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06/05/2013

Iles, je jette mes chaussures par-dessus bord, car je voudrais bien aller jusqu'à vous...

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Photo Giorgio Furla, extraite du livre pour la jeunesse de Bruno Munari, De loin on dirait une île, éditions Delphine Montalant, Gand, 2002

         

     Cailloux roses ou translucides, bijoux d’un soir, de l’heure crépusculaire. La main, tentée tant de fois, cède par moments et cueille… Déception immédiate. Il faut les abandonner à leur écrin dans le sable comme du sucre roux, de même que furent répudiés ces brocs de bistrot dont les lettres désignant une marque d’alcool populaire avaient des caractères peints en bleu et saillant en léger relief. Ils avaient une si éclatante évidence qu’on aurait voulu en emporter un peu chez soi. Hélas, on se convainquait dans la minute suivante que, transplantés dans un autre décor rien n’en serait resté, le charme se serait enfui, comme celui d’une fleur coupée ou d’un insecte capturé.

         Ces petites pierres composent autant d’îles, autant d’œuvres d’art sous la lumière rasante du soleil au déclin, bleuissant les vagues, dorant la plage. Si profondément mariés à leur situation que la vie prend enfin sa valeur poétique, alors que le reste du temps elle serait plutôt cachée. La voici dévoilée, pleine comme fruit juteux, vie mûrie, enceinte de ses gouttes d’instants précieux.

         La plage est un tapis de cendres d’or, pailletée de signes trouvés, adorablement énigmatiques que seule la caméra pourra peut-être installer à tout jamais dans leur beauté vivante et en tant que telle fugace.

(Juillet 1988)

Munari De loin on dirait une île, 2002.jpg

Ce livre publié en 2002, peu connu de Munari, par ailleurs auteur original de la littérature jeunesse, cherche à propager le goût des pierres trouvées en bordure de plage, les comparant à des petites îles, montrant leurs dessins étonnants, révélant le parti qu'on peut en tirer grâce à nos projections imaginatives, en les interprétant, en les peignant, en les assemblant, en les mettant en scène... ; je suis sensible depuis fort longtemps à ce genre de recherche et j'ai donc souhaité aujourd'hui, sous un titre emprunté à un poème de Blaise Cendrars, allier l'évocation de ce livre à un texte que j'avais écrit en 1988 sur une plage du côté de Royan, en marge d'un petit film Super 8 que j'avais intitulé Ecrins de sable, entièrement consacré à la poésie des objets naturels trouvés sur le sable en bord de mer, film resté secret...


04/05/2013

La vache cachée des Cévennes

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La vache cachée des Cévennes, dessin numérique sur photographie numérique, 2011, Bruno Montpied

01/05/2013

L'art brut manipulé, le soi-disant monument d'André Robillard

     On sait que depuis un bon moment le sculpteur-assembleur-dessinateur André Robillard classé dans l'art brut participe avec bonne volonté à des expériences théâtrales et musicales qui l'ont embringué dans des spectacles où, en définitive, il apparaît comme un faire-valoir pour des artistes et comédiens qui sans lui auraient certainement moins fait parler d'eux (la compagnie les Endimanchés).

       Cela semble avoir donné des idées à d'autres, en l'occurrence au Centre Hospitalier Daumézon (où fut hospitalisé et où travailla Robillard près d'Orléans), à la DRAC et au FRAC Centre qui lancent un appel au public pour trouver le financement de ce qu'ils appellent improprement "une œuvre monumentale d'art brut d'André Robillard". "Improprement", dis-je, car Robillard ne participera nullement à l'érection de ce monument, qui affectera plutôt d'être une copie monumentale d'un de ses célèbres fusils (si l'informateur qui m'a indiqué cette opération s'avère bien informé...). Ce sont des techniciens spécialisés dans la construction de ces monuments qui devraient s'en charger... J'entends même dire par ce même informateur qu'un des responsables de l'opération aurait confié: "André pourrait se blesser" (sous-entendu, en faisant ce monument...).

 

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Je diffuse ici l'annonce de la souscription par souci d'information objective, chacun se déterminera comme il l'entend ; en ce qui me concerne pas question d'aider à un tel projet

    Alors, faut-il "donner pour l'art brut", comme le proclame le laïus du papillon ci-dessus ("papillon" c'est aussi joli, sinon plus, que "flyer", vous ne trouvez pas?), ou plutôt donner pour l'art contemporain de commande (qui se fait payer 60 000 €, y en aura peut-être des miettes pour Robillard, faut espérer...?)? On peut après tout considérer le projet comme un monument d'hommage à André Robillard, mais certainement pas comme la "première commande publique d'une œuvre monumentale d'art brut" comme il est dit dans le premier laïus ci-dessus.

 

centre hospitalier daumézon,art brut,andré robillard,drac et frac centre,art monumental contemporain

André Robillard, une collection de fusils accrochés dans le département d'art brut au LaM de Villeneuve d'Ascq, ph. Bruno Montpied, avril 2011

 

     Le problème est que le propos reste singulièrement confus. Car pour qu'il y ait véritablement un monument d'art brut, il ne faudrait déjà pas qu'il y ait une COMMANDE à la base. J'ai presque envie de fredonner du Brassens, "la bandaison, Papa, ça ne se commande pas...". L'art brut ne naît pas dans les lits qu'on prépare pour lui. C'est un peu du chiendent, l'art brut. Alors que penser de tout cela? N'est-ce pas une énième tentative de rabattre le couvercle de l'art contemporain que d'aucuns veulent à tout prix mixer avec l'art brut en lui faisant porter les mêmes chapeaux, les mêmes couvercles? C'est ce que je crois.

      C'est commode, avec Robillard qui est un brave type qui consent  à tout, on peut tout lui faire valider. L'art brut plus généralement c'est même le terreau idéal, l'argile que l'on peut remodeler à volonté. On peut tout leur faire faire. Il paraît aussi que dernièrement, d'après les modèles de Robillard on aurait diffusé des fusils, dans son style tout en assemblages, en kit, oui vous avez bien lu, en kit – j'espère que c'est seulement une rumeur ou un bobard mal intentionné! – avec ce kit, l'acheteur pouvait se reconstituer, à la manière de, un fusil entièrement made by Robillard, avec les boîtes de conserves, l'adhésif de couleur, des bouts de tuyau, les crosses toutes découpées selon le même calibrage, tout le toutim robillardesque. Je rêve...

 

27/04/2013

Art populaire, le retour? Une vente à Marseille

    Je dois à un correspondant mystérieux l'information qu'une vente d'art populaire curieux a lieu ce jour à Marseille via la maison de vente aux enchères Leclère, sans doute en écho de l'ouverture prochaine (le 7 juin prochain) du MUCEM (Musée des Civilisations de l'Europe et de la Méditerranée) à côté du Vieux-Port et du Fort Saint-Jean (de multiples expositions y sont prévues à partir de cette date qui plus est). C'est la collection de Marc Billioud montée "durant quarante ans" avec la collaboration de Jean-Yves Roux (qui fait une présentation dans un petit court-métrage incrusté dans le catalogue éléctronique de la vente) qui est dispersée ici, avec un catalogue sur papier à la clé. Les objets et peintures offerts à la vente sont suffisamment beaux, émouvants et intriguants pour que j'en extrais ici cinq pièces, choisies arbitrairement, enfin pas tout à fait. elles correspondent  à ce que j'aurais acheté si j'en avais eu les moyens...

 

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Deux moines quelque peu indécents... Collection Billioud

homme posant culotte (Provence ptêt), 29x19 cm bois peint.jpg

Anonyme, 29 x 19 cm, bois peint, coll Billioud (je trouve à cet homme au canotier un aspect proche des personnages des dessins animés de Paul Grimault, le réalisateur du Roi et l'oiseau...)

Gabriel Papel, recueil d'histoires avec ill gouache et aquarelle.jpg

Page extraite d'un recueil de contes et histoires divers illustrés à la gouache ou à l'aquarelle par un certain Gabriel Papel

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Huile sur carton, 39 x 48,5 cm ; curieuse peinture naïve au verso de laquelle se trouverait un monogramme en lien avec Séraphine de Senlis (pourtant le style de cette peinture en paraît fort éloigné)

                                                 

23/04/2013

Du côté de Lausanne (nouvelles de la Collection d'Art Brut, expo James Edward Deeds...)

     Ça bouge à Lausanne. La nouvelle conservatrice est donc Sarah Lombardi... Tandis que Lucienne Peiry continue d'être la "Directrice de la recherche et des relations internationales de la Collection de l'Art Brut". Les expositions du moment sont consacrées, toutes les deux du 15 mars au 30 juin, d'un côté à James Edward Deeds (un temps surnommé "The Electric Pencil", "le Crayon Electrique", surnom qu'on lui donna d'après des inscriptions retrouvées sur ses dessins et avant qu'on ne découvre sa véritable identité) et de l'autre à Daniel Johnston.

 

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James Edward Deeds, Miss Laben (recto), entre 1936 et 1966, mine de plomb et crayon de couleur sur papier, 23,5 x 21 cm. Photo : Atelier de numérisation, Ville de Lausanne. Collection de l’Art Brut, Lausanne ©2010 Electric Pencil Press


          Lucienne Peiry a décidé depuis quelque temps de mettre en ligne à l'usage des amateurs ce qu'elle appelle ses "Notes d'art brut", ensemble d'articles de presse, d'agenda des rencontres et autres conférences nombreuses que donne et organise notre ancienne conservatrice de la collection d'art brut, et également des découvertes les plus récentes qu'elle fait d'auteurs d'art brut (Lucienne Peiry, qui connaît son sujet, maintient en effet, à juste titre, la notion d'auteur d'art brut, qui se distingue, sans qu'elle insiste outre mesure dessus, de la notion "d'artiste" d'art brut que tant de plumitifs approximatifs emploient en ce moment à tire-larigot).

 

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James Edward Deeds, The Black Snake (recto), entre 1936 et 1966, mine de plomb et crayon de couleur sur papier, 23,5 x 21 cm, photo : Atelier de numérisation, Ville de Lausanne, Collection de l’Art Brut, Lausanne
©2010 Electric Pencil Press (apparemment le bateau ici représenté n'est pas un navire imaginaire mais existait bel et bien, cf. le film visible sur le site electricpencildrawings.com


         La nouvelle conservatrice, Sarah Lombardi, paraît avoir été en charge du concept de la nouvelle double exposition, Deeds/Johnston. L'expo du deuxième, musicien atypique, chanteur folk passablement excentrique (une sorte de Neil Young cabossé à la voix chevrotante et fragile comme du verre, faisant parfois l'effet d'un ongle griffant une vitre...), était déjà passée à Nantes l'année dernière au Lieu Unique. On devait passer à côté pour aller voir les projections du "Week-end Singulier" de cette année-là. Sarah Lombardi a dû découvrir les dessins de Daniel Johnston à cette occasion. Je me souviens que je lui avais demandé à cette occasion (avril 2012, il y a juste un an) ce que devenait la Collection Neuve Invention qui est comme une poupée russe enclavée au sein de la collection de l'Art Brut, mais dont on n'entendait plus trop parler.

    On sait que selon Dubuffet et Thévoz, ce département devait rassembler tous les cas-limites situés entre art brut et "arts culturels". Or j'apprends dans un encart du site internet de la Collection, que Sarah Lombardi a décidé de redonner un peu de lumière sur cette Collection Neuve Invention... dans laquelle elle range Daniel Johnston. Cela m'a fait l'effet d'une curieuse réponse indirecte et décalée dans le temps. Pour elle donc, la Neuve Invention continue, comme entité à part de la collection princeps sans doute, ce qui à mon humble avis reste une bonne chose et évite les amalgames et les confusions à l'œuvre ces temps derniers. D'autant plus lorsque l'œuvre graphique d'un Johnston qu'on expose à Lausanne reste plutôt de l'ordre du faible et du médiocre (pour moi ce dernier est bien plus surprenant comme musicien que comme graphiste...).

 

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James Edward Deeds à l’âge de 7 ans, 1915, photographe non-identifié


      Rien à voir avec l'extraordinaire oeuvre dessinée de James Edward Deeds (1908-1987), interné depuis 1936 jusqu'à la fin de sa vie, dont on retrouva les dessins exécutés sur des bordereaux de son asile, cousus dans un livre fabriqué à la main, qui a fait l'objet d'un magnifique reprint aux USA (on peut le trouver par ici, par exemple à la Halle Saint-Pierre à Paris), reproduisant il me semble quasi intégralement ces chefs-d'oeuvre d'art naïf (au sens sublime du mot). Quelle suavité, et quelle enfance du regard préservée, se présentent à nous à cette occasion. S'il est un exemple d'art du plus pur immédiat, c'est bien chez James Edward Deeds qu'il faut aller le chercher. Ce livre, cet album de croquis au charme puissant fut sauvé par un enfant qui l'exhuma d'une poubelle où il allait s'anéantir. Que ce soit un enfant qui se chargea de ce sauvetage doit nous convaincre de la mystérieuse complicité qui s'établit par l'esprit entre candides de tous âges.

 

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James Edward Deeds, States Attorney (verso), entre 1936 et 1966, mine de plomb et crayon de couleur sur papier, 23,5 x 21 cm, photo : Atelier de numérisation - Ville de Lausanne, Collection de l'Art Brut, Lausanne, ©2010 Electric Pencil Press

 

    Un véritable obsédé des plumes, cet extravagant Mr. Deeds, et pourquoi pas si l'on songe à l'extraordinaire pouvoir métamorphique de cet élément naturel...? Et ces yeux, ces yeux, entièrement baignés de la lumière des voyants, noyés de songes... Deeds tirait le portrait des gens qui l'entouraient, et des animaux aussi, certains peut-être vus à la faveur d'un cirque ayant débarqué dans sa campagne et qu'on avait laissé voir aux pauvres fous pour les distraire un peu. Il dessinait le tout dans une sorte de carnet de bord qui fait un peu penser au livre de croquis de Marguerite Bonnevay que j'ai chroniqué sur ce blog naguère.

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James Edward Deeds, sans titre (verso), entre 1936 et 1966, mine de plomb et crayon de couleur sur papier, 23,5 x 21 cm, photo : Atelier de numérisation - Ville de Lausanne, Collection de l'Art Brut, Lausanne, ©2010 Electric Pencil Press



15/04/2013

CAPUT, 4e exposition, "Cela est juste et bon, icônes, idoles et bondieuseries"

     C'est le samedi 20 avril prochain que débutera à St-Memmie (dans la Marne) la nouvelle exposition des dernières découvertes de la CAPUT (Collection de l'Art Populaire et de l'Underground Tacite), réunies sur le thème des bondieuseries cette fois, et toujours acquises sur les brocantes à moins de 5 €, condition sine qua non pour l'établissement de la collection. Ses deux animateurs, Céline Brun-Picard et Grégory Haleux, on s'en souviendra (voir notes anciennes parue sur ce blog), prisent fort les peintures, fresques et autres travaux bricolés par des amateurs de tous types, ayant peut-être une prédilection pour les peintures du dimanche qu'en ce qui me concerne j'appelle à part moi des "croûtes" (mais il y a aussi dans le lot d'authentiques bizarreries parfois). Amis du Bad Art (l'Art Catastrophique? Tristan Bastit proposa "L'Art Moche"), vous êtes les bienvenus. Céline et Gregory aiment à donner des interprétations fort sérieuses au sujet de leurs trouvailles qu'ils traitent avec le même respect que celui qu'on manifeste en haut lieu aux chefs-d'œuvre de l'art.

 

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14/04/2013

Jean-Louis Cerisier à la chasse aux muralistes de campagne

     C'est un peu tardif si vous aviez l'opportunité d'aller aujourd'hui au musée d'art naïf et d'art singulier de Laval, mais ce ne l'est pas du point de vue de la stricte information.

      "Rendez-vous singulier" ce dimanche à 16h donc, pour assister à une conférence de Jean-Louis Cerisier, peintre singulier et naïf lavallois dont j'ai déjà eu maintes fois l'occasion de parler ici.

     En parallèle de son travail de création, nous dit le laïus du musée, "il s’est intéressé dans les années 1900-2000 [sic] aux créations populaires dont est parsemé le territoire : fresques de village, œuvres dans les écoles, cafés décorés, art éphémère, se livrant à une véritable enquête en Mayenne et dans les Pays de la Loire à la recherche de ces créations insolites. Il livre aujourd’hui un aperçu du résultat de ses recherches. Une occasion unique de (re)découvrir le territoire à travers le regard de ses artistes anonymes". Il a d'ailleurs déjà donné l'occasion aux amateurs de se rendre compte de cette création, ici qualifiée un peu vite, il me semble, de "populaire" (ce qui l'assimile de fait à d'autres formes de création populaire comme l'art rustique, ou les environnements spontanés dont je parle souvent et introduit donc une certaine confusion dans l'esprit du public), dans la revue 303 (ancien rédacteur en chef Jacques Cailleteau), voir le n° 43 ( sur le peintre Beyel, un vrai naïf pour le coup, article intitulé "Origné ignoré, sur les traces du peintre Beyel", 1994), le n°57 (article "Mondes insolites et travaux artistiques: la Mayenne à l'œuvre", 1998) et le n°58 ("Mondes insolites et travaux artistiques: la Mayenne à l'oeuvre, seconde partie").

 

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Peinture murale de Beyel (1926) dans le café-tabac,alimentation d'Origné (Mayenne), ph. B. Renoux, extraite du n°43 de 303, 1993 ; ce peintre nomade et solitaire peignait, paraît-il en échange du gîte et du couvert

 

     Il compilait à cette occasion peintres naïfs locaux inconnus, auteurs de fresques dans des cafés (Beyel, André Thureau), créateur autodidacte d'un environnement brut (Céneré Hubert), peintres fresquistes régionaux au métier affirmé mais aux sujets un peu insolites (Tribus), fresquistes du dimanche aux limites de la peinture de croûte (Olivacce ; par ailleurs je sais Cerisier amateur de peintres inconnus de dépôts-vente comme un certain A.Labarde qui l'intrigue, à la limite de la peinture kitsch), créateur singulier célèbre (Robert Tatin), et peintre intellectuel mystique adepte de muralisme atypique (Xavier de Langlais). Nul doute cependant que dans ses recherches menées sans trop de discrimination (le tri viendra-t-il plus tard?), Jean-Louis prend tout ce qui vient, dans la mesure où la peinture de campagne l'interpelle, l'intrigue, et peut-être aussi lui rappelle quelqu'un qui ne serait pas si éloigné que cela de ses propres démarche et thématique personnelles... Voir par exemple la fresque ci-dessous qui ne va pas sans évoquer certaines de ses peintures.

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Jean-Louis Cerisier, façade à Nozay, Loire-Atlantique

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Jean-Louis Cerisier, Le port, 33 x 25 cm, 2010

 

      C'est cependant une excellente idée de sa part de se livrer à cet inventaire – parallèle au mien plus axé sur les créations en plein air d'autodidactes d'origine strictement populaire, non professionnels de l'art – des fresquistes et peintres régionaux dont les décorations sont perdues dans les campagnes de Mayenne et au delà (on pourrait les étendre à toute la France). On obtiendra sans doute à la fin un panorama de la création décorative provinciale qui irait du naïf absolu à l'intellectuel primitivisant, en passant par les artistes publicitaires semi amateurs et les peintres du dimanche imitant de loin les peintres d'église, en les mixant avec les artistes singuliers contre-culturels et alternatifs, quelque créateur brut étant admis au banquet pour que le panel soit complet, dans le désir de Jean-Louis Cerisier tout de même (c'est le sentiment que j'ai) de rassembler toutes ces créations sous la seule bannière de l'art. Ce qui à mon humble avis représente une position restrictive qui ne tient pas compte de l'explosion des barrières socialement admises générée par la reconnaissance des créateurs bruts, œuvrant hors système traditionnel des beaux-arts justement (j'y assimile ici les créateurs d'environnements spontanés). C'est la position seulement réformiste de Jean-Louis Cerisier vis-à-vis de l'art que je pointe là, que je distingue d'une position plus révolutionnaire sur laquelle je campe personnellement.

 

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A. Labarde, sans titre, sans date, coll. Jean-Louis Cerisier, ph. Bruno Montpied, 2009 ; on est ici à la limite de ce que les Américains appellent le Bad Art, tandis qu'en Europe, on parlerait plutôt de peintures de croûte, du type de celles qui végétent au fond des dépôts-vente (Labarde a d'ailleurs été repêché par Cerisier dans ces bric-à-brac), certaines oeuvres recélant cela dit un charme indéfinissable, aux limites du naïf, du raté, et de l'incongru...

 

12/04/2013

Des inscriptions cocasses comme s'il en pleuvait

    Première inscription qui me fait toujours sourire en coin chaque fois que j'y passe, très souvent accompagné d'une cohorte de moutards à qui je la montre narquois, en les prévenant des conséquences parfois désastreuses que peut générer le simple oubli d'un petit signe orthographique, la liste de spécialités techniques égrenées sur l'affiche ci-dessous contient une désopilante erreur. Cherchez, il n'y en a pas pour longtemps.

Ma connerie, Paris 10e ardt, juin 12.jpg

Des conséquences des capitales sans accent ou cédille... Rue Marie-et-Louise, Paris, Xe ardt, ph. Bruno Montpied (ainsi que toutes les autres photos de cette note sauf mention contraire)

    Rien de tel pour commencer ce florilège que cette "connerie"-là, n'est-ce pas? Ces coquilles ont ceci de positif qu'elles mettent l'esprit sur les rails d'interprétations facilement délirantes comme dans le cas de cette dernière, apposée sur un dais d'épicerie orientale à Châteaudun:

Fautes, salon oriontale Châteaudun, nov 11.JPG On imagine que dans l'arrière-boutique on embarque facilement au fond de fauteuils profonds, le narguilé à la bouche, en direction de quelque constellation abritant des nébuleuses aux perspectives fabuleuses...

     On se fait ainsi aisément du cinéma à petit prix, se restaurant ailleurs de sandwichs croquants dont les tranches de pain enserrent des sociétés cinématographiques entières, nous libérant sur le palais toute une série d'images animées sans doute (photo prise dans le Xe ardt)...

Pathé campagne, rue du fbg du temple déc 11.jpg

Ces erreurs sont délicieuses décidément, elles ne sont pas aussi fréquentes que leur rassemblement ici présent pourrait le laisser croire. Mais quand on les perçoit, quel ravissement elles instillent dans nos neurones fatigués. Comme le télescopage ci-dessous, déjà anciennement relevé (dans le Morbihan près de Quiberon en 2001), qui aurait pu honorablement faire partie de la petite série que j'ai déjà publiée  sur cette colonne blogueuse.Construction d'un giratoire au Purgatoire, Morbihan, ph.B.Montpied.jpg

     Tourner en rond au purgatoire en attendant qu'on se décide à vous rôtir ou tout au contraire à vous enfoncer dans des océans de délices, cela paraît logique. L'injonction "Prudence" prend ici un sens quelque peu maléfique et surnaturel...

      C'est peut-être qu'on est parfois déjà au paradis lorsqu'on vous annonce le genre de promesse suivante, baignant littéralement dans l'absolu.

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Rue de Jessaint, Paris XVIIIe ardt, ph. Emmanuel Boussuge, 2012

    Quels sont donc ces "produits autres de toute nature", on s'interroge perplexe infiniment. Nos amis orientaux sont d'ailleurs de véritables mines pour les chercheurs d'énigmes et les quêteurs d'illuminations. Pourquoi vendent-ils uniquement dans ce faubourg du Temple des portables qui débloquent, si ce n'est par esprit de dérision, par goût du néant, par haine de la technologie aliénante?

 

Téléphones qui débloquent, rue St-Maur.jpg

Téléphone qui débloque, rue St-Maur.jpg

On suppose que là aussi, oubliant d'apposer l'accent sur le dernier "e", on a créé involontairement une information légèrement paradoxale et hilarante, rue Saint-Maur, Paris Xe ardt, 2012

 

     Nos amis orientaux ne se rendent pas compte... Ou alors on dirait vraiment qu'ils le font exprès, torpillant eux-mêmes leurs commerces par une communication masochiste qui peut nettement les desservir (parfois tout au contraire, comme dans le cas des restaurateurs chinois avec leurs fameux "riz gluants", à la connotation scabreuse par un certain côté, on profite de ces sous-entendus involontaires pour vendre davantage de produits, mais le sait-on bien?). Dans le cas des Orientaux, on se reportera avec jubilation (c'est vraiment celui que je préfère) au témoignage du salon de thé ci-dessous qui ne donne pas vraiment envie d'aller y goûter ses loukoums...

 

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Paris, quelque part dans le Xe ardt, 2012

 

     Mais allons, allons, il n'y a pas qu'eux, le Français classique ne contrôle pas lui non plus tout à fait tous les sous-entendus qu'impliquent certaines de ses publicités.

 

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Un spécialiste du déménagement à la cloche de bois? Clermont-Ferrand, ph. Régis Gayraud, 2013

 

    Et il n'est pas jusqu'à certaines autres enseignes qui ne m'adressent quelqu'amical salut que je serais bien bête de ne pas honorer ici...

Mon pied ce héros, ph Darnish, 2013.jpg

Relevé à Rennes, ph. Darnish, 2013

 

05/04/2013

Sortie nationale de "Recoins" n°5...

    Ah, ça faisait longtemps qu'on l'attendait ce nouveau numéro des amis de l'Auvergne absolue. Art, belles-lettres et rockn'roll doivent être toujours au programme, I presume...? Je "présume" parce que le silence a été bien gardé jusqu'ici sur la statue qui ne paraît pouvoir être dévoilée que le jeudi 11 avril prochain à la Cale Sèche (je ne sais même pas ce que c'est que cette Cale Séche, où je présume, là encore, que cette cale ne reste pas longtemps séche et qu'il faudrait plutôt l'appeler la Rue de la Soif...) à partir de 19h... au 18 de la rue des Panoyaux dans le XXe arrondissement à Paris. Voir l'affiche ci-dessous.

 

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     Qu'y aura-t-il au sommaire? Eh bien, je présume, je présume, qu'il y aura au moins ma contribution, un article développé sur le site d'art brut étourdissant de Madame C. en Normandie, auteur décédé en 2009 qui a laissé un jardin étrange entourant une villa aux terrasses barricadées de voiles de ciment et autres silex et nains de jardin incrustés, tapissé en son for intérieur de murs ressemblant aux parois d'une grotte en dentelle de plâtre et papier mâché (on en a parlé dans Bricoleurs de paradis et dans Eloge des Jardins Anarchiques). Et il y aura sans doute aussi la suite du texte fort énigmatique de Régis Gayraud dont il avait entamé la publication dans le numéro 4. Et à part ça? Mystère et boules de gomme... François Puzenat est toujours l'émérite maquettiste de cette revue discrète et prometteuse. Emmanuel Boussuge et Franck Fiat en sont toujours quelques-uns des animateurs assoiffés. Rendez-vous jeudi donc pour en découvrir davantage...

Art brut à Brest, Abbé Fouré, Pèr Jaïn, Gilles Ehrmann et autres bricoleurs de paradis...

      Une manifestation nouvelle en Bretagne qui n'a, à ma connaissance, si loin en son cœur, que rarement montré de l'art brut va commencer le 5 avril à Brest. Cela s'intitule "L'art brut à l'ouest" – dans un beau pléonasme (assumé avec malice) car l'art brut en soi est naturellement à l'ouest – ensemble d'expositions et de représentations théâtrales prévues pour durer jusqu'au 29 juin.

 

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        L'événement convoque des documents concernant la création en plein air de l'abbé Fouré (les fameux "Rochers et bois sculptés" de cet ermite de Rothéneuf en Ille-et-Vilaine qui les sculpta entre 1894 et 1908, lui étant décédé en 1910), documents à base essentiellement de cartes postales et de reproductions d'articles de presse de l'époque que rassemble depuis quelque temps l'Association des Amis de l'Œuvre de l'abbé Fouré animée par Joëlle Jouneau. On se souviendra que j'ai moi-même documenté récemment dans la revue l'Or aux 13 îles n°1, en janvier 2010 (pour le centenaire de la disparition de l'abbé), l'ancien musée des bois sculptés que l'abbé avait créé dans le bourg dans son ermitage, à bonne distance de la côte où se trouvaient les rochers qu'il taillait à la belle saison, l'ermitage étant réservé pour les travaux d'hiver sur bois. Ces bois sculptés ont disparu par la suite dans les années 30 ou 40 dans des conditions restées mystérieuses. Ont seuls surnagé jusqu'à présent, parmi ces pièces en bois, quelques meubles sculptés, probablement ceux qui avaient quitté l'ermitage en 1910 après la vente aux enchères qui suivit la mort de l'abbé. Les rochers quant à eux se visitent toujours en dépit de leur grand état de dégradation. L'expo Fouré est prévue pour se tenir à la Bibliothèque d'Etude (22, rue Traverse à Brest, tél: 02 98 00 87 60).

 

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Pierre Jaïn, une sculpture dans son jardin encore en place en 1991, ph. Bruno Montpied

 

     Avec Fouré, sera présenté un autre "régional de l'étape", Pierre Jaïn (1904-1967), dit Pèr Jaïn dans la graphie bretonne, à l'initiative de son petit-neveu Benoït Jaïn, qui se consacre à défendre la mémoire de son aïeul depuis plusieurs années déjà (voir notamment les pièces qu'il avait prêtées à l'expo qu'avait organisée en 2001 l'association de Patricia Allio à Dol-de-Bretagne "L'art brut à l'ABRI"). Pierre Jaïn est bien connu des amateurs d'art brut qui se souviendront de la notice qui lui fut consacrée dans le fascicule n°10 de la collection de l'art brut en 1977 par le Dr. Pierre Maunoury (alias Joinul). Il fut sculpteur sur bois, pierre et os, les oeuvres sur ce dernier matériau ayant été peu conservées. La Collection de l'Art Brut à Lausanne en a conservé 9, la famille une douzaine (voir ici même la note que publia sur ce blog Benoît Jaïn en 2009). Il est connu aussi pour un petit orchestre de percussions bricolées qu'il avait installées à l'arrière de son jardin dans sa ferme à Kerlaz (voir ci-contre la photo qui fut publiée dans le fascicule n°10 de laCollection de l'Art Brut). Pierre-Jain-ASa-batterie,-p.jpg

     A côté de cette double exposition Fouré/Jaïn, on verra aussi dans un autre lieu, l'artothèque du musée des Beaux-Arts de Brest (24, rue Traverse, tél: 02 98 00 87 96), un panorama des photographies de Gilles Ehrmann consacrées aux "Inspirés" dans les années 50-60, photos qui donnèrent lieu à la publication du livre Les Inspirés et leurs demeures aux éditions du Temps en 1962. On pouvait y croiser Picassiette, l'abbé Fouré, Gaston Chaissac (qu'Ehrmann était allé voir avec Benjamin Péret en 1958, un an avant la disparition de ce dernier), Frédéric Séron, le meunier Louis Malachier, le pépiniériste Joseph Marmin (art topiaire), Hippolyte Massé, Alphonse Wallart, le Facteur Cheval et les "monstres de Bomarzo" en Italie.

     Gilles Ehrmann avec son livre de 62 se trouve à un bout de la chaîne bibliographique qui unit les auteurs de livres sur les habitants-paysagistes populaires, chaîne dont je suis le dernier maillon pour l'instant avec mon Eloge des Jardins Anarchiques paru en 2011. Comme ce dernier livre, ainsi que le film de Remy Ricordeau Bricoleurs de paradis, traitent de nombreux créateurs de l'ouest de la France, j'ai trouvé normal de les proposer à la présentation au cours d'une rencontre-débat le 20 avril à 14h30 à l'auditorium du musée des Beaux-Arts, histoire de ne pas laisser croire au public breton que l'art brut dans la région appartiendrait au passé. Il y aura donc une nouvelle projection à la suite de laquelle on pourra évoquer plus particulièrement les sites bretons, comme ceux d'Alexis Le Breton dans le Morbihan, de l'abbé Fouré à Rothéneuf, d'André Gourlet à Riec-sur-Belon, d'Yvette et Pierre Darcel dans la région briochine ou encore d'André M. dans la région d'Auray.

 

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Gilles Ehrmann, La maison à la sirène d'Hippolyte Massé, photo extraite des Inspirés et leurs demeures (1962)

 

     Un peu plus tard, du 23 mai au 30 juin, au Centre Atlantique de la Photographie (dans le Quartz), Brest invitera aussi un photographe plus contemporain, Mario Del Curto, pour ses portraits des Clandestins de l'art brut. Il y aura aussi divers petits événements relatifs au manège de Petit-Pierre qui sera présenté sous la forme d'une pièce de théâtre de Suzanne Lebeau au Quartz de Brest. Pour le programme complet et plus précis, on peut le feuilleter en cliquant sur le lien ci-dessous:

 http://issuu.com/bibliobrest/docs/art-brut-2013-brest-pro...   

    

24/03/2013

"Drauliany narod" ("Le peuple de bois") , un film de Victor Asliuk sur Mikalaj, créateur d'un petit monde menacé

     Si vous êtes à Paris cette semaine, je vous invite à aller découvrir un petit documentaire cinématographique inconnu des amateurs d'environnements spontanés (je gage), notamment du grand manitou des rencontres autour des arts singuliers qui se tiennent annuellement à Nice, j'ai nommé Pierre-Jean Wurst... Je dois son signalement à Remy Ricordeau qui l'a répéré dans la programmation du Cinéma du Réel, festival de cinéma documentaire qui se tient actuellement à Paris dans différents lieux pour peu de jours.

    Drauliany narod, (Le peuple de bois, merci Régis), cela s'appelle, et c'est d'un certain Victor Asliuk, cinéaste en Biélorussie. En 28 minutes, ce dernier présente "Mikalaj" (il paraît que c'est le prénom Nicolas), "vieil homme solitaire [qui est] le seul habitant d'un village au sein de la plus grande forêt d'Europe, Belovezhskaya Pushcha. Il fait revivre son monde [probablement le monde rural auquel il reste attaché] à travers des centaines de figurines en bois qu'il confectionne. Les personnages se transforment en une société où l'on naît, travaille, divorce, et où une bombe nucléaire menacerait l'existence même de ce petit peuple" (notice du programme du Cinéma du Réel). Cela passera au cinéma le Nouveau Latina (20, rue du Temple dans le IVe ardt) en deux séances, une à 21h le jeudi 28 mars, et une autre le dimanche 31 mars à 15h. En seconde partie, sera projeté un long-métrage, "Mitote" d'Eugène Polgovsky, à propos de rites populaires sur la place principale de Mexico. "Drauliany narod" est projeté en version originale sous-titrée en français et en anglais.

     Je n'avais jusqu'à très récemment que l'image ci-dessous, récupérée du programme du Cinéma du Réel, à vous soumettre pour que vous vous fassiez une petite idée... Voici à présent, insérée un peu plus bas une petite vidéo déposée sur YouTube, signalée par Mister Gayraud, où l'on voit l'intérieur de la maison de "Mikalaj", et ce dernier en train de chanter, danser avec une de ses créatures (ce qui fait penser à Eugène Santoro, à qui du reste Mikalaj ressemble assez physiquement, et qui chevauche une de ses sculptures en forme de cheval comme s'il était vrai dans un autre film).

 

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Mikalaj Tarassiuk (voir commentaire de Régis Gayraud à la suite de cette note) au milieu de son village miniaturisé ; on distingue -je sais, fort mal...- des personnages en petites statuettes restituant peut-être les saynètes habituelles de la campagne en Biélorussie

"Postaci" d'Inga Sakuta,2010

Enfin, voici le film de Victor Asliuk qui fut projeté au Nouveau Latina le 28 et le 31 mars à Paris (merci à Henk Van Es de son aimable signalement, on se reportera d'ailleurs à son propre blog où il a mis d'autres vidéos en ligne au sujet de Nicolas Tarassiuk):

 

Le peuple de bois, film de Victor Asliuk

23/03/2013

Fictions d'art brut à l'INHA et monstres de Josep Baqué aux enchères

     Pourquoi lier ces deux événements, d'une part la nouvelle rencontre du 30 mars prochain proposée  à l'INHA entre le CrAB et le collectif Marco Decorpéliada, et d'autre part la vente aux enchères de plusieurs lots de dessins de Josep Baqué (1895-1967) chez Ader le jeudi 11 avril?

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Josep Baqué, un de ses dessins à la vente aux enchères, site web d'Ader

 

    Peut-être à cause d'un point commun, la présence en arrière-plan de 'pataphysiciens (ou d'Oulipiens, ce qui est souvent la même chose il me semble), Marcel Benabou dans le collectif decorpéliadesque et la "Fond'Action Boris Vian" qui organisa autrefois une expo Josep Baqué, expo probablement en rapport avec l'article remarquable sur ce même personnage de Guy Ciancia et Françoise (ou Francine) Degand paru dans le n°1 de Viridis Candela, correspondancier du Collège de 'Pataphysique en octobre 2007.

 

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Les incroyables dessins de Josep Baqué, Hommes primitifs, vente aux enchères Ader

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Cet autoportrait est extrait du Correspondancier n°1 dont on voit la couverture plus haut 

     Il y a aussi que la rencontre prochaine du CrAB interroge diverses "fictions" qui ont pu se faire passer pour vies de créateurs bruts, avec les cas de Véreux (que je connais très mal), de Juva et ses silex "orientés" (voir ci-contre une reproduction tirée du fascicule de la collection de l'art brut où un chapitre lui est consacré),inha,crab,fictions d'art brut,supercheries,josep baqué,art brut,art immédiat,jusep torrés campalans,max aub,collège de 'pataphysique de Jules Penfac (canular monté par Michel Ragon qui déplut fortement à Gaston Chaissac qui y vit une cabale caricaturale montée aux dépens du rôle d'artiste bouseux qu'on voulait lui faire endosser) et donc de ce "Marco Decorpéliada" (on ne se lasse jamais d'écrire un tel nom). Inventer des auteurs d'art brut est bien sûr une façon d'éprouver le sens critique des amateurs. Si l'on arrive à asseoir la réputation "brute" d'une oeuvre produite par un auteur caché, en réalité habile et pétri de culture, ayant suivi un enseignement artistique qui plus est, on tourne en dérision un des aspects du concept d'art brut, un art surgi du néant, un art sans formation, sans culture. C'est tentant comme on le voit.

      Les 'pataphysiciens ont commis à l'occasion quelques supercheries à ce qu'il me semble (je ne suis pas un spécialiste, et encore moins de leur "Collège"), notamment lorsqu'ils ont fait croire à l'existence d'un certain Julien Torma, poète maudit des années 30 qui aurait dépassé les surréalistes par l'étendue et la portée de sa révolte. Il semble qu'en réalité ce fût Noël Arnaud qui le créa avec l'appui par la suite d'autres membres du Collège. Mais il est vrai que dans leur quête de nivellement des valeurs (ce qui est mon interprétation, eux parlent à propos de 'Pataphysique "d'une science du particulier, d'une science de l'exception"), grâce à laquelle le public ne verrait plus de différences du plus humble des créateurs populaires au plus notoire et reconnu des artistes (et pourquoi pas? au fond, c'est ma recherche personnelle aussi bien), les 'pataphysiciens n'ont jamais créé, à ma connaissance, de faux créateur d'art brut et qu'ils ont plutôt, tout au contraire, documenté de façon régulière plusieurs d'entre eux (Picassiette, l'abbé Paysant, Frédéric Séron, Camille Renault, plusieurs habitants-paysagistes par la plume de Marc Décimo dans ses Jardins de l'Art Brut paru il y a quelques années, etc.). 

inha,crab,fictions d'art brut,supercheries,josep baqué,art brut,art immédiat,jusep torrés campalans,max aub,collège de 'pataphysique      Le Josep Baqué qu'ils ont donc révélé en 2007, dont des dessins se trouvent désormais dans la Collection de l'Art Brut à Lausanne (celui ci-contre est reproduit dans le Correspondancier de 2007), me demandais-je, ne serait-il pas une de leur supercheries? Car c'est trop beau, il s'agit d'un gardien de la paix qui de 1932 à 1950 en Catalogne espagnole, à Barcelone, donc pendant la guerre civile notamment, aurait dessiné en cachette 1500 dessins montrant des monstres, des animaux improbables, des "hommes primitifs", le tout décliné en série comme dans les planches zoologiques ou botaniques, et avec un style étonnamment moderne (c'est-à-dire vraiment très proche de nous)...

 

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Couverture du livre de Max Aub publié en traduction (adaptation d'Alice et Pierre Gascar) chez Gallimard en 1961

 

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Le petit "catalogue d'exposition" inséré dans le livre d'Aub, avec un portrait imaginaire, un photomontage d'un côtoiement également imaginaire de Campalans avec Picasso (ci-dessous)

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       Sur le moment, j'avoue avoir pensé à une autre supercherie, celle qui fut fomentée par l'écrivain espagnol Max Aub, qui inventa un peintre nommé Campalans, lui aussi catalan, qui aurait connu Picasso à Paris, pour qui il inventa tout, une vie, une œuvre (avec des illustratons reproduites dans son livre), le présentant au début de son ouvrage comme retrouvé par hasard au Mexique... Mais finalement il semble que non, ce ne soit pas une supercherie, il y a un petit-neveu, une collection complète de dessins qui passe bientôt sous le feu des enchères (à un prix considérable, 100 000 à 150 000€..., peut-être parce qu'il s'agit de 1500 dessins et qu'on ne veut pas les séparer?). Alors? Qui se portera acquéreur de cet ensemble à l'abord fort agréable? Car ces monstres sont fort sympathiques et comme je l'ai dit, très modernes et si proches de notre époque.

 

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Josep Baqué, Planche 164, Poulpe à barbe blanche, reproduit dans Le Correspondancier n°1 

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Josep Baqué, monstre, extrait du site de vente aux enchères Ader

 

Pour acquérir le n°1 de Viridis Candela de 2007, il faut s'adresser (apparemment) à collegedepataphysique@laposte.net ou college.pataphysique@free.fr. Je dis apparemment car il semble qu'il y ait à présent, au moins sur la toile deux Collèges de 'Pataphysique...

 

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Josep Baqué, image sur le site d'Ader

 

Il y a une fleur qui pousse à l'ouest, poème de Steinn Steinarr

     Dans une traduction de Régis Boyer, intégré dès aujourd'hui dans mon choix de poésies, voici un poème de Steinn Steinarr, qui m'émeut tout particulièrement. Poète islandais qu'appréciait mon ancienne amie et muse Christine Bruces-Cerisier, je décidai de le lire à voix haute à la cérémonie de son incinération au Père-Lachaise en juillet 2001.

 


podcast

 

Il y a une fleur qui pousse à l'ouest, Steinn Steinarr, in Le Temps et l'Eau, éd. Actes Sud
 

17/03/2013

Rendez-vous à Masgot le samedi 30 mars à 17h...

      Avec le printemps qui va bien finir par arriver, retrouvons-nous au fin fond de la Creuse, dans ce cher hameau de Masgot, patrie du sculpteur François Michaud, pour une projection des Bricoleurs de paradis (le Gazouillis des éléphants), le film de Remy Ricordeau, que j'ai co-écrit avec lui (on commence à le savoir, mais je dis bien sûr ça pour ceusses qui débarqueraient).

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      Nous discuterons après la projection. La manifestation est à l'initiative de deux associations, celle des Amis de la Pierre qui veille plus particulièrement sur le devenir du site sculpté de Masgot, et celle des Maçons de la Creuse, animée entre autres par Roland Nicoux, qui s'intéresse de près à tout ce qui a trait à la vie et à l'œuvre des maçons creusois. Notamment à ce qu'ils peuvent créer à côté de leurs métiers, comme le dernier bulletin, n°15 (de juin 2011, en réalité de janvier 2013), édité par l'association le prouve assez du reste (j'y ai publié deux textes, l'un sur les environnements populaires avant le Facteur Cheval et l'autre, un texte sur les Montégudet, père et fils, inspirés creusois). On pourra acquérir ce numéro à l'occasion de cette projection, de même que seront disponibles quelques exemplaires de mon livre Eloge des Jardins anarchiques que je dédicacerai aux lecteurs intéressés.

15/03/2013

Josep Pujiula y Vila, quand les labyrinthes font l'amour aux forêts

Film vidéo La Chose par Bernard Legros et Joesph Pastor(13min24 ; 2001), récupérée sur le blog Outsider Environments Europe d'Henk Van Hes ; au moment du tournage la route à 4 voies qui devait trraverser le bois n'avait pas encore été construite, l'auteur disait que cela faisait 20 ans qu'il travaillait à son labyrinthe

      Jolie balade dans les arbres, les labyrinthes, les cabanes serpentines, les tunnels de bois, n'est ce pas? Son auteur, habitant du village d'Arguelager, où il a été paraît-il surnommé le "Tarzan d'Arguelager", adore se bricoler des labyrinthes végétaux qui enlacent les arbres, les absorbent, se marient avec eux, entraînant ses visiteurs, adultes ou enfants, dans les tunnels, les orifices, les escalades de son domaine tortueux et inventif qui devint, à un moment un parc animalier puis dans un second temps une sorte de parc d'attractions pour petits et grands.  Josep Pujiula y Vila a besoin de ses tricotages végétaux, les autorités s'en sont pris à lui par deux fois déjà, on n'aime pas cette arnachie-là, on lui a collé une route au milieu des bois (le terrain ne lui appartient pas semble-t-il), on veut qu'il arrête, mais il recommence à chaque fois. il ne peut pas s'en empêcher... On trouvera aussi de l'information sur le site web d'Archi Libre (que j'ai mis dans mes liens en colonne de droite depuis belle lurette), qui signale qu'en 2010 le site était toujours en place, avec des constructions de galets en plus.

 

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Le site créé à un moment par Joseph Pujiula y Vila, photos récupérées du site Archi Libre

 

       Il y a une pétition que Roger Cardinal m'a fait passer pour admonester le Maire du patelin où tout cela se passe (Catalogne espagnole). Signez-la si cela vous concerne, et faites passer aux autres... Car apparemment, le maire remet ça et veut détruire le site. 

C'est ici pour rejoindre le site de la pétition: http://www.avaaz.org/en/petition/Save_one_of_the_worlds_g...

12/03/2013

L'art d'accommoder le Christ (accessoirement le pape?) par Murielle Belin

      Je n'étais pas trop convaincu par les oeuvres de Murielle Belin jusqu'à présent, même si certaines de ses références me plaisaient (Kubin par exemple). Cette artiste fait des œuvres à la fois en deux et trois dimensions, plongeant certains de ses personnages dans des bocaux de formol, affublant des oiseaux empaillés de têtes humaines (voir son reliquaire "Ciel tombal"), peignant des sous-bois où se trament dans les étangs d'étranges métamorphoses (voir sur son site sa série de peintures intitulées les Baigneuses de 2006 à 2007).

 

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Murielle Belin Le chauve sourire d'Alfred Kubin

      On peut voir actuellement certains de ses travaux (des reliquaires en papier roulé...) dans la galerie du rez-de-chaussée de la Halle Saint-Pierre. Et de temps à autre, elle est exposée à la galerie de Béatrice Soulié (qui a deux lieux à présent, à Paris et à Marseille). Mais aussi on a pu la voir dans des expos collectives avec le Daily-Bûl par exemple, ou en illustratrice des défunts Cahiers de l'IIREFL (consacrés aux foux littéraires).

 

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Murielle Belin, Ciel tombal

 

     Une série de ses dessins m'a récemment plus particulièrement retenu, déclinant les "36 façons" dont on aurait pu torturer et achever Jésus. C'est très drôle, je trouve, cette combinatoire très oupeinpienne (d'Oupeinpo, Ouvroir de Peinture Potentielle) qui consiste à imaginer tous les supplices qui auraient pu avoir lieu sur le Golgotha, qui auraient pu nous condamner à une iconographie christique ultérieure tout autre... "Si le messie de la religion catholique avait été empalé, écorché, bouilli, enterré vivant, mis aux oubliettes,… avec quelles icones aurions-nous vécu ? A la manière amusante d’un exercice de style, voici un inventaire des possibles".  On en jugera  ici avec seulement cinq exemples ci-dessous affichés (la série entière est disponible sur le site web de l'artiste):

 

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Jésus bouilli...     

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Jésus raccourci...

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Jésus sur la chaise électrique...

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Ecartelé...

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Transperçé par un éléphant (le plus improbable de tous?)...

    Je trouve à cette série un petit côté dessins Panique, du genre Olivier O.Olivier (artiste récemment disparu), ou Topor ou Christian Zeimert, dans un désir de figuration décalée.

10/03/2013

Le visage à l'intérieur, un parallèle Gilles Manero/Steinn Steinarr

 

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Gilles Manero, sans titre, mine de plomb, crayons et collage de tarlatane sur papier photographique ancien, env. 39x29 cm, 2010, coll. Bruno Montpied

 

Dans ta conscience

Il y a un visage qui regarde

Steinn Steinarr

Dans ta conscience il y a un visage qui regarde,

Visage que nul ne voit et qui ne doit trouver place nulle part.

Son regard est le rêve, sombre et brûlant,

Qui se cache dans l'ombre de tes sentiments.

Il ne se trompe pas de direction, il prend bien garde à soi,

Il s'enterre dans l'ombre profonde et intime.

Il va incognito, ce visage,

Par les recoins les plus taciturnes de ton âme.

Rien n'est aussi profondément celé sur terre,

Tu séjournes longtemps à distance, faible et diminué.

Ta requête est faite pour rien,

Ce visage n'existe plus, qui fut toi-même.

(extrait de Le temps et l'eau, trad. Régis Boyer, éd.Actes Sud, 1984)

03/03/2013

Tirer sur l'art

musée de la chasse et de la nature,exposition cibles,annie le brun,claude d'anthenaise,gilbert titeux,tir sur cibles peintes,art populaire insolite,cibles foraines     Il faut se presser si vous n'avez pas encore eu l'occasion de visiter le musée de la Chasse et de la Nature dans le IIIe ardt parisien, ses collections permanentes organisées en envoûtant cabinet de curiosités (licorne, plafonds tapissés de plumes et d'animaux empaillés, sa salle des trophées où surgissent des murs des dizaines et des dizaines de museaux d'animaux)musée de la chasse et de la nature,exposition cibles,annie le brun,claude d'anthenaise,gilbert titeux,tir sur cibles peintes,art populaire insolite,cibles foraines et surtout son exposition actuelle, intitulée "Cibles", qui se terminera le 31 mars (le musée bien entendu sera toujours disponible aux visiteurs après, mais il sera organisé sans les cibles qui sont actuellement disséminées dans les diverses salles, mêlées aux objets et aux animaux naturalisés, des lions, des ours, un sanglier qui se cachent au détour des murs...).

 

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Lions regardant une vidéo de l'exposition "Cibles", ph. Bruno Montpied, 2013 ; (ci-dessus plafond aux chouettes, et bison de la salle des trophées, au Musée de la Chasse et de la  Nature)

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Détail d'une cible peinte, allégorie du soleil, 1660, huile sur bois, diam 112 cm, Tittmoning, Heimathaus Rupertiwinkel, expo "Cibles" au Musée de la Chasse et de la Nature

 

      Elle a trait (c'est le cas de le dire) aux sociétés de tir qui commandaient, à l'occasion de joutes et de fêtes, des cibles peintes à des artistes locaux, restés le plus souvent anonymes, dans différents pays d'Europe Centrale, région du monde d'où semble issue cette tradition qui remonte au moins à la fin du Moyen-Âge. C'était à la fois "des souvenirs et des trophées", explique Gilbert Titeux, dans un texte du catalogue (qui constitue une rare, et bien tardive documentation sur un sujet pourtant passionnant qui soit disponible en français). Il précise également: "Une fois trouées des balles des tireurs (...) elles étaient ensuite soit offertes en trophée aux gagnants, soit conservées en souvenir par les confréries organisatrices des concours concernés". Ceci explique peut-être que les cibles exposées au musée de la Chasse et de la Nature ne paraissent pas si abîmées que cela en définitive (certaines cibles étaient rebouchées pour pouvoir servir plus longtemps).

 

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Sérénade, signée I.I. , 61x76 cm,  1839, cible peinte à l'huile sur bois, Banska Stiavnica, République tchéque (image empruntée au livre d'Anne Braun, Historische Zielscheiben, de 1981 ; il s'agit ici d'une cible peut-être plus franchement naïve que celles qu'on voit dans l'expo du Musée de la Chasse et de la Nature, qui manifestent un savoir-faire réaliste plus élaboré et plus baroque ; les cibles tchèques de la collection de Banska Stiavnica paraissent du reste nettement plus naïves que dans d'autres collections)

 

      Claude d'Anthenaise, le commissaire de l'exposition, de son côté, met le doigt sur une dimension anthropologique de ces tirs sur œuvres-cibles : "On ne tire pas sur la mort ou le diable mais bien sur ce que l'on désire. En effet, il s'agit moins d'éliminer que de saisir, d'anéantir que de posséder. Une des grandes fonctions de l'art depuis les origines consiste en "la capture par l'image". De ce point de vue, la cible peinte pourrait en être le développement ultime dans la mesure où, à travers sa destruction, le tireur vise l'appropriation de la réalité que l'image représente". C'est la même problématique qui est développée par Annie Le Brun qui signe le texte initial du catalogue.

 

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Autre exemple de cible dont la naïveté touche ici presque à l'art dit brut ; celle-ci, évoquant un mariage, empruntée également au livre d'Anne Braun cité ci-dessus (et non exposée au Musée de la Chasse et de la Nature), date de 1804, faisant 112x112 cm, et provient du Schützenmuseum de Berne

 

     Une remarque cependant. Les auteurs soulignent l'appartenance géographique des cibles peintes comme étant prépondérante dans les pays germaniques et d'Europe Centrale, ne citant qu'un seul lieu en France qui conserve des cibles peintes (un musée de l'archerie dans le Valois), par ailleurs plutôt pauvres picturalement parlant. Il existe pourtant en France au moins une autre collection, celle du Cercle de tir de Chemazé en Mayenne, rassemblant des cibles assez naïves s'échelonnant de 1842 à 1972, que j'ai eu l'occasion de signaler déjà ici lorsque j'ai évoqué l'année dernière la parution du n° 119 de la revue 303, spécial art brut et art outsider, où Eva Prouteau signait un article à son sujet (après celui de Pascale Mitonneau paru dans un numéro plus ancien de la même revue, le n°78, en 2003). Il est vrai que Pascale Mitonneau soulignait dans son article la rareté d'une telle collection, qu'une conservatice des ATP le lui avait confirmée paraît-il. Cela me surprend quelque peu cependant, car on voit ici ou là en brocante - pas souvent, c'est vrai - ou dans des collections privées réapparaître des cibles. Elles relèvent parfois plutôt de l'art forain, étant peut-être des cibles de stands de tir. Ou comme celle que j'insère ici (signalée récemment par le brocanteur Philippe Lalane), elles proviennent peut-être de bistrots, où elles furent bricolées par besoin de divertissement (jeu de fléchettes), d'une manière qui fait beaucoup penser aux fabrications de fanny pour les jeux de boules. Il reste qu'il paraît étonnant qu'il ne se soit pas trouvé en France d'autres cercles de tireurs qui aient généré des cibles peintes. Pourquoi des cibles n'auraient-elles été créées qu'au fond de la Mayenne?

 

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Cible pour fléchettes, ph. Philippe Lalane (le coeur en bois blanc est évidemment une restauration)

 

Poèmes choisis (2)

    Pour alimenter le plus rapidement possible ma nouvelle catégorie de poèmes choisis, il faut que je procède à marche forcée. Voici un deuxième poème de Henri de Régnier cette fois, Le voeu. Toujours par ce même lecteur à la voix rauque, comme enrhumée, à moins que ce ne soit lendemain de cuite.

 

podcast

 

Le Vœu de Henri de Régnier

28/02/2013

Poèmes choisis du sciapode

    Le sciapode, dans les dîners en ville (comme on dit), fait souvent profession de ne pas aimer la poésie en vers. C'est bien sûr qu'il n'aime pas une certaine sorte de poésie contemporaine, abstruse, cérébrale, hermétique, y compris celle qui se complaît dans l'image détachée de toute référence au vécu, l'image pour l'image comme il y a de l'art pour l'art, exercice, gymnastique rhétorique tendant à l'abstraction (la soupe déshydratée dont parlait Benjamin Péret), toutes choses qui lui paraissent bien vaines...

    Alors, pourquoi ne pas tenter de dresser a contrario la citadelle des poèmes qu'il préfère, et qu'il considère comme le contraire de la poésie décriée ci-dessus? Et donc à partir d'aujourd'hui de commencer à élaborer un florilège poétique en vers de pièces choisies par le sciapode? Une nouvelle "catégorie" est née, "les poèmes choisis du sciapode", qui s'alimentera peu à peu. La maison, ne reculant devant rien, s'est payé le luxe d'embaucher un lecteur professionnel, à la voix bien rauque. Ecoutez ci-dessous :


podcast

L'Horloge de Charles Baudelaire 

24/02/2013

Art brut pour yeux fertiles

     A peine l'expo Guy Harloff décrochée, voici que la Galerie Les Yeux Fertiles, rue de Seine à Paris, enchaîne avec une sélection de créateurs de l'art brut auxquels elle a joint des gens plus artistes, rangés dans ce que l'on appelle chez les Anglo-saxons des Outsiders, et en Suisse de la "Neuve Invention". A propos de cette dernière, on peut toujours se demander d'ailleurs, depuis la période où Lucienne Peiry était conservatrice de la Collection de l'Art Brut, si le terme, et la collection qu'il désignait, sont restés en usage à Lausanne, tant on n'en a plus eu de nouvelles depuis des lustres (au point que j'ai fini par me demander si pour les responsables de la Collection les cas limitrophes de l'art brut n'avaient pas été purement assimilés à la collection princeps).

 

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Carton de l'expo, avec un sublime dessin de Friedrich Schöder-Sonnenstern (c'est toujours séduisant, Schröder-Sonnenstern)

 

    Viendront donc faire un tour sur les cimaises de cette galerie aux sélections semble-t-il toujours exigeantes les créateurs bruts suivants (honneur aux bruts...): ACM (on dirait des ruines de villes irradiées),galerie les yeux fertiles, art brut, art outsider, neuve invention, schröder-sonnenstern, Thérèse Bonnelalbay (une sorte de Michaux brut), Janko Domsic (un Léonard de Vinci exalté), Johan Fischer (un de Gugging il me semble), Eugen Gabritschevsky (un Max Ernst du cellulaire), Madge Gill ( qui faisait de la dentelle avec les esprits),galerie les yeux fertiles, art brut, art outsider, neuve invention, schröder-sonnenstern, Hassan (l'homme aux villas en terrasse, vu récemment au Musée Singer-Polignac), Jakic (à ne pas confondre avec Domsic), Lobanov (l'homme aux pétoires prodigieuses), Dwight Mackintosh (surréaliste dans le gribouillis), Edmund Monsiel (tatoueur sur papier), Raphaël Lonné (ça faisait longtemps qu'on ne  l'avait pas revu), André Robillard (lui par contre...), Schröder-Sonnenstern (donc), Carlo Zinelli (le montreur d'ombres), Scottie-Wilson (clochard céleste), Tschirtner (imprononçable), etc...

(Ci-dessus une oeuvre d'ACM de la collection d'art brut du LaM de Villeneuve d'Ascq, ph. Bruno Montpied en 2011 ; des dessins de Madge Gill présentés dans l'exposition de la collection Eternod-Mermod au LaM en 2011, ph. BM

 

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Cela commence donc jeudi 28 février prochain...

 

     Du côté de la Neuve (oui?) Invention (c'est sûr?), on retrouvera Marilena Pelosi, Le Carré-Galimard (oui, il me semble qu'il n'y a qu'un L), Nedjar, Hipkiss, Chichorro, Chaissac (l'ancêtre de tous les singuliers), etc.

      Une stimulante petite expo en prévision, non? 

23/02/2013

Un lien vers un dessinateur déchaîné

    Un de mes lecteurs m'a donné récemment en privé un lien vers le site d'une librairie intitulée L'amour qui bouquine, qui propose déjà tout un programme rien que dans son titre. Ce site a mis récemment en ligne la découverte récente d'une cinquantaine de dessins qu'elle range à la fois dans ce que l'on appelle les Curiosa, d'un euphémisme chargé de jeter un voile pudique sur des images lestes, mais aussi dans l'art brut. Parce que le dessinateur resté anonyme de ces croquis hauts en couleur d'obsédé conséquent paraît effectivement être un amateur et un autodidacte, ayant peut-être trop regardé divers illustrateurs, la librairie cite à raison Dubout par exemple (qui, s'il avait été l'auteur des dessins en question aurait eu un nom tout à fait prédestinant), ce qui devrait tout de même nous inciter à tempérer cette qualification d'art "brut". 

      Cela daterait peut-être des années 50. Comme je veux sur ce blog rester ouvert au plus large public (des enfants passent parfois par ici, et l'on ne manquerait pas de me morigéner d'importance si je leur soumettais ce genre de vues dites osées), je laisse au lecteur le soin de franchir les différentes portes qui se cachent sous cet amusant lien. (Merci à mon lecteur dont je tais le nom – à moins que ce dernier ne veuille le dévoiler, il me dira...).

PS: On regardera avec intérêt, en outre, les autres notes mises en ligne par l'auteur de ce site et en particulier celle du 27 novembre 2012 relative à 13 pointes sèches érotiques d'un auteur resté anonyme nous dit-on, dont le style s'apparente à celui de l'Armand Goupil dont j'ai déjà plusieurs fois parlé sur ce blog. Si cela était avéré, on tiendrait là une œuvre érotique de la plus belle audace de la part de notre peintre. Notre libraire date ces gravures des années 30-40. Mais rappelons que Goupil créa surtout dans les années 50-60. Les gravures reproduites ne comportent aucune signature, aucun monogramme, alors que Goupil aimait bien laisser ces derniers au bas de ses dessins et peintures au contraire. Mais l'audace du sujet expliquerait facilement qu'il ait préféré laisser ces œuvres chaudes sans en endosser clairement la paternité. 

 

18/02/2013

Martine dans tous ses états

Heureusement il y a Findus.jpg

D'une certaine mode actuelle du détournement...

(Voir http://www.nintendo-town.fr/martine/create.php)

17/02/2013

Hemijki, Hemijhù, Hernijhui, ou quoi encore?

Hemijki-ou-Hemijkù-ou...jpg

Peintre non identifié (Hemijhui?), huile sur toile, 51x33,5 cm, 1961

    Voici une œuvre trouvée aux Puces, que j'ai acquise ne pouvant quasiment faire autrement car elle me faisait de l'œil avec insistance, ce qui est le critère dominant dans mes choix d'acquisition. La signature est difficile à lire, au début il y a un H puis on peut raisonnablement croire à EMIJ mais à la fin, c'est plus dur...KI? HÙ? J'ai cherché sur internet à différentes orthographes, et n'ai rien trouvé qui puisse indiquer que ce peintre ait laissé d'autres traces au moins sur la Toile.

 

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Signature agrandie comme demandé par RG dans les commentaires à cette note...

     L'écriture de cette peinture est assez composite. On se croirait en présence d'un artiste moderne des années 60 lorgnant du côté d'une certaine abstraction, ou peut-être plus exactement de l'art dit informel. En même temps, par son aspect relâché, traîne-savates, aux limites d'une concentration totalement évanouie, hésitant entre basculement dans l'hébétude ou dessin automatique, cette toile se rapprocherait d'une certaine forme d'art brut. A-t-on affaire à un professionnel ou à un amateur? Ou bien à un peintre d'un pays peu fourni en adeptes d'une modernité telle que celle en usage dans les pays occidentaux, et qui aurait tenté malgré tout de suivre l'exemple de ses collègues européens ou américains...? Le patronyme semble indiquer une origine aux frontières de l'Europe de l'Ouest, ayant des consonnances proches du serbo-croate (Hemijski est le nom d'une université à Belgrade, à ce que j'ai vu sur la Toile). Quelqu'un en saurait-il plus?

16/02/2013

La montagne de la tête

    Ce soir, j'ai envie de m'épancher, de me répandre à propos d'un de mes dessins produit durant ces deux derniers jours. Vite arrivé... Et pourtant, pour une fois, j'en suis fort satisfait. C'est un bébé qui n'a pas l'air comme les autres. Dans le flot (façon de parler!) de ma production, il y a en effet pas mal de clones, de répétitions, de visages et de compositions déjà-vus. Des leitmotivs, des séries, des obsessions, des façons de composer ou de tracer qui reviennent régulièrement, parfois après de longues éclipses, mais tout de même persévérantes, refaisant surface fidèlement de loin en loin. Et puis, il y a les cas à part, les enfants uniques, les solitaires, et c'est généralement à ceux-ci que je m'attache, que je n'aime pas vendre et laisser partir. Le dernier venu est du lot.

 

 

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Bruno Montpied, La Montagne de la tête, 29,7x21 cm, 2013

 

     De taches d'encre semées au début, distribuées aléatoirement sur la feuille de papier, avec des frottages de mine de plomb, de crayons noirs dont les traits, les gribouillis furent étalés au doigt - technique souvent utilisée ces temps derniers - peu à peu, en rajoutant ici et là des traits apposés comme souvent, au jugé, a fini par émerger tout d'un coup une tête, une énorme tête, aux dimensions d'un paysage. Fichée, tel un chef coupé sur une pique de Sans-Culotte, mais cette fois au sommet d'un pic, d'une montagne à l'horizon. Cette dernière se reconnaît du reste grâce à ses verts pâturages où paissent de drôles de ruminants, où se pavane un volatile faisant l'important. Des têtes monumentales de ce calibre, je n'en ose pas si souvent que cela. Je l'ai laissée venir par hasard, elle s'est imposée à mon regard, plusieurs heures après avoir été dessinée, ou du moins après que les traits, les frottis et les taches qui la constituent eurent été posés, chargés de représenter autre chose, en l'occurrence des surfaces abstraites, et des corps en équilibre improbable (le personnage ocre) ou comme virevoltant...

     Tout à coup, je vis une tête aux yeux complètement assymétriques, une mèche lui tombant tout du long de sa joue droite, manquant de couvrir la bouche ocre (qui est simultanément le corps du personnage en équilibre), vaguement boudeuse, mais aussi à l'expression résolue, têtue. Ce personnage ocre tend le bras gauche vers l'œil droit de la tête géante comme cherchant à recueillir ce globe oculaire prêt  à se détacher de son orbite telle une larme en formation. De son bras droit, il tient en équilibre sur une barre, où reposent également ses deux jambes (une "cinquième jambe" qui a tout l'air d'une espèce de phallus considérable se fait sentir ou embrasser par les lèvres lippues d'une ombre de bestiole, hésitant entre ombre et nuage...). La barre paraît tenue assez fermement dans un manchon, ou un immense gant de boxe d'un ocre presque brun, placé sous le menton d'un personnage barbichu assis sur un curieux fauteuil rouge (un fauteuil dont le dossier rampe en épousant le bas du dos du barbichu). Ce dernier porte des sortes de minuscules nattes rigidifiées, hérissées et terminées par des perles. De la tête gigantesque poussent des excroissances ténébreuses qui ressemblent à des cornes assez semblables  à celles d'un bouc. Est-ce le Diable ?

     Souvenir, réminiscence d'une randonnée ancienne en montagne dans le Mercantour avec Christine, lorsque au bout de trois ou quatre jours d'ascension continue depuis la mer Méditerranée, voyant à l'horizon le col vers lequel nos pas nous portaient et nous emportaient, nous rêvions sur le nom de cette barre rocheuse plus haute que tous les reliefs avoisinants, le Pas du Diable, immense chaos rocheux que nous escaladâmes dans un silence sauvage, des filaments nuageux glissant par-dessus nous qui montions, épuisés et oppressés? Au sommet, après un petit défilé, nous trouvâmes un petit lac comme un miroir de bijoutier, et en dessous une étroite vallée très minérale qui par un sentier artificiellement tapissé d'un semis de gravier écru et bordé de fleurs fragiles et minuscules nous permit de descendre, en extase, vers la Vallée des Merveilles où d'autres randonneurs nous attendaient, ayant transformé par l'affluence de leurs tentes de camping le site en un nouveau Woodstock transféré par magie (si l'on peut dire...) dans les Alpes.   

12/02/2013

Sur le catalogue de "La Création Franche s'emballe! (Itinérance d'une collection insoumise)"

     Avec la première exposition prévue pour être itinérante, a priori dans la région Aquitaine aux dernières nouvelles, d'une partie de la Collection du Musée de la Création Franche à Bègles (elle se termine  le 14 février, soit dans deux jours), réalisée en collaboration avec des étudiants en master professionnel Régie des Œuvres et Médiation de l'Architecture et du Patrimoine de l'université talençaise Michel de Montaigne, est paru un catalogue où l'on retrouve une discussion fort instructive à propos du projet qui fut celui de Gérard Sendrey, le principal initiateur du musée.

 

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Portrait de Gérard Sendrey (assez semblable à un clergyman ce jour-là...), sur le seuil du musée de la Création Franche à Bègles, 1997, ph. Bruno Montpied

 

    Je ne ferai pas mystère, moi qui ai toujours été franc avec lui (au point de commencer dans mes tout premiers rapports épistolaires en 1988 – et non pas en 1990, comme il le dit dans la discussion ci-dessus évoquée ; c'est lui qui m'écrivis le premier, le 24 septembre 1988, alors qu'il venait de créer sa galerie Imago dans une petite maison à côté de la mairie de Bègles, il cherchait alors des adresses, des créateurs, ce que je n'hésitai pas à lui fournir sur le champ – au point de commencer, donc, par me disputer avec lui, à deux doigts de nous brouiller même), je ne ferai pas mystère que j'ai toujours trouvé la prose de Gérard extrêmement touffue, labyrinthique et pour tout dire de façon plus abrupte (l'art abrupt, ça existe aussi!), assez lourde en somme. Je ne pense pas que, parmi tous les médiums qui se soient proposés à lui, ce soit dans l'écriture que Gérard Sendrey se sente le plus à l'aise. Par contre, dès que  l'on publie des propos de Gérard, des discussions, des interviews (non trop réécrites par lui), des paroles, on trouve un Sendrey parlant plus clair et franc, ce qui donne une immédiate assise à ses propos. C'est ce qui se passe dans le débat avec divers intervenants qui est publié dans ce catalogue. On  tient là (enfin, serais-je tenté de dire) une véritable profession de foi, faisant office de manifeste et de définition de la création franche, qui pourra servir dans le futur.

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Gérard Sendrey, portrait de Marie, 50x32 cm, 2003, coll. BM

       A bien lire et écouter Sendrey, on comprend que ce terme de Création Franche recouvre un ensemble de créations très variées que l'on ne peut identifier avec l'Art Brut, comme certains dans ce débat tentent de l'instiller (je pense notamment au "maître de conférence" spécialisé en histoire de l'art contemporain à l'université Michel de Montaigne, Richard Leeman, qui pense que l'on devrait utiliser les termes d'Art Brut au sens galvaudé par les journalistes et les ignorants du corpus, de manière à l'appliquer tout uniment à l'ensemble de la collection de la Création Franche : bel exemple de manque de rigueur – on a pourtant affaire à un enseignant). Il insiste aussi sur la distinction nécessaire à faire entre artistes et créateurs, ou auteurs "francs" (cet adjectif signifiant avant tout "libres", "indépendants" pour lui), ce que ses auditeurs ne paraissent pas toujours intégrer du reste... Ce qui n'a rien d'étonnant, étant donné la mode actuelle qui cherche à amalgamer l'art brut, les créations marginales, produits par des personnes extérieures au monde des Beaux-Arts, avec le reste de l'art contemporain produit par des professionnels. Cela Sendrey ne l'évoque pas, se plaçant plutôt... sur un terrain anthropologique disons.

     On sent bien à travers ses réponses aux diverses questions qui lui sont posées que Gérard Sendrey a été préoccupé avant tout de rassembler à côté de sa propre recherche (à la manière d'un Dubuffet dont il est visiblement imprégné mais qui collectionnait des créateurs nettement moins communicatifs), toute une série de créateurs possédés par leur inspiration, créant sans souci impérieux de reconnaissance, des Naïfs, des Surréalistes contemporains, des Bruts, des handicapés mentaux, des personnes écorchées, des auteurs issus des couches populaires, etc. Son projet se rapprocherait davantage d'une vision d'un art outsider que d'un art brut.  Le curseur ne se déplaçant jamais du côté du conceptuel, des vidéastes, des amateurs de performance, de "happenings", etc. parce qu'il reste profondément attaché à la création qui est avant tout plastique. La notion de partage entre l'auteur et le public est également réaffirmée par Sendrey, ce point à lui seul distinguant la création franche de l'art brut, production de personnes nettement plus introverties.

 

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Bruno Montpied, Par la porte des feuilles, 38x46cm (8F), technique mixte sur carton entoilé, 2004, collection du Musée de la Création Franche 

 

     Pour conclure cette note qui se doit de rester circonscrite, je souhaite apporter une précision quant à un faux souvenir qu'il émet page 23 du catalogue (en face d'une reproduction bien sombre d'un tableau à moi faisant partie du musée, voir ci-dessous). Gérard évoque la fondation de la revue Création Franche en 1990 et dit que c'est moi, Joe Ryczko et Jean-Louis Lanoux qui sommes venus le voir pour l'inciter à créer une revue. Il commet ici une erreur à mon avis. Les trois qui l'incitèrent furent plutôt Jean-François Maurice, Ryczko et Lanoux. Je parlais certes, parallèlement, avec lui dans nos courriers depuis nos premiers contacts en 1988 de l'idée de faire une revue sur les arts spontanés (Raw Vision venait d'apparaître dans le monde anglo-saxon, son premier numéro sortit au printemps 89, tandis que je rêvais depuis plusieurs années d'une revue sur les mêmes sujets qui aurait paru en France). Mais les trois que j'ai cités plus haut vinrent le voir sans m'en parler, à part Ryczko (bien que j'aie aidé à mettre toutes ces personnes en contact les unes avec les autres ; contrairement à ce qu'affirme  Sendrey, nous nous connaissions bien tous...). L'un d'eux, comme je m'en suis déjà ouvert dans une note précédente, m'écartait comme un individu difficile à gérer... La revue ne fut pas donc initiée par moi, je refusais de participer aux deux premiers numéros tant que l'individu qui m'évinçait comme membre du comité de rédaction serait directeur de la publication. Ce n'est que lorsque cet individu fut écarté du poste, que j'acceptai de participer à la revue. L'avenir prouva que ma supposée ingérabilité était largement imaginaire. On avait utilisé l'argument, à mon humble avis, par un réflexe de banale et mesquine jalousie.   

05/02/2013

Le gagnant du quizz des vedettes de Guy Brunet

    Il était temps de proclamer les résultats de notre jeu de début d'année. Cela commence à ruer dans les brancards du côté des joueurs. Alors voici tout d'abord les noms des stars qu'il fallait reconnaître: 1. Jane Birkin, 2. Danielle Darrieux, 3. Romy Schneider, 4. Catherine Deneuve, 5. Micheline Presle, 6. Paul Meurisse, 7. John Wayne, 8. Burt Lancaster.

 

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Chatherine  Deneuve et ses collègues chez Guy Brunet, ph Bruno Montpied, 2012

     J-C. et C.B. étaient bien partis pour les quatre premiers mais ont fléchi sur les trois suivants avant de se reprendre sur le dernier, mais cela n'a pas suffi. Luc M. de Rézé a participé ensuite, tout au plus en effet... Emmanuel Boussuge comme J-C. et C.B. était bien parti et s'est effondré ensuite, malgré Presle et Lancaster reconnus (ce n'est pas facile pour la délicieuse Micheline Presle qu'on a tendance à oublier, à tort), il a accumulé trois erreurs rédhibitoires. Darnish a fait trois fautes (et demi), voyant une Brigitte Bardot à la place d'une Jane Birkin (mais il y eut interchangeabilité entre les deux à un moment dans la vraie vie, alors il n'était pas loin). Il y a eu aussi un autre joueur (Cosmo?), mais son commentaire a été malencontreusement effacé par ma maladresse (contacté, il n'a pas renvoyé ses réponses, qui de toute manière étaient entachées de trop d'erreurs).

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Elizabeth Taylor et ses copines, chez Guy Brunet, ph BM, 2012 

      Non, celui qui a fait le moins de fautes, seulement une, Simone Valère (qui se souvient encore d'elle pourtant? Seulement Spiritobono!) au lieu de Romy Schneider, c'est le sus-nommé Spiritobono à qui je dois maintenant annoncer en privé son succès, si d'aventure il ne croisait pas sur ce blog. Oui, il est bon physionomiste, et plus que cela, il sait lire du Guy Brunet dans le texte! Il gagne donc un catalogue de la collection de l'Art Brut (à signaler que les seconds, par ordre d'arrivée, sont J-C. et C.B., suivis en troisième position par Emmanuel Boussuge, ceci dit au cas où le gagnant ne se manifesterait pas pour recevoir son lot...). 

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Acteurs et producteurs anglais et américains, Woody Allen, Hitchcock, Von Stroheim... Chez Guy Brunet, ph BM, 2012

04/02/2013

Une Cecilia Gimenez complètement "destroy"

    Bon, voici, en écho aux derniers commentaires sur Cecilia Gimenez, la "profanatrice" involontaire de Borja en Espagne, le portrait que le peintre Eric Lefeuvre lui a consacré (visible sur son site). Je la trouve ainsi complètement destroy la Cecilia. Un portrait en vieille dingue prête à exploser. Pas sûr que cela lui plairait...

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Eric Lefeuvre, Retrato de Cecilia Gimenez, 2013

Le Fol de Chaillot, Gérald Stehr étend son linge au Palais, Thibaud Thiercelin jouant les bonus

   Gérald Stehr a une imagination picturalo-littéraire étourdissante. J'en reste à chaque fois plus baba. Voici qu'il va exposer ses "Homo Rorschachiens", des peintures bleues sur toile tout en hauteur (voir illustrations ci-dessous) comme on étend son linge, dit-il plaisamment, au Palais de Chaillot, invité par le chorégraphe Alban Richard. Le vernissage de l'expo aura lieu le 13 février prochain, à partir de 21h30, après la première de Pléiades, la chorégraphie de ce dernier montée sur une partition pour percussions de Iannis Xenakis.

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Gérald Stehr, une des planches d'Homo Rorschachiens

        Il a intitulé cette présentation " Le septième voyage de Gérald", prévue pour durer à peine dix jours, du 13 au 23 seulement aux heures ouvrables de Chaillot (mais curieusement sur le site de ce dernier, l'expo est intitulée "Les variations de la figure"). Il y aura une section de 72 Homo Rorschachiens (le groupe entier en compte 144). Pourquoi "Rorschachiens"? Parce que Gérald Stehr depuis des années travaille les taches et les empreintes, avec pliage à la manière des tests de Rorschach (du nom du psychiatre qui les inventa en 1921 pour soigner ses malades, en s'inspirant de jeux graphiques qui avaient déjà au XIXe siècle une longue tradition derrière eux).Le véritable test de Rorschach001.jpg Il produit par des aller-retours continuels entre expérimentations et interprétations toute une smala de personnages plus incroyables les uns que les autres, extrêmement impressionnants je dois dire. Il devrait logiquement frapper l'imagination de beaucoup, si les petits cochons ne le mangent pas d'ici là (pourquoi ne lui a-t-on pas proposé d'exposer davantage depuis le temps? C'est un des grands mystères de ce temps, la cécité de nos médiateurs professionnels). 

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Gérlad Stehr

     Avec Gérald Stehr, exposera également Thibaud Thiercelin, un de ses complices, avec 4 modestes toiles (de 2 x 2 m tout de même). Voir ci-dessous. Avis donc aux amateurs, voici encore une expo à ne pas manquer.

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Thibaud Thiercelin, Mes Îles, 2 x 2 m

02/02/2013

Guy Harloff, le Hollandais volant

     C'est le retour d'un peintre en ce moment, Guy Harloff (1933-1991), à la Galerie Les Yeux Fertiles (27, rue de Seine, Paris VIe ardt ; expo du 19 janvier au 28 février avec des peintures de Yolande Fièvre, des oeuvres de très belle qualité de Henri Goetz, Jiri Kolar, Christian d'Orgeix -on aimerait en voir plus de ce dernier- Mimi Parent, Jean Terrossian), sorte de peintre fantôme de la modernité passablement oublié, et peut-être inaperçu déjà de son temps, malgré des expositions marquantes en 1961 à la Galerie La Cour d'Ingres, ou chez Arturo Schwartz à Milan, ou encore à Venise. Peintre globe-trotter d'origine hollandaise, qui voyagea passablement en Italie, en Turquie, en Iran, dans le monde arabe, aux USA, et ailleurs en Europe, c'est peut-être pour cette raison qu'il n'eut pas le temps de marquer les mémoires dans les lieux traversés (je pense aussi à une autre artiste, apparentée au surréalisme, Alice Rahon-Paalen, qui voyagea beaucoup, exposa partout, fut une peintre inventive vite oubliée ; un DVD de la collection Phares d'Aube Elléouët a su réparer récemment cet oubli).

 

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Guy Harloff, Heart, 1960, technique mixte sur papier, 41x34 cm

      Sa peinture est un agglomérat de symboles venus de diverses cultures, entre autres orientales. Voici ce qu'écrivait à ce sujet Nanos Valaoritis en 1963 dans le n°28 de la revue Bizarre, numéro entièrement consacré à Harloff (j'avais ça chez moi sans l'avoir jamais lu, tout arrive): "Toujours entourés d'objets et enrichis d'inscriptions et exclamations diverses en toutes langues et écritures, apparaissent des soleils resplendissants, des roses des vents, belles comme des mariées, des roues du Destin, des feuilles, des ammonites, l'œil dans l'œil, le cœur dans le sexe, le triangle hermétique, images dont l'intention se rapporte plutôt au lyrisme et à la poésie spontanée qu'à la signification cachée, au défi et à la protestation ouverte d'esprit didactique, plutôt qu'à la cabale phonétique". Que "l'intention se rapporte plutôt à la poésie spontanée qu'à la signification cachée" me ravit et me séduit, parce que généralement les langages symboliques me paraissent d'une insupportable lourdeur. Ici, avec Harloff, rien de tout cela.guy harloff,alchimie,art singulier,périphérie de l'art moderne,art moderne méconnu,beat generation,galerie les yeux fertiles,alice paalen,dvd les phares Une qualité plastique indéniable que l'on soit dans le noir et le blanc du stylo Bic (travaux très proches de certains embrouillaminis visionnaires et ténébreux de l'art brut) ou dans la jubilation  chromatique.

 

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Guy Harloff, une des oeuvres exposées aux Yeux Fertiles

 

     Cet artiste se tint apparemment en lisière des courants dominants de son époque, restant sincère, concentré sur son inspiration et son chemin personnel. Il paraît de la même race que d'autres créateurs indépendants d'après-guerre, comme Jacques Le Maréchal, Michel Macréau, Jan Krisek, Hans Reichl (à qui Harloff reconnaissait devoir beaucoup) ou encore Gaston Chaissac. Il pourrait faire figure comme eux de grand ancêtre des créateurs "singuliers", ce mot si dévalorisé actuellement mais que je continue d'employer pour désigner les créateurs en marge du cirque médiatique, les périphériques de l'art contemporain ne se résignant pas à abandonner les arts plastiques traditionnels, les vrais purs, non vénaux...

 

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Galerie Les Yeux Fertiles, vue de l'exposition Guy Harloff

       Les "Singuliers" d'aujourd'hui souscriraient peut-être à cette envolée lyrique et pleine d'un bel excès de Guy Harloff parue elle aussi dans le même numéro 28 de Bizarre:

      "Je pense que la peinture devrait rentrer dans la clandestinité ; tout comme les premiers chrétiens dans leurs catacombes. Il serait salutaire qu'elle redevienne, au moins pour un certain temps, souterraine, interdite. On peindrait en cachette, sans montrer ce que l'on fait. Pour soi-même. C'est mon désir le plus cher, et le plus secret.

      En effet notre travail supporte un poids énorme et écrasant. Il est la proie des marchands, l'enjeu des spéculations, le gagne-pain et le moyen de faire fortune de beaucoup d'individus qui, sans la peinture, se tourneraient vers d'autres occupations tout aussi lucratives. Il faut produire pour ce marché, en accepter les liens, la tyrannie, les conséquences, ou bien rester dans l'ombre, solitaire, et crever de faim. La plupart d'entre nous travaillent dans des conditions désastreuses, sollicités de toutes parts, assaillis, vilipendés ou portés aux nues, toujours à la limite de l'endurance physique et spirituelle. Il s'ensuit généralement un abaissement de la qualité de la peinture, et bien des œuvres commencées dans la réalité et la vérité finissent en queue de poisson. Actuellement, nous sommes saturés de mauvaise peinture, et l'on voit un peu partout des tableaux et des dessins, signés même par des grands noms, qui auraient intérêt à être déchirés, ou tout au moins, à ne pas sortir de l'atelier.

     C'est pourquoi je propose, le plus sérieusement du monde, qu'une loi internationale, ou quelque chose dans le genre, soit votée qui interdise la vente des tableaux, et l'acte de peindre.

     Ceux qui continueraient malgré tout (moi, par exemple), les vrais mordus, ceux qu ne peuvent faire autrement, eh bien, ils peindraient quand même, mais en cachette, et cela serait toléré..." (Guy Harloff, extrait de "Où il est question de quelque chose d'autre...").

 

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Guy Harloff, dessins au stylo Bic, expo à la galerie Les Yeux Fertiles