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26/11/2013

Une étrange roche sculptée en forêt de Fontainebleau

 Cette note contient une mise à jour datée du 28 novembre

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Forêt de Fontainebleau, Roche de la Chouette (la Belle-Mère), tamponnée et datée au verso de 1930

 

   Curieuse carte postale, curieuse photographie sans nom d'auteur que voilà... L'intérêt de cette image à mes yeux étant que l'on n'a pas seulement affaire ici à une de ces photos de formes naturelles pittoresques sur lesquelles l'éditeur de la carte aurait plaqué une interprétation plus ou moins reconnaissable. On a en plus une action accomplie par une main anonyme qui à l'aide d'un ciseau de sculpteur a façonné la roche de façon, justement, à caractériser une interprétation de départ. Cette "Roche de la Chouette", ou cette "belle-mère", a été visiblement orientée par le sculpteur resté anonyme. C'est une démarche tout à fait voisine de celle de l'abbé Fouré qui sculpta au tournant des XIXe et XXe siècles les falaises de Rothéneuf près de St-Malo. Dans ce massif de Fontainebleau, ce genre d'interprétation visionnaire est comme on sait très commune (on se reportera au Guide de Fontainebleau Mystérieux de René Alleau publié en 1977 dans la collection des Guides Noirs des éditions Tchou-Princesse, qui entre parenthèses ne mentionne pas cette roche curieuse). Par contre, parmi toutes les roches surnommées en fonction des images que tel ou tel croyait y reconnaître (l'Eléphant, la tortue, etc.), il me semble qu'on en relève fort peu qui aient été accentuées par la sculpture, voire la peinture, et qu'on aurait pu ranger entre land art et art brut.

    Aux Gorges de Franchard, en forêt de Fontainebleau, moi qui connais assez bien le coin pour le visiter depuis des lustres en compagnie de nuées d'enfants des centres de loisirs parisiens, je n'ai jamais vu cette roche. La carte est datée de 1930. Ce n'est pas si éloigné de notre époque, et donc on peut raisonnablement espérer que la roche existe encore aujourd'hui. Mais où se trouve-t-elle exactement? Je pars à sa poursuite...

*

     Inutile de partir en quête, mes lecteurs s'en chargent presque aussi sec, et leur hâte me fait chaud au cœur... Un(e?) certain(e?) Dan me renvoie donc dans les commentaires (voir ci-dessous) à un site qui recense les roches de la forêt, et bien sûr on y apprend que la roche de la Chouette existe toujours, la voici donc:

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Etat 2012, site web sur la Forêt de Fontainebleau

 

     Le profil de "la belle-mère" a disparu, mais pas l’œil qui peut-être, cavité naturelle de forme comme bridée, donna l'idée au sculpteur anonyme des années 20-30 de poursuivre le profil en le taillant plus réalistement. Donc, de deux choses l'une, soit ce profil a disparu par usure, soit ce ne fut qu'un trucage. Et pour faire la part entre ces deux hypothèses, j'ai l'impression que mes lecteurs risquent de s'y casser les dents cette fois...

     Dernières précisions quant à la date de 1930. Elle est apposée au bas du texte en cinq mots de l'expéditeur de la carte au verso, et elle figure sur le tampon également. Mais cela ne suffit pas en effet. La carte a pu faire partie d'un lot qui publié auparavant ne s'était pas encore complètement écoulé en 1930. On sait que les textes en cinq mots ne furent permis qu'à partir de 1909... Et que certaines cartes furent réimprimées plusieurs années après le cliché original, c'était en effet une pratique commune dans les années 30. Cela expliquerait peut-être que l'on ne trouve pas de nom d'éditeur à côté de la légende (on ne voit qu'un logo, un dragon...). Donc la photo peut dater d'avant les années 30.

25/11/2013

Apparition de Fatima-Azzahra Khoubba

      Voici une dessinatrice lyonnaise, d'origine marocaine, que la Galerie Alain Dettinger nous propose du 30 novembre au 10 janvier 2014, pour les fêtes de fin d'année entre autres donc, dans une exposition intitulée "confidence à un perroquet".

 

Fatima-Azzahra Khoubba.jpg


     Ne dirait-on pas une variante de l'art dit fractal, tel que l'illustre un certain Jean Corrèze du côté de Bordeaux? Un art de l'échancré, de l'aber ou du fjörd appliqué aux silhouettes inconsciemment surgissantes dans ces îlots bleus et rouges? Car on voit bien des ombres de personnages fantomatiques sur ce dessin reproduit en couverture du carton d'invitation, paraissant danser dans un grand frou-frou de loques effilochées. Ronde, flottement de figures indistinctes, parentes, dans d'autres dessins, de formes moins identifiables comme des taches, des graphismes informes, tavelures abstraites chargées de figurer des pensées ou des humeurs sans signification claire, toutes flottant dans un espace indéfini. Peut-être analogues à ces taches de peau qui apparaissent avec l'âge sur le dos de nos mains et plus généralement de notre corps... Qui sont comme des avertissements, des signaux...

Petite vidéo sur le vernissage de la galerie Dettinger le 29 novembre dernier

    

18/11/2013

Fanzines... d'art brut? Rendez-vous samedi 23 novembre au Musée de la Création Franche

    C'est dans six jours. Une journée entièrement consacrée à la recherche autour des fanzines (petite presse en auto-édition) spécialisés dans l'art brut. L'initiative en revient à Déborah Couette du CrAB (Collectif de Recherche autour de l'Art Brut) et au Musée de la Création Franche à Bègles où se tiendra la journée d'études. Plusieurs intervenants, dont mézigue, sont attendus là-bas. Voici du reste le programme et les intentions des concepteurs de cette journée:

 

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    Des fanzines et des revues autour de l'art brut, il y en a eu, il y en a encore. Mais entièrement consacrés à l'art brut au sens strict du mot, à part les premières plaquettes éditées par la Galerie René Drouin en 1947-48, les publications en jargon de Dubuffet, puis les fascicules édités depuis le début des années 1960 sous l'égide de la Compagnie et de la Collection d'Art Brut, on ne peut pas dire qu'il y en ait eu véritablement. Toutes celles qui parurent, jusqu'à aujourd'hui, du Bulletin des Amis d'Ozenda, en passant par la Chambre Rouge, l'Art immédiat, Les Friches de l'Art, Gazogène, jusqu'à Zon'art et Création Franche, toutes ne parlèrent pas exclusivement d'art brut, mais aussi et surtout des alentours aussi bien, des formes d'art apparentées (art naïfs, habitants-paysagistes, graffiti, art modeste, inclassables etc.) en se référant également à des artistes singuliers rangés ailleurs dans la Neuve Invention (à Lausanne) ou dans la création franche (à Bègles). Comme si le concept d'art brut leur paraissait trop restrictif, trop ghettoïsant...

 

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Bulletin de l'Association Les Amis de François Ozenda

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La Chambre Rouge fut mon premier fanzine un peu sérieux, qui s'intéressait à la fois au surréalisme dans ses aspects les plus vivants, aux fous lttéraiires, aux divertissements littéraires, à la sculpture populaire, à l'art rustique moderne (Gaston Mouly et ses "dessins" ci-dessus évoqués sur la couverture du n°4/5 de 1985, bien avant que Gérard Sendrey ne rencontre, sur mon instigation, le même Mouly et ne s'attribue par la suite la responsabilité d'avoir poussé Mouly vers le dessin...)

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Le n°2 et le n°1 de L'Art Immédiat, ma deuxième revue, de 94 et 95, cette fois plux axée sur les arts populaires spontanés

Création-Franche-n°30.jpgCréation Franche

Gazogène, le numéro plus récent, n°35fanzines,art brut,art singulier,surréalisme spontané,la chambre rouge,l'art immédiat,collection de l'art brut,création franche,crab,déborah couette,zon'art,ozenda,recoins,gazogène

         De plus, les publications de la Collection de l'Art Brut, si elles sont bien de l'auto-édition du fait de la Collection elle-même (dans la majeure partie des fascicules, car les derniers en effet sont édités conjointement avec In Folio éditions), ne sont pas à proprement parler analogues aux "fanzines", éditions qui se caractérisent généralement par une certaine pauvreté de moyens, étant le fait de chercheurs et de passionnés le plus souvent désargentés, indépendants des cercles professionnels du journalisme et de l'édition. 

     Il était cependant tentant d'aller porter un peu l'éclairage de ce côté, pour voir pourquoi il fut important pour quelques passionnés en France –dont le signataire de ces lignes, et animateur de ce blog,  fait partie– de faire de l'information sur les phénomènes non seulement de l'art brut mais aussi de l'art naïf, de l'art populaire rural, de l'art forain, de l'art populaire contemporain aussi appelé art modeste, d'un certain surréalisme spontané, de la littérature ouvrière, des fous littéraires, des environnements spontanés, des cultures urbaines, de l'art de la rue, des graffiti, etc. Il est tentant d'essayer de comprendre aussi pourquoi il n'a pas été possible en France, et ce jusqu'à présent, de monter une grande publication périodique qui se consacrerait à l'étude et à l'information sur tous ces aspects de la créativité autodidacte spontanée, publication qui aurait fait appel à toutes sortes de plumes. Ne seront pas non plus évoquées, très probablement, et ce sera dommage, toutes les publications encore moins spécialisées sur les arts populaires, pas nécessairement des fanzines aux pauvres atours, mais qui ont cependant régulièrement publié des informations sur tel ou tel sujet qui appartenait au corpus, comme les revues Plein Chant, SURR, Jardins, voire les magazines L'ŒilArtension, L'Oeuf Sauvage (par exemple). Des fanzines d'aujourd'hui comme Recoins et Venus d'Ailleurs (très soigneusement édité ce dernier), sans se braquer sur l'art populaire ou brut, savent de temps à autre accueillir des articles sur le sujet. Il faudrait donc ouvrir plus largement le compas et s'interroger sur l'ensemble des articles ou études publiés ici et là sur le thème des arts d'autodidactes inventifs.

 

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Annonce de la publication de la revue Recoins n°5 (avec plusieurs articles concernant les arts populaires et les environnements spontanés), parution 2013

 

     Sans compter que d'ici très peu de temps, il faudra aussi que nos amis universitaires et archivistes se penchent avec suffisamment de documentation numérisée sur les blogs qui ont pris le relais avec vigueur des publications sur papier (comme l'auteur de ce blog qui put grâce à ce médium donner toute l'ampleur qu'il souhaitait à la masse d'informations dont il disposait, une fois passée l'époque "héroïque" des premiers fanzines des années 80 et 90).

Pour suivre cette journée, il semble prudent de réserver auprès du Musée de la Création Franche.

15/11/2013

André Stas bouffe du curé

    J'ai bien ri en regardant ce collage qu'a reproduit récemment Etienne Cornevin dans un de ses mails circulaires pour une fois réduit à l'essentiel (car c'est souvent très bavard du côté des Nouvelles Hybrides). Bravo André Stas, on ne se méfie jamais assez des soutanes.

 

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André Stas, Flagrants délices


10/11/2013

Encore un jeu, pour porter chance cette fois

    C'est le hasard des lectures qui me fait proposer à nouveau un petit jeu à mes lecteurs avec encore un catalogue d'exposition à gagner, celle des cahiers de dessins de Louis Soutter, intitulée "Les primitifs sont petits", organisée au Musée Fenaille de Rodez à l'été 2012.Les primitifs sont petits.jpg

    La lecture en question est relative au livre de Francine Stalport, Je vous aime Devinez qui? L'art de la Carte Postale, paru aux Editions de La Martinière cette année. Cet album contient de nombreuses cartes postales insolites datant de ce qu'il est convenu d'appeler "L'âge d'or de la carte postale", c'est-à-dire des débuts du XXe siècle. J'aime particulièrement cet art de la carte postale, art populaire, à la fois par son utilisation et par son édition. Il y a toujours eu une grande inventivité dans ce domaine, à de multiples niveaux de son appréhension. Et j'ai déjà eu plusieurs occasions d'en parler sur ce blog.

    Voici donc une carte postale, intitulée "Le porte-veine", que je propose à votre sagacité. Elle contient un message codé qu'il faut déchiffrer (c'est assez facile). Fûtés comme vous l'êtes, vous n'aurez aucun mal à trouver la solution j'en suis persuadé.A vos marques, prêts? Partez...

 

Le porte-veine.jpg

"Lisez ces chiffres, je vous porterai bonheur!"


06/11/2013

A Carquefou, Ruzena et Jean Branciard s'envolent, Montpied reste à terre

     Que voilà un titre tarabiscoté... Mais fondé. Je vais le 16 novembre prochain participer au vernissage de la double exposition Ruzena-Branciard à l'espace d'exposition du Site des Renaudières à Carquefou (périphérie de Nantes), deux artistes véritablement inspirés que je défends depuis belle lurette (avec Branciard, on s'est connu par ce blog d'ailleurs). Je participe, mais pas seulement en allant engloutir des petits fours et en mondanisant. Je présente un peu avant le vernissage, qui commence officiellement à 16h, le film de Remy Ricordeau, Bricoleurs de Paradis, que j'ai co-écrit avec lui et qui est inséré dans mon livre Eloge des Jardins Anarchiques, traitant du même thème que le film à savoir les environnements spontanés populaires et que donc je présenterai par la même occasion. A signaler que ce livre est sur le point d'être épuisé après son deuxième tirage (en fera-t-on un troisième, on hésite...).

 

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Ruzena et ses "rêves éveillés" au Site des Renaudières, Carquefou, 16 novembre-15 décembre 2013

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Jean Branciard et ses "véhicules rêvés" au Site des Renaudières à Carquefou, mêmes dates que Ruzena


        Les images que la Direction des Affaires Culturelles de la mairie de Carquefou a choisies de publier sur le carton d'invitation montrent pour Ruzena un de ses désormais habituels personnages nus quoique prudemment striés d'ombre  en train de s'échapper du cadre vers le ciel et pour Jean Branciard une sorte d'avion déglingué, constitué comme le préfère l'artiste de bouts de métal rouillé et de morceaux de grillage, demi hélice, trous dans la carlingue qui part en morceaux, etc. Nos deux amis, sans se concerter probablement, semblent s'être donc pris de passion pour les airs. Quant à moi, je resterai prudemment à les regarder depuis le plancher des vaches où mes habitants-paysagistes s'enracinent.

 

Carquefou, nov 13.jpg

Carton d'invitation avec une erreur dans le libellé de présentation du "film" Eloge des Jardins anarchiques"...


       A signaler cependant une erreur dans le carton d'invitation (ci-dessus) puisqu'il écrit que sera présenté à 14h30 le samedi 16 novembre le film "Eloge des Jardins anarchiques", suivi d'un débat avec son "réalisateur" à savoir moi... On a fait là évidemment une confusion entre le livre et le film. J'insère ci-dessous le carton tel que je l'ai corrigé et tel que l'on aurait dû le publier (j'espère que la Direction des Affaires Culturelles ne m'en tiendra pas rigueur)...

 

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Exposition "Les véhicules rêvés, les rêves éveillés", Ruzena et Jean Branciard, du 16 novembre au 15 décembre 2013, espace d'exposition du Site des Renaudières, Carquefou. Ouv. les mercredi, samedi, dimanche de 14h à 18h o usur RDV. Renseignements: Direction de l'Action Culturelle de la Ville de Carquefou: 02 28 22 24 40 ou culture@mairie-carquefou.fr


      

02/11/2013

Monsieur X quelque part à la fin des terres

A Benoît et Darnish qui m'accompagnèrent joyeusement en ce bout des terres

 

        Ce créateur, se définissant volontiers comme « asocial », et non pas « anarchiste », ne veut pas qu’on le nomme ni qu’on le situe sur la carte, même si certains, ayant voulu parler de lui, n’ont pas respecté cette demande (et que donc son nom traîne ici et là).

 

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Monsieur X., ce qui dépasse de la haie côté route... ph. Bruno Montpied, 2013


         Ancien marin ayant passablement bourlingué sur les mers (il habite à quelques encablures de falaises surplombant vertigineusement l’océan), ayant également tâté des Beaux-Arts, et parcouru la France dans sa jeunesse pour parfaire son éducation d’artisan tel un compagnon, possédant quelques connaissances en architecture et dans la construction des voiliers, « monsieur X » a créé depuis trente-cinq ans autour de sa petite maison traditionnelle bretonne un ensemble harmonieux et mystérieux de sculptures aux formes recherchées et oniriques, tenant tantôt de l'os, tantôt de l'épine ou bien encore de l'algue.

 

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Original belvédère comme gluant, adhérant à la maison d'habitation, et faisant une transition de l'architecture traditionnelle bretonne à l'inventivité offerte dans le jardin dont il garde un passage, ph. BM, 2013


 

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Monsieur X., vue de la maison en arrière-plan, flanquée d'un belvédère en angle, d'un monument avec une femme nue étendue de tout son long sur une arche, ph. BM, 2013


        "Onirique" n’est pas une épithète trop éculée en ce qui le concerne, puisqu’il se revendique d’un certain surréalisme, même si comme il le confie, après être allé rencontrer certains surréalistes historiques à Paris dans les années 50-60, il trouva ce milieu passablement « embourgeoisé ». Il paraît avoir assisté, quelque peu intimidé semble-t-il, à la cérémonie, organisée par Jean Benoît entre autres et immortalisée par les photographies de Gilles Ehrmann, visant à exécuter le testament du Marquis de Sade. S’y sentit-il déplacé ? Il ne le précise pas. Cependant, il se sent proche de ce mouvement. Ses peintures, louchant du côté d’un certain fantastique aux codes surréalistes peut-être un peu trop voyants, en attestent, de même que, peut-être aussi, des écrits qu’il évoqua à mots couverts durant notre bref entretien (on trouve de temps à autre sur les sculptures diverses inscriptions manifestant son goût pour la poésie ; voir ci-dessous la légende "Parfaite en beauté hautaine").

 

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Ph. BM, 2013

         Mais ce sont surtout ses sculptures, arachnéennes, effilochées, étonnantes dans leur apparent déséquilibre, comme influencées par un nouvel Art Nouveau n’osant pas dire son nom, qui retiennent l’attention par leur évidente originalité. Les bras de ses statues s’effilent et se transforment en racines comme bouturés directement dans la terre. Un avorton grimpe sur une sphère éclairée la nuit comme un étrange quinquet, enseigne de poète de la fin du monde. Un étrange petit belvédère juché sur une tourelle à l’angle de sa maison comme perpétuellement sur le point de vaciller donne au site un caractère de décor de rêve improbable au milieu de la lande. finistère,art nouveau,capitaine nemo,nautilus,autodidacte surréaliste,poésie,bretagne insoliteUne arche supportant une immense femme renversée porte en son extrémité des soufflets qui peuvent jouer des notes de musique si on tire correctement leurs ficelles (voir ci-contre avec Darnish chef d'orchestre), composant une sorte de nouvel orgue d’un autre Capitaine Nemo réfugié dans les terres, survivant, toujours résolument à l’écart d’une société qu’il vomit avec ses valeurs indexées sur le profit, la vanité et la gloire. Le style Art Nouveau de ses œuvres en plein vent faisant penser au décor du Nautilus dont des fragments se seraient perdus dans la lande.

 

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La "sainte" vue par monsieur X., accueillant le mort, ph. BM, 2013


         Certes, monsieur X par le style cultivé de ses sculptures tranche avec les environnements populaires que je préfère usuellement. C’est sans compter avec la naïveté de certains de ses personnages, et l’aspect débridé profondément original de l’ensemble, le goût très fort de l'analogie appliquée à la conception de ses sculptures, la grande poésie de l'ensemble. Autodidacte surréalisant, cet ancien marin breton, réfractaire à l’ordre établi, est à la croisée des créateurs purement naïfs ou bruts¹ et des créateurs de décors excentriques primitivistes (comme celui de Robert Tatin par exemple dans la Mayenne, dont on pourrait facilement rapprocher sociologiquement monsieur X).

 

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Monogramme de Monsieur X. sur le mur de sa maison, ph. BM, 2013

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¹ A noter que monsieur X, durant notre entretien avec lui, tint à se distinguer nettement de l'art brut auquel il ne pense pas devoir être rattaché.

Merci à Benoît Jaïn, à Alain Nempont et enfin à Thérèse Barbier qui tous successivement, à différentes époques, m'ont envoyé des photos pour me signaler ce site qui se veut pourtant discret...

27/10/2013

Salon d'art alternatif, Hôtel le A

     Enigmatique appellation, isn't it? Ce serait pourtant l'exacte traduction d'"Outsider Art Fair", ce salon organisé par Andrew Edlin, par ailleurs directeur de la galerie du même nom à New York, galerie qui se consacre à diverses découvertes classables ou non dans l'art brut.

     On sait qu'aux USA, le terme d'art brut est difficilement traduisible, et pas seulement le terme, mais la notion elle-même. On lui préfère "outsider art" qui sert à regrouper dans un vaste pot-pourri l'art des pionniers (limners naïfs américains des XVIIIe et XIXe siècles), art populaire, art des environnements, et art d'individus autodidactes marginaux (pensionnaires d'asiles, médiumniques, et une sacrée tripotée de zinzins mystico-visionnaires, qui paraissent florissants aux States). Derrière cette étiquette, mêlés sans aucun distingo aux créateurs autodidactes non artistes professionnels, se cachent cependant aussi toutes sortes d'artistes en voie de professionnalisation, visionnaires étranges, marginaux à l'intérieur de l'art contemporain, que l'on aurait pu aussi bien voir revendiqués par le surréalisme en un autre temps.

 

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     Les Américains ont donc décidé de venir à Paris pour quatre jours (ça se termine ce dimanche) rassembler dans un petit hôtel quatre étoiles de six étages, rue d'Artois, à deux pas des Champs-Elysées et de la FIAC, 24 galeries plus ou moins spécialisées dans les divers champs de ce qu'ils appellent l'art outsider, galeries venues d'Amérique ou d'Europe. Le prix d'entrée est du même genre qu'à la FIAC, 15€, pour venir voir si l'on peut dépenser plus dans les galeries présentées (!), et encore plus cher pour avoir le droit de venir au vernissage (re-!). Tout ça n'étant pas, comme s'en convaincront les lecteurs du Poignard Subtil, very, very democratic. Il fallait certes rembourser les frais de location de l'hôtel 4 étoiles. Mais qui obligeait ces messieurs à investir un hôtel si chic (autour de 500 € la nuit d'hôtel)? Hormis la nécessité à leurs yeux d'offrir l'art des miséreux, des aliénés et des souffrants de l'âme aux privilégiés et aux favorisés de la vie (à la recherche d'un peu de réalité et de bonne conscience probablement?), fréquentant les Champs et accessoirement croisant du côté de la FIAC proche?

       Mais oublions ces propos un peu amers, et reconnaissons aussi, comme Philippe Dagen dans une chronique qu'il a donnée au Monde ces jours-ci, que l'on pouvait vite oublier ce paradoxe lamentable au fur et à mesure que l'on découvrait, grâce à nos coupe-files (Dagen oublie de le dire), d'étage en étage, des créateurs passionnants présentés de façon succincte mais fort soigneusement.  L'idée d'un hôtel, dans l'absolu, du reste, était amusante et déroutante. Chaque galerie possédait une chambre, le lit n'en avait pas été déménagé, les œuvres se distribuaient tout autour, la situation, lorsque la charmante hôtesse qui s'y trouvait vous ouvrait la porte -comme me le fit remarquer RR que j'avais invité à me suivre dans cette étrange foire- pouvant relever d'une certaine confusion des sentiments. On entrait après tout dans des chambres décorées d'art brut, invitées par une charmante jeune fille, le lit trônant comme une invite au centre de la pièce, certains pouvaient hésiter entre elle et lui (l'art brut)...

 

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Janet Sobel en action, 1948, Raw Vision n°44, ph. Ben Schnall

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Janet Sobel, galerie Gary Snyder, New-York


     Vingt-quatre heures se sont écoulées depuis que j'ai fait une visite à ce salon. Qu'en surnage-t-il? Pas les gribouillages de Dan Miller en tout cas, contrairement à M.Dagen, que je trouve toujours bien trop proches d’œuvres de la modernité plastique pour être honnêtes (façon de parler...). Non, c'est avant tout la découverte de Janet Sobel dont je n'avais jamais vu de peintures et qui a fait l'objet d'un article apparemment fourni dans un vieux numéro (le n°44) de Raw Vision vers 2003. Si j'ai bien compris, je ne suis pas fortiche en anglais, cette dame, Juive d'origine ukrainienne et émigrée aux USA, disparue en 1968, fut à la fois perçue comme appartenant à l'expressionnisme abstrait, ayant influencé peut-être Pollock, et redécouverte comme une "outsider" plusieurs années plus tard (une situation qu'elle partage avec quelques autres grands aérolithes inclassables, tel Jan Krisek par exemple). Ses œuvres sont tout à fait remarquables. J'en montre ci-dessus et ci-dessous quelques exemples que je dois à l'obligeance de la galerie Gary Snyder qui la représentait dans ce salon.

 

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Janet Sobel, sans titre, technique mixte sur papier

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Janet Sobel, galerie Gary Snyder


    Par contre, j'ai été fortement déçu par les photos d'Eugen Von Bruenchenhein (par ailleurs aussi exposées actuellement à la galerie Christian Berst à Paris, galerie représentée à l'Outsider Art Fair), que finalement je trouve assez banales, n'ayant pas d'intérêt, ni d'un point de vue érotique, ni d'un point de vue photographique. Ses meubles en os assemblés sont pour le coup bien plus intrigants. Mais il n'y en avait pas à l'Hôtel le A.jadu 17.7x108.5 site Perdriolle.jpg

    La galerie d'Hervé Perdriolle montrait pour sa part de l'art populaire indien contemporain, notamment toute une série de petits papiers dessinés genre "patua", à fonction magique, destinés par des peintres anonymes ambulants à permettre aux défunts de se libérer des démons qui auraient voulu traîner leurs âmes en enfer (je récite, approximativement sans doute, la leçon que me fit la charmante hôtesse de la galerie). Les patua sont aussi des rouleaux narrant des histoires terrifiantes appuyant visuellement les récits de conteurs-peintres ambulants (voir ci-contre ce rouleau extrait du site web de la galerie). La galerie d'Hervé Perdriolle donne là-dessus ses éclaircissements.

 

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Dessin de Radmila Peyovic, extrait du catalogue de l'exposition "Ai Marginali dello Sguardo" de 2007 en Italie


     Philippe Eternod et David Mermod formaient un couple de galeristes extrêmement passionnés à un autre étage, gambadant mentalement d'un créateur à l'autre d'une manière tourbillonnante qui donnait l'impression d'une valse aux murs tapissés de dessins d'Aloïse, de Gaston Teuscher, de Jules Fleuri, de Raphaël Lonné, d'Abrignani, de Radmila Peyovic, etc. Au milieu de cette valse, apparut brusquement le visage du créateur ACM qui me serra la pogne dans un flash ultra fugitif qui me donna le regret de ne pas en savoir plus. Ces initiales mystérieuses avaient tout à coup un  visage.

 

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Un dessin de Susan King, extrait d'un catalogue chez Marquand Books à Seattle

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Richard Kurtz, extrait du site web du créateur


      D'autres révélations me furent prodiguées, l'ex-boxeur Richard Kurtz au dernier étage chez Laura Steward, les cahiers de croquis étonnants de la Néo-zélandaise Susan Te Kahurangi King qui métamorphose constamment un petit personnage publicitaire de la marque de soda Fanta, le vagabond David Burton (1883-1945)davidburtonportr.jpeg qui dessinait sur les trottoirs (il fit l'objet d'un sujet dans les archives d'actualités de la firme Pathé, un beau motif de quête pour l'ami Pierre-Jean Wurtz, ça, n'est-il pas?), représenté par la galerie anglaise de Rob Tufnell, le naïf grec Giorgos Rigas, représenté par la galerie C.Grimaldis de Baltimore, et cet étonnant créateur brut, Davide Raggio (voir ci-dessous l'œuvre sans titre de 59 x 47 cm de 1998), travaillant avec trois fois rien, des matériaux fragiles à portée de main, friables, aux limites de l'évanescence et de l'inconsistance, créateur qui s'est fait connaître par ses figurations faites de peaux de carton décollées et déroulées de manière à produire des silhouettes plus claires par contraste avec la teinte  kraft plus sombre des cartons.davide raggio, 59x47 cm, 1998, decollage.jpg Sur le salon, on en trouvait à la fois chez Rizomi, la galerie turinoise, et à la Galerie lausannoise du Marché chez Eternod et Mermod. Ce créateur a ceci de remarquable qu'il a pratiqué en dépit de sa situation d'enfermé (en asile) diverses techniques d'expression toujours marquées par le sceau de la précarité mais enfin fort variées ce qui est rare chez nos grands obsessionnels.

     Enfin, chez Cavin Morris, galerie new-yorkaise, on pouvait admirer du coin de l’œil sur le mur et étalés sur la courtepointe quelques magnifiques dessins de Solange Knopf, œuvres que j'aime décidément beaucoup.

 

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Solange Knopf, Botanica, 2013

Spirit codex, 180x100cm, 2013.jpg

Solange Knopf, Spirit Codex, 180x100 cm, 2013


24/10/2013

Une lecture de textes bruts à Bordeaux

    "Monsieur, nous organisons une lecture de textes issus de l'Art Brut, à Bordeaux, le 26 octobre, à 17h, à la Bibliothèque du Grand-Parc qui accueille, en même temps, des œuvres¹ du Musée de la Création Franche de Bègles. Une comédienne, Valérie Pédezert, va lire ces textes issus du recueil "Ecrits bruts", de Thevoz ainsi que de certains fascicules de l'Art Brut. Seriez vous disposé à relayer cette information dans votre blog ? Si oui, nous vous en remercions. Denis Decourchelle, Valérie Pédezert"

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¹ Bien, mais quelles œuvres ? (NDLR)

20/10/2013

Martine Doytier, d'un tableau revenant et de quelques autres images...

    Un correspondant a eu l'heureuse et aimable initiative de me faire parvenir la reproduction d'un tableau de Martine Doytier (née à Clichy en 1949 - disparue à Nice en 1984), artiste à la fois naïve, visionnaire et aussi crépusculaire, décédée bien trop tôt, dont l’œuvre excite hautement ma curiosité.

 

Tableau-DOYTIER-Coll-privée.jpg

Martine Doytier, coll. privée ; il semble que ce soit une scène de pique-nique, sujet que Martine Doytier a par ailleurs traité au moins une autre fois, voir ci-dessous la carte postale éditée par l'ancien Musée d'Art Naïf de Flayosc ; le tableau ci-dessus montre des personnages qui je ne sais pourquoi me rappellent des scènes de la vie quotidienne dans les Balkans... ; le paysage fascinant qui entoure les convives est traité de façon totalement onirique

Le pique-nique, carte postale MAN Flayosc, vers 73.jpg

Martine Doytier, un pique-nique de nonnes...

 

      J'ai déjà mis en ligne un autre tableau remarquable de cette créatrice lorsque j'ai chroniqué l'exposition montée autour du Facteur Cheval au Musée de la Poste à Paris (en 2007). Je le replace ici, histoire de constituer un petit socle qui ne demanderait qu'à être agrandi, avec d'autres reproductions. Il semble qu'il n'y ait qu'à Nice et dans sa région qu'on puisse en apprendre davantage sur cette artiste, curieusement rattachée à l'Ecole de Nice (Ben et autres) en dépit de son style très différent des productions de cette Ecole. Le galeriste, photographe et collectionneur niçois Jean Ferrero notamment paraît conserver plusieurs œuvres de notre héroïne.

 

Martine-Doytier Hommage au Facteur Cheval1977, huile 146x97 Coll Jean Ferrero, Nice.jpg

Martine Doytier, Hommage au Facteur Cheval, 1977, huile, 146x97 cm, coll. Jean Ferrero, Nice

 

      Voici une notice biographique sur Martine Doytier qu'on trouve sur internet en se connectant au site du Dictionnaire Delarge des arts plastiques et contemporains: "DOYTIER, Martine: née en 1947 à Clichy, Hauts-de-Seine, France ; 1969, s'installe dans le Var comme céramiste ; 1971, commence à peindre après avoir visité l'exposition du peintre naïf Ozenda¹ ; 1973, vit à Carros, où le peintre populaire yougoslave Paleicewik lui enseigne des techniques ; 1974-1984, peint un ou deux tableaux par an ; 1984, meurt le 16 février.

      Techniques : Peintre - Sculptrice. Présentation : En 1974, elle cesse d'être peintre naïf et elle opte pour une peinture très construite dont les accumulations à la Dado mènent au fantastique. Dans des amas de constructions, de rochers ou d'objets se détachent des personnages aux yeux écarquillés sous des paupières en visière. Elle est aussi l'auteur d'une sculpture animée, un automate, Le Briseur de montres (1975-1977). Expositions : 1971, Art'O, Flayosc ; 1977, Biennale de Menton. Rétrospective : 1994, Musée d'Art moderne et d'art contemporain, Nice". Ajoutons cette précision quant à cette "rétrospective", organisée pour commémorer les dix ans de la disparition de l'artiste, et ne paraissant pas avoir donné lieu à la publication d'un catalogue, elle se déroula du 19 janvier au 6 mars.

 

MD sur espace à débattre (Ben) 2 rue vernier Nice.jpg

Martine Doytier, tableau reproduit à très faible résolution sur le site de "l'Espace à Débattre" de Ben Vautier ; on dirait une scène fantastique un peu utopique où des militants de la cause des arbres s'ingénieraient à métamorphoser des arbres morts en arbres refleurissant pour les replanter à l'arrière-plan du paysage... Très beau tableau apparemment en tout cas.

 

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¹. J'ai signalé dans mon compte-rendu de l'expo autour du Facteur Cheval que le cartel apposé à côté du tableau de Doytier d'hommage au Facteur signalait que "le peintre naïf" qui avait stimulé notre artiste de Nice était le Polonais Ociepka. La notice du catalogue de l'expo reprenait par ailleurs la mention que c'était Ozenda le peintre naïf en question. Ociepka, peintre visionnaire classé dans l'art naïf, était plus plausible comme influence qu'Ozenda, plus hétéroclite dans son expression et plus "singulier" que "naïf". Cela dit, est-il possible qu'une expo Ociepka ait pu avoir lieu à Nice au début des années 70? Il serait évidemment plus réaliste de penser que cela ait été Ozenda, le peintre stimulateur, puisqu'il fut souvent exposé dans cette région à ces époques, notamment à la galerie d'Alphonse Chave à Vence (ce pourrait même être là, en y réfléchissant, que Martine Doytier aurait pu voir des créations d'Ozenda. Personne n'est venu apporter d'éclaircissement sur la question depuis que j'ai fait cette remarque, personne ne s'intéresse-t-il donc à cette artiste?

13/10/2013

Tromperie sur la marchandise (l'Hôtel de Ville de Paris et ses impostures)

    "Absolument excentrique", "Art brut", nous matraquent les affiches de la nouvelle exposition de l'Hôtel de Ville de Paris en ce moment rue de Rivoli.

 

Absolument-excentrique...jpg

Photo Bruno Montpied, 2013


    Ah bon? Eh bien, cela fait à mon avis, réunis sur une seule affiche, deux mensonges avec un parfum d'imposture qui ne sont pas sûrs de rendre service à ceux qu'on expose et veut défendre, à savoir toutes sortes de personnes, plus de 160 "artistes", nous assure-t-on, "en situation de handicap mental et/ou psychique issues de de vingt-cinq ateliers de création médico-sociaux et associatifs parisiens".

       Cette exposition, dont on a par ailleurs soigné la scénographie, présente des travaux d'ateliers collectifs où règne en fait assez peu d'excentricité. A se promener dans l'expo, on se dit que l'on y rencontre plutôt un bon échantillon de références à l'art plastique moderne ou contemporain, de l'expressionnisme Kokoschka édulcoré à la peinture proche du graffiti à la Basquiat, du lettrisme à l'art enfantin (l'art des handicapés mentaux s'en rapprochant souvent), etc., le tout ne présentant aucune originalité véritable (à part une ou deux exceptions notables, voir dernier paragraphe de cette note). L'art brut, revendiqué en titre, voire l'art naïf, on sent bien que l'on (les animateurs des ateliers?) cherche parfois à en rapprocher les créations de ces ateliers. En effet, certaines manières, certaines caractéristiques de composition que l'on rencontre souvent dans les œuvres des collections d'art brut, comme le morcellement des formes colorées cernées en noir par exemple, se retrouvent ici et là, comme réemployées incidemment et malignement, ce qui en fait des marqueurs de style et des tics par voie de conséquence, alors que chez les bruts, il n'y avait pas de volonté d'employer sciemment ces tours de main.

 

Sous-Basquiat-Abs-Exc.jpg

Catalogue d'art moderne recraché? Expo "Absolument excentrique", 2013


    Le public était nombreux lorsque je visitai cet espace (un samedi). L'hôtel de ville est situé en plein centre de Paris, et les mots magiques, si à la mode depuis quelque temps, de "l'Art Brut", qui traînent partout, attiraient bien évidemment le passant pas au courant. Mais les connaisseurs, et je suis sûr qu'il y en a de plus en plus depuis que d'autres expositions dans des lieux très en vue (comme le "Museum of Everything" récemment à St-Germain-des-Prés, les expos de la Halle Saint-Pierre, la Maison Rouge, boulevard de la Bastille, le LaM à Villeneuve-d'Ascq, etc.), ne peuvent que constater après un rapide examen des œuvres présentées à l'intérieur qu'on les a trompés sur la marchandise.

     Il n'y a pas d'art brut rue de Rivoli... Les organisateurs (un "Collectif Evénementiel Art et Handicap") se sont parés de plumes qui ne leur appartiennent pas. On a simplement affaire à une présentation des travaux d'ateliers pour handicapés divers comme il y en a déjà eu de nombreuses par le passé, sans qu'il y eût besoin alors de se livrer à ce tour de passe-passe.

     Ce genre d'usurpation de terme en dit long sur l'importance en réalité accordée  par les organisateurs à ce qu'est vraiment l'art brut. Comme s'ils se moquaient en fait de savoir ce que c'est ou non. Leur seul but étant de harponner le chaland à tout prix avec un titre accrocheur. On se dit qu'il doit y avoir une entreprise de communication spécialisée dans le marketing derrière eux. Mais pas très finaude et plutôt mauvaise communicante...

 

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Ensemble de pièces en terre émaillée de Philippe Lefresne à l'exposition "Absolument excentrique", 2013


     Cela fait quelque temps déjà que la Mairie de Paris pousse les associations et les centres d'aide par le travail spécialisés dans les handicapés à exposer ici et là. Ce qui paraît inquiétant, c'est son aveuglement concernant les lieux parisiens qui s'occupent depuis bien longtemps, sans l'avoir attendue, et parfois même gênés par elle -ce qui est un comble!- de faire connaître l'art brut et ses formes apparentées, comme la Halle Saint-Pierre dont la mairie réduit sans cesse les subventions et augmente le loyer... Sans doute faut-il deviner derrière une telle attitude ce côté dogmatique des dirigeants parisiens cherchant à imposer des choix sociaux guindés et artificiels qui ne tiennent aucun compte des choix des individus, des paroles venues d'en bas... Trop anarchiques pour eux, sans doute.

 

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Bouteille de Contrex aux ornements phalliques, selon Philippe Lefresne, exposée à la Galerie Beckel-Odille-Boïcos en 2012 et pas à "Absolument excentrique", ph. BM


       Ceci dit, pour ne pas finir sur une note trop négative –aujourd'hui, on po-si-ti-ve, n'est-ce pas?–, il est à remarquer qu'une fois de plus, comme dans l'exposition "Exil" du Couvent des Cordeliers, se trouvent mélangés à ces créateurs handicapés venus de tous horizons (leurs ateliers ne sont pas spécifiés au cours de l'expo) certains créateurs déjà repérés en provenance de l'ESAT de Ménilmontant dont j'ai déjà eu l'occasion de dire tout le bien que j'en pense (et qui, comme dans le cas de l'exemple ci-après pourrait peut-être être cette fois vraiment rangé dans une catégorie à part de l'art brut).  Comme l'excellent Philippe Lefresne (voir les deux illustrations ci-dessus), créateur d'un style personnel et à l'imaginaire débridé, bosseur invétéré (un camarade m'a raconté que récemment il serait allé se plaindre dans un commissariat qu'il voulait continuer à travailler le dimanche dans l'atelier où il est salarié comme tous les autres artisans handicapés -à signaler que tous touchent un salaire identique quelque soient les prix atteints par les œuvres des uns et des autres), métamorphoseur d'images médiatiques qu'il passe à sa réjouissante moulinette. Ou Fathi Oulad Ben Abid et ses sculptures en raku que l'on avait remarquées au Carré de Baudouin, pour les 40 ans de l'ESAT, et dans la galerie Beckel-Odille-Boïcos près de la Bastille. Mais ils sont durs à repérer. Mieux vaut encore aller les rencontrer là où ils produisent dans les ateliers (peinture et poterie) de la rue des Panoyaux dans le XXe ardt.

12/10/2013

Le visage d'Ali, le créateur oublié d'Essaouira

photo-d'Ali,-2001-recadree.jpg

Ali, photo (détail) Patricia Allio, 2001, extrait du catalogue de l'exposition à Dol-de-Bretagne, "L'art brut à l'ABRI"

    Donc nous voyons ci-dessus à quoi ressemblait le Ali que le texte de Darnish, et le commentaire de Marianne Boussuge-Brault, récemment mis en ligne sur ce blog (voir ci-dessous), évoquaient. Cette photo fut publiée par Patricia Allio dans le catalogue de l'exposition "L'art brut à l'ABRI" qu'elle avait montée au Cathédraloscope de Dol-de-Bretagne (étaient exposés: des sculptures de Jean Grard, de Pierre Jaïn et de René Raoult, des peintures d'Ali, d'Asman Saïd et d'un autre peintre inconnu d'Essaouira, des photos d'Olivier Thiébaut, des cartes postales de l'Abbé Fouré (venues de ma collection), des peintures de Bruno Montpied, de Patricia Allio, des assemblages d'os sculptés de Gaston Floquet, des sculptures de Dominique Ronsin, et des "mécaniques apprivoisées" de Dino Pozzo). Couv-catal art brut a l'Abri 2001.jpg

Deux-peintures-Ali-a-Dol-de.jpg

Ces deux peintures d'Ali (photo Bruno Montpied) étaient accrochées dans l'expo de Dol-de-Bretagne en 2001 de même que la jarre peinte ci-dessous dont on voit les deux personnages peints au pourtour (elle corrobore l'indication de Marianne Boussuge-Brault qu'Ali affectionnait de peindre sur des supports variés, notamment en trois dimensions)

jarre-en-terre-cuite-peinte.jpg

    Pour faire bonne mesure, je remets ici, annobli en texte de note, le témoignage de Marianne Boussuge-Brault à propos de cette "Maison des Artistes" qui est à Essaouira décorée avec des peintures d'Ali. Dommage que l'hôte dont elle parle ait été si rétif que cela à ce qu'elle puisse prendre des photos.

      "A Essaouira au mois de septembre, nous avons logé dans une maison d'hôte nommée la maison des artistes. S'y trouve exposée l'œuvre géniale d'Ali (brèves biographiques glanées auprès de notre hôte qui lui voue un culte: plus ou moins SDF durant toute sa vie (aujourd'hui terminée), ancien soldat de la guerre d'Algérie dont il a gardé un profond traumatisme, a vécu à la maison des artistes pendant un moment: le propriétaire lui a laissé "carte blanche" dans la maison en échange d'un toit, à manger et de leur amitié). Ali peint sur tout et utilise tous les supports: fenêtre, tables, chaises, toile etc. Des œuvres variées, parfois brutales rappelant les horreurs de la guerre, parfois très colorées et souvent oniriques. L'âne est une figure qui revient dans la plupart de ses toiles. Nous n'avons pas pris de photographies, notre hôte étant rétif à cette idée mais je pense qu'il suffit de frapper à la porte ...et de découvrir Ali." (Marianne Boussuge-Brault)

 

Salle-avec-Ali-a-Dol-de-Bre.jpg

La salle de l'exposition "L'art brut à l'ABRI" où se trouvaient les œuvres de quelques créateurs d'Essaouira, dont Ali, découverts par Patricia Allio (l'ABRI était le nom de –la paradoxalement éphémère!– association qu'elle avait fondée avec Frédéric Nef dans le but de protéger des créations d'art brut... ; autour étaient disposées des pièces sculptées de Jean Grard, des photos, au fond, d'Olivier Thiébaut..., ph. BM, 2001



Inversion, encore un jeu (un livre à gagner)...

    En guise de consolation peut-être pour ceux qui ne sont pas allés assez vite l'autre fois avec Yves-Jules Fleuri, voici une nouvelle énigme. Quelle est la comptine que je m'amuse ci-dessous à psalmodier selon des moyens techniques que je viens de découvrir sur mon ordinateur (la prononciation des mots est inversée) ?


podcast

    A gagner cette fois un livre que j'ai aussi en double, Surréalisme et athéisme de Guy Ducornet, paru chez Ginkgo en 2007. Comme toujours, sera désigné(e) premier(ère) celui ou celle dont la réponse juste apparaîtra en premier dans les commentaires.




07/10/2013

L'autre Biennale à Lyon, hors-les-normes paraît-il

    C'était le dernier jour hier, choisi en mon honneur puisque c'était la Saint-Bruno. Non, je plaisante. Pas sur le fait que c'était le dernier jour cependant (enfin pas pour toutes les expos qui se sont affiliées à ce programme... Vous n'avez pas tout compris? Pas grave).

5e bhn,art brut américain,christopher simmons,alice calm,jaber,la pommeraie,jean branciard    Je n'ai pas eu la possibilité de la visiter de fond en comble cette biennale, prévue pour se tenir en parallèle et peut-être (sûrement) en opposition à la Biennale d'art contemporain qui a lieu aussi à Lyon au même moment, et qui paraît véhiculer beaucoup d'importance nulle. Si bien qu'il ne dut pas être difficile pour les organisateurs de l'Hors-les-Normes, la "VeBHN", comme ils disent, de faire mieux. Prévue pour s'exposer en 27 lieux (tout de même), cette Biennale qui fête ses dix ans donc a réussi cette année à monter quelques intéressantes exhibitions qui nécessitent que je m'en fasse l'écho (l'expo de la galerie Dettinger sur quatre créateurs marocains découverts à Tanger que j'ai chroniquée il y a quelques jours se tient parallèlement à cette BHN, sans faire partie pour autant de son programme). J'ai relevé notamment dans ce programme-dépliant, par exemple, au 5 rue Bonald dans le 7e ardt, la galerie Korova Art Cubby Hall qui montrait des Jaber (voir ci-contre ; en allant dans l'arrière boutique de ce petit local au nom grandiloquent on pouvait aussi découvrir des affiches peintes du Ghana, et des Tokoudagba (une mami wata, ai-je rêvé? Je suis passé en effet très vite, comme au pas de charge en compagnie d'amis pressés)).

jaber-monalisait.jpg Juste à côté, dans une boutique de tatoueur, intitulée -manie de l'invasion de notre pays par les mots anglo-saxons- "In my brain" (18 rue Bonald), se tenait une autre exposition où une artiste répondant au doux nom d'"Aup'titbazar", en réalité de son autre nom Alice Calm, montrait des sous-verres remplis de cheveux dessinant de folles arabesques, parfois empesées d'on ne savait trop quelle poisse blanche...

 

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Alice Calm, sous-verre où dansent des cheveux (pas eu le temps de demander si l'œuvre avait un titre, une date...), galerie "In my brain", Lyon 7e ardt, photo Bruno Montpied

    Je n'ai pas vu la "sélection BHN" où exposait entre autres l'ami Jean Branciard à l'Université Lyon 2 Campus du Rhône (quai Claude Bernard Lyon 7e), mais je fais confiance à Branciard pour avoir amené de ses esquifs et autres assemblages brinqueballants toujours aussi captivants. Pas vu non plus au Musée des Moulages, cours Gambetta dans le 3e ardt, l'expo "Trouble pictural" consacrée aux protégés français et belges de la Pommeraie (Maurice Brunswick, Michel Dave, Paul Duhem, Alexis Lippstreu, Jacques Trovic, Jean-Michel Wuilbeaux, entre autres), mais je fais confiance là aussi à cet atelier le plus connu d'Europe pour ses créateurs inventifs malgré leurs différents handicaps. 5e bhn,art brut américain,christopher simmons,alice calm,jaber,la pommeraie,jean branciard

    Parmi les autres lieux, devaient certainement être intéressants "le singulier boudoir" installé à la mairie de Lyon 3e ardt avec des œuvres de Marilena Pelosi, Evelyne Postic, Joël Lorand, Jo Guichou, Paul Amar, etc. qui avaient été prêtées par l'association Bab'Art venue du Gard, ainsi qu'à la MAPRA, dans le 1er ardt, l'expo "American folk art" montée par la revue Gazogène et Jean-Michel Chesné qui ont tiré un numéro spécial à ce sujet (le n°35 de la revue), les œuvres présentées paraissant avoir été prêtées par Chesné.

      Par contre, j'ai perdu beaucoup de temps à dénicher une autre petite exposition perdue dans le hall de l'Ecole Normale Supérieure située au métro Debourg (dans le 7e ardt encore). Alain Dettinger m'en avait dit le plus grand bien, à cause de la présence parmi les trois exposants d'un certain Christopher Simmons, créateur qu'il avait cotoyé en Australie dans les années 80, et qui dessinait de façon primesautière sur des serviettes en papier à l'exclusion de tout autre support. Cette ENS laissait voir plusieurs de ses dessins effectivement attachants et remarquables, dessins qui avaient été prêtés par Alain Dettinger. Je me suis laissé dire que ce Simmons a peut-être des dessins conservés à Lausanne, est-ce vrai ? (A vérifier). La quête fut longue, mais la découverte payante. A signaler que cette expo-là, intitulée "Encrés dans l'invisible", se termine le 19 octobre. Enfin, saluons le fait que toutes les expos de cette Biennale étaient, et sont, libres d'accès. En ces temps où certains musées et autres Outsider Art Fair font payer leurs entrées à des prix astronomiques anti démocratiques (révélateurs du public auquel on destine désormais l'art brut par une odieuse captation d'héritage), c'est à marquer d'une pierre blanche...

 

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Christopher Simmons, autoportrait à la coupe en brosse, env. 18x18 cm, 1980, coll. Galerie Alain Dettinger

 

06/10/2013

Yves-Jules Fleuri refait l'histoire de l'art

      Il faut tout de même que je dise où et pourquoi j'ai choisi cette peinture du Caravage modifiée par Yves-Jules Fleuri de l'Atelier Campagn'Art que j'ai proposée à en énigme voici quelques jours. En commençant par la restituer telle qu'elle est mise en ligne sur le site de la Galerie du Marché à Lausanne (je l'avais en effet un peu maquillée dans ma première note de façon à ne pas laisser traîner trop d'indices, j'espère que le directeur de la galerie, Jean-David Mermod ne m'en tiendra pas rigueur...).

 

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Le Caravage, Judith décapitant Holopherne et sa version Fleuri au-dessus.


     C'est en effet dans cette galerie que, suite à une demande de son directeur, Fleuri présente actuellement une série de peintures toutes démarquées de chefs-d'œuvres de l'histoire de l'art. "L’atelier dans lequel il travaille possède des photographies de tableaux de peintres célèbres qu’il copie depuis quelques temps avec son style inimitable. Fort de cette information je lui fis parvenir, fin 2011, un choix d’une centaine de reproductions de tableaux célèbres du XIVème au XXème  siècle. Il en a choisi trente cinq pour en réaliser une interprétation" (Jean-David Mermod).

 

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Anonyme (Ecole de Fontainebleau, vers 1594), Gabrielle d'Estrées et sa soeur ; au-dessus le même, recuisiné par Yves-Jules

 

      Plusieurs maîtres sont ainsi passés à la moulinette, un peu, doit-on dire, à la façon dont un autre créateur handicapé, Alexis Lippstreu, travaillant dans le foyer de la Pommeraie, toujours en Belgique, modifie, depuis plus longtemps que Fleuri je pense, tel ou tel chef d'œuvre de Gauguin ou Girodet.

 

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Un tableau "métaphysique" revu par Yves-Jules... 

Yves-Jules Fleuri, "Mon musée à moi", Galerie du Marché, 1, escaliers du Marché, Lausanne, du 3 octobre au 9 novembre.

05/10/2013

Sur Ali Maimoun

    Je suis resté un peu circonspect je dois dire, dans le récit du citoyen Darnish –et c'est le seul bémol que j'ai à y apporter, tant cette relation, comme dit l'Aigre, m'a paru à moi aussi excellente, et salutaire quant aux créateurs oubliés d'Essaouira dont j'attendais des nouvelles depuis des années– je suis resté circonspect devant les peintures-découpures d'Ali Maimoun que l'on voit autour de lui sur la photo de Samantha Richard. Son art a bien changé, et pas forcément en mieux, selon mon goût bien sûr, depuis la peinture qui fut exposée au Musée de la Création Franche en 1997 et que je mets en ligne ici pour permettre à mes lecteurs de juger sur pièces.

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Ali Maimoun, vers 1997, collection permanente du Musée de la Création Franche, ph. Bruno Montpied

   Et pour donner un autre exemple de ce que peint Maimoun aujourd'hui, voici une autre photo de Samantha Richard faite à Essaouira cet été. Le tableau me paraît nettement plus "décoratif", qu'en pensez-vous?

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Ali Maimoun, 2013, photo Samantha Richard



03/10/2013

Essaouira, les "malfaisants" résistent encore! Un récit de Darnish et Samantha Richard

Rencontre avec des artistes Souiris

(juillet 2013)

          « Une écurie de canassons analphabètes » écrivait dans une sorte de manifeste le 22 Février 1999 Houssein Miloudi, le peintre établi d’Essaouira, à propos des artistes autodidactes réunis dès la fin des années 80 autour de la figure de Fréderic Damgaard et de sa galerie.

          « L’histoire les a broyés »,  «ces malfaisants n’ont laissé aucune trace » acquiesçait Abdelwahab Meddeb, ces derniers propos ayant été tenus dans l’émission « Culture d’Islam » consacrée à Houssein Miloudi sur l’antenne de France Culture cette année.

          Qu’en est-il vraiment ? Avec Samantha, nous nous sommes rendus à Essaouira cet été, en plein ramadan. Après un voyage en bus depuis Marrakech, nous voici arrivés dans cette cité au bord de l’océan où la température, bien plus fraîche qu’au nord nous a tout de suite permis de prendre un salutaire bol d’air.

          En rejoignant notre premier point de chute, nous sommes passés devant «l’atelier Damgaard» où sur les murs extérieurs étaient présentées des œuvres de Mustapha Asmah (voir ci-contre photo de Samantha Richard). Ces visages aux grands yeux, aperçus furtivement, nos sacs pesant sur l’épaule, paraissaient nous saluer, le pied à peine posé dans la ville… Bon présage.art brut,créateurs autodidactes d'essaouira,essaouira,ali maimoun,darnish

          Ce n’est que le lendemain que, reposés, nous sommes revenus sur nos pas et avons pu admirer les œuvres exposées dans l’atelier Damgaard (atelier d’encadrement et annexe de la galerie) et la galerie située à une cinquantaine de mètres. Dans ces lieux, de nombreuses œuvres se côtoient, ne laissant que peu d’espace vide sur les murs. Ainsi Maimoun voisine avec El Hadar, Sanana, Tazarine, Ouarzaz, Babahoum, Asmah et d’autres encore. L’accrochage est un peu confus mais les œuvres s’imposent à notre regard, on découvre…

 

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Azedine Sanana, Galerie Damgaard, ph. Samantha Richard, 2013

 

         Le type qui tient la galerie nous explique que Frédéric Damgaard  s’est retiré de l’affaire et que la galerie, même si elle porte toujours le même nom, appartient désormais à un couple de nationalité belge. Ce couple nous a-t-on dit par ailleurs l’a achetée comme on achète une paire de chaussures. Entendons par là qu’il n’a ni l’envie ni l’énergie de faire connaitre ces artistes et que du coup la galerie vivote, quelques touristes s’y aventurent, pas grand monde.

          Nous avons essayé d’entrer en contact avec les artistes par le biais du type qui tient la galerie mais ces essais se sont avérés infructueux. En arpentant la ville nous avons bien trouvé quelques espaces d’expositions tenus par les artistes eux-mêmes mais les œuvres proposées nous semblaient un plagiat, une sorte de copie de ce qui se trouvait chez Damgaard. Pas de quoi fouetter un chat.

          C’est donc l’âme en peine que les jours passant, nous nous faisions à l’idée de retourner en France, n’ayant pas rencontré un seul de ces créateurs extraordinaires.

          La providence a voulu que les choses se déroulent autrement. En effet, depuis le balcon de notre second point de chute, l’hôtel Beaurivage (hôtel au charme suranné), nous avions remarqué l’ouverture d’un "complexe commercial", en fait un local où se trouvaient des vendeurs d’huile d’argan et autres produits locaux. C’est en jetant un rapide coup d’œil à l’intérieur que nous avons aperçu, au fond du local, une peinture majestueuse qui, malgré la distance, était manifestement de la main d’Ali Maimoun. En effet un petit espace bien discret, derrière des tapis, était dédié à la peinture et pas n’importe quelle peinture puisqu’au mur il y avait Ali Maimoun père et fils, Mustapha Asmah et Abid El Gaouzy, lui-même présent sur les lieux.

 

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Atelier de Mustapha Asmah, ph. SR, 2013


          On peut dire qu’avec Abid El Gaouzy le contact est tout de suite passé malgré la barrière de la langue. Il nous a expliqué l’aventure Damgaard et le besoin pour les artistes de se prendre dorénavant en mains. Pour ce faire, il a créé une association, « Jamaia Alouan Naouras Fitria », que l’on peut difficilement traduire (cela donnerait à peu près « l’Association des  Couleurs des Mouettes Naïves »). Pourtant ni les mouettes ni les couleurs ne sont naïves, cela aurait plutôt à voir avec les déjections de ces volatiles omniprésents à Essaouira et leur faculté de vous repeindre un vêtement en volant au-dessus de vos têtes… Abid El Gaouzy est le président et le moteur de l’association. Autour d’un café à la terrasse du Café de France, rythmé par la rude fumée des cigarettes Marquise, nous avons discuté peinture, matériel utilisé, précarité des artistes et acharnement à peindre encore et toujours. Le lendemain, un rendez-vous fut fixé à 11h du matin pour visiter quelques ateliers dans un quartier périphérique.

          C’est donc à 11h que nous avons retrouvé Abid El Gaouzy pour prendre un taxi et nous rendre au « Quartier Industriel ». On y retrouva Abdulah El Moumni le secrétaire de l’association qui parle très bien français et qui se proposait de faire l’interprète. Il est le seul membre non artiste de l’association. Ce quartier au nom si peu poétique est en fait un ensemble de masures faites de bric et de broc où des biffins étalent leurs pauvres marchandises qui vont de la chaussure unique à la bouteille de soda vide en passant par la chaise à 3 pieds… Le bois, principal matériau de construction de ce quartier, est devenu gris sous l’assaut des embruns et du vent chargé de sable de cette région. Impressionnés, nous pénétrâmes dans ce bidonville totalement anarchique pour arriver devant l’atelier de Mustapha Asmah.

          Il était là avec sa Femme Najia,  sachant que nous venions. Devant l’atelier une pancarte indiquait sa présence. Quiconque connaissant ce lieu peut lui rendre visite, le dimanche plutôt, pour y acquérir une peinture. Et quelle peinture!  Mustapha Asmah peint beaucoup et son atelier est rempli d’œuvres qui font de cet endroit un quasi « environnement ».

          Il y a des toiles, des peintures sur bois, des assemblages, des sculptures en pierre récupérées sur la plage et taillées avec des outils de sa confection, des instruments de musique à cordes entièrement réalisés par ses soins et agrémentés de ses petits personnages aux grands yeux expressifs. Nous n’en croyions pas nos mirettes. A un moment nous devinons un âne représenté sur une peinture et Mustapha Asmah, en mimant des zigzags avec sa main nous dit : « l’âne, le plus grand ingénieur des autoroutes ». Nous comprenons que selon lui, il suffirait  pour décider du tracé d’une route de suivre le chemin que prend l’âne… Nous étions très loin de « l’écurie de canassons analphabètes » évoqué plus haut par ce peintre officiel…

 

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Atelier d'Abdelaziz Baki, ph. SR, 2013

         Puis Abid El Gaouzy nous a amené voir Abdelaziz Baki, un autre membre de l’association, le plus âgé d’entre eux. Ici aussi un écriteau signale qu’il s’agit d’un atelier d’artiste. A l’entrée une fusée-vélo d’enfant bricolée et peinte évoque une pièce de manège sans manège, à moins que le manège soit partout en fin de compte.

 

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Abdelaziz Baki, ph. SR, 2013


          Abdelaziz Baki, ancien électricien,  nous montre sa peinture aux couleurs vives à mi-chemin entre abstraction et figuration. Il peint aussi des bois flottés assemblés qu’il transforme en créatures imaginaires, souvent des dinosaures. Il les appelle ses totems. Comme Mustapha Asmah, une grande sérénité émanait d’Abdelaziz Baki. Une fois de plus, nous ne pouvions en croire nos yeux.

 

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Abdelghani Ben Ali, ph.SR, 2013


          Puis à quelques mètres de là, nous allons voir Abdelghani Ben Ali. Moins serein que ses confrères, plus tourmenté par une vie difficile où décès traumatisants ont côtoyé de graves difficultés financières (ancien pêcheur, son bateau a fait naufrage), Abdelghani Ben Ali s’exprime par une peinture fort différente des autres. Chez lui la nudité s’expose, des ânes copulent, les couleurs sont moins vives, tandis qu’une grande force se dégage de ses créations, une force inouïe même. De petits formats très sombres nous plongent dans « quelque chose » que nous n’avons plus l’habitude de voir en France.art brut,créateurs autodidactes d'essaouira,essaouira,ali maimoun,darnish Il y a quelque chose de Goya, je trouve, chez Abdelghani Ben Ali qui nous dit peindre seulement quand l’inspiration lui vient. « Si je veux dire quelque chose, je le dis dans mon tableau », nous confie-t-il avec une certaine gravité.

 

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Abdelghani Ben Ali dans son atelier à côté de certaines de ses oeuvres, et insérée dans la note une autre de ses peintures, ph. SR, 2013 ; je (l'animateur du blog) me demande si ce Ben Ali ne serait pas par hasard le même peintre dont Patricia Allio dans son exposition 'L'art brut à l'ABRI" à Dol-de-Bretagne en 2001 montra au moins deux oeuvres (voir tout de suite ci-dessous)?

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"Ali", deux peintures, provenant d'Essaouira, exposées par Patricia Allio à Dol-de-Bretagne en 2001, le même Ali que rencontrèrent Samantha et Darnish à Essaouira cet été? Photo Bruno Montpied, 2001


          Enfin nous terminâmes notre visite par l’atelier de Mustapha El Hadar, seul à ne pas faire partie de l’association. Franc-tireur envers et contre tout, il continue cependant de travailler avec la galerie Damgaard. Il est surtout connu pour ses dessins à l’encre de Chine ou au « smah » (sorte d’encre à base de crottes de chèvre) sur des peaux marouflées sur bois. Il rehausse ensuite parcimonieusement ses dessins de gouache aux couleurs vives. Dans ses grands formats fourmille un bestiaire halluciné, fascinant. Dans son atelier, une grande œuvre interrompue faute d’encre trône au milieu d’expériences en tout genre. Ici un assemblage d’objets en plastique, ailleurs un collage en trois dimensions. Ce sont des expérimentations réalisées quand une peinture est en train de sécher car Mustapha El Hadar, perpétuellement excité, ne veut pas perdre de temps. Il a aussi fait des installations de land art « brut » à base de morceaux de carrelage disposés sur la plage du quartier industriel sur lesquels il pose des objets mis au rebut comme un vieux téléviseur, une chaise, etc…

 

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Mustapha El Hadar, ph. SR, 2013


          Nous quittâmes cet endroit bouleversés par ce que nous y avions vu, par les rencontres faites. Tout cela nous ramenait à notre situation en France, à notre idée de ce qu’est l’art, idée bien souvent mise à mal par ce que nous voyons en général, par cette mainmise d’un art contemporain si éloigné de la vie, combien même il prétend la signifier, la représenter, la sublimer, y dénoncer ses travers.

          Le soir nous retrouvâmes Abid El Gaouzy qui surveillait l’arrivée d’éventuels clients dans le fameux complexe commercial en sirotant son café à la terrasse du Café de France. L’air était frais et le café moins cher depuis que nous y allions avec Abid. A ce moment il nous annonça qu’Ali Maimoun, au courant de notre présence, allait venir à notre rencontre. Nous ne nous étions pourtant présentés ni comme des acheteurs, ni comme des galeristes, seulement comme deux artistes français désireux de rencontrer des artistes d’Essaouira pour quand même, peut-être, et excusez du peu, rédiger une note sur le Poignard Subtil et ainsi rétablir un pont entre eux et nous, rompre leur isolement.

          Ali Maimoun, monsieur Maimoun comme le dit non sans humour Abid El Gaouzy, arriva donc, venu depuis sa campagne dans les terres sur la route de Marrakech ou il possède une maison et un atelier. Portant une djellaba, un chapeau vissé sur la tête et un paquet de Marlboro à la main, Ali Maimoun a l’allure d’un bluesman. Il nous évoqua lui aussi la période bénie de Frédéric Damgaard. « Un grand monsieur, Fréderic » nous confia-il. Frédéric Damgaard rémunérait généreusement les artistes, ce qui n’est plus le cas avec ses successeurs qui ont petit à petit réduit les billets jusqu’à ce que quelqu’un comme Ali Maimoun ne s’y retrouve plus vu le temps qu’il lui faut pour faire une peinture (parfois deux mois). Quand je dis une peinture, c’est façon de parler, car c’est autant un volume, un bas-relief qu’une peinture. Dans un premier temps il découpe dans du bois des entrelacs de formes abstraites, puis il colle ce découpage sur une planche. Ensuite il passe un enduit de son invention à base de colle et de sciure de bois. Ce n’est qu’à la fin qu’il y dépose ses couleurs si particulières, si harmonieuses. En y regardant de plus près on y voit de petits yeux par ci par là qui nous rappelle que ces formes abstraites au premier coup d’œil, représentent en fait des corps, des créatures enchevêtrées les unes dans les autres comme autant de diables dansants. Depuis quelque temps il initie son fils qui, après avoir en quelque sorte imité son père, semble prendre dorénavant son propre envol.

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Ali Maimoun au milieu de ses oeuvres, ph. SR, 2013

          Nous nous sommes pris en photo bras dessus bras dessous avec Ali Maimoun avant de nous quitter chaleureusement.

 

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Abid El Gaouzy étalant une de ses dernières oeuvres, ph SR, 2013

             Le lendemain, Abid El Gaouzy nous convia, pour un repas d’adieu, dans un appartement qu’on lui prête. Il nous avait préparé un excellent tagine de poisson. Après le repas nous nous rendîmes dans son atelier, un garage prêté lui aussi. Dans ce petit lieu quelques œuvres en cours nous ont interpellés. Abid El Gaouzy cherche encore son style ou plutôt il ne se contente pas d’un style, même si le mot naïf n’est pas exagéré pour définir l’ensemble de ses pratiques. Nous retournâmes ensuite une dernière fois à la terrasse du café où même en ce mois de juillet, un pull en laine n’était pas de trop. Mustapha Asmah nous y rejoignit et c’est avec beaucoup d’émotion que nous les quittâmes sur cette terrasse animée en ce soir de ramadan.

          Ce texte, cette tribune permettront, je l’espère, de contredire l’odieuse affirmation meddebienne que « l’histoire les [aurait] broyés ».

             Darnish et Samantha Richard

            Ps : Bien que ne l’ayant pas rencontré je voudrais aussi parler d’un autre artiste qui habite non loin d’Ali Maimoun, portant le doux nom de Babahoum. Babahoum, très âgé, est sans doute celui qui peut davantage être qualifié de naïf. Sa peinture, souvent constituée de motifs répétés (dromadaires, ânes, personnages, cigognes entre autres) ne souffre d’aucune ambition d’illusion perspectiviste. Les motifs répétés rythment de manière très douce ses formats tous quasiment identiques, tracés sur des cartons de récupération. Il utilise le Bic pour cerner les contours de ses aquarelles aux teintes souvent sableuses. Une grande harmonie naît de son œuvre, et surtout une vie intense. D’après ce que l’on a pu apprendre du personnage, il semble que Babahoum ait fréquenté les hippies dans les années 70 et que sous l’impulsion de ces derniers, il se soit mis à peindre sur les murs des cafés de son village. Puis il s’est occupé d’un pressoir à olive activé par la force d’un dromadaire ce qui peut-être lui a permis de transcrire dans sa peinture cette subtile impression de lenteur, de temps qui défile tranquillement.

 

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Babahoum, ph SR, 2013

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Autre œuvre de Babahoum, ph SR, 2013


 

02/10/2013

Modification mystère, un jeu

     Ce peintre belge dont j'ai déjà parlé ici s'amuse depuis quelque temps à peindre des tableaux d'après les grands maîtres de l'art (c'est à la mode en Belgique). Faisons un petit jeu (non ouvert à ceux qui l'exposent ou qui le connaissent bien, essayons de rester honnêtes...). Un DVD des films de Del Curto et Genoux sur Henriette Zéphyr et Yvonne Robert à gagner à celle ou à celui qui reconnaîtra le grand maître de la peinture qui a été réinterprété dans le tableau ci-dessous...

Tableau à deviner 1.jpg

C'est d'après qui, hein?

Zephir et Robert par Del Curto.jpg

C'est le DVD à gagner...


29/09/2013

Caviardages, la suite

     En voici un beau, évident, facile à réaliser à peu de frais... Rue des Trois Bornes dans le XIe ardt... En effaçant le haut du O...

 

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Paris, XIe ardt, photos Bruno Montpied, 2013


     N'en restons pas là. il me semble que je n'ai pas encore eu l'occasion de glisser cet autre caviardage plus poussé cette fois que m'avait indiqué Régis Gayraud dans sa bonne ville de Clermont-Ferrand:

 

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Une autre sagesse... Rue Ballainvilliers, Clermont-Ferrand, photo BM, 2012

    Bien sûr le caviardage est essentiellement à orientation sexuelle ou scatologique, comme le suivant découvert à Lunas dans l'Hérault, dans une ruelle où l'on peut intervenir furtivement et en toute tranquillité.

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Au départ la rue Font Picotière, à Lunas, ph.BM, 2012

     Parfois cela dérape carrément dans les noms d'oiseaux...

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Ph. Joël Gayraud (merci à lui de nous l'avoir communiquée), 2013? En plus il y a de l'art naïf...

    Ou bien, c'est le hasard du temps qui passe. Les horloges se révoltent malicieusement contre leur concepteur, l'aiguille fait d'un Lepaute un "Le Pute", pas très fixée sur le genre masculin ou féminin pour le plus vieux métier du monde exercé il est vrai par les deux sexes...

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Ph. BM, gare de Capdenac, 2012

     C'est le caviardage par élision de hasard. Le pliage malencontreux d'un tissu imprimé peut ainsi donner des résultats tout aussi désopilants.

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Ph. Thierry Vohl, 2012 (merci à lui) ; que vont en penser les Bourguignons?


    Et les mots à force se mettent à dériver, les caviardages ne tiennent plus trop compte de la sympathie que peuvent inspirer (en tout cas moi je les aime bien) par exemple les pompiers, on ne résiste plus à une petite transformation bénigne qui crée une surprise.

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Rue du Château d'Eau, Paris Xe ardt, ph. BM

     D'autres plus artistes et littéraires, un peu militants aussi, rue Louis Blanc, dans le Xe ardt, inspirés par les beaux caractères Défense d'Afficher, font penser les murs, et même donnent des coups de trompe...rie.

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Ph. BM, 2012

     Enfin, qu'est-ce que vous croyez, moi aussi il m'arrive de m'y exercer quelquefois, et très lâchement bien entendu, je fais ça loin des regards, dans la montagne du côté de la Bourboule (altitude 1436 m), au col joliment nommé de l'Ouïr, en dessous du Puy du même nom.

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Ph. BM, 2011, Auvergne

27/09/2013

Le retour de l'art brut marocain

     Il y a quelques années, certains s'en souviendront, la mode fut un moment à la découverte des artistes dits naïfs d'Essaouira, l'ancienne Mogador au Maroc où fut tourné l'Othello d'Orson Welles et où résidèrent à une époque beaucoup d'artistes et d'écrivains occidentaux (dans les années 70, la ville vit passer Jimmy Hendrix, Cat Stevens et le Living Theater, entre autres). Les autodidactes singuliers paraissaient littéralement y pulluler, certains d'entre eux firent connaître leur nom au delà des frontières du pays, comme Ali Maimoun, Mohamed Tabal, Abdallah Elattrach, Rachid Amarhouch ou Mostapha Assadeddine. Une grande exposition tourna en France en 1999, à Strasbourg, Barbizon, Bourges, La Rochelle, Lyon (galerie des Terreaux), Pézenas, Saint-Etienne et Paris (dans un espace Paul Ricard qui d'après moi maintenant n'existe plus, rue Royale  près de la Concorde, au-dessus du café chez Maxim's). Elle présentait Boujemâa Lakhdar (1941-1989), ancien conservateur du musée des Arts Populaires d'Essaouira et en même temps peintre, comme le pionnier et le doyen des peintres de la ville. Sa peinture était naturellement inspirée des arts et traditions populaires de cette région, il s'intéressait à la magie, aux chants traditionnels, à la sculpture, à l'artisanat et à l'histoire de la ville. Certaines de ses œuvres figurèrent dans la fameuse exposition Les Magiciens de la Terre qui se tint en 1989 au Centre Beaubourg et à la Grande Halle de la Villette, expo où il fut le seul représentant du Maghreb. Il semble qu'il ait été un des grands initiateurs de la peinture autodidacte populaire moderne dans cette ville d'Essaouira, véritable pépinière de peintres singuliers, ressemblant un peu à Haïti et ses nombreux artistes autodidactes.

     Ces créateurs se firent connaître à l'étranger grâce à l'activité dynamique de la galerie Frédéric Damgaard qui les exposa dès le début des années 90. Hélas aujourd'hui, cette galerie semble avoir cessé sa médiation et son entreprise de communication énergique en leur faveur (son propriétaire n'étant apparemment plus en état de la continuer). On n'entend du coup plus parler des "Naïfs" d'Essaouira, qui sont en réalité plus proches de l'art brut. Pourtant récemment, Darnish, de passage au Maroc, a retrouvé certains d'entre eux. Ali Maimoun est toujours actif, et avec d'autres, a fondé une "Association des Couleurs des Mouettes Naïves d'Essaouira" dont le nom plaide assez peu pour leur travail il est vrai (il paraît que le terme marche mieux en arabe) mais qui leur permet de retrouver un peu plus de visibilité, en dépit des lamentables critiques venues de certains intellectuels arabes arcboutés sur leurs privilèges élitistes comme ce peintre académique d'Essaouira nommé Houssein Miloudi qui, selon Darnish, les traita en 1999 dans un de ses textes de "canassons analphabètes", ce que confirma Abdelwahab Meddeb (comme c'est souligné par Darnish dans un récit que je publierai bientôt) en déclarant dans une émission à la gloire de ce Miloudi diffusée il y a peu sur France Culture: "ces malfaisants n’ont laissé aucune trace"...

 


Ahmed Fellah, œuvre reproduite sur le carton d'invitation de la Galerie Dettinger-Mayer

     En attendant que Darnish veuille bien nous faire un reportage sur son voyage, nous pourrons ronger notre frein de façon féconde en allant voir ce que nous ont dénichés deux chercheurs de talent de première, le galeriste Alain Dettinger et sa collaboratrice Fatima-Azzahra Khoubba, qui ont ramené de Tanger quatre créateurs nouveaux, tout aussi autodidactes que ceux d'Essaouira, Ahmed Fellah, Zohra Saïdi, Mohamed Larbi Amarnis et Abdelaziz Hakmoun, vivant dans la médina. Ils vont être exposés dans la Galerie Dettinger-Mayer (4, place Gailleton, dans le 2e ardt de Lyon, tél: 04 72 41 07 80) du samedi 28 septembre au samedi 19 octobre.


Zohra Saïdi, titre non identifié (il semble qu'il s'agisse d'une scène de rue dans la vieille ville de Tanger, avec des collines montagneuses en arrière-plan, un liseré de ciel longeant le bord supérieur du tableau ; les deux têtes à gauche correspondraient aux visages d'enfants curieux de la scène se passant dans la ruelle), ph. Bruno Montpied, expo chez Dettinger 2013

      Je n'ai pas pu voir l'ensemble de l'expo en avant-première, mais j'ai tout de même entraperçu quelques beaux morceaux prometteurs que je vous livre en guise d'avant-goût. Les deux plus étonnants dans cette bande des quatre, à mon humble avis, c'est surtout Zohra Saïdi (qui paraît signer quelquefois Saïda) qu'une rumeur présente comme une nouvelle Chaïbia, et Abdelaziz Hakmoun.


Zohra Saïdi, œuvre (sur papier?), ph.BM, expo chez Dettinger 2013

Abdelaziz Hakmoun, pas de titre identifié, pas de date non plus, ph. BM, expo chez Dettinger 2013

      Etonnantes et fortes images, ne trouvez-vous pas?

    Zohra Saïdi a une façon toute particulière et très libre, en véritable affranchie de la représentation picturale et graphique, de restituer ses observations, sans souci de la ressemblance autre que propre à son ressenti, à sa vision des choses. Ce visage est coulant? Ses pieds ressemblent à des pattes de chameau? Peu importe si cela marche dans la composition, si cela tient et doit être conservé par le peintre. Ce n'est pas une traduction immédiate de la vision, c'est plutôt un jeu avec les couleurs et les formes qui prenant prétexte d'une restitution de paysage extérieur s'affranchit des règles de ressemblance et se déploie dans un accord étroit avec le ressenti immédiat de la créatrice, analogue avec sa façon de vivre le monde au jour le jour. C'est cela que j'entrevois quand je parle d'art de l'immédiat, M. Gayraud.


Abdelaziz Hakmoun, sans titre identifié, ph.BM, expo chez Dettinger 2013

     Abdelaziz Hakmoun est plus sombre, comme plus tourmenté, aimant plonger ses faces de carême (ou de ramadan en l'occurrence) dans un maelström de cercles embrumés et flasques.


Mohamed Larbi Amarnis, une pierre, ph BM, expo chez Dettinger 2013

      Mohamed Larbi Amarnis procède autrement encore, en grand obsédé des formes naturelles des pierres qui le sollicitent fortement. Comme le Français Serge Paillard qui fait de la divination d'après pommes de terre, Amarnis est visionnaire dans le minéral. Il peint une pierre en tentant d'en révéler le mystère. La roche apparaît inexorablement, peinte sur verre, tel un bloc quelque peu abstrait, comme un aérolithe tombé du ciel. Les pierres magiques "lui chuchotent des histoires. La forme de ses pierres le guide dans l'interprétation de rêves prémonitoires. Il voit dans ces formes des messages qu'il dessine avec des plumes de pigeon, en gris métallisé sur des fonds noirs. Plus loin des fleurs fragiles se dressent dans des vases aux formes asymétriques et des chandeliers sans bougies éclairent un pigeon..." (Fatima-Azzahra Khoubba).

17/09/2013

De la lenteur avant toute chose

flyer_de_la_lenteur_DEF.jpg

     L'association ABCD invite l'association Portraits pour une exposition où seront confrontées des œuvres d'art contemporain et des créations faisant partie des collections d'art brut d'ABCD. Il y a pas moins de cinq commissaires d'exposition pour cette association Portraits, tandis que Barbara Saforova reste bravement seule commissaire pour ABCD. "De la lenteur avant toute chose", titre et thème de l'expo qui commence à Montreuil-sous-Bois dans les locaux de la galerie ABCD le 29 septembre et se terminera le 16 novembre, invite à réfléchir si la lenteur des processus créatifs (terme qu'affectionne et creuse une des commissaires de l'expo, doctorante à Paris I et conservatrice au musée Picasso, Emilie Bouvard) ne pourrait être interprétée comme un comportement subversif dans un monde dominé par une consommation effrénée et étourdissante des images:

     "La vitesse est révolutionnaire. Mais la vitesse peut devenir celle, mécanique et aliénante, de la machine, celle de la ville Babylone, industrieuse, faisant et défaisant les modes à un rythme rapide, effréné et superficiel. Dans un monde où l’artiste se voit imposer une productivité toujours plus soutenue, serait-il possible de penser, comme le sociologue Hartmut Rosa dans Accélération : Une critique sociale du temps (2010), que la modernité, à force d’accélérer, pourrait bien faire du surplace ? Il convient ici de s’intéresser à des processus créatifs qui, dans leur lenteur, impliquent une durée subversive par rapport aux injonctions contemporaines de consommation de l’art et des images, sans toutefois s’inscrire dans un anti-modernisme moralisateur" (extrait du dossier de presse de l'exposition).

     Intéressante question qui paraît faire écho à des préoccupations plus anciennes d'un Paul Virilio, si je peux me permettre de citer ici un philosophe que je n'ai jamais lu mais seulement très effleuré, qui plus est en diagonale, aux étalages des librairies... La lenteur du processus créatif, le temps pris à confectionner minutieusement divers travaux sans se préoccuper des contingences extérieures, n'est-ce pas la même chose qui est pointée ici en creux que l'inactualité radicale d'une certaine création, le temps vécu en décalage absolu vis-à-vis du temps du travail, de la consommation, de l'obéissance aux clichés et aux modes? Un éloge de la désobéissance et du grand écart vis-à-vis de la société du spectacle?

Sophie Gaucher ,Sang noir, 2012.jpg     Les commissaires de l'expo en question croient voir un éloge de la lenteur chez des artistes et créateurs qui travaillent avec minutie sans compter leur temps, mais apparemment assez hétéroclites si j'en juge par rapport aux quelques images semées dans le dossier de presse. On  y retrouve la dessinatrice Sophie Gaucher dont j'avais proposé à la sagacité de mes lecteurs les dessins en leur demandant si cela pouvait être de l'art brut. Il paraît que c'est ma note qui aurait donné l'idée à Emilie Bouvard et ses amies de la confronter à des œuvres dites d'art brut, c'est décidément trop d'honneur. Mais je rappellerai ici que mes lecteurs dans leurs commentaires l'identifièrent sans hésiter comme une dessinatrice contemporaine...

     Voici la liste des exposants: ACM, Arnaud Aimé, Anaïs Albar, Clément Bagot, Koumei Bekki, Jérémie Bennequin, Arnaud Bergeret, Gaëlle Chotard, Mamadou Cissé, Florian Cochet, Samuel Coisne, Isabelle Ferreira, Sophie Gaucher, Hodinos, Rieko Koga, Kunizo Matsumoto, Dan Miller, Mari Minato, Edmund Monsiel, Hélène Moreau, Benoît Pype, Daniel Rodriguez Caballero, Chiyuki Sakagami, Ikuyo Sakamoto, Judith Scott, Claire Tabouret, Jeanne Tripier, Najah Zarbout.ACM De la lenteur.jpg

       Je n'en connais pas beaucoup là-dedans, si ce n'est les créateurs d'art brut bien connus, ACM et ses maquettes de ruines rongées faites en agrégat de composants électroniques, Emile Josome Hodinos (qui personnellement me barbe avec ses litanies d'inscriptions et de médailles), Dan Miller (un as du gribouillage, une sorte de Cy Twombly spontané et plus brouillon), Judith Scott (qui avec ses cocons de fils, c'est sûr, était complètement barrée loin de nos préoccupations de grands aliénés de la survie), Edmund Monsiel (prolifération vaporeuse de visages) ou Jeanne Tripier (et ses broderies de bénédictine). Les autres noms ne me disent rien. Tout juste puis-je dire, à regarder les images du dossier de presse que je serais curieux de voir les œuvres de Benoît Pype, avec ses fonds de poche dont il fait des petites sculptures ce qui me rappelle une démarche plutôt dalinienne (de sa grande époque surréaliste, pas celle d'Avida Dollars). Ah si, Mamadou Cissé, je vois ce que c'est, on en a déjà vu à la Fondation Cartier, des villes ultra décoratives vues de haut comme des circuits imprimés filtrés par des lunettes psychédéliques, j'avais assez peu apprécié, je trouvais que cela démarquait en moins bien les maquettes de villes futuristes du congolais Bodys Isek Kingelez précédemment exposées dans la même Fondation Cartier...

 

Benoît pype sculpture de fonds de poche.jpg




12/09/2013

Dirk Geffers au Madmusée de Liège

    Et ça y est, c'est reparti pour une nouvelle brassée d'expositions de "rentrée". Tout le monde a fourbi ses armes, on sort les trouvailles et c'est un festival de découvertes sans doute, des petits nouveaux et des grands anciens, tandis qu'à côté de cela se préparent les expositions qui aident le marché de l'art à se fournir en viande fraîche (il y aura bientôt l'Outsider art fair décentralisé à Paris à l'Hôtel le A près des Champs-Elysées, quartier modeste comme on sait, et parallèlement à l'expo des 25 ans de Gros Vison, pardon Raw Vision, à la Halle Saint-Pierre).

       Le Poignard Subtil, fidèle à ses tropismes, cherche plutôt du côté de ce que l'on ne voit pas forcément tout de suite, ce qui est la vraie façon d'avoir "une longueur d'avance". Et donc, je ne sais si l'on parlera beaucoup ici des Anglo-saxons qui viennent sur notre vieux continent faire augmenter la cote des marchandises esthétiques brutes d'Outre-Manche (même si les Américains ont le chic pour être réactifs avec une remarquable efficacité, le marché a toujours une longueur de retard). Je préfère de loin mettre le projecteur sur des créations discrètes, qui ont de fortes chances de passer inaperçues, parce qu'elles n'ont pas forcément les media de leur côté (ces derniers préférant toujours s'adresser au plus spectaculaire, au sens debordien du terme, au plus couru, au plus ressassé, au plus visible, sans jamais prendre le temps de rechercher la valeur intrinsèque). Par exemple, dans cette note, je pointerai Dirk Geffers, créateur de l'atelier Geyso20 à Braunschweig (c'est entre Hanovre et Berlin au nord de l'Allemagne), qui me paraît produire de magnifiques œuvres où l'écrit se mêle harmonieusement et très librement à l'image comme on s'en convaincra ci-dessous. C'est dans un atelier allemand que cette œuvre est produite, ce qui me confirme dans l'intuition qu'il y a beaucoup de créateurs intéressants en Allemagne (comme me l'avait appris Jean-Louis Faravel qui prospecte souvent par là-bas et a déjà fait pas mal de belles découvertes ; qui saura nous monter une bonne exposition des créateurs handicapés mentaux produisant en Allemagne? Une idée que je lance en l'air...).

 

Dirk Geffers au madmusée sept 13.jpg

Dirk Geffers, Le canard Dräyhta voon Saydte se baigne dans un bassin orange et se fait chasser par le jardinier Schorse Spittel, Madmusée, Liège


     Il est exposé à partir du 14 septembre, jusqu'au 23 novembre, au Madmusée (Parc d'Avroy, 4000 Liège, chez nos voisins belges), en compagnie d'un autre créateur, Fred Bervoets que personnellement j'apprécie moins (je ne me base que sur l'image du carton d'invitation, je m'empresse de le préciser). Sur l'exposition, intitulée "Chronique", voir le dossier de presse.

     

09/09/2013

Chemin faisant, qu'est devenu ce petit musée des années 70 entre Saint-Chinian et Assignan?

         Jacques Lacarrière évoque avec émotion et sympathie, dans cette bible de la randonnée en France qu’est son livre Chemin Faisant, au détour de quelques pages, "prés du hameau de Tudéry, entre Saint-Chinian et le village d’Assignan", un petit musée voué à la poésie naturelle que lui fit visiter un vieillard d’un autre temps (ce temps des ruraux païens se suffisant presque à eux-mêmes, tels qu’ils sont décrits dans les nombreux ouvrages de Raymond Humbert,  fondateur du musée rural des arts populaires de Laduz dans l’Yonne). Un petit paysan d’autrefois que la chasse aux rouges-gorges, dans son pays, révulsait et qui avait accumulé dans un local toutes sortes de vestiges de la création naturelle. Il était aussi guérisseur à l’occasion.

         Voici ce qu’écrit Lacarrière, entre autres :

         « Devant la maison, sous la treille, je découvre tout un amoncellement de pierres aux formes étranges, de fossiles, un petit reposoir abritant une Vierge faite de calcaires coralliens, portant les empreintes étoilées de polypiers et madrépores fossiles. A côté, une sculpture faite, elle aussi, de ces pierres ouvragées par l’eau, simplement empilées et liées par un léger mortier. Elle représente un homme en marche tenant un chien en laisse. (…) Il y a là des minéraux, (…) des racines aux formes de mandragores, des coquillages, des pierres colorées. Avec certaines, il a construit de petites figurines, dressé des personnages gnomiques ou féeriques, esquissé des scènes rudimentaires, tout un théâtre de bois, de nacre, de coraux, de paysages imaginaires. Le plus curieux, c’est que ce paysan autodidacte n’a rien lu, ne sait rien de précis sur tout ce qu’il possède. Chaque fois que quelqu’un vient, il le questionne, lui demande son avis, l’interroge sur l’origine de tel ou tel objet. Ainsi s’est formé son savoir : en parlant avec des inconnus. »

         Je ne sais s’il reste aujourd’hui, trente-six ans plus tard, quelque vestige de ce musée. Avis aux chercheurs, si vous passez par ici, n'hésitez pas à laisser quelque commentaire…

Bibliographie : Jacques Lacarrière, Chemin Faisant, mille kilomètres à pied à travers la France, éd. Payot, 1992 (Edition originale 1977, éd. Arthème Fayard) ; mille mercis à Cosmo Helectra qui m’a rappelé ce passage de Lacarrière et qui me signalait ces jours-ci que je pourrais en reparler ici, dans le prolongement de ma note évoquant le musée d'art naïf de Flayosc. Dont acte.

07/09/2013

Pas envie de rire...

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Ph. B.Montpied, Isère, 2013

     Z'auriez envie d'aller rigoler "exceptionnellement" avec ces deux-là? Moi, j'ai résisté, et finalement, j'ai préféré aller noyer mon chagrin dans l'alcool. C'est que ces deux faces de looser avaient de quoi plomber le plus tonique d'entre nous.

06/09/2013

Un souvenir du musée d'art naïf de Flayosc (Var)

     Nous sommes quelques-uns (assez peu tout de même il me semble) à recueillir les cartes postales relatives aux arts populaires, surtout relatives aux environnements spontanés. Dans le flot de ce que le hasard me propose, il arrive que certaine image me tire l’œil de façon imprévue.

 

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Musée d'art naïf de Flayosc, le Musée et ses animateurs, photo Paul Teulade, 1973

 

       Ces trois personnes revenues de l'année 1973, il y a exactement quarante années donc, posent avec chacune un tableau d'artiste naïf entre les mains. Ce sont des œuvres intéressantes qui plus est. Je n'en reconnais qu'une, facile à identifier, un Van Der Steen, l'homme qui peignait des chats tout à fait exubérants et colorés. A droite, le tableau avec ses nonnes au bain (semble-t-il) est tout à fait insolite aussi. Et le plus petit n'a pas l'air mal non plus. Je n'ai pas connu ce musée d'art naïf de Flayosc qui ne semble pas avoir duré bien longtemps. Il était probablement abrité dans la demeure blanche que l'on voit à l'arrière-plan de la carte postale, du moins on l'imagine. Du coup, ce musée fait figure de petit musée idéal dans sa vocation de défendre un art naïf non mièvre. Dommage que cela n'ait pas duré...

flayosc,musée d'art naïf de flayosc,musées d'art naïf,frédéric altmann,ermite de rothéneuf,abbé fouré,habitants-paysagistes naïfs,van der steen       L'homme aux imposantes côtelettes et bacchantes qui tient le Van Der Steen, je le reconnais. Ce doit être à l'évidence Frédéric Altmann qui animait ce musée à l'époque, et qui se fit connaître par la suite dans le milieu des amateurs d'art brut et d'habitants-paysagistes populaires en publiant le livre La vérité sur l'abbé Fouéré, "l'Ermite de Rothéneuf" aux éditions AM en 1985 à Nice, où il rétablissait que ce dernier ermite n'avait pas représenté une légende de corsaires dans ses rochers sculptés mais toute une tripotée de personnages divers, des types de son pays, des célébrités historiques, des héros de légende, etc. Frédéric Altmann à ces époques se passionnait en effet pour l'art naïf, avec la complicité parallèle d'Anatole Jakovsky, le célèbre critique et collectionneur d'art naïf. Hélas, cette complicité vola en éclats lorsque Jakovsky légua sa collection à la ville de Nice qui lui consacra un musée international sur les hauteurs des collines niçoises. Altmann qui avait rêvé d'en devenir le conservateur en fut pour ses frais et prit en grippe Anatole, ce qui le poussa à écrire son livre sur Fouré qui remettait en cause un certain nombre d'approximations de Jakovsky sur Fouré (publiées dans son livre paru chez Encre en 1979, Les mystérieux rochers de Rothéneuf). Par la suite, cette déception conduisit Altmann vers d'autres rivages intellectuels, puisqu'aux dernières nouvelles il s'est tourné vers l'art contemporain, toujours dans la région niçoise.

 

flayosc,musée d'art naïf de flayosc,musées d'art naïf,frédéric altmann,ermite de rothéneuf,abbé fouré,habitants-paysagistes naïfs,van der steen,boris bojnev,martine doytier,ozenda     Le verso de la carte précise qu'en cette année 1973 le musée présentait une "exposition vente des œuvres de", entre autres, "Doytier (Martine), Ozenda, Bojnev, Van der Steen", etc., pour ne citer que les noms connus de moi. Mais on serait curieux de savoir ce que sont devenues les œuvres des autres créateurs en vente, comme du reste les œuvres qui faisaient partie de la collection permanente du musée. Boris Bojnev, j'en ai parlé à plusieurs reprises, surtout sur papier¹. Depuis l'expo de 1978 à Paris, "Les Singuliers de l'Art", son nom et ses tableaux, qu'il appelait des "auras", tableautins naïfs récupérés en brocante et illuminés par lui avec des matériaux divers placés en encadrement des tableautins, ont circulé plus d'une fois chez les amateurs d'art populaire, naïf ou brut, la galerie Chave notamment à Vence lui ayant consacré plus d'une expo et plus d'un catalogue.

 

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Ce musée d'art naïf de Flayosc édita-t-il beaucoup de catalogues? A part celui-ci sur "le monde étrange de Boris Bojnev" dont je n'ai qu'une pauvre photocopie, je n'en ai jamais vu d'autres... Mais je suis sûr que l'on va venir m'aider à compléter cette information déficiente.

 

     On retrouve dans les trois noms que j'ai relevés au verso de cette carte, "Doytier" également. il s'agit à l'évidence de Martine Doytier. J'ai déjà eu l'occasion de mentionner cette artiste dans une note sur l'expo consacrée au Facteur Cheval au Musée de la Poste en juin 2007. C'était une peintre remarquable apparemment, totalement oubliée, hormis de quelques personnes dans la région niçoise semble-t-il. Elle disparut en 1984, et ce départ trop tôt survenu est sans doute cause de son occultation.

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¹ Voir Bruno Montpied "Boris Bojnev. L’Art pour l’Art", Artension n°4, Rouen, juin 1988 (Ce texte voisinait avec un autre, également sur Boris Bojnev, qui était dû à la plume de Régis Gayraud, qui éclairait le parcours russe de Bojnev ; les deux articles constituaient un mini dossier initié par mes soins sur Boris Bojnev, poète à l'origine, qui, retiré en Provence, avait auparavant côtoyé les avant-gardes à Paris, et s'était pris de passion, une fois devenu provençal, pour la peinture naïve qu'il qualifiait d'"archangélique").

31/08/2013

Poésie en plein ciel (les épis de faîtage de la Creuse et autres créations populaires de plein vent)

     Jusqu'au 22 septembre prochain, continue de se tenir l'exposition "Entre Terre et Ciel, les Epis de Faîtage en Creuse" à La Tuilerie de Pouligny (écomusée), en Limousin.

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     C'est Mme Andrée Clavaud qui paraît être l'inspiratrice souterraine de ce rassemblement basé sans doute sur sa collection, ses archives photographiques et autres. Elle avait déjà eu l'occasion de présenter une partie de ses collections dans un numéro ancien (le n°8 de juin 2004) du bulletin des Maçons de la Creuse,andrée clavaud,tuilerie de pouligny,épis de faîtage,art populaire insolite,poterie populaire bulletin qui par ailleurs délivre régulièrement d'autres livraisons qui parlent de la créativité populaire en Creuse et au delà (voir par exemple ma note récente dans son n°15 sur les environnements populaires avant le Facteur Cheval et sur le petit musée de René Montégudet à Lépinas, articles rédigés par mézigue)¹.

 

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Un gendarme perché sur un faîtage


     Dans la balade proposée dans cet écomusée (dirigé par Pierre Veysseix), on prendra note entre autres de la reconnaissance affichée par les concepteurs de l'exposition à un potier de Mortroux dont on a gardé le nom, Henri Renty, créateur d'épis de faîtage anthropomorphes aux faciès et aux attitudes humoristiques et naïves. Andrée Clavaud dans son article du Bulletin des Maçons de la Creuse, de son côté, désignait amusée diverses représentations masculines pourvues sans fard de leurs membres virils et plantées au sommet de quelques maisons creusoises (voir ci-contre).andrée clavaud,tuilerie de pouligny,épis de faîtage,art populaire insolite,poterie populaire

        Mais sans focaliser outre mesure sur ces figurations humaines, on peut aussi admirer la poésie de ces épis outrepassant largement leur fonction originelle (ils étaient "placés sur le poinçon du faîte des toitures pour en garantir l'étanchéité", nous susurre un commentaire technique) en montrant par exemple des empilements de fruits, comme dans l'image ci-contre,andrée clavaud,tuilerie de pouligny,épis de faîtage,art populaire insolite,poterie populaire devenus sculptures ou architectures baroques en plein ciel, incongrues sur le toit des maisons françaises, presque arcimboldesques, ouvrant l'esprit à d'autres perspectives quant au style de décors que l'on peut souhaiter pour son habitat. Ces fabricants d'épis de faîtage étaient des anti-fonctionnalistes avant la lettre.

 

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Edition Lieux Dits

     On aura tout intérêt à prolonger la recherche de cette poésie de plein vent en allant compulser l'instructif catalogue, Compagnons Célestes, qui accompagnait une autre exposition plus ancienne, intitulée "Compagnons célestes, épis de faîtage, girouettes, ornements de toiture", organisée à l'écomusée de Rennes du 10 avril 2010 au 3 juillet 2011. Si cet ouvrage est souvent très disert sur les techniques de couverture, et autres installations d'épis de faîtage en zinc, plomb ou terre cuite, dans un langage malgré tout accessible et clair, on découvre cependant au fil de ses pages toutes sortes de surprises. Les pièces photographiées sont essentiellement localisées en Bretagne, certaines provenant de collections publiques comme celle du musée du Vieux Château à Laval qui possède de fort belles girouettes peintes, rarement montrées faute de place (quelques-unes sont visibles dans ce catalogue). Un collectionneur privé, par ailleurs ancien couvreur, Yves Bellenger-Rouault, a aussi accepté de laisser photographier certaines de ses magnifiques trouvailles récupérées avant qu'elles soient jetées aux orties, semble-t-il. Voir par exemple "l'Allégorie de la Justice" en plomb ci-dessous particulièrement étonnante, en provenance d'un château de la région de Vitré:

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Ph. Norbert Lambart, Service de l'Inventaire du patrimoine culturel, Région Bretagne

 

    Le catalogue montre beaucoup d'épis de faîtage bien sûr, dont certains tout à fait inattendus (par exemple la Tour Eiffel ci contre installée sur le faîtage d'une maison de Plerguer en Ille-et-Vilaine qui relève presque de la catégorie des décors d'environnements populaires ; photo Norbert Lambart),andrée clavaud,tuilerie de pouligny,épis de faîtage,art populaire insolite,poterie populaire mais aussi d'autres décors de toiture que l'on connaît infiniment moins (si j'en excepte mon érudit ami Régis Gayraud qui avait attiré mon attention il y a peu sur ce genre de décor extrêmement original), j'ai nommé les lignolets.

 

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Lignolet sur un toit de maison à Le Mendy (hameau des Monts-d'Arrée), voir Glad, "le portail des patrimoines de Bretagne"

    Connaissiez-vous les lignolets? Personnellement, je n'en avais jamais entendu parler jusqu'à une date récente. Ce sont de petites découpures faites dans les ardoises au faîte de quelques rares maisons en Bretagne. Cela donne des frises qui doivent être très surprenantes quand on ne s'attend pas à voir à cet endroit des images en silhouettes noires se découpant sur le fond du ciel, à la limite de l'hallucination...andrée clavaud,tuilerie de pouligny,épis de faîtage,art populaire insolite,poterie populaire Surtout qu'elles sont petites apparemment, et, généralement placées en hauteur, donc peut-être difficiles à détailler précisément. Les sujets ont l'air assez variés, des cortèges d'animaux, des blasons, des cavaliers, des scènes de chasse... Bref, une technique de décor narratif en plein ciel tout à fait originale, et inattendue. N'est-ce pas?

Ci-contre quelques images de lignolets tirées du catalogue "Compagnons célestes"...



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¹ Pour obtenir ces bulletins il faut écrire à: "Les Maçons de la Creuse", 2, Petite Rue du Clocher, 23500, Felletin. Tél 05 55 66 90 81 ou 05 55 66 86 37.

27/08/2013

Une découverte stupéfiante de Remy Ricordeau à Taïwan

     Je viens de faire une stupéfiante découverte, qui fera efficacement écho au complément que je vous avais adressé et que vous aviez inséré dans votre note du 16 mars 2010 consacrée au peintre taïwanais Hung Tung.

 

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Photo Steve Barringer


    Au centre de Taïwan, dans la périphérie de la ville de T. et plus précisément dans un ancien quartier militaire réservé aux soldats qui avaient accompagné Chang Kai Shek lors de sa fuite sur l’île en 1949 (à l’issue de la guerre civile chinoise), on peut voir d’étranges fresques murales pour le moins bariolées représentant dans un joyeux désordre, personnages, animaux et ornements floraux du plus bel effet. Les formes représentées et plus encore les couleurs de cette production baroque font d’abord bien sûr penser à l’œuvre de Hung Tung et comme pour celui-ci, tout au moins en ce qui me concerne, à l’influence de l’art traditionnel aborigène. Pourtant à l’instar de Hung Tung, son créateur n’a aucune origine aborigène. D’autant moins peut être que H. Y-F., ainsi le nommerai-je, est un Chinois originaire du continent, contrairement à Hung Tung qui lui, était natif de l’île.

 

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Ph. SB


      Né dans un milieu fort modeste de Koolong, un des quartiers de Hong Kong à la fin des années 20, il se retrouve pris dans la tourmente de la guerre civile enrôlé dans l’armée nationaliste du Kuomingtang. Il échoue donc très jeune à Taïwan où il passera la plus grande partie de sa vie dans divers quartiers militaires réservés. Peut être faut-il préciser que de nombreux quartiers de ce type avaient été construits à la hâte pour héberger dès 45 (année de la restitution de Taïwan à la Chine) les nombreux  soldats de l’armée nationaliste. Avec le temps la plupart de ces quartiers ont été détruits et ses résidents relogés. Seuls quelques-uns subsistent, dont celui de T. dans lequel réside H. Y-F.

     A la fin de la première décade du siècle, ayant dépassé allègrement ses 80 ans, pour remédier à la grisaille de son environnement autant que pour passer le temps, celui-ci se mit à décorer l’extérieur de sa maison de quelques fresques représentant des personnages de la télévision (acteurs ou présentateurs), des animaux ou des végétaux stylisés. Il se mit également à agrémenter ses dessins de sentences naïves exaltant la paix, le bonheur et le remerciement aux dieux (il semble qu’il soit autant bouddhiste que taoïste, comme la plupart des Taïwanais). Encouragé par ses voisins, ceux-ci l’invitèrent à poursuivre sa création sur les murs de leurs propres maisons pour donner une cohérence à l’ensemble. Il se mit alors à peindre également le sol comme pour occuper totalement l’espace.

 

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Ph SB


      La cité était condamnée à la destruction prochaine lorsque des jeunes étudiants de l’université voisine découvrirent ce décor surprenant. L’information circulant et la superstition chinoise faisant le reste, le quartier devint rapidement une destination de prédilection, entre autres pour les jeunes mariés et autres aspirants au bonheur. Une pétition fut lancée pour sauver le lieu des appétits des promoteurs qui semble avoir été entendue puisque le maire de la ville s’est engagé à en assurer la préservation¹. Selon mes informations, à ce jour H. Y-F serait toujours vivant et, encouragé par son succès, continuerait son œuvre. Il semble qu’il se soit également mis à peindre des tableaux. Pourtant cette reconnaissance ne lui a pas apporté la fortune : à côté de sa boîte aux lettres il a pris soin d’installer une tirelire pour solliciter les dons afin de pouvoir continuer à s’acheter la peinture nécessaire.

 

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Ph. Todd Alperovitz

     Taïwan et plus généralement l’Asie sont encore en grande partie terra incognita pour ce qui concerne l’art brut. Je suis persuadé que tout reste encore à découvrir. Inutile de dire que suite à cette découverte, je compte bien m’y rendre prochainement...

Remy Ricordeau

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¹ Selon des informations datant de 2010.

 

 

22/08/2013

Art brut inconnu ou dessin automatique: qui était Philippe Bat?

     C'est Alain Dettinger, l'excellent galeriste de la Place Gailleton de la Presqu'Île à Lyon qui m'a mis sous les yeux le dessin minutieux suivant:

 

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Philippe Bat, dessin sans titre, 1976, coll. privée, Paris


        Signé "Philippe Bat" et daté du "23-3-76", ce dessin porte une autre inscription au verso de son cadre: "CH Le Vinatier. Exposition du 16-5-76, 95, bd Pinel, Lyon". Avec le cadre, l'ensemble mesure 36,5 x 30 cm. Le dessin seul, 22,5 x 17 cm.

          Apparemment, ce dessin fut donc exposé, et vendu puisqu'il s'est retrouvé récemment sur une brocante. Philippe Bat, est-ce que cela dirait quelque chose à un de mes lecteurs? A moi, et à Alain Dettinger, cela ne dit rien. Il semblerait seulement que des productions de pensionnaires du Centre Hospitalier du Vinatier soient rares dans ces années-là. Ce qui est plutôt curieux, quand on sait que les œuvres d'aliénés ont été souvent conservées soit dans les archives des hôpitaux dans les dossiers médicaux, soit dans les collections de psychiatres divers. Le Centre d'Etude de l'Expression à l'Hôpital Saint-Anne à Paris conserve ainsi une riche collection de productions d'art plastique venues d'un peu partout dans le monde suite à la grande exposition de 1950 dans cet hôpital sur ce qu'on appelait alors "l'art psychopathologique".

        Ce dessin est très finement exécuté, aux limites de la visibilité par endroits, avec beaucoup de soin et de sensibilité. Je ne sais rien du pigment utilisé, peut-être de l'encre de couleur. Il me semble que sa composition s'est réalisée de façon automatique, au hasard, en fonction des impulsions de la main et des orientations évolutives du cerveau. On peut y deviner comme une tête de profil, la partie circulaire en haut, tracée telle une ébauche de tourbillon, figurant peut-être un œil, la partie un peu étranglée du bas ressemblant à un cou. C'est comme un nez en trompette qui s'esquisse à droite, avec de fines lèvres esquissées juste en dessous. De même, il semble que l'on puisse deviner à gauche une oreille. Mais si l'on peut imaginer que l'on voit là une tête de profil, on peut aussi noter à quel point elle paraît se dégager d'une valse de points, de stries et de hachures apparentant la composition à une sorte d'efflorescence végétale ou arboricole.

     A regretter que ce Philippe Bat ne nous ait pas laissé d'autres témoignages de cette inspiration hautement raffinée. Définitivement?

19/08/2013

Elixirs et poudres de perlimpinpin bizarroïdes...

    En cheminant buissonnièrement à travers le maquis d'internet, je suis tombé sur ces fioles alignées sur le rayon d'un quelconque musée de l'apothicairerie à Beaune (Côte-d'Or).

 

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   Ne dirait-on pas que quelque sorcier secret s'est blotti au fond d'une boutique d'apothicaire du temps jadis pour continuer d'y pratiquer clandestinement ses tours de passe-passe et autres confections de mixtures magiques? J'aime particulièrement "l'élixir de propriété", réalisé sans nul doute à partir d'un quelconque domaine, princier ou bourgeois n'importe, qui, après avoir été méthodiquement éradiqué de son propriétaire, a été non moins systématiquement pilé, et réduit en poudre aux fins de rendre tout SDF qui passe capable par magie de se trouver un toit salvateur...


15/08/2013

Les contes de tradition orale et les environnements (1)

     Ce matin, j'ai envie d'entamer une petite série de références à la thématique contes et environnements spontanés. Comme ça, pour voir s'il y a beaucoup d'occurrences, et parce qu'aussi, étant récemment passé en Alsace, j'ai retrouvé un site qui possède plusieurs pièces en rapport avec le thème. Ce sera aussi l'occasion de mettre en évidence les passerelles qui peuvent exister entre culture populaire traditionnelle et environnements spontanés, art populaire contemporain.

 

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"La Clairière des Contes", Yalta, Crimée (Ukraine), cartes postales coll. Bruno Montpied


        Pour débuter, pour cette note, je vais revenir passablement en arrière, à l'époque de ma défunte revuette La Chambre Rouge. En particulier au dernier numéro (un double, le n°4/5, 1985). Régis Gayraud m'avait ramené d'URSS (c'était encore l'URSS à ce moment-là si je ne me trompe) un carnet de cartes postales, souvenirs de "la Clairière des Contes" à Yalta en Crimée. Ce carnet contenait dix cartes en couleurs, et dans la Chambre Rouge je décidai d'en reproduire une en noir et blanc, de plus en photocopie (en chapeau du sommaire de mon numéro).

 

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C'es cette carte que j'avais reproduite en noir et blanc dans La Chambre Rouge ; deux personnages aux trognes burlesques devisant gaiement

 

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La couverture du carnet de cartes postales ; les nains sur la photo paraissent vraiment trop démarqués de Walt Disney, comme s'il n'était plus possible après ce dernier d'imaginer les petits hommes qui portent secours à Blanche-Neige autrement... Du moins en Ukraine, c'était ainsi dans les années 80 de l'autre siècle...

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Ces trois petits cochons, adaptés à la sauce russe, avec balalaïka et petit accordéon, eux aussi paraissent un peu trop Disneyisés...


    Je ne crois pas avoir reçu d'explication à l'époque sur les légendes attachées aux sculptures que montraient ces cartes (apparemment si on regarde sur internet la "Clairière" existe toujours). Ce petit parc était apparemment organisé comme une base de loisirs à thème (si l'on se réfère à la vue des chalets ci-dessus, environnés d'un impressionnant cirque de montagnes). Etait-ce une collection de sculptures populaires? P't-être ben que oui, p't-être ben que non (en fait un peu des deux, mon général). Les styles de ces pièces paraissant variés, on pouvait inférer qu'ils n'étaient pas de la même main. Certaines statues, plus fantastiques que les autres, jouent avec les formes naturelles des bois choisis pour camper les sujets en rapport avec des contes. d'autres sont nettement plus réalistes, flirtant avec le kitsch.

 

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Qui est ce personnage coulant des joues...?

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Peut-être avons-nous affaire ici aux "musiciens de la ville de Brême"? (Eh bien, non! Voir le commentaire de Régis Gayraud au pied de cette note, il s'agit du conte "Quartette")


    En farfouillant sur internet,  on ne trouve pas grand-chose en français. A peine nous indique-t-on sur le site d'une agence de voyages ukrainienne, dans une notice rédigée dans un français approximatif, que ce fut un certain Pavel Pavlovitch Bezroukov qui initia ce site, ayant été rejoint ensuite par d'autres artistes (ce que j'avais subodoré). Régis Gayraud, appelé à la rescousse, m'a appris finalement qu'existait en russe un site web entièrement consacré à ce Musée de la Clairière des Contes. On y apprend - je crois Régis sur parole ici - que le nommé Bezroukov était un garde forestier fondu de contes de fée, si, si, et qu'il n'était pas un sculpteur professionnel (je parierais qu'il est l'auteur des personnages imaginés dans des formes de bois tourmentées)... Il avait bien fait appel à d'autres artistes. Les matériaux employés pour les sculptures évoluèrent au fil du temps, il n'y eut pas que du bois, mais aussi de la pierre, du verre, des matériaux recyclés, du plastique... A parcourir un peu au hasard ce site, on s'aperçoit que la Clairière a bien évolué, organisée différemment, que les Trois Petits Cochons ont été repeints et que le nombre, ainsi que le style des sculptures ont considérablement changé...

 

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Personnages du Magicien d'Oz, sculptures contemporaines de la Clairière des Contes


     Ce qui m'intéresse par ailleurs dans la thématique de ce parc, c'est le rapprochement que l'on pourrait faire avec d'autres pratiques, en l'occurrence celles de certains conteurs indiens, qui leur servent à narrer les récits traditionnels de leur pays, le Bengale occidental, lorsqu'ils dévident simultanément des rouleaux (appelés "patua") supportant des images elles-mêmes narratives, illustrant le conte raconté ou chanté. On peut en voir à Paris dans les collections du Musée du Quai Branly (qui ressemble à une contrepéterie).clairière des contes de yalta,régis gayraud,la chambre rouge,contes de tradition orale,contes et environnements spontanés,trois petits cochons,baba yaga,comptines,rouleaux patua,éditions rackham  Ce genre de racontée existe encore aujourd'hui (on peut en profiter pour signaler la belle édition réalisée en 2009 par les éditions Rackham qui ont édité sous forme de dépliant magnifiquement illustré (voir ci-contre), un patua intitulé Tsunami, d'après une chanson de Moyna et Joydeb Chitrakar composée au moment de la catastrophe survenue dans le Golfe du Bengale en 2004 ; d'après l'éditeur, il est précisé que ce livre conçu, sérigraphié et relié à la main par l'atelier des éditions Tarai à Chennai en Inde, serait le "premier rouleau patua édité sous forme de livre").

    On imagine facilement des criées aux contes organisées dans cette Clairière des Contes, les conteurs se déplaçant de saynète sculptée en saynète sculptée en fonction du conte à dire, chaque saynète jouant alors un rôle identique à celui tenu par les patuas dans les contes du Bengale.

(Suite à cette note, Henk Van Hes, sur son blog Outsider Environments Europe, rédigé en anglais, intéressé par Bezroukov, est allé quérir d'autres informations, voir ce lien)