La région qui s’étend de l’estuaire des gorges de Taroko, un peu au nord de Hualien, jusqu’à la ville de Taidong, plus au sud, est une zone de peuplement aborigène. Jusqu’à sa sinisation plus ou moins forcée à l’époque de la colonisation japonaise (de la fin du XIXe siècle à la fin de la seconde guerre mondiale), la région était essentiellement habitée par les aborigènes Amei. Si à l’époque moderne beaucoup d’entre eux ont dû s’exiler pour chercher du travail en ville (le plus souvent comme manœuvres sur des chantiers de construction), beaucoup ont gardé des attaches avec la terre de leurs ancêtres et reviennent s’y établir à l’âge de la retraite. C’est le cas de Wu Tianlai qui, issu d’une famille de paysans Amei, avait quitté sa région pour gagner sa vie comme jardinier sur les terrains de golf à Taiwan et ultérieurement au Japon avant de revenir s’établir sur sa terre d’origine.
Portrait de Wiu Tianlai par son fils Wu Zhexiong, DR
Empreint de la culture traditionnelle Amei très respectueuse de la terre, dans le sens symbolique communautaire autant qu’écologique du terme, il avait hérité d’un terrain en bordure de mer au lieu-dit de la montagne aux buffles (Niu shan).
Wu Tianlai, Le buffle en matériaux naturels trouvés et assemblés, mis en situation au-dessus de la propriété, photo Remy Ricordeau, 2014
Wu Tianlai, entrée du site, ph. RR, 2014
Wu Tianlai, côté plage, l'arbre à tongs, ph. RR, 2014
Il y a plus d’une vingtaine d’années, il entreprit de le mettre en valeur en l’agrémentant de quelques-uns des nombreux bois flottés trouvés sur les plages environnantes. Dans un premier temps, il se contenta de les choisir en fonction de leurs formes suggestives sans autres interventions de sa part. Mais dans un second temps il se prit au jeu de les transformer légèrement en ajoutant quelques traits de peinture ou en effectuant quelques entailles sur le bois pour accentuer les formes qu’il voulait faire apparaître.
Doué d’un goût certain dans le choix de ses matériaux et d’un sens de l’humour non dénué de provocation, l’âge de la retraite venant, il décida de diversifier ses activités créatrices. Renouant avec la tradition totémique de ses ancêtres, il réalisa quelques sculptures de grande taille. Mais ce retour à la tradition s’effectua en vérité pour mieux la transgresser car beaucoup de ces sculptures sur bois comportent en effet des connotations grivoises assez peu orthodoxes. Ainsi prenait forme petit à petit un jardin en liberté dont il avait rêvé au cours de sa vie de jardinier salarié. Pour parachever le bestiaire qu’il s’était déjà créé, il s’initia enfin au travail du ciment afin de réaliser des pièces trop volumineuses pour être exécutées en bois.
Wu Tianlai, une partie du bestiaire, ph. RR, 2014
Wu Tianlai, l'intellectuel..., ph. RR, 2014
Wu Tianlai, I love you, ph. RR, 2014
Wu Tianlai, le diable en érection, ph. RR, 2014
Fidèle à sa philosophie il sensibilisa son fils, Wu Zhixiong, à la nécessité de respecter le lieu et lui transmit le terrain pour lui permettre d’y vivre en ouvrant un café et un gîte afin d’y recevoir des visiteurs de passage. Lorsque je m’y suis rendu, ceux-ci étaient peu nombreux. Wu Tianlai et son fils étaient en outre absents, partis pour la journée effectuer quelques travaux à l’extérieur. Seule sa belle fille présente pour servir les clients put répondre à quelques-unes de mes questions. Elle m’expliqua que depuis plusieurs années déjà père et fils travaillaient de conserve à l’entretien et à l’embellissement du jardin. Elle me raconta qu’un an auparavant une partie des sculptures en bois avaient été détruites par un incendie consécutif à un court circuit. Depuis, le père et le fils avaient mis les bouchées doubles pour créer de nouvelles sculptures ou, tirant partie des œuvres en partie calcinées, avaient réussi à les intégrer de nouveau au jardin afin de rendre le lieu à sa magie originelle. Aujourd’hui, le fils étant devenu aussi créatif que son père, le jardin pouvait donc être considéré comme une œuvre conjointe.
Wu Tianlai, sculpture calcinée, ph. RR, 2014
Dans ce décor grandiose entre mer et montagne, il émane de ce jardin de la montagne aux buffles un souffle magique étonnant empreint d’une grande sérénité. L’originalité du lieu me semble tenir au fait qu’il relève autant de la poésie naturelle que de la création brute. Mais foin de catégorisation car du fait de l’origine ethnique de ses créateurs, il est également un exemple intéressant de ce que l’on pourrait appeler un art populaire transgressif ; c'est-à-dire d’un art populaire qui s’est émancipé des caractéristiques traditionnelles dont ses créateurs se sentent par ailleurs héritiers. Ainsi l’avenir de l’art et de la culture Amei passe assurément par le jardin de la montagne aux buffles.
Remy Ricordeau
00:56 Publié dans Art Brut, Environnements populaires spontanés, Poésie naturelle ou de hasard, paréidolies | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : wu tianlai, jardin de la montagne aux buffles, aborigènes amei, aborigènes de taïwan, art brut taiwanais, environnements spontanés taïwanais, poésie naturelle, diable, sculpture sur bois brûlé, totems, bois flottés | Imprimer
03/04/2014
Art brut à Taïwan (3): La falaise sculptée du paysan Chen Ruiguang, par Remy Ricordeau
La falaise sculptée du paysan Chen Ruiguang
A l’Est d’une plaine côtière large d’une cinquantaine de kilomètres, la partie centrale de l’île de Taiwan est constituée d’une zone montagneuse qui court du Nord au Sud. Sur les contreforts de la montagne Alishan, la préfecture de Jiayi, au centre de l’île, est une région d’agriculture tropicale (Taiwan est traversé par le tropique du Cancer) à la végétation luxuriante. Champs d’ananas, de bananiers ou de cocotiers côtoient des plantations de caféiers, lesquels ont justement besoin de l’ombre de ces derniers pour se développer. Si la nature se montre ici généreuse, les paysans qui travaillent cette terre n’en ont pas pour autant fait fortune. Les parcelles sont petites qui obligent souvent les enfants à aller chercher du travail à la ville. Ceux qui restent, s’ils savent se contenter de revenus modestes, ont au moins la satisfaction de ne pas se tuer à la tâche : peu de travail en effet en dehors des périodes d’entretien ou de récolte, ici la nature accomplit seule la besogne.
Portrait du créateur extrait d'un site web chinois, DR
Peut-être est-ce cette relative disponibilité de temps qui a amené Chen Ruiguang, un paysan du district de Zhong Pu à vouloir commencer à s’exercer à la calligraphie. Cet art lui plaisait mais n’ayant pas poursuivi ses études au-delà du cycle primaire, il en était resté ignorant. Ses premiers travaux sur papier se révélèrent d’une facture maladroite. Sans doute, étant lui-même insatisfait devant ces premiers résultats, l’envie lui vint alors de changer d’exercices et de se mettre à copier des hiéroglyphes égyptiens sur des écorces d’arbre récupérées. Encouragé par des résultats qui le comblaient davantage, il songea qu’il pouvait s’essayer à copier également des caractères chinois primitifs, du type de ceux qui ont été gravés il y a quelques milliers d’années sur des carapaces de tortue (Les Jiakuwen qui constituent les premières inscriptions connues de l’écriture chinoise). L’exercice lui plut et voulant passer de la copie à la création il se mit à en imaginer et à en dessiner d’autres de même facture, mais cette fois de son cru.
Inscription sur rocher, photo Remy Ricordeau, 2014
Au début des années 2000, arrivé à l’âge de la cinquantaine, M. Chen s’avisa de la fragilité des supports qu’il avait jusqu’alors utilisés. Il se dit que s’il se mettait à graver ses caractères sur quelque rocher, il laisserait ainsi des traces moins éphémères de son passage sur terre, à l’image de certains empereurs dont des calligraphies ont pu être reproduites sur les montagnes sacrées taoïstes.
Echafaudage nécessité par les travaux d'inscription de Chen Ruiguang, cliché extrait d'un site web chinois, DR
Non loin de chez lui se trouvait précisément une petite falaise dont la roche, suffisamment plane pour être gravée, s’étendait sur une longueur d’une centaine de mètres. Aidé de quelques amis, il en débroussailla les abords et ouvrit un chemin pour y accéder (lequel fut goudronné quelques années plus tard).
Inscriptions sur roche le long de la route goudronnée, ph. RR, 2014
Au grand désespoir de sa femme qui le considérait comme mentalement un peu dérangé, il décida alors de ne se consacrer dorénavant qu’à la réalisation de son grand œuvre. A cette fin il installa un échafaudage en bambou pour accéder à la partie supérieure de la falaise haute de plus d’une dizaine de mètres et se mit à graver.
Ph. RR, 2014
En un peu plus de cinq ans, au prix d’un travail journalier, M. Chen a ainsi à peu près couvert la totalité de la surface disponible. Du fait de l’humidité du climat les premières graphies commencent à être recouvertes de mousse. Je n’ai pas eu le loisir de rencontrer le créateur qui a la réputation d’avoir un caractère un peu bourru. Mais à ce qu’il m’a été confié, il songerait à les rendre de nouveau un peu plus visibles.
Ph. RR, 2014
Je n’ai malheureusement pas obtenu d’informations fiables sur les raisons d’un tel acharnement dans la création ni non plus sur le sens ou le message mystérieux dont cette étrange calligraphie se veut peut-être le vecteur. Les voisins prétendent qu’elle ne veut rien dire. C’est peut-être vrai à moins que pour quelque raison le créateur veuille garder pour lui son secret. Il est certain cependant que d’éventuels archéologues des siècles futurs se perdront en conjectures en essayant de déchiffrer le sens de ces inscriptions qui, pour un néophyte, ont toutes les apparences de véritables caractères chinois. En utilisant en effet des éléments constituant des caractères réels, M. Chen s’est amusé à créer une écriture imaginaire pour son propre plaisir. Seuls quelques dessins ou traits d’animaux ou de visages viennent cependant mettre la puce à l’oreille de l’observateur en le laissant soupçonner une supercherie. Mais c’est précisément l’intérêt de ce site que d’intriguer le passant par le mystère de ses inscriptions car il y a fort à parier que le badaud resterait indifférent s’il ne se trouvait en présence que de simples reproductions de sentences vertueuses.
Remy Ricordeau
Sur cette paroi le long de la route on voit des dessins mêlés aux inscriptions, davantage des sortes de pictogrammes que des signes chinois ; ph. RR, 2014
09:42 Publié dans Art Brut, Art populaire insolite, Environnements populaires spontanés, Inscriptions mémorables ou drôlatiques | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : art brut à taïwan, environnements spontanés taïwanais, chen ruiguang, remy ricordeau, écriture chinoise, caractères chinois primitifs, inscriptions imaginaires, écriture simulée, falaise gravée d'inscriptions | Imprimer
28/03/2014
Recoins à la Halle Saint-Pierre
La revue Recoins est accueillie à la Galerie de la Halle Saint-Pierre à partir du 3 jusqu'au 27 avril. Une exposition est prévue aux cimaises du rez-de-chaussée (l'espace circulaire qui ceinture le hall) de ce centre culturel désormais bien connu pour héberger temporairement de l'art brut, de l'art singulier, et de l'art populaire. Recoins, revue basée à Clermont-Ferrand et animée par un collectif de jeunes dessinateurs, graveurs, collagistes et et écrivains, en plus de s'intéresser au rockn'roll, au blues, aux musiques hors-les-normes, à la littérature, à la boxe, traite régulièrement des environnements spontanés, notamment cantaliens, mais aussi de l'art des handicapés mentaux.
Bernard Jugie, à Billom, un lion sculpté en bas-relief, coll. Bruno Montpied
Bernard Jugie, sans titre (trot attelé), peinture sur carton, coll. BM
L'exposition qui s'annonce devrait réunir plusieurs créations d'autodidactes populaires, comme Pierrot Cassan (sous réserve), René Delrieu (des dessins prêtés par le musée du Veinazès et donc très peu connus en dehors de ce lieu), des sculptures de Bernard Jugie, créateur de Billom, Puy-de-Dôme, que j'ai évoqué il y a deux ans dans Création Franche n°37, voir sur ce blog mes infos-miettes n°21) et de François Aubert, inspiré du Cantal, des peintures de Paul Cuni, des girouettes naïves d'Antoine Rouchès et des œuvres de créateurs venus de la Passerelle, cet atelier d'arts plastiques pour handicapés animé par Romuald Reutimann à Cherbourg (avec entre autres Kevin Raffin et Béatrice Bourguillot) que j'ai souvent évoqué sur ce blog.
Recoins à la Halle St-Pierre, le programme complet, avec un dessin de René Delrieu en illustration
Comme l'indique l'affichette ci-dessus, il y aura un vernissage le samedi 5 avril avec un diaporama d'Emmanuel Boussuge, le directeur de la publication, sur les "irréguliers du Cantal" à l'auditorium. Sans nul doute que nous aurons à cette occasion quelques surprises et quelques aperçus des dernières découvertes d'EuBée concernant l'art populaire contemporain qui nous est cher.
E.Boussuge avec Raymond Poulalion un inspiré du Cantal, 2007
23:15 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art populaire contemporain, Environnements populaires spontanés, Littérature, Musiques d'outre-normes | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : recoins, boxe, paul cuni, bernard jugie, françois aubert, irréguliers du cantal, environnements spontanés, inspirés du bord des routes, rené delrieu, pierrot cassan, raymond poulalion, girouettes | Imprimer
23/03/2014
Art brut à Taiwan (2): Le temple idéal d'un pisciculteur taoïste, par Remy Ricordeau
Le temple idéal d'un pisciculteur taoïste
Au sud de Taizhong, la côte ouest de Formose est en grande partie dévolue à la pisciculture ainsi qu’à la culture des huîtres et coquillages dont raffolent les Taïwanais. Dans le district de Fuxing sur la commune de Zhanghua, Huang Qichun (un autre M Huang) est un pisciculteur qui s’est spécialisé dans l’élevage de poissons exotiques destinés au plaisir des aquariophiles. Pour satisfaire ses clients, M Huang les fournit également en coquillages évidés, pierres colorées ou débris de coraux afin de décorer les aquariums. Même si cette activité professionnelle nécessite sans doute une certaine sensibilité artistique, elle ne le prédisposait cependant pas particulièrement à devenir le créateur de la plus étrange construction qu’il m’ait été donné de voir à Taiwan.
Huang Qichun, portrait photographique extrait d'un site web chinois, DR.
Après le décès de sa femme il y a une trentaine d’années, et pour ne pas en être séparé, M Huang lui a construit une tombe dans le jardin, juste derrière sa maison. Comme de son vivant celle-ci était particulièrement pieuse, il a également décidé de lui consacrer un temple, non pour l’honorer, précise-t-il, mais pour permettre à celle-ci de prier sur place lorsque, selon les croyances taoïstes, son esprit redescend sur terre pour rendre visite aux vivants qui lui étaient proches.
N’étant pas fortuné il se mit donc en demeure de construire le bâtiment de ses propres mains et avec les moyens du bord. Il n’avait par ailleurs aucune expérience particulière en maçonnerie ou en charpente, aussi commença-t-il assez naturellement sa construction sans plan particulier et en utilisant les matériaux à sa disposition, c'est-à-dire pour l’essentiel ceux que lui fournissaient ses voisins conchyliculteurs et ostréiculteurs. Une étrange bâtisse sortit ainsi de terre décorée de coraux et de coquillages les plus divers et agrémenté de débris de statues religieuses en céramique multicolore destinées au rebut. L’extérieur est entièrement constitué de coquilles d’huîtres sauvages, ce qui explique leur grande taille, et est enserré dans une structure métallique qui évoque des échafaudages, afin de protéger le passant de la chute éventuelle d’éléments de décor. Car M Huang avoue ne pas être tout à fait sûr de la solidité de sa construction.
Les objets qui forment le décor intérieur sont un mélange de personnages mythologiques et de chimères propres aux croyances taoïstes ainsi que des représentations de visions qui lui sont plus personnelles. Le lieu est séparé en différents espaces. Passé la porte d’entrée lourdement décorée de rocaille et de coquillages, une première cour arborée constitue une sorte de vestibule à ciel ouvert qui donne accès au temple proprement dit. Il est gardé par dix-huit Luo han qui selon la mythologie taoïste sont en quelque sorte les soldats de l’au-delà, ceux qui font régner un minimum d’ordre dans l’enfer et le paradis. Alors que d’ordinaire dans les temples ceux-ci sont toujours en tenue d’apparat avec armes et armures, ici M. Huang les a représentés torse nu effectuant différents mouvements de kung fu qu’il a lui-même appris au cours de son service militaire. Seuls les visages qu’il dit ne pas savoir sculpter sont des masques récupérés, ce qui donne une étrange allure à ces personnages. Le temple lui-même, de forme carrée, est constitué d’une pièce centrale dédiée à vénérer Wang Gong, un des dieux de la terre les plus importants du panthéon taoïste.
Deux des luo han agrandis, ph. Remy Ricordeau (comme les deux précédentes), 2014
Plus intéressante est la galerie qui entoure cette pièce centrale sur trois de ses côtés. Dans celle-ci se trouvent en effet les plus surprenantes chimères que l’imagination humaine ait conçues. Ce sont des Qi ling, animaux mythologiques protecteurs de la terre. Ceux-ci sont ici très expressifs et très richement recouverts d’une variété étonnante de coquillages et de coraux qui ne sont pas sans rappeler les créations colorées et baroques d’un Paul Amar.
Tête d'un des qi ling, ph. RR, 2014
La galerie accueille malheureusement aussi quelques statues artefact d’une facture particulièrement kitch représentant les diverses déesses que l’on retrouve dans les très nombreux temples taoïstes de Taiwan.
Dans la partie du temple dédié à Wang Gong se trouve un petit escalier accédant à un couloir souterrain qui relie le temple à l’espace commercial de M Huang. Dans l’esprit de celui-ci, cette partie du site est indépendante du temple lui-même. D’une longueur de vingt à trente mètres, le couloir est entièrement décoré par des représentations de visions qui lui sont apparues dans sa jeunesse lors d’une tragique circonstance. Au cours d’une baignade avec quelques camarades dans la mer toute proche il avait été emporté par les vagues déferlantes et sauvé in extremis de la noyade. Ayant perdu connaissance, il raconte que ce sont des dragons et des phénix (qui règnent sur les mers et les airs) qui l’ont sorti de ce mauvais pas. Ils lui sont encore apparus ultérieurement lors de la construction du temple et lui ont alors demandé de les représenter également. Le couloir leur est donc entièrement dédié.
Le couloir aux dragons et phénix, ph. RR, 2014
Détail du plafond cloisonné, ph. RR, 2014
Le plafond est entièrement cloisonné et composé de figures en fleurs de coquillages. La toiture quant à elle est en partie constituée d’éléments de céramiques cassées et de statues comportant des malfaçons que M Huang a recyclées pour agencer un décor.
Détail d'une partie du toit, ph. RR, 2014
Sa partie la plus intéressante représente une sorte de proue de bateau décorée d’un phénix qui donne à l’ensemble du bâtiment de forme un peu massive, une allure de vaisseau prêt à s’envoler vers quelque destination dont tout donne à penser que seul son créateur a le secret¹.
Remy Ricordeau
La proue (en haut à gauche), vue de l'arrière du temple, ph. RR, 2014
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¹ Peut-être vers le même espace intersidéral que le dragon d'André Gourlet, créateur d'environnement à Riec-sur-Belon (Finistère) qu'on aperçoit dans le fil que nous avons co-écrit, cher RR...?
06:00 Publié dans Art Brut, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : environnements spontanés taiwanais, art brut à taïwan, remy ricordeau, huang qichun, district de fuxing, pisciculteur, taoïsme, mythologie taoïste, dragons et phénix, mosaïque de coquillages, paul amar | Imprimer
14/03/2014
Art brut à Taiwan (1): Les visions nocturnes du vieux soldat Huang Yongfu, par Remy Ricordeau
Nous débutons ici une série de petites présentations de diverses formes de création autodidacte brute repérées à Taiwan par Remy Ricordeau qui, en dehors d'être un cinéaste documentariste dont j'ai déjà parlé à plusieurs reprises sur ce blog, est également un fin connaisseur de la Chine. Le résultat de ses prospections sur l'ancienne île de Formose est proprement excitant. Je lui souhaite de pouvoir bientôt l'éditer sur papier et le remercie par la même occasion d'avoir choisi le Poignard Subtil pour faire bénéficier ses lecteurs en avant-première en quelque sorte de ses découvertes.
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Les visions nocturnes du vieux soldat Huang Yongfu
En concluant ma note du 27 août 2013 dans laquelle je vous faisais part d’une étonnante découverte en matière d’environnements spontanés à Taiwan, celui de M. Huang Yongfu¹ à Taizhong, je faisais le pari, qui relevait plus en vérité d’une intuition, que tout restait encore à découvrir dans ce pays pour qui s’intéresse aux inspirés du bord des routes.
Taiwan (anciennement Formose)
Bien sûr, Taiwan était déjà connu pour ses naïfs qui avaient fait l’objet à Paris d’une belle exposition à la Halle Saint-Pierre il y a une quinzaine d’années. Quelques-uns de ces créateurs (relevant à dire vrai plutôt de l’art brut que de l’art naïf), Hung Tung, Lin Yuan, etc, pour les plus talentueux et originaux d’entre eux, sont ainsi aujourd’hui reconnus à leur juste valeur et sont consacrés artistes nationaux dans leur pays du fait du rayonnement international dont l’île, en mal de reconnaissance à tout point de vue, bénéficie par leur intermédiaire.
Il faut reconnaître que sur le terrain artistique contemporain, à l’exception du domaine cinématographique et peut-être chorégraphique, Taiwan ne brille pas d’un feu très intense au-delà de ses propres frontières. Mais cette découverte du 27 août, associée à la connaissance que j’avais d’un art populaire encore persistant entre autres au sein des communautés aborigènes qui forment la population originelle de l’île (constituée, rappelons-le, de 13 groupes ethniques qui préexistaient avant les premières migrations chinoises initiées par les Hollandais à la fin du XVIe siècle) me laissait supposer que d’autres découvertes devaient être possibles. Disons-le tout de suite, la réalité a dépassé mes espérances.
Je me suis bien sûr d’abord rendu à Taizhong pour voir de mes propres yeux ce site découvert presque par hasard sur internet. L’environnement qui l’entoure est tout d’abord assez étrange : un immense terrain fraîchement rasé duquel émerge quelques masures bariolées. Comme je l’avais appris, ce lieu était un ancien village militaire construit à la hâte au début des années 50 et prévu pour être temporaire, le temps que l’armée nationaliste de Chiang Kai Sheck se ressaisisse avant de partir à la reconquête du continent. On sait que ce n’est pas ce qu’il advint et le village abrita donc ses occupants abandonnés à eux-mêmes jusqu’à un passé très récent. L’ensemble du village aurait donc été entièrement rasé si M. Huang, mû par un désir incontrôlé de décorer son univers, ne s’était pas mis, au seuil de ses 80 ans (il en a aujourd’hui 93), à prendre le pinceau pour passer à l’acte.
Entrée du site, photo Remy Ricordeau, 2014
M. Huang devant sa porte avec à côté de lui une grille couverte de petits papiers accrochés par ses visiteurs et contenant des vœux, ph RR, 2014
Selon le témoignage que je recueillis auprès d’une voisine, ce passage à l’acte s’est au demeurant opéré de manière très graduelle et au début de manière quasi clandestine. M. Huang peint en effet la nuit pour répondre aux instances émises par les personnages qu’il représente (il en est ainsi toutes les nuits, ce qui fait de lui un créateur très prolixe). Il a commencé par décorer l’extérieur de sa masure par petites touches sans revendiquer dans les premiers temps en être l’auteur La supercherie ayant été mise à jour par le voisinage et le résultat ayant été jugé par celui-ci très esthétique, M. Huang fut alors invité et encouragé à laisser libre cours à son imagination qui est aussi débordante que son caractère est modeste et son expression orale mesurée. Toutes les nuits donc, vers 3 heures du matin, M. Huang (qui se couche à 8 heures du soir) s’évertue à peindre ou repeindre ses visions à la lumière des réverbères du quartier. Aux dires de ceux qui ont pu le voir en action, il serait alors dans une sorte de transe, absolument sourd et aveugle à l’environnement extérieur, comme les auteurs de dessins médiumniques. Lorsqu’on l’interroge sur l’identité des personnages qu’il représente, il affirme que la plupart lui sont inconnus et viennent d’un autre monde. Quelques uns cependant sont des humains identifiés qui peuvent être des personnages de l’actualité, télévisuels ou sportifs tel ce basketteur taiwanais jouant dans un club américain et apparemment très connu.
Détail d'une fresque, ph RR, 2014
Autres détails de fresques, ph.affaires culturelles de la commune
Après ses travaux nocturnes M. Huang qui a une vie très réglée, réintègre alors la pièce unique dans laquelle il vit seul depuis plusieurs décennies et s’accorde les bienfaits d’un petit déjeuner bien mérité. Il consacre ensuite le début de sa matinée à réaliser quotidiennement deux dessins sur papier (pas un de plus, pas un de moins) représentant des personnages ou animaux plus ou moins fantastiques d’une facture semblable à ceux représentés en extérieur.
M. Huang montrant avec un ami un de ses dessins (des sortes de lutins?), ph. affaires culturelles de la commune
Dans la suite de la matinée, le lieu commence à lui échapper, c'est-à-dire pour être plus précis, la ruelle qu’il a décorée est alors envahie par des dizaines, voire, certains jours, des centaines de jeunes gens venant se faire prendre en photo.
"Des dizaines de jeunes gens viennent se faire prendre en photo...", ph. RR, 2014
J’ai été très surpris par l’extrême jeunesse de la plupart des visiteurs mais les raisons de leur intérêt pour ce lieu l’expliquent en partie : elles sont essentiellement de nature superstitieuse dues aux couleurs, aux sentences bienveillantes exaltant l’amour, le bonheur et la paix ainsi qu’à la facture très manga japonais de certains dessins qui évoquent l’innocence naïve de l’enfance et qui concourent à transformer la ruelle en temple dédié au Dieu du bonheur. Ces pèlerins d’un genre singulier expriment ainsi leurs vœux et leurs espoirs sous la forme de petits papiers qu’ils suspendent à des fils.
Vue extérieure avec des rochers disposés dans le jardin pour être peints, ph. RR, 2014
Une telle fréquentation ne pouvait évidemment que susciter un début d’exploitation commerciale qui pour être encore fort modeste (vente sur place de cartes postales reproduisant certains détails des murs) laisse cependant craindre un développement plus industriel. Si jusqu’à présent le décor peint par M. Huang est en effet l’objet d’une protection plutôt désintéressée, un responsable culturel de la ville que j’ai rencontré sur place lors de mon second passage ne m’a pas caché l’ambition de la municipalité d’utiliser le site comme lieu touristique pour faire connaître la ville de Taizhong au-delà des frontières de Taiwan. A cette fin ont été créés à côté du site un parking et un square dans lequel ont été disposées de grosses pierres et érigés des panneaux en ciment que M. Huang a été invité à couvrir. De même les enduits de certains des murs extérieurs du pâté de maison encore immaculés ont été refaits et seront prochainement peints en toute liberté par l’artiste ainsi honoré. Car pour être honnête, il faut reconnaître que celui-ci se félicite de toute cette attention qui lui est accordée car, en manque d’espace à peindre, il est réellement boulimique en surfaces à recouvrir, au point de peindre également et de repeindre sans cesse le sol de l’espace qui lui est imparti.
Remy Ricordeau
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¹ Yongfu correspond à son prénom et Huang à son nom.
Une vue parmi des dizaines d'autres d'une zone de sol couvert des peintures et parfois des inscriptions de M. Huang, ph. affaires culturelles de la mairie
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A paraître bientôt sur ce blog d'autres articles rédigés par Remy Ricordeau à la suite de son voyage de prospection à Taiwan:
Le temple idéal d'un pisciculteur taoïste
La falaise sculptée du paysan Chen Ruiguang
Le jardin en folie d'un aborigène Amei
Le jardin enchanté d'un garde-barrière retraité
Le parc de l'oreille de buffle: l'œuvre sculpté du paysan Lin Yuan
Entre art rituel et art populaire acculturé, les décors aborigènes contemporains
11/03/2014
Infos-miettes (22)
Ça faisait longtemps que je ne vous avais pas délivré de ces infos-miettes dont vous vous régalez. En voici un nouveau bouquet, le vingt-deuxième, des infos nouvelles et des plus anciennes que j'avais oubliées.
Paul Amar dans l'Aveyron
Le Musée des Arts Buissonniers à Saint-Sever-du-Moustier près des Monts de Lacaune (région pas trés éloignée de Rodez pour que vous situiez) est très actif depuis quelque temps. En plus des fréquentes animations du village, il propose des expositions d'art singulier ou brut ici et là. Elles sont annoncées dans le bulletin de 8 pages qu'il publie régulièrement (Le Buisson), comme récemment dans leur n°56 (déjà). Leur saison commencera cette année le 4 avril.
Paul Amar au Musée des Arts Buissonniers
A retenir, depuis septembre 2013, une galerie entièrement vouée aux assemblages rutilants de coquillages bien connus de Paul Amar (sur trente années de création) a été ouverte au sein du musée. Ils ont aussi en projet d'exposer Gérard Lattier durant l'été prochain. Pour tous renseignements, contacter http://www.arts-buissonniers.com/
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Christian d'Orgeix aux Yeux Fertiles
Cela fait de nombreuses années que j'admire quand je peux en voir, c'est-à-dire rarement en vrai, et plutôt en reproduction (j'ai un petit livre autrefois paru il me semble chez Georges Fall), la peinture de Christian d'Orgeix, cet artiste proche des surréalistes qui habitait à un moment dans le même village qu'André Breton, à Saint-Cirq-Lapopie dans le Lot. Il s'agit d'une puissante peinture visionnaire, avec des échos d'un Max Ernst qui aurait fait des enfants avec des peintres du groupe Cobra. Un riche coloriste campant à la fois des paysages "abstraits", des natures mortes, des personnages grotesques, des figures fantomatiques, des animalités fantastiques, le tout en une seule image.
Christian d'Orgeix, Mascarade, 1964, huile et collage sur toile, 81x100cm
Quelque œuvres de lui seront présentées du 6 mars au 5 avril à la Galerie Les Yeux Fertiles, 27 rue de Seine, dans le VIe ardt à Paris, dans le cadre d'une expo collective intitulée "Volet I" avec des oeuvres de B.Schultze, Raoul Ubac, B.Saby, Edgar Pillet, B.Réquichot et autres (on aurait pu se passer de Georges Mathieu cela dit). Une seconde expo intitulée pour le coup "Volet II" suivra du 10 avril au 10 mai avec des œuvres de Camacho, Alfred Courmes (celui-ci se faisant rare), Friedrich Schröder-Sonnenstern, Georges Malkine, André Masson, Dado, etc. Info et contact (attention il est souvent en retard côté mises à jour): le site web de la galerie.
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Mario Del Curto et Jean-Michel Chesné à l'intérieur d'une Chapelle
Brigitte Van Den Bossche, qui travaille dans le Centre de Documentation du MADmusée à Liège, signe un texte qui je dois dire m'a fait bondir. Elle y parle des créations de bord des routes dont la collection de cartes postales de J-M. Chesné représentant des environnements anciens et les photographies de Mario del Curto, deux ensembles iconographiques exposés tous deux dans la Chapelle Saint-Roch, "contexte des plus appropriés" dit Mme Van Den Bossche, lui permettent une envolée digne des écrivains les plus bondieusards :
"Derrière toutes ces manifestations marginales [il s'agit là des environnements spontanés d'autodidactes bruts ou naïfs], se profilent un idéal, une foi, un système de valeurs et de croyances, un outillage mental. Cette foi peut se traduire par la matérialisation de la croyance religieuse courante, mais aussi par la mise en œuvre d’une croyance très personnelle, un mysticisme inventé, une religion singulière, avec ses préceptes, ses prières, sa morale, sa méthodologie. L’œuvre est à la fois le reflet de cette croyance et l’intermédiaire entre le créateur et l’au-delà, elle traduit le dépassement de soi. L’acte de créer est vécu comme une aventure spirituelle, l’objet créé est conçu comme un territoire sacré et le créateur puise son énergie dans la foi.
Dans le contexte des plus appropriés de la Chapelle Saint-Roch, à Liège, le MADmusée présente un florilège d’images attestant de cette foi. Images pieuses et teintées de prosélytisme, images de dévotions personnelles, images d’intimes exploits, images d’une authentique "subculture" populaire aussi,… Sont dévoilés d’une part un ensemble de cartes postales anciennes, glanées et rassemblées par le peintre et sculpteur français Jean-Michel Chesné (collection entamée en 1993 après sa visite du Palais Idéal du Facteur Cheval et riche aujourd’hui de plusieurs milliers de clichés rares) ; d’autre part une série de reproductions du photographe suisse Mario del Curto (dont l’intérêt prononcé pour les Clandestins de l’art brut, avec lesquels il entretient une relation personnelle, se traduit depuis 1983 par une approche subtile et délicate). Toutes ces images célèbrent des univers déployés avec une force et une sensibilité exacerbées. Elles exaltent aussi la beauté du geste, la mystique de la tâche."
Et hop! Emballés, pesés, les inspirés, ils sont désormais embringués dans une nouvelle armée du salut. Mystiques, cherchant à causer avec l'au-delà, porteurs de "foi", mot sur lequel l'auteur joue de façon ambivalente, nos inspirés produisent maintenant des "images pieuses". Merde! Comment peut-on encore nous ramener la curetaille dans ces jardins où, c'est vrai, parfois on tente de créer des petits paradis, mais des paradis bien terrestres? Ne serait-ce pas une idée venue d'un des ces anciens numéros de Gazogène où son animateur, paix à ses cendres, publiant des cartes postales de la collection Chesné, avait cru démasquer une influence occultée de la religion dans l'inspiration de nos chers créateurs d'environnements ? Chaque fois que j'ai eu affaire à de ces inspirés du bord des routes, on n'a jamais beaucoup eu l'occasion de parler de Dieu, parfois davantage du Diable...
Expo "Oh My God" (titre explicite, non?), Liège, à la Chapelle Saint-Roch du 15.03.2014 au 25.05.2014. Dossier de presse.
Chez André Gourlet à Riec-sur-Belon, un Belzébuth le braquemart servant de support à jardinière, 2010, ph. Bruno Montpied
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Joël Lorand, œil singulier à la Galerie Grand-Rue à Poitiers (15 mars au 26 avril)
Il semble qu'avec cette exposition les Poitevins aient l'occasion de découvrir un éventail conséquent et varié des créations de Joël Lorand, authentique chercheur de formes nouvelles, créateur certes tourmenté mais en même temps raffiné, esthète au sens roboratif du terme, et aussi, ce qui ne gâte rien dans le milieu parfois bien trop sérieux de l'art dit singulier, pourvu d'un sens de l'humour réjouissant. Si l'on se fie au site web de la galerie, qui propose une sélection de visuels relevant de différentes périodes de Lorand (j'aime bien les premiers dessins, empreints d'une esthétique rageuse proche du graffito, voir par exemple ci-contre "Fier d'être un artiste dégénéré", 2002, coll. Frédéric Lux), on a peut-être affaire là à un lieu qui fait le pari de ne pas montrer uniquement qu'une série de peintures actuelles, mais propose plutôt différentes métamorphoses d'un même geste inspiré sous différents aspects, productions des époques antécédentes.
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Vodou, du visible à l'invisible au Musée Africain de Lyon
Je suis intrigué depuis quelques années, grâce à diverses expositions et catalogues, par l'art vodou, africain, brésilien, ou haïtien (la collection d'art vodou haïtien de Marianne Lehmann surtout a été un choc, perçue seulement à travers le livre magnifique qui lui a été consacré). Une expo débute le 20 mars prochain à Lyon. Ces objets, souvent sièges de carambolages visuels, et de triturations incroyables, sont terriblement chargés de poésie et de force d'ordre tellurique qui bouleversent en profondeur et hantent tous ceux qui s'y confrontent.
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Des mouchoirs pour s'évader à la Galerie Berst
Paños, prison break, tel est le titre de l'expo commencée le 11 mars dans la galerie de Christian Berst, interrogeant paraît-il, lui aussi, les marges de l'art brut pour mieux redéfinir les contours de ce dernier. Les mouchoirs tatoués des prisonniers américains d'origine mexicaine sont en effet la preuve qu'il existe de nombreuses preuves d'art populaire produit en milieu carcéral, contrairement à ce que pouvait affirmer Michel Thévoz dans un de ses anciens textes. L'expo est montée avec le concours de la pop galerie de Pascal Saumade, collaborateur connu du musée international des arts modestes à Sète, qui signe du reste le catalogue de l'exposition.
Expo du 11 mars au 19 avril 2014, Galerie Berst, 3-5, passage des Gravilliers, paris 3e ardt.
22:14 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art moderne ou contemporain acceptable, Art singulier, Environnements populaires spontanés, Galeries, musées ou maisons de vente bien inspirés, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : paul mar, musée des arts buissonniers, gérard lattier, christian d'orgeix, surréalisme d'après-guerre, galerie les yeux fertiles, paysagisme abstrait, mario del curto, jean-michel chesné, bondieuseries, environnements spontanés, madmusée, brigitte van den bossche, oh my god, joël lorand, galerie grand-rue à poitiers, artiste dégénéré, vodou, musée africain de lyon, panos prison break, art modeste, galerie berst, pascal saumade, pop galerie | Imprimer
08/03/2014
Disparition de Jean-François Maurice, fondateur et animateur de "Gazogène"
J'ai appris le décès de Jean-François Maurice, l'animateur et fondateur de la revue Gazogène, et par ailleurs chercheur d'art populaire sous toutes ses coutures. Il est mort jeudi 6 mars, emporté par le sale crabe qui n'a pas de pinces d'or.
Je n'avais plus de relations avec lui depuis 2002. Mais, je m'en souviens encore, nous avions auparavant collaboré (je lui avais donné quelques articles pour son Gazogène primitif, certains que nous avons co-édités, à l'égide de Gazogène et de l'Art Immédiat : un "Tour de France de quelques bricoles en plein air" et une "Promenade dans l'Art Populaire du Rouergue") et souvent échangé, entre 1988, année où il m'avait écrit suite à mes articles dans Artension, et donc 2002. Je me rappelle entre autres lui avoir fourni sur sa demande un exemplaire du célèbre bouquin de Verroust et Lacarrière, Les Inspirés du bord des routes, célèbre s'entend uniquement dans le micro-milieu des mordus de l'art brut et consorts. Nous nous intéressions tous deux fortement au sujet.
Jean-François Maurice dans la merveilleuse machine à découvrir de l'art brut de l'Eco-musée de Cuzals, dans le Lot, photo Bruno Montpied (je crois bien inédite), 1991
Malgré mes divergences de goût et d'accord avec lui (il était dubuffetolâtre alors que je me prosternais devant André Breton), je dois avant tout reconnaître et saluer, alors que ses traces pourraient risquer de s'évanouir –on oublie si vite les médiateurs– sa passion qui resta entière des années durant pour les créateurs de l'ombre, les vagabonds sans culture au pays de l'inspiration. Il a apporté sa pierre à l'édifice mémoriel où l'on conservera encore longtemps j'espère le souvenir de la poésie des sans-grade (car cette poésie est faite pour annoncer le triomphe de la créativité de tous dans nos sociétés, ne l'oublions pas, c'était le rêve auquel Jean-François Maurice, tout comme moi, nous croyions).
S'il consacrait trop de temps à mon goût à divers plasticiens d'arrière-province, suiveurs sans grande originalité de la région du Lot, il restait fidèle à l'art populaire, à l'art brut et surtout aux environnements spontanés à la recherche desquels nous partîmes une fois en dérive de Limoges à l'Yonne dans l'espoir de voir si on pourrait en trouver par hasard (le butin fut maigre, et il profita plutôt du voyage pour m'emmener avec lui chez Jean-Joseph Sanfourche et André Escard, l'ancien colonial reconverti en chasseur d'inspirés, personnages qui m'intéressaient personnellement beaucoup moins –tous sont décédés à présent, et moi-même comme dirait l'autre je ne me sens du coup plus très bien...).
De gauche à droite, BM, Jean-Joseph Sanfourche et Jean-François Maurice, lors d'une visite à St-Léonard-de-Noblat, 1991, ph. (inédite là aussi), BM
Je pense que son principal mérite avec Gazogène fut en vérité lorsqu'il l'axa en direction des collections de cartes postales anciennes, notamment celle de Jean-Michel Chesné, montrant des environnements peu connus du passé. Cette idée, je l'avais appliquée en illustrations de certains de mes articles sur des sites du passé (la Villa des Fleurs à Montbard, le Père Eternel à Trégastel par exemple).
Les numéros spéciaux de Gazogène parus au cours de ces dernières années comptent certainement parmi les plus fertiles en découvertes de ce point de vue.
Cependant, que ses proches me pardonnent une dernière remarque : j'apprends qu'une "cérémonie religieuse" sera observée en l'église de son village de Belaye. Or, Jean-François Maurice ne se proclamait-il pas libertaire? Qu'est-ce que cette cérémonie vient faire là dans ce cas?
23:56 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art singulier, Environnements populaires spontanés, Fous littéraires ou écrits bruts, Hommages, Littérature | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : jean-françois maurice, gazogène, jean-jsoeph sanfourche, environnements spontanés, bruno montpied, art brut, littérature prolétarienne, dubuffetolâtre, dérives, grenouilles de bénitier, libertaires, cartes postales anciennes | Imprimer
02/03/2014
Gabriel Papel (Frère Théodose Lucien) et sa "Blanche Nef"
Il y a quelque temps (faut pas que j'écrive "des lustres" parce que la mère Corvisart va encore me tomber sur le râble, d'autant que c'était seulement l'année dernière), j'ai évoqué du bout du clavier les pages d'un manuscrit aux splendides illustrations naïves qui passait en vente à Marseille en provenance de la collection Marc Billioud.
Gabriel Papel, La Blanche Nef, Recueil d'Histoires, de Contes, de Vues, de Voyages imaginaires dans les plaines éthérées, prix 880 000 francs...
Cela m'a valu une correspondance avec le bienheureux acheteur de ce manuscrit (qui préfère rester anonyme), dans laquelle, outre quelques-unes de ses illustrations, il me donne quelques précisions sur le récit empreint d'un joyeuse imagination débridée pour ne pas dire délirante. Il semble que l'auteur soit un moine puisque l'on trouve mentionnée sur une page du manuscrit la signature imprimée "Gabriel Papel, Frère Théodose Lucien" (je ne sais dans quel ordre on doit lire ce deuxième nom). Le manuscrit date de 1912 et évoque des événements liés à cette époque qu'il remixe au sein d'un nouvel ordre personnel. On reliera ce manuscrit, œuvre peut-être unique d'un autodidacte isolé, aux autres manuscrits enluminés par des écrivains-illustrateurs naïfs déjà évoqués sur ce blog, ceux de Marguerite Bonnevay (début XXe siècle) ou de Joseph Laporte, ancien tambour de l'armée de Bonaparte (début XIXe siècle).
Ci-dessous je mets en regard des aquarelles rehaussées à la gouache et leurs descriptifs tels que rédigés par mon honorable correspondant.
"Michel Louis, porte-drapeau revenu de Pékin"
(Ci-dessus sont évoqués...) "Une "Blanche Nef construite en Rubidix" dont les hélices "mues par l'Ethérixité" parcourent le monde : un conflit italo-turc, une sombre forêt du Congo, un "palais dans le Tibet", le Vésuve, le Canada, Marseille, le Japon ... Autant de lieux où ce vaisseau spatial s'en va sauver les corps et les âmes, une mission divine, tout un programme..."
L'image ci-dessous "raconte l'histoire de Léonie Lacas passagère en 3ème classe du Titanic. "La nuit du terrible choc Léonie ne put trouver place dans aucune barque"... "Elle nagea longtemps dans l'eau glacée". Mais la Blanche Nef la ramènera dans sa maison."
La page suivante "raconte l'histoire d'un prisonnier qui reçoit une orange de l'Eden dont "la deuxième tranche renfermait ce palais merveilleux que vous voyez"."
"C'est le récit du petit Léon qui fabrique une maquette de bateau que la Blanche Nef va transformer en un navire extraordinaire l'Australian."(Ci-dessous)
Ensuite "l'auteur nous parle d'une famille qui grâce à la Blanche Nef va faire "une promenade dans l'étoile Altaïr"."
Puis, "c'est l'histoire de la petite Angelou Duplan qui habitait au pied de Notre-Dame-de-la-Garde à Marseille et qui parce qu'elle était très pieuse verra ses vœux exaucés par la Blanche Nef."
"Dans ce récit un vieil homme pauvre, monsieur Laramè qui va être récompensé, sa cabane se transforme en château parce qu'il avait partagé son "frugal souper" avec 3 enfants orphelins." (Voir ci-dessous)
Enfin, "c'est l'histoire d'un tyran qui s'appelle Barberousse et qu'un certain Achille aidé par la magie de la Blanche Nef va punir pour tous ses méfaits."
17:48 Publié dans Anonymes et inconnus de l'art, Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Cahiers et manuscrits naïfs ou bruts, Littérature | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : gabriel papel, frère théodose lucien, ancienne collection marc billioud, manuscrits naïfs enluminés, art naïf, récits délirants, art populaire religieux, la blanche nef | Imprimer
11/02/2014
Un Autre Regard au musée Singer-Polignac (2)
Deuxième volet de mon regard d'amateur plutôt documenté (ce que je dis là non pas pour me faire mousser mais pour expliquer d'où je parle, et ce qui conditionne ma critique), je tenais à présenter ici un retour sur l'exposition concoctée entre autres par Déborah Couette et Anne-Marie Dubois dans les locaux du Musée Singer-Polignac dans l'enceinte de l'Hôpital Sainte-Anne pour les trente ans de la Fabuloserie, maintenant que je l'ai vue. L'idée de cette manifestation était de rassembler pour l'occasion des œuvres peu ou jamais montrées. Si l'on s'en tient à ce terme "d’œuvres", et non pas au terme de "créateurs", le pari est en effet réussi, dans la majorité des œuvres exposées. Dans une précédente note de ce blog (note qui n'était qu'une rêverie sur ce qui paraissait promis aux yeux d'un amateur de type documenté tel que mézigue), j'avais l'air de contester l'absolue nouveauté des pièces qui étaient annoncées, alors que je ne contestais que la nouveauté des noms. Certains créateurs en effet, sans qu'on connaisse l'ensemble de leurs œuvres, ont un style tellement reconnaissable que la présentation de telle ou telle de leurs productions inconnues ne peut être une véritable surprise. Exemples en l'occurrence: Aloïse, Thérèse Bonnelalbay, François Portrat, Nedjar, Jean Bordes, Domsic, Pépé Vignes, Scottie Wilson, Barbiero, Michèle Burles (il est vrai rarement exposée depuis quelques temps) ou Pascal Verbena, soit onze auteurs sur les 26 présentés. Il en reste 16 qui représentent en effet un approfondissement réel de notre connaissance du vaste champ des arts d'autodidactes bruts ou singuliers ("bruts": Aloïse, Wilson ou Domsic (dont Bourbonnais apparaît dans le catalogue comme le premier découvreur), "singuliers": Nedjar, Burles ou Verbena), cela dit du point de vue d'un amateur hyper documenté, je le répète et le souligne lourdement (au cas où des lecteurs type "Nazebrock" ou "la Bestiole" s'énerveraient encore).
Si Gaston Chaissac est connu, avec une une écriture reconnaissable entre toutes lui aussi, il fut surprenant de découvrir trois de ses œuvres dans la collection de la Fabuloserie. Je ne me souviens pas en effet au cours de mes multiples visites à Dicy en avoir jamais vu d'accrochées aux murs.
Pareil peut-être avec Jean Pous, connu pour ses galets gravés très archaïsants. Il y a au musée Singer-Polignac trois dessins au stylo et à la gouache sur carton très frappants et assez peu connus.
Si Thomas Boixo, interné dans un hôpital d'Amiens, avec ses dessins aquarellés sur papier, personnellement me laisse plutôt froid (peu de contraste, des couleurs ternes et terreuses, une grande austérité), je conçois cependant qu'il puisse représenter aux yeux de certains une nouveauté. Pour moi, je comprends qu'il ait pu rester enfermé dans les réserves...
Je l'ai dit dans ma précédente note d'avant expo, les dessins à l'encre de l'anonyme surnommé "Pierrot le fou", passablement obsédé dans les années 30 par l'univers des boucheries et des abattoirs (était-il lui-même un louchebem?), restent une intrigante découverte, bien qu'ils soient mal présentés dans l'exposition dans leurs cages de verre collées aux murs.
René Guivarch à l'expo "Un Autre Regard", ph. Bruno Montpied, 2014
J'ai été content aussi de découvrir enfin le "cochon" de René Guivarch ci-dessus), auteur d'origine bretonne que je connaissais seulement par le catalogue des "Singuliers de l'Art" de 1978 au musée d'art moderne de la Ville de Paris. Le catalogue de l'expo, fort bien fait, simple et concis avec des illustrations parlantes, nous apprend qu'il habitait dans le Lot, "à moins de quarante kilomètres" d'Emile Ratier, autre créateur que collectionna aussi Alain Bourbonnais, et qu'il se prénommait en réalité "Stanislas". Et aussi que la collection d'art-hors-les-normes possède quatre-vingt-huit autres pièces de cet auteur. De quoi faire une autre exposition au Musée Singer-Polignac sans attendre le prochain anniversaire décennal de la Fabuloserie?
D'Emile Ratier, on peut admirer un "couple qui va faire de la musique dans les bals", groupe de statues en bois et matériaux divers (80x45 cm) qui nous change de ses machines et édifices plus connus (voir ci-dessous).
Quelques grands dessins de Jean Couchat (1946-1997), dont autrefois Marie Jakobowicz qui était amie avec lui m'avait dit le plus grand bien, m'ont paru datés, vieillis, le temps passé nous ayant montré tant d'autres taches interprétées, tatouées de labyrinthes de lignes et de figures par tant d'autres auteurs que je ne puis plus leur trouver la moindre fraîcheur, que je ne peux plus y rencontrer de surprise.
Huit dessins de Jacqueline B. (Jacqueline Barthes) à l'expo "Un autre regard", ph. BM, 2014
Trois dessinatrices, Gala Barbisan, Marianne Brodskis et Jacqueline Barthes (découverte autrefois par Alphonse Chave), les deux premières plus brutes avec leurs graphismes touffus au stylo ou à l'encre, la troisième plus figurative et enfantine aussi peut-être, se laissaient regarder avec beaucoup de plaisir. Nous étions alors plus en pays de connaissance "brute" que jamais, décidément assez loin de la Fabuloserie qui nous les avait cachées. Même les trois poupées de Simone Le Carré Galimard, plus faciles à appréhender que ses habituels emboîtages fourmillant de rebuts colorés, plus directement enfantines, paraissaient venir d'une autre Fabuloserie.
La signature de Cammi au verso d'un de ses dessins de 1988
Des dessins au vin ("col vino" et non pas "col nino" comme il est noté dans le catalogue et les cartels de l'expo) de Marcello Cammi étaient aussi exposés, avec clairvoyance car ces œuvres sont moins montrées que les photos de ses statues autrefois exposées par l'auteur en bordure d'une petite rivière à Bordighera. Mais il reste que j'aurais aimé aussi voir les statues qui ont été sauvées par la Fabuloserie (le catalogue nous apprend cependant qu'elles seraient actuellement exposées dans leurs locaux).
Les dessins d'un architecte quelque peu utopiste, Philippe Mahaut, peut-être un peu trop proches de la bande dessinée de fantasy, et donc un peu trop illustratifs, venaient là, en dépit de leur séduction visionnaire, comme un cheveu sur la soupe. Leur aspect illustratif renvoyait en effet à un au delà narratif, un récit de fantasy qui restait manquant.
Enfin, il était agréable de se noyer dans les encres charbonneuses de Gaston Teuscher.
Cette expo constitue ainsi une étrange collection annexe, une collection alternative de la Fabuloserie, vue peut-être beaucoup (trop?) de son côté ombreux, obscur, par un choix privilégiant des œuvres ressemblant à celles qu'on associe aux travaux d'aliénés (influence du Centre d'Etude de l'Expression hôte de la manifestation?), alors qu'elle est par ailleurs connue pour son aspect festif, truculent, coloré, baroque qui ne néglige pas le regard de l'enfance. C'est personnellement ce que j'aime du reste dans cette collection. A la Fabuloserie il n'y a pas que de l'art brut, il y a aussi des inspirés du bord des routes (c'est le plus grand musée européen de plein air consacré à ces créateurs à part), de l'art naïf (sans doute le plus souvent anonyme?), des contemporains singuliers (quid d'Andrée Moiziard par exemple?), de l'art populaire afghan, etc., toutes sortes de choses qui ont justifié l'emploi du terme "d'art-hors-les-normes" en sous-titre de la collection. On aurait aimé en apprendre plus du côté de ces réserves-là aussi. Mais il est vrai que le Musée Singer-Polignac n'a pas des locaux extensibles à volonté...
00:16 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art singulier, Environnements populaires spontanés, Galeries, musées ou maisons de vente bien inspirés | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : un autre regard, la fabuloserie, le centre d'étude de l'expression, musée singer-polignac, déborah couette, anne-marie dubois, guivarch, jean pous, françois portrat, anonyme dit pierrot le fou, gaston teuscher, environnements spontanés, chaissac, les singuliers de l'art | Imprimer
16/01/2014
"Une après-midi avec Bruno Montpied" à Montauban, le 25 janvier
Sera-ce une des dernières rencontres autour de l'Eloge des Jardins anarchiques? Avant de continuer les années suivantes avec un nouveau projet? Si les petits cochons ne me mangent pas, ce pourrait être une bonne prédiction...
Donc, rendez-vous samedi 25 janvier, dans dix jours, à tous ceux que cela intéresse pour une nouvelle projection dans l'auditorium de la Mémo, la médiathèque de Montauban, du film Bricoleurs de paradis (le Gazouillis des Eléphants) de Remy Ricordeau, acccompagné pour suivre d'un débat de votre serviteur avec le public qui sera présent. La rencontre prend place dans une petite série d'animations organisées autour de l'exposition des œuvres de Jacques Chaubard, dit Babar, intitulée "Babar, bricoleur de bonheurs" (3 novembre 2013 au 1er mars 2014), à la Mémo (expo montée avec le concours de Maurice Baux, libraire-bouquiniste à Montauban, et Daniel Piquemal).
C'est ainsi aussi que le 1er février prochain sera montée dans le même auditorium la pièce de théâtre de Suzanne Lebeau sur Petit-Pierre, l'homme du fameux Manège qui est conservé dans le parc de la Fabuloserie.
09:34 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art singulier, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : babar, jacques chaubard, mémo médiathèque de montauban, éloge des jardins anarchiques, bricoleurs de paradis, remy ricordeau, bruno montpied, environnements spontanés, habitants-paysagistes naïfs, art singulier, petit-pierre, maurice baux librairie | Imprimer
15/01/2014
Arthur Vanabelle lui aussi a été placé en maison de retraite...
Et voici que j'apprends aussi, après les disparitions d'Horace Diaz et d'André Hardy l'année dernière, qu'Arthur Vanabelle, que l'on voit dans le film Bricoleurs de paradis en train de rigoler en dépit de problèmes de santé liés à son âge (son frère César, même âge qu'Arthur à peu de choses prés, était présent hors champ durant l'interview, lui aussi passablement douloureux), a été transféré dans une maison de retraite, probablement par aggravation de son état de santé. Du coup, certains se mettent à pétitionner, redoutant de voir disparaître à brève échéance cette "Base de la Menegatte" (son véritable nom plutôt que "la ferme aux avions"), proche de Steenwerck dans le Nord. Ils réclament des "valorisations" par le département, la région... Moi, excusez-moi, mais ça ne me sourit guère, quand je vois ce qu'on est en train de faire comme "valorisation" autour du Palais Idéal du Facteur Cheval, en train de devenir le Mont-St-Michel de l'art brut, je me dis qu'il vaut mieux à tout prendre que les choses en restent là, qu'on les abandonne à leur poésie éphémère... Peut-être faut-il aussi rappeler que le LaM de Villeneuve-d'Ascq à côté de Lille paraissait soucieux de garder la mémoire du lieu, puisqu'il semble que des personnes commanditées par ce musée (qui possède comme on sait une grande collection d'art brut, avec un sous-ensemble consacré aux "habitats poétiques" populaires) étaient venues il y a quelques années (avant notre tournage des Bricoleurs de paradis) effectuer des relevés et des plans du site.
Site créé par Arthur Vanabelle avec girouettes-avions, tank, canons anti-aériens, portraits de soldats, etc., photo Bruno Montpied, d'après une diapositive, 1988 (avec José Guirao planté entre deux canons)
Arthur Vanabelle, de rares dessins de lui en arrière-plan, pendant le tournage de Bricoleurs de Paradis, ph. BM, 2010
07/01/2014
Deux expos d'art brut français, André Robillard, Jean Smilowski
Jean Smilowski
"L'association La Poterne a le plaisir de vous convier au vernissage de l'exposition "Infiniment Jean Smilowski" (du 18 janvier au 8 juin 2014) organisée par le Musée d'Ethnologie régionale de Béthune et la Ville de Béthune avec le concours de l'association La Poterne, qui se tiendra le vendredi 17 janvier, 18 heures, à la Chapelle Saint-Pry, rue Saint-Pry à Béthune." Tel est le message reçu récemment dans ma boîte à mails et dont je pense nécessaire de vous faire profiter si vous croisez dans les parages de Béthune. On ne découvre jamais mieux l'œuvre conservée de Smilowski, l'homme qui habitait un ranch souterrain près des fortifications de Vauban dans le Vieux-Lille, qu'à travers les présentations qu'en fait régulièrement l'association La Poterne, animée entre autres par Bénédicte Lefebvre, fidèle depuis des années à la mémoire de cet original Inspiré du Nord.
A noter qu'au vernissage, sera servi un cocktail préparé "par les élèves du Lycée Hôtelier Marguerite Yourcenar de Beuvry" (dixit le carton d'invitation). Il faut dire que Beuvry est un nom particulièrement prédestinant pour des personnes en charge de fabriquer des cocktails… Isn't it?
André Robillard est exposé au musée des Beaux-Arts d'Orléans
Autre exposition d'art brut français (moi qui en réclamais, je suis servi, quoique pas à la Halle Saint-Pierre et en ordre dispersé en province), dépêchez-vous de vous rendre à Orléans car il ne reste que quelques semaines de janvier pour vous rendre compte de ce qui a été montré du travail à multiples orientations d'André Robillard, qui aura 83 ans cette année, au musée des Beaux-Arts d'Orléans (du 24 octobre 2013 au 26 janvier 2014).
Couverture du catalogue de l'exposition du musée des Bx-Arts d'Orléans
Un fort joli catalogue est paru à cette occasion (ne coûtant que 10€, une autre façon de tuer la misère), avec des textes de Savine Faupin, de Jean Delaunay, des propos de Robillard retranscrits par Alexis Forestier, l'homme avec qui Robillard a beaucoup tourné dans les spectacles musico-théâtraux "Tuer la Misère" et "Changer la vie". Jean Delaunay est directeur des soins au centre hospitalier Georges Daumézon, centre où fut autrefois, dans les années 60 et après, hospitalisé Robillard, dès l'âge de 9 ans, par son père qui ne pouvait pas s'en occuper en raison d'une certaine violence et d'une trop grande "nervosité" (attitudes qui disparurent avec le temps et le recours à la créativité, qui fut encouragée, dès qu'elle fut reconnue, par les soignants de l'hôpital dont les Dr Renard Gentis). Son père était un garde-chasse, ce qui n'est pas étranger à la confection obsessionnelle par son fils André de toute une série de fusils bricolés à partir de matériaux de récupération, fusils qui ont fini par faire sa gloire dans le monde des amateurs d'art brut, et pas étranger non plus à sa grande fascination pour les animaux en tous genres.
Le monument au fusil d'André Robillard devant le centre Georges Daumézon ; André Robillard pose sans doute avec le responsable de l'entreprise qui a fabriqué le fusil (avec des tubes en acier inoxydable achetés directement en magasin, et non pas récupérés, pérennité du monument oblige, ce qui peut paraître contradictoire avec le côté très souvent éphémère de nombreuses réalisations brutes), ph. Frédéric Lux, 2013
Cette gloire, comme on sait lui a attiré l'intérêt du monde du théâtre (la compagnie d'Alexis Forestier et Charlotte Ranson, les Endimanchés) qui lui a proposé maintes collaborations sur scène. Récemment a été créé aussi devant le centre Daumézon d'Orléans un monumental fusil fabriqué par une entreprise avec, finalement, la collaboration de Robillard qui a surligné divers éléments dont la crosse (vernie, mais combien de temps durera ce monument, même si est annoncée une maintenance sous la supervision de la DRAC locale?). Comme l'écrit Savine Faupin dans le catalogue, tout va bien tant qu'on respecte la liberté de créer de Robillard, mais est-on bien sûr qu'on l'a respectée dans le cadre de ce fusil gigantesque dressé sous le ciel, dont il ne paraît pas que l'initiative revienne totalement au départ à André Robillard (et au fait, a-t-il touché le moindre kopeck sur cette commande?).
Ph. Frédéric Lux, 2013
Le catalogue présente les œuvres de Robillard telles qu'on les connaît depuis les années 80 (l'expo s'est faite avec des prêts du LaM qui possède des œuvres grâce à la donation de l'Association L'Aracine), du coup, comme la collection de l'art brut, qui possède des œuvres plus anciennes (puisque Robillard a commencé dans les années 50), n'a pas participé à cette expo, le public peut croire que Robillard a commencé dans ces années 80 (années de début de la collection de l'Aracine), ce qui est erroné. Le catalogue les présente dans leur chronologie, facile à reconstituer puisque Robillard appose scrupuleusement les dates de création sur toutes ses œuvres, qui sont loin de se limiter à des fusils en trois dimensions. On peut essayer de voir si son inspiration faiblit au fur et à mesure du temps (il avoue en aparté en avoir un peu marre de faire des fusils...!). Personnellement, je trouve d'ailleurs qu'il est bien meilleur dans ses expériences graphiques, dans ses paysages de la Lune où marchent Aldrin et Armstrong, comme on pourra s'en convaincre ci-dessous:
André Robillard, La Conquête de l'espace, coll. Frédéric Lux
Diverses œuvres d'André Robillard agencées par Frédéric Lux
10:32 Publié dans Art Brut | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : l'association la poterne, bénédicte lefebvre, jean smilowski, andré robillard, jean delaunay, tuer la misère, changer la vie, centre hospitalier georges daumézon, savine faupin, lam de villeneuve d'ascq, frédéric lux, monument robillard | Imprimer
27/12/2013
L'art pur de Christopher Simmons
J'ai précédemment évoqué fort succinctement la figure et l’œuvre secrète d'un certain Christopher Simmons, totalement inconnue dans le monde extérieur à l'Australie où elle fut (et est encore?) produite à la fin des années 70 de l'autre siècle.
Christopher Simmons, Autoportrait avec coupe en brosse (autres inscriptions: "Plus d'une larme doit couler mais cela fait partie du jeu", "un verre de vin rouge"), 22 x 22 cm environ, 1980 "A.D. or B.C." ("Après Jésus-Christ ou avant Jésus-Christ", que voulait signifier Simmons par là? L'intemporalité de ses saynètes?), ph. Bruno Montpied
Alain Dettinger, l'excellent galeriste de la place Gailleton à Lyon dont je ne manque jamais de dire le plus grand bien tant il est un chercheur sans cesse à la recherche de nouveaux talents, était tombé sur lui et l'avait connu entre 1979 et 1982, en Australie donc, où il résidait. L'homme dessinait à l'époque (en particulier ? Ou exclusivement?) sur des serviettes en papier, fragiles supports peut-être en lien avec le sentiment de fragilité que ressentait l'auteur lui-même par rapport à son activité de dessinateur (voire plus)? Ces serviettes étant empruntées aux restaurants où il déjeunait.
Christopher Simmons, sans titre, sans date, Galerie Dettinger-Mayer, ph.BM
Christopher Simmons, sans titre, "1979 AD or BC", Galerie Dettinger-Mayer, ph. BM
Dettinger a conservé quelques-uns de ces dessins qui étaient récemment exposés à l'Ecole Nationale Supérieure de Lyon, prêtés par ses bons soins. Tous montrent un personnage masculin principalement, entouré de divers motifs ornementaux, tracés au stylo (semble-t-il) noir mais aussi souvent avec quelque couleurs, toujours les mêmes, des bleus des rouges et des verts, parfois du rose. Ces motifs permettent de remplir le fond du dessin, suppléant la couleur qui n'a pas été employée pour l'occasion.
Christopher Simmons, Small man with Big Head (Petit homme avec une grosse tête), "1980 AD or BC", Galerie Dettinger-Mayer, ph.BM
Ce personnage se tient la plupart du temps les bras croisés sur sa poitrine, dans une attitude voisine de celle dans laquelle sont représentés les pharaons égyptiens, les cheveux hérissés et séparés un par un sur le crâne, "en brosse" comme le décrit un "autoportrait" avoué, autoportrait qui pourrait bien être répété dans tous les autres personnages solitaires malgré l'absence d'explicitation. C'est un style de dessin très simple en vérité, mais qui retient le regard, et ne lasse pas à la longue, ce serait plutôt le contraire même... Je m'en suis convaincu en en acquérant un, qui apparemment dans ce cas n'est plus un autoportrait, mais le portrait d'un "Martien" (ou d'un commissaire de police?).
Christopher Simmons, Small friendly martian, or small friendly marshal (Petit Martien amical ou petit (commissaire?) amical), 1980 "AD or BC", coll. et ph. BM
Comme on le voit ci-dessus, le dessinateur se délectait à trouver des motifs décoratifs variés, ici des sortes de roses des vents entourées de guirlandes bouclées coloriées, et des formes d'éclairs en zig-zag. Des croix, des sortes de serpentins, des étoiles, des croix dans des cercles, des points, des grilles, des points d'interrogations, des lignes sinueuses, des formes fermées non identifiables reviennent régulièrement, semblant jouer comme une partition et une danse autour des personnages se tenant assez paisibles et plutôt souriants en général.
Christopher Simmons, The Tap (le Robinet), Karl Marx, Agamennon and The Sphinx, 1979 "AD or BC", Galerie Dettinger-Mayer, ph. BM ; ce dessin qui montre une image apparemment simple, un homme qui ouvre un robinet et fait couler de l'eau, devient très mystérieux dès que l'on lit l'inscription qui parle de Marx, d'Agamemnon et d'un Sphinx
Il reste une photo de ce créateur mystérieux prise au début de ces mêmes années 80, dans un restaurant, où on le voit attablé et un stylo apparemment en main en train de s'apprêter à dessiner sur une feuille placée en dessous de lui. L’œil est malicieux, il est jeune, porte moustache et barbiche, et il est roux. Alain Dettinger m'a confié que son œuvre avait peut-être été signalée à l'époque à la collection de l'Art Brut du vivant encore de Dubuffet, ce dernier cherchant partout des créations qui auraient pu alimenter son corpus, y compris en Australie. La Collection de Lausanne a-t-elle conservé des dessins de Simmons, à voir... Il semblerait en tout cas que notre héros soit toujours de ce monde, et qu'il soit interné actuellement dans un hôpital à Sydney. Une galerie "d'art brut", le studio 79 Balmain, à Sydney encore, exposa longtemps ses œuvres...
Christopher Simmons, Forever or infinity (A jamais ou l'infini) et MAN AND BOLT OF LIGHTNING (Homme avec éclair), 1980 "AD or BC", Galerie Dettinger-Mayer, ph.BM
Photo de Christopher Simmons, auteur inconnu, fin des années 70, typique de la photo pouvant servir à mythifier, n'est-ce pas?
04:13 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : christopher simmons, alain dettinger, art brut australien, martien, collection de l'art brut, studio 79 balmain, sydney, dessins au stylo, ad or bc | Imprimer
18/12/2013
Charles Daucin, l'art souterrain
Il y a quelques années, au début des années 2000, plusieurs amis et relations avaient attiré mon attention par leurs témoignages de rencontre avec un clochard qui hantait un certain couloir de correspondance à la station Montparnasse, entre les lignes 6 (Nation-Etoile par Denfert-Rochereau) et 13 (St-Denis-Châtillon-Montrouge). Ces témoignages campaient un clochard dessinateur qui vendait à l'occasion ses petites productions aux (apparemment rares) passants intéressés. Le fanzine Zon'Art de Denis Lavaud avait publié trois pages illustrées de quatre dessins qu'accompagnait un texte d'"Eric G." dans son n°8 (automne-hiver 2002-2003). Un dessinateur mendiant dans le métro parisien, je trouvais ça extrêmement rare -et je dois dire que cela fait des années que je me demande pourquoi on n'en rencontre pas plus étant donné que cela pourrait représenter une possible source de revenus pour ces personnes en difficulté, tout aussi valable que le fait de faire de la musique, forme d'expression ultra majoritaire dans le métro au contraire.
Charles Daucin, alias "Charlemagne", un couple et leur fille, un avion, une barque parachutée, des soleils partout..., 2002, coll. Musée du Veinazés (dans la Châtaigneraie cantalienne) ; à noter que la photo ne montre pas le dessin complètement, à gauche il y a vraisemblablement une bande violette qui entoure les saynètes centrales, constituant le cadre par lequel le dessinateur semblait toujours commencer son dessin
Charles Daucin, alias "Charlemagne", couple de part et d'autre d'une voiture, maison, 2001
Charles Daucin était le nom que donnait Eric G. dans Zon'Art. Ce dernier décrivait les dessins qu'il présentait comme étant "toujours vendus par 4". Cela semblait être des sortes de séries, représentant la plupart du temps sur deux niveaux les mêmes saynètes, des membres d'une famille se tenant la main, faisant la fête ("les verres n'étant jamais vides", fantasme indépassable du clochard), des véhicules, des arbres, des maisons, des intérieurs d'appartements avec postes de télévision (voir ci-dessus et ci-dessous des exemples).
Charles Daucin dit "Charlemagne", la maison idéale avec poste de télé, les verres jamais vides, le couple faisant la fête... 2002, coll. Musée du Veinazès
Je partis à la recherche de cet homme mais ne le rencontrai jamais, le divin hasard ne voulant pas me favoriser pour ce cas. Mais je ne l'oubliai pas. Le hasard me permit seulement, récemment (2013), les voies de ce dernier étant décidément impénétrables, de tomber sur Bernard Coste et son camarade Jean-Pierre, qui animent dans le Cantal le musée du Veinazès (Emmanuel Boussuge nous en a déjà entretenu si vous vous en souvenez) et passent aussi souvent par Paris. Ils avaient eux aussi dans ces mêmes années 2001-2002 rencontré le fameux Charles Daucin qui signait "malicieusement", écrit Bernard Coste, ses dessins "Charlemagne" (c'est le genre de blague en faveur chez les gueux qui se fabriquent aisément des titres bouffons en rapport avec des royautés imaginaires, inversées..., cela va parfois jusqu'à la sculpture de trônes). D'après les souvenirs de Bernard Coste, ce M.Daucin vendait ses dessins cette fois par 6 et plus par 4 comme à Eric G. Peut-être voulait-il plus rapidement s'en débarrasser. Il lui arrivait apparemment aussi de travailler d'après des commandes et des modèles (des reproductions de tableaux, Munch, une Madone...). Il semble qu'au-delà de 2002, on ne trouve plus de témoignage de la présence de Charles Daucin dans les couloirs du métro à Montparnasse. Sa présence paraît attestée seulement entre 1999 (Eric G.) et juin 2002 (Bernard Coste). Les dessins que je reproduis ci-dessus et ci-dessous (un dessin au sujet plus rare) appartiennent tous à la série de douze dessins acquis par Bernard Coste pour le musée du Veinazès (qu'il en soit donc chaudement remercié ici). Si des lecteurs avaient des informations complémentaires à apporter sur notre héros, qu'ils n'hésitent pas à nous faire part de leurs témoignages.
Charles Daucin, dit "Charlemagne", personnage seul (un fumeur), 2002, coll. Musée du Veinazès
Musée du Veinazès, Lacaze, 15120, Lacapelle del Fraisse (entre Aurillac et Montsalvy), tél. : 04 71 62 56 93 - 04 71 49 25 81. Le musée se visite en été tous les après-midis. Ajoutons que ces dessins de Charles Daucin ne sont pas actuellement accrochés dans les collections visibles du public.
10:10 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art populaire contemporain, Fantastique social | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : charles daucin, "charlemagne", clochards, dessins de clochards, zon'art, eric b., bernard coste, musée du veinazès, châtaigneraie cantalienne | Imprimer
09/12/2013
La Fabuloserie a trente ans, exposition au musée Singer Polignac
Pour les trente ans de la Fabuloserie, Déborah Couette, une des trois commissaires de l'exposition "Un Autre Regard, l'Art-Hors-les-Normes d'Alain Bourbonnais dans les murs de la collection Sainte-Anne" qui durera du 13 décembre 2013 au 16 février 2014, Déborah Couette, ainsi qu'Antoine Gentil, m'avaient récemment confié qu'on allait sortir des réserves de la fabuleuse collection de Dicy (c'est dans l'Yonne, pas loin de Joigny) un certain nombre de trésors cachés et donc peu connus. On allait voir ce qu'on allait voir... Voici en définitive la liste des créateurs qui seront exposés au musée Singer Polignac (qui se trouve dans l'enceinte de l'Hôpital Sainte-Anne dans le XIVe ardt à Paris) par nos trois commissaires (le troisième est Anne-Marie Dubois):
Les amateurs d'art brut fraîchement débarqués sur le sujet y trouveront sans doute leur miel, puisqu'on a semble-t-il songé à eux en ménageant quelques grands noms au sommaire, Aloïse, Scottie Wilson, Thérèse Bonnelalbay, Gaston Chaissac, Simone Le Carré Galimard, François Portrat, Pascal Verbena, Emile Ratier, Michel Nedjar, "Pépé" Vignes, Joseph Barbiero... tous ayant été exposés aux cimaises de la maison-musée, ou dans le parc unique en son genre consacré à des fragments d'environnements créés par des habitants-paysagistes imaginatifs, au fil des trente ans (et n'en ayant été que rarement décrochés). Mais peut-être que les commissaires auront sélectionné quelques œuvres moins connues, gardées au secret ? Nous verrons bien.
Thérèse Bonnelalbay, sans titre, encre sur papier, 24x32 cm, 1979, coll. BM
A la Fabuloserie, la salle sous les combles, Albert Sallé, Pierre Petit, Emile Ratier, Pascal Verbena, etc., visuel dossier de presse "Un Autre Regard"
J'attendais personnellement cependant un peu plus de folie dans cet accrochage d'"Un Autre Regard"... On a voulu au musée du Centre d'Etude de l'Expression du Musée Singer-Polignac ménager la chèvre et le chou, en choisissant d'organiser à la fois une expo anniversaire de la Fabuloserie et une expo de ses collections les moins souvent présentées. Ce qui a pour effet de décevoir un peu les connaisseurs de la Fabuloserie qui trouvaient justement qu'on n'avait que trop tendance à Dicy à ne pas suffisamment faire bouger les accrochages... Raconter l'histoire de la Fabuloserie et de son concepteur Alain Bourbonnais, architecte ayant mis son inventivité au service de la présentation la plus adéquate de ses collections d'art hors système des beaux-arts, cela n'a-t-il pas déjà été fait (Michel Ragon, Laurent Danchin)? Je pose la question, tout en reconnaissant par ailleurs qu'il n'y avait pas eu d'exposition des collections de la Fabuloserie à Paris depuis bien longtemps ce me semble. Et reconnaissons en plus que le Musée Singer Polignac lui au moins fait un réel effort pour défricher le champ de l'art brut en France, domaine que, dans une note précédente, je signalais délaissé par exemple dans les expos montées à la Halle Saint-Pierre depuis quelques années.
Ce Janko Domsic est fort inhabituel, avec son dessin plaqué et surgissant de la photo, il justifierait à lui seul le projet annoncé de montrer des œuvres peu exposées à la Fabuloserie, visuel dossier de presse "Un Autre Regard"
Par contre, extirper quelques pépites enfouies dans les réserves, voilà qui promettait davantage. Dans la liste citée ci-dessus, qu'est-ce qui serait donc vraiment original et inédit ? L'"anonyme" cité en premier, nous n'avons pas de précisions dans le dossier de presse à son sujet, ma curiosité s'aiguise. René Guivarch? Un créateur populaire breton que les catalogues montrent sans plus de développement il est vrai (il y avait une notice sur lui dans "les Singuliers de l'Art" en 78 à Paris, expo montée grâce aux nombreux prêts de l'Atelier Jacob, galerie qui a précédé la Fabuloserie, créée elle en 1983 ; la notice était en fait composée de fragments d'entretien avec lui qui confiait qu'"il n'aimait pas être commandé, qu'il n'aimait pas les patrons, qu'il se débrouillait seul...", un tel homme ne pouvait pas être foncièrement mauvais, donc bravo si on en apprend plus). Marianne Brodskis me paraît bien inconnue au bataillon, à découvrir... Gala Barbisan, une reproduction assez maigre, en noir et blanc, figurait dans le premier catalogue de la Fabuloserie (paru l'année même de l'ouverture au public de cette collection), donc on est heureux de s'instruire davantage, et de visu. Jacqueline Barthes, dit Jacqueline B., a été montrée via le premier catalogue, et n'est donc pas très connue non plus (car il y eut par la suite un deuxième catalogue, publié en 2001, qui ne reprenait pas forcément les mêmes créateurs, Jacqueline B. ne fut pas de ce deuxième catalogue par exemple). Le graveur de galets Jean Pous est lui plus notoire auprès de ceux qui suivaient les manifestations de l'Aracine dans les années 80-90. Il est aujourd'hui du reste représenté au LaM dans le département des habitats poétiques (voir ci-dessous). Mais il mérite certes qu'on lui consacre au moins un dossier.
Deux galets gravés de Jean Pous au LaM, département de l'art brut, photo Bruno Montpied, 2010
Michèle Burles et Jean Couchat font plus partie de ce que l'on appelle l'art singulier, des artistes marginaux qui ont pris exemple sur l'indépendance morale et esthétique des créateurs de l'art brut, et ce très tôt dans les années 70 (comme d'autres, fort nombreux à la Fabuloserie, Nedjar, Verbena, Marshall, Eckenberger, Monchâtre, Jano Pesset, Bourbonnais lui-même qui aimait s'entourer de ceux qu'il se reconnaissait pour des alter ego...). On parle bien moins de Burles et Couchat depuis plusieurs années. Il me semble que Michèle Burles avait fait une expo il y a quelques années chez Béatrice Soulié (me trompé-je?). On aurait pu joindre à ces deux-là un créateur qui mériterait une exposition à lui seul et qui a été grandement défendu par la Fabuloserie, à savoir Alain Genty, mais il n'a pas été retenu. Philippe Mahaut et Thomas Boixo sont eux inconnus, du moins de moi, mais je ne sais si pour le second cela vaut le coup de le faire connaître davantage ! C'est encore un de ces obsédés des architectures, et des véhicules, thèmes qui commencent depuis quelque temps à devenir des poncifs chez les nouveaux créateurs d'art brut qu'on nous présente venus d'un peu partout dans le monde (comme ces autres poncifs que sont certains gribouillages proposés en tant que tels comme des échos de l'art contemporain, afin de brouiller les cartes avec ce dernier...). Les visuels de ce Boixo proposés par le dossier de presse, un peu bouillasseux, ne sont à dire vrai pas très engageants...
Jean Bordes, visuel du dossier de presse "Un Autre Regard"
Jean Bordes (aussi appelé Jean de Ritoù) est un peu plus connu, du reste le dernier numéro de l'Œuf sauvage (n°11, 2012) a consacré un article (dû à Jano Pesset qui l'a découvert il y a déjà quelque temps) à ce créateur véritablement sauvage. Il sera cependant curieux de voir ce que l'on pourra nous en montrer. On annonce aussi Marcello Cammi. Ce créateur d'environnement étourdissant à Bordighera sur la Riviera italienne dans les années 80-90 (j'en ai déjà parlé sur ce blog), également peintre singulier et naïf, on le sait peu, avait, je crois, offert quelques sculptures à la Fabuloserie, sans doute par l'intermédiaire de l'épouse d'Alain Bourbonnais, Caroline, de passage dans son jardin en bordure du Rio Sasso (hypothèse...). On sait que cet environnement a été rasé après avoir été abîmé par une crue du fameux Rio. Très peu de statues semblent avoir été sauvées. Les quelques pièces qui sont à la Fabuloserie, nous en sommes donc fort curieux.
Marcello Cammi et ses chiens en bordure du Rio Sasso, certaines de ses sculptures installées en berges autour de lui, dans les années 90, photographe inconnu (peut-être Raymond Dreux), archives BM
Enfin, à la fin de cette liste, se trouve un créateur inconnu de moi, et je gage de beaucoup d'autres amateurs, désigné sous le vocable d'"Anonyme, dit Pierrot le Fou". Un dessin, apparemment exécuté dans les années 1930, sorte de planche de zoologie annotée comme un journal, fort naïvo-brut, est reproduit dans le dossier de presse, particulièrement intrigant. Rendez-vous donc le 12 décembre, au vernissage de cet "Autre Regard".
Anonyme, dit Pierrot le fou, visuel fourni dans le dossier de presse d'"un Autre Regard"
14:58 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art singulier, Environnements populaires spontanés, Galeries, musées ou maisons de vente bien inspirés | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : fabuloserie, déborah couette, musée singer polignac, centre d'étude de l'expression, anonyme dit pierrot le fou, françois portrat, janko domsic, alain bourbonnais, art hors les normes, jean bordes, thérèse bonnelalbay, art immédiat, art brut, l'oeuf sauvage, jano pesset, marcello cammi | Imprimer
18/11/2013
Fanzines... d'art brut? Rendez-vous samedi 23 novembre au Musée de la Création Franche
C'est dans six jours. Une journée entièrement consacrée à la recherche autour des fanzines (petite presse en auto-édition) spécialisés dans l'art brut. L'initiative en revient à Déborah Couette du CrAB (Collectif de Recherche autour de l'Art Brut) et au Musée de la Création Franche à Bègles où se tiendra la journée d'études. Plusieurs intervenants, dont mézigue, sont attendus là-bas. Voici du reste le programme et les intentions des concepteurs de cette journée:
Des fanzines et des revues autour de l'art brut, il y en a eu, il y en a encore. Mais entièrement consacrés à l'art brut au sens strict du mot, à part les premières plaquettes éditées par la Galerie René Drouin en 1947-48, les publications en jargon de Dubuffet, puis les fascicules édités depuis le début des années 1960 sous l'égide de la Compagnie et de la Collection d'Art Brut, on ne peut pas dire qu'il y en ait eu véritablement. Toutes celles qui parurent, jusqu'à aujourd'hui, du Bulletin des Amis d'Ozenda, en passant par la Chambre Rouge, l'Art immédiat, Les Friches de l'Art, Gazogène, jusqu'à Zon'art et Création Franche, toutes ne parlèrent pas exclusivement d'art brut, mais aussi et surtout des alentours aussi bien, des formes d'art apparentées (art naïfs, habitants-paysagistes, graffiti, art modeste, inclassables etc.) en se référant également à des artistes singuliers rangés ailleurs dans la Neuve Invention (à Lausanne) ou dans la création franche (à Bègles). Comme si le concept d'art brut leur paraissait trop restrictif, trop ghettoïsant...
Bulletin de l'Association Les Amis de François Ozenda
La Chambre Rouge fut mon premier fanzine un peu sérieux, qui s'intéressait à la fois au surréalisme dans ses aspects les plus vivants, aux fous lttéraiires, aux divertissements littéraires, à la sculpture populaire, à l'art rustique moderne (Gaston Mouly et ses "dessins" ci-dessus évoqués sur la couverture du n°4/5 de 1985, bien avant que Gérard Sendrey ne rencontre, sur mon instigation, le même Mouly et ne s'attribue par la suite la responsabilité d'avoir poussé Mouly vers le dessin...)
Le n°2 et le n°1 de L'Art Immédiat, ma deuxième revue, de 94 et 95, cette fois plux axée sur les arts populaires spontanés
Création Franche
Gazogène, le numéro plus récent, n°35
De plus, les publications de la Collection de l'Art Brut, si elles sont bien de l'auto-édition du fait de la Collection elle-même (dans la majeure partie des fascicules, car les derniers en effet sont édités conjointement avec In Folio éditions), ne sont pas à proprement parler analogues aux "fanzines", éditions qui se caractérisent généralement par une certaine pauvreté de moyens, étant le fait de chercheurs et de passionnés le plus souvent désargentés, indépendants des cercles professionnels du journalisme et de l'édition.
Il était cependant tentant d'aller porter un peu l'éclairage de ce côté, pour voir pourquoi il fut important pour quelques passionnés en France –dont le signataire de ces lignes, et animateur de ce blog, fait partie– de faire de l'information sur les phénomènes non seulement de l'art brut mais aussi de l'art naïf, de l'art populaire rural, de l'art forain, de l'art populaire contemporain aussi appelé art modeste, d'un certain surréalisme spontané, de la littérature ouvrière, des fous littéraires, des environnements spontanés, des cultures urbaines, de l'art de la rue, des graffiti, etc. Il est tentant d'essayer de comprendre aussi pourquoi il n'a pas été possible en France, et ce jusqu'à présent, de monter une grande publication périodique qui se consacrerait à l'étude et à l'information sur tous ces aspects de la créativité autodidacte spontanée, publication qui aurait fait appel à toutes sortes de plumes. Ne seront pas non plus évoquées, très probablement, et ce sera dommage, toutes les publications encore moins spécialisées sur les arts populaires, pas nécessairement des fanzines aux pauvres atours, mais qui ont cependant régulièrement publié des informations sur tel ou tel sujet qui appartenait au corpus, comme les revues Plein Chant, SURR, Jardins, voire les magazines L'Œil, Artension, L'Oeuf Sauvage (par exemple). Des fanzines d'aujourd'hui comme Recoins et Venus d'Ailleurs (très soigneusement édité ce dernier), sans se braquer sur l'art populaire ou brut, savent de temps à autre accueillir des articles sur le sujet. Il faudrait donc ouvrir plus largement le compas et s'interroger sur l'ensemble des articles ou études publiés ici et là sur le thème des arts d'autodidactes inventifs.
Annonce de la publication de la revue Recoins n°5 (avec plusieurs articles concernant les arts populaires et les environnements spontanés), parution 2013
Sans compter que d'ici très peu de temps, il faudra aussi que nos amis universitaires et archivistes se penchent avec suffisamment de documentation numérisée sur les blogs qui ont pris le relais avec vigueur des publications sur papier (comme l'auteur de ce blog qui put grâce à ce médium donner toute l'ampleur qu'il souhaitait à la masse d'informations dont il disposait, une fois passée l'époque "héroïque" des premiers fanzines des années 80 et 90).
Pour suivre cette journée, il semble prudent de réserver auprès du Musée de la Création Franche.
00:27 Publié dans Art Brut, Art forain, Art immédiat, Art inclassable, Art naïf, Art populaire contemporain, Art populaire insolite, Art singulier, Environnements populaires spontanés, Fous littéraires ou écrits bruts, Graffiti, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : fanzines, art brut, art singulier, surréalisme spontané, la chambre rouge, l'art immédiat, collection de l'art brut, création franche, crab, déborah couette, zon'art, ozenda, recoins, gazogène | Imprimer
27/10/2013
Salon d'art alternatif, Hôtel le A
Enigmatique appellation, isn't it? Ce serait pourtant l'exacte traduction d'"Outsider Art Fair", ce salon organisé par Andrew Edlin, par ailleurs directeur de la galerie du même nom à New York, galerie qui se consacre à diverses découvertes classables ou non dans l'art brut.
On sait qu'aux USA, le terme d'art brut est difficilement traduisible, et pas seulement le terme, mais la notion elle-même. On lui préfère "outsider art" qui sert à regrouper dans un vaste pot-pourri l'art des pionniers (limners naïfs américains des XVIIIe et XIXe siècles), art populaire, art des environnements, et art d'individus autodidactes marginaux (pensionnaires d'asiles, médiumniques, et une sacrée tripotée de zinzins mystico-visionnaires, qui paraissent florissants aux States). Derrière cette étiquette, mêlés sans aucun distingo aux créateurs autodidactes non artistes professionnels, se cachent cependant aussi toutes sortes d'artistes en voie de professionnalisation, visionnaires étranges, marginaux à l'intérieur de l'art contemporain, que l'on aurait pu aussi bien voir revendiqués par le surréalisme en un autre temps.
Les Américains ont donc décidé de venir à Paris pour quatre jours (ça se termine ce dimanche) rassembler dans un petit hôtel quatre étoiles de six étages, rue d'Artois, à deux pas des Champs-Elysées et de la FIAC, 24 galeries plus ou moins spécialisées dans les divers champs de ce qu'ils appellent l'art outsider, galeries venues d'Amérique ou d'Europe. Le prix d'entrée est du même genre qu'à la FIAC, 15€, pour venir voir si l'on peut dépenser plus dans les galeries présentées (!), et encore plus cher pour avoir le droit de venir au vernissage (re-!). Tout ça n'étant pas, comme s'en convaincront les lecteurs du Poignard Subtil, very, very democratic. Il fallait certes rembourser les frais de location de l'hôtel 4 étoiles. Mais qui obligeait ces messieurs à investir un hôtel si chic (autour de 500 € la nuit d'hôtel)? Hormis la nécessité à leurs yeux d'offrir l'art des miséreux, des aliénés et des souffrants de l'âme aux privilégiés et aux favorisés de la vie (à la recherche d'un peu de réalité et de bonne conscience probablement?), fréquentant les Champs et accessoirement croisant du côté de la FIAC proche?
Mais oublions ces propos un peu amers, et reconnaissons aussi, comme Philippe Dagen dans une chronique qu'il a donnée au Monde ces jours-ci, que l'on pouvait vite oublier ce paradoxe lamentable au fur et à mesure que l'on découvrait, grâce à nos coupe-files (Dagen oublie de le dire), d'étage en étage, des créateurs passionnants présentés de façon succincte mais fort soigneusement. L'idée d'un hôtel, dans l'absolu, du reste, était amusante et déroutante. Chaque galerie possédait une chambre, le lit n'en avait pas été déménagé, les œuvres se distribuaient tout autour, la situation, lorsque la charmante hôtesse qui s'y trouvait vous ouvrait la porte -comme me le fit remarquer RR que j'avais invité à me suivre dans cette étrange foire- pouvant relever d'une certaine confusion des sentiments. On entrait après tout dans des chambres décorées d'art brut, invitées par une charmante jeune fille, le lit trônant comme une invite au centre de la pièce, certains pouvaient hésiter entre elle et lui (l'art brut)...
Janet Sobel en action, 1948, Raw Vision n°44, ph. Ben Schnall
Janet Sobel, galerie Gary Snyder, New-York
Vingt-quatre heures se sont écoulées depuis que j'ai fait une visite à ce salon. Qu'en surnage-t-il? Pas les gribouillages de Dan Miller en tout cas, contrairement à M.Dagen, que je trouve toujours bien trop proches d’œuvres de la modernité plastique pour être honnêtes (façon de parler...). Non, c'est avant tout la découverte de Janet Sobel dont je n'avais jamais vu de peintures et qui a fait l'objet d'un article apparemment fourni dans un vieux numéro (le n°44) de Raw Vision vers 2003. Si j'ai bien compris, je ne suis pas fortiche en anglais, cette dame, Juive d'origine ukrainienne et émigrée aux USA, disparue en 1968, fut à la fois perçue comme appartenant à l'expressionnisme abstrait, ayant influencé peut-être Pollock, et redécouverte comme une "outsider" plusieurs années plus tard (une situation qu'elle partage avec quelques autres grands aérolithes inclassables, tel Jan Krisek par exemple). Ses œuvres sont tout à fait remarquables. J'en montre ci-dessus et ci-dessous quelques exemples que je dois à l'obligeance de la galerie Gary Snyder qui la représentait dans ce salon.
Janet Sobel, sans titre, technique mixte sur papier
Janet Sobel, galerie Gary Snyder
Par contre, j'ai été fortement déçu par les photos d'Eugen Von Bruenchenhein (par ailleurs aussi exposées actuellement à la galerie Christian Berst à Paris, galerie représentée à l'Outsider Art Fair), que finalement je trouve assez banales, n'ayant pas d'intérêt, ni d'un point de vue érotique, ni d'un point de vue photographique. Ses meubles en os assemblés sont pour le coup bien plus intrigants. Mais il n'y en avait pas à l'Hôtel le A.
La galerie d'Hervé Perdriolle montrait pour sa part de l'art populaire indien contemporain, notamment toute une série de petits papiers dessinés genre "patua", à fonction magique, destinés par des peintres anonymes ambulants à permettre aux défunts de se libérer des démons qui auraient voulu traîner leurs âmes en enfer (je récite, approximativement sans doute, la leçon que me fit la charmante hôtesse de la galerie). Les patua sont aussi des rouleaux narrant des histoires terrifiantes appuyant visuellement les récits de conteurs-peintres ambulants (voir ci-contre ce rouleau extrait du site web de la galerie). La galerie d'Hervé Perdriolle donne là-dessus ses éclaircissements.
Dessin de Radmila Peyovic, extrait du catalogue de l'exposition "Ai Marginali dello Sguardo" de 2007 en Italie
Philippe Eternod et David Mermod formaient un couple de galeristes extrêmement passionnés à un autre étage, gambadant mentalement d'un créateur à l'autre d'une manière tourbillonnante qui donnait l'impression d'une valse aux murs tapissés de dessins d'Aloïse, de Gaston Teuscher, de Jules Fleuri, de Raphaël Lonné, d'Abrignani, de Radmila Peyovic, etc. Au milieu de cette valse, apparut brusquement le visage du créateur ACM qui me serra la pogne dans un flash ultra fugitif qui me donna le regret de ne pas en savoir plus. Ces initiales mystérieuses avaient tout à coup un visage.
Un dessin de Susan King, extrait d'un catalogue chez Marquand Books à Seattle
Richard Kurtz, extrait du site web du créateur
D'autres révélations me furent prodiguées, l'ex-boxeur Richard Kurtz au dernier étage chez Laura Steward, les cahiers de croquis étonnants de la Néo-zélandaise Susan Te Kahurangi King qui métamorphose constamment un petit personnage publicitaire de la marque de soda Fanta, le vagabond David Burton (1883-1945) qui dessinait sur les trottoirs (il fit l'objet d'un sujet dans les archives d'actualités de la firme Pathé, un beau motif de quête pour l'ami Pierre-Jean Wurtz, ça, n'est-il pas?), représenté par la galerie anglaise de Rob Tufnell, le naïf grec Giorgos Rigas, représenté par la galerie C.Grimaldis de Baltimore, et cet étonnant créateur brut, Davide Raggio (voir ci-dessous l'œuvre sans titre de 59 x 47 cm de 1998), travaillant avec trois fois rien, des matériaux fragiles à portée de main, friables, aux limites de l'évanescence et de l'inconsistance, créateur qui s'est fait connaître par ses figurations faites de peaux de carton décollées et déroulées de manière à produire des silhouettes plus claires par contraste avec la teinte kraft plus sombre des cartons. Sur le salon, on en trouvait à la fois chez Rizomi, la galerie turinoise, et à la Galerie lausannoise du Marché chez Eternod et Mermod. Ce créateur a ceci de remarquable qu'il a pratiqué en dépit de sa situation d'enfermé (en asile) diverses techniques d'expression toujours marquées par le sceau de la précarité mais enfin fort variées ce qui est rare chez nos grands obsessionnels.
Enfin, chez Cavin Morris, galerie new-yorkaise, on pouvait admirer du coin de l’œil sur le mur et étalés sur la courtepointe quelques magnifiques dessins de Solange Knopf, œuvres que j'aime décidément beaucoup.
Solange Knopf, Botanica, 2013
Solange Knopf, Spirit Codex, 180x100 cm, 2013
15:23 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art singulier, Confrontations, Galeries, musées ou maisons de vente bien inspirés, Photographie | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : outsider art fair, hôtel le a, andrew edlin, janet sobel, davide raggio, art brut, outsiders, art singulier, hervé perdriolle, patua, art populaire indien, collection eternod-mermod, radmila peyovic, susan king, richard kurtz, david burton, galerie rizomi, solange knopf, galerie cavin morris | Imprimer
24/10/2013
Une lecture de textes bruts à Bordeaux
"Monsieur, nous organisons une lecture de textes issus de l'Art Brut, à Bordeaux, le 26 octobre, à 17h, à la Bibliothèque du Grand-Parc qui accueille, en même temps, des œuvres¹ du Musée de la Création Franche de Bègles. Une comédienne, Valérie Pédezert, va lire ces textes issus du recueil "Ecrits bruts", de Thevoz ainsi que de certains fascicules de l'Art Brut. Seriez vous disposé à relayer cette information dans votre blog ? Si oui, nous vous en remercions. Denis Decourchelle, Valérie Pédezert"
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¹ Bien, mais quelles œuvres ? (NDLR)
23:51 Publié dans Art Brut | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer
12/10/2013
Le visage d'Ali, le créateur oublié d'Essaouira
Ali, photo (détail) Patricia Allio, 2001, extrait du catalogue de l'exposition à Dol-de-Bretagne, "L'art brut à l'ABRI"
Donc nous voyons ci-dessus à quoi ressemblait le Ali que le texte de Darnish, et le commentaire de Marianne Boussuge-Brault, récemment mis en ligne sur ce blog (voir ci-dessous), évoquaient. Cette photo fut publiée par Patricia Allio dans le catalogue de l'exposition "L'art brut à l'ABRI" qu'elle avait montée au Cathédraloscope de Dol-de-Bretagne (étaient exposés: des sculptures de Jean Grard, de Pierre Jaïn et de René Raoult, des peintures d'Ali, d'Asman Saïd et d'un autre peintre inconnu d'Essaouira, des photos d'Olivier Thiébaut, des cartes postales de l'Abbé Fouré (venues de ma collection), des peintures de Bruno Montpied, de Patricia Allio, des assemblages d'os sculptés de Gaston Floquet, des sculptures de Dominique Ronsin, et des "mécaniques apprivoisées" de Dino Pozzo).
Ces deux peintures d'Ali (photo Bruno Montpied) étaient accrochées dans l'expo de Dol-de-Bretagne en 2001 de même que la jarre peinte ci-dessous dont on voit les deux personnages peints au pourtour (elle corrobore l'indication de Marianne Boussuge-Brault qu'Ali affectionnait de peindre sur des supports variés, notamment en trois dimensions)
Pour faire bonne mesure, je remets ici, annobli en texte de note, le témoignage de Marianne Boussuge-Brault à propos de cette "Maison des Artistes" qui est à Essaouira décorée avec des peintures d'Ali. Dommage que l'hôte dont elle parle ait été si rétif que cela à ce qu'elle puisse prendre des photos.
"A Essaouira au mois de septembre, nous avons logé dans une maison d'hôte nommée la maison des artistes. S'y trouve exposée l'œuvre géniale d'Ali (brèves biographiques glanées auprès de notre hôte qui lui voue un culte: plus ou moins SDF durant toute sa vie (aujourd'hui terminée), ancien soldat de la guerre d'Algérie dont il a gardé un profond traumatisme, a vécu à la maison des artistes pendant un moment: le propriétaire lui a laissé "carte blanche" dans la maison en échange d'un toit, à manger et de leur amitié). Ali peint sur tout et utilise tous les supports: fenêtre, tables, chaises, toile etc. Des œuvres variées, parfois brutales rappelant les horreurs de la guerre, parfois très colorées et souvent oniriques. L'âne est une figure qui revient dans la plupart de ses toiles. Nous n'avons pas pris de photographies, notre hôte étant rétif à cette idée mais je pense qu'il suffit de frapper à la porte ...et de découvrir Ali." (Marianne Boussuge-Brault)
La salle de l'exposition "L'art brut à l'ABRI" où se trouvaient les œuvres de quelques créateurs d'Essaouira, dont Ali, découverts par Patricia Allio (l'ABRI était le nom de –la paradoxalement éphémère!– association qu'elle avait fondée avec Frédéric Nef dans le but de protéger des créations d'art brut... ; autour étaient disposées des pièces sculptées de Jean Grard, des photos, au fond, d'Olivier Thiébaut..., ph. BM, 2001
10:13 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : ali, essaouira, l'art brut à l'abri, patricia allio, art brut marocain, olivier thiébaut, jean grard, bruno montpied, pierre jaïn, art brut en bretagne, darnish | Imprimer
07/10/2013
L'autre Biennale à Lyon, hors-les-normes paraît-il
C'était le dernier jour hier, choisi en mon honneur puisque c'était la Saint-Bruno. Non, je plaisante. Pas sur le fait que c'était le dernier jour cependant (enfin pas pour toutes les expos qui se sont affiliées à ce programme... Vous n'avez pas tout compris? Pas grave).
Je n'ai pas eu la possibilité de la visiter de fond en comble cette biennale, prévue pour se tenir en parallèle et peut-être (sûrement) en opposition à la Biennale d'art contemporain qui a lieu aussi à Lyon au même moment, et qui paraît véhiculer beaucoup d'importance nulle. Si bien qu'il ne dut pas être difficile pour les organisateurs de l'Hors-les-Normes, la "VeBHN", comme ils disent, de faire mieux. Prévue pour s'exposer en 27 lieux (tout de même), cette Biennale qui fête ses dix ans donc a réussi cette année à monter quelques intéressantes exhibitions qui nécessitent que je m'en fasse l'écho (l'expo de la galerie Dettinger sur quatre créateurs marocains découverts à Tanger que j'ai chroniquée il y a quelques jours se tient parallèlement à cette BHN, sans faire partie pour autant de son programme). J'ai relevé notamment dans ce programme-dépliant, par exemple, au 5 rue Bonald dans le 7e ardt, la galerie Korova Art Cubby Hall qui montrait des Jaber (voir ci-contre ; en allant dans l'arrière boutique de ce petit local au nom grandiloquent on pouvait aussi découvrir des affiches peintes du Ghana, et des Tokoudagba (une mami wata, ai-je rêvé? Je suis passé en effet très vite, comme au pas de charge en compagnie d'amis pressés)).
Juste à côté, dans une boutique de tatoueur, intitulée -manie de l'invasion de notre pays par les mots anglo-saxons- "In my brain" (18 rue Bonald), se tenait une autre exposition où une artiste répondant au doux nom d'"Aup'titbazar", en réalité de son autre nom Alice Calm, montrait des sous-verres remplis de cheveux dessinant de folles arabesques, parfois empesées d'on ne savait trop quelle poisse blanche...
Alice Calm, sous-verre où dansent des cheveux (pas eu le temps de demander si l'œuvre avait un titre, une date...), galerie "In my brain", Lyon 7e ardt, photo Bruno Montpied
Je n'ai pas vu la "sélection BHN" où exposait entre autres l'ami Jean Branciard à l'Université Lyon 2 Campus du Rhône (quai Claude Bernard Lyon 7e), mais je fais confiance à Branciard pour avoir amené de ses esquifs et autres assemblages brinqueballants toujours aussi captivants. Pas vu non plus au Musée des Moulages, cours Gambetta dans le 3e ardt, l'expo "Trouble pictural" consacrée aux protégés français et belges de la Pommeraie (Maurice Brunswick, Michel Dave, Paul Duhem, Alexis Lippstreu, Jacques Trovic, Jean-Michel Wuilbeaux, entre autres), mais je fais confiance là aussi à cet atelier le plus connu d'Europe pour ses créateurs inventifs malgré leurs différents handicaps.
Parmi les autres lieux, devaient certainement être intéressants "le singulier boudoir" installé à la mairie de Lyon 3e ardt avec des œuvres de Marilena Pelosi, Evelyne Postic, Joël Lorand, Jo Guichou, Paul Amar, etc. qui avaient été prêtées par l'association Bab'Art venue du Gard, ainsi qu'à la MAPRA, dans le 1er ardt, l'expo "American folk art" montée par la revue Gazogène et Jean-Michel Chesné qui ont tiré un numéro spécial à ce sujet (le n°35 de la revue), les œuvres présentées paraissant avoir été prêtées par Chesné.
Par contre, j'ai perdu beaucoup de temps à dénicher une autre petite exposition perdue dans le hall de l'Ecole Normale Supérieure située au métro Debourg (dans le 7e ardt encore). Alain Dettinger m'en avait dit le plus grand bien, à cause de la présence parmi les trois exposants d'un certain Christopher Simmons, créateur qu'il avait cotoyé en Australie dans les années 80, et qui dessinait de façon primesautière sur des serviettes en papier à l'exclusion de tout autre support. Cette ENS laissait voir plusieurs de ses dessins effectivement attachants et remarquables, dessins qui avaient été prêtés par Alain Dettinger. Je me suis laissé dire que ce Simmons a peut-être des dessins conservés à Lausanne, est-ce vrai ? (A vérifier). La quête fut longue, mais la découverte payante. A signaler que cette expo-là, intitulée "Encrés dans l'invisible", se termine le 19 octobre. Enfin, saluons le fait que toutes les expos de cette Biennale étaient, et sont, libres d'accès. En ces temps où certains musées et autres Outsider Art Fair font payer leurs entrées à des prix astronomiques anti démocratiques (révélateurs du public auquel on destine désormais l'art brut par une odieuse captation d'héritage), c'est à marquer d'une pierre blanche...
Christopher Simmons, autoportrait à la coupe en brosse, env. 18x18 cm, 1980, coll. Galerie Alain Dettinger
10:17 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art populaire contemporain, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : 5e bhn, korova art cubby hall, tatoueurs, gazogène 35, jean-michel chesné, art brut américain, christopher simmons, alice calm, jaber, la pommeraie, jean branciard, galerie alain dettinger, bab'art | Imprimer
06/10/2013
Yves-Jules Fleuri refait l'histoire de l'art
Il faut tout de même que je dise où et pourquoi j'ai choisi cette peinture du Caravage modifiée par Yves-Jules Fleuri de l'Atelier Campagn'Art que j'ai proposée à en énigme voici quelques jours. En commençant par la restituer telle qu'elle est mise en ligne sur le site de la Galerie du Marché à Lausanne (je l'avais en effet un peu maquillée dans ma première note de façon à ne pas laisser traîner trop d'indices, j'espère que le directeur de la galerie, Jean-David Mermod ne m'en tiendra pas rigueur...).
Le Caravage, Judith décapitant Holopherne et sa version Fleuri au-dessus.
C'est en effet dans cette galerie que, suite à une demande de son directeur, Fleuri présente actuellement une série de peintures toutes démarquées de chefs-d'œuvres de l'histoire de l'art. "L’atelier dans lequel il travaille possède des photographies de tableaux de peintres célèbres qu’il copie depuis quelques temps avec son style inimitable. Fort de cette information je lui fis parvenir, fin 2011, un choix d’une centaine de reproductions de tableaux célèbres du XIVème au XXème siècle. Il en a choisi trente cinq pour en réaliser une interprétation" (Jean-David Mermod).
Anonyme (Ecole de Fontainebleau, vers 1594), Gabrielle d'Estrées et sa soeur ; au-dessus le même, recuisiné par Yves-Jules
Plusieurs maîtres sont ainsi passés à la moulinette, un peu, doit-on dire, à la façon dont un autre créateur handicapé, Alexis Lippstreu, travaillant dans le foyer de la Pommeraie, toujours en Belgique, modifie, depuis plus longtemps que Fleuri je pense, tel ou tel chef d'œuvre de Gauguin ou Girodet.
Un tableau "métaphysique" revu par Yves-Jules...
Yves-Jules Fleuri, "Mon musée à moi", Galerie du Marché, 1, escaliers du Marché, Lausanne, du 3 octobre au 9 novembre.
00:19 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Confrontations | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : yves-jules fleuri, galerie du marché, jean-david mermod, art des handicapés mentaux, campagn'art, la pommeraie, alexis lippstreu, le caravage, école de fontainebleau, chirico, modifications dans l'art | Imprimer
05/10/2013
Sur Ali Maimoun
Je suis resté un peu circonspect je dois dire, dans le récit du citoyen Darnish –et c'est le seul bémol que j'ai à y apporter, tant cette relation, comme dit l'Aigre, m'a paru à moi aussi excellente, et salutaire quant aux créateurs oubliés d'Essaouira dont j'attendais des nouvelles depuis des années– je suis resté circonspect devant les peintures-découpures d'Ali Maimoun que l'on voit autour de lui sur la photo de Samantha Richard. Son art a bien changé, et pas forcément en mieux, selon mon goût bien sûr, depuis la peinture qui fut exposée au Musée de la Création Franche en 1997 et que je mets en ligne ici pour permettre à mes lecteurs de juger sur pièces.
Ali Maimoun, vers 1997, collection permanente du Musée de la Création Franche, ph. Bruno Montpied
Et pour donner un autre exemple de ce que peint Maimoun aujourd'hui, voici une autre photo de Samantha Richard faite à Essaouira cet été. Le tableau me paraît nettement plus "décoratif", qu'en pensez-vous?
Ali Maimoun, 2013, photo Samantha Richard
14:52 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art singulier, Confrontations | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : ali maimoun, musée de la création franche, samantha richard, darnish, essaouira, art singulier du maroc, art marocain contemporain | Imprimer
03/10/2013
Essaouira, les "malfaisants" résistent encore! Un récit de Darnish et Samantha Richard
Rencontre avec des artistes Souiris
(juillet 2013)
« Une écurie de canassons analphabètes » écrivait dans une sorte de manifeste le 22 Février 1999 Houssein Miloudi, le peintre établi d’Essaouira, à propos des artistes autodidactes réunis dès la fin des années 80 autour de la figure de Fréderic Damgaard et de sa galerie.
« L’histoire les a broyés », «ces malfaisants n’ont laissé aucune trace » acquiesçait Abdelwahab Meddeb, ces derniers propos ayant été tenus dans l’émission « Culture d’Islam » consacrée à Houssein Miloudi sur l’antenne de France Culture cette année.
Qu’en est-il vraiment ? Avec Samantha, nous nous sommes rendus à Essaouira cet été, en plein ramadan. Après un voyage en bus depuis Marrakech, nous voici arrivés dans cette cité au bord de l’océan où la température, bien plus fraîche qu’au nord nous a tout de suite permis de prendre un salutaire bol d’air.
En rejoignant notre premier point de chute, nous sommes passés devant «l’atelier Damgaard» où sur les murs extérieurs étaient présentées des œuvres de Mustapha Asmah (voir ci-contre photo de Samantha Richard). Ces visages aux grands yeux, aperçus furtivement, nos sacs pesant sur l’épaule, paraissaient nous saluer, le pied à peine posé dans la ville… Bon présage.
Ce n’est que le lendemain que, reposés, nous sommes revenus sur nos pas et avons pu admirer les œuvres exposées dans l’atelier Damgaard (atelier d’encadrement et annexe de la galerie) et la galerie située à une cinquantaine de mètres. Dans ces lieux, de nombreuses œuvres se côtoient, ne laissant que peu d’espace vide sur les murs. Ainsi Maimoun voisine avec El Hadar, Sanana, Tazarine, Ouarzaz, Babahoum, Asmah et d’autres encore. L’accrochage est un peu confus mais les œuvres s’imposent à notre regard, on découvre…
Azedine Sanana, Galerie Damgaard, ph. Samantha Richard, 2013
Le type qui tient la galerie nous explique que Frédéric Damgaard s’est retiré de l’affaire et que la galerie, même si elle porte toujours le même nom, appartient désormais à un couple de nationalité belge. Ce couple nous a-t-on dit par ailleurs l’a achetée comme on achète une paire de chaussures. Entendons par là qu’il n’a ni l’envie ni l’énergie de faire connaitre ces artistes et que du coup la galerie vivote, quelques touristes s’y aventurent, pas grand monde.
Nous avons essayé d’entrer en contact avec les artistes par le biais du type qui tient la galerie mais ces essais se sont avérés infructueux. En arpentant la ville nous avons bien trouvé quelques espaces d’expositions tenus par les artistes eux-mêmes mais les œuvres proposées nous semblaient un plagiat, une sorte de copie de ce qui se trouvait chez Damgaard. Pas de quoi fouetter un chat.
C’est donc l’âme en peine que les jours passant, nous nous faisions à l’idée de retourner en France, n’ayant pas rencontré un seul de ces créateurs extraordinaires.
La providence a voulu que les choses se déroulent autrement. En effet, depuis le balcon de notre second point de chute, l’hôtel Beaurivage (hôtel au charme suranné), nous avions remarqué l’ouverture d’un "complexe commercial", en fait un local où se trouvaient des vendeurs d’huile d’argan et autres produits locaux. C’est en jetant un rapide coup d’œil à l’intérieur que nous avons aperçu, au fond du local, une peinture majestueuse qui, malgré la distance, était manifestement de la main d’Ali Maimoun. En effet un petit espace bien discret, derrière des tapis, était dédié à la peinture et pas n’importe quelle peinture puisqu’au mur il y avait Ali Maimoun père et fils, Mustapha Asmah et Abid El Gaouzy, lui-même présent sur les lieux.
Atelier de Mustapha Asmah, ph. SR, 2013
On peut dire qu’avec Abid El Gaouzy le contact est tout de suite passé malgré la barrière de la langue. Il nous a expliqué l’aventure Damgaard et le besoin pour les artistes de se prendre dorénavant en mains. Pour ce faire, il a créé une association, « Jamaia Alouan Naouras Fitria », que l’on peut difficilement traduire (cela donnerait à peu près « l’Association des Couleurs des Mouettes Naïves »). Pourtant ni les mouettes ni les couleurs ne sont naïves, cela aurait plutôt à voir avec les déjections de ces volatiles omniprésents à Essaouira et leur faculté de vous repeindre un vêtement en volant au-dessus de vos têtes… Abid El Gaouzy est le président et le moteur de l’association. Autour d’un café à la terrasse du Café de France, rythmé par la rude fumée des cigarettes Marquise, nous avons discuté peinture, matériel utilisé, précarité des artistes et acharnement à peindre encore et toujours. Le lendemain, un rendez-vous fut fixé à 11h du matin pour visiter quelques ateliers dans un quartier périphérique.
C’est donc à 11h que nous avons retrouvé Abid El Gaouzy pour prendre un taxi et nous rendre au « Quartier Industriel ». On y retrouva Abdulah El Moumni le secrétaire de l’association qui parle très bien français et qui se proposait de faire l’interprète. Il est le seul membre non artiste de l’association. Ce quartier au nom si peu poétique est en fait un ensemble de masures faites de bric et de broc où des biffins étalent leurs pauvres marchandises qui vont de la chaussure unique à la bouteille de soda vide en passant par la chaise à 3 pieds… Le bois, principal matériau de construction de ce quartier, est devenu gris sous l’assaut des embruns et du vent chargé de sable de cette région. Impressionnés, nous pénétrâmes dans ce bidonville totalement anarchique pour arriver devant l’atelier de Mustapha Asmah.
Il était là avec sa Femme Najia, sachant que nous venions. Devant l’atelier une pancarte indiquait sa présence. Quiconque connaissant ce lieu peut lui rendre visite, le dimanche plutôt, pour y acquérir une peinture. Et quelle peinture! Mustapha Asmah peint beaucoup et son atelier est rempli d’œuvres qui font de cet endroit un quasi « environnement ».
Il y a des toiles, des peintures sur bois, des assemblages, des sculptures en pierre récupérées sur la plage et taillées avec des outils de sa confection, des instruments de musique à cordes entièrement réalisés par ses soins et agrémentés de ses petits personnages aux grands yeux expressifs. Nous n’en croyions pas nos mirettes. A un moment nous devinons un âne représenté sur une peinture et Mustapha Asmah, en mimant des zigzags avec sa main nous dit : « l’âne, le plus grand ingénieur des autoroutes ». Nous comprenons que selon lui, il suffirait pour décider du tracé d’une route de suivre le chemin que prend l’âne… Nous étions très loin de « l’écurie de canassons analphabètes » évoqué plus haut par ce peintre officiel…
Atelier d'Abdelaziz Baki, ph. SR, 2013
Puis Abid El Gaouzy nous a amené voir Abdelaziz Baki, un autre membre de l’association, le plus âgé d’entre eux. Ici aussi un écriteau signale qu’il s’agit d’un atelier d’artiste. A l’entrée une fusée-vélo d’enfant bricolée et peinte évoque une pièce de manège sans manège, à moins que le manège soit partout en fin de compte.
Abdelaziz Baki, ph. SR, 2013
Abdelaziz Baki, ancien électricien, nous montre sa peinture aux couleurs vives à mi-chemin entre abstraction et figuration. Il peint aussi des bois flottés assemblés qu’il transforme en créatures imaginaires, souvent des dinosaures. Il les appelle ses totems. Comme Mustapha Asmah, une grande sérénité émanait d’Abdelaziz Baki. Une fois de plus, nous ne pouvions en croire nos yeux.
Abdelghani Ben Ali, ph.SR, 2013
Puis à quelques mètres de là, nous allons voir Abdelghani Ben Ali. Moins serein que ses confrères, plus tourmenté par une vie difficile où décès traumatisants ont côtoyé de graves difficultés financières (ancien pêcheur, son bateau a fait naufrage), Abdelghani Ben Ali s’exprime par une peinture fort différente des autres. Chez lui la nudité s’expose, des ânes copulent, les couleurs sont moins vives, tandis qu’une grande force se dégage de ses créations, une force inouïe même. De petits formats très sombres nous plongent dans « quelque chose » que nous n’avons plus l’habitude de voir en France. Il y a quelque chose de Goya, je trouve, chez Abdelghani Ben Ali qui nous dit peindre seulement quand l’inspiration lui vient. « Si je veux dire quelque chose, je le dis dans mon tableau », nous confie-t-il avec une certaine gravité.
Abdelghani Ben Ali dans son atelier à côté de certaines de ses oeuvres, et insérée dans la note une autre de ses peintures, ph. SR, 2013 ; je (l'animateur du blog) me demande si ce Ben Ali ne serait pas par hasard le même peintre dont Patricia Allio dans son exposition 'L'art brut à l'ABRI" à Dol-de-Bretagne en 2001 montra au moins deux oeuvres (voir tout de suite ci-dessous)?
"Ali", deux peintures, provenant d'Essaouira, exposées par Patricia Allio à Dol-de-Bretagne en 2001, le même Ali que rencontrèrent Samantha et Darnish à Essaouira cet été? Photo Bruno Montpied, 2001
Enfin nous terminâmes notre visite par l’atelier de Mustapha El Hadar, seul à ne pas faire partie de l’association. Franc-tireur envers et contre tout, il continue cependant de travailler avec la galerie Damgaard. Il est surtout connu pour ses dessins à l’encre de Chine ou au « smah » (sorte d’encre à base de crottes de chèvre) sur des peaux marouflées sur bois. Il rehausse ensuite parcimonieusement ses dessins de gouache aux couleurs vives. Dans ses grands formats fourmille un bestiaire halluciné, fascinant. Dans son atelier, une grande œuvre interrompue faute d’encre trône au milieu d’expériences en tout genre. Ici un assemblage d’objets en plastique, ailleurs un collage en trois dimensions. Ce sont des expérimentations réalisées quand une peinture est en train de sécher car Mustapha El Hadar, perpétuellement excité, ne veut pas perdre de temps. Il a aussi fait des installations de land art « brut » à base de morceaux de carrelage disposés sur la plage du quartier industriel sur lesquels il pose des objets mis au rebut comme un vieux téléviseur, une chaise, etc…
Mustapha El Hadar, ph. SR, 2013
Nous quittâmes cet endroit bouleversés par ce que nous y avions vu, par les rencontres faites. Tout cela nous ramenait à notre situation en France, à notre idée de ce qu’est l’art, idée bien souvent mise à mal par ce que nous voyons en général, par cette mainmise d’un art contemporain si éloigné de la vie, combien même il prétend la signifier, la représenter, la sublimer, y dénoncer ses travers.
Le soir nous retrouvâmes Abid El Gaouzy qui surveillait l’arrivée d’éventuels clients dans le fameux complexe commercial en sirotant son café à la terrasse du Café de France. L’air était frais et le café moins cher depuis que nous y allions avec Abid. A ce moment il nous annonça qu’Ali Maimoun, au courant de notre présence, allait venir à notre rencontre. Nous ne nous étions pourtant présentés ni comme des acheteurs, ni comme des galeristes, seulement comme deux artistes français désireux de rencontrer des artistes d’Essaouira pour quand même, peut-être, et excusez du peu, rédiger une note sur le Poignard Subtil et ainsi rétablir un pont entre eux et nous, rompre leur isolement.
Ali Maimoun, monsieur Maimoun comme le dit non sans humour Abid El Gaouzy, arriva donc, venu depuis sa campagne dans les terres sur la route de Marrakech ou il possède une maison et un atelier. Portant une djellaba, un chapeau vissé sur la tête et un paquet de Marlboro à la main, Ali Maimoun a l’allure d’un bluesman. Il nous évoqua lui aussi la période bénie de Frédéric Damgaard. « Un grand monsieur, Fréderic » nous confia-il. Frédéric Damgaard rémunérait généreusement les artistes, ce qui n’est plus le cas avec ses successeurs qui ont petit à petit réduit les billets jusqu’à ce que quelqu’un comme Ali Maimoun ne s’y retrouve plus vu le temps qu’il lui faut pour faire une peinture (parfois deux mois). Quand je dis une peinture, c’est façon de parler, car c’est autant un volume, un bas-relief qu’une peinture. Dans un premier temps il découpe dans du bois des entrelacs de formes abstraites, puis il colle ce découpage sur une planche. Ensuite il passe un enduit de son invention à base de colle et de sciure de bois. Ce n’est qu’à la fin qu’il y dépose ses couleurs si particulières, si harmonieuses. En y regardant de plus près on y voit de petits yeux par ci par là qui nous rappelle que ces formes abstraites au premier coup d’œil, représentent en fait des corps, des créatures enchevêtrées les unes dans les autres comme autant de diables dansants. Depuis quelque temps il initie son fils qui, après avoir en quelque sorte imité son père, semble prendre dorénavant son propre envol.
Ali Maimoun au milieu de ses oeuvres, ph. SR, 2013
Nous nous sommes pris en photo bras dessus bras dessous avec Ali Maimoun avant de nous quitter chaleureusement.
Abid El Gaouzy étalant une de ses dernières oeuvres, ph SR, 2013
Le lendemain, Abid El Gaouzy nous convia, pour un repas d’adieu, dans un appartement qu’on lui prête. Il nous avait préparé un excellent tagine de poisson. Après le repas nous nous rendîmes dans son atelier, un garage prêté lui aussi. Dans ce petit lieu quelques œuvres en cours nous ont interpellés. Abid El Gaouzy cherche encore son style ou plutôt il ne se contente pas d’un style, même si le mot naïf n’est pas exagéré pour définir l’ensemble de ses pratiques. Nous retournâmes ensuite une dernière fois à la terrasse du café où même en ce mois de juillet, un pull en laine n’était pas de trop. Mustapha Asmah nous y rejoignit et c’est avec beaucoup d’émotion que nous les quittâmes sur cette terrasse animée en ce soir de ramadan.
Ce texte, cette tribune permettront, je l’espère, de contredire l’odieuse affirmation meddebienne que « l’histoire les [aurait] broyés ».
Darnish et Samantha Richard
Ps : Bien que ne l’ayant pas rencontré je voudrais aussi parler d’un autre artiste qui habite non loin d’Ali Maimoun, portant le doux nom de Babahoum. Babahoum, très âgé, est sans doute celui qui peut davantage être qualifié de naïf. Sa peinture, souvent constituée de motifs répétés (dromadaires, ânes, personnages, cigognes entre autres) ne souffre d’aucune ambition d’illusion perspectiviste. Les motifs répétés rythment de manière très douce ses formats tous quasiment identiques, tracés sur des cartons de récupération. Il utilise le Bic pour cerner les contours de ses aquarelles aux teintes souvent sableuses. Une grande harmonie naît de son œuvre, et surtout une vie intense. D’après ce que l’on a pu apprendre du personnage, il semble que Babahoum ait fréquenté les hippies dans les années 70 et que sous l’impulsion de ces derniers, il se soit mis à peindre sur les murs des cafés de son village. Puis il s’est occupé d’un pressoir à olive activé par la force d’un dromadaire ce qui peut-être lui a permis de transcrire dans sa peinture cette subtile impression de lenteur, de temps qui défile tranquillement.
Babahoum, ph SR, 2013
Autre œuvre de Babahoum, ph SR, 2013
03:59 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : art brut, babahoum, jamaia alouan naouras fitria, abid el gaouzy, azedinne sanana, abdelaziz baki, créateurs autodidactes d'essaouira, essaouira, ali maimoun, mustapha asmah, darnish, abdelwahab meddeb, hossein miloudi, abdelghani ben ali, mustapha el hadar | Imprimer
02/10/2013
Modification mystère, un jeu
Ce peintre belge dont j'ai déjà parlé ici s'amuse depuis quelque temps à peindre des tableaux d'après les grands maîtres de l'art (c'est à la mode en Belgique). Faisons un petit jeu (non ouvert à ceux qui l'exposent ou qui le connaissent bien, essayons de rester honnêtes...). Un DVD des films de Del Curto et Genoux sur Henriette Zéphyr et Yvonne Robert à gagner à celle ou à celui qui reconnaîtra le grand maître de la peinture qui a été réinterprété dans le tableau ci-dessous...
C'est d'après qui, hein?
C'est le DVD à gagner...
23:41 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art populaire contemporain, Art singulier, Confrontations | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : modifications d'oeuvres d'art, arrt singulier, art immédiat, jeux de devinette, mario del curto, bastien genoux | Imprimer
27/09/2013
Le retour de l'art brut marocain
Il y a quelques années, certains s'en souviendront, la mode fut un moment à la découverte des artistes dits naïfs d'Essaouira, l'ancienne Mogador au Maroc où fut tourné l'Othello d'Orson Welles et où résidèrent à une époque beaucoup d'artistes et d'écrivains occidentaux (dans les années 70, la ville vit passer Jimmy Hendrix, Cat Stevens et le Living Theater, entre autres). Les autodidactes singuliers paraissaient littéralement y pulluler, certains d'entre eux firent connaître leur nom au delà des frontières du pays, comme Ali Maimoun, Mohamed Tabal, Abdallah Elattrach, Rachid Amarhouch ou Mostapha Assadeddine. Une grande exposition tourna en France en 1999, à Strasbourg, Barbizon, Bourges, La Rochelle, Lyon (galerie des Terreaux), Pézenas, Saint-Etienne et Paris (dans un espace Paul Ricard qui d'après moi maintenant n'existe plus, rue Royale près de la Concorde, au-dessus du café chez Maxim's). Elle présentait Boujemâa Lakhdar (1941-1989), ancien conservateur du musée des Arts Populaires d'Essaouira et en même temps peintre, comme le pionnier et le doyen des peintres de la ville. Sa peinture était naturellement inspirée des arts et traditions populaires de cette région, il s'intéressait à la magie, aux chants traditionnels, à la sculpture, à l'artisanat et à l'histoire de la ville. Certaines de ses œuvres figurèrent dans la fameuse exposition Les Magiciens de la Terre qui se tint en 1989 au Centre Beaubourg et à la Grande Halle de la Villette, expo où il fut le seul représentant du Maghreb. Il semble qu'il ait été un des grands initiateurs de la peinture autodidacte populaire moderne dans cette ville d'Essaouira, véritable pépinière de peintres singuliers, ressemblant un peu à Haïti et ses nombreux artistes autodidactes.
Ces créateurs se firent connaître à l'étranger grâce à l'activité dynamique de la galerie Frédéric Damgaard qui les exposa dès le début des années 90. Hélas aujourd'hui, cette galerie semble avoir cessé sa médiation et son entreprise de communication énergique en leur faveur (son propriétaire n'étant apparemment plus en état de la continuer). On n'entend du coup plus parler des "Naïfs" d'Essaouira, qui sont en réalité plus proches de l'art brut. Pourtant récemment, Darnish, de passage au Maroc, a retrouvé certains d'entre eux. Ali Maimoun est toujours actif, et avec d'autres, a fondé une "Association des Couleurs des Mouettes Naïves d'Essaouira" dont le nom plaide assez peu pour leur travail il est vrai (il paraît que le terme marche mieux en arabe) mais qui leur permet de retrouver un peu plus de visibilité, en dépit des lamentables critiques venues de certains intellectuels arabes arcboutés sur leurs privilèges élitistes comme ce peintre académique d'Essaouira nommé Houssein Miloudi qui, selon Darnish, les traita en 1999 dans un de ses textes de "canassons analphabètes", ce que confirma Abdelwahab Meddeb (comme c'est souligné par Darnish dans un récit que je publierai bientôt) en déclarant dans une émission à la gloire de ce Miloudi diffusée il y a peu sur France Culture: "ces malfaisants n’ont laissé aucune trace"...
Ahmed Fellah, œuvre reproduite sur le carton d'invitation de la Galerie Dettinger-Mayer
En attendant que Darnish veuille bien nous faire un reportage sur son voyage, nous pourrons ronger notre frein de façon féconde en allant voir ce que nous ont dénichés deux chercheurs de talent de première, le galeriste Alain Dettinger et sa collaboratrice Fatima-Azzahra Khoubba, qui ont ramené de Tanger quatre créateurs nouveaux, tout aussi autodidactes que ceux d'Essaouira, Ahmed Fellah, Zohra Saïdi, Mohamed Larbi Amarnis et Abdelaziz Hakmoun, vivant dans la médina. Ils vont être exposés dans la Galerie Dettinger-Mayer (4, place Gailleton, dans le 2e ardt de Lyon, tél: 04 72 41 07 80) du samedi 28 septembre au samedi 19 octobre.
Zohra Saïdi, titre non identifié (il semble qu'il s'agisse d'une scène de rue dans la vieille ville de Tanger, avec des collines montagneuses en arrière-plan, un liseré de ciel longeant le bord supérieur du tableau ; les deux têtes à gauche correspondraient aux visages d'enfants curieux de la scène se passant dans la ruelle), ph. Bruno Montpied, expo chez Dettinger 2013
Je n'ai pas pu voir l'ensemble de l'expo en avant-première, mais j'ai tout de même entraperçu quelques beaux morceaux prometteurs que je vous livre en guise d'avant-goût. Les deux plus étonnants dans cette bande des quatre, à mon humble avis, c'est surtout Zohra Saïdi (qui paraît signer quelquefois Saïda) qu'une rumeur présente comme une nouvelle Chaïbia, et Abdelaziz Hakmoun.
Zohra Saïdi, œuvre (sur papier?), ph.BM, expo chez Dettinger 2013
Abdelaziz Hakmoun, pas de titre identifié, pas de date non plus, ph. BM, expo chez Dettinger 2013
Etonnantes et fortes images, ne trouvez-vous pas?
Zohra Saïdi a une façon toute particulière et très libre, en véritable affranchie de la représentation picturale et graphique, de restituer ses observations, sans souci de la ressemblance autre que propre à son ressenti, à sa vision des choses. Ce visage est coulant? Ses pieds ressemblent à des pattes de chameau? Peu importe si cela marche dans la composition, si cela tient et doit être conservé par le peintre. Ce n'est pas une traduction immédiate de la vision, c'est plutôt un jeu avec les couleurs et les formes qui prenant prétexte d'une restitution de paysage extérieur s'affranchit des règles de ressemblance et se déploie dans un accord étroit avec le ressenti immédiat de la créatrice, analogue avec sa façon de vivre le monde au jour le jour. C'est cela que j'entrevois quand je parle d'art de l'immédiat, M. Gayraud.
Abdelaziz Hakmoun, sans titre identifié, ph.BM, expo chez Dettinger 2013
Abdelaziz Hakmoun est plus sombre, comme plus tourmenté, aimant plonger ses faces de carême (ou de ramadan en l'occurrence) dans un maelström de cercles embrumés et flasques.
Mohamed Larbi Amarnis, une pierre, ph BM, expo chez Dettinger 2013
Mohamed Larbi Amarnis procède autrement encore, en grand obsédé des formes naturelles des pierres qui le sollicitent fortement. Comme le Français Serge Paillard qui fait de la divination d'après pommes de terre, Amarnis est visionnaire dans le minéral. Il peint une pierre en tentant d'en révéler le mystère. La roche apparaît inexorablement, peinte sur verre, tel un bloc quelque peu abstrait, comme un aérolithe tombé du ciel. Les pierres magiques "lui chuchotent des histoires. La forme de ses pierres le guide dans l'interprétation de rêves prémonitoires. Il voit dans ces formes des messages qu'il dessine avec des plumes de pigeon, en gris métallisé sur des fonds noirs. Plus loin des fleurs fragiles se dressent dans des vases aux formes asymétriques et des chandeliers sans bougies éclairent un pigeon..." (Fatima-Azzahra Khoubba).
01:15 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art populaire contemporain, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : naïfs d'essaouira, ali maimoune, abdelwahhab meddeb, art brut marocain, galerie dettinger-mayer, fatima-azzahra khoubba, alain dettinger, abdelaziz hakmoun, darnish, frédéric damgaard, art immédiat, art singulier, serge paillard | Imprimer
17/09/2013
De la lenteur avant toute chose
L'association ABCD invite l'association Portraits pour une exposition où seront confrontées des œuvres d'art contemporain et des créations faisant partie des collections d'art brut d'ABCD. Il y a pas moins de cinq commissaires d'exposition pour cette association Portraits, tandis que Barbara Saforova reste bravement seule commissaire pour ABCD. "De la lenteur avant toute chose", titre et thème de l'expo qui commence à Montreuil-sous-Bois dans les locaux de la galerie ABCD le 29 septembre et se terminera le 16 novembre, invite à réfléchir si la lenteur des processus créatifs (terme qu'affectionne et creuse une des commissaires de l'expo, doctorante à Paris I et conservatrice au musée Picasso, Emilie Bouvard) ne pourrait être interprétée comme un comportement subversif dans un monde dominé par une consommation effrénée et étourdissante des images:
"La vitesse est révolutionnaire. Mais la vitesse peut devenir celle, mécanique et aliénante, de la machine, celle de la ville Babylone, industrieuse, faisant et défaisant les modes à un rythme rapide, effréné et superficiel. Dans un monde où l’artiste se voit imposer une productivité toujours plus soutenue, serait-il possible de penser, comme le sociologue Hartmut Rosa dans Accélération : Une critique sociale du temps (2010), que la modernité, à force d’accélérer, pourrait bien faire du surplace ? Il convient ici de s’intéresser à des processus créatifs qui, dans leur lenteur, impliquent une durée subversive par rapport aux injonctions contemporaines de consommation de l’art et des images, sans toutefois s’inscrire dans un anti-modernisme moralisateur" (extrait du dossier de presse de l'exposition).
Intéressante question qui paraît faire écho à des préoccupations plus anciennes d'un Paul Virilio, si je peux me permettre de citer ici un philosophe que je n'ai jamais lu mais seulement très effleuré, qui plus est en diagonale, aux étalages des librairies... La lenteur du processus créatif, le temps pris à confectionner minutieusement divers travaux sans se préoccuper des contingences extérieures, n'est-ce pas la même chose qui est pointée ici en creux que l'inactualité radicale d'une certaine création, le temps vécu en décalage absolu vis-à-vis du temps du travail, de la consommation, de l'obéissance aux clichés et aux modes? Un éloge de la désobéissance et du grand écart vis-à-vis de la société du spectacle?
Les commissaires de l'expo en question croient voir un éloge de la lenteur chez des artistes et créateurs qui travaillent avec minutie sans compter leur temps, mais apparemment assez hétéroclites si j'en juge par rapport aux quelques images semées dans le dossier de presse. On y retrouve la dessinatrice Sophie Gaucher dont j'avais proposé à la sagacité de mes lecteurs les dessins en leur demandant si cela pouvait être de l'art brut. Il paraît que c'est ma note qui aurait donné l'idée à Emilie Bouvard et ses amies de la confronter à des œuvres dites d'art brut, c'est décidément trop d'honneur. Mais je rappellerai ici que mes lecteurs dans leurs commentaires l'identifièrent sans hésiter comme une dessinatrice contemporaine...
Voici la liste des exposants: ACM, Arnaud Aimé, Anaïs Albar, Clément Bagot, Koumei Bekki, Jérémie Bennequin, Arnaud Bergeret, Gaëlle Chotard, Mamadou Cissé, Florian Cochet, Samuel Coisne, Isabelle Ferreira, Sophie Gaucher, Hodinos, Rieko Koga, Kunizo Matsumoto, Dan Miller, Mari Minato, Edmund Monsiel, Hélène Moreau, Benoît Pype, Daniel Rodriguez Caballero, Chiyuki Sakagami, Ikuyo Sakamoto, Judith Scott, Claire Tabouret, Jeanne Tripier, Najah Zarbout.
Je n'en connais pas beaucoup là-dedans, si ce n'est les créateurs d'art brut bien connus, ACM et ses maquettes de ruines rongées faites en agrégat de composants électroniques, Emile Josome Hodinos (qui personnellement me barbe avec ses litanies d'inscriptions et de médailles), Dan Miller (un as du gribouillage, une sorte de Cy Twombly spontané et plus brouillon), Judith Scott (qui avec ses cocons de fils, c'est sûr, était complètement barrée loin de nos préoccupations de grands aliénés de la survie), Edmund Monsiel (prolifération vaporeuse de visages) ou Jeanne Tripier (et ses broderies de bénédictine). Les autres noms ne me disent rien. Tout juste puis-je dire, à regarder les images du dossier de presse que je serais curieux de voir les œuvres de Benoît Pype, avec ses fonds de poche dont il fait des petites sculptures ce qui me rappelle une démarche plutôt dalinienne (de sa grande époque surréaliste, pas celle d'Avida Dollars). Ah si, Mamadou Cissé, je vois ce que c'est, on en a déjà vu à la Fondation Cartier, des villes ultra décoratives vues de haut comme des circuits imprimés filtrés par des lunettes psychédéliques, j'avais assez peu apprécié, je trouvais que cela démarquait en moins bien les maquettes de villes futuristes du congolais Bodys Isek Kingelez précédemment exposées dans la même Fondation Cartier...
00:13 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art moderne ou contemporain acceptable, Art singulier, Confrontations, Galeries, musées ou maisons de vente bien inspirés | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : abcd art brut, association portraits, émilie bouvard, art brut, dessin contemporain, sophie gaucher, acm, edmund monsiel, de la lenteur avant toute chose, benoît pype, sculptures de fonds de poche, mamadou cissé, fondation cartier | Imprimer