14/06/2013
Un chouette musée à la campagne, par Emmanuel Boussuge
Cela faisait longtemps que je voulais saluer (merci au Poignard de m’en donner l’occasion) le petit musée du Veinazès dans la Chataigneraie cantalienne, un musée familial constitué en toute indépendance des institutions. On y trouve surtout des outils et machines du mode rural. Amené par son métier à vider de nombreuses maisons, Raymond Coste supportait très mal le grand gâchis d’objets que ses voisins se sentaient obligés d’offrir en holocauste à la modernité conquérante et qu’il était souvent chargé d’amener vers leur destruction.
Un jour, il se décida à les récupérer et il en emplit un, puis plusieurs hangars. Il y a dix ans, la retraite venue et aidé par sa famille, il bâtit un musée où montrer une partie des innombrables pièces mises en réserve. Ateliers d’artisans reconstitués avec rigueur ou machines maintenues en état de marche (avec notamment une collection de tracteurs parfaitement huilés à faire pâlir tous les amateurs), Raymond Coste fait visiter sa collection et tourner ses machines en donnant toutes les explications nécessaires, selon les principes d’une pédagogie rustique, joviale et passionnée.
Raymond Coste et Cécile C., démonstration de tracteur, photo E. B., juillet 2009
Depuis quelque temps, le musée s’est aussi tourné, sous l’impulsion de Bernard Coste, son fils, vers diverses formes de création populaire. « Singuliers, bruts, hors-les-normes, outsiders, naïfs, cela importe peu », nous dit un panneau. « Le musée du Veinazès est très heureux d’accueillir ces œuvres qui, au travers d’une inspiration foisonnante et d’une imagination surprenante, traduisent le mot LIBERTÉ ». Bien doué lui aussi du talent familial pour la préservation, Bernard a ainsi pu mettre à l’abri plusieurs éléments du site réalisé à Ally, au Nord du Cantal, par René Delrieu, site qui avaient toutes les chances de disparaître sans laisser de traces (hors quelques rares pages comme celles de l’Auvergne insolite de Pascal Sigoda) quand ce dernier est mort en 2008. Rien de plus évident à mon sens que la présence des sculptures métalliques qui peuplaient le jardin de ce « mécanicien sur machines agricoles » au musée du Veinazès. Je mettrai ma main au feu qu’il aurait apprécié le geste.
Ajoutons qu’outre les pièces qui étaient bien visibles devant la maison d’Ally, la conservation concerne des dessins d’une facture originale que l’on pourra aussi découvrir cet été au musée de Mauriac, lors d’une exposition qui fera la part belle à quelques-uns des plus étonnants parmi les créateurs populaires cantaliens.
Petit avant-goût :
Dessin de René Delrieu, ph. E.B., août 2009
Le musée du Veinazès expose d’autres productions locales plus ou moins excentriques (maquettes, aquarelles, dessins), ainsi que quelques pièces dénichées à Paris.
Robert Goudergues, maquettes de maisons des rives de la Jordanne, ph. E.B., juin 2013
Certaines découvertes faites par Bernard dans sa Chataigneraie (à Saint-Etienne de Maurs ou Lafeuillade) mais qui ne sont pas encore exposées paraissent extrêmement alléchantes. Un énigmatique meuble acheté dans une brocante à Mauriac (c’est la seule indication de provenance) figure aussi dans la collection. Il mélange stylisation populaire et thème aristocratique, avec heaume et blason que deux hommes patibulaires, vêtus d’un simple pagne (des hommes sauvages ?) soutiennent. Je serais, ma foi, bien curieux d’avoir l’avis expert des lecteurs du blog sur cette pièce difficile à qualifier et à dater.
Ph. E.B., juin 2013
Me reste à donner les informations utiles pour se rendre à ce musée plébéien, et fier de l’être, qui réserve sans doute de belles surprises au fur et à mesure que la part (encore assez réduite) réservée à la création populaire marginale va s’étendre, selon le vœu de ses animateurs.
Musée du Veinazès, Lacaze, 15120, Lacapelle del Fraisse (entre Aurillac et Montsalvy), tél. : 04 71 62 56 93 - 04 71 49 25 81. Le musée se visite en été tous les après-midis.
Emmanuel Boussuge
23:55 Publié dans Art immédiat, Art populaire contemporain, Art populaire insolite, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : rené delrieu, raymond coste, environnements spontanés, habitants-paysagistes, robert goudergues, musée du veinazès, arts populaires ruraux, chataigneraie cantalienne, emmanuel boussuge | Imprimer
12/06/2013
Où nos collaborateurs trouvent-ils leurs idées?
Le Caylar (Hérault... – ou anti-Hérault ?), juillet 2012, ph. Bruno Montpied
11/06/2013
Albert Dürer et la guerre des paysans, une analogie proposée par Darnish
La colonne du monument aux morts de Camplong [voir note précédente] avec à sa base le casque prussien me fait penser à un autre monument commémoratif qui n'a jamais été réalisé mais qui fut pensé et dessiné par Dürer en hommage aux paysans insurgés de la guerre des paysans vers 1525.
Albert Dürer, projet de monument commémoratif de la guerre des paysans, 1525
Il s'agissait aussi d'une sorte d'assemblage d'objets, ceux-ci issus du quotidien d'un paysan tels que des fagots, des fourches, etc. Au sommet de ce monument, Dürer voulait y placer un paysan assis, semblant méditer (un peu comme le Penseur de Rodin) , un glaive planté dans son dos. Ce dessin se trouve reproduit dans le livre de Maurice Pianzola intitulé Peintres et vilains [voir ci-dessus l'image extraite pas nos bons soins du livre dans l'édition que nous possédons aux Presses du Réel, de 1992].
Darnish
21:55 Publié dans Confrontations | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : darnish, albert dürer, guerre des paysans, anabaptistes, maurice pianzola, peintres et vilains, thomas munzer | Imprimer
08/06/2013
Camplong, le monument du Bousquétou
L’Hérault a un goût marqué pour les monuments insolites aux morts de la guerre 14-18, on dirait. Si Lodève a le monument étonnant, à connotation antimilitariste, de Paul Dardé (voir note ancienne sur ce blog), Camplong de son côté peut s’enorgueillir d’un autre monument, dû à un tailleur de pierre et sculpteur autodidacte, Denis Bousquet. Il a fait une colonne finement travaillée, tout en étagements, avec des personnages aux traits naïfs, fort élégante, touchante et originale. L’empilement de divers symboles couronné d’une sorte de tourelle surmonté d'un canon miniaturisé prend des allures de monument d’inspiration visionnaire, comme une architecture faite de collages. De tous les monuments aux morts insolites que j'ai rencontrés jusqu'à présent, c’est certainement celui dont le style paraît bien le plus adapté au qualificatif de naïf.
Le Monument aux morts de Camplong dans l'Hérault, dû à Denis Bousquet, ph. L. Osouf, extraite comme les deux suivantes d'un site web sur les monuments aux morts de l'Hérault ; on notera le casque prussien qui sert de base à la colonne et l'aigle qui est empalé sur sa pointe et n'en supporte pas moins tel un nouvel Atlas tout le poids de la colonne reposant sur lui...
Denis Bousquet, l'un des soldats agenouillés au coin de la colonne (détouré), ph. L.Osouf
B. Derrieu dans la base Palissy sur internet le décrit ainsi (en 1991) :
« Une colonne sculptée, surmontée d'un canon de 75, repose sur un aigle empalé sur un casque prussien (symbole de la défaite allemande). Quatre soldats en prière sont disposés aux angles de la colonne.
L'artiste, suite à la mort de son fils Léon au champ d'honneur, aurait accepté d'en assurer la réalisation à condition d'en avoir la liberté d'exécution, sans plan ».
Laure Gigou dans un récent « guide insolite » des éditions Bonneton ("Hérault, 100 lieux pour les curieux", 2012) a donné quelques précisions supplémentaires sur ce sculpteur.
On le surnommait « Le Bousquétou » parce qu’il mesurait 1,55m. Son fils Léon avait vingt ans quand il fut tué. « Poursuivi par le sort, le Bousquétou perdit aussi un petit-fils en 1944, fusillé par les Allemands à Lyon. Celui-ci aussi avait vingt ans… ».
Il est également l’auteur du caveau familial dans le cimetière du village.
Avec ce Denis Bousquet, nous avons la preuve que l'on pouvait demander ici et là à des sculpteurs du cru, pas forcément très académiques, de tailler des monuments aux morts.
Peut-être pour compléter cette note d'une touche plus antimilitariste, puis-je signaler cet autre monument photographié l'année dernière à Amiane également dans l'Hérault.
"La guerra qu'an vougut
Es la guerra a la guerra
Son morts per nostra terra
E per touta la terra"
(Traduction improvisée par moi: "La guerre qu'on veut/ C'est la guerre à la guerre/ Ils sont morts pour notre terre/ Et pour toute la Terre") ; ph Bruno Montpied, 2012
Et puis voici encore un autre monument, le Monument aux Morts de la Haute-Garonne, cette fois à Toulouse, qui, différemment par rapport à celui de Dardé à Clermont-L'Hérault avec sa femme nue gardant lascivement un soldat mort, possède de toute évidence par son naturalisme une dimension défaitiste qui, à ce que m'a écrit Emmanuel Boussuge qui me l'a communiqué (voir également son commentaire ci-après), fit scandale lorsque le sculpteur (un certain Camille Raynaud) dévoila son œuvre en 1928.
La "Victoire" de Camille Raynaud, on aimerait la voir dans ce simple appareil se mettre à voleter de ci de là, ph.Emmanuel Boussuge, 2013
Autre aspect du Monument de Raynaud, ça se bouscule au portillon de la libération hors des armes... Ph. Boussuge, 2013
23:57 Publié dans Art moderne méconnu, Art naïf, Danse macabre, art et coutumes funéraires | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : monuments aux morts, paul dardé, lodève, camplong, sculpture naïve, denis bousquet, laure gigou, aminae, hérault insolite, camille raynaud | Imprimer
03/06/2013
Créatures de l'arc-en-ciel
Bruno Montpied, Créatures de l'arc-en-ciel, 14 x 21,5 cm, carte à gratter (et un tout petit peu d'encre), 2011
Il m'arrive d'être dans la pureté des lignes, dans la pureté d'un monde blanc écru, avec un visage au centre tout empreint de paix intérieure, éléphant trompettant et ange moustachu du type hidalgo émanant de son cerveau et de son corps comme le protégeant...Je m'en suis trouvé tout étonné ce soir en tombant dessus, cherchant une autre image vaguement, une image définitive qui pourrait faire une image résumant toutes les autres comme pour l'affiche d'une rétrospective... Ce dessin fut fait pour voir, pour tester des cartes à gratter d'un type nouveau sur papier fin ("cartes" est impropre du coup, mieux vaudrait dire papier à gratter, comme pour les jeux de hasard), sans conviction. Bien m'en a pris, mais le résultat lumineux ci-dessus ne m'a réellement convaincu que bien plus tard.
22:40 Publié dans Art singulier | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : bruno montpied, art singulier, carte à gratter, arc-en-ciel | Imprimer
Le pape des Recoins chez Song of Praise ce lundi 3 juin
Comment, comment? J'apprends à la dernière minute que Mister Boussuge va parader sur les tréteaux radiophoniques sur Radio-Aligre ce soir même. Pourtant toute l'Auvergne qui compte (Régis Gayraud, Bruno Montpied) était également présente en ce moment à Paris. Heureusement que Cosmo Hélectra fait encore suivre :
"C'est avec tout l'aplomb du Cantal que nous recevrons ce lundi Emmanuel Boussuge pour la sortie du nouveau numéro de la revue Recoins, la seule revue "art, belles lettres et rock'n roll" annuelle qui parait tous les deux ans !
Au plaisir de vous croiser sur les ondes et que les moines restent au moins !
Cosmo
http://songsofpraise.hautetfort.com/
Lundi 3 juin, 19h30 / 21h Aligre FM 93.1 "
"L'aplomb du Cantal", tu ne crois pas si bien dire, cher Cosmo...
Aubrac, photo Emmanuel Boussuge, 2004
09:54 Publié dans Musiques d'outre-normes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : song of praise, musiques alternatives, emmanuel boussuge, recoins n°5, art-belles-lettres-et-rock 'n-roll | Imprimer
30/05/2013
16e festival du film d'art singulier à Nice
C'est reparti demain 31 mai et ce samedi 1er juin à Nice, vendredi après-midi à la bibliothèque Louis Nucéra (les films plus longs, quoique) et à la libraire Masséna (une nouveauté) et le samedi à l'auditorium du MAMAC (les films courts), pour la nouvelle programmation de cinéma documentaire autour des arts spontanés concoctée par Pierre-Jean Wurtz et ses acolytes de l'Association Hors-Champ.
Je ne donne pas tout le programme, on le retrouve sans problème sur le site web de l'Association sus-dite. Je distinguerai seulement quelques films dont l'annonce me dit quelque chose.
Le vendredi, sera projetée par exemple la bande-annonce (3 min seulement, voir ci-dessous, on peut la retrouver sur le site de la maison de production Poekhali) d'un nouveau film de Renée Garaud et Lilian Bathelot, sur l'univers de Guy Brunet qui s'appelle La Fabuleuse Histoire de la Paravision. L'un des auteurs m'a permis de voir la totalité du film qui m'a paru ma foi excellent. Il s'agit de rendre hommage en quelque sorte à Guy Brunet, à la fascination de ce dernier pour le cinéma d'une certaine époque qui semble s'arrêter dans les années 60 de l'autre siècle. On sait que Guy Brunet, je l'ai déjà évoqué dans ce blog, se consacre depuis plusieurs années à créer des décors de cinéma, des affiches, des silhouettes peintes d'acteurs et de producteurs, des dioramas, etc. dans le but de les faire converger dans les films qu'il tourne de façon totalement bricolée dans son antre de Viviez près de Decazeville. Il manipule ainsi ses silhouettes comme des marionnettes, les faisant parler devant sa caméra, faisant toutes les voix, étant tour à tour réalisateur, acteur, scénariste, dialoguiste, producteur, démiurge intégral en somme... Le film a été tourné chez lui (exploit de gymnastique pour le caméraman) et aussi à Villefranche-sur-Saône lors de l'exposition que lui avait montée Alain Moreau récemment. Grâce à ce film on comprend enfin mieux la recherche de Guy Brunet et ce qu'il fait quand il filme. A ma connaissance, c'est la première fois que cela est explicité de façon aussi concrète.
Bande-annonce
Le film Mur murs d'Agnès Varda, projeté aussi ce vendredi (78 min), m'intrigue quelque peu. Le programme (c'est un reproche que l'on peut faire aux programmateurs) ne commente jamais le contenu des films présentés, ce qui rend leur raison d'être programmés dans un festival centré sur l'art dit singulier fort abandonnée aux conjectures de ceux qui ne peuvent aller à Nice. On sait que Varda, en dehors de la problématique générale de ses documentaires souvent liée au hasard objectif, aux coïncidences, s'intéresse à la créativité errante, ce qui l'avait amenée entre autres à faire apparaître Bodhan Litnianski dans son film Les Glaneurs et la Glaneuse.
Vue partielle du "Manège" de Petit-Pierre dans le parc de la Fabuloserie, ph. Bruno Montpied (par courtoisie de la Fabuloserie), 2011
Le vendredi soir à la librairie Masséna sera projeté Le Manège de Petit-Pierre de Philippe Lespinasse. Le programme annonce 15 minutes de projection. C'est en effet le premier court-métrage que l'on relève aussi sur le DVD intitulé Le Manège de Petit-Pierre, quatre petits films de Philippe Lespinasse produit par Lokomotiv Films et sorti en 2012 (dénichable à la Halle St-Pierre et à la Fabuloserie à Dicy dans l'Yonne). Très utile documentaire sur cette réalisation d'un vacher disgracié par la nature, Pierre Avezard, qui prit sa revanche sur la vie en construisant une merveilleuse machinerie de personnages et véhicules automatisés faits de bouts de tôle et de fils de fer qu'il faisait danser pour le plaisir de ses visiteurs à la Fay-aux-Loges dans le Loiret primitivement, avant que, son placement en hospice de personnes âgées ayant été rendu nécessaire, la Fabuloserie, grâce à une chaîne d'entraide due à d'incroyables bénévoles, réussisse à sauver le "Manège" en le remontant dans son parc, et en le faisant même re-fonctionner. Le film de Lespinasse a d'ailleurs ce mérite insigne de donner un visage et une parole à l'ouvrier passionné qui contribua principalement à la renaissance de ce prodige de poésie fragile et d'ingéniosité mécanique. On y retrouve des archives inédites, notamment des bouts de documentaires tournés dans le lieu d'origine du Manège à la Fay-aux-Loges.
André Pailloux quelques vire-vent... Ph BM 2010
Autre film de Lespinasse présenté, André Pailloux, les vire-vents, annoncé de 15 min. Je le verrais bien comme un hommage au film que nous avons coécrit, Remy Ricordeau et moi (Bricoleurs de Paradis, le Gazouillis des Eléphants, 2011) il y a deux ans, dans lequel André Pailloux faisait un numéro qui n'a semble-t-il pas laissé le public indifférent, et parmi les spectateurs, particulièrement Philippe Lespinasse qui n'a pas traîné pour filer dare-dare en Vendée faire à son tour un brin de causette avec notre Pailloux virevoltant. Je n'ai pas encore eu le privilège de voir l'opus lespinassien, mais je peux tout de même faire remarquer au réalisateur qui apparemment n'a pas bien lu mon ouvrage sur les "Jardins Anarchiques" (chapitre "André Pailloux est très mobile") que "vire-vent" au pluriel ne prend toujours pas de "S", comme il est indiqué dans le programme du festival (la faute a été laissée dans le titre du film ? J'espère que non, c'est nos amis canadiens qui seront mécontents, eux qui emploient plus ce mot que nous qui n'avons que nos bonnes vieilles girouettes à fourguer à la place).
Un autre film de Philippe Lespinasse sur un dessinateur de machines à coudre (Ezechiel Messou) présenté par Lucienne Peiry comme une nouvelle découverte d'art brut ne m'intrigue par contre que modérément, vu que les reproductions que j'ai vues sur le site de la Collection de l'Art Brut (une sorte de journal de bord de Mme Peiry) ne m'ont pas passablement enthousiasmé. Il faut dire que je commence à en avoir un peu marre de tous ces dessinateurs qu'on nous présente comme bruts parce qu'ils alignent en rangs d'oignon et sur des étages des cortèges de bidules, machines à coudre, trains, rapaces, fers à repasser et j'en passe et repasse... Oui à Massou, non à Messou.
Je ne dirai rien du film Yvonne Robert, une femme qui vient de l’ombre de Mario del Curto et Bastien Genoux, (28’), parce que je viens d'acheter le DVD où il figure à côté de Henriette Zéphir, le souffle des esprits des mêmes, et parce que j'en ferais bien la critique, moi qui aime beaucoup les Robert. J'en profite pour dire que l'on devrait faire un film ensemble M.Genoux et moi, rien que pour le plaisir de marier ses genoux et mon pied (c'est comme avec la galerie Soulié à Paris).
Yvonne Robert, La chatte à Hortense s'appele Vanille, 2007, ph et coll. BM
Que dire d'autre de ce programme en salade niçoise? Je suis un peu intrigué aussi par l'annonce: "Les cahiers de la vis (extrait) de Christine Thépenier (10’), En présence de la réalisatrice". Cahiers de la "vis"? Ou de la "vie"? Parce que des cahiers consacrés à une vis, à part un reportage sur le bricolage façon Leroy et Merlin, je ne vois pas...
Ah si, Laurent Danchin va présenter un nouveau médium. Histoire que le XXIe siècle soit bien spirituel (ou ne soit pas). Un peu de poudre mystique, ça fait toujours bien dans le décor de l'art brut vu par notre spécialiste incontournable.
Guy Brunet à l'Hôtel Impérial à Nice durant le 15e festival Hors-Champ, s'essayant dans un rôle d'assassin psychopathe (arme du crime un vase de fleurs) sur la personne du photographe, ph.BM, 2012
23:17 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art populaire insolite, Art singulier, Cinéma et arts (notamment populaires), Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : poekhali, petit-pierre, philippe lespinasse, andré pailloux, ézéchiel messou, bastien genoux, yvonne robert, festival du film d'art singulier, association hors-champ, cinéma et arts populaires, guy brunet, paravision, agnès varda, fabuloserie, environnements spontanés | Imprimer
26/05/2013
Infos-Miettes (21)
Depuis novembre dernier, pas d'infos-miettes, palsambleu, il faut remédier à ça mon cousin... Ce n'est pas que les nouvelles manquent, au contraire, mais c'est que je n'ai pas toujours envie de servir la soupe... Tous les égoïstes (en voie de multiplication, non?) me comprendront.
Serge Paillard se donne un site
Voici qu'il fait sa communication comme tout un chacun, le Sergio amateur de patatovision. On lui a bâti un site web, et c'est plutôt réussi, qu'on en juge plutôt ici. A partir d'aujourd'hui je le joins à la liste de mes liens (à droite).
Serge Paillard, Pomme de terre en lune, comme surprise
Charles Steffen à la collection de l'Art Brut du 23 mai jusqu'au 29 septembre
C'est beau les dessins de ce monsieur Steffen (1927-1995), américain qui dessinait sur de grandes feuilles de papier genre kraft avec des crayons de couleur et de la mine de plomb.
Charles Steffen, 1995, © Estate of Charles Steffen
Bizarres sont ses personnages. "Quand il ne dessine pas, il boit beaucoup et fume, surtout la pipe", dit le dossier de presse de la Collection de Lausanne. Il habite chez sa mère, avec sa sœur et son frère, dans un état psychique qui ne lui permet pas de s'insérer dans le monde du travail. Il dessine beaucoup mais sa soeur qui a peur que cela finisse par alimenter un incendie lui en fait détruire une bonne partie. De 63 à 89, rien ne subsiste. Seule la production des six dernières années est parvenue jusqu'à nous... Ça fait tout de même 2000 dessins... Leurs sujets sont des nus, des danseuses, des crucifixions (drôe de mélange), des fleurs aussi, des personnages de sa vie quotidienne, comme sa mère dans son fauteuil roulant ou alitée. Mais il lui arrive de dessiner aussi des sujets moins classiques comme des flaques d'eau sur les trottoirs. Un personnage étrange surgit également dans son oeuvre à partir d'un moment, une sorte d'être humain mixé avec une plante du type tournesol, une plante humanisée en quelque sorte, cyclopéenne. C'est en tout cas un des exemples les plus inspirants qui nous soient parvenus via l'art brut américain. Il y aura une notice sur lui dans le fascicule n°24 de la collection de l'Art Brut, rédigée par la nouvelle conservatrice de la Collection, Sarah Lombardi.
Charles Steffen, Mère et enfant, Nu au tournesol, 1994, mine de plomb et crayon de couleur sur papier kraft, 112.5 x 76.5 cm ; Photo Atelier de numérisation - Ville de Lausanne; Collection ce l'Art Brut, Lausanne
Albasser sans miroir
Etrange titre d'info-miette, isn't it? C'est que Pierre Albasser qui toujours dessine sur cartons d'emballage avec feutres usagés et récupérés expose du 4 juin au 13 juillet 2013 (vernissage le jeudi 6 juin à 18h30) à la Galerie Anti-Reflets, 2, place Aristide Briand, à Nantes (tél: 02 40 89 23 69). Il se donne ces petites contraintes fidèlement depuis le début, depuis qu'il est à la retraite, et n'en finit pas de découvrir l'univers graphique qui en découle.
La Maison Bleue de Da Costa Ferreira, suite
Une deuxième tranche de travaux pour restaurer l'ensemble des petits monuments couverts de mosaïque par l'ouvrier d'origine portugaise Euclides Da Costa Ferreira à Dives-sur-Mer est prévue pour cette année, m'annonce l'Association "La Maison Bleue de Da Costa" (siège social: Mairie, rue du Général De Gaulle, 14160 Dives-sur-Mer, http://lamaisonbleue.unblog.fr).
Anna Zemankova vient faire un tour chez Christian Berst
Du 31 mai au 20 juillet, c'est la célèbre dessinatrice de l'aube, Anna Zemankova qui aura des dessins exposés à Paris dans la galerie Christian Berst. C'est une "classique" de l'art brut, et un de mes créateurs préférés. La botanique débridée de cette dame qui se levait aux aurores avant toute sa petite famille, dépliant son attirail en catimini et traçant ses automatismes probablement imprégnés des rêves de la nuit qui achevait de se dissiper de son corps, est à mettre en rapport avec celle d'autres médiumniques que l'exposition d'art brut tchèque montée par Alena Nadvornikova nous avait fait découvrir il y a quelques années à la Halle Saint-Pierre. On a beau jeu de décrire ses plantes comme porteuses de sensualité, comme on le dit aussi pour les fleurs charnues et ruisselantes de jus mystique d'une Séraphine Louis, mais on peut tout aussi bien se contenter de souligner le raffinement graphique de ses lignes et de ses doux tons. Le raffinement seul...
Galerie Christian Berst, 3-5, passage des gravilliers 75003 paris | mardi > samedi 11h > 19 h | +33 (0)1 53 33 01 70 | contact@christianberst.com
LaM de Villeneuve-d'Ascq, "Corps subtils", expo d'art brut et d'art indien à partir de la collection de Philippe Mons
Là, c'est prévu pour aller du 8 juin au 20 octobre. Enfin une expo d'art brut au LaM qui depuis sa réouverture avec une extension des bâtiments pour présenter leur nouvelle collection d'art brut essentiellement basée sur la donation de l'association l'Aracine a adopté un rythme assez tranquille. Il ne fallait en effet pas s'attendre au même dynamisme que celui pratiqué à la Collection de l'Art Brut à Lausanne. Le LaM, c'est sur un même front de l'art moderne, de l'art contemporain, et de l'art brut. Donc, leurs grandes expositions, leurs expositions secondaires (celles qui s'intitulent "théma", "Corps subtils" en est une) alternent en fonction des trois départements, au risque de faire oublier tel ou tel, au gré des publics préférant l'un ou l'autre de ces secteurs.
En l'espèce, on a affaire à une proposition de confrontation entre 350 œuvres d'art indien issus de l'art tantrique et des œuvres d'art brut. Voici un extrait du laïus de présentation de l'expo: "Il s’agit de partir à la recherche de cette fusion du moi et du monde que l’on prête autant à la folie qu’à l’expérience mystique, autant à des œuvres relevant de l’art tantrique que de l’art brut. La question est posée d’une « existence esthétique » qui traverserait l’éthique et le religieux comme le champ des créations artistiques. Les œuvres réunies par Philippe Mons forment une fable à même de nous enseigner les liens entre « amour fou » et expérience de fin du monde, « expérience intérieure » et appréhension globale du monde".
Travaux d'aiguille au Musée de la Création Franche, avec Jacques Trovic entre autres
J'aime beaucoup également les "tapisseries" de Jacques Trovic, qui sont à dire vrai plutôt des fresques brodées. J'ai déjà eu l'occasion de les évoquer lorsqu'il y a eu à Lille l'expo "Sur le Fil" (l'un des commissaires de l'exposition était Barnabé Mons qui collabore également à l'organisation de l'expo précédemment citée, "Corps subtils"). J'étais allé le visiter en compagnie de bons amis qui m'introduisirent auprès de lui dans sa modeste maison d'ouvrier, dans un alignement de corons. La pluie et la grisaille environnante reculaient ce jour-là comme elles le font sans doute perpétuellement devant la couleur et la cordialité de l'ambiance qui régnait chez Trovic.
Jacques Trovic, "tapisserie" représentant une course du Tiercé, tenue et tendue par Jean-Louis et Juliette Cerisier, ph.Bruno Montpied, 2009 (Chez Trovic, quand des créateurs divers de l'art singulier se rendent visite les uns aux autres... Notre médiation n'est-elle jamais mieux faite que par nous-mêmes?)
Le voici qui expose au Musée de la Création Franche à Bègles, en compagnie de deux autres créateurs, Jacky Garnier et Adam Nidzgorski, du 17 mai au 23 juin, c'est déjà commencé donc. On se reporte au site web du musée (tiens, il y a une nouveauté depuis quelque temps, des vidéos tournées par le directeur de l'endroit Pascal Rigeade, qui inaugurent sans doute une collection de témoignages des créateurs ou de leurs proches, actuellement Louis Pelosi (pour Rosemarie Kocsÿ), Marilena Pelosi (rien à voir avec le précédent), André Labelle, André Robillard...).
Bernard Thomas-Roudeix expose à Paris
Où ranger Thomas-Roudeix? Art singulier, art contemporain (voire même en l'occurrence "expressionnisme contemporain"? L'oeuvre est remarquable, de qualité, intrigante, peintures à l'huile ou céramiques émaillées, comme la statuette ci-dessous, "L'élégance du fumeur" qui fait un pied-de-nez à la diabolisation actuelle des intoxiqués de la nicotine. Il expose actuellement dans une galerie ouverte depuis peu (avril 2013) au pied de la Butte Montmartre.
Thomas-Roudeix avec Jörg Hermle et Bernard Le Nen, du 11 mai au 9 juin, à la galerie Art d'aujourd'hui, 8, rue Alfred Stevens, Paris 9e ardt. Tél: 01 71 37 93 51 ou 06 52 34 98 24. Ouvert du jeudi au dimanche 15h/20h.
Eric Gougelin à la galerie Le Cœur au Ventre, Lyon
Je connais assez mal le travail d'Eric Gougelin dont on m'a rappelé récemment qu'il avait fait un travail sur les momies (un livre aussi je crois) avec Jean-Michel Chesné. Comme moi et les momies ça fait deux, je n'avais pas dû y accorder une grande attention, fuyant un peu le mortifère (ce qui n'a rien à voir avec la poésie du macabre qui me séduit davantage)...
Eric Gougelin
Mais la Galerie Le Cœur au Ventre, basée dans le Vieux-Lyon dans le quartier Saint-Georges, 5e ardt (27 rue Tramassac exactement, tél 06 86 10 36 70, ouv. du jeudi au samedi de 14h30 à 19h et sur rendez-vous), m'a envoyé un carton annonçant sa prochaine exposition ("Explorations sans voyage") chez eux qui reproduit une très belle image (ci-dessus). Comme une coupe anatomique dans l'inconscient, avec les strates mises à nu de souvenirs, images aperçues et transposées dans le grand mixeur de la mémoire touillée, et puis aussi on songe à un paysage de montagne où la neige se serait déposée aux reliefs, laissant de l'encre ruisseler dans les torrents des gorges rongées par quelque acidité... Je comprends qu'on puisse avoir plaisir à se rouler dans une telle efflorescence. Alors, j'oublie les momies...
11:58 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art singulier, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : serge paillard, anna zemankova, charles steffen, art brut, art naïf, art singulier, création franche, pierre albasser, environnements naïfs, da costa ferreira, corps subtils, lam, philippe mons, barnabé mons, jacques trovic, jean-louis cerisier, juliette cerisier, bernard thomas-roudeix, éric gougelin, galerie le coeur au ventre | Imprimer
24/05/2013
Un magnifique livre d'Anna Pravdova sur Jan Krizek
C'est une œuvre pie que vient de publier Anna Pravdova à Prague, République tchèque, un magnifique livre d'art sur Jan Křížek édité par les bons offices de la Narodni Galerie de Prague (la Galerie Nationale). On aurait pu croire en effet l'œuvre et la vie de cet artiste extraordinaire en bonne voie d'oubli total tant les aléas de la vie, les persécutions policières, les conditions politiques défavorables (en Tchécoslovaquie en 1948 avec l'avénement du stalinisme, comme en France avec ses lois hostiles aux étrangers), la misère économique avaient conspiré dans son cas à l'empêcher de rester dans nos mémoires, et au point aussi de son vivant à le pousser à cesser de créer dans sa discipline préférée, la sculpture¹.
Couverture du livre d'Anna Pravdova ; le dessin qui l'illustre provient du 3e de couverture de la plaquette rédigée par Michel Tapié en 1948 et édité par L'Art Brut et les éditions René Drouin à Paris (voir ci-dessous); le sous-titre, je parierai avec un peu de jugeotte et l'aide de Google traduction que cela peut se traduire par la phrase de Křížek que cite Anna Pravdova: "Chez moi, l'homme ne doit pas disparaître" (à propos entre autres de la volonté de l'artiste de ne pas abandonner la figure humaine dans sesœuvres)
Couverture de la plaquette écrite par Michel Tapié en 48 à l'enseigne de l'Art Brut et de la Galerie René Drouin, coll. BM ; le dessin de couverture a été aussi repris sur le 4e de couverture du livre d'Anna Pravdova, soit à rebours de cette plaquette
Avec ce livre qui vient de sortir en République tchèque, voici désormais qu'un véritable monument rétablit en quelque sorte la balance... Un véritable exploit, le livre est très beau, richement illustré d'oeuvres pour la plupart inconnues, et vraisemblablement très complet. J'écris "vraisemblablement" car il est bien entendu publié en langue tchèque (ce qui fait que moi qui suis plutôt monolingue je ne peux que faire confiance à la rigueur, déjà réputée, d'Anna Pravdova, épaulée par ailleurs dans cet ouvrage par un texte extrêmement documenté de Bertand Schmitt sur les rapports Křížek/art brut/surréalisme), un résumé en français et en anglais essayant à la fin d'éclairer de façon parfaitement condensée les lecteurs non slavophones sur le contenu du livre ².
Jan Křížek, 172 x 32 x7,5 cm, bois de chêne, 1956, Musée des Beaux-Arts de Brest métropole océane
Au même moment que sort le livre, une exposition Křížek, Jan Křížek (1919-1985) a umělecká Paříž 50 let, organisée par la Galerie Nationale de Prague (avec la collaboration du Musée des Beaux-Art de Louny, ville natale de l'artiste, et de l’Institut français de Prague) et prévue du 31 mai au 29 septembre, est en cours d'installation au Manège du Palais Wallenstein à Prague (Valdštejnská jízdárna), avec Anna Pravdova en commissaire d'exposition. Ce sera l'occasion d'y voir plus de 300 oeuvres de Křížek, ainsi que celles d'autres d'artistes fréquentés par lui dans ses années parisiennes durant l'après-guerre (il fit également des séjours dans d'autres régions de France, par exemple du côté de Vallauris en 1949 où Picasso l'aida pour trouver du travail à sa femme chez les potiers et où il put faire des essais de céramiste ; il fit un séjour en Bretagne du côté d'Argenton et de Ploudalmézeau dans la famille Jaouen). Diverses collections tchèques ont été bien entendu mises à contribution mais des prêts ont été également consentis par des collections françaises, le Musée de la Cohue à Vannes, les FRAC Limousin et Bretagne (assez riches en Křížek), le Musée des Beaux–Arts de Brest, la Collection ABCD. Voir en note 3 le découpage de cette exposition que m'a transmis avec beaucoup d'amabilité Bertrand Schmitt.
Jan Křížek, argiles du FRAC Bretagne (la plus haute faisant 25 cm), reproduites dans le livre d'Anna Pravdova
Seul regret, il paraît impossible de se procurer le livre si l'on ne voyage pas jusqu'à la République tchèque. Alors, c'est peut-être une idée de vacances pour cet été?...
Jan Křížek, 50,8 x 27,4 cm, 1958,œuvre reproduite dans le livre d'Anna Pravdova
Je l'ai déjà dit, Křížek a pu au début de sa carrière artistique être adoubé à la fois par la Compagnie de l'Art Brut, alors animée par Michel Tapié, à qui Dubuffet avait laissé les clefs du "camion", lui-même voyageant au même moment en Tunisie (à la poursuite d'un art simple et authentique lui aussi), et par les surréalistes, auprès desquels il fut défendu par Charles Estienne, critique d'art qui avait passé du soutien à l'art abstrait, perçu comme évoluant vers un académisme, à celui du tachisme. Dans le cas de l'art brut, Tapié avait cru voir une analogie entre les sculptures de Křížek et celles des "Barbus Müller" qui occupaient alors le petit local souterrain de la galerie René Drouin. Křížek n'avait pourtant rien du profil exigé pour faire partie de l'art brut (il était pétri de culture artistique, cherchant comme Slavko Kopac, ou Jean Dubuffet, voire comme plusieurs autres artistes de cette période d'après-guerre, à rebâtir sur des terrains vierges, à retrouver les sources du geste créatif primordial ; il s'orientait en ce qui le concerne davantage du côté des cultures archaïques telles que les cultures romane, ou grecque, ou encore crétoise, sumérienne, voire précolombienne ; il cherchait à exposer, n'ayant pas nécessairement besoin d'un médiateur pour se faire connaître comme c'est toujours le cas au contraire dans l'art brut où les créateurs concernés se fichent totalement de leur "communication" et de leur commercialisation possible, se contentant d'œuvrer dans le secret, soumis à des pulsions de création irrépressibles).
Jan Křížek, photo d'atelier à Paris dans les années 50, reproduite dans le livre d'Anna Pravdova
Jan Křížek, peinture et collage, 25,5 x 27,5 cm, reproduit dans le livre d'Anna Pravdova
Il y eut aussi contact entre Křížek et le surréalisme. Revient souvent quand on parle de ces rapports l'évocation de la correspondance avec André Breton publiée par le Musée de la Cohue à Vannes et le FRAC Bretagne à l'occasion de l'exposition des oeuvres de l'artiste en 1995 à la galerie du TNB à Rennes et et au musée de Vannes (cette correspondance est reprise en tchèque dans le livre d'Anna Pravdova). Křížek y incitait le surréalisme à être plus franchement irrationnel dans sa pratique et son vécu de l'automatisme, porte ouverte sur le "Merveilleux", sa lettre du 12 février 1959 à Breton paraissant dans un premier temps lui adresser des reproches directement (ce dernier, dans un courrier très réactif du 14 février suivant s'en défendit, avec raison, arguant à propos de l'usage de l'automatisme: "Si quelqu'un, sans céder à aucune pression, s'est opposé à toute domestication des forces ainsi libérées, c'est moi, les textes abondent pour en témoigner". La critique de Křížek était en effet un peu maladroite). Dans une autre lettre du 28 février, toujours adressée à Breton, Křížek exprima en une phrase un aspect essentiel de sa quête d'alors, phrase qui permet dans les dimensions de cette modeste note d'éclairer assez bien le personnage et sa recherche: "Est-ce que vous ne croyez pas que nous pourrions y trouver [dans "l'opération qui tend à restituer le langage à sa vraie vie"] un vrai homme, l'homme prémégalithique, un ancêtre de Taliesin qui serait super lucide et super responsable, un homme totalement irrationnel, constitué essentiellement par la "matière première" où "le parler et dire" (la peinture et la sculpture) n'étaient pas encore séparés?". Toutes proportions gardées bien sûr, sur le Poignard Subtil, nous aussi sommes toujours en quête de ce "vrai homme". Il y a du travail...
Œuvre de Jan Křížek reproduite dans le livre d'Anna Pravdova, 15 x 60 cm
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¹ Je me suis fait l'écho sur ce blog de son départ, à lui et sa femme Jirina Křížková sur la Corréze en 1962 où, devenus réfugiés politiques et pourvus d'un titre de séjour (comme me l'a précisé récemment par courriel Bertrand Schmitt), et non pas "sans papiers" comme je l'écrivis un peu vite, ils vécurent d'apiculture et de divers travaux agricoles dans une petite cabane construite par eux près de Goulles, Křížek ne sculptant plus, hormis en "deux dimensions", c'est-à-dire en dessinant les esquisses de statues possibles (le dessin étant pour lui une autre forme de sculpture, davantage que la peinture) - il ne sculpta plus qu'une fois, exceptionnellement, pour l'anniversaire des 50 ans de sa femme, quand il réalisa une pièce à seule fin de lui prouver qu'il pouvait toujours y arriver ; en effet durant ces vingt années d'éloignement du monde de l'art, il se contentait de penser les sculptures qu'il pourrait tailler. Voir ma note du 1er mars 2012 sur ce blog qui évoque le legs de 900 œuvres (230 linogravures, quelques toiles, des dessins, aquarelles, encres, gouaches, des services à thé et bougeoirs en argile peint, donc non cuits semble-t-il, certains étant reproduits dans le livre d'Anna Pravdova). De 1962 à 1985 date de sa mort, il "régla son problème" avec l'art comme il disait, coupant les ponts avec ses anciennnes relations artistiques parisiennes. En 62, en quittant dans le dénuement Paris avec sa femme, il avait dû récupérer les statues qu'il avait laissées à la galerie Craven qui déménageait de Paris. Ne pouvant les stocker nulle part, il dut les briser à coups de marteau.... Dans le livre d'Anna, on trouvera des photos extrêmement touchantes de l'intérieur de la maisonnette en bois du Bartheil, près de Goulles, avec des œuvres sans doute anciennes que Křížek avait conservées accrochées en haut des murs de planches, photos si nettes qu'on se croirait invités chez les Křížek de leur vivant... Et, ma foi, si l'ambiance paraissait modeste, elle était en même temps parfaitement sereine et baignée de poésie pure.
Jan Křížek, cette sculpture datée 1978, de 39,5 x 15 cm, déposée au Musée du Cloître de Tulle, reproduite dans le livre d'anna Pravdova, est probablement la sculpture exceptionnelle que fit Křížek pour l'anniversaire de sa femme à une époque où il avait cessé de pratiquer la sculpture autrement que de façon purement spéculative
² Anna Pravdova et Bertrand Schmitt avaient déjà publié dans Recoins n°3, à l'été 2009, un article intitulé "Jan Křížek, sculpter en deux dimensions". Toujours disponible chez Recoins, 23, rue Charles Fabre, 63000 Clermont-Ferrand.
³ Voici les renseignements fournis par Bertrand Schmitt concernant l'exposition citée ci-dessus: "Elle suit un parcours chronologique, construite et articulée en plusieurs chapitres", me dit-il. Sans entrer dans les détails, on peut citer ces différentes parties. Il y a « De Rodin au tachisme » (pour évoquer les premiers temps de l'oeuvre křížékienne (1938-1945). Puis... « A la recherche de "l’unité perdue", le travail de Jan Křížek avec Václav Boštík »(1939-1945). « Autour du Foyer de l’Art brut » (1946-1948 ; cette partie se divise en deux, la première reconstituant - de façon inédite, je pense... - l'expo initale de l'art brut dans le sous-sol de la galerie Drouin en octobre 47, avec des œuvres prêtées par la collection ABCD, d’Aloïse, de Wölfli, de Miguel Hernandez, de Fleury-Joseph Crépin, de Henri Salingardes, et de plusieurs Barbus Müller, et une seconde sous-partie consacrée à l'expo personnelle de Křížek au Foyer de l'Art Brut en février 48). Ensuite, on trouve le chapitre « Avec les potiers à Vallauris » (1948-1949 ; trois œuvres de Picasso qui aida l'artiste à créer avec le potier Roger Picault sont exposées dans cette section ; comme ce fut évoqué par Catherine Elskar et Marie-Françoise Le Saux dans le catalogue de la Cohue en 95, il n'est pas absurde de relever une parenté entre les graphismes de Křížek et ceux de Picasso, ainsi que d'autres peintres qui s'adonnèrent aussi à la sculpture comme Miro et Matisse). Chapitres suivants, « Le travail de laboratoire à Paris» (1949-1952 ; après avoir été chassés par la police de Vallauris), et « Avec Charles Estienne », (1953-1955). Un "Jardin de sculptures" sera présenté, avec des grandes statues et d'autres œuvres "réalisées à Gordes dans la maison de Charles Estienne en 1955, ou en Bretagne chez les Jaouen, lorsqu’à l’instigation de Pierre Jaouen, Jan Křížek et son épouse purent rester dans une petite maison de la famille à Kersaint, puis dans la maison des parents Jaouen à Ploudalmézeau durant l’été 1956" (Bertrand Schmitt). Des grands dessins créés entre 1957 et 1961 seront accrochés à côté de ce "jardin", ainsi qu'un grand panneau présentant les quelques toiles de Křížek, "parfois mises sur châssis ou toiles de chiffon, toiles de jute". L'exposition se terminera sur un espace évoquant les vingt dernières années de l'artiste reconverti en apiculteur, ne dessinant plus que des croquis "spéculatifs" pour vérifier qu'il pourrait encore sculpter, dessins qu'il détruisait la plupart du temps, selon Anna Pravdova et Bertrand Schmitt.
Merci à Anna Pravodva et Bertrand Schmitt pour leur aide et leurs autorisations à publier certaines reproductions du livre.
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20/05/2013
Exposer chacun dans un jardin, une riche idée...
Jean Branciard m'adresse un dossier concernant plusieurs expositions d'artistes contemporains qui vont se tenir en Isère dans deux semaines, durant le week-end des 1er et 2 juin prochains. L'art contemporain comme on s'en doute si on lit régulièrement ce blog est pourtant loin d'être ma tasse de thé quotidienne...
Ce qui m'a retenu pour l'occasion, c'est, outre des nouvelles de l'avancée des créations singulières de Jean Branciard, qui en est à construire une "cité lacustre" dans les mêmes matériaux que d'habitude (vieux bouts de tôle rouillée, fils de fer, chiffons, bois d'épaves...), "cité" qui me fait furieusement penser aux maquettes de constructions babéliennes qu'élabore parallèlement en Bretagne le fameux Darnish évoqué dans cette colonne récemment, ce qui m'a retenu surtout donc, c'est l'idée d'un parcours à la recherche des œuvres présentées dans des JARDINS. La manifestation s'appelle du reste JARTdins 2013, et elle se tient dans les villages de Saint-Aupre et Saint-Etienne de Croissey à 5 minutes de Voiron, organisée par l'association Sur 1 coin 2 table. Le parcours et les artistes présentés ainsi en plein air sont détaillables sur le programme que je vous mets en lien. Heureux passants de l'Isère, vous pourrez ainsi augmenter vos balades de la rencontre d'oeuvres pas désagréables à affronter. Pour ma part j'en reste à Branciard, seul représentant dans cet ensemble de l'art dit singulier, mais les deux artistes qui voisinent avec lui sur la page que je reproduis ci-dessous ne sont pas inintéressants pour autant. Exposer des papiers découpés (Stéphanie Miguet) dans un jardin, sous nos climats actuels, s'avère en outre des plus périlleux...
00:35 Publié dans Art moderne ou contemporain acceptable, Art singulier, Galeries, musées ou maisons de vente bien inspirés | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : jean branciard, jartdins 2013, association sur 1 coin 2 table, saint-étienne de croissey, saint-aupre, art singulier, art contemporain, expositions au jardin, jardins | Imprimer
18/05/2013
Diderot inventeur de l'art brut ? par Emmanuel Boussuge
Diderot inventeur de l’art brut ?
Céline Delavaux ayant repéré chez Diderot une occurrence ancienne où était associé l’adjectif « brut » au substantif « art »[1], l’ami Bruno Montpied m’a demandé ce que j’en pensais, avec sans doute cette question derrière la tête : se pourrait-il que Diderot ait eu quelque chose à voir avec l'invention du terme d’art brut ?
Se reporter au texte permet d’emblée de répondre par la négative. Diderot ne parle pas d’art brut mais des « arts bruts » au pluriel et ce qu’il entend par là est bien éloigné de ce que Dubuffet placera sous le vocable, n’importe quelle définition ou non-définition donnée par lui que l’on considère. Voilà la proposition dans laquelle se trouve l’expression :
« À l’origine des sociétés on trouve les arts bruts, le discours barbare, les mœurs agrestes »[2]
Elle se trouve dans un fragment de ses œuvres esthétiques intitulé De la Manière, que l’on associe généralement au Salon de 1767 (quelquefois à celui de 1765). A travers ses divers écrits, Diderot distingue deux emplois du terme de « manière », un neutre et un péjoratif, mais dans le tout début de ce texte, là où figure notre citation, seule l’acception dépréciative, qui fait du mot l’équivalent de « maniérisme », est envisagée. Comme l’a bien remarqué Céline Delavaux, la vitupération de cette manière maniériste par Diderot n’est pas sans analogie avec les invectives de Dubuffet sur le même sujet.
Evoquant le moment historique correspondant au développement de ce funeste maniérisme, Diderot écrit :
« Bientôt les mœurs se dépravent ; l’empire de la raison s’étend ; le discours devient épigrammatique, ingénieux, laconique, sentencieux ; les arts se corrompent par le raffinement. On trouve les anciennes routes occupées par des modèles sublimes qu’on désespère d’égaler. On trouve des poétiques. On imagine de nouveaux genres. On devient singulier, bizarre, maniéré. D’où il parait que la manière est un vice d’une société policée où le bon goût tend à la décadence »[3].
Comme chez Dubuffet, la mauvaise imitation est ici conspuée et ses tenants font figure de « singes »[4] appliqués à copier des modèles ayant perdu toute vigueur. Une grande différence éloigne cependant la perspective de Dubuffet de celle de Diderot. Chez le premier, l’art brut s’oppose de façon binaire aux arts culturels. Chez Diderot, les « arts bruts » s’inscrivent dans un processus à trois temps. L’énergie qu’ils manifestent s’oppose certes heureusement aux maniérismes des périodes entrées en décadence sur les plans esthétiques et moraux par excès de raffinement, mais ils ne sont qu’un premier moment précédant et préparant le moment le plus important, celui d’une apogée correspondant à une forme de classicisme. Le tout est intégré à une conception cyclique de l’histoire où une fois le processus de civilisation engagé, phases d’aboutissement et phases de décadence se succèdent inexorablement. Citons maintenant notre première phrase dans son intégralité :
« A l’origine des sociétés on trouve les arts bruts, le discours barbare, les mœurs agrestes ; mais ces choses tendent d’un même pas à la perfection, jusqu’à ce que le grand goût naisse. Mais ce grand goût est comme le tranchant d’un rasoir sur lequel il est difficile de se tenir. Bientôt les mœurs, etc. »[5]
Le grand goût dépasse donc le pur primitivisme des « arts bruts ». Il relève d’une élaboration liée à l’imitation d’une belle Nature et exprime le Vrai par cette médiation. Un pas de plus vers la sophistication et le grand goût dégénère : on n’imite plus alors la Nature, mais les chefs d’œuvre qui l’ont d’abord copiée avec bonheur, puis les imitations de ces copies, etc. On décompose bientôt le processus de création en préceptes qu’on livre sous formes de recettes desséchées (dans les poétiques par exemple). Les artistes n’ont plus que deux voies devant eux, deux voies également déplorables : celle du conformisme moutonnier ou celle d’une fausse originalité se démarquant de règles purement formelles et perdant toute référence au monde extérieur.
Face à l’affadissement généralisé qui en résulte, Diderot apprécie comme un puissant antidote l’énergie primitive prêtée à l’état antérieur à la séparation des fonctions sociales. « Les arts bruts » correspondent à l’expression de ce moment historique premier, qu’il ne faut jamais complètement perdre de vue. « La poésie veut quelque chose d'énorme, de barbare et de sauvage » (Discours sur la poésie dramatique, 1758), dit une de ses formules les célèbres. Dans les Essais sur la peinture (1766), il réclame encore « quelque chose de sauvage, de brut, de frappant et d’énorme »[6] pour les arts d’imitation. On voit bien quelles affinités il y a là avec la conception romantique de la création, qu’une telle position annonce et dont la notion d’art brut dérive in fine, après bien des étapes. Les différences avec ce dernier, sans grande surprise à presque deux siècles de distance, sont aussi nettement apparentes sans qu’il soit nécessaire, je crois, que j’insiste au-delà. Il y aurait là de quoi te décevoir, cher Bruno, mais, mais, mais… attends un peu.
Il y a un autre point qui mérite sans doute ton attention et qui n’a pas été, je crois, relevé jusqu’ici. Si Diderot n’est pas l’inventeur de l’art brut, il nous a en revanche donné une des premières descriptions de la production d’un créateur que l’on peut ranger sans problème du côté de l’art brut ; peut-être est-ce même la première description d’un créateur bien individualisé (quoiqu’on ne connaisse pas son nom) de ce type[7]. En 1759, en séjour dans sa ville natale de Langres, Diderot évoque en effet un sculpteur extrêmement original :
« Nous avons ici un prodige, écrit-il à son ami Grimm, à comparer à votre découpeur de Genève [Jean Huber (1721-1786), célèbre pour ses charmantes découpures en silhouette[8]]. C’est un jeune homme de mes parents qui sans leçon, sans dessein, sans principe, s’est mis de lui-même à modeler. Vous verrez ce qu’il sait faire ! Tous vos statuaires de Paris fondus ensemble n’imagineraient pas les mines qu’il exécute ; et ces mines, sont, comme il lui plaît ou comiques, ou voluptueuses, ou nobles. Ce sont ou des satyres, ou des chèvres, ou des vierges. Mais il a le coup de hache. Quand il a passé quinze jours à façonner un morceau d’argile avec les bâtonnets qui lui servent d’instruments, il le regarde, il s’applaudit et le jette par la fenêtre. J’en ai ramassé deux que je vous porterai à Paris si je puis. Je ne crois pas me tromper, ils sont charmants, mais si délicats que je ne me promets guère, quelque précaution que je prenne, que de vous en montrer des morceaux »[9].
Malheureusement, on ne sait pas si les sculptures récupérées par Diderot sont arrivées à bon port, encore moins ce qu’elles auraient pu ensuite devenir. Mais la caractérisation du personnage nous amène bien du côté de l’art brut. Sans aucune culture artistique institutionnelle comme il se doit, le jeune homme semble aussi avoir un grain. C’est précisément le sens de l’expression « avoir le coup de hache », que les dictionnaires de l’époque définissent ainsi : « on dit figurément et familièrement qu'un homme a un coup de hache à la tête, et simplement, qu'il a un coup de hache, pour dire, qu'Il est un peu fou »[10]. Il n’est pas jusqu’au dédain du sort des productions par le créateur et les dilemmes relatifs à leur conservation en résultant qui ne nous rappelle le champ de l’art brut (et formes apparentées) et les débats que cultivent ses amateurs.
Trouvera-t-on quelque obstiné chercheur qui se lancera à la recherche de ce grand ancêtre ? Il serait vraiment extraordinaire que la moindre production du jeune Langrois au coup de hache ait été conservée, mais maintenant que l’on a identifié sa piste, on peut toujours creuser et sait-on jamais...
Emmanuel Boussuge
[1] Céline Delavaux, L'Art brut, un fantasme de peintre. Jean Dubuffet et les enjeux d'un discours, Paris, Palette, 2010, p. 196.
[2] Diderot, Œuvres complètes, t. XVI (Beaux-arts III), Hermann, 1990, p. 529.
[3] Ibid., p. 530.
[4] Le mot apparait aussi bien dans le texte de Diderot (ibid., p. 530) que chez Dubuffet, « Honneur aux valeurs sauvages » (1951), cité par C. Delavaux, p. 197.
[5] Op. cit, p. 529-530.
[6] Hermann, 1994, p. 56.
[7] C'est peut-être la "première description" d'un cas de création autodidacte proche de ce que l'on appellera au XXe siècle l'art brut, mais il faut souligner qu'existèrent plusieurs cas de créateurs atypiques bien avant ce sculpteur langrois. Par exemple au XIVe siècle un dessinateur étrange s'illustra en composant un codex délirant, conservé de cette époque jusqu’à aujourd’hui à la bibliothèque vaticane à Rome. Il s'agissait d'un moine italien vivant à la cour des papes en Avignon, Opicinus de Canistris, qu’un ouvrage du Docteur Guy Roux et de Muriel Laharie, Art et Folie au Moyen Age (éditions Le Léopard d’Or) a fait amplement connaître en 1997, bien après l’étude américaine d’Ernst Kris de 1952 qui elle-même suivait un livre de R.Salomon de 1936, qui semble la première occurrence où apparut le dit Opicinis. Dans ce même XVIIIe siècle, existait également l'extraordinaire sculpteur aux expressions frénétiques Franz-Xaver Messerchmidt dont un livre de R.Nicolai vers 1770 évoqua la maladie mentale. (Note Bruno Montpied)
[8] Jean Huber n’est pas à proprement parler un artiste populaire. Nicolas Bouvier montre bien cependant la parenté entre ses productions qui ravissait « la société patricienne, lettrée et cosmopolite » de la cité genevoise du XVIIIe siècle et celles des découpeurs de lettres d’amour, ses contemporains plébéiens, ou « la magnifique floraison de papier découpé, cinquante plus tard, dans le pays d’Enhaut (Vaud) » (L’Art populaire en Suisse, Zoé, Carouge-Genève, 1999, p. 186-203.
[9] Lettre du 12 août 1759, Correspondance (éd. Georges Roth), Éditions de Minuit, t. II, 1956, p. 208-212 ; p. 211 pour la citation.
[10] Dictionnaire de l’Académie, 1762. Littré indique un autre exemple de Diderot intéressant à mettre en parallèle : « Les grands artistes ont un petit coup de hache dans [ou à selon les variantes] la tête » (Salon de 1765, Hermann, 1984, p. 178). Artistes et folie, un bien vieux couple !
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17/05/2013
"Le Plancher" de Perrine Le Querrec
Est-ce un roman? Est-ce un poème de voyante? Je pencherai pour la deuxième hypothèse.
Edité par une petite maison d'édition, Les Doigts dans la Prose (1, rue du Port, 72000 Le Mans), Le Plancher de Perrine Le Querrec s'essaie à restituer en une centaine de pages le cheminement du fameux Béarnais "Jeannot" qui, s'enfermant sans cesse plus étroitement dans le nœud inextricable d'une famille elle-même sans cesse plus retranchée du monde, en arriva à se laisser périr d'inanition près de la tombe de sa mère, sur un plancher qu'il grava, en 1971, d'une kyrielle d'imprécations contre l'Eglise. "L'EGLISE A FAIT LES CRIMES ET ABUSANT DE NOUS PAR ELECTRONIQUE NOUS FAISANT CROIRE DES HISTOIRES ET PAR CE TRUQUAGE ABUSER DE NOS IDEES INNOCENTES...". Ce n'est qu'un extrait de ce texte qu'on ne retrouva incisé sur le plancher qu'une fois le dernier habitant de la ferme familiale mort à son tour et que la maison fut mise en vente ; ce fut le Dr. Guy Roux qui s'en fit le propagateur dès lors, publiant divers témoignages¹ auxquels le livre de Le Querrec emprunte sans doute ses éléments biographiques - du moins est-on conduit à le deviner, car le livre n'indique (malheureusement?) pas de sources, se contentant de reproduire deux photos du plancher exposé à la Collection de l'Art Brut à Lausanne en 2004.
Je me suis fait déjà l'écho dans le passé de ce blog de l'exposition en plein air, dans un sarcophage de verre et métal assez atroce, toujours en place aujourd'hui rue Cabanis le long de l'Hôpital Sainte-Anne dans le XIVe arrondissement à Paris, du fameux plancher gravé par "Jeannot". Les lecteurs qui voudraient voir cet immense graffito horizontal (présenté du coup rue Cabanis à la verticale ce qui fausse la perception du phénomène) sont invités à s'y reporter.
Détail du plancher vu à travers la vitre qui le recouvre rue Cabanis, photo Bruno Montpied, 2007
Perrine Le Querrec met ses pas et sa plume, son âme même dirait-on, dans une sorte d'empathie terrible avec l'esprit de cette famille refermée sur elle-même comme une huître, progressivement enfoncée de plus en plus profondément dans le déni des autres, de la haine du voisinage, de la terre entière, de tout ce qui n'est pas la famille, entraînée en cela par un père du genre fou furieux, qui commit probablement un inceste sur la personne de sa fille. Ceci est assez fortement suggéré dans le texte de Le Querrec, comme ne l'est pas par contre l'inceste qui a pu également être commis par le fils Jeannot avec sa soeur Paule, mais que l'on se demande s'il n'a pas été lui aussi commis tant cette famille paraît la proie d'un tourbillon de confusion des rôles, victime de l'autarcie dans laquelle elle s'enfermait, et dominée en même temps par le double jeu du fils - ce que met bien en lumière Le Querrec (et aussi le Dr. Roux avant elle) - fils qui joua à remplacer le père, une fois celui-ci suicidé en se pendant dans sa grange, tout en montrant qu'il ne voulait pas de ce rôle, puisqu'il laissa péricliter totalement l'entreprise familiale, laissant le bétail périr sur pieds, ne travaillant plus, laissant la végétation envahir les bâtiments et plus généralement tout pourrir autour de lui, y compris le cadavre de sa mère qu'il se refusa dans un premier temps à enterrer...
Le mot "MAQUIS", l'étrange gravure trouée de Jeannot, photo BM, 2007
L'inceste, sur lequel on n'insiste pas outre mesure, car bien entendu il y a quelque chose de profondément voyeur à se pencher sur les secrets de cette famille déballés au grand jour (mais aussi, il y a là quelque chose d'instructif, d'édifiant à nous mettre ainsi sous le nez l'exemple de cette famille s'auto-reproduisant - il semble que la fille avorta d'un foetus de père "inconnu"...), l'inceste peut avoir comme conséquence de verrouiller totalement les enfants au sein de la famille, ne leur offrant plus d'autre horizon que cette dernière, les anéantissant qui plus est, ce qui dans ce cas mena ses membres à la lente dégringolade dans la dégénérescence et la déchéance, d'autant plus que personne dans les autorités constituées autour du village n'osa intervenir, laissant même le fils enterrer sa mère sous le plancher de l'escalier de la ferme, laissant cette famille folle imploser lentement.
Perrine Le Querrec émet cependant l'hypothèse dans son texte, à la tonalité plus poétique qu'analytique, que le fils Jeannot en gravant son plancher de son imprécation contre l'Eglise s'élevait en réalité contre ce père dictatorial et violent, dans un testament au ton certes paranoïaque mais révolté en même temps, car en ravageant le bois de la ferme, Jeannot s'attaquait à la matière même de l'entreprise qu'avait fait prospérer son père. Et tentait de s'évader enfin de cette famille asphyxiante, hélas, par la mort seule.
Elle publie à cette occasion un texte puissant qui par sa dimension visionnarisée², quoique certainement étayée en sous-main par une documentation de première main, permet au lecteur d'approcher au plus près la réalité des trois membres de la tragédie familiale finale, la mère Joséphine, le fils Jeannot et la fille Paule. La réalité de cette destinée en impasse apparaît d'autant plus fortement qu'elle est restituée par le détour d'une empathie visionnaire.
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¹ Je possède quant à moi deux sources principales, une brochure éditée par Bristol-Myers Squibb avec un texte du Dr.Roux, suivi d'un livre de ce dernier, Histoire du plancher de Jeannot (sous-titré Drame de la terre ou puzzle de la tragédie), photographies de Françoise Stijepovic, éditions Encre et Lumière (avec une préface d'Alain Bouillet). Dans la première brochure comme dans le livre, on trouve le texte intégral de Jeannot, alors qu'il n'est pas reproduit dans le livre de Perrine Le Querrec, qui vise sans doute un autre but qu'établir une édition "scientifique".
² N'est-ce pas à cette dimension visionnaire qu'appartient l'évocation, p.56, du frère et de la soeur se livrant à un étrange rituel s'apparentant à une forme de magie noire personnelle, proche d'un vaudou pyrénéen, une sote de procès magique dans les bois d'où ils seraient revenus, passant devant leur mère "deux corps empalés sur une fourche posée sur l'épaule"? On se demande dans quel témoignage a puisé ici l'auteur, si témoignage il y a, ou si ceci n'est pas plutôt le résultat d'un processus de voyance...?
00:34 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Fantastique social, Graffiti, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : le plancher de jeannot, perrine le querrec, les doigts dans la prose, écrits bruts, graffiti gravés, docteur guy roux | Imprimer
12/05/2013
André Robillard parle... dans un livre de Christian Jamet
J'ai évoqué il n'y a pas très longtemps le monument qu'on s'apprête à ériger du côté d'Orléans d'après un "fusil" d'André Robillard. Le hasard (?) veut que soit paru en mars dernier un ouvrage de Christian Jamet intitulé André Robillard, l'art brut pour tuer la misère chez Corsaire éditions, maison à orientation régionaliste établie dans la même ville du Loiret.
Disponible dans toutes les bonnes librairies comme on dit et d'abord, à Paris, à la librairie de la Halle Saint-Pierre
Un avertissement ouvre le livre: "Les propos d'André Robillard rapportés dans cet ouvrage ont été retranscrits tels qu'ils ont été entendus afin de ne pas altérer la nature de l'expression, exigence indispensable à la vérité d'un autoportrait. Quant aux photos qui accompagnent le texte, elles correspondent, pour la plupart, à des instantanés et n'ont d'autre ambition que de montrer l'artiste dans l'étonnante fantaisie d'un univers dont il est inséparable. Qu'André Robillard soit ici chaleureusement remercié de son accueil et de sa coopération". Comme on le voit, ces lignes prenent valeur de programme. Les intentions se veulent respectueuses du personnage. Seuls pourraient être disputés deux termes, "autoportrait" et "artiste".
Un fusil d'André Robillard, coll. Alain Garret
Si l'auteur du livre est avant tout Christian Jamet qui mène l'entretien, intitulé "André Robillard par lui-même" (qu'il introduit par une présentation de son cru), et qui le fait suivre d'un chapitre où il explique plutôt de façon rigoureuse le concept d'art brut de Jean Dubuffet, on ne peut tout à fait parler ici d'un "autoportrait", qui supposerait que celui qui s'autoportraiture est seul initiateur du projet. Or, on est venu chercher Robillard pour l'aider à se peindre, au moyen d'une interview, de reproductions de ses dessins, de ses assemblages, de photos de son cadre de vie, de divers documents. Cela est fait avec un respect indéniable, mais il reste qu'il y a cependant eu nécessité de la présence d'un médiateur. Ce qui fait une différence avec les "artistes" patentés qui peuvent se passer de tierces personnes pour faire leur promotion.
Autre pétoire du sieur Robillard, coll. Alain Garret.
Ceci m'amène à critiquer une fois de plus l'usage du mot "artiste" appliqué à ce genre de créateur. Certes, Robillard lui-même emploie le terme en se l'appliquant, dans son savoureux langage. Il le fait un peu à la manière d'Arthur Vanabelle, cet autre créateur, paysan en l'occurrence, qui répond à mes questions dans le film Bricoleurs de Paradis (le Gazouillis des Eléphants) qu'il est un "artiste", "qu'on est tous des artistes...", et même qu'il fait "de l'art brut"... Il dit cela parce qu'on le lui a seriné de partout autour de lui ces dernières années. Le département d'art brut du LaM dans ce même Nord a envoyé des émissaires relever les plans de son installation, ses canons, son tank... Il se saisit du terme comme s'il le recyclait, à la façon du recyclage des matériaux divers qu'il a toujours récupérés durant sa vie pour ses assemblages. Les hommes du peuple se foutent pas mal des questions de copyright, ils "empruntent" et absorbent, digèrent le tout et vous le restituent à leur sauce... C'est classique quand on étudie un tant soit peu les créateurs populaires des bords de routes et les "bruts". Robillard ne déroge pas à la lettre. Avec le matraquage actuel du terme "artiste" à propos des auteurs d'art brut, comment voudriez-vous que Dédé (pour les intimes, dont je ne suis pas cela dit) puisse y déroger? D'autant que le mot désigne aussi, à côté d'un rôle et d'une fonction sociale particuliers, quelque peu séparés du reste de la population (sorte de caste plus ou moins d'élite, ou tout au contraire maudite, en tout cas séparée), l'action de créer quelque chose de beau ou d'expressif, d'émouvant.
En l'espèce, je reste attaché pour désigner ces personnages aux caractères bien trempés aux termes "d'auteurs" ou de "créateurs" d'art brut. Ne pas le faire est à mes yeux diffuser un écran de fumée confusionniste intéressé à occulter la dimension révolutionnaire qui est faite dans l'usage de la production de cet art, se passant du statut d'artiste.
Ces réserves une fois faites, je ne saurais trop encourager mes lecteurs à se procurer le livre d'entretien de Christian Jamet qui dans un espace resserré (le livre se lit dans un souffle) parvient à dresser un portrait vivant d'André Robillard, créateur ô combien atypique en dépit des sauces diverses avec lesquelles on tente de l'accommoder depuis quelques années, surnageant toujours avec brio de cette cuisine!
Photogramme du film de Claude et Clovis Prévost Visites à André Robillard, 2007
13:50 Publié dans Art Brut, Art immédiat | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : andré robillard, christian jamet, corsaire éditions, art brut, art immédiat, fleury-les-aubrais | Imprimer
06/05/2013
Iles, je jette mes chaussures par-dessus bord, car je voudrais bien aller jusqu'à vous...
Photo Giorgio Furla, extraite du livre pour la jeunesse de Bruno Munari, De loin on dirait une île, éditions Delphine Montalant, Gand, 2002
Cailloux roses ou translucides, bijoux d’un soir, de l’heure crépusculaire. La main, tentée tant de fois, cède par moments et cueille… Déception immédiate. Il faut les abandonner à leur écrin dans le sable comme du sucre roux, de même que furent répudiés ces brocs de bistrot dont les lettres désignant une marque d’alcool populaire avaient des caractères peints en bleu et saillant en léger relief. Ils avaient une si éclatante évidence qu’on aurait voulu en emporter un peu chez soi. Hélas, on se convainquait dans la minute suivante que, transplantés dans un autre décor rien n’en serait resté, le charme se serait enfui, comme celui d’une fleur coupée ou d’un insecte capturé.
Ces petites pierres composent autant d’îles, autant d’œuvres d’art sous la lumière rasante du soleil au déclin, bleuissant les vagues, dorant la plage. Si profondément mariés à leur situation que la vie prend enfin sa valeur poétique, alors que le reste du temps elle serait plutôt cachée. La voici dévoilée, pleine comme fruit juteux, vie mûrie, enceinte de ses gouttes d’instants précieux.
La plage est un tapis de cendres d’or, pailletée de signes trouvés, adorablement énigmatiques que seule la caméra pourra peut-être installer à tout jamais dans leur beauté vivante et en tant que telle fugace.
(Juillet 1988)
Ce livre publié en 2002, peu connu de Munari, par ailleurs auteur original de la littérature jeunesse, cherche à propager le goût des pierres trouvées en bordure de plage, les comparant à des petites îles, montrant leurs dessins étonnants, révélant le parti qu'on peut en tirer grâce à nos projections imaginatives, en les interprétant, en les peignant, en les assemblant, en les mettant en scène... ; je suis sensible depuis fort longtemps à ce genre de recherche et j'ai donc souhaité aujourd'hui, sous un titre emprunté à un poème de Blaise Cendrars, allier l'évocation de ce livre à un texte que j'avais écrit en 1988 sur une plage du côté de Royan, en marge d'un petit film Super 8 que j'avais intitulé Ecrins de sable, entièrement consacré à la poésie des objets naturels trouvés sur le sable en bord de mer, film resté secret...
12:52 Publié dans Littérature jeunesse, Papillons de l'immédiat, Photographie, Poésie naturelle ou de hasard, paréidolies | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : bruno munari, poésie naturelle, bruno montpied, cinéma amateur, super 8, pierres trouvées, littérature jeunesse, blaise cendrars | Imprimer
04/05/2013
La vache cachée des Cévennes
La vache cachée des Cévennes, dessin numérique sur photographie numérique, 2011, Bruno Montpied
11:47 Publié dans Art singulier, Photographie | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : vaches, cévennes, bruno montpied, photographie modifiée, art sur ordinateur, art numérique, art singulier | Imprimer
01/05/2013
L'art brut manipulé, le soi-disant monument d'André Robillard
On sait que depuis un bon moment le sculpteur-assembleur-dessinateur André Robillard classé dans l'art brut participe avec bonne volonté à des expériences théâtrales et musicales qui l'ont embringué dans des spectacles où, en définitive, il apparaît comme un faire-valoir pour des artistes et comédiens qui sans lui auraient certainement moins fait parler d'eux (la compagnie les Endimanchés).
Cela semble avoir donné des idées à d'autres, en l'occurrence au Centre Hospitalier Daumézon (où fut hospitalisé et où travailla Robillard près d'Orléans), à la DRAC et au FRAC Centre qui lancent un appel au public pour trouver le financement de ce qu'ils appellent improprement "une œuvre monumentale d'art brut d'André Robillard". "Improprement", dis-je, car Robillard ne participera nullement à l'érection de ce monument, qui affectera plutôt d'être une copie monumentale d'un de ses célèbres fusils (si l'informateur qui m'a indiqué cette opération s'avère bien informé...). Ce sont des techniciens spécialisés dans la construction de ces monuments qui devraient s'en charger... J'entends même dire par ce même informateur qu'un des responsables de l'opération aurait confié: "André pourrait se blesser" (sous-entendu, en faisant ce monument...).
Je diffuse ici l'annonce de la souscription par souci d'information objective, chacun se déterminera comme il l'entend ; en ce qui me concerne pas question d'aider à un tel projet
Alors, faut-il "donner pour l'art brut", comme le proclame le laïus du papillon ci-dessus ("papillon" c'est aussi joli, sinon plus, que "flyer", vous ne trouvez pas?), ou plutôt donner pour l'art contemporain de commande (qui se fait payer 60 000 €, y en aura peut-être des miettes pour Robillard, faut espérer...?)? On peut après tout considérer le projet comme un monument d'hommage à André Robillard, mais certainement pas comme la "première commande publique d'une œuvre monumentale d'art brut" comme il est dit dans le premier laïus ci-dessus.
André Robillard, une collection de fusils accrochés dans le département d'art brut au LaM de Villeneuve d'Ascq, ph. Bruno Montpied, avril 2011
Le problème est que le propos reste singulièrement confus. Car pour qu'il y ait véritablement un monument d'art brut, il ne faudrait déjà pas qu'il y ait une COMMANDE à la base. J'ai presque envie de fredonner du Brassens, "la bandaison, Papa, ça ne se commande pas...". L'art brut ne naît pas dans les lits qu'on prépare pour lui. C'est un peu du chiendent, l'art brut. Alors que penser de tout cela? N'est-ce pas une énième tentative de rabattre le couvercle de l'art contemporain que d'aucuns veulent à tout prix mixer avec l'art brut en lui faisant porter les mêmes chapeaux, les mêmes couvercles? C'est ce que je crois.
C'est commode, avec Robillard qui est un brave type qui consent à tout, on peut tout lui faire valider. L'art brut plus généralement c'est même le terreau idéal, l'argile que l'on peut remodeler à volonté. On peut tout leur faire faire. Il paraît aussi que dernièrement, d'après les modèles de Robillard on aurait diffusé des fusils, dans son style tout en assemblages, en kit, oui vous avez bien lu, en kit – j'espère que c'est seulement une rumeur ou un bobard mal intentionné! – avec ce kit, l'acheteur pouvait se reconstituer, à la manière de, un fusil entièrement made by Robillard, avec les boîtes de conserves, l'adhésif de couleur, des bouts de tuyau, les crosses toutes découpées selon le même calibrage, tout le toutim robillardesque. Je rêve...
27/04/2013
Art populaire, le retour? Une vente à Marseille
Je dois à un correspondant mystérieux l'information qu'une vente d'art populaire curieux a lieu ce jour à Marseille via la maison de vente aux enchères Leclère, sans doute en écho de l'ouverture prochaine (le 7 juin prochain) du MUCEM (Musée des Civilisations de l'Europe et de la Méditerranée) à côté du Vieux-Port et du Fort Saint-Jean (de multiples expositions y sont prévues à partir de cette date qui plus est). C'est la collection de Marc Billioud montée "durant quarante ans" avec la collaboration de Jean-Yves Roux (qui fait une présentation dans un petit court-métrage incrusté dans le catalogue éléctronique de la vente) qui est dispersée ici, avec un catalogue sur papier à la clé. Les objets et peintures offerts à la vente sont suffisamment beaux, émouvants et intriguants pour que j'en extrais ici cinq pièces, choisies arbitrairement, enfin pas tout à fait. elles correspondent à ce que j'aurais acheté si j'en avais eu les moyens...
Deux moines quelque peu indécents... Collection Billioud
Anonyme, 29 x 19 cm, bois peint, coll Billioud (je trouve à cet homme au canotier un aspect proche des personnages des dessins animés de Paul Grimault, le réalisateur du Roi et l'oiseau...)
Page extraite d'un recueil de contes et histoires divers illustrés à la gouache ou à l'aquarelle par un certain Gabriel Papel
Huile sur carton, 39 x 48,5 cm ; curieuse peinture naïve au verso de laquelle se trouverait un monogramme en lien avec Séraphine de Senlis (pourtant le style de cette peinture en paraît fort éloigné)
11:08 Publié dans Art immédiat, Art naïf, Art populaire insolite, Galeries, musées ou maisons de vente bien inspirés | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : mucem, marc billioud, jean-yves roux, ventes aux enchères, leclère, art populaire, objets de curiosité, art populaire érotique, séraphine de senlis | Imprimer
23/04/2013
Du côté de Lausanne (nouvelles de la Collection d'Art Brut, expo James Edward Deeds...)
Ça bouge à Lausanne. La nouvelle conservatrice est donc Sarah Lombardi... Tandis que Lucienne Peiry continue d'être la "Directrice de la recherche et des relations internationales de la Collection de l'Art Brut". Les expositions du moment sont consacrées, toutes les deux du 15 mars au 30 juin, d'un côté à James Edward Deeds (un temps surnommé "The Electric Pencil", "le Crayon Electrique", surnom qu'on lui donna d'après des inscriptions retrouvées sur ses dessins et avant qu'on ne découvre sa véritable identité) et de l'autre à Daniel Johnston.
James Edward Deeds, Miss Laben (recto), entre 1936 et 1966, mine de plomb et crayon de couleur sur papier, 23,5 x 21 cm. Photo : Atelier de numérisation, Ville de Lausanne. Collection de l’Art Brut, Lausanne ©2010 Electric Pencil Press
Lucienne Peiry a décidé depuis quelque temps de mettre en ligne à l'usage des amateurs ce qu'elle appelle ses "Notes d'art brut", ensemble d'articles de presse, d'agenda des rencontres et autres conférences nombreuses que donne et organise notre ancienne conservatrice de la collection d'art brut, et également des découvertes les plus récentes qu'elle fait d'auteurs d'art brut (Lucienne Peiry, qui connaît son sujet, maintient en effet, à juste titre, la notion d'auteur d'art brut, qui se distingue, sans qu'elle insiste outre mesure dessus, de la notion "d'artiste" d'art brut que tant de plumitifs approximatifs emploient en ce moment à tire-larigot).
James Edward Deeds, The Black Snake (recto), entre 1936 et 1966, mine de plomb et crayon de couleur sur papier, 23,5 x 21 cm, photo : Atelier de numérisation, Ville de Lausanne, Collection de l’Art Brut, Lausanne
©2010 Electric Pencil Press (apparemment le bateau ici représenté n'est pas un navire imaginaire mais existait bel et bien, cf. le film visible sur le site electricpencildrawings.com
La nouvelle conservatrice, Sarah Lombardi, paraît avoir été en charge du concept de la nouvelle double exposition, Deeds/Johnston. L'expo du deuxième, musicien atypique, chanteur folk passablement excentrique (une sorte de Neil Young cabossé à la voix chevrotante et fragile comme du verre, faisant parfois l'effet d'un ongle griffant une vitre...), était déjà passée à Nantes l'année dernière au Lieu Unique. On devait passer à côté pour aller voir les projections du "Week-end Singulier" de cette année-là. Sarah Lombardi a dû découvrir les dessins de Daniel Johnston à cette occasion. Je me souviens que je lui avais demandé à cette occasion (avril 2012, il y a juste un an) ce que devenait la Collection Neuve Invention qui est comme une poupée russe enclavée au sein de la collection de l'Art Brut, mais dont on n'entendait plus trop parler.
On sait que selon Dubuffet et Thévoz, ce département devait rassembler tous les cas-limites situés entre art brut et "arts culturels". Or j'apprends dans un encart du site internet de la Collection, que Sarah Lombardi a décidé de redonner un peu de lumière sur cette Collection Neuve Invention... dans laquelle elle range Daniel Johnston. Cela m'a fait l'effet d'une curieuse réponse indirecte et décalée dans le temps. Pour elle donc, la Neuve Invention continue, comme entité à part de la collection princeps sans doute, ce qui à mon humble avis reste une bonne chose et évite les amalgames et les confusions à l'œuvre ces temps derniers. D'autant plus lorsque l'œuvre graphique d'un Johnston qu'on expose à Lausanne reste plutôt de l'ordre du faible et du médiocre (pour moi ce dernier est bien plus surprenant comme musicien que comme graphiste...).
James Edward Deeds à l’âge de 7 ans, 1915, photographe non-identifié
Rien à voir avec l'extraordinaire oeuvre dessinée de James Edward Deeds (1908-1987), interné depuis 1936 jusqu'à la fin de sa vie, dont on retrouva les dessins exécutés sur des bordereaux de son asile, cousus dans un livre fabriqué à la main, qui a fait l'objet d'un magnifique reprint aux USA (on peut le trouver par ici, par exemple à la Halle Saint-Pierre à Paris), reproduisant il me semble quasi intégralement ces chefs-d'oeuvre d'art naïf (au sens sublime du mot). Quelle suavité, et quelle enfance du regard préservée, se présentent à nous à cette occasion. S'il est un exemple d'art du plus pur immédiat, c'est bien chez James Edward Deeds qu'il faut aller le chercher. Ce livre, cet album de croquis au charme puissant fut sauvé par un enfant qui l'exhuma d'une poubelle où il allait s'anéantir. Que ce soit un enfant qui se chargea de ce sauvetage doit nous convaincre de la mystérieuse complicité qui s'établit par l'esprit entre candides de tous âges.
James Edward Deeds, States Attorney (verso), entre 1936 et 1966, mine de plomb et crayon de couleur sur papier, 23,5 x 21 cm, photo : Atelier de numérisation - Ville de Lausanne, Collection de l'Art Brut, Lausanne, ©2010 Electric Pencil Press
Un véritable obsédé des plumes, cet extravagant Mr. Deeds, et pourquoi pas si l'on songe à l'extraordinaire pouvoir métamorphique de cet élément naturel...? Et ces yeux, ces yeux, entièrement baignés de la lumière des voyants, noyés de songes... Deeds tirait le portrait des gens qui l'entouraient, et des animaux aussi, certains peut-être vus à la faveur d'un cirque ayant débarqué dans sa campagne et qu'on avait laissé voir aux pauvres fous pour les distraire un peu. Il dessinait le tout dans une sorte de carnet de bord qui fait un peu penser au livre de croquis de Marguerite Bonnevay que j'ai chroniqué sur ce blog naguère.
James Edward Deeds, sans titre (verso), entre 1936 et 1966, mine de plomb et crayon de couleur sur papier, 23,5 x 21 cm, photo : Atelier de numérisation - Ville de Lausanne, Collection de l'Art Brut, Lausanne, ©2010 Electric Pencil Press
00:00 Publié dans Art Brut, Art de l'enfance, Art immédiat, Art singulier, Musiques d'outre-normes | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : james edward deeds, electric pencil, daniel johnston, collection de l'art brut, sarah lombardi, lucienne peiry, neuve invention, marguerite bonnevay | Imprimer
15/04/2013
CAPUT, 4e exposition, "Cela est juste et bon, icônes, idoles et bondieuseries"
C'est le samedi 20 avril prochain que débutera à St-Memmie (dans la Marne) la nouvelle exposition des dernières découvertes de la CAPUT (Collection de l'Art Populaire et de l'Underground Tacite), réunies sur le thème des bondieuseries cette fois, et toujours acquises sur les brocantes à moins de 5 €, condition sine qua non pour l'établissement de la collection. Ses deux animateurs, Céline Brun-Picard et Grégory Haleux, on s'en souviendra (voir notes anciennes parue sur ce blog), prisent fort les peintures, fresques et autres travaux bricolés par des amateurs de tous types, ayant peut-être une prédilection pour les peintures du dimanche qu'en ce qui me concerne j'appelle à part moi des "croûtes" (mais il y a aussi dans le lot d'authentiques bizarreries parfois). Amis du Bad Art (l'Art Catastrophique? Tristan Bastit proposa "L'Art Moche"), vous êtes les bienvenus. Céline et Gregory aiment à donner des interprétations fort sérieuses au sujet de leurs trouvailles qu'ils traitent avec le même respect que celui qu'on manifeste en haut lieu aux chefs-d'œuvre de l'art.
21:44 Publié dans Art des croûtes, art des dépôts-ventes, Art naïf, Art populaire contemporain, Art populaire religieux | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : caput, cynthia 3000, art de dépôts-ventes, bad art, croûtes, art naïf religieux, art modeste | Imprimer
14/04/2013
Jean-Louis Cerisier à la chasse aux muralistes de campagne
C'est un peu tardif si vous aviez l'opportunité d'aller aujourd'hui au musée d'art naïf et d'art singulier de Laval, mais ce ne l'est pas du point de vue de la stricte information.
"Rendez-vous singulier" ce dimanche à 16h donc, pour assister à une conférence de Jean-Louis Cerisier, peintre singulier et naïf lavallois dont j'ai déjà eu maintes fois l'occasion de parler ici.
En parallèle de son travail de création, nous dit le laïus du musée, "il s’est intéressé dans les années 1900-2000 [sic] aux créations populaires dont est parsemé le territoire : fresques de village, œuvres dans les écoles, cafés décorés, art éphémère, se livrant à une véritable enquête en Mayenne et dans les Pays de la Loire à la recherche de ces créations insolites. Il livre aujourd’hui un aperçu du résultat de ses recherches. Une occasion unique de (re)découvrir le territoire à travers le regard de ses artistes anonymes". Il a d'ailleurs déjà donné l'occasion aux amateurs de se rendre compte de cette création, ici qualifiée un peu vite, il me semble, de "populaire" (ce qui l'assimile de fait à d'autres formes de création populaire comme l'art rustique, ou les environnements spontanés dont je parle souvent et introduit donc une certaine confusion dans l'esprit du public), dans la revue 303 (ancien rédacteur en chef Jacques Cailleteau), voir le n° 43 ( sur le peintre Beyel, un vrai naïf pour le coup, article intitulé "Origné ignoré, sur les traces du peintre Beyel", 1994), le n°57 (article "Mondes insolites et travaux artistiques: la Mayenne à l'œuvre", 1998) et le n°58 ("Mondes insolites et travaux artistiques: la Mayenne à l'oeuvre, seconde partie").
Peinture murale de Beyel (1926) dans le café-tabac,alimentation d'Origné (Mayenne), ph. B. Renoux, extraite du n°43 de 303, 1993 ; ce peintre nomade et solitaire peignait, paraît-il en échange du gîte et du couvert
Il compilait à cette occasion peintres naïfs locaux inconnus, auteurs de fresques dans des cafés (Beyel, André Thureau), créateur autodidacte d'un environnement brut (Céneré Hubert), peintres fresquistes régionaux au métier affirmé mais aux sujets un peu insolites (Tribus), fresquistes du dimanche aux limites de la peinture de croûte (Olivacce ; par ailleurs je sais Cerisier amateur de peintres inconnus de dépôts-vente comme un certain A.Labarde qui l'intrigue, à la limite de la peinture kitsch), créateur singulier célèbre (Robert Tatin), et peintre intellectuel mystique adepte de muralisme atypique (Xavier de Langlais). Nul doute cependant que dans ses recherches menées sans trop de discrimination (le tri viendra-t-il plus tard?), Jean-Louis prend tout ce qui vient, dans la mesure où la peinture de campagne l'interpelle, l'intrigue, et peut-être aussi lui rappelle quelqu'un qui ne serait pas si éloigné que cela de ses propres démarche et thématique personnelles... Voir par exemple la fresque ci-dessous qui ne va pas sans évoquer certaines de ses peintures.
Jean-Louis Cerisier, façade à Nozay, Loire-Atlantique
Jean-Louis Cerisier, Le port, 33 x 25 cm, 2010
C'est cependant une excellente idée de sa part de se livrer à cet inventaire – parallèle au mien plus axé sur les créations en plein air d'autodidactes d'origine strictement populaire, non professionnels de l'art – des fresquistes et peintres régionaux dont les décorations sont perdues dans les campagnes de Mayenne et au delà (on pourrait les étendre à toute la France). On obtiendra sans doute à la fin un panorama de la création décorative provinciale qui irait du naïf absolu à l'intellectuel primitivisant, en passant par les artistes publicitaires semi amateurs et les peintres du dimanche imitant de loin les peintres d'église, en les mixant avec les artistes singuliers contre-culturels et alternatifs, quelque créateur brut étant admis au banquet pour que le panel soit complet, dans le désir de Jean-Louis Cerisier tout de même (c'est le sentiment que j'ai) de rassembler toutes ces créations sous la seule bannière de l'art. Ce qui à mon humble avis représente une position restrictive qui ne tient pas compte de l'explosion des barrières socialement admises générée par la reconnaissance des créateurs bruts, œuvrant hors système traditionnel des beaux-arts justement (j'y assimile ici les créateurs d'environnements spontanés). C'est la position seulement réformiste de Jean-Louis Cerisier vis-à-vis de l'art que je pointe là, que je distingue d'une position plus révolutionnaire sur laquelle je campe personnellement.
A. Labarde, sans titre, sans date, coll. Jean-Louis Cerisier, ph. Bruno Montpied, 2009 ; on est ici à la limite de ce que les Américains appellent le Bad Art, tandis qu'en Europe, on parlerait plutôt de peintures de croûte, du type de celles qui végétent au fond des dépôts-vente (Labarde a d'ailleurs été repêché par Cerisier dans ces bric-à-brac), certaines oeuvres recélant cela dit un charme indéfinissable, aux limites du naïf, du raté, et de l'incongru...
13:43 Publié dans Art Brut, Art des croûtes, art des dépôts-ventes, Art immédiat, Art naïf, Environnements populaires spontanés, Galeries, musées ou maisons de vente bien inspirés | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : musée d'art naïf et d'art singulier de laval, jean-louis cerisier, rendez-vous singulier, 303, a. labarde, tribus, beyel, andré thureau, xavier de langlais, céneré hubert, art des dépôts-ventes, bad art, kitsch | Imprimer
12/04/2013
Des inscriptions cocasses comme s'il en pleuvait
Première inscription qui me fait toujours sourire en coin chaque fois que j'y passe, très souvent accompagné d'une cohorte de moutards à qui je la montre narquois, en les prévenant des conséquences parfois désastreuses que peut générer le simple oubli d'un petit signe orthographique, la liste de spécialités techniques égrenées sur l'affiche ci-dessous contient une désopilante erreur. Cherchez, il n'y en a pas pour longtemps.
Des conséquences des capitales sans accent ou cédille... Rue Marie-et-Louise, Paris, Xe ardt, ph. Bruno Montpied (ainsi que toutes les autres photos de cette note sauf mention contraire)
Rien de tel pour commencer ce florilège que cette "connerie"-là, n'est-ce pas? Ces coquilles ont ceci de positif qu'elles mettent l'esprit sur les rails d'interprétations facilement délirantes comme dans le cas de cette dernière, apposée sur un dais d'épicerie orientale à Châteaudun:
On imagine que dans l'arrière-boutique on embarque facilement au fond de fauteuils profonds, le narguilé à la bouche, en direction de quelque constellation abritant des nébuleuses aux perspectives fabuleuses...
On se fait ainsi aisément du cinéma à petit prix, se restaurant ailleurs de sandwichs croquants dont les tranches de pain enserrent des sociétés cinématographiques entières, nous libérant sur le palais toute une série d'images animées sans doute (photo prise dans le Xe ardt)...
Ces erreurs sont délicieuses décidément, elles ne sont pas aussi fréquentes que leur rassemblement ici présent pourrait le laisser croire. Mais quand on les perçoit, quel ravissement elles instillent dans nos neurones fatigués. Comme le télescopage ci-dessous, déjà anciennement relevé (dans le Morbihan près de Quiberon en 2001), qui aurait pu honorablement faire partie de la petite série que j'ai déjà publiée sur cette colonne blogueuse.
Tourner en rond au purgatoire en attendant qu'on se décide à vous rôtir ou tout au contraire à vous enfoncer dans des océans de délices, cela paraît logique. L'injonction "Prudence" prend ici un sens quelque peu maléfique et surnaturel...
C'est peut-être qu'on est parfois déjà au paradis lorsqu'on vous annonce le genre de promesse suivante, baignant littéralement dans l'absolu.
Rue de Jessaint, Paris XVIIIe ardt, ph. Emmanuel Boussuge, 2012
Quels sont donc ces "produits autres de toute nature", on s'interroge perplexe infiniment. Nos amis orientaux sont d'ailleurs de véritables mines pour les chercheurs d'énigmes et les quêteurs d'illuminations. Pourquoi vendent-ils uniquement dans ce faubourg du Temple des portables qui débloquent, si ce n'est par esprit de dérision, par goût du néant, par haine de la technologie aliénante?
On suppose que là aussi, oubliant d'apposer l'accent sur le dernier "e", on a créé involontairement une information légèrement paradoxale et hilarante, rue Saint-Maur, Paris Xe ardt, 2012
Nos amis orientaux ne se rendent pas compte... Ou alors on dirait vraiment qu'ils le font exprès, torpillant eux-mêmes leurs commerces par une communication masochiste qui peut nettement les desservir (parfois tout au contraire, comme dans le cas des restaurateurs chinois avec leurs fameux "riz gluants", à la connotation scabreuse par un certain côté, on profite de ces sous-entendus involontaires pour vendre davantage de produits, mais le sait-on bien?). Dans le cas des Orientaux, on se reportera avec jubilation (c'est vraiment celui que je préfère) au témoignage du salon de thé ci-dessous qui ne donne pas vraiment envie d'aller y goûter ses loukoums...
Paris, quelque part dans le Xe ardt, 2012
Mais allons, allons, il n'y a pas qu'eux, le Français classique ne contrôle pas lui non plus tout à fait tous les sous-entendus qu'impliquent certaines de ses publicités.
Un spécialiste du déménagement à la cloche de bois? Clermont-Ferrand, ph. Régis Gayraud, 2013
Et il n'est pas jusqu'à certaines autres enseignes qui ne m'adressent quelqu'amical salut que je serais bien bête de ne pas honorer ici...
Relevé à Rennes, ph. Darnish, 2013
10:47 Publié dans Enseignes fautives mais suggestives, Inscriptions mémorables ou drôlatiques | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : inscriptions drôlatiques, télescopages, enseignes fautives, perles, coquilles, erreurs | Imprimer
05/04/2013
Sortie nationale de "Recoins" n°5...
Ah, ça faisait longtemps qu'on l'attendait ce nouveau numéro des amis de l'Auvergne absolue. Art, belles-lettres et rockn'roll doivent être toujours au programme, I presume...? Je "présume" parce que le silence a été bien gardé jusqu'ici sur la statue qui ne paraît pouvoir être dévoilée que le jeudi 11 avril prochain à la Cale Sèche (je ne sais même pas ce que c'est que cette Cale Séche, où je présume, là encore, que cette cale ne reste pas longtemps séche et qu'il faudrait plutôt l'appeler la Rue de la Soif...) à partir de 19h... au 18 de la rue des Panoyaux dans le XXe arrondissement à Paris. Voir l'affiche ci-dessous.
Qu'y aura-t-il au sommaire? Eh bien, je présume, je présume, qu'il y aura au moins ma contribution, un article développé sur le site d'art brut étourdissant de Madame C. en Normandie, auteur décédé en 2009 qui a laissé un jardin étrange entourant une villa aux terrasses barricadées de voiles de ciment et autres silex et nains de jardin incrustés, tapissé en son for intérieur de murs ressemblant aux parois d'une grotte en dentelle de plâtre et papier mâché (on en a parlé dans Bricoleurs de paradis et dans Eloge des Jardins Anarchiques). Et il y aura sans doute aussi la suite du texte fort énigmatique de Régis Gayraud dont il avait entamé la publication dans le numéro 4. Et à part ça? Mystère et boules de gomme... François Puzenat est toujours l'émérite maquettiste de cette revue discrète et prometteuse. Emmanuel Boussuge et Franck Fiat en sont toujours quelques-uns des animateurs assoiffés. Rendez-vous jeudi donc pour en découvrir davantage...
10:49 Publié dans Art immédiat, Art naïf, Art populaire contemporain, Curiosités, modifications et divertissements langa, Environnements populaires spontanés, Fantastique social, Musiques d'outre-normes, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : recoins, emmanuel boussuge, françois puzenat, franck fiat, régis gayraud, madame c. | Imprimer
Art brut à Brest, Abbé Fouré, Pèr Jaïn, Gilles Ehrmann et autres bricoleurs de paradis...
Une manifestation nouvelle en Bretagne qui n'a, à ma connaissance, si loin en son cœur, que rarement montré de l'art brut va commencer le 5 avril à Brest. Cela s'intitule "L'art brut à l'ouest" – dans un beau pléonasme (assumé avec malice) car l'art brut en soi est naturellement à l'ouest – ensemble d'expositions et de représentations théâtrales prévues pour durer jusqu'au 29 juin.
L'événement convoque des documents concernant la création en plein air de l'abbé Fouré (les fameux "Rochers et bois sculptés" de cet ermite de Rothéneuf en Ille-et-Vilaine qui les sculpta entre 1894 et 1908, lui étant décédé en 1910), documents à base essentiellement de cartes postales et de reproductions d'articles de presse de l'époque que rassemble depuis quelque temps l'Association des Amis de l'Œuvre de l'abbé Fouré animée par Joëlle Jouneau. On se souviendra que j'ai moi-même documenté récemment dans la revue l'Or aux 13 îles n°1, en janvier 2010 (pour le centenaire de la disparition de l'abbé), l'ancien musée des bois sculptés que l'abbé avait créé dans le bourg dans son ermitage, à bonne distance de la côte où se trouvaient les rochers qu'il taillait à la belle saison, l'ermitage étant réservé pour les travaux d'hiver sur bois. Ces bois sculptés ont disparu par la suite dans les années 30 ou 40 dans des conditions restées mystérieuses. Ont seuls surnagé jusqu'à présent, parmi ces pièces en bois, quelques meubles sculptés, probablement ceux qui avaient quitté l'ermitage en 1910 après la vente aux enchères qui suivit la mort de l'abbé. Les rochers quant à eux se visitent toujours en dépit de leur grand état de dégradation. L'expo Fouré est prévue pour se tenir à la Bibliothèque d'Etude (22, rue Traverse à Brest, tél: 02 98 00 87 60).
Pierre Jaïn, une sculpture dans son jardin encore en place en 1991, ph. Bruno Montpied
Avec Fouré, sera présenté un autre "régional de l'étape", Pierre Jaïn (1904-1967), dit Pèr Jaïn dans la graphie bretonne, à l'initiative de son petit-neveu Benoït Jaïn, qui se consacre à défendre la mémoire de son aïeul depuis plusieurs années déjà (voir notamment les pièces qu'il avait prêtées à l'expo qu'avait organisée en 2001 l'association de Patricia Allio à Dol-de-Bretagne "L'art brut à l'ABRI"). Pierre Jaïn est bien connu des amateurs d'art brut qui se souviendront de la notice qui lui fut consacrée dans le fascicule n°10 de la collection de l'art brut en 1977 par le Dr. Pierre Maunoury (alias Joinul). Il fut sculpteur sur bois, pierre et os, les oeuvres sur ce dernier matériau ayant été peu conservées. La Collection de l'Art Brut à Lausanne en a conservé 9, la famille une douzaine (voir ici même la note que publia sur ce blog Benoît Jaïn en 2009). Il est connu aussi pour un petit orchestre de percussions bricolées qu'il avait installées à l'arrière de son jardin dans sa ferme à Kerlaz (voir ci-contre la photo qui fut publiée dans le fascicule n°10 de laCollection de l'Art Brut).
A côté de cette double exposition Fouré/Jaïn, on verra aussi dans un autre lieu, l'artothèque du musée des Beaux-Arts de Brest (24, rue Traverse, tél: 02 98 00 87 96), un panorama des photographies de Gilles Ehrmann consacrées aux "Inspirés" dans les années 50-60, photos qui donnèrent lieu à la publication du livre Les Inspirés et leurs demeures aux éditions du Temps en 1962. On pouvait y croiser Picassiette, l'abbé Fouré, Gaston Chaissac (qu'Ehrmann était allé voir avec Benjamin Péret en 1958, un an avant la disparition de ce dernier), Frédéric Séron, le meunier Louis Malachier, le pépiniériste Joseph Marmin (art topiaire), Hippolyte Massé, Alphonse Wallart, le Facteur Cheval et les "monstres de Bomarzo" en Italie.
Gilles Ehrmann avec son livre de 62 se trouve à un bout de la chaîne bibliographique qui unit les auteurs de livres sur les habitants-paysagistes populaires, chaîne dont je suis le dernier maillon pour l'instant avec mon Eloge des Jardins Anarchiques paru en 2011. Comme ce dernier livre, ainsi que le film de Remy Ricordeau Bricoleurs de paradis, traitent de nombreux créateurs de l'ouest de la France, j'ai trouvé normal de les proposer à la présentation au cours d'une rencontre-débat le 20 avril à 14h30 à l'auditorium du musée des Beaux-Arts, histoire de ne pas laisser croire au public breton que l'art brut dans la région appartiendrait au passé. Il y aura donc une nouvelle projection à la suite de laquelle on pourra évoquer plus particulièrement les sites bretons, comme ceux d'Alexis Le Breton dans le Morbihan, de l'abbé Fouré à Rothéneuf, d'André Gourlet à Riec-sur-Belon, d'Yvette et Pierre Darcel dans la région briochine ou encore d'André M. dans la région d'Auray.
Gilles Ehrmann, La maison à la sirène d'Hippolyte Massé, photo extraite des Inspirés et leurs demeures (1962)
Un peu plus tard, du 23 mai au 30 juin, au Centre Atlantique de la Photographie (dans le Quartz), Brest invitera aussi un photographe plus contemporain, Mario Del Curto, pour ses portraits des Clandestins de l'art brut. Il y aura aussi divers petits événements relatifs au manège de Petit-Pierre qui sera présenté sous la forme d'une pièce de théâtre de Suzanne Lebeau au Quartz de Brest. Pour le programme complet et plus précis, on peut le feuilleter en cliquant sur le lien ci-dessous:
http://issuu.com/bibliobrest/docs/art-brut-2013-brest-pro...
00:39 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art populaire insolite, Cinéma et arts (notamment populaires), Environnements populaires spontanés, Photographie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : quarts de brest, bibliothèques de brest, art brut à l'ouest, abbé fouré, l'or aux 13 îles, gilles ehrmann, les inspirés et leurs demeures, éloge des jardins anarchiques, bricoleurs de paradis, pierre jaïn, benoît jaïn, art immédiat, pierre avezard dit petit-pierre, mario del curto | Imprimer
24/03/2013
"Drauliany narod" ("Le peuple de bois") , un film de Victor Asliuk sur Mikalaj, créateur d'un petit monde menacé
Si vous êtes à Paris cette semaine, je vous invite à aller découvrir un petit documentaire cinématographique inconnu des amateurs d'environnements spontanés (je gage), notamment du grand manitou des rencontres autour des arts singuliers qui se tiennent annuellement à Nice, j'ai nommé Pierre-Jean Wurst... Je dois son signalement à Remy Ricordeau qui l'a répéré dans la programmation du Cinéma du Réel, festival de cinéma documentaire qui se tient actuellement à Paris dans différents lieux pour peu de jours.
Drauliany narod, (Le peuple de bois, merci Régis), cela s'appelle, et c'est d'un certain Victor Asliuk, cinéaste en Biélorussie. En 28 minutes, ce dernier présente "Mikalaj" (il paraît que c'est le prénom Nicolas), "vieil homme solitaire [qui est] le seul habitant d'un village au sein de la plus grande forêt d'Europe, Belovezhskaya Pushcha. Il fait revivre son monde [probablement le monde rural auquel il reste attaché] à travers des centaines de figurines en bois qu'il confectionne. Les personnages se transforment en une société où l'on naît, travaille, divorce, et où une bombe nucléaire menacerait l'existence même de ce petit peuple" (notice du programme du Cinéma du Réel). Cela passera au cinéma le Nouveau Latina (20, rue du Temple dans le IVe ardt) en deux séances, une à 21h le jeudi 28 mars, et une autre le dimanche 31 mars à 15h. En seconde partie, sera projeté un long-métrage, "Mitote" d'Eugène Polgovsky, à propos de rites populaires sur la place principale de Mexico. "Drauliany narod" est projeté en version originale sous-titrée en français et en anglais.
Je n'avais jusqu'à très récemment que l'image ci-dessous, récupérée du programme du Cinéma du Réel, à vous soumettre pour que vous vous fassiez une petite idée... Voici à présent, insérée un peu plus bas une petite vidéo déposée sur YouTube, signalée par Mister Gayraud, où l'on voit l'intérieur de la maison de "Mikalaj", et ce dernier en train de chanter, danser avec une de ses créatures (ce qui fait penser à Eugène Santoro, à qui du reste Mikalaj ressemble assez physiquement, et qui chevauche une de ses sculptures en forme de cheval comme s'il était vrai dans un autre film).
Mikalaj Tarassiuk (voir commentaire de Régis Gayraud à la suite de cette note) au milieu de son village miniaturisé ; on distingue -je sais, fort mal...- des personnages en petites statuettes restituant peut-être les saynètes habituelles de la campagne en Biélorussie
"Postaci" d'Inga Sakuta,2010
Enfin, voici le film de Victor Asliuk qui fut projeté au Nouveau Latina le 28 et le 31 mars à Paris (merci à Henk Van Es de son aimable signalement, on se reportera d'ailleurs à son propre blog où il a mis d'autres vidéos en ligne au sujet de Nicolas Tarassiuk):
Le peuple de bois, film de Victor Asliuk
19:21 Publié dans Art populaire insolite, Cinéma et arts (notamment populaires) | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : drauliany narod, victor asliuk, cinéma et arts populaires, mikalaj, biélorussie, art populaire en plein air, miniaturisation, environnements spontanés, cinéma du réel, pierre-jean wurst | Imprimer
23/03/2013
Fictions d'art brut à l'INHA et monstres de Josep Baqué aux enchères
Pourquoi lier ces deux événements, d'une part la nouvelle rencontre du 30 mars prochain proposée à l'INHA entre le CrAB et le collectif Marco Decorpéliada, et d'autre part la vente aux enchères de plusieurs lots de dessins de Josep Baqué (1895-1967) chez Ader le jeudi 11 avril?
Josep Baqué, un de ses dessins à la vente aux enchères, site web d'Ader
Peut-être à cause d'un point commun, la présence en arrière-plan de 'pataphysiciens (ou d'Oulipiens, ce qui est souvent la même chose il me semble), Marcel Benabou dans le collectif decorpéliadesque et la "Fond'Action Boris Vian" qui organisa autrefois une expo Josep Baqué, expo probablement en rapport avec l'article remarquable sur ce même personnage de Guy Ciancia et Françoise (ou Francine) Degand paru dans le n°1 de Viridis Candela, correspondancier du Collège de 'Pataphysique en octobre 2007.
Les incroyables dessins de Josep Baqué, Hommes primitifs, vente aux enchères Ader
Cet autoportrait est extrait du Correspondancier n°1 dont on voit la couverture plus haut
Il y a aussi que la rencontre prochaine du CrAB interroge diverses "fictions" qui ont pu se faire passer pour vies de créateurs bruts, avec les cas de Véreux (que je connais très mal), de Juva et ses silex "orientés" (voir ci-contre une reproduction tirée du fascicule de la collection de l'art brut où un chapitre lui est consacré), de Jules Penfac (canular monté par Michel Ragon qui déplut fortement à Gaston Chaissac qui y vit une cabale caricaturale montée aux dépens du rôle d'artiste bouseux qu'on voulait lui faire endosser) et donc de ce "Marco Decorpéliada" (on ne se lasse jamais d'écrire un tel nom). Inventer des auteurs d'art brut est bien sûr une façon d'éprouver le sens critique des amateurs. Si l'on arrive à asseoir la réputation "brute" d'une oeuvre produite par un auteur caché, en réalité habile et pétri de culture, ayant suivi un enseignement artistique qui plus est, on tourne en dérision un des aspects du concept d'art brut, un art surgi du néant, un art sans formation, sans culture. C'est tentant comme on le voit.
Les 'pataphysiciens ont commis à l'occasion quelques supercheries à ce qu'il me semble (je ne suis pas un spécialiste, et encore moins de leur "Collège"), notamment lorsqu'ils ont fait croire à l'existence d'un certain Julien Torma, poète maudit des années 30 qui aurait dépassé les surréalistes par l'étendue et la portée de sa révolte. Il semble qu'en réalité ce fût Noël Arnaud qui le créa avec l'appui par la suite d'autres membres du Collège. Mais il est vrai que dans leur quête de nivellement des valeurs (ce qui est mon interprétation, eux parlent à propos de 'Pataphysique "d'une science du particulier, d'une science de l'exception"), grâce à laquelle le public ne verrait plus de différences du plus humble des créateurs populaires au plus notoire et reconnu des artistes (et pourquoi pas? au fond, c'est ma recherche personnelle aussi bien), les 'pataphysiciens n'ont jamais créé, à ma connaissance, de faux créateur d'art brut et qu'ils ont plutôt, tout au contraire, documenté de façon régulière plusieurs d'entre eux (Picassiette, l'abbé Paysant, Frédéric Séron, Camille Renault, plusieurs habitants-paysagistes par la plume de Marc Décimo dans ses Jardins de l'Art Brut paru il y a quelques années, etc.).
Le Josep Baqué qu'ils ont donc révélé en 2007, dont des dessins se trouvent désormais dans la Collection de l'Art Brut à Lausanne (celui ci-contre est reproduit dans le Correspondancier de 2007), me demandais-je, ne serait-il pas une de leur supercheries? Car c'est trop beau, il s'agit d'un gardien de la paix qui de 1932 à 1950 en Catalogne espagnole, à Barcelone, donc pendant la guerre civile notamment, aurait dessiné en cachette 1500 dessins montrant des monstres, des animaux improbables, des "hommes primitifs", le tout décliné en série comme dans les planches zoologiques ou botaniques, et avec un style étonnamment moderne (c'est-à-dire vraiment très proche de nous)...
Couverture du livre de Max Aub publié en traduction (adaptation d'Alice et Pierre Gascar) chez Gallimard en 1961
Le petit "catalogue d'exposition" inséré dans le livre d'Aub, avec un portrait imaginaire, un photomontage d'un côtoiement également imaginaire de Campalans avec Picasso (ci-dessous)
Sur le moment, j'avoue avoir pensé à une autre supercherie, celle qui fut fomentée par l'écrivain espagnol Max Aub, qui inventa un peintre nommé Campalans, lui aussi catalan, qui aurait connu Picasso à Paris, pour qui il inventa tout, une vie, une œuvre (avec des illustratons reproduites dans son livre), le présentant au début de son ouvrage comme retrouvé par hasard au Mexique... Mais finalement il semble que non, ce ne soit pas une supercherie, il y a un petit-neveu, une collection complète de dessins qui passe bientôt sous le feu des enchères (à un prix considérable, 100 000 à 150 000€..., peut-être parce qu'il s'agit de 1500 dessins et qu'on ne veut pas les séparer?). Alors? Qui se portera acquéreur de cet ensemble à l'abord fort agréable? Car ces monstres sont fort sympathiques et comme je l'ai dit, très modernes et si proches de notre époque.
Josep Baqué, Planche 164, Poulpe à barbe blanche, reproduit dans Le Correspondancier n°1
Josep Baqué, monstre, extrait du site de vente aux enchères Ader
Pour acquérir le n°1 de Viridis Candela de 2007, il faut s'adresser (apparemment) à collegedepataphysique@laposte.net ou college.pataphysique@free.fr. Je dis apparemment car il semble qu'il y ait à présent, au moins sur la toile deux Collèges de 'Pataphysique...
Josep Baqué, image sur le site d'Ader
19:51 Publié dans Art Brut, Art immédiat | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : inha, crab, fictions d'art brut, supercheries, josep baqué, art brut, art immédiat, jusep torrés campalans, max aub, collège de 'pataphysique | Imprimer
Il y a une fleur qui pousse à l'ouest, poème de Steinn Steinarr
Dans une traduction de Régis Boyer, intégré dès aujourd'hui dans mon choix de poésies, voici un poème de Steinn Steinarr, qui m'émeut tout particulièrement. Poète islandais qu'appréciait mon ancienne amie et muse Christine Bruces-Cerisier, je décidai de le lire à voix haute à la cérémonie de son incinération au Père-Lachaise en juillet 2001.
Il y a une fleur qui pousse à l'ouest, Steinn Steinarr, in Le Temps et l'Eau, éd. Actes Sud
15:25 Publié dans Poèmes choisis du sciapode | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : steinn steinarr, christine bruces-cerisier, le temps et l'eau, poésie islandaise, poèmes choisis du sciapode | Imprimer
17/03/2013
Rendez-vous à Masgot le samedi 30 mars à 17h...
Avec le printemps qui va bien finir par arriver, retrouvons-nous au fin fond de la Creuse, dans ce cher hameau de Masgot, patrie du sculpteur François Michaud, pour une projection des Bricoleurs de paradis (le Gazouillis des éléphants), le film de Remy Ricordeau, que j'ai co-écrit avec lui (on commence à le savoir, mais je dis bien sûr ça pour ceusses qui débarqueraient).
Nous discuterons après la projection. La manifestation est à l'initiative de deux associations, celle des Amis de la Pierre qui veille plus particulièrement sur le devenir du site sculpté de Masgot, et celle des Maçons de la Creuse, animée entre autres par Roland Nicoux, qui s'intéresse de près à tout ce qui a trait à la vie et à l'œuvre des maçons creusois. Notamment à ce qu'ils peuvent créer à côté de leurs métiers, comme le dernier bulletin, n°15 (de juin 2011, en réalité de janvier 2013), édité par l'association le prouve assez du reste (j'y ai publié deux textes, l'un sur les environnements populaires avant le Facteur Cheval et l'autre, un texte sur les Montégudet, père et fils, inspirés creusois). On pourra acquérir ce numéro à l'occasion de cette projection, de même que seront disponibles quelques exemplaires de mon livre Eloge des Jardins anarchiques que je dédicacerai aux lecteurs intéressés.
11:46 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Cinéma et arts (notamment populaires), Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : masgot, françois michaud, bricoleurs de paradis, éloge des jardins anarchiques, bruno montpied, amis de la pierre de masgot, maçons de la creuse, roland nicoux, environnements spontanés, habitants-paysagistes, inspirés du bord des routes | Imprimer
15/03/2013
Josep Pujiula y Vila, quand les labyrinthes font l'amour aux forêts
Film vidéo La Chose par Bernard Legros et Joesph Pastor(13min24 ; 2001), récupérée sur le blog Outsider Environments Europe d'Henk Van Hes ; au moment du tournage la route à 4 voies qui devait trraverser le bois n'avait pas encore été construite, l'auteur disait que cela faisait 20 ans qu'il travaillait à son labyrinthe
Jolie balade dans les arbres, les labyrinthes, les cabanes serpentines, les tunnels de bois, n'est ce pas? Son auteur, habitant du village d'Arguelager, où il a été paraît-il surnommé le "Tarzan d'Arguelager", adore se bricoler des labyrinthes végétaux qui enlacent les arbres, les absorbent, se marient avec eux, entraînant ses visiteurs, adultes ou enfants, dans les tunnels, les orifices, les escalades de son domaine tortueux et inventif qui devint, à un moment un parc animalier puis dans un second temps une sorte de parc d'attractions pour petits et grands. Josep Pujiula y Vila a besoin de ses tricotages végétaux, les autorités s'en sont pris à lui par deux fois déjà, on n'aime pas cette arnachie-là, on lui a collé une route au milieu des bois (le terrain ne lui appartient pas semble-t-il), on veut qu'il arrête, mais il recommence à chaque fois. il ne peut pas s'en empêcher... On trouvera aussi de l'information sur le site web d'Archi Libre (que j'ai mis dans mes liens en colonne de droite depuis belle lurette), qui signale qu'en 2010 le site était toujours en place, avec des constructions de galets en plus.
Le site créé à un moment par Joseph Pujiula y Vila, photos récupérées du site Archi Libre
Il y a une pétition que Roger Cardinal m'a fait passer pour admonester le Maire du patelin où tout cela se passe (Catalogne espagnole). Signez-la si cela vous concerne, et faites passer aux autres... Car apparemment, le maire remet ça et veut détruire le site.
C'est ici pour rejoindre le site de la pétition: http://www.avaaz.org/en/petition/Save_one_of_the_worlds_g...
15:32 Publié dans Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : josep pujiula y vila, arguelaguer, catalogne espagnole, labyrinthes, cabanes, architecture alternative, environnements spontanés | Imprimer
12/03/2013
L'art d'accommoder le Christ (accessoirement le pape?) par Murielle Belin
Je n'étais pas trop convaincu par les oeuvres de Murielle Belin jusqu'à présent, même si certaines de ses références me plaisaient (Kubin par exemple). Cette artiste fait des œuvres à la fois en deux et trois dimensions, plongeant certains de ses personnages dans des bocaux de formol, affublant des oiseaux empaillés de têtes humaines (voir son reliquaire "Ciel tombal"), peignant des sous-bois où se trament dans les étangs d'étranges métamorphoses (voir sur son site sa série de peintures intitulées les Baigneuses de 2006 à 2007).
Murielle Belin Le chauve sourire d'Alfred Kubin
On peut voir actuellement certains de ses travaux (des reliquaires en papier roulé...) dans la galerie du rez-de-chaussée de la Halle Saint-Pierre. Et de temps à autre, elle est exposée à la galerie de Béatrice Soulié (qui a deux lieux à présent, à Paris et à Marseille). Mais aussi on a pu la voir dans des expos collectives avec le Daily-Bûl par exemple, ou en illustratrice des défunts Cahiers de l'IIREFL (consacrés aux foux littéraires).
Murielle Belin, Ciel tombal
Une série de ses dessins m'a récemment plus particulièrement retenu, déclinant les "36 façons" dont on aurait pu torturer et achever Jésus. C'est très drôle, je trouve, cette combinatoire très oupeinpienne (d'Oupeinpo, Ouvroir de Peinture Potentielle) qui consiste à imaginer tous les supplices qui auraient pu avoir lieu sur le Golgotha, qui auraient pu nous condamner à une iconographie christique ultérieure tout autre... "Si le messie de la religion catholique avait été empalé, écorché, bouilli, enterré vivant, mis aux oubliettes,… avec quelles icones aurions-nous vécu ? A la manière amusante d’un exercice de style, voici un inventaire des possibles". On en jugera ici avec seulement cinq exemples ci-dessous affichés (la série entière est disponible sur le site web de l'artiste):
Jésus bouilli...
Jésus raccourci...
Jésus sur la chaise électrique...
Ecartelé...
Transperçé par un éléphant (le plus improbable de tous?)...
Je trouve à cette série un petit côté dessins Panique, du genre Olivier O.Olivier (artiste récemment disparu), ou Topor ou Christian Zeimert, dans un désir de figuration décalée.
10:56 Publié dans Art moderne ou contemporain acceptable, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : murielle belin, baigneuses, alfred kubin, chauve-souris, formol, art singulier, fous littéraires, daily-bûl, jésus-christ | Imprimer
10/03/2013
Le visage à l'intérieur, un parallèle Gilles Manero/Steinn Steinarr
Gilles Manero, sans titre, mine de plomb, crayons et collage de tarlatane sur papier photographique ancien, env. 39x29 cm, 2010, coll. Bruno Montpied
Dans ta conscience
Il y a un visage qui regarde
Steinn Steinarr
Dans ta conscience il y a un visage qui regarde,
Visage que nul ne voit et qui ne doit trouver place nulle part.
Son regard est le rêve, sombre et brûlant,
Qui se cache dans l'ombre de tes sentiments.
Il ne se trompe pas de direction, il prend bien garde à soi,
Il s'enterre dans l'ombre profonde et intime.
Il va incognito, ce visage,
Par les recoins les plus taciturnes de ton âme.
Rien n'est aussi profondément celé sur terre,
Tu séjournes longtemps à distance, faible et diminué.
Ta requête est faite pour rien,
Ce visage n'existe plus, qui fut toi-même.
(extrait de Le temps et l'eau, trad. Régis Boyer, éd.Actes Sud, 1984)
13:46 Publié dans Art singulier, Poèmes choisis du sciapode | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : gilles manero, art singulier, steinn steinarr, régis boyer, poésie islandaise, rêve | Imprimer