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06/05/2020

A propos du dénommé Lariflette, un site à préciser...

     L'ami Darnish, avec son commentaire sur le cahier de Blanche Nicard (voir note précédente), m'a fait ressouvenir de deux photos genre Instamatic que je possède depuis des années, montrant un jardin dans une région assez peu riante a priori, avec un portail bricolé et décoré sans grande audace (un début balbutiant de décor brut en somme), et une girouette dans un coin surmontée d'une figure de ce Lariflette dont parle Darnish, personnage qui est étranger à ma culture (comme Pif le chien, et autres, venus d'"illustrés" que je ne lisais pas dans mon enfance).

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Site inconnu lié à "Lariflette", photographe inconnu, date inconnue (années 1980 probablement)... Archives Bruno Montpied.

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La girouette avec le dénommé Lariflette, localisation inconnue, bis repetita... Archives B.M.

 

      Qui a bien pu m'envoyer ces photos? Par extraordinaire, je ne l'avais pas noté. J'ai interrogé deux connaissances, croyant me souvenir que cela avait pu provenir d'eux. Et puis non. Aujourd'hui, je me demande si ça ne venait pas de Jean-François Maurice, à l'époque où nous nous parlions encore... De toute manière, vu l'endroit où il est désormais, ce n'est pas lui qui pourrait me donner la réponse quant à cette ébauche de site (très embryonnaire), et ce qu'il a pu devenir. Si un lecteur a une idée...

07/04/2020

La tour Eiffel, horizon pour aspirants aux chimères

     La célèbre Dame de fer qui symbolise la ville de Paris a été reproduite à l'infini, notamment par (et chez) ceux qui sont eux aussi des sortes de bâtisseurs de rêve au petit pied, à savoir les habitants-paysagistes naïfs ou bruts, ayant laissé derrière eux maints jardins et environnements spontanés et insolites. L'art populaire aussi en est particulièrement hanté, son aspect de tour de Babel pointée vers l'infini plongeant dans une rêverie hantée de chimères tous les amateurs de travaux d'Hercule interminables. C'est un modèle insurpassable dans la direction duquel ils se doivent d'aller... Ils en perçoivent immédiatement l'absolue inventivité, le prodige de sa technique révolutionnaire pour l'époque (une architecture de fer, sa forme "babélienne").

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Henri Travert (ancien ouvrier) et sa tour Eiffel (une quinzaine de mètres de haut environ), à L'Aunay des Vignes, Fougeré, Maine-et-Loire, photos (vue générale et détail avec les fers à cheval soudés qui composent la tour..) Bruno Montpied, 2003 et 1991. 

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Une représentation de la tour par un fils d'Henri Travert, peinture et assemblage de baguettes de bois sur panneau.

 

      J'y repensais ces derniers jours après avoir reçu de M. Philippe Didion (j'en profite pour le remercier) la photo de la tombe d'un certain Claude Maudeux, maire de sa commune, dans le cimetière creusois de Vigeville, couverte par la maquette d'une autre tour Eiffel comme de juste, placée là non seulement par admiration pour les maçons creusois qui bâtirent tant de bâtiments célèbres de Paris, mais aussi pour faire la nique aux symboles religieux des sépultures voisines (l'anticléricalisme étant chose bien partagée dans le Limousin)...

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Photo Philippe Didion, 2019.

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La tombe à la tour Eiffel, ph. Philippe Didion, 2019.

 

      Elle me fait penser par association d'idée à une autre maquette de tour, placée cette fois plus en hauteur, en tant qu'épi de faîtage, en Ille-et-Vilaine, telle qu'elle a été dévoilée dans le catalogue d'une ancienne exposition de l'Ecomusée du pays de Rennes (2010-2011) "Compagnons célestes, épis de faîtage, girouettes, ornements de toiture" (édité par Lieux dits en 2010).

épi tour eiffel à Plerguer (IetV).jpg Epi de faîtage à Plerguer, photo Norbert Lambart.

   

       Chez les habitants-paysagistes naïfs ou bruts aimant animer leurs espaces intermédiaires entre habitat et route – une bonne partie d'entre eux le font pour le public des passants dans une communication immédiate avec leur voisinage, sans penser aux prolongements médiatiques que cela peut induire... –, des tours Eiffel surgissent de temps à autre telles des mascottes.

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Tour Eiffel d'André Bindler à l'Ecomusée d'Alsace à Ungersheim près de Mulhouse, ph. B.M., 2013.

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André Hardy (à Saint-Quentin-les-Chardonnets, Orne) avait confectionné au moins deux tours Eiffel, une dans chaque partie de son jardin, en voici une, coincée entre autruche et bœufs, ph. B.M., 2010.

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Joseph Donadello a lui aussi réalisé à Saiguèdes (Haute-Garonne) une tour, parmi de nombreuses statues et autres monuments recréés naïvement, ph. B.M., 2008.

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Emile Taugourdeau (Sarthe), dans son jardin aux 400 statues (environ, et non pas 900, comme dit Mme Taugourdeau dans Bricoleurs de paradis...), à côté de Bernard Hinault, avait installé une tour..., ph. B.M., 1991.

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Jean Grard, à Baguer-Pican (Ille-et-Vilaine), avait sculpté une tour qu'il avait appelée la Picanaise (une version régionale de la tour, en somme) et où il avait installé des personnages aux yeux faits de billes, ph. B.M., 2001.

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Marcel Dhièvre, sur sa maison à Saint-Dizier (Haute-Marne) qu'il avait nommé "Au petit Paris", avait, entre autres thèmes, lui aussi évoqué la tour Eiffel, ph. B.M., 2013.

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Peut-être la plus extraordinaire des tours Eiffel, celle de Petit Pierre (Pierre Avezard) telle que conservée dans le parc de la Fabuloserie, à Dicy, dans l'Yonne, où a été sauvegardé son "Manège" (constitué d'autres réalisations étourdissantes d'ingéniosité naïve), en provenance du site originel qui était à la Faye-aux-Loges dans le Loiret ; cette tour fut bâtie par son auteur ayant grimpé à l'intérieur jusqu'à son sommet ; ph. B.M., 2015.

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Tour Eiffel d'un certain Perotto à Darney (Vosges), parmi d'autres maquettes de monuments recréés, ph. B.M., 2016.

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Une tour Eiffel très stylisée, en mosaïque, créée par Aldo Gandini à Montrouge (Hauts-de-Seine), ph. B.M., 2012.

 

      En dehors des créateurs d'environnements spontanés, on trouve aussi chez certains auteurs d'art brut, ou d'art naïf et populaire, des effigies de la fameuse tour, réalisées à plat ou en volume.

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Arsène Vasseur, meuble original d'hommage à la tour Eiffel, réalisé dans sa maison à Amiens (Somme), et conservé au Musée de Picardie.

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Anonyme, vue de la tour Eiffel (peinture et gravure sur panneau de bois en léger relief), avec l'ancien palais du Trocadéro en fond vraisemblablement (à moins que ce ne soit l'Ecole militaire?), ph. et coll. B.M.

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Détail d'une enluminure naïve d'Augustin Gonfond, extraite du Livre de communion de sa fille Joséphine, 1890.

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M. Manilla, tour Eiffel en os et têtes de mort, calavera en zincographie, Musée national de l'estampe, Mexico ; tradition populaire mexicaine.

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Rochelle, scène de mariage semblant se passer au début du XXe siècle à Paris (présence de soldats en pantalons garance (un garde suisse est aussi présent, mais il y en a eu jusque vers 1950 à Paris), dirigeable d'un certain type dans le ciel), mais peinte peut-être après 1920, car il s'agit là d'une huile peinte sur de l'Isorel, matériau apparu après cette date apparemment ; une tour Eiffel en arrière-plan signe la ville où se déroule l'action ; ph. et coll. B.M.

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Miguel Hernandez, Les crêtes de Paris, 55 x 46 cm, huile sur isorel, 1951.

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Virgili, tour Eiffel, ancienne collection de l'Aracine, aujourd'hui au LaM de Villeneuve-d'Ascq.

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Joseph Donadello, autre effigie de la tour (datée de 1899, probablement par erreur, si Donal pensait à sa date de construction, 1889), cette fois à plat, parmi ses collections de peintures personnelles, ph. B.M., 2015.

Tour Eiffel provisoire, fête à Oyonnax 1928.jpg

Anonymes, carte postale ancienne, une tour probablement éphémère, bâtie pour une fête de bienfaisance en 1928 à Oyonnax.

Tour Eiffel en osier à l'Ecole Nationale d'Osiericulture à Fayl-Billot, Haute-Saône, ph B.Montpied 2007.JPG

Tour Eiffel en osier, Ecole nationale d'Osiericulture, Fayl-Billot (Haute-Saône), ph B.M., 2007. 

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Moins connue peut-être, il existe une tour Eiffel souterraine! En mosaïque d'ossements, dans les Catacombes parisiennes, ce qui la rapproche de l'estampe populaire mexicaine ci-dessus.

 

    Enfin, pour ne pas fatiguer outre mesure nos lecteurs, terminons sur deux images véritablement inattendues, d'abord celle ci-dessous...

 

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Cherchez la tour... parmi cette panoplie d'accroche-tableaux qui étaient encore récemment présentés en devanture de la boutique Sennelier sur les quais de la Seine.

 

     Enfin, il fallait y penser, mais "ils" y ont pensé, les marchands de sex-toys du quartier de Pigalle à Paris, il fallait à l'évidence réunir les souvenirs touristiques de Paris aux jeux sexuels qui font l'apanage bien connu de ce quartier, l'aspect phallique de notre monument de fer y inclinant naturellement...

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Godemichets en forme de tours Eiffel, pour bien la sentir passer..., ph. B.M., 2016.

 

     Dernière image – car je me suis dit qu'elle manquerait par trop à cette note, qui nous la donne à voir sous différents regards - il me paraît judicieux de montrer ce que regarde la tour, elle... Du moins, comme ci-dessous, lorsqu'elle se tourne  vers le nord-ouest, dans un tableau à l'étonnante perspective aérienne, véritablement fourmillant de détails... qui sont autant de petits hommes...

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André Devambez (1867-1944), vue de la tour Eiffel, l'exposition de 1937 (le palais de Chaillot au  fond de la perspective), Musée des Beaux-Arts de Rennes.

 

11/02/2020

"Le Cœur au ventre", une collection d'art singulier et brut

      "Le Cœur au ventre" – ce titre de l'expo qui va bientôt ouvrir, dans deux jours, chez Art et Marges à Bruxelles (314 rue Haute, dans le quartier populaire des Marolles) – provient du nom de la défunte galerie de Marion Oster, qui était ouverte dans le Vieux Lyon et qui a été fermée voici deux ou trois ans¹, l'art singulier ne perdurant pas, faut croire, sous la cathédrale de Fourvière... (En effet, il y a désormais pas mal d'années, il y eut un autre lieu favorable aux Singuliers dans cette même partie de Lugdunum, à savoir l'Espace Poisson d'Or qui lui-même était un avatar de la galerie du même nom qui était dans les Halles à Paris...). L'exposition commence  le 13 février et se terminera le 7 juin.

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Ludovic et Marion Oster dans leur ancien appartement de Lyon, tenant un couple de poupées de Monique Vigneaux (derrière, je crois reconnaître Louis Pons ?, Philippe Dereux?, Le Carré Galimard?, Mister Imagination et ses pinceaux anthropomorphes, entre autres...) ; la poupée est un thème et un support du reste récurrents dans leur collection ; © ph. Annabel Sougné, Art et Marges, 2018.

 

         Marion Oster est artiste, et collectionneuse, cette dernière casquette étant partagée avec son mari Ludovic, un féru de galeries, foires et autres Puces et brocantes. Leurs goûts se portent, pour une petite partie de leur collection, vers un art expressionniste contemporain, mâtiné d'art brut et d'art singulier. Ce qui correspond à une tendance actuelle – dont je ne suis que modérément friand, je m'empresse de le dire – qui identifie exclusivement dans l'art brut et singulier les mêmes composantes que dans l'art souffrant, l'art du pathos. Les corps se squelettisent, les tripes s'exhibent en toute impudeur, les êtres sont proches des cadavres, la personne se tord de douleur métaphysique ou pathologique... Parfois, comme dans le cas des œuvres de Stani Nitkowski, ce dernier étant très présent dans la collection des deux Oster, les corps sont en voie d'explosion (voir ci-contre expo à la coopérative Cérés Franco à Montolieu)...St Nitkowski-peau-mots-michel-macreau.jpeg Et c'est vrai que la maladie, la mort, la détresse sont des sujets qui travaillent souvent par-dessous beaucoup d'artistes, au risque de sombrer dans une certaine forme de misérabilisme new look, analogue à l'attitude du blessé léchant ses plaies. Citons dans cette collection les œuvres de Michel Nedjar, Jean-Christophe Philippi, Ghislaine et Sylvain Staelens, Philippe Aini, Lubos Plny, Jean Rosset, Denis Pouppeville...

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Lubos Plny, Galerie ABCD, Montreuil-sous-Bois.

 

     Cependant, la collection Oster est loin de se limiter à ce néo-expressionnisme. Beaucoup d'anonymes en font partie aussi, sur lesquels je n'ai recueilli que peu de renseignements, mais qui prouvent l'enthousiasme sincère de nos deux amateurs d'art pour des œuvres sans se préoccuper d'un quelconque pedigree placé en amont. Ils sont ainsi capables d'acquérir un objet d'art forain qui les aura interpellés au détour d'un marché aux Puces, en raison de son apparente "barbarie". La force de l'objet prime avant tout. Marion et Ludovic ne s'encombrent pas de théorie de toute façon, l'oeuvre leur parle ou pas, et les choisit ou non, pour devenir une compagne de vie dont ils ne se séparent plus après acquisition.

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Jeu d'art forain, coll. Marion et Ludovic Oster (acquis place du Jeu de Balle, non loin de chez Art et Marges à Bruxelles), ph. Bruno Montpied, 2017.

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Une vue de la collection Oster, comme elle se présentait à l'époque de l'installation lyonnaise ; © ph. Annabel Sougné, Art et Marges, 2018.

 

      Dans leur fourmillante collection, dont l'installation lorsqu'ils vivaient à Lyon côté Rhône a frappé tous ceux qui l'ont visité (et notamment les animateurs d'Art et Marges qui ont choisi du coup d'essayer d'en reconstituer l'aspect dans leur locaux de la rue Haute à Bruxelles), avec son apparence de grotte ou de crèche géante grouillant de formes, couleurs, aspérités, sinuosités dans lesquelles l'œil ne savait où se poser, comme errant dans un labyrinthe, on trouve aussi de plus énigmatiques créations. Comme celles d'Yves Jules, Angkasapura, Armand Avril, Babahoum, Ben Ali, Asmah, Bonaria Manca, Caroline Dahyot, Burland, Monchâtre, Giovanni Bosco, Guy Brunet, Jean Branciard, Jean Tourlonias, Juliette Zanon, Karl Beaudelère, Las Pinturitas, Martha Grünenwaldt, Monique Vigneaux, Ni Tanjung, Noël Fillaudeau, Paul Amar, Philippe Dereux, Pierre Albasser, Sylvain Corentin, Le Carré Galimard, Ted Gordon, etc. J'ai également l'honneur de figurer parmi toutes ces vedettes (l'œuvre ci-dessous provenant d'une expo à la galerie Dettinger-Mayer).

Mise à jour du 17 février :   

      On déplorera au passage que les animateurs d'Art et Marges, d'après ce que m'en ont dit des visiteurs présents au vernissage, n'aient pas jugé utile de placer des cartels à côté de chaque oeuvre afin de renseigner le public. Ce procédé peu respectueux des artistes et des créateurs se poursuit apparemment dans le catalogue où aucune information sur l'identité des artistes (certes nombreux) n'est apportée...

 

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Un aspect limité de l'intérieur de la Villa Verveine décorée par son habitante, Caroline Dahyot (ph.B.M., 2018) ; cette dernière a monté une installation de ses diverses œuvres dans le cadre de l'exposition "Le Cœur au ventre", installation qui tente à chaque fois de restituer un peu l'ambiance unique du décor intérieur de son habitat à Ault (Somme).

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Caroline Dahyot, Jamais tu ne te soumettras, tableau exposé au Petit Casino d'Ailleurs en 2018 ; personnellement, je trouve que l'art de Caroline n'est jamais mieux mis en valeur qu'en œuvres séparément exposées, et non accumulées comme dans ses installations ; ph. B.M.

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Bruno Montpied, L'avenir menaçant², 31,5 x 24 cm, 2013, coll. Marion et Ludovic Oster, ph. B.M.

 

       La naïveté pourrait tout aussi bien s'y faire une place dans cette collection, avec les poupées transformées, mais aussi les objets de piété éclairés par l'ingénuité de leurs auteurs, les ex-voto, les paperoles, les reliquaires (qui hésitent entre naïveté et morbidité, avec leurs bouts d'os considérés comme reliques adorées...), les petits tableaux sans prétention...

 

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Œuvre anonyme acquise récemment par les Oster, une bergère, son mouton, son fuseau, son chien, broderie en fil chenillé et collage, sans date (XIXe sans doute) ; ph.B.M.

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¹ Marion Oster a animé également auparavant, cette fois à Paris, durant près de quinze ans, l'Espace Lucrèce dans le 17e ardt.

² A noter que ce titre pourrait faire figure de signe avant-coureur du titre du récent livre de Joël Gayraud, L'Homme sans horizon...

02/01/2020

Art de rue discret, pour happy few et autres amateurs de messages subliminaux en lisière de mobilier signalétique

      Amusant que des gus aient investi des panneaux de sens interdit, tout près de la Halle Saint-Pierre, à Montmartre, car, entre autres, cela joue sur les mots. Ces sens nouveaux sont autrement interdits car relevant d'une forme de vandalisme, bien bénin certes, mais allez savoir, avec tous les pisse-froid qui peuvent croiser dans les parages... Et les spectateurs – sûrement pas nombreux – qui les auront aperçus, d'en rester eux-mêmes tout interdits. car, sans être géniaux par l'image obtenue par détournement du graphisme initial, les images réalisées – un tailleur de bloc blanc, un porteur de planche blanche – sont finement insérées dans le panneau circulaire, si évanescentes (en dépit de leur présence indiscutable) qu'on ne les aperçoit pas. Même les conducteurs de voitures, plus occupés à leur conduite qu'à repérer ce street art discret ne doivent guère les percevoir... Les deux significations sont unies indissolublement sur un même support, tout en diffusant rigoureusement, sans que l'une masque l'autre, leurs deux sens distincts.

art de rue marginal, sens interdit, panneaux de signalisation détournés, street art discret

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21/10/2019

La Vérité ?

     Je suis récemment parti à Bruxelles chercher "la Vérité", mais l'ai-je vraiment trouvée?

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 La Vérité, argile et collage, 21 x 9 x 5 cm, sd (peut-être XXIe siècle), ph. et   coll. Bruno Montpied.                                

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La Vérité (verso)

16/10/2019

Pierre Caran

pierre caran,thérèse joly,galerie l'usine

    J'ai déjà eu l'occasion de mentionner l'œuvre secrète de l'autodidacte, en matière de création plastique, Pierre Caran (1940-2008), à l'occasion de la publication du beau livre d'art que lui consacra son épouse, la photographe Thérèse Joly. Voici qu'une occasion est donnée à tous ceux qui peuvent passer par Paris de voir une belle sélection de ses assemblages, peintures et autres dessins, alternant art naïf et expression plus brute, qui va être exposée à partir de ce vendredi 18 octobre à la Galerie L'Usine, 102 boulevard de la Villette dans le 19e arrondissement (M° Colonel Fabien). Le mieux étant de venir le soir du vernissage ce vendredi  à partir de 19h jusqu'à 22h. Car l'expo est ouverte le reste du temps, chaque jour certes, mais sur rendez-vous (tél: 01 42 00 40 48 ; usine102.fr). A signaler également que des œuvres de Caran seront également montrées tout le mois de novembre dans la galerie de la Halle Saint-Pierre avec des travaux d'autres artistes (Pascal Hecker, Demin et Bruno Montpied), mais nous y reviendrons.

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Pierre Caran, Cœur de tavaillon, 40 x 30 cm, 2005.

13/09/2019

Le dessin surréaliste en 2019....

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     Voici que reprend le cycle d'expositions que le peintre, essayiste et poète du Groupe de Paris du mouvement surréaliste, Guy Girard avait entamé l'année dernière avec "le collage surréaliste", et ce toujours dans la même galerie Amarrage, rue des Rosiers, en lisière des Puces de St-Ouen.

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Régis Gayraud, Pêcheurs d'âmes, 18 x 24 cm, 2019.

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Bruno Montpied, Les Trois Grâces, technique mixte sur papier, 30,5 x 23 cm, 2019. PH. B.M..

 

    En tant qu'ami du groupe, je prête outre trois de mes dessins (le cahier des charges de l'expo exigeait le noir et blanc, condition qui n'a pas été suivie par nombre de participants, mais personnellement, je m'y suis tenu), trois œuvres de ma collection. il s'agit d'un dessin au crayon, accompagné d'un collage de tarlatane sur papier photographique, dû à Gilles Manero, d'un dessin plus ancien de l'Islandais Alfred Flóki (dont j'ai parlé naguère sur ce blog) et d'un dessin d'un anonyme, vraisemblablement du XIXe siècle, présentant quatre personnages caricaturaux énigmatiques (j'en ai également déjà parlé sur ce blog lorsque je venais de l'acquérir).

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Anonyme du XIXe siècle, sans titre, crayon graphite sur papier, 24 x 34 cm, sd. Photo et coll. B.M.

 

     Autour de ce dernier, le groupe au cours d'une de ses réunions hebdomadaires a proposé un jeu à certains de ses membres et amis. Que s'est-il passé "une heure après" sur la scène où se trouvent les quatre personnages de mon dessin? Les résultats de cette "heure d'après" seront présentés dans l'exposition de St-Ouen. Enfin, j'ai également prêté un dessin collectif fait par mézigue en compagnie de Guy Girard et de feue Sabine Levallois.

      L'expo dure du 19 septembre au 20 octobre. On vous attend nombreux au vernissage le jeudi 19 à partir de 18h30. A signaler le jeudi 3 octobre une projection de "surprises cinématographiques" (je me suis laissé dire qu'il s'agirait de dessins animés d'inspiration surréaliste).

      L'expo poursuivra ensuite sa route, pour une majeure partie des œuvres présentées chez Amarrage, à la Maison André Breton animée par l'association La rose impossible à Saint-Cirq-Lapopie du 25 octobre au 22 novembre (inauguration le vendredi 25 octobre à 19h)  

19/08/2019

"Je veux bien poser toute nue..."

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Dessin humoristique anonyme, collection Jean Estaque, ph.Bruno Montpied, 2015.

02/07/2019

Rappel: l'exposition Eric Le Blanche commence le 4 juillet...

     Petit rappel pour les amateurs intéressés à en savoir plus de visu sur Eric Le Blanche, cet artiste autarcique, replié sur lui-même, schizophrène, dont je défends la mémoire et la projection picturale sur les murs extérieurs, et surtout intérieurs de sa maison, vécue comme un cocon, une seconde peau, maternelle, familiale, à Vouvant, en Vendée (maison aujourd'hui remodelée, aux décors effacés): une exposition à l'Espace Jean Galipeau ouvre ce jeudi 4 juillet (jour de vernissage, débutant à 18h30, discussion sur l'oeuvre et l'art brut à 20h30 en ma présence et celle de Jacques Burtin, ainsi que des membres de l'association Arts métiss organisateurs de la manifestation). On pourra y découvrir un certain nombre de portes peintes recto-verso, prêtées par le service du patrimoine culturel de la Vendée (qui a acheté une vingtaine de portes et volets peints), des photos des fresques à l'intérieur de la maison (dont certaines prises par votre serviteur), des nombreux dessins sur papier et carton, divers documents... L'exposition  dure jusqu'au 1er septembre.

Expo à l'espace Galipeau.JPG

Vue partielle de l'expo en cour de montage à l'Espace Jean Galipeau, ph. Laurent Pacheteau ; on discerne de gauche à droite, une photo d'un profil peint sur la façade sur rue, puis, en dessous, le bas-relief des "fées" (photo d'Elizabeth Hours) qui était sur cette même façade, deux autres photos des dessins sur la façade sur rue, et de la façade sur jardin avec le cartouche où ELB avait écrit "Villa Palatine", pour intituler sa maison, des photos montrant les visages d'ELB et de sa mère Jeanne Lagaye, des photos de l'intérieur de la maison, une fresque au plafond et la manteau de fourrure qu'aimait porter à l'occasion ELB dans les rues de Vouvant, enfin une photo prise avant la dispersion des meubles en 2017 où l'on voit un détail d'une toile de l'oncle d'ELB, le peintre Rousseau Decelle, placée devant une pile de dessins A4 ; on a positionné également à côté de cet ensemble de photos une toile de Rousseau Decelle représentant sous les traits d'une baigneuse la mère d'ELB, Jeanne posant pour son beau-frère peintre.

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Autre vue de l'expo en cours de montage: on aperçoit ainsi au premier plan deux portes avec un côté seulement de leurs peintures, et au second plan une autre porte montrant une forme fantomatique du genre monstre qui était la porte de la cuisine donnant sur le jardin ; par ailleurs les membres d'Arts métiss ont également accroché au mur plusieurs dessins, présentés tantôt sous-verre (sans luxe superflu), tantôt nus, parfois même se chevauchant, afin de tenter de restituer la présentation d'origine voulue par ELB, qui, quant à lui, ne se souciait nullement d'exposer devant un public autre que lui-même ; le mettre en scène aujourd'hui d'une manière académique avec cadres, éclairage ad hoc, comme on expose des artistes patentés, est à mon sens un début de trahison par rapport à la manière d'ELB de vivre son art, très quotidienne, fondue avec sa vie. Arts métiss a bien été obligée, dans son projet de montrer ces extraits de l'oeuvre en trois dimensions, oeuvre en perpétuelle métamorphose, très inscrite dans une temporalité, d'opérer une "trahison". Elle l'a fait, semble-t-il, en essayant de trahir le moins possible... C'est pourquoi des films, dont celui que j'ai réalisé en compagnie de Jacques Burtin, Eric Le Blanche, l'homme qui s'enferma dans sa peinture, ainsi qu'un extrait de ce dernier (la traversée de la maison en un long plan-séquence), seront projetés durant l'exposition, celui que je viens de citer devant être projeté le jeudi 24 juillet à 20h30, toujours à l'espace Jean Galipeau.

 

    Attention, il est indiqué sur le flyer et dans les coupures de presse parues sur l'expo que l'Espace Galipeau se situe à St-Mesmin. Cela se situe plus précisément sur la commune de St-Mesmin. En réalité l'Espace, qui est une grange aménagée, jouxtant la crêperie "Chez Chmi", est  dans le hameau de La Chemillardière. Voir les cartes ci-dessous. Je dis cela évidemment pour les amateurs qui ne seraient pas du coin...

Région globale avec emplacement expo.JPG

La région où se situe l'exposition, en dessous de Cholet, la Vendée.

Emplacement par rapport au bourg de St-Mesmin.JPG

La situation du hameau de La Chemillardière avec son Espace Jean Galipeau, placé au nord-ouest du bourg de St-Mesmin.

Ouest-France 29-30 juin 19.jpg

Article dans Ouest-France, illustré par une photo de dessins d'Eric Le Blanche. Merci à Laurent Pacheteau pour la communication de cet article.

Eric Le Blanche ressuscité (BMontpied), Artension n°156, juil-août 19.jpg

Paru dans le dernier numéro d'Artension (le n°156 de juillet-août 2019), cet encart, dû à votre serviteur, Bruno Montpied, à l'intérieur d'un article plus général sur la dimension immobilière des habitants-paysagistes naïfs ou bruts, "Fantaisies immobilières au pays des habitants-paysagistes", inséré lui-même dans un dossier sur les "Maisons de rêve".

 

29/05/2019

Cinq dignitaires ubuesques...?

Cinq statuettes comiques en terre (2).jpg

Anonyme, sans titre, dimensions non communiquées, terre, collection privée, photo Denis Kariger.

 

     Certes, je ne sais rien de la provenance de ces cinq personnages grotesques aux allures quelque peu bouffonnes, modelés en une terre qui ressemble à du pain sculpté. Cela a l'air très contemporain. Une culture imprégnée de bandes dessinées et/ou de fantasy me paraît transpirer en creux... Je parierai pour un sculpteur plutôt jeune. Peut-on les rapprocher de quelques personnages historiquement situés? Je ne le crois pas. L'artiste qui leur a donné forme, à mon avis, en a usé selon sa fantaisie. Automatiquement. Et ce sont ces cinq plénipotentiaires à l'allure comique qui ont surgi de ses doigts, sans le moindre plan préconçu.

     Mais si les lecteurs étaient mieux renseignés que moi et le collectionneur qui possède ces statuettes, qu'ils ne se gênent pas nous instruire...

28/02/2019

Kobus? Vous avez dit Kobus?

     J'ai récemment acquis deux beaux bas-reliefs au bois luisant, et ressemblant à du caramel, suite au repérage de Philippe Lalane, alias "La Patience". Ils sont visiblement de la même main, ce que me confirma l'antiquaire auprès de qui je les ai obtenus. Mais seul l'un des deux est signé, d'un nom énigmatique, inconnu au bataillon : KOBUS.

   Cela ressemble à un patronyme d'allure alsacienne apparemment (je crois qu'Emile Erckmann et Alexandre Chatrian, écrivains alsaciens qui signaient du nom composé d'Erckmann-Chatrian,, ont campé un personnage de ce nom dans un de leurs romans)...

 

Kobus (non signé) (2), Après l'enterrement d'un ami, sd, 32,5x54,5cm (vers 2).jpg

Kobus, Après l'enterrement d'un ami, bois taillé en bas-relief, 32,5 x 54,5 cm, sans date (fin XIXe siècle?), ph. et coll. Bruno Montpied.

     Ce tableau à l'évidence caricatural montre une tablée de convives réunis à la suite de l'enterrement d'un "ami". Chacun s'adonne à diverses libations, les visages ont des expressions grotesques pas tellement avantageuses pour la plupart. "L'ami" paraît bien  vite oublié (les "regrets éternels" inscrits sur la couronne mortuaire en haut du tableau, ne paraissent pas, en effet, destinés à le rester bien longtemps, "éternels"). Cet enterrement paraît une excellente occasion de boire au compte du mort, ou plutôt à celui de ses héritiers, et peut-être, plus précisément, de sa veuve...  Car, à droite, n'est-ce pas cette dernière qui est figurée, entreprise par un des anciens compagnons du mort, empressé auprès d'elle, comme s'il trouvait l'occasion bonne, la femme étant revenue "sur le marché", comme on dit familièrement... A gauche, en haut de la composition, comme en arrière-plan, à peine taillé dans le bois et paraissant par conséquent spectral, on peut se demander si ce n'est pas le défunt qui, devenu fantôme, assiste, plus que perplexe, et comme atterré (après avoir été enterré), depuis l'au-delà, à la scène...?

     Le bas-relief moraliste me paraît inspiré d'une gravure d'époque stigmatisant  cette assemblée d'hypocrites intéressés. Peut-être l'auteur, sculpteur autodidacte, prisait-il les caricaturistes de la fin du XIXe siècle? Cette hypothèse se confirme si l'on examine le second bas-relief ci-dessous, qui paraît de la même main...

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Kobus, Aux Bains froids, bois taillé en bas-relief, avec baguettes ciselées en guise de cadre (pour rappeler les décors de piscine de l'époque?), 40  x 55 cm, sans date (fin XIXe siècle?), ph. et coll. Bruno Montpied ; noter la signature à gauche vers le bas.

 

    Si l'on s'attarde sur les divers personnages et saynètes représentés dans ce bas-relief, on repère assez vite le personnage à droite, tout habillé, sans doute une sorte de maître-nageur chargé d'apprendre la natation à certains clients de ces Bains. Il en tient un en laisse, du reste, mais il ne remarque pas, suprêmement indifférent,  que celle-ci se rompt,  entraînant peut-être la noyade du client... Il  est bien trop préoccupé par la lecture du journal Le Tam-Tam.kobus,caricatures,bas-reliefs,le tam-tam,journal satirique,art naïf insolite

     Ce dernier fut un journal satirique qui eut trois séries entre 1872 et 1918. C'est un indice important pour expliquer le projet du sculpteur. Pas placé au hasard dans la composition, il se veut peut-être discret hommage à la revue satirique qui inspirait l'auteur...

      Plusieurs autres saynètes attirent l'œil. Le baigneur sur le bord de la piscine à droite semble pétrifié d'appréhension à l'idée de se jeter à l'eau, plus par peur de couler (voyez les nombreuses bouées en forme de ballons qui ceinturent son ventre) que par crainte de la basse température. Cette dernière est mesurée en bas à gauche par un autre baigneur qui tient un thermomètre. Un couple d'hommes, un maigre, un gros, paraissent destinés à faire rire par leur contraste physique. Juste à côté, un individu vient d'en précipiter un autre dans le bain (oh, la bonne farce...). Vers la gauche, un personnage déjà plongé dans l'eau contemple, consterné, un plongeur qui ne prend aucunement garde à qui se trouve en dessous... Plus loin, encore, à gauche, un élégant, en costume et gibus – une sorte de directeur des thermes ? – paraît faire remarquer, d'un doigt accusateur, à un baigneur bossu que sa bosse n'est peut-être pas la bienvenue dans ces lieux... Ce que l'intéressé ne paraît guère apprécier. Dans le bain, des pieds heurtent des mentons, la place paraissant comptée...

      J'ai bien sûr un peu cherché à retrouver des gravures satiriques qui auraient brodé sur le thème des bains froids (chargés de redonner tonicité aux muscles, entre autres), je n'ai trouvé que cette gravure de Daumier, pas composée de la même manière, quoiqu'on y retrouve le thème du gros et du maigre, un homme qui plonge, et l'affluence dans le bain.

kobus,caricatures,bas-reliefs,le tam-tam,journal satirique,art naïf insolite, bistrotiers aveyronnais, auvergnats de paris

     L'antiquaire qui a découvert ces panneaux sculptés les aurait trouvés à Beauvais, dans une famille de bistrotiers aveyronnais qui descendait de ce Kobus, qui aurait vécu dans les années 1920, en se partageant entre Paris et l'Auvergne. Un Alsacien devenu bistrotier auvergnat monté à la capitale? Une énigme de plus à résoudre, ou pas.

23/12/2018

Paradis perdus, une énigme iconographique

     Je ne crois pas avoir déjà fait une note sur le tableau naïf anonyme ci-dessous, acquis il n'y a pas si longtemps à la défunte Foire de la Bastille qui était  partie au Champ de Mars, puis derrière le château de Vincennes, avant d'être virée pour de bon (merci, Mme Hidalgo...)...

Anonyme, Adam et Eve chassés du paradis, 23x41 cm, sd (2).jpg

Anonyme, Adam et Eve chassés du paradis, avec Dieu qui joue du balai avec une branche (c'est en fait un chérubin, voir commentaire), des inscriptions bibliques: "Le serpent t'écrasera la tête", "tu enfanteras dans la douleur", "tu gagneras ton pain à la sueur de ton front"...), un poisson collé en bas à gauche, placé donc en dehors du paradis, sans explication..., huile sur toile, 23 x 41 cm, sans date ; coll. et photo Bruno Montpied.

 

    Il y avait un éléphant violet au paradis donc, m'étais-je dit, en le contemplant. J'aime bien le rendu simplissime des personnages, la vision du jardin riant d'où le père Dieu en robe blanche chasse les deux amants sans ménagement, et eux qui ont l'air de gambader, plutôt que d'accuser le coup...

   Et je l'avais rangé dans ma collection d'œuvres naïves anonymes, un beau spécimen, trouvé-je... Jusqu'à  ce qu'aujourd'hui, en fouillant dans des publications liées à ce qu'on appelait, autour des années 1950, "l'art psychopathologique", à une époque où les médecins cherchaient à mettre en évidence des caractéristiques stylistiques inférées par les différentes maladies mentales chez leurs patients s'exprimant artistiquement, je finisse par tomber, stupéfait, sur une œuvre que j'avais oubliée, un dessin aux crayons de couleur, splendide, dû à un certain "Louis G.B.", comme l'appelle Robert Volmat dans ses livres, comme par exemple L'art psychopathologique, paru au moment de la grande exposition de Ste-Anne consacrée à l'art asilaire international, ou bien dans un de ces fascicules édités par les laboratoires Sandoz sur tel ou tel dossier interrogeant les rapports entre l'art et la maladie mentale... C'est dans un de ces fascicules, précisément,  que se trouvait la reproduction de l'œuvre en question.

Adame et Eve chassés du paradis, Sandoz fascicule Volmat (2).jpg

Louis B.G., Adam et Eve chassés du Paradis terrestre. Extrait du fascicule Sandoz sur les Expressions plastiques de la folie, 1956 (le nom de l'auteur n'est pas donné dans le fascicule mais dans le livre de Volmat paru en 1950) ; si l'on compare avec notre première image, les paroles bibliques sont recopiées comme dans l'autre tableau ; l'objet que Dieu brandit ressemble davantage à une sorte de rayonnement qu'à une "branche" (en réalité, si l'on s'en rapporte au récit de la Genèse, il s'agit une épée flamboyante que tient un chérubin, voir commentaires ci-après, c'est vrai qu'on discerne la poignée et la garde de l'épée...) ; le style est plus graphique que pictural ; le personnage en haut à droite, qui paraît s'enfoncer dans le sol, dit:"Regrets éternels" (comme un commentaire, de l'auteur du dessin lui même?)... Le dessin n'est pas daté, il provenait à l'époque de la collection du Dr. Jourdran (de Saint-Egrève, en Isère) et avait donc pu être exécuté longtemps avant les années 1950.

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Et voici, au verso de la reproduction, la notice de Robert Volmat au sujet du dessin et de Louis B.G. (1956).

 

     Très frappante – non? – est la confrontation  avec le tableau que je possède donc. On se dit dans un premier temps que l'un a copié sur l'autre (plutôt le mien, du reste ?). Ce pourrait être, me dis-je même, un autre cas de démarquage d'une œuvre naïve par un autre Naïf, comme j'en ai  déjà rencontré un exemple avec cette version ultra réduite (comme on dit d'une tête qu'elle a pu être réduite par les Jivaros, ou réduite  à la cuisson...) de la Carriole du père Junier du Douanier Rousseau, que j'ai un jour acquise avec amusement auprès d'un camarade brocanteur.

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Anonyme, la Carriole du père Junier, copie simplifiée d'après Rousseau (notamment avec une réduction de personnel)..., sans date, peinture sur bois, ph. et coll B.M.

A comparer avec ...

rousseau carriole_pere_junier, musée de l'Orangerie.jpg

Henri Rousseau, dit "le Douanier", La Carriole du père Junier, 97 x 129cm,1908 ; Musée de l'Orangerie.

 

     Mais à bien y réfléchir, on finit par se dire que ce serait tout de même très étonnant qu'il ait pu  y avoir rencontre entre ces deux individus, dont l'un était enfermé dans un asile (depuis 1917), souffrant d'une maladie de la persécution (selon Volmat). A moins qu'on imagine un infirmier, tâtant du pinceau en amateur, et s'inspirant du dessin aperçu par dessus l'épaule de son patient... Très improbable... On se représente la rareté de la situation. Ou alors, pourrait-on imaginer un peintre naïf passant en 1950 à la célèbre exposition de Ste-Anne et recopiant en croquis d'abord, puis en peinture, le dessin aux crayons de couleur de Louis B.G....?

     Mais il me paraît plus plausible d'imaginer une source iconographique commune aux deux compositions. Reste à trouver laquelle.  J'ai un peu cherché, mais pour le moment je suis revenu bredouille. Encore une énigme à faire démêler par les lecteurs, s'il en croise encore par ici...

     Et, ci-dessous, voyez ces deux autres dessins de "Louis B.G.", qui ont aussi l'air tous les deux d'être tracés aux crayons de couleur, en dépit des reproductions en noir et blanc, et toujours d'inspiration religieuse, thématique qui paraît être une marque de fabrique de l'auteur...

 

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Louis B.G, Le Sacré-Coeur de Jésus, crayons de couleur sur papier (probablement), sd, sans dimensions, reproduit dans l'Art psychopathologique de Robert Volmat, 1950 ; à noter en bas un détail reproduisant les paysans de l'Angélus comme chez Millet...

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Louis B.G, Vive le Christ-Roi, crayons de couleur sur papier (probablement), sd, sans dimensions, reproduit dans l'Art psychopathologique de Robert Volmat, 1950 (alliance du sabre et du goupillon?).

11/11/2018

La femme dans la graine guettée par un poignard

     Une œuvre d'art? Ce n'est pas toujours ce que l'on croit usuellement. Ce peut être, plutôt qu'une œuvre peinte ou sculptée, une histoire que l'on raconte à son propos. Il faut cependant un objet, un point de fixation pour cette histoire. Et si une aventure s'attache à cet objet et à son histoire première, cela enrichit l'œuvre.

    Je vais vous narrer un de ces objets que j'ai acquis récemment, pourvu d'une de ces histoires.

    Une statuette, venue d'une graine d'un centimètre à peu près au départ - paraît-il  (je crains qu'il y ait beaucoup de "paraît-il" dans cette note -, me fut présentée par un marchand dont je visitais la galerie avec curiosité. Sa boutique exhibait à la fois de l'art d'Extrême-Orient, et des objets aux formes naturelles insolites, des ready-made de hasard, pierres et bois trouvés mis en valeur grâce à un soclage adroit. On voyait aussi par places des statues rongées, ruinées, auxquelles l'usure, la dissolution conférait une beauté composée de tout ce que l'on imaginait à partir de leurs manques sans doute.

Anonyme, statuette chamanique (Birmanie) taillée dans une graine en prévision de sa germination, 15 cm (2).jpg

Photo et coll. Bruno Montpied.

     La statuette, une femme nue, se tenant raidie sur son socle, était constituée d'une matière végétale de couleur jaune, et brun clair par endroits. Elle provenait, aux dires du cartel que le marchand avait placé à ses pieds, d'un chaman birman qui avait ainsi  représenté son épouse symbolique. Le plus extraordinaire tenait en ceci, qui faisait tout son prix, qu'elle aurait été conçue en germe à partir de sa graine (dont le marchand ne parvenait pas à se rappeler du nom...), mesurant donc un centimètre. Elle aurait été ainsi "orientée" (par des retouches minuscules!) à même la branche de l'arbre où cette graine était née (il fallait croire aussi au fruit d'un arbre, par conséquent). Le chaman, connaissant fort bien la forme étirée que prendrait cette graine en poussant, avait prévu d'intervenir sur l'embryon du fruit de manière à figurer les jambes, les pieds aux doigts nettement dessinés, les bras le long du corps, la taille marquée, le mont de Vénus, le ventre légèrement renflé, les seins, les fesses au verso, la tête et sa chevelure, les yeux, le nez, la bouche, les épaules... C'était à n'y pas croire, mais c'était fascinant, et j'avais envie de l'admettre.

     J'achetais la statuette (de 15 cm environ) et la rapportais chez moi.

     Le lendemain matin, mal réveillé, d'un geste malencontreux, je la fis tomber au sol où elle se brisa net au niveau des jambes au milieu, à peu près, des cuisses. Vite, je me précipitai sans réfléchir, catastrophé par ma maladresse, sur de la colle du genre super glu que je m'empressai d'étendre à la jointure des jambes cassées... Hélas! Qu'avais-je fait là? Une tache apparut immédiatement se répandant dans la rainure des jambes et en suivant la ligne de fracture des jambes...

Anonyme, statuette chamanique (Birmanie), détail de la tache-poignard.jpg

     Mais c'est là qu'intervient le paradoxal enrichissement généré par ma double maladresse : éberlué, je constatai bientôt que la tache sombre créée par la colle se diffusant par capillarité dans le végétal jaune affectait à s'y méprendre un poignard, que je pouvais interpréter comme subtil...! Et il était pointé vers le sexe de la femme symbolique du chaman birman. Comme acte manqué, si c'en était un, on ne pouvait guère faire plus complexe...

23/09/2018

Les automates de La Celle-Guenant (2), quelques images supplémentaires

      Mon correspondant Pierre Chevrier m'a adressé d'autres photos des automates déjà signalés précédemment sur une brocante estivale de La Celle-Guenant (c'est près de Loches, en Touraine). Les saynètes animées représentent des métiers d'autrefois, lavandières, rémouleur, forgeron ou maréchal-ferrant, vignerons fouleurs de raisin, pompiers, pompeurs de l'eau communale qui en profitaient pour échanger et bavarder... A bien tout scruter, on aperçoit dans les panneaux explicatifs qui sont placés en dessous des scènes une date et des initiales qui sont peut-être celles de l'auteur des sculptures: A.M. On est ici en présence d'un de ces nombreux nostalgiques de la vie rurale du passé qui ne peuvent se résoudre pas à la voir glisser dans l'oubli...

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Photos Pierre Chevrier, juillet 2018.

22/07/2018

Dans les hautes herbes, deux bons amis...

[Kierdle ptêt], ss titre, 33x39cm, 1965 (2),.jpg

Signée "Kierdle" (?), cette peinture sur un morceau de toile marouflé sur un panneau d'Isorel de 33 sur 39 cm, marquée au dos du mot allemand "Unverkauflich" (Invendable...) est datée de 1965 ; la signature est très difficile à lire... ; ph. et coll. Bruno Montpied.

 

     Que dire devant cette peinture plutôt énigmatique? Une petite fille aux cheveux rouges bouclés  (à moins que ses boucles ne soient que trois antennes d'extra-terrestre?) paraît plongée, au terme d'une balade qui vient de se figer parmi les hautes herbes fleuries d'un champ en jachère, sous le ciel bleu, dans une méditation qui lui compose un teint plutôt verdâtre...

     Et que dire de son compagnon, hyper-étrange? Drôle d'animal de compagnie, tenant le milieu entre le homard redressé, et le fétiche africain au crâne curieusement pourvu de quatre fils rouges, à moins qu'une fois encore ce ne soit, là aussi, quatre antennes, adaptées au homard-masque-africain. Si, elle, a les yeux fermés, lui, se tient les yeux bien ouverts, mais noirs, tels des trous au bout desquels on ne trouvera jamais la moindre lumière...

     L'artiste qui a réalisé cette image insolite, devant laquelle on se perd en conjectures, a dû se persuader – peut-être pas tout de suite –  que jamais il ne trouverait de public pour s'y intéresser. En 1965, cela a dû en rendre plus d'un perplexe... Mais aujourd'hui? Est-ce que le regard a tant changé que cela? Peut-on s'intéresser à un tel double portrait? On est au delà de l'insolite. Comme face à un petit cauchemar solidifié, une camaraderie impossible et pourtant établie, contre tous les usages et toutes les habitudes.

 

19/06/2018

Orphée et les animaux, une peinture d'un artiste inconnu, Serge Karine

     En vente sur eBay récemment, le tableau sans titre que je reproduis ci-dessous m'a attiré l'œil tout de suite. Il fait partie de ces œuvres dont l'auteur n'a guère laissé de traces, semble-t-il. En bas à droite  on lit une signature, "Serge Karine", suivie d'une date, 47 (?)... Cela ne nous mène pas loin. Internet ne renseigne pas sur cet artiste (pour une fois!).

 

Serge Karine

Serge Karine, sans titre (Orphée charmant les animaux), huile sur toile, 33x46 cm, 1947 (?), ph. et coll. Bruno Montpied.

 

    La marchande qui me l'a vendu une poignée d'euros m'a précisé qu'il s'agissait d'un thème mythologique antique fameux : Orphée charmant les animaux. C'est l'épisode du mythe après que le poète à la lyre a définitivement perdu son aimée Eurydice au retour des Enfers (s'étant retourné vers elle malgré les injonctions d'Hadès avant qu'ils soient parvenus au jour). Désespéré, il fuit et chante sa douleur au fond d'une forêt, attirant à lui par le charme de sa musique tous les animaux aux alentours. A détailler les bêtes présentes dans le tableau, on se dit que cette forêt était habitée par une sacrée arche de Noé, autre thème, cette fois biblique, que la même marchande avait cru dans un premier temps être le sujet du tableau. Ours à l'air éploré, boa, rapace, singe (se tenant la tête comme accablé par la souffrance d'Orphée), girafes, fauve, rhinocéros, bêtes cornues, un loup peut-être, et plusieurs éléphants accourent en effet, captivés par la mélopée. En lisière d'un éperon rocheux, à l'arrière-plan, on aperçoit les silhouettes d'autres animaux rendus minuscules par la distance, donnant, ainsi qu'un horizon semé d'arbres, en dessous des rochers, la sensation de la profondeur et de la perspective aux spectateurs.

 

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François Boucher, Orphée charmant les animaux, XVIIIe siècle, musée Bargoin, Clermont-Ferrand ; on notera l'éléphant regardant de face le spectateur, comme louchant quelque peu...

 

      Orphée lui-même, dans le tableau de Karine, a un teint violacé, quand toute la composition elle-même baigne dans une lumière hésitant entre le rougeâtre et le bleuâtre. Ses lèvres sont peintes, comme maquillées par du rouge à lèvres. Il joue de sa lyre à l'aide de gros doigts, aussi épais que des saucisses.

 

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Jean Hazéra, Orphée charmant les animaux, 46x55cm, huile sur toile, 1999 ; cette toile découverte sur internet, alors que je recherchais une iconographie adaptée à la présente note, m'a révélé un peintre contemporain, vivant dans le Tarn-et-Garonne, dont je trouve l'œuvre variée attachante et très souvent séduisante (voir son site web).

 

      Ce genre d'œuvres, quelque peu orphelines, que l'on hésite à qualifier de naïves, que l'on ne peut ranger dans aucune catégorie autre que les peintures inclassables et étranges, m'intéresse de plus en plus depuis quelques années. Il me semble que je ne suis pas seul à m'y intéresser du reste, lorsque je constate que l'on en rencontre de plus en plus sur les foires et marchés à la brocante par les temps qui courent.

09/02/2018

Une naïveté toute en rousseur : A. Dumas (?)

    "A. Dumas", une signature en rouge tracée en grosses lettres au bas de deux tableaux récemment dénichés aux Puces, le "A" correspondant peut-être à "Alice", d'après ce que me confia le marchand qui exhibait ces peintures sur le trottoir, car l'auteur étant, paraît-il, une femme... Les informations étaient chiches à son sujet, il s'agirait d'une peintresse inconnue, trouvée par un médecin qui aurait ramené quelques toiles à Nice, où le marchand vendant aux Puces les aurait à son tour choisies... Au moment de sa découverte par ce médecin, elle vivait dans une maison de repos à plusieurs dizaines de kilomètres de Paris. A quelle époque? Probablement pas plus loin que le dernier siècle... Comme on le voit, et comme à l'habitude avec nos amis les brocs', il est bien dur d'avoir une traçabilité bien cernée...

A. Dumas, sans titre (les voyages au moulin), sans date, 90x106 cm, vers alt (2).jpg

A. Dumas, sans titre (deux visiteurs d'un moulin dans les bois, celui qui s'en vient, celui qui s'en va ; celui qui s'en vient a le sourire, celui qui s'en va fait une grimace : le prix de la farine lui a-t-il vidé la bourse?), sans date, 90x106 cm, huile sur toile, photo et coll. Bruno Montpied.

 

       Ce paysage me plaît énormément. Il ne faut évidemment pas se contenter de le juger d'après votre écran, la photo ne rendant que malaisément de son charme physique. Il y a un effet de matière, aux teintes rousses, rouges, brunes, jaunes, teintes automnales comme perpétuelles qui est envoûtant. Et plus je vis à côté d'elle, plus l'envoûtement grandit. L'esprit se fait progressivement aspirer dans ce paysage sylvestre aux arbres étranges. Se dressent ici, parmi ces corolles piquetant harmonieusement la composition (procédé habile d'autodidacte pour remplir le tableau d'une manière foisonnante), des bouleaux apparemment, tenant par de simples traînées blanchâtres aux dessins incertains, aux limites de l'anthropomorphisation... Et ces deux hommes aux têtes disproportionnées, aussi grosses que les roues de leurs carrioles (qui sont pour leur part passablement minuscules), que leurs expressions paraissent opposer... comme ils retiennent et interrogent nos regards, sur ces deux routes qui dessinent un V, ou le sommet d'une fourche, V que l'on retrouve en écho dans l'écartement des ailes du moulin, ailes comme désolidarisées du toit de ce moulin par ailleurs...

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A. Dumas, sans titre, sans date, 81x100 cm (un jardin aperçu dans l'axe d'une charmille, avec cinq personnages - deux femmes et trois hommes - qui paraissent s'échanger des propos, ou des plantes (un homme tenant un panier semble-t-il), devant des parterres de fleurs visible sen arrière-plan ; photo et coll. B.M.

 

    Dans ce tableau aussi, on retrouve la même gamme chromatique tournant autour d'une prédilection de l'autrice pour les teintes jaunes, rouges, oranges et brunes d'une saison figée par la magie d'une préférence. Il y a à l'évidence chez notre artiste un goût marqué pour les fleurs, l'abondance des couleurs de la nature, le foisonnement de la fertilité, apparent à la fois dans le jardin aux fleurs rouges de l'arrière-plan, et dans les ramures surchargées de grappes fleuries qui encadrent harmonieusement ce ballet de rencontres entre des personnages venus pour une récolte, semble-t-il, si l'on considère les brouettes placées à la base de chaque arbre, le tablier de la deuxième femme qui paraît concernée par le panier que lui tend l'homme devant elle, ou cet autre homme qui se penche à gauche pour cueillir des fleurs... Il y a peut-être là un moment de pur bonheur, un souvenir d'autrefois tel que voulut le revivre peut-être, au fond de sa maison de retraite, cette Mme Dumas, inconnue des radars de l'histoire de l'art, y compris naïf¹, au soir de sa vie, nostalgique peut-être, et ayant trouvé le moyen de revenir dans le passé à volonté par la magie de sa peinture.

     C'est l'occasion de répéter une fois de plus le plaisir que l'on peut goûter au spectacle d'une œuvre dite "naïve" (figuration poétique... Réalisme intellectuel...), contrairement à ce qu'affirmait Dubuffet, dans le but d'imposer son Art Brut. On n'a pas forcément affaire à un artiste ne se résumant qu'à une recherche de réalisme à l'académisme plus moins raté. Il y a chez les meilleurs naïfs, qu'ils soient frustes ou raffinés, une délicatesse de vision qui restitue la sensibilité immédiate des auteurs, une sensibilité brochée sur une perception enchantée – du fait de dispositions particulières pour voir le côté poétique des choses,  des situations, des relations entre les gens, des paysages... Le résultat de leurs œuvres est d'autant plus fort que ces artistes, qui se sont faits eux-mêmes, ont choisi de perpétuer la représentation extérieure du monde en y mêlant l'écho de leur perception intérieure de ce même monde.

       M'est avis que dans un proche avenir, l'art naïf merveilleux (car je n'ai pas en tête l'art naïf commercial du genre cul-cul) pourrait bien faire retour auprès des amateurs d'art autodidacte, par lassitude devant les recherches  répétitives  d'un certain art brut par trop déconnecté de la figuration, ou par trop ésotériques.  

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¹ J'ai consulté ma documentation, demandé autour de moi, et nous n'avons pour l'instant rien trouvé sur cette "A. Dumas" (ou Alice Dumas, le prénom "Alice" ayant été suggéré par le marchand, ce qui reste toutefois très incertain...). Si des lecteurs reconnaissaient l'œuvre et la dame, qu'ils n'hésitent pas à se manifester...

Mise à jour : cependant, si l'on veut bien sauter quelques mois sur ce blog, et se reporter à une nouvelle note, celle du 26 juin 2019, on verra que le hasard nous a finalement permis d'identifier cette artiste...

09/10/2017

L'armée des singes

      Très bel objet, très curieux que celui ci-dessous procuré par ce formidable chineur qu'est Alain Dettinger, par ailleurs excellent galeriste à Lyon, comme on sait. Son auteur est à n'en pas douter un maître –  resté inconnu jusqu'ici apparemment – tant ce portrait caricatural est abouti au point de vue du travail du bois.singeries dans l'art, singe peintre, singe musicien, singe soldat, j.marbois, adjudant chef A. Travers, anti militarisme, caricature, art populaire insolite, galerie dettinger-mayer,régiment de blindé, armée, militaria L'idée du singe soldat (on ne sait pas si c'est un gradé qui est représenté ou un simple bidasse ; enfin, si... c'est un gradé, voir commentaires) fait écho – quoique peut-être ici très involontairement – à une tradition picturale (active du XVIIe au XIXe siècle) montrant des singes peintres, des singes musiciens, botanistes, etc., destinée à moquer les attitudes vaniteuses de l'être humain,  et en particulier les artistes prétentieux qui réalisent des mauvaises  imitations, des plagiats sans esprit.

J. Marbois, soldat-singe, dédicacé en 1960 (2).jpg

Signé "J. Marbois", 28x22 cm, sculpture sur panneau de bois, dédicacé au dos: "Recevez Monsieur Ponteret ma tête de singe en souvenir Adjt Chef A. Travers"..., et daté d'avril 1960 (la date pouvant très bien ne se rapporter qu'à l'époque de la dédicace, distincte de la date de l'œuvre), coll. privée, Paris, ph. Bruno Montpied.

 

      Dans le cas de ce portrait, limité à une tête, il semble cependant qu'on ait affaire, soit à un portrait-charge d'un gradé par un soldat placé sous son commandement (le képi qui arbore à son sommet l'entrelacs, dit "nœud hongrois", désigne de fait un gradé), soit à un désir antimilitariste qui mène à représenter le guerrier sous un aspect simiesque. Le personnage montre les dents et ne paraît pas particulièrement bien disposé. On ne peut exclure non plus une interprétation de type raciste qui chercherait à stigmatiser l'apparence d'un soldat d'origine africaine (pourtant, je n'y crois guère). Sur le col de la vareuse, on peut lire les lettres "R.B.", qui peuvent désigner un soldat d'un "régiment de blindés" (merci à Régis Gayraud pour cette hypothèse). L'uniforme me fait personnellement penser aux années 1940.

J. Marbois, dédicace 1 au dos avec date (2).jpg

La dédicace au dos du panneau sculpté, ph. B.M..

 

     L'inscription au dos paraît signé par un certain "Adjt Chef A. Travers" aux prénom et nom relativement comiques. "Ma tête de singe", dit ce texte, pouvant désigner le panneau sculpté représentant une tête de singe ou la tête de celui qui écrit la dédicace. Dans cette dernière hypothèse, il faudrait supposer que l'adjudant-chef Travers aurait pratiqué l'auto dérision, ce qui paraît hautement rare de la part d'un galonné. Quelque chose me dit qu'est plutôt évoquée, derrière le possessif, simplement la sculpture insolite dont il était le propriétaire, et qu'il remet "en souvenir" à ce monsieur Ponteret. Car l'adjudant chef Travers n'a pas signé la sculpture au recto, c'est "J. Marbois" qu'on lit, dans une signature bien affirmée et lisible, dénonçant un sculpteur désireux de pérenniser son nom (visiblement conscient de son art)... et peu soucieux d'une quelconque répression de la part de l'hypothétique gradé qu'il aurait caricaturé. Travers ne fut, apparemment, qu'un propriétaire de l'œuvre, offerte et dédicacée à un troisième "larron" en 1960.

       C'est du moins les hypothèses que j'émets pour le moment. Comme d'habitude, si des lecteurs avaient des informations ou d'autres idées au sujet de ce singe soldat, je reste preneur...

 

25/08/2017

Cyril Constantin, un artiste total très méconnu...

Couv Cyril Constantin artiste singulier.jpg

Un ouvrage d'art récemment paru (2016) sur un artiste savoyard oublié.

 

     Le mot "singulier" est parfois un peu accommodé à toutes les sauces. Cyril Constantin, géant barbu qui n'aima guère quitter les bords du Lac du Bourget, fut un artiste que, je parie, peu de gens connaissent, un artiste certes autodidacte, mais assez difficilement rattachable au corpus des artistes dits singuliers (dont le père tutélaire est peut-être Gaston Chaissac). C'est un prototype d'artiste ayant fait carrière avant tout dans sa région. Né en 1904 à Chambéry, il passa la plus grande partie de son existence à Aix-les-Bains, avec une parenthèse à Tresserve, près du Lac, où il se bâtit sa propre maison qui se voulait un Temple de l'Art et un "Empire de Cyrilie" avec une monnaie propre. Il décède à Aix en 1995 à 91 ans.

     Certes, il n'a pas de formation en écoles des beaux-arts. C'est un autodidacte qui a des intuitions géniales. Au départ, il se crée une affaire de confection et chapellerie, il est sportif, et passionné de mécanique, suffisamment pour pouvoir construire un petit avion en kit qu'il appelle le "Pou du ciel". En 1937, il dépose un premier brevet d'invention. Ce goût de l'invention est sans doute ce qui le caractérise en premier, même si la plus grande partie de son existence se passe à la lumière de l'art. Lors de son mariage, il se déclare d'ailleurs avant tout "inventeur". La peinture lui est venue, écrit Geneviève Frieh-Giraud, sur "un coup de tête", en 1943. Il peint une grande toile, reproduite curieusement partiellement dans le livre, alors que cela paraît son œuvre-clé, en 1944, "Satan conduit le bal".

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Le peintre âgé devant sa toile "Satan conduit le bal", peinte dans sa jeunesse, photo extraite du livre Cyril Constantin artiste singulier ; il y a du Ensor dans ce tableau-là, qui fut offert par la suite à la ville d'Aix-les-Bains.

 

     Il va, semble-t-il, rencontrer un certain succès  dans les milieux parisiens, il expose en galerie, l'Etat lui achète deux tableaux "pour les Collections nationales". Il fréquente Frédéric Delanglade, le peintre surréaliste qui était aussi ami du Dr. Ferdière. Mais il ne paraît pas s'entendre avec ce milieu de galeristes parisiens, il s'embrouille lors d'un accrochage à la galerie de Katia Granoff. L'homme a du caractère, peut-être trop ? Il va surtout se contenter dans ces années d'après-guerre de créer un mouvement d'artistes dans sa région natale. C'est un bon vivant, il a tout du rapin friand d'agapes et de beuveries, les canulars ne sont pas pour l'effrayer. Il projette à un moment d'aménager le Lac du Bourget de façon révolutionnaire.

idées pour le lac du bourget.jpg

Cyril Constantin projetait d'araser une montagne, la Dent du Chat, pour en faire une pyramide ; les roches enlevées serviraient de fondations pour des îles artificielles : l'Ile au trésor, l'île déserte, l'île aux rats, L'île Liputienne, le belvédère des dieux, etc. ; plan extrait du livre de Geneviève Frieh-Giraud.

 

    Sa peinture a quelque chose d'à la fois naïve et expressionniste. Hélas, si l'on se base sur ce que met en avant le livre de Geneviève Frieh-Giraud, les sujets qu'affectionnent le peintre manquent passablement d'imagination, se complaisant fréquemment dans l'iconographie chrétienne ou les autoportraits qui trahissent chez Constantin une admiration sans borne pour son reflet. C'est peut-être cette faiblesse d'inspiration dans les sujets qui ont rejeté ce peintre dans l'ombre. Il faudrait une exposition rétrospective bien choisie qui nous présenterait ses œuvres les plus originales pour se faire une idée plus juste. Car, c'est un des mérites du livre, on voit, de ci de là, tout de même, surnager quelques pépites, des tableaux, mais aussi des résultats d'expérimentations de tous ordres, la vocation initiale d'inventeur ayant fini par reprendre le dessus au cœur de l'art. Constantin grave, tripatouille la matière, invente un nouvel alliage, le cyrillium, qu'il trouve le moyen  de fondre avec le verre en compagnie d'un maître-verrier de ses amis.  Il mène toutes sortes d'expériences, il a un côté alchimiste. Puis il paraît abandonner à un moment, dans les années 1960, la peinture pour se consacrer à ce qu'il appelle la "cyrillovision", projection lumineuse de couleurs et de formes aléatoirement mélangées, en mouvement. L'époque où il se lance là-dedans est celle de l'art cinétique, d'autres sont aussi intéressés que lui par la création avec la lumière (Asger Jorn, le peintre danois, par exemple fixe sur des toiles les trajectoires de faisceaux lumineux qu'il a tracées dans l'air).

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     Cyril Constantin a quelque chose de l'Italien Giuseppe Pinot-Gallizio, autre créateur autodidacte (à la base, il était pharmacien) peu connu en France, alors que ce fut un créateur génial, situationniste (au début du mouvement), promoteur d'une "caverne de l'anti-matière" aux parois couvertes de peinture, et initiateur de la peinture explosive, puis de la peinture industrielle produite par une machine crachant aléatoirement de la peinture sur des dizaines de mètres de rouleaux de toile blanche, le but étant la destruction du marché de l'art... Constantin participait ainsi - le sut-il? - des expérimentations de son époque, mais encore une fois, le sujet souvent religieux de ses peintures l'éloigne de toute velléité de rapprochement rigoureux avec les autres artistes d'avant-garde que j'ai cités, parfaitement athées, eux, et ennemis de toute adhésion à une quelconque religiosité.

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Cyril Cosntantin, exemple des résultats obtenus par le procédé de projection de la "Cyrillovision", photo extraite (comme celles ci-dessus) du livre de Geneviève Frieh-Giraud.

 

     Cependant, il peut être curieux de chercher à mieux connaître la vie et l'œuvre de ce personnage "singulier" que je ne fais ici qu'effleurer et que restitue au plus près l'ouvrage de Geneviève Frieh-Giraud, car l'homme était à n'en pas douter un phénomène hors du commun, quoique fils de son époque.

 

Pour se procurer le livre, on ira voir à la librairie de la Halle Saint-Pierre (à partir de septembre, car en août ils sont fermés), et sinon, on peut le commander directement à l'Association pour la sauvegarde du patrimoine de Tresserve, Mairie, 40 chemin de Belledonne, 73100 Tresserve.

26/07/2017

Enseignement médical par l'image

Anonyme (2), enseigne africaine médicale naïve, 61x81cm, sd (années 50 ptêt).jpg

Panneau-enseigne médicale, provenant d'Afrique (probablement de l'ouest, même si on me l'a d'abord décrite comme venant de Madagascar...), peinture sur bois, sans signature, sans date (années 1950?), avec inscriptions, 61x81 cm, photo Bruno Montpied, coll. privée.

 

    "Déparasitage - purgatif (les vers intestinaux) / Insuffisance rénale (limbago [sic] - maux de hanche / Les hernies"... La litanie des maux - soignés dans le dispensaire où était accrochée cette peinture explicative, peut-être aussi éducative? - est peinte avec un impitoyable vérisme qui fait presque tout son charme : une cascade de vers sous ce derrière à la raie fort longue (puisqu'elle remonte jusqu'à la nuque du souffrant...), la femme en boubou penchée,  appuyée sur sa canne, vers l'homme qui chie son ténia (sans gêne alors qu'il est en public), comme si elle s'apprêtait à lui faire une importante déclaration, la nudité du bas du corps de l'homme de droite (seule la femme a le droit de rester vêtue, la pudeur lui étant sans doute réservée), avec son poing sur l'aine, désignant peut-être une hernie inguinale qui affecte l'aine, et peut aussi, si elle s'aggrave, descendre dans le scrotum - ce qui explique peut-être les attributs sexuels de l'homme exposés sans fard, et notamment les testicules peut-être sur-traités... La pâleur de ces corps joue leur partie en ajoutant de l'étrangeté (car enfin, sont-ce des Noirs  ou des Blancs qui sont représentés? Les caractères typiques africains ne paraissent pas particulièrement marqués). Il y a des détails insolites, comme les tongs aux pieds qui subsistent même quand tout le reste du corps est dénudé., ou les coupes de cheveux qui dénotent sûrement une mode datée (on pense un peu aux enseignes actuelles des coiffeurs africains de Château d'Eau, ou Château Rouge à Paris, qui présentent en devanture des mosaïques de modèles de coiffures disponibles. Le bleu pâle du fond (le ciel ?) joue aussi dans l'attraction qu'on éprouve vis-à-vis de ce tableau pourtant pas fait au départ pour distiller une impression avant tout esthétique. L'homme à droite, comme au garde-à-vous, avec sa jolie chemise blanche impeccablement repassée, regarde le spectateur droit dans les yeux, semblant le prendre à témoin, avec son poing sur la hanche comme s'il semblait vouloir dire : "Hein? Qu'est-ce que vous dites de ça?...". Curieuse peinture, en vérité, trouvée de façon inattendue dans une brocante le long de la Gironde, où je me demande encore comment elle avait pu y échouer... 

26/06/2017

Travail d'Apache

A.Escudier (2), Travail d'Apache à Belleville, 47x38 cm, 1905, .jpg

A. Escudier, Travail d'Apache à Belleville, 1905, 47x38cm, coll. et ph. Bruno Montpied.

 

    Les feuilles mortes s'y ramassent à la pelle et, apparemment, pas seulement les feuilles... comme on peut le voir avec cet homme largement suriné (d'un coup de poignard bien peu subtil), sur ce tableau peint sur carton par un certain Escudier au début du siècle dernier. On a affaire à un triple leitmotiv ensanglanté: le foulard au cou de l'Apache, la pointe du surin et la plaie de la victime au sol qui ressemble à une cravate défaite.  L'homme mort (une vengeance?) arbore une expression proche de l'étonnement, ce qui accentue le caractère naïf de la peinture. La scène de meurtre a quelque chose de stéréotypée, comme reproduite d'après la photo d'une de ces publications à sensation qui exploitaient les faits-divers, comme il y en a toujours eu (avant les journaux, il y avait les occasionnels, les canards avec des gravures sur bois bien "sanglantes", cherchant à profiter de l'émoi des bonnes gens, facilement prêtes à s'épouvanter devant de tels crimes). On nous parle de "Belleville", mais la scène se passe dans un bois... A Belleville, en 1905, l'urbanisation avait déjà fait litière des bouts de nature sauvage qui existaient autrefois sur les hauteurs de cette colline parisienne. Peut-on imaginer alors que l'assassinat a eu lieu dans un recoin discret des Buttes-Chaumont qui s'étend aux lisières de Belleville?

04/05/2017

Deux princesses dans une forêt noire

Benoît Petit (2), sans titre, 65x55cm (encadré), 1998.jpg

Benoît Petit, sans titre, signé d'un monogramme (assez éloigné des initiales du nom de l'auteur donné par la galerie  qui le vendait) et daté de "98" (si je déchiffre correctement), dans un cadre de 65x55cm,  ph. Bruno Montpied, coll. privée, Paris.

 

      Elles sont gracieuses, juchées au sommet de leurs robes écarlates mais gagnées par les ombres, pareilles à des cônes montagneux. Elles sont des pics enkystés au sommet de deux montagnes de taffetas rouge, agitant leurs bras tels des sémaphores oniriques. Elles sont les reines honorées par un voyeur fou, silhouettes de timbres dont il s'est épris par enchantement subit, prisonnières aux faîtes de piédestaux de biftecks empilés.

Benoît Petit, sans titre, 65x55cm (détail), 1998.jpg

Détail du tableau précédent, les effigies féminines au sommet des robes immenses sont imprimées sur deux timbres collés sur le panneau, et recouverts de peinture, ce qui permet de mieux les incorporer à la composition ; on peut imaginer que l'idée de cette composition est peut-être même venue du désir  de l'auteur, tout à sa rêverie, de la faire dériver des images des timbres.

 

     C'est sans doute pour les perdre plus complètement, que le peintre les a installées dans une forêt noire, au crépuscule, admirables captives (prisonnières de l'admiration?) vers lesquelles nos regards sont guidés à converger en suivant le sillage de chair cramoisie qu'a bâti l'artiste (inconnu? On nous a affirmé un nom, Benoît Petit, sans nous en dire plus, s'il reconnaît son tableau, s'il est vivant, ou si quelqu'un en sait un peu sur lui, qu'il n'hésite pas à laisser quelque commentaire...).

 

20/04/2017

Le dessin-mystère du jour

dessins anonymes,caricatures,équilibristes,art graphique insolite

Anonyme, sans titre, sans date (XIXe siècle?), crayon sur papier, 23,5x34 cm, coll. privée, photo Bruno Montpied.

 

      Déniché récemment par le galeriste lyonnais Alain Dettinger, grand chineur devant l'Eternel, voici un dessin anonyme au papier jauni, par les ans semble-t-il, ressemblant fortement à une caricature, avec ses cinq personnages aux allures insolites.

      A moins que ce ne soit une ruse du dessinateur. Je me demande en effet si l'on n'a pas affaire à une apparence de caricature, comme si un dessinateur du XXe siècle s'était amusé à pasticher un caricaturiste du XIXe siècle, tout en glissant dans l'image des éléments infiniment plus modernes, du genre qui découle du passage du surréalisme dans l'histoire des représentations artistiques. Il y a du Topor dans ce dessin-là, si l'on considère les deux têtes croquées à droite de la composition. Ce genre d'équilibristes – comme d'un individu que l'on aurait enfoui dans le sable, ne laissant que la tête dépasser du sol, obligée de tenir sur son front une sorte de poire sur laquelle est fichée, miraculeusement stable, une assez longue dague (un poignard subtil?), sur la poignée de laquelle est fichée une seconde pointe, celle d'une lame triangulaire qui paraît avoir pour manche une autre tête dans la bouche de laquelle est planté le fin tuyau d'une pipe qui fume... –, ce genre d'équilibrisme serait furieusement en avance sur son temps s'il avait été imaginé au XIXe siècle. Mais cela se peut. Cette époque n'a-t-elle pas vu Grandville, par exemple...?

      Les trois personnages de gauche, le trapu s'appuyant sur une béquille tel un personnage pitoyable de Brueghel, le grand maigre aux longs bras et aux jambes grêles, se donnant malgré tout des airs de poète dandy, une cape jetée négligemment sur l'épaule, le badaud bedonnant les observant  de profil, fier de lui (et de sa prospérité), mais inconscient de son physique qui pourrait paraître ridicule (ce ventre, ce postérieur rebondi dans un pantalon moulant...), sont-ils responsables de la situation périlleuse du personnage à la tête menacée par cette dague qui pourrait glisser et la transpercer à tout moment ? On se perd en conjectures...

02/01/2017

Alfred Flóki (1938-1987), un symboliste surréaliste attardé en Islande

     Grâce à l'aide de Jean-Louis Cerisier qui l'avait gardé dans ses archives familiales, j'ai retrouvé un dessin d'un dessinateur islandais qui, des années 1960 aux années 1980, joua les Alfred Kubin à la sauce Reykjavik.

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Alfred Flóki devant deux de ses dessins (années 1960?)

 

      Sjón, l'écrivain islandais le plus notoire de ce petit pays, et commissaire d'une rétrospective qui a eu lieu au musée des Beaux-Arts de Reykjavik en 2009, connut probablement Flóki, avant que ce dernier disparaisse prématurément à 49 ans. Il  présente ce côté rétro de l'artiste dessinateur comme une manière de réemployer les styles du passé pour les faire servir à une autre époque dans un autre type de récit. Il écrit : "D’une manière semblable à la façon dont Karen Blixen et Jorge Luis Borges réactivaient les vieilles traditions du récit de contes, Flóki employait des techniques visionnaires venues du passé en les intégrant à son propre langage." (Texte de présentation traduit par Bruno Montpied d'après une version anglaise, voir le texte complet à la fin de cette note). C'est assez malin, cette façon de tourner les choses... A priori, je dirais plutôt que par sincère admiration pour les dessinateurs visionnaires de la fin XIXe siècle, début du XXe siècle (les Kubin, les Max Klinger, les Félicien Rops, etc.), Flóki les continuait, en s'assimilant le surréalisme – comme le note aussi Sjón d'ailleurs, dès la première phrase de son texte – mais un surréalisme d'autodidacte, ce qui le rapproche d'un surréaliste belge, appelé Armand Simon (1906-1981), que le musée royal de Mariemont et le Centre culturel wallon à Paris ont exposé en 2014 ,à côté de Kubin, Klinger et Rops. Ce genre de dessinateur illustre à merveille un surréalisme spontané où les rapprochements les plus délirants se mêlent à des provocations immorales, le tout exprimé avec des moyens graphiques adolescents (c'est-à-dire des moyens graphiques en herbe).

     Cela dit, un ami, membre du groupe de Paris du mouvement surréaliste, Guy Girard, m'a envoyé récemment la précision suivante: " Flóki a bien participé aux activités collectives surréalistes du groupe Medusa (le groupe de Sjón, Thor Eldon and co) et auparavant à "Surrealist i Norden" (avec des surrés danois dans les années 1960-1970), si je me souviens bien. J'aime bien ce genre d'art "lubrique-visionnaire"."

Alfred Flöki, (2) encre et plume sur papier, 42x29,5cm,1982, coll.B.M..jpg

Alfred Flóki, sans titre (à moins que le titre soit l'inscription, incompréhensible pour moi, qui se trouve au verso : "©otsy"...), 42x29,5 cm, encre sur papier, 1982, anc. collection Christine Bruces ; c'est le dessin retrouvé dont je parle au début de cette note.

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Dessin d'Armand Simon, publié dans L'ombilic du rêve, Rops, Klinger, Kubin, Simon, sous la dir. de Sofiane Laghouati, La lettre volée et le musée royal de Mariemont (Belgique), 2014 ; même goût pour la provoc' naïve...

 

      Flóki peut être aussi rapproché d'un autre symboliste tardif, Gustav-Adolf Mossa, grand inclassable de l'art à l'écart, vivant à Nice, loin de  la capitale donc, qui possédait cela dit un métier artistique plus poussé, mais qui était tout aussi friand de scènes provocantes, avec des goules fixant de leurs grands yeux fous les spectateurs, du haut de pyramides où s'empilent des cadavres d'hommes nus, massacrés par elles. Ces artistes ont ceci en commun de vouloir forcer le trait, de lâcher les chiens de leurs fantasmes, sans se laisser freiner par de quelconques tabous. Ne s'en effraieront que les grenouilles de bénitiers.

 

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Alfred Flóki, 36,8 x 26,8 cm, 1983.

 

        Alfred Flóki est parfaitement inconnu par nos contrées, du fait du manque de curiosité des professionnels de la critique d'art, et du fait aussi de la barrière de la langue. L'islandais paraît si exotique aux oreilles françaises. Et pourtant, plusieurs artistes islandais, plasticiens ou musiciens de rock et de pop, ont su se faire connaître (en parlant anglais): Erró, Björk, Emiliana Torrini, et plus récemment Olafür Arnalds... Je suis tombé dessus en ce qui me concerne grâce aux surréalistes islandais qui firent parler d'eux dans les années 1980 (Sjón était leur figure de proue, avant de devenir par la suite, l'écrivain national et, accessoirement, le parolier de Björk). Et puis ma grande amie Christine Bruces séjourna en Islande deux mois (1982 ou 83 ?), où elle rencontra Björk, alors peu connue,  Sjón et autres membres du groupe des débuts de Björk, les Sugarcubes... et Alfred Flöki ! Elle m'avait raconté qu'il l'avait même entraînée, voulant la draguer très probablement, dans un petit voyage à travers l'Islande, en louant un taxi. La longue chevelure de Christine lui rappelait certainement les femmes qu'il affectionnait de dessiner dans ses compositions. Le dessin de la femme faisant une fellation à un pendu, qui fut donné à Christine suite au petit voyage, ne fut peut-être pas dessiné en pensant à elle, mais sa réalisation paraît cependant contemporaine du séjour de mon amie en Islande. D'où l'hypothèse qui courut un temps lorsque Christine montra le dessin de retour à Paris qu'il représentait un fantasme de Flóki vis-à-vis d'elle... Elle faisait la grimace devant cette hypothèse, et je ne pense pas qu'elle aimait beaucoup l'œuvre... Après tout, il y a plus romantique comme fantasme.

     Flóki, cependant, ne peut être limité à ce genre de dessin provocateur. Il possède apparemment, si l'on en juge d'après internet, au gré de ventes aux enchères islandaises (l'œuvre ne paraît avoir quitté beaucoup son pays), d'autres sources d'inspiration comme les images ci-dessous tentent de le démontrer.

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Alfred Flóki

Alfred Flöki (38-87), Dökkumio, 60x90cm, 1983.jpg,.jpg

Alfred Flóki, 60x90 cm, 1983.

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Alfred Flóki, Œuf noir, 25x34 cm, 1977.

Alfred Flöki, Aning (mise en scène), 29x24 cm, vers 86.jpg

Alfred Flóki, Aning (mise en scène), 29 x 24 cm, vers 1986.

 

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Texte de présentation de Sjón (2009):

     Alfreð Flóki tient une place à part dans l’histoire de l’art islandais. Il fut inspiré par le symbolisme et le surréalisme, les théories de mystiques et de poètes, et ne manqua pas d’offenser ses compatriotes avec les idées audacieuses que ces sources ténébreuses propageaient. A sa première exposition, en 1959, il parut évident que Flóki voguerait à rebours des courants de l’époque. Non seulement il dénonçait l’art de la peinture et l’abstraction, mais ses sujets figuratifs, traités au fusain et à l’encre, étaient, pour le dire diplomatiquement, étrangers au public islandais. Le spectateur était rejeté de la vie morne et grise de Reykjavík vers un monde où la nature humaine apparaissait sous ses formes les plus extrêmes : la procréation et la mort, des fanatiques religieux constipés luttant contre de souriantes et capricieuses séductrices, le durcissement ou le pourrissement de la chair, des singes libidineux fricotant avec de nobles dames au passé suspect. D’une manière semblable à la façon dont Karen Blixen et Jorge Luis Borges réactivaient les vieilles traditions du récit de contes, Flóki employait des techniques visionnaires venues du passé en les intégrant à son propre langage. Mais même si la façon dont Flóki a construit son monde d'images rappelle plus les méthodes de travail des écrivains que celle des artistes, personne, parmi ceux qui auront vu son œuvre, ne peut douter qu’il chercha toujours de nouvelle voies dans ses interprétations visuelles ; la ligne peut tantôt être propre et bien pensée, tantôt devenir indisciplinée et agressive.

      Dans cette rétrospective, nous cherchons à faire connaître aussi bien le Flóki, artiste travailleur acharné, que le Flóki facétieux qui répondait à la curiosité du public à propos de sa vie privée par des interviews chargées de remarques provocatrices. L’œuvre qui reste nous peint une personnalité qui a plongé son regard dans l’abîme et nous a rapporté – à nous qui ne pouvions faire autrement que de regarder de l’autre côté – des histoires de ce rendez-vous dessiné avec la matière même, pourpre et noire, des ténèbres.

Sjón.

le génie Alfred Floki à Kvoldgongu.. fév 1959, 30,5x18,5cm.jpg

Alfred Flóki, Le génie Alfred Flóki à Kvoldgongu,  30,5 x 18,5 cm, fév. 1959.

 

17/12/2016

Mark/Isidor, l'art au bord du gouffre

      Hier, je me baladais dans un quartier de Paris connu pour abriter de nombreuses galeries. Un quartier des plus chics et des plus historiques de la capitale. Belles maisons, beaux objets, tout très cher évidemment. Subitement, mon œil aperçoit de l'autre côté d'une rue très passante, sur un trottoir étroit, un amas de planches parmi lesquelles se trouvent des panneaux peints de scènes diverses, certains qui paraissent pouvoir retenir l'attention. Je traverse, me disant qu'un artiste du coin a vidé ses laissés pour compte sur le trottoir autour de sa poubelle. Dans le tas, il me semble que parmi des peintures pas très poussées, mais tout de même assez brutes de décoffrage, peuvent surnager quelques pièces à sauver de la destruction (les éboueurs ne sont pas encore passés). Je commence à déplacer les peintures, ébauchant un tri, tout en repêchant les œuvres qui se cachent les unes en dessous des autres. Tout à ma tâche, je n'ai pas examiné de quoi est fait le tas sur lequel s'empilent les panneaux, et brusquement, je perçois un mouvement à l'intérieur. Il y a un homme là-dessous! Qui s'extirpe pour voir qui je suis et pourquoi je fouille dans ses affaires... Il n'est pas en colère. Je m'excuse, en outre... Je lui explique que j'ai cru qu'il s'agissait de peintures jetées à la rue. Il baragouine dans un pidgin difficile à décrypter, mais il a compris que je m'intéressais à ses petits tableaux. Nous nous entendons rapidement. A force de lui faire répéter ses mots, je parviens à dégager quelques éléments. Il viendrait d'un pays de l'est, un de ses tableaux montre un drapeau de l'ancienne Yougoslavie. Il signe "Mark" sur plusieurs de ses tableaux, ajoutant parfois un nom en rapport avec une personne rencontrée (je n'ai pas compris de quel type était le lien entre cette personne et l'image), par exemple "Calamo" (nom d'un encadreur du quartier paraît-il, peut-être une transcription ultra approximative du vrai nom) ou "Isidor"...

Vue générale (2) de l'expo de rue 1.jpg

Vue générale de l'installation de Mark, "street artist" d'un autre genre, photo Bruno Montpied, 2016.

Vue générale (2) de l'expo de rue 2.jpg

Mark, pour les besoins de la photo, a disposé la plupart de ses tableaux comme pour une expo sauvage, en pleine rue, ph. B.M., 2016.

 

     Sa situation est des plus périlleuses. Il dort et vit sur un petit matelas sous cet échafaudage de planches (je n'ai pas trop eu le temps d'examiner en détail son abri, j'étais appelé ailleurs), sur  un trottoir qui ressemble à une corniche posée au bord d'un torrent de bolides hurlant, se précipitant à cet endroit vers le sud de la capitale. En dormant, ou ayant bu un coup de trop,  il pourrait verser sous les roues des voitures. Je le lui dis, mais il répond, mais non, c'est OK... Est-il là, justement à cause de cette localisation peu enviable, sur un bout de bitume que personne ne peut songer à lui disputer? Il s'enfouit sous cet amas de tableaux qui lui sert de couvertures (à tous les sens du terme), d'abri, de carte de visite, et de cachette, qu'on prend, comme moi, pour un tas de détritus en lisière d'une circulation si bruyante qu'on n'a qu'une hâte, s'éloigner le plus vite possible... (D'ailleurs, le bref dialogue que j'eus avec ce peintre clochard était sans arrêt recouvert par le vacarme des véhicules, ce qui n'arrangeait pas la compréhension comme on l'imagine). Mais, je m'en apercevrai plus tard, il laisse dépasser du tas ses jambes abritées dans un sac de couchage , simplement masquées par un mince tableau (sans doute est-ce un moyen d'informer le passant – et l'éboueur – qu'il ne s'agit pas là d'un tas de détritus comme les autres... De plus, il est aussi à remarquer que sous l'endroit où il pose une chaise, il y a une bouche d'aération qui lui assure peut-être un peu de chaleur.

Mark, sans titre (2) (Salamo ; tête cornue, ptêt un faune...), 33x28cm, 2016 (alt).jpg

Mark, sans titre ("Calamo" ne paraît pas être le titre), peinture (acrylique?) sur panneau de bois, 33x28cm, ph. et coll.B.M. ; à noter qu'il semble que la peinture lui ait été fournie par un marchand de fournitures artistiques du quartier, à partir de ses invendus

 

      Le contexte urbain a dû peser sur son choix de se lancer dans la peinture. Le quartier est semé de galeries diverses et variées. Juste à côté de son abri, visible sur la première photo mise en ligne ci-dessus, on aperçoit d'ailleurs un bout d'un magasin d'antiquités (où les prix des œuvres sont bien entendu à des années-lumière de ses prix à lui...! Je lui  ai acheté un petit portrait d'homme, pourvu de cornes, ressemblant à un faune, pour une somme peu élevée mais qui peut tout de même l'aider). Il "habite" ce trottoir depuis déjà quelques années, d'après ce que m'a confié une galeriste du coin, mais le désir de peindre ne semble être venu que depuis  un an – le temps sans doute qu'infuse en lui la présence massive des œuvres d'art présentes autour de lui dans le quartier...?

Paysage à l'éléphant (2), 60x110cm env.jpg

Mark, sans titre, paysage à l'éléphant (fort membré), à peu prés 60x100cm, ph.B.M., 2016.

Source d'inspiration (2), une brochure donnée par des passants.jpg

D'où vient l'inspiration... pour les scènes érotiques situées en contrebas sur la photo ; à noter aussi le portrait de Michel Sardou en jaune et bleu, sous la brochure... ph.B.M, 2016.

 

    Il paraît chercher de temps à autre une utilité à ses peintures – distincte du pur plaisir de les contempler, je veux dire. Il me montra par exemple une peinture de paysage dont un espace vide, peint en bleu ciel, pouvait servir à insérer un menu de restaurant . Il fait dans la peinture érotique aussi, en démarquant les images d'une brochure que des passants grecs lui ont donnée. Mais dans sa (petite) production, le meilleur est encore à chercher du côté de peintures bizarres, un paysage avec un éléphant semi rose (rançon d'un demi éthylisme?), une "grenouille" qui m'a tout l'air d'avoir été écrasée, un portrait de Michel Sardou (chanteur qui a l'air de l'obnubiler), une composition bleue vaguement "cubiste", une autre avec un globe terrestre, un portrait en profil de Spartacus, un bateau à la forme inusitée...

La grenouille (2), Isidore.jpg

Mark, "grenouille"... Une inscription à droite : "Isidor" (une autre signature?), ph.B.M., 2016.

Saynète bleue.jpg

Mark, sans titre (saynète bleue "cubiste"), ph. B.M., 2016.

Bateau, Isidorejpg.jpg

Mark, sans titre (un bateau ; plus la  même inscription que ci-dessus, "Isidor", qui paraît comme masquée...), ph.B.M., 2016.

 

    Cet homme, peintre sauvage de rue, devrait être encouragé, je trouve. Cela fait d'ailleurs longtemps que je pense que les SDF qui mendient dans la rue devraient s'essayer à l'art. Cela pourrait être une source de revenu. Vu le nombre de passants dans les couloirs du métro, ils toucheraient fatalement quelques collectionneurs croisant devant leur installation de misère. Je ne donne pas l'adresse exacte de ce peintre, mais si quelque amateur demandait à le rencontrer, qu'il n'hésite pas à me contacter en privé (adresse en haut sur la colonne à droite sur ce blog, ou adresse à la fin de "l'éditorial" qui se cache dans la rubrique "A propos", même colonne). 

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Mark (Isidor?), ph. B.M., 2016.

28/09/2016

Silburn et Mooky, Régis Gayraud mène l'enquête

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Silburn, Souvenir de Fresnes, 28-7-1940, coll. et photo Régis Gayraud

 

      J’ai déniché ce petit tableau il y a un peu plus de deux ans, aux Puces des Salins de Clermont-Ferrand. L’hiver, j’y passe presque chaque dimanche et n’y repère pas grand-chose, mais ce matin-là, cette œuvre sous verre modestement encadrée de ruban adhésif rouge m’a attiré par son aspect inhabituel sur un stand encombré de toute sorte de vieilleries comme on en trouve partout, pots à lait, rouets, vieux verres, cendriers, portemanteaux… Je ne connaissais pas le vendeur et ne l’ai jamais revu, et comme de juste, quand je lui demandai la provenance de cette œuvre, il me répondit qu’elle avait été tirée d’un grenier après un décès, « sur Clermont », qu’il en ignorait l’auteur mais qu’il se renseignerait et pourrait m’en dire davantage une fois prochaine, ce qui, bien sûr, n’était qu’une manière d’éluder la question sans avouer son incapacité.

      Plusieurs choses m’ont séduit dans cette image dessinée à l’aquarelle et, semble-t-il, au tire-ligne, sur un papier assez fin de médiocre qualité, qui s’est révélé ensuite adossé sur un morceau de carton publicitaire (apparemment, pour une revue technique automobile) réemployé comme fond, au dos duquel on avait collé une attache pour l’accrocher à un mur. C’était, tout ensemble, l’aspect général, cette imagerie précise, détaillée, et ingénieuse dans son naïf savoir-faire (le rendu du métal du seau, celui de la lampe, la forme précise des supports de l’étagère, par exemple), l’harmonie des couleurs sourdes, convenant parfaitement à l’atmosphère, cette atmosphère même, démoralisante, angoissante, et enfin, bien sûr, ce que racontait le tableau, qu’expliquaient les textes qui l’accompagnaient, et en faisaient pour ainsi dire un monument historique. Le personnage représenté était sans doute ce Mooky dont le nom apparaissait sur la valise placée devant lui en guise de table. Le même nom se trouvait signer la proclamation écrite en bas au crayon rouge comme un titre : « Quand j’étais victime de la guerre. Captif des Allemands, la prière et l’amour soutenaient mon courage ». A gauche, sur le lit, la mention « Souvenir de Fresnes 28/7/1940 » faisait surgir dans mon souvenir que la Gestapo incarcérait à Fresnes, dès 1940, toute sorte de récalcitrants. La signature n’était pas totalement lisible.

       J’ai acheté ce tableau pour une somme modique. Chez moi, j’ai tôt fait de découper légèrement le ruban adhésif pour séparer le tableau de son cadre, à la recherche d’une indication. Au dos, je découvre la mention d’une adresse, au crayon, où le nom de l’auteur de la peinture, jusque-là conjecturé, est cette fois clairement orthographié : « J. Silburn 59 A avenue Horace Vernet Le Vésinet S. & O. » Je remarque aussi que l’inscription en rouge signée par le nommé Mooky n’a pas été écrite directement sur le papier qui supporte le dessin, mais sur un autre papier plus grossier qui est collé au bord inférieur de celui-ci. J’en déduis que le tableau dessiné par Silburn et représentant Mooky a été offert par son auteur à ce même Mooky, qui, l’ayant accroché chez lui, y a ajouté son commentaire. Et j’imagine alors que Mooky et Silburn étaient compagnons de cellule, à Fresnes, en juillet 1940. La précision de la date, et aussi l’abondance de détails me suggèrent que le dessin n’a pas été réalisé de mémoire, mais a été fait là, dans cette geôle infâme. Mooky posait, et le temps de la pose était comme une pause dans l’horreur, pour le dessinateur qui travaillait comme pour le modèle qui affirmait sa dignité. L’émotion me prend à l’idée que je tiens entre les mains le témoignage d’un compagnonnage d’angoisse qui a pris tout son temps pour, ce matin, sur l’étalage d’un brocanteur négligent, me trouver.

      Par sa méticulosité, on dirait que l’artiste s’est ingénié à instaurer chez son compagnon et lui-même une sérénité qui voulait dire : « Nous survivrons ! ». Mais qui était-il, ce Silburn, capable, au moment d’être arrêté, de prendre avec lui sa boîte d’aquarelle ? En cherchant « Silburn Le Vésinet » sur l’Internet, je trouvai assez vite plusieurs mentions d’une Lilian Silburn, née à Paris en 1908 et décédée au Vésinet en 1993. Ce n’était pas n’importe qui. Directrice de recherches au CNRS pendant de longues années, elle était une indianiste réputée, sanskritiste, spécialiste du shivaïsme. Sur elle, on a écrit un livre, et elle-même en a écrit plusieurs. Initiée au soufisme, la scientifique était aussi une mystique, maillon dans une chaîne de maîtres et de disciples, et il semble qu’au Vésinet, autour d’elle, se soit aggloméré un petit groupe d’admirateurs fervents unis par ces exotiques croyances. Mais n’oublions pas que l’initiale du prénom portée sur le tableau est J. Je trouve alors une possible solution sur un site de généalogie. Dans un arbre en accès libre, on trouve le nom d’un James Henry Alexander Silburn, né à Londres en 1881 et mort lui aussi au Vésinet, en 1950. Les dates concordent. J’imagine bien un homme d’une soixantaine d’années tenir ce pinceau ferme et reposé. James Silburn était étalagiste. C’est un métier soigneux où il arrive qu’on conçoive de petits décors, ce qui explique peut-être cette familiarité avec l’aquarelle. Par ailleurs, James est le cousin de ladite Lilian. La famille Silburn, britannique, paraît s’être installée en France au début du XXe siècle et a fait souche, semble-t-il, au Vésinet. Née en France, Lilian, elle, était déjà française.

       Je sais qu’en 1940, parmi les premiers emprisonnés – et souvent par la police française qui aidait plutôt deux fois qu’une la police allemande - se trouvaient de nombreux ressortissants de l’Empire britannique, et souvent des « métèques » dudit Empire, que l’on traitait sans le moindre ménagement. Je me dis alors que c’est peut-être la raison – être sujets britanniques - qui précipita dans la geôle de Fresnes James Silburn et Mooky. Qui était Mooky ? Un autre Britannique ? Peut-être d’origine indienne ? Fais-je un délire d’interprétation si je décèle en lui des traits qui pourraient être indiens ?

      Qui était Mooky ? A moins que J. Silburn et lui ne soient qu’un seul et même homme (ce que je ne pense pas), le vieil homme à la chemise impeccable, au sage chandail gris-clair, silencieux dans son face-face stoïque avec les latrines puantes, conservera son secret. 

 

     PS : J’ai trouvé aussi une photo d’une cellule de Fresnes qui ressemble à s’y méprendre au décor du tableau, qui se révèle ainsi criant de réalisme.

 

      Régis Gayraud

 

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24-4-1913, prison de Fresnes, intérieur d'une cellule, photographie de presse, Agence Rol, base Gallica de la BNF

 

21/08/2016

Le Poilu et le fantôme de l'amour

Cette note contient une mise à jour

Le Poilu et la femme fantôme, tableau à Aillant sur Tholon (2).jpg

Tableau non signé, huile sur toile, autour de 5 Figure (27x35 cm), sans date, peut-être peint du temps de la Grande Guerre, ph. Bruno Montpied (sur la brocante d'Aillant-sur-Tholon), 2016

 

     Ce soldat, probablement un Poilu de la Guerre de 14-18, est en faction dans un bois alors que le crépuscule enflamme les sommets des arbres alentour. La forêt en devient rousse, tandis qu'un bleu tendre s'attarde encore dans le ciel. C'est peut-être le contraste entre cette tendresse céruléenne et la lueur fauve s'immisçant entre les fûts qui suscite le souvenir. Car ce n'est pas un spectre. C'est peut-être l'épouse laissée au pays, ou la jeune fille rencontrée juste avant la mobilisation. Une Alsacienne, si l'on remarque sa coiffe et le châle enveloppant son buste... La pénombre envahissante, jointe à la solitude de la sentinelle, et jointe peut-être aussi à sa hantise d'une fin prochaine, l'ont fait sortir du bois, ambiguë, aux limites de l'hallucination, tout en opposition avec les contours si réels et si nets du soldat. Elle glisse entre les troncs, comme une image aperçue  dans les flammes. Et lui l'examine, sachant bien que c'est son souvenir, son terrible besoin de la revoir, qui l'a fait revenir, au bord du néant qui le guette, dans ce bois qui ressemble à une fourrure, à une toison pubienne presque...

    Ou bien, autre hypothèse interprétative (pouvant parfaitement se superposer  à la précédente cependant), ce tableau est simplement une allégorie nationaliste, le bidasse rêveur n'étant autre que la France rêvant de reconquérir l'Alsace-Lorraine, symbolisée par la femme dans les bois, et perdue alors depuis 1871 au profit des Allemands.

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Art populaire naïf, un autre soldat de la guerre de 14-18, sculpture sur bois peinte, auteur anonyme, ph. B.M., coll. privée, Paris.

Codicille

     J'en étais là de mes interprétations, souhaitant intimement que ce soit plutôt la première qui l'emporte, mais un lecteur collectionneur de cartes postales s'est rappelé d'une carte ayant un rapport étroit avec le tableau anonyme:

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P. Petit-Gérard, La vision ; il existe une autre version de cette carte, en noir et blanc (ou bistre, m'écrit mon lecteur), qui précise que le tableau de Petit-Gérard fut exposé au "Salon de 1912" ; cependant, on constatera que le pantalon du soldat est bleu sur le tableau et non pas garance comme il l'était au début de la guerre de 14 ; doit-on imaginer que les pantalons des soldats étaient bleus encore en 1912, puis qu'ils devinrent rouges, en 14, le temps de transformer en écumoires les pauvres pioupious français? Carte postale, coll. privée.

    En voyant ce tableau, on constate que le tableau vu à Aillant-sur-Tholon n'était en réalité qu'une copie, du reste non signée, avec quelques menues différences dans la façon  de dessiner les troncs, les frondaisons, entre autres. Sur le tableau de Petit-Gérard, on voit que la scène se passe dans une forêt de sapins.

    Quant à la femme... Mon lecteur a eu l'amabilité de m'envoyer une autre carte qui est sur un sujet fort voisin, quoique nettement plus caractérisé dans le sens patriotique. Intitulée "Vison bénie", la carte proclame en vers : "Sur ton sol reconquis [c'est moi qui souligne], Alsace bien-aimée / Ta douce vision enchante ma pensée."

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Carte où le soldat retrouve son pantalon garance, mais peut-être est-ce une licence de l'éditeur qui préférait voir les soldats de 14-18 ainsi... Le texte parle du sol reconquis de l'Alsace et, donc, permet de dater la carte plutôt d'après la guerre...

     Il semble bien que, grâce à ce lecteur à la bonne mémoire, nous pouvons désormais conclure, vis-à-vis de notre rencontre d'Aillant-sur-Tholon, à un tableau patriotique, qui utilise pour les besoins de sa propagande le secours de l'art visionnaire et d'un certain romantisme. N'est-ce pas, Isabelle Molitor?

15/11/2015

Le sculpteur sauvage de Batz-sur-Mer se démasque à moitié...

      J'ai reçu ces derniers jours une communication de la part du mystérieux sculpteur des roches de Batz-sur-Mer, après avoir aperçu l'ancienne note que j'avais mise en ligne au sujet de ses furtives sculptures en 2009, après que Remy Ricordeau me les avait signalées. Sans accepter de dévoiler son identité complète il veut bien qu'on l'appelle  simplement Fernand "le Rennais". En effet, il vit dans cette bonne ville.

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Tête dentée, hippocampe et indien (2).jpg

Deux vues des roches sculptées à Batz-sur-Mer, celle du haut prise par Bruno Montpied en 2010, celle du bas avec un profil de tête à la gueule bien dentée, un hippocampe à droite, prise par Remy Ricordeau en 2008

     Il semble qu'il ait opéré ses tailles au burin (c'est lui qui emploie ce mot) dans les roches brutes du bord de mer durant plusieurs mois d'août passés à Batz (au cours d'une trentaine d'années). La date de 1995, que j'avais déchiffrée dans ces rochers, confirmée par lui, signa la fin du travail. Qui est-il? Pourquoi a-t-il agi ainsi? Il ne m'a pas donné jusqu'ici beaucoup d'informations complémentaires.  Il m'a écrit: "ma passion c'est le jardinage, la sculpture et la mosaïque." "Sa "passion", mais pas son métier qui était tout autre.

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Deux profils opposés sculptés par évidement sur une des roches, ph Remy Ricordeau, 2008

     Tout au plus m'a-t-il indiqué qu'une autre sculpture se trouverait par delà, "à 50 mètres", sur une autre roche. On l'aperçoit partiellement sur cette autre photo ci-dessous derrière les estivants qui la cachent, pourvue de motifs plus ornementaux on dirait, mais aussi d'un profil de goéland peut-être.

    Un article, un simple entrefilet à dire vrai, non signé, a paru m'a-t-il dit également, dans un numéro de Ouest-France en 1998. Le voici ci-après, sous la photo de la roche isolée. Comme on le constate, ce sont toujours les journalistes locaux qui arrivent les premiers sur les sites curieux créés en plein air (ici, a-t-on affaire à un autodidacte? Il semblerait...).

gravure-sur-roche-plate-à-50-m-plus-loin,-ph arch F Truet (2).jpg

La roche sculptée plus loin ; Fernand "le Rennais" ne donne aucune source, aucune date pour cette photo qui paraît reprise d'un magazine...

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Entrefilet de 1998 dans Ouest-France, tel que transmis par Fernand "le Rennais"

 

18/08/2015

Eloge de l'art naïf, réalisme poétique

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Anonyme (Chapartes, ou Chapartas...?), Un hameau de PANNES (Loiret), 31x40 cm, début XXe siècle, coll.privée Paris, photo Bruno Montpied

 

      Voici un Naïf, un beau Naïf, un tableau "nature" comme disait un brocanteur amateur de la chose devant ce tableau qui venait d'être acheté. Un tableau qui tient avant tout, me semble-t-il, par le paysage, le génie du lieu, plus que par ce qui s'y raconte. Certes, on pourrait chercher des indices d'une narration du côté de l'inscription qui s'étale sur la façade de ce "Moulin de Sainte-Catherine" donnant sur la rivière, "mouture à façon à 2 frs les 100 kilos 2frs50 rendu domicile", inscription qui si j'étais savant en histoire de l'économie pourrait peut-être me donner la date exacte où fut peint le petit tableau. Car s'il existe semble-t-il une date d'apposée en bas à droite, quasi illisible, sous la signature elle-même à moitié effacée, on ne peut la donner exactement. Il semble qu'elle commence par 19... Un début de XXe siècle?

      Une femme se promène sur la rive en face du moulin,, un bras tendu vers l'avant (comme pour une esquisse de salut?), un meunier coiffé du bonnet traditionnel dans sa profession paraît posté à la fenêtre tout exprès pour la voir passer, et l'on pourrait imaginer une idylle... C'est une belle journée, les nuages sont nombreux dans le ciel poudreux permettant de faire ressortir la maison nettement dessinée comme si la pluie avait lavé le paysage la minute d'avant. La rive où se dressent le moulin et les maisons à l'arrière-plan disparaît derrière une végétation moussante piquetée de fleurs, des arbres sveltes aux ramures tout aussi fines que les autres éléments végétaux présents partout dans le paysage se dressent vers le ciel comme de jeunes sujets fiers de leur nouvel état d'arbres adultes. L'eau bouillonne dessous la roue invisible du moulin, cachée derrière une sorte de palissade de planches, s'engouffrant en direction de la rivière principale (?) sous un quai de bois aménagé pour renforcer la rive et permettre le passage tout ensemble. C'est le seul indice d'activité et de mouvement dans ce lieu, comme une trépidation localisée au cœur de ce bâtiment placé au centre du paysage, et peint avec cœur par l'artiste inconnu. Mais ce n'est pas le récit qu'a cherché cet auteur, c'est bien plutôt l'esprit du lieu à un moment donné, capté dans ce qu'il a d'éphémère et d'éternel à la fois, un moment de pure poésie de l'immédiat, sans autres moyens que quelques subterfuges pour masquer l'inexpérimentation en matière de rendu des perspectives (pour ne pas avoir à les restituer, on noie les lignes de fuite sous des ébullitions buissonneuses et un talus immense). Puisqu'on ne sait pas rendre les jambes, on les cache de même dans des touffes d'herbe bienvenues, qui masquent aussi par la même occasion les reflets argentés à la surface de la rivière (si c'est bien une rivière). Et l'on dessine les êtres humains petits pour ne pas avoir à entrer dans les détails... Là où on est à l'aise c'est lorsqu'il s'agit de peindre des maisons. Et l'on s'en donne à cœur joie...

08/05/2015

Monleme Gladys (c'est pas une jeune fille)

      De passage à Lyon, le week-end du 1er mai dernier, j'ai fait un petit bonjour à mon galeriste préféré, l'ineffable Alain Dettinger qui, en dépit du black out des lieux fermés pour cause de pont du 1er mai, était resté ouvert, parce que pour lui il ne s'agit pas d'un travail mais d'une passion, de l'air qu'il respire chaque jour, quelle que soit l'actualité. Il y avait toujours autant de tableaux et d'objets, de photographies accrochés aux murs et surtout entassés au sol, bouchant toute l'arrière-boutique. En voilà un à qui on devrait donner un peu plus d'espace, tant son travail de découvreur et de défricheur de talents ressemble à une entreprise de salubrité publique. Car nos esprits ont autant besoin de remèdes que nos corps.

     Il exposait les savants travaux d'équilibrisme en noir et blanc de Danielle Stéphane, je l'ai déjà signalé. Et comme toujours, en marge de son expo du moment, il y avait pour moi une autre découverte à faire. Alain Dettinger est un passionné d'Afrique comme on sait, c'est l'autre registre de sa galerie, parallèle à l'art plastique et graphique de singuliers contemporains. Il avait rencontré en compagnie d'une amie galeriste, située un peu plus loin de son échoppe (il est place Gailleton dans la Presqu'île à Lyon), à savoir la Galerie du Triangle, 33, rue Auguste Comte, un artiste béninois autodidacte (comme semblent l'être beaucoup de créateurs contemporains en Afrique noire), se présentant sous l'étrange prénom féminin de "Gladys". La Galerie du Triangle lui organise une exposition qui dure jusqu'au 16 mai.

     Alain Dettinger pour sa part  s'est contenté d'acquérir deux peintures de cet artiste, toutes deux signées plus complètement "Monleme Gladys". Il paraît vivre à Abomey, au Bénin, et créerait quelque peu dans l'orbite d'un autre artiste de là-bas, déjà pas mal "lancé", le dénommé Dominique Zinkpe, créateur d'un centre culturel, qui lui-même a parmi ses influences admises le peintre d'origine haïtienne Jean-Michel Basquiat. Et ce dernier, pour le côté peut-être un peu déstructuré de ses compositions paraissant souvent sur le point de se dissoudre, est sans doute une référence aussi pour notre Gladys.

 

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Monleme Gladys, sans titre (un homme tient à bout de bras sa tête coupée, tandis qu'un autre homme le menace de sa lance), 83 x 87 cm, technique mixte (sur papier marouflé sur panneau de bois?), 2010, Galerie Dettinger-Mayer, Lyon, ph. Bruno Montpied

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Monleme Gladys, sans titre (accouchement d'un serpent par le bas et accouchement d'un être humain par le haut...), 83 x 87 cm, technique mixte (sur papier marouflé sur panneau de bois?), probablement de la même année 2010 que le précédent, coll. privée, Paris ; ph. B M

 

     Les deux compositions m'ont fait penser que l'homme doit en outre être inspiré par les mythologies propres à son pays, car en dépit du fait qu'elles sont assez sobres, tracées sur un fond uni quoique plein d'une matière graineuse, elles restent assez difficiles à interpréter pour un  Européen peu au fait de ces mythes, ce qui est mon cas.

 

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Détail d'un portrait de Gladys devant ses peintures, archives Alain Dettinger, 2015

 

     Le problème, c'est qu'à côté de ces deux compositions-là, l'artiste en question paraît travailler parfois un peu plus vite, et peut-être de façon moins inspirée (afin de satisfaire à une commande qui le bouleverse ?). L'exposition de la Galerie du Triangle de mon point de vue révèle cet aspect préoccupant (car le fait de se montrer inégal peut desservir grandement un artiste, par la réputation qu'elle risque de lui tailler), même si dans l'ensemble on peut découvrir de fort belles choses en ce lieu courageux. Si un grand tableau sans titre au centre de l'expo reste de très belle facture (voir ci-dessous), ainsi que deux ou trois autres compositions sur panneaux, plusieurs dessins sur papier paraissent cependant moins frappants.

 

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Gladys, sans titre, sans date (?), environ 1 m x 1 m (?), peinture sur panneau ou toile, exposition Galerie du Triangle, 2015 ; ph. BM ; c'est l'une des plus intéressantes œuvres de l'expo

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Gladys, une autre de ses grandes peintures exposées Galerie du Triangle, elle aussi fort belle... ; ph. BM

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Gladys, une de ses peintures sur papier datée de 2014; l'inspiration n'est-elle pas moins forte ici (personnages moins narratifs, posés platement côte à côte, seule la couleur paraissant avoir été traitée  avec attention) ? Exposition Galerie du Triangle, 2015 ; Ph BM 

 

     Alors? Qu'est-ce qui explique cette différence d'inspiration et de graphisme entre les peintures de 2010 et les quelques œuvres de 2014 montrées en ce moment à Lyon? Mais il faudra sans doute attendre d'en voir davantage... Ce qui n'est pas sûr d'arriver quand on connaît le grand nombre d'artistes qui créent en Afrique, notamment de l'Ouest.