06/11/2010
Quarante ans après sa mort, le grand Charles...
Cette statuette, dont l'auteur est resté anonyme, semble représenter à n'en pas douter le fameux général, au képi ici muni de deux étoiles, identifiable surtout grâce à la croix de Lorraine épinglée sur la vareuse brune. Même si elle fut vraisemblablement sculptée au moment de la Seconde Guerre Mondiale, rien ne m'empêche de la mettre quelque peu en scène en guise d'hommage (anniversaire des quarante ans de sa mort aussi) à une de ses gestuelles connues des années 60, surtout si cela permet d'exhiber quelque peu le petit secret caché dans ses dessous...
De Gaulle...
...Vive le Québec libre!
(Ou quand De Gaulle a la gaule ; coll. BM, ancienne réunion du brocanteur Philippe Lalane actuellement sur la Foire à la brocante de la Bastille, stand "La Patience")
18:43 Publié dans Art immédiat, Art populaire insolite | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : charles de gaulle, sculpture populaire érotique, art érotique, objets à système, art populaire insolite | Imprimer
Conférence à Chartres de Marielle Magliozzi
Dans le cadre des 8èmes Rencontres internationales de la Mosaïque à Chartres, rencontres qui bien entendu découlent de la présence dans la ville de la maison en mosaïque de Picassiette (rue du Repos), s'annonce pour le samedi 20 novembre prochain (14h30, lycée Fulbert, rue Saint-Chéron), une conférence de Marielle Magliozzi intitulée "Architecture et art singulier", ce dernier terme étant à comprendre comme désignant des créations environnementales d'autodidactes (voir l'annonce que j'avais faite en son temps du livre publié par Miss Magliozzi sur ce thème aux éditions de l'Harmattan). Quelques plus amples renseignements? On se reporte aux placards ci-dessous:
17:15 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : picassiette, marielle magliozzi, environnements spontanés, architectures marginales | Imprimer
01/11/2010
Musique d'outre-normes
Oskar Haus, portrait des frères Péguri, célèbres accordéonnistes, 42x52cm, vers 2009
La question de la possibilité d'une musique brute en passionne plus d'un. Est-elle possible? Jusqu'à présent, du côté des créateurs de l'art brut qui sont aussi des producteurs de sons musicaux, on n'a pas encore trouvé - à ma connaissance, mais dans ce domaine, elle est plutôt limitée, donc prenez mes avis comme des interrogations plutôt que comme des affirmations - des créateurs véritablement inventifs, ou du moins aussi inventifs que dans les arts plastiques. La plupart du temps, on recycle des instruments populaires comme l'accordéon (Oskar Haus ; ou André Robillard, qui va plus loin cela dit, en chantant dans des seaux, ou en inventant des tirades gutturales en langue imaginaire), on se bricole des percussions en chantant des airs traditionnels plus ou moins bien reproduits (Pierre Jaïn), on joue du violon en amateur (Martha Grünenwaldt). Il y a les cas cependant de Jean-Marie Massou qui au fond de ses boyaux creusés sous terre dans le Lot (voir le film d'Antoine Boutet que j'ai évoqué ici à plusieurs reprises) chante d'entêtantes mélopées, ou celui de Wölfli que l'on voit sur certaines photos chanter ou imiter des sons de trompes en tenant d'immenses cornets de papier enroulé devant sa bouche (on pense à certaines pratiques jazzistiques). Derrière, en réalité, se cache chez l'amateur de ce genre de recherche un désir de trouver de nouvelles formes musicales, de nouvelles expérimentations qui puissent le détourner de ses conclusions blasées devant les formes musicales connues.
Voici qu'un dossier est paru durant ces temps-ci dans le magazine Chronic'art (numéro 68, septembre/octobre 2010), intitulé "Outsiders, les maîtres fous" et dû à Julien Bécout et Sylvain Quément, illustré de photos de Frédéric Lux et d'Eric La Casa. Outre un article bien documenté, on y trouve une "galerie de portraits" d'outsiders musicaux qui fonctionne, pour l'ignorant que je suis, comme une première piste alléchante. Y sont évoquées en de courts paragraphes illustrés de photos quelques figures peu connues de la scène "outsider" comme Madam X-Otic, répondant aussi au doux pseudo de "Dolly Rambo", jeune handicapée mentale originaire de Hongrie dont un groupe de musiciens arrange et mixe les chantonnements au sein de clips scénographiées approximativement.
Il y a bien sûr le cas de Daniel Johnston, né en 1961, autodidacte, ayant fait des séjours en hôpital psychiatrique pour maniaco-dépression, passionné de diverses obsessions, comme le diable, Casper le fantôme, les Beatles, King-Kong, qu'il met en poèmes, dessins et musique. Ses dessins jusqu'ici ne m'avaient pas trop convaincu, mais ses performances musicales, sur scène quelquefois, lui aussi accompagné de musiciens qui l'accompagnent, sont fort touchantes. Ci-dessous une des nombreuses vidéos trouvables sur internet à son sujet. La chanson qu'on entend, à la fort jolie mélodie, fait songer vaguement à un Neil Young aux accents fêlés et pour cette raison extrêmement émouvant.
Lucia Pamela, pianiste et meneuse de revues, nous dit toujours l'article de Chronic'art, enregistre de son côté vers 1969 "de manière rudimentaire un album de caquètements doo-wop [qui] prend les atours d'une féérie candide". Il y a aussi le cas de cette cantatrice mégalo à la voix de crécelle qui massacra sa vie durant le répertoire de l'opéra classique, Florence Foster Jenkins, cantatrice qui aurait servi de modèle à la Castafiore d'Hergé dans ses aventures de Tintin. Etc... On se reportera au dossier de Chronic'art pour connaître les autres cas (Damiao Experiencia, Mingering Mike, Jandek, Wesley Willis, Harry Merry en particulier). Nul doute qu'on puisse prolonger la recherche du côté du libraire-disquaire Bimbo Tower, passage St-Antoine à Paris.
Ce dossier fait-il évoluer la question initiale de la possibilité d'une musique brute? Sarah Lombardi, une des conservatrices de la Collection de l'Art Brut à Lausanne, citée par l'auteur de l'article sur "Les beaux excentriques", aurait dit que selon elle il est difficile de trouver ce genre de musique en raison des instruments de musique, complexes par nature, et formatant les pratiques. Mais il faut compter avec les forcenés créatifs toujours prêts à remettre en cause les prééminences et les préjugés en matière d'outils ou de convictions établis. On voit qu'on accorde, dans les milieux passionnés de musique expérimentale autre, de plus en plus d'intérêt aux amateurs non musiciens qui chantent dans leurs douches avec des voix de fausset, dont les fêlures retiennent précisément l'attention. Comme si dans ces failles passait une nouvelle lumière remettant en cause le formatage généralisé. Du coup, peu importe qu'elle soit brute ou non...
A signaler, parmi d'autres, ce blog consacré aux musiques indépendantes, rares et bizarroïdes, Cartilage consortium.
12:22 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Musiques d'outre-normes | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : musiques brutes, musiques de traviole, muisques expréimentales, chronic'art 68, robillard, oskar haus, madam x-otic, daniel johnston, jean-marie massou, jandek, lucia pamela | Imprimer
24/10/2010
Art brut et art singulier à l'encan
Je ne vais que fort rarement aux ventes aux enchères. Une question avant tout d'habitude, bien sûr. Je ne connais pas trop les moeurs de la peuplade qui séjourne dans ces lieux. J'ai toujours peur en particulier qu'en me frottant par mégarde l'aile du nez, je me retrouve acquéreur de quelque horrible rossignol. Mais bon, je consulte les catalogues quelquefois, comme celui de la vente chez Tajan, rue des Mathurins dans le VIIIe arrondissement, qui aura lieu demain à Paris. C'est l'occasion de voir défiler de belles images (1), et parfois de belles découvertes, même chez des créateurs aussi connus que Chaissac par exemple (2). On peut également bien entendu découvrir à ces occasions de nouveaux venus non encore repérés (3). Tout en se confirmant par devers soi à quel point vieillissent mal certaines fausses valeurs (Jean-Pierre Nadau, Chomo, par exemple souffrent du voisinage avec les autres oeuvres proposées ; c'est parfois inhérent à l'aspect de bazar que prennent parfois les ventes aux enchères).
(1). Alexandre Lobanov, sans titre, aquarelle, encre et crayons de couleur sur papier, extrait du catalogue de la vente chez Tajan, 25 octobre 2010
(3). Baudoin Fierens, sans titre, stylo bille sur papier, catalogue de la vente Tajan ("provenance" Art et Marges, Bruxelles)
(2), Gaston Chaissac, composition aux personnages, collage et encre sur papier, 18,5 x 13,5 cm, catalogue de la vente Tajan
Et l'on peut aussi avoir la surprise de découvrir des oeuvres annoncées "en provenance de" l'association ABCD, et non des moindres, comme ce magnifique dessin de Jaime Fernandes, dont on se demande pourquoi ABCD aurait songé à s'en défaire (ou pourquoi il ne l'a pas acquis)... Est-ce le début de la grande dispersion? Sur le site de l'association, nulle information à ce sujet heureusement. Au point qu'on se demande s'il n'y aurait pas quelque erreur du côté des rédacteurs du catalogue de la vente Tajan. (Voir cependant le commentaire de "Lem" au bas de cette note qui semble indiquer qu'il pourrait s'agir d'oeuvres ayant été vendues lors d'expositions à la galerie ABCD de Montreuil)
Jaime Fernandes (1899-1968), Personnage, stylo à bille sur carton, 32 x 25 cm, catalogue de la vente Tajan, " provenance collection ABCD"
De même, autre sujet d'étonnement, deux oeuvres de Noël Fillaudeau, une valeur sûre de l'art singulier (ce continent en marge de l'art brut, ce surréalisme inconscient et inachevé...), sont également à vendre, en "provenance"... du Musée de la Création Franche ! Je croyais ce dernier pourtant en train de bâtir une collection en évitant d'en perdre la moindre brique. Le fondateur de cette dernière collection, sollicité par moi, m'a aimablement fait savoir que cette information concernant cette problématique "provenance" des deux Fillaudeau était tout bonnement fausse! La collection de la Création Franche est par principe "invendable et incessible". Cette formule "en provenance" est bien confusionnelle, je trouve, et peut créer des inquiétudes chez ceux qui ont fait des donations aux collections mentionnées, par exemple...
Noël Fillaudeau, sans titre, gouache sur papier (en réalité, cette oeuvre semble faire partie de la série dite des "Métamorphoses" dans laquelle Fillaudeau peignait en "modifiant" des reproductions photographiques de magazines et autres), catalogue de la vente Tajan, donc pas en "provenance" du musée de la Création Franche
15:38 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art singulier, Confrontations | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : tajan, ventes aux enchères, art brut, neuve invention, création franche, chaissac, noël fillaudeau, art et marges, abcd, lobanov, baudoins fierens, yassir amazine, jaime fernandes | Imprimer
22/10/2010
Postérité des environnements (4): Virgili et son cri d'amour
Virgili, ça vous rappelle quelqu'un? Un maçon italien actif dans son jardin et son garage du côté du Kremlin-Bicêtre près de Paris dans les années 1970-1980. Il avait hérissé son lopin de "totems" égrenant des têtes tirant la langue, des faces solaires cernées de rayons, des proclamations d'amour, des arabesques de fer forgé, des oiseaux en ciment blanc, des tables couvertes de mosaïques... Le visitant avec mon bon ami Régis en 1984, nous n'avions pas pu rester bien longtemps à baragouiner avec lui (j'ai souvenir qu'il parlait malaisément français?), car sa femme nous avait proprement jetés dehors en nous insultant, nous traitant de métèques, de bougnouls...Pendant que son mari, le pauvre Virgili à voix basse nous conjurait de ne pas prêter attention, ce qui était difficile à faire étant donné la voix d'orfraie de la virago qui ameutait tout le voisinage. A l'époque, j'avais entendu parler de lui dans un numéro spécial d'Actuel sur les banlieues de l'art. Et puis Madeleine Lommel au Château-Guérin de l'Aracine à Neuilly-sur-Marne était intarissable à son sujet, en extase quasiment...
Virgili, assemblages de têtes et divers motifs ornementaux sur des piquets, 1984, photo Bruno Montpied (avec un Instamatic)
L'Aracine lui avait consacré une plaquette, en 1984, une des rares qu'ils éditèrent du reste, ressemblant par sa livrée modeste un peu aux premières publications de la Compagnie de l'Art Brut avant que cette dernière ne parte migrer aux USA chez Alfonso Ossorio.
Couverture et dernière page de la plaquette consacrée par l'Aracine à Virgili en 1984
Dedans, il y avait, à la dernière page, ce panneau circulaire (Virgili adorait les cercles, les soleils, c'est même l'un d'entre eux qui devint longtemps le logo de l'Aracine) couvert d'une proclamation en hommage à l'amour (et à la jouissance). Je m'étais dit que la plupart des panneaux de Virgili avaient pu échouer dans les collections de l'Aracine. Je me trompais. Le panneau en question n'y était pas, il a fait un autre bout de chemin, de collectionneur en collectionneur. Le voici réapparu dans la réunion d'art populaire de l'antiquaire Michel Boudin.
Virgili, "Le cri de la vie...", réunion et photo Michel Boudin, 2010
C'était donc l'occasion pour moi de le révéler ici en couleur, et de montrer l'étonnante et merveilleuse postérité des oeuvres éphémères des créateurs d'environnements bruts, certes extraites de leur contexte d'origine mais point encore absolument tuées, tant qu'existe un peu de passion à leur égard. Ces oeuvres se défendent toutes seules, en dépit de la disparition de leur auteur. Signe d'un message qui n'a pas été perdu.
Virgili qui va calmer la mégère pendant que ses visiteurs s'éloignent à regret..., 1984, ph.BM (toujours à l'Instamatic)
01:59 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Environnements populaires spontanés, Inscriptions mémorables ou drôlatiques | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : virgili, environnements spontanés, art immédiat, art brut, l'aracine | Imprimer
17/10/2010
Art sans étiquette à Rives, sortie A 48 entre Lyon et Grenoble, parcours fléché...
Art singulier? Trop galvaudé ces temps-ci. Art brut? Inadéquat, et déjà pris. Art contemporain? Trop vague. Art Hors-les-Normes? Pas tant que ça... Alors on opte pour un terme descriptif qui ne dérangera personne, "Art partagé", pour cette 3ème biennale organisée par l'association Oeil'Art, à Rives en Isère.
Une bonne partie des créateurs présentés ici viennent des ateliers qui hébergent les expressions des déficients et autres handicapés mentaux, Jean-Louis Faravel, animateur d'Oeil'Art ayant une prédilection marquée de ce côté-là (mais gare aux redites! Il commence à y avoir beaucoup de "bonshommes" peints dépouillés sur des fonds très colorés au sein de cet art des handicapés, et cela finit par nuire à l'écho que ses partisans voudraient voir bien établi).
On reconnaît aussi parmi les propositions d'oeuvres quelques noms connus des lieux voués à la défense et à l'illustration de ce que l'on appella en 1978 "les singuliers de l'art", et depuis les festivals qui se sont montés dans les années suivantes, "l'art singulier". On notera l'inversion des termes qui signala que l'on accordait dans ces festivals le mot "singulier" davantage avec l'art, plutôt qu'avec les personnalités, et leur comportement singulièrement créatif. L'art singulier au fond devenait l'art contemporain du dimanche... Dès lors, on risquait d'y trouver à boire et à manger. Il est difficile aujourd'hui, dans les festivals d'art plutôt pluriel de ne pas se retrouver au milieu d'un bric à brac confus envahi de suiveurs et d'arrivistes aux dents longues quoiqu'un peu voyantes.
Evelyne Postic, Les larmes de la pluie, encre sur toile, 80x40cm, 2009
Marie-Jeanne Faravel, extrait de la série "Mes petites histoires", 43x39cm, encre, matériaux divers et points de couture, 2010
Ce ne paraît pas être le cas avec la biennale de "L'art partagé" où un effort sincère est fait en faveur de la découverte de nouvelles formes d'expression autodidactes. C'est pourquoi je suis allé proposer mes propres productions auprès d'Oeil'art qui m'a accueilli avec hospitalité. Une douzaine de mes petits formats sont présents dans les cartons de l'association. Voici quelques unités:
Bruno Montpied, Ils sont plusieurs à hésiter en lui..., 24x18, 2008
B.M., La bouliste bizarre, 24x17cm, 2010
On sent qu'une des lignes de force des expositions montées par Oeil'art est un certain goût des figures épurées, voire dépouillées (c'est pourquoi l'association est aimantée par les figures de l'art des handicapés). Et c'est aussi vrai qu'il est très émouvant, et parfois même vertigineux, de constater la force que peut recéler une figure très nue, très simplement rendue. Chaissac y arrive avec une virtuosité quasiment sans égale (comme on pourra s'en rendre compte en ce moment en allant visiter l'exposition très réussie qui se tient à Paris sur la rive gauche dans la galerie Nicolas Deman). Jean Dehombreux (nom prédestinant?), ph. site web Art Tout Simplement
00:08 Publié dans Art immédiat, Art inclassable, Art moderne ou contemporain acceptable, Art singulier, Confrontations, Noms ou lieux prédestinants | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : oei'art, marie-jeanne faravel, bruno montpied, chaissac, adam nidzgorski, art singulier, art partagé, jean dehombreux, evelyne postic | Imprimer
12/10/2010
Une sirène des rues encore (Mami Wata la suite, à Paris)
Les sirènes me poursuivent drôlement je trouve. J'errais samedi matin avec un ami brocanteur aux Puces de Vanves, et comme souvent je me disais que je n'allais encore rien trouver. Et c'est toujours au moment où l'on désespère (enfin c'est souvent à ces moments-là, un peu comme lorsqu'on est las d'attendre un bus qui ne vient pas, et qu'on se décide à partir, et il survient juste au point de lassitude...), que la surprise se manifeste. Repassant devant un éventaire qui sans doute avait été tardivement déballé, me frappent comme une balle deux peintures représentant deux magnifiques sirènes que le biffin a accrochées à la grille longeant le trottoir. Présences immédiates! Qui m'élisent aussi sec! Une connexion se fait instantanément, je ne peux faire autrement que chercher à en acquérir une. Il y en a quatre au total, et aussi des animaux (une belle hyène dégustant une proie sanguinolente, deux lions qui ont une certaine ressemblance avec ceux que peignait le naïf italien Ligabue). Et le marchand me dit: c'est les "Mami Wata" qui vous intéressent? Encore des Mami Wata...! Je ne les avais pas d'emblée reconnues pour sirènes africaines. Elles sont signées "Mansuela 78". Un peintre zaïrois (le Zaïre est l'ancien Congo) actif dans les années 70 donc.
Mansuela, sans titre (Mami wata), 43 x 62 cm, 1978
Je choisis d'acquérir, parmi les quatre sirènes, qui tiennent tantôt un téléphone, tantôt un micro surgi des eaux, une qui cueille des roses, poussant bizarrement parmi des touffes d'herbes dans le fleuve d'où elle émerge (les Mami Wata sont des esprits d'eau douce plus particulièrement, je crois). Et il ne me revient qu'à présent, en rédigeant cette note, l'anecdote relative au rosier de la variété de roses "Mermaid" que j'ai évoqué dans ma précédente note sur les Mami Wata (voir lien ci-dessus). L'inconscient a parlé, je ne pouvais choisir qu'une sirène à la rose. Les collections se constituent ainsi, pièce après pièce, recomposant un puzzle qui dessine le désir de ce que nous voudrions sauver de notre vie (voir aussi la note sur ce fantôme lumineux de sirène surgi un jour dans la même maison au rosier "Mermaid").
17:02 Publié dans Art immédiat, Art populaire contemporain | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : sirènes, mami wata, mansuela, art populaire africain | Imprimer
10/10/2010
L'éternel retour de Jacques Brunius
Jacques Brunius fut un homme lié au surréalisme jusqu'à sa mort (1967), survenue au moment du vernissage d'une exposition collective surréaliste en Angleterre, pays où il s'était installé durant la Seconde Guerre Mondiale, et où il avait exercé au nom de la résistance aux Nazis la fonction de speaker à la radio (peut-être que certains des célèbres messages codés envoyés aux résistants de l'autre côté de la Manche ont été prononcés par lui). Il fut poète, collagiste, comédien, cinéaste, homme de radio, critique de cinéma. Il a exercé une influence considérable sur diverses personnalités du surréalisme, a aidé à découvrir toutes sortes de créateurs cinématographiques ou littéraires (il fut en effet aussi traducteur). Ce fut un "génial touche-à-tout", comme l'écrivit André Breton, avec qui Brunius resta ami jusqu'au bout. Un créatif qui fut aussi plus passionné de l'action créative que de la publicité à donner à cette action. Les rares exégètes (Lucien Logette, Jean-Pierre Pagliano) qui se sont penchés sur son cas ont eu bien du mal à retrouver des archives qui pourraient aider à reconstituer son parcours complet dans les diverses formes d'action artistico-littéraire où il s'exerça.
Jacques Brunius (en haut de l'escalier), André Delons, Colette Brunius, photo Denise Bellon, 1936 ; extraite du catalogue "Avec le facteur Cheval", Musée de la Poste
Il m'intéresse moi aussi depuis plusieurs années. J'ai eu l'occasion de revenir sur son rôle précurseur dans la découverte des créateurs autodidactes populaires dans les années 20-30 bien avant que Dubuffet n'arrive avec son "art brut". On commence à savoir en particulier qu'il fut l'auteur du merveilleux Violons d'Ingres (1939), où l'on voit entre autres des images du Palais Idéal, des rochers de l'abbé Fouré, ou de l'atelier du douanier Rousseau, et qui a été réédité en bonus dans le DVD "Mon frère Jacques", excellent documentaire de Pierre Prévert sur Jacques.
C'est peut-être à Brunius que l'on doit la reconnaissance par les milieux intellectuels (surréalistes en tête) du Palais Idéal du modeste facteur Ferdinand Cheval (j'écris "peut-être" car je suis plus prudent que Jean-Pierre Pagliano qui affirme sans ambages - notamment dans le livret du DVD "Mon frère Jacques" - que c'est Brunius qui a fait découvrir le Palais aux surréalistes ; nous n'avons pas de preuves écrites de ce fait à ma connaissance, et cela reste une supposition, plausible, mais une supposition quand même).
Voici qu'après l'exposition intitulée "Avec le facteur Cheval", qui s'était tenue en 2007 au Musée de la Poste (voir ici la note assez longue que je lui avais consacrée en son temps), on annonce (merci à Roberta Trapani de me les avoir signalées) deux journées de "films, rencontres et visite" intitulées "Jacques-Bernard Brunius et le facteur Cheval". Elles sont prévues pour le vendredi 15 et le samedi 16 cotobre dans la ville de Valence dans la salle du Lux (scène nationale). Demandez, en cliquant sur ces mots qui suivent: le programme... La manifestation est organisée conjointement par le Palais Idéal de Hauterives et Eric Le Roy, chef du service valorisation et enrichissement des Archives Françaises du Film/CNC, ce dernier monsieur étant aussi l'agent du fonds Denise Bellon, cette photographe connue qui photographia le Palais Idéal dans les années 30 pour Jacques Brunius (elle était sa belle-soeur), ce dernier ayant aussi réalisé des photos du Palais dans le but entre autres de faire un livre chez José Corti, projet qui n'alla pas jusqu'au bout.
Jacques Brunius, croqué par Maurice Henry, dessin reproduit dans le livre de Jean-Pierre Pagliano, Brunius (toujours disponible aux éditions L'âge d'Homme)
Ces journées vont être l'occasion pour ceux qui pourront s'y déplacer de voir en particulier quelques films rares de Brunius, comme, en plus de Violons d'Ingres, Autour d'une évasion (ce court-métrage de 1931, où apparaît le bagnard anarchiste Dieudonné, a été restauré récemment par les Archives Françaises du Film ; Jean-Pierre Pagliano a signalé que le film avait été fait à partir d'éléments ramenés de Guyane par un certain "marquis de Silvagni" et Isabelle Marinone de son côté, dans la revue Réfractions n°11 (2003), a précisé que Brunius avait en fait repris un scénario de Jean Vigo qui s'intéressait beaucoup à ce Dieudonné que l'on avait accusé de faire partie de la Bande à Bonnot). On pourra également voir Sources noires (un "documentaire artistique" de 1937 au commentaire signé Robert Desnos) ou encore Records 37. Une rencontre est prévue avec Eric Le Roy, Christophe Bonin, Lucien Logette et Jean-Pierre Pagliano.
A gauche le Brunius par J-P. Pagliano ; à droite le livre de Brunius "En marge du cinéma français" (1954) réédité à l'Age d'Homme en 1987, dans une présentation annotée et commentée par le même Pagliano
Sur Jacques Brunius, voir aussi Bruno Montpied, « Violons d’Ingres, un film de Jacques Bernard Brunius », Création franche n°25, Bègles, automne 2005.
18:56 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Cinéma et arts (notamment populaires), Environnements populaires spontanés, Hommages, Photographie, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jacques brunius, facteur cheval, andré delons, jean-pierre pagliano, lucien logette, eric le roy, denise bellon, environnements spontanés, surréalisme et arts populaires | Imprimer
21/09/2010
Brassée automnale de "visionnaires et créateurs dissidents"
Huit créateurs à mettre du 25 septembre au 28 novembre prochains sur le devant d'une scène depuis plus de vingt ans dédiée à la création autre, j'ai nommé le Musée de la Création Franche, comme chaque automne, les yeux qui restent curieux se tournent vers Bègles.
Parmi ces huit, je fais mon choix et j'en retiens trois. Un que j'aime bien pour ces divinations devant des pommes de terre où il aperçoit des îles pleines de projections inconscientes, Serge Paillard. Le voici enfin exposé parmi les créateurs francs, juste récompense d'un travail particulièrement original (voir l'article que je fis sur lui dans SURR n°5 à l'automne 2005).
Serge Paillard, "Et elle rêva que viendraient des Temps Lumineux", encre sur papier, 30xx24 cm, 2006
Deux, Giuseppe Barrochi, présenté ici par l'institution de la Tinaia à Florence en Italie, dont le catalogue montre trois dessins remarquables aux crayons de couleur, mélanges d'images et de mots paraissant inspirés des actualités journalistiques et des sentiments personnels du dessinateur.
Giuseppe Barochi, sans titre, 50x70 cm, 2009
Et trois, les dessins étranges, originaux de Huub Niessen, venu des Pays-Bas, ancien journaliste ayant abandonné le métier pour cause de "troubles psychologiques" et présenté par le galeriste passionné d'art outsider Nico Van der Endt.
Huub Niessen, "St-Franciscus" (Saint-François?), 16,6x23,3 cm, 2009
Cela fait trois bonnes occasions de venir faire un petit tour à Bègles le week-end prochain.
00:54 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : création franche, art singulier, art brut, la tinaia, giuseppe barochi, serge paillard, huub niessen, nico van der endt, visions et créations dissidentes | Imprimer
20/09/2010
LaM art mod, LaM art brut
L'événement se faisait attendre depuis de nombreuses années, et le voici enfin réalisé, le musée d'art moderne de la région lilloise à Villeneuve-d'Ascq est de nouveau accessible au public, enrichi de nouvelles collections. Il s'appelle désormais le LaM.
Maquette du LaM, avec en bleu l'extension récente avec administration salle d'exposition temporaire, partie consacrée à l'art brut, etc. ; photo Bruno Montpied, juin 2010
LaM, ça veut dire paraît-il, (attention, prendre sa respiration): "Lille Métropole musée d'art moderne d'art contemporain et d'art brut". Ou peut-être plus brièvement, en creux, Lille art Moderne? Ca joue aussi sur les mots, "l'âme" se dilate, s'ouvre à de nouvelles expressions et c'est là que l'art brut qui trouve pour la première fois un département à part entière au sein d'une institution muséale prestigieuse française, jouant le rôle de la nouvelle expression, contribue grandement à cette dilatation. C'est la grande nouveauté incontestablement. La collection de l'association l'Aracine trouve ici un écrin passablement plus ample que celui du minuscule Château-Guérin à Neuilly-sur-Marne dans les années 80-90 de l'autre siècle.
Une partie des salles consacrées à l'art brut en cours d'accrochage, juin 2010, ph. BM
Le musée ouvre ses portes au public le 25 septembre prochain, mais j'ai eu l'occasion de le visiter alors qu'il était encore en chantier d'accrochage au mois de juin dernier. Les salles, parfois fort hautes de plafond, étaient presque vides, et des tableaux modernes signés de grands noms accrochés aux murs mais encore non déballés de leurs caisses de protection composaient de drôles d'oeuvres virtuelles.
Un Rouault malevitché ou isouié?, juin 2010, ph. BM
La partie du complexe muséal consacrée à la présentation de la collection d’art brut (en grande partie constituée de la donation consentie par l’association l’Aracine (toujours en activité) a quelques salles, dont j’ai pu saisir qu’elles avaient des thématiques, les inventeurs de machines, les médiumniques par exemple, ou les habitants-paysagistes (avec Théo Wiesen et ses totems, Virgili et ses tables à figures mosaïquées, Jean Pous, Jean Smilowski, et peut-être dans le futur Arthur Vanabelle ?). Une grande salle est destinée aux expositions temporaires, à l’articulation des salles vouées aux collections d’art moderne et contemporain (dans un souci peut-être de futures expositions transversales entre ces champs contrastés ?).
Salle des habitants-paysagistes, un cavalier de Théo Wiesen et des "fantômes" des totems de ce dernier en attente de l'installation des originaux, juin 2010, ph.BM
Lors de ma visite de juin, un Lesage se faisait relifter dans la solitude et un silence religieux.
LaM, juin 2010, ph. BM
Deux tableaux de Bauchant pouvaient se voir dans une salle à part, composant une esquisse de collection naïve qui pourrait suggérer dans le futur de fructueuses confrontations avec l'art brut, qui sait? Il y a en effet au sein de la collection du musée d'art moderne tout un ensemble de peintures naïves datant de l'entre-deux-guerres qui pourrait permettre ce genre de rapprochement (l'art brut a été conçu après guerre dans le sillage de la vogue pour l'art naïf, Dubuffet avait même tenté de s'allier avec Jakovsky pour faire des recherches ensemble).
Un tableau de Bauchant (1927) dans les collections du LaM, ph BM, juin 2010
Mais dans l’ensemble c’est surtout l’art moderne et contemporain qui se taille la part du lion dans ce musée. Le plan du musée avec la nouvelle extension fait songer à des racines, ou à une main, ou à un système circulatoire, une irrigation. La toile d'araignée ou la dentelle qui habille le musée, comment l'interpréter? J'avoue une certaine perplexité. Quelle place est assignée à l'art brut face aux collections d'art moderne et contemporain?
Ce qui est sûr, c'est le choc et les étincelles que ne manqueront pas de causer la rencontre des oeuvres de l'art brut, avec leur sincérité crue, dans l'esprit des visiteurs amenés à les comparer aux oeuvres si élaborées et pesées des Rouault, Matisse et autres Braque. Nul doute que l'art brut résistera haut la main à cette confrontation. Mais peut-être se dira-t-on aussi que sa place aurait pu être mieux assurée aux côtés des oeuvres de l'art naïf et des oeuvres des arts populaires ruraux (type ATP - dont les collections comme par hasard en ce moment continuent de végéter en attendant que sorte de terre le fameux musée censé être lui aussi bâti dans une autre grande ville française, Marseille, à l'autre extrêmité de la France) ?
00:31 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Confrontations, Galeries, musées ou maisons de vente bien inspirés | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : lam, l'aracine, art brut, théo wiesen, virgili, arthur vanabelle, environnements spontanés, habitants-paysagistes | Imprimer
16/09/2010
Quelques tireurs de langues et autres montreurs de crocs
Voici que je propose à mes lecteurs l'image ci-dessous afin de quêter un avis, espérer une réaction. Qu'en pensent-ils? Cet imaginaire aux outrances provocatrices a de quoi séduire le fan d'humour très noir, non? Doit-on vraiment le garder si caché, comme paraît le désirer fermement son auteur?
Anonyme, peinture sans titre sur couvercle de coffre (détail), sept 2010, ph. Bruno Montpied
07:32 Publié dans Art immédiat, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : peinture insolite anonyme, art singulier, art féroce, art immédiat, caméléon | Imprimer
14/09/2010
Acézat, un talent à Talence
Du 7 septembre, ça vient de commencer donc, jusqu'au 30 octobre, comme me l'ont signalé divers amis, Anne, Alain et récemment Jérôme en commentaire, on poura avoir l'occasion d'en découvrir plus au sujet d'Andrée Acézat qui est exposée avec son mari Lino Sartori (peintre-sculpteur talentueux lui aussi) et Jean-Claude Delannoy au Forum des Arts et de la Culture de Talence, en Gironde.
Andrée Acézat, sans titre, 1999, Exposition "Comédies humaines" à Talence
Elle vient de nous quitter, l'année dernière, apprend-on dans le mince dépliant édité à cette occasion. Il est dit aussi dans le même texte de présentation que, née en 1922,'et après avoir passé ses années de formation à l'Ecole des Beaux-Arts de Bordeaux, sa peinture bifurqua dans les années 80 vers "l'art singulier" ("l'art brut", est-il écrit aussi, mais là on commet à mon avis une erreur, devenue hélas assez commune, lorsque l'on confond l'expression primitiviste "singulière" pratiquée par une artiste avec le primitivisme brut des créateurs collectionnés par Dubuffet, gens n'ayant rien à voir avec le monde des professionnels de l'art). Il paraît évident que Mme Acézat, par ses "bonshommes" ressemblant à des poupées, dans un dessin empruntant beaucoup à l'art des enfants, a fait acte d'allégeance à une certaine forme de primitivité dans l'art, et qu'elle a dû par la même occasion rejeter une certaine science de l'expression acquise aux Beaux-Arts.
Ses personnages, avec leurs gros yeux comme implorants parfois, ou tout bonnement pleins d'innocence, retiennent aisément le regard je trouve.
00:16 Publié dans Art immédiat, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : andrée acézat, comédies humaines, lino sartori, primitivisme, art enfantin | Imprimer
06/09/2010
Maïtre Goupil, peintre cachottier, sa biographie
Voici que la lumière s'est faite pour moi au sujet du peintre autodidacte Armand Goupil, car l'un de ses trois enfants, prénommé et nommé comme lui Armand Goupil (pour la commodité de la relation, je l'appellerai Armand junior), a pris contact pour me donner des informations complémentaires très précieuses au sujet de son père (grand merci monsieur). Je n'avais pas grand chose à dire en effet, jusque là, sur ce dernier, tout au plus des hypothèses à émettre d'après les quelques peintures que j'avais pu voir et photographier au gré des brocantes où elles avaient surgi depuis trois ou quatre ans (voir mon article: Bruno Montpied, "Armand Goupil, peintre inconnu, peintre domestique" dans Création Franche n°29, avril 2008, et les diverses notes publiées sur ce blog).
Cependant ces hypothèses et rumeurs n'étaient pas très éloignées de la vérité comme on va le voir.
Armand Goupil, Samba Sans but Sans bas, 16-VII-60
Armand Goupil sénior est né le 8 juin 1896 à La Suze-sur-Sarthe, dans un pays où il passa la plus grande partie de son existence. Il est décédé en 1964, soit à soixante-huit ans, au Mans, où il avait pris sa retraite, d'un accident vasculaire cérébral. Ses parents étaient gens fort modestes. Le père, ouvrier tanneur au départ, finit par acheter un bal-restaurant où se tenaient des noces, des banquets. Goupil, remarqué par un instituteur, se dirigea vers l'Ecole Normale pour devenir instituteur lui aussi, intégrant la promotion 1912-1915. Au sortir de ces études, il rentra immédiatement sous les drapeaux pour devenir soldat en pleine guerre, à laquelle il participa sous le fort de Vaux à la bataille de Verdun en 1916. La chance voulut qu'il y soit fait prisonnier (oui, la "chance" car "mort qu'on n'a pas tué", comme il disait à son fils, cette situation lui permit d'éviter les combats), le jour de ses vingt ans. Il fut envoyé en Allemagne, où, refusant de travailler, il fut interné en camp de représailles. Il faillit y mourir de faim, en gardant par la suite une fragilité intestinale qui devait l'affecter le restant de sa vie.
C'est surtout à partir de 1951, date à laquelle il prend sa retraite et qu'il déménage au Mans, et où il va s'empresser d'oublier son village envahissant, qu'il se lance dans la peinture du "matin au soir" (se souvient Armand junior). En treize années - puisqu'il disparaît brutalement en 1964 - il va produire semble-t-il plusieurs centaines de peintures, la plupart à l'huile, sur des supports modestes, la plupart du temps sur des cartons d'emballage. Ce ne sera qu'une fois cette oeuvre dispersée, et publiée sur Internet, notamment sur ce blog, que le fils, Armand Goupil, découvrira que nombre d'oeuvres lui avaient été cachées par son père, ainsi du reste qu'aux autres membres de la famille. Les oeuvres à thématique anticléricale ne sont pas faites pour le surprendre puisque l'on connaît bien les opinions des instituteurs laïcs de l'entre-deux-guerres (cela n’empêchait pas Armand Goupil d’apprécier les rencontres avec le Don Camillo de son village, seule personne avec qui il pouvait avoir des conversations d’une certaine tenue intellectuelle, mais curé qui cependant se cachait lorsqu’il rendait visite à l'athée…). Les oeuvres érotiques paraissent inspirées peut-être de l'iconographie présente dans les revues naturistes plus ou moins dissimulées à l'écart par son père, qu'Armand junior se rappelle avoir découvertes après le décès. Ce qui surprendra plus le fils sera la révélation de la contradiction qui habitait son père, aux moeurs austères, féru de discipline et de morale, soucieux du qu'en dira-t-on campagnard, et très chatouilleux quant aux comportements de ses enfants susceptibles de manquements aux lois morales. Les peintures aux sujets coquins fonctionnaient certainement comme une soupape de sûreté, un défoulement mené sur un mode au moins symbolique pour ce père corseté, dans un temps où la vie sexuelle faisait l'objet d'un persistant tabou.
Armand se souvient aussi de sculptures que faisait son père. La famille conserva les peintures les plus convenues. L'ensemble des peintures plus « libres », faites sur les supports de rebut, a été dispersé par un descendant de la famille qui était pressé de faire place nette. Ces oeuvres n'intéressaient pas trop la famille qui n'y décelait pas de valeur particulière, encouragée en cela par la modestie d'Armand Goupil qui avait intériorisé son oeuvre, la réalisant avant tout pour lui-même, dans une démarche assez commune avec celle des créateurs de l'art brut auxquels on ne peut cependant assimiler Goupil (à cause de l'aspect figuratif de son oeuvre, non détachée de la perception rétinienne). Peut-être aussi pour la maintenir à l'abri des regards familiaux. Sa fin brutale ne lui permit pas de la garder du reste éternellement cachée. Son épouse la conserva dans un meuble fort longtemps, d'une façon fétichiste, et lorsqu'elle disparut, ce fut alors qu'elle fut vendue en bloc à un brocanteur qui passait par là. Ce dernier la dispersa méthodiquement, vendant chaque peinture un euro pièce... D'intermédiaire en intermédiaire, les peintures continuèrent alors à circuler, prenant un peu plus de valeur monétaire à chaque nouvelle main. Le mouvement s'est-il aujourd'hui arrêté... ou bien?
Ce graphisme domestique, au voyeurisme naïf, basé parfois sur des calembours, mériterait cependant qu'on aille y voir de plus prés en lui consacrant par exemple un petit ouvrage, pourquoi pas?
00:43 Publié dans Art immédiat, Art inclassable, Art naïf, Art populaire insolite | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : armand goupil, graphisme humoristique, art de vide-greniers, anticléricalisme, érotisme naïf, art modeste, peinture domestique | Imprimer
04/09/2010
Nous, les sans voix, les sans visage...
"Nous, ceux de la parole toujours en marche...", tel est le titre (en italien) d'une exposition qui a commencé le 3 septembre et qui se terminera le 30 du même mois à Gênes, au Musée-Théâtre de la Commenda di Pré. Elle est organisée par Gustavo Giacosa et l'Association culturelle ContemporArt. Elle emprunte son titre à des vers du sous-commandant Marcos sur lesquels Gustavo Giacosa danse depuis des années, lui qui recherche les écritures laissées sur les murs des villes, choisies apparemment pour leur très grande invention et imagination, voisines des graffiti qui nous intéressent et dont ce blog s'est fait plusieurs fois l'écho.
Oreste Fernando Nanetti, reste de son mur gravé à Volterra, photo publiée dans Raw Vision n°63, été 2008 (article de Bettina Rudhof et Falk Horn)
L'exposition regroupe six créateurs très peu connus qui ont en commun d'avoir (eu) l'habitude de tracer divers textes ou proclamations sur des supports de fortune, papiers de rebut ou murs d'hôpitaux psychiatriques, comme par exemple Oreste Fernando Nannetti (1927-1994), qui grava avec la boucle de son gilet prés de deux cents mètres de mur de son établissement à Volterra, en Toscane, avec des symboles, des diagrammes, toute une science personnelle des correspondances. La collection d'Art Brut doit prochainement (en février 2011) réaliser elle aussi une exposition sur ces graffiti phénoménaux (il existe du reste un film à leur propos que je me souviens avoir vu commenté par Lucienne Peiry à Nice dans une des programmations du festival Hors-Champ). Les autres créateurs représentés dans l'exposition sont Giovanni Bosco le Sicilien, plus le vagabond surnommé Babylone (qui me fait penser au "griffonneur de Rouen" plusieurs fois évoqué dans ces colonnes) - errant à Mamoudzou, capitale de Mayotte, dans l'archipel des Comores, découvert par le psychiatre Régis Airault (un quasi homonyme de notre Régis à nous, auteur entre autres d'un livre qui doit être intéressant "Fous de l'Inde" chez Payot), et traçant des graffiti sur les murs avec un morceau de charbon, charbon qui est aussi le nom de la famille de son père... - Helga Goetze (1922-2008 ; ses messages à elle s'articulent autour de la jouissance sexuelle proclamée source de paix, message le plus souvent proféré devant une certaine église de Berlin), Carlo Torrighelli (1909-1983 ; ancien membre du parti communiste italien, il émet l'hypothèse, qui devint rapidement une rumeur ubaine particulièrement active dans sa ville, que l'église catholique avait créé une "vague tueuse" pour décimer les hommes et les animaux),et Melina Riccio, celle-ci illuminée, graffitant des messages de paix et d'amour sur toutes sortes de parties de l'espace public, y compris sur des statues de Vierge, et y compris parfois aussi sous forme de collage de mots comme dans la technique des lettres anonymes. Ces hommes et ces femmes paraissent pas très éloignés du Jeannot dont le plancher gravé de phrases dirigées pour certaines d'entre elles contre l'Eglise catholique se dresse devant lesmurs de l'hôpital Sainte-Anne à Paris.
C'est donc là une manifestation fort originale, et audacieuse, que monte Gustavo Giacosa, et que bien peu, de notre côté des Alpes, sont capables d'oser, tant le monde de l'art reste obsédé par ici par l'unique perspective du marché.
A noter que dans le cadre de cette exposition, le samedi 18 septembre à 17h, Gabriele Mina, autre grand passionné des formes d'expression brutes en particulier en Italie, présentera un documentaire intitulée "Lumières suspendues. L'oeuvre irréductible de Mario Andreoli".
19:18 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Fous littéraires ou écrits bruts, Graffiti | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : nanetti, art brut italien, graffiti, fous littéraires, gustavo giacosa, gabriele mina, babylone, régis airault, helga goetze | Imprimer
29/08/2010
Info-Miettes (9)
Galerie Susi Brunner, Zürich
Je viens de recevoir des dépliants, une carte postale, pour m'inciter à aller faire mon marché - mon expéditeur me supposant collectionneur avisé - du côté de l'art brut à Zürich, à la galerie de Susi Brunner, apparemment une bonne adresse pour ce genre d'emplettes. "C'est depuis 1973 que je m'implique de façon professionnelle dans l'art "outsider" et l'Art Brut", écrit-elle dans une courte présentation traduite en français dans sa présentation de la galerie. Le programme des derniers mois de 2010 s'annonce comme d'habitude stimulant: nous aurons ainsi Umberto Gervasi, Giuseppe Zivieri, Alberto Guindani et Nicola Gianini, quatre créateurs apparemment italiens - l'Italie se fait beaucoup remarquer ces temps-ci du côté de l'art brut ; voir Bonaria Manca, ou ce Giovanni Bosco sur lequel un blog parallèle, celui de la Madame Figaro de l'Art Brut, en fait des caisses depuis déjà quelque temps - quatre créateurs qui exposeront entre le 18 septembre et le 18 octobre ; un certain Alain Signori, venu de France (une sorte de figuratif naïf on dirait? Il y a pas mal de renseignements sur lui et ses travaux sur internet, notamment un site web à lui seul consacré), exposera ensuite de ce 18 octobre jusqu'au 18 novembre, date à laquelle sera fait place aux "acquisitions" de la galerie et ce jusqu'au 18 décembre, date à laquelle les relaieront Paul Amar et ses boîtes de saynètes incrustées de coquillages et autres loupiotes parfaites pour aller avec les arbres de Noël qui refleuriront, façon de parler, un peu partout en Europe en cette fin d'année... Un film de Philippe Lespinasse sur Amar (déjà ancien) sera également projeté à cette occasion.
Galerie Susi Brunner, Spitalgasse 10, Suisse, 8001 Zürich. Tél 41(0)44 251 23 42. www.susibrunner.ch
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Jarousse chez Chave
La galerie Alphonse Chave de son côté poursuit son défrichement des créateurs un zeste obsessionnels en exposant du 21 août au 30 novembre Isabelle Jarousse et ses oeuvres en papier épais, couverts de faunes et flores divers dessinés méticuleusement à l'encre par-dessus des vagues et des plis tortueux. Nous avons déjà eu l'occasion de l'évoquer sur ce blog ainsi que dans la revue Création Franche (n°23, cotobre 2003, article Sans paroles, Isabelle Jarousse).
A signaler la parution d'un catalogue à l'occasion de cette exposition, reproduisant 25 oeuvres d'Isabelle Jarousse, faisant partie d'une série intitulée "Fleurs et couronnes", avec un texte de Damien Chantrenne. Deux expositions supplémentaires consacrées respectivement à Pascal Verbena et à "l'Art Brut et ses alentours" se poursuivent dans la même galerie, à ses premier et second étages.
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Insectes en tous genres à Verderonne
Photos et dessins d'insectes sont au menu de l'expo d'été qui se poursuit actuellement au Centre Artistique de Verderonne, animé par Caroline Corre dans l'Oise jusqu'au 27 novembre prochain. Pour les photos (d'Alain Muriot), je suppose que c'est de la photographie entomologico-poétique, style Roger Caillois (à seconde vue, ce serait plutôt proche des évocations de Nabokov). Pour les dessins, nous avons l'occasion ici de retrouver les bestioles voraces de Michel Boudin, que j'ai déjà aussi eu l'occasion d'évoquer ici et là (dans le catalogue de l'exposition Créations et Visions Dissidentes au Musée de la Création Franche à l'automne 2001).
18:05 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art singulier, Photographie, Poésie naturelle ou de hasard, paréidolies | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : galerie susi brunner, art brut, art immédiat, michel boudin, isabelle jarousse, galerie chave, paul amar, art brut italien | Imprimer
24/08/2010
Acezat, une inconnue au bataillon
Cela fait quelque temps déjà que l'ami Alain Garret, à Bordeaux, m'a parlé en passant de quelques-unes de ses acquisitions picturales accrochées dans la salle à manger, et notamment d'une peintre inconnue de moi - et je gage de plusieurs autres - auteur d'aquarelles hésitant entre primitivisme enfantin et barbouillage graffiteux, mâtinés d'une certaine âpreté brute... J'ai nommé Acezat, aux oeuvres trouvées sur des brocantes, je crois. Voici quelques images:
En cherchant sur internet, je n'ai guère trouvé grand-chose de plus sur la créatrice, à peine l'aquarelle ci-dessous, mentionnée comme faisant partie de la collection du museum de l'art cru (oui, encore une autre appellation).
22:02 Publié dans Art immédiat, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : acézat; art cru, art immédiat, alain garret, art singulier | Imprimer
22/08/2010
Martha Grünenwaldt dans l'Oeil...-Art
Jean-Louis Faravel nous fait part d'une nouvelle exposition consacrée entièrement à Martha Grünenwaldt prévue pour commencer le 2 septembre, date du vernissage, à la Galerie de la Halle Saint-Pierre, rue Ronsard à Paris, au pied de la Butte Montmartre, parmi les marchands de tissus du célèbre marché Saint-Pierre. Elle doit se terminer le 28 septembre suivant.
Il y aura vernissage mais aussi "conférence-découverte", pour en apprendre davantage sans doute sur cette dame primitivement violoniste amateur, ancienne domestique dans un château (où on lui interdisait de jouer de ce fameux violon justement), qui se prit d'amour pour le dessin à 71 ans (elle est disparue dans sa quatre-vingt-dix-huitième année en 2008) en chipant les crayons de couleur de ses petits-enfants, remplissant toute la journée toutes sortes de papiers sans qualité, tracts, affichettes, lambeaux de papier peint, factures, à Mouscron en Belgique... Parfois des deux côtés par manque de support, pour optimiser les surfaces disponibles. Martha qui, d'après sa fille Josine Marchal (voir ses confidences dans le "Bulletin n°6" de l'association Art en Marge en 1987 à l'occasion de la première exposition à Mouscron), se trouvait dans une sorte de refus vis-à-vis du monde extérieur: "Personne autour d'elle n'a plus d'importance... n'existe plus... Alors, c'est une des facettes... à vivre... à encaisser...", refus des relations avec ceux de sa famille aussi, qui peut expliquer que celle-ci ait pu par rancoeur se laisser aller une fois à jeter une partie de sa production pléthorique.
13:22 Publié dans Art Brut, Art immédiat | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : martha grünenwaldt, oeil-art, faravel; l'art tout simlement, art brut, art immédiat, halle saint-pierre | Imprimer
19/08/2010
Cangaceiro du mois d'août
23:24 Publié dans Art immédiat, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bruno montpied, art singulier, art immédiat, cangaceiros | Imprimer
14/08/2010
Les Amoureux d'Angélique publient un catalogue
Ils avaient fait jusque là une flopée d'affichettes, confectionnées à l'occasion des petites expos temporaires qu'ils consacraient à leurs trouvailles en matière "d'art brut, naïf et populaire" dans leur charmante maison du Carla-Bayle en Ariège. A chaque fois, ils mettaient quelques lignes et quelques photos harmonieusement mises en pages. J'ai eu l'occasion d'en parler à plusieurs reprises sur ce blog et aussi dans la revue Création Franche (n°32 de mars 2010), où je signalais entre autres qu'il nous manquait un catalogue pour garder après la visite quelques souvenirs des créateurs protégés dans ces lieux.
Or donc, voici que ce catalogue vient d'être à son tour réalisé par les Amoureux (alias l'Association Geppetto de Martine et Pierre-Louis Boudra). Certes, les atours de cette brochure reliée comme un simple cahier à spirale restent modestes (à l'image des créateurs mentionnés dedans bien entendu), mais l'on dispose là à présent de quelques éléments documentaires non négligeables.
Les auteurs ont choisi de mettre l'accent avant tout sur certains créateurs emblématiques de leur primesautière collection: Gilbert Tournier, l'excellent Thierry Chanaud (dont personnellement je préfère surtout les dessins aux sculptures archaïsantes), Henri Albouy, Angelo Conficoni (dont on apprend qu'il a construit un musée dédié à ses propres réalisations en Aveyron), Henri Virmot, Sylvain Blanc, Joseph Claustres, le prolifique Joseph Donadello, Antonio de Pedro, Severino De Zotti, Honorine Burlin, la collection Yode d'art populaire en bouteille, Joseph Redini, Eric Hordas, Roger Beaudet, Raymonde et Pierre Petit, Louis Buffo, Denise Chalvet, les frères Jammes, Horace Diaz (comme Donadello et Burlin, créateur d'environnement), etc., etc.
Ne sont pas oubliés non plus les anonymes que la collection prise aussi bien. Il ne faut donc pas hésiter à acquérir ce document indispensable aux amateurs de terra incognita, de poésie des sans-grade de l'histoire de l'art.
Musée Les Amoureux d'Angélique, Carla-Bayle, Ariège, 05 61 68 87 45, amoureuxanges@hotmail.com. Catalogue 15€.
Thierry Chanaud, dessin "Des cerises, des arbres...", collection les Amoureux d'Angélique
11:07 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art populaire contemporain, Art populaire insolite, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : amoureux d'angélique, art populaire enfantin, honorine burlin, thierry chanaud, boudra, joseph donadello, denise chalvet, roger beaudet, horace diaz, pierre petit | Imprimer
10/08/2010
Postérité des environnements (3): Abbé Fouré, avant, après...
Il est rare je trouve, lorsque d'aventure on s'intéresse aux rochers sculptés de l'ermite de Rothéneuf, de son vrai nom, Adofe-Julien Fouré (Fouéré pour l'état-civil, mais lui signait Fouré), de présenter parallèlement ce qu'il reste de ces rochers sculptés en bordure de mer avec ce qu'ils furent à l'origine. Cent années (depuis la mort de Fouré) séparent les vestiges actuels (car c'est le mot, des vestiges...) des pierres taillées du début du XXe siècle. L'usure, peut-être des vols, et/ou des descellements, les ruissellements, les lichens vérolant les formes de taches disgracieuses, toutes ces causes se sont liguées pour entamer le grand travail d'effacement de la roche rognonneuse péniblement amenée par l'abbé en seulement quinze ans (il habita Rothéneuf de 1894 à 1910) à l'état d'hallucinations figées. L'inconscient naturel reprend lentement ses droits sur l'inconscient humain.
02/08/2010
Bruly-Bouabré, Ataa Oko, les films
Il y avait l'expo à la Collection de l'Art Brut de Lausanne, il y aura désormais, pour s'en souvenir plus longtemps, les films de Philippe Lespinasse (accompagné d'Andress Alvarez et de Regula Tschumi) sur nos deux compères respectivement ivoirien (en fait, i voit beaucoup) et ghanéen, Frédéric Bruly-Bouabré et Ataa Oko, deux grands voyants venus du continent africain (voir ma note de mars au sujet surtout d'Ataa Oko).
Nous avons donc deux courts-métrages sur ces créateurs, produit par Lokomotiv Films et la Collection de l'Art Brut. Le premier, Frédéric Bruly-Bouabré, l'universaliste, fait 32 minutes, et le second, Ataa Oko et les esprits, 16 minutes.
"Théodore Monod, le savant blanc, m'avait dit, mon fils dans la vie il faut être observateur", nous confie celui qui, à 88 ans (dans le film), devenu un vieux sage et un patriarche respecté, reste plus que jamais un adepte de la divination. Observer les nuages, les peaux de banane, les signes de scarification, la disposition du marc de café, les taches de ciment dans la rue, pour y déceler un message du hasard, les fixer sur des bristols qu'il encadre de commentaires descriptifs, telle fut la tâche de Bruly-Bouabré durant ses soixantes dernières années. Composer un alphabet de 449 pictogrammes associés à des syllabes, afin d'inventer un langage qui réunirait toutes les langues du monde (projet assez voisin de celui de certains fous littéraires chers à André Blavier), a été une autre des grandes préoccupations de cet homme qui fut profondément influencé, paradoxe pour un créateur que l'on range désormais dans l'art brut (censé être un art produit en dehors de toute influence culturelle), par Victor Hugo. Il dit par exemple dans le film de Philippe Lespinasse, "J'étais littéraire au début... J'ai été envoûté par Victor Hugo, puis finalement c'est le dessin qui a dominé...". Le même Hugo qui lui aussi avait été requis par les taches d'encre, et autres accidents du hasard (sait-on bien que le poète à Guernesey, signait, à la façon des pierres de rêve chinoises, des galets trouvés sur la grève?), fut il est vrai enrôlé par Michel Thévoz (voir son livre L'Art Brut de 1975) comme un précurseur de l'art brut... Bruly-Bouabré a été frappé à n'en pas douter par l'idée très hugolienne que le poète est l'instrument de Dieu, qu'il est la main, l'oeil et l'esprit qui témoignent des miracles créés par la divinité. Etonnante postérité du grand Hugo tout de même...
On voit les créateurs dessiner devant la caméra, et notamment, dans le cas d'Ataa Oko, ce prodigieux créateur de cercueils imagés au début, qui passa sur ses vieux jours au dessin aux crayons de couleurs, sur la demande de l'ethnologue Regula Tschumi (qu'on aperçoit brièvement à un moment du film), on les voit parfois commenter leurs créations, parler des esprits avec lesquels Oko paraît s'entretenir familièrement. Il y a de l'enfantin résiduel chez ce nonagénaire lorsqu'il explique le sens des attitudes de certains esprits par exemple.
C'est un des intérêts majeurs de ces films, nous faire sentir le feeling profond d'un Bruly-Bouabré par exemple, la jeunesse et la malice de ces vieillards, à fond dans le seul réel qui vaille, qu'on appelle aussi ailleurs surréel.
L'exposition Bruly-Bouabré se termine le 22 août, tandis que celle des oeuvres d'Ataa Oko, devant le succès rencontré, comme dit le site web de la Collection de l'Art Brut, est prolongée jusqu'au 30 janvier 2011. Le DVD est disponible à la Collection de l'Art Brut.
13:39 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Fous littéraires ou écrits bruts, Images cachées, images délirantes?, Poésie naturelle ou de hasard, paréidolies | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : frédéric bruly-bouabré, victor hugo, ataa oko, philippe lespinasse, art brut africain, poésie naturelle, images cachées, cercueils du ghana | Imprimer
30/07/2010
40 ans du CAT de Ménilmontant
Je ne savais pas qu'il existât quelque chose comme un CAT à Ménilmuche. Et c'est un des bénéfices secondaires de la vogue actuelle pour l'art brut et consorts (le "consorts" s'appelle en l'occurrence l'art singulier ; on emploie ce genre de terme en bonus, quand on n'est pas sûr de ratisser assez large avec le seul terme d'art brut) que de nous l'apprendre à la faveur de l'exposition (qui se termine demain!), organisée au Pavillon Carré de Baudouin (ancienne folie XVIIIe rénovée par la Mairie de Paris, assez impressionnante ma foi), et qui s'appelle "Essentiel, 40 ans d'art brut et singulier". Cette manifestation fête le quarantième anniversaire du CAT, installé rue des Panoyaux dans le 20e ardt. Elle nous parle des oeuvres produites par 30 travailleurs qui fréquentent les ateliers artistiques dépendant du CAT (parfois plusieurs à la fois, comme par exemple la peinture et la céramique, dont les organisateurs paraissent particulièrement fiers, et effectivement trois créateurs émergent nettement dans cette discipline, Fathi Oulad Ben Abid, Philippe Lefresne, et la "gothique" Marie Ollivier-Henry, qui aime bien entre autres façonner des cercueils ).
Si les qualificatifs de brut et singulier paraissent ici un peu produits pour attirer le public, il faut convenir que la qualité des travaux montrés, si elle ne colle pas toujours à l'aspect "jamais-vu" qui est une caractéristique de l'art brut, de même qu'à l'aspect transgressif de cette notion chère à Dubuffet, cette qualité esthétique paraît souvent évidente. Les grandes gouaches de Joseph Tibi, créateur qui a droit à une salle pour lui tout seul, sont particulièrement belles, possédant une présence immédiate et une tenue esthétique proprement remarquable étant donné leur simplicité dans le dessin, et la taille de leurs supports qui ne paraît à aucun moment avoir pu poser problème pour leur auteur. L'accrochage des oeuvres est aussi fort impressionnant, dans des salles nues aux proportions conséquentes. Manquent peut-être quelques salles supplémentaires, cela dit.
Et l'on reste de ce fait un peu sur sa faim. Comment en quarante ans de travaux ce CAT ne peut-il nous montrer davantage d'oeuvres? N'a-t-il pas constitué de fonds permanent? Tout est-il parti avec les créateurs ayant fréquenté les ateliers? Il faudra aller au 52, rue des Panoyaux, adresse du CAT, pour le savoir sans doute.
Tarzan aussi a un poignard subtil
16:55 Publié dans Art immédiat, Environnements populaires spontanés, Littérature jeunesse | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : léon evangélaire, environnements spontanés, tarzan, poignard subtil | Imprimer
26/07/2010
Fin du Tour de France
24/07/2010
11e festival à Aubagne
L'art singulier... Qu'a-t-il d'encore véritablement "singulier"? Quand on voit la multiplicité des festivals et des artistes se réclamant de ce terme, et lorsqu'on constate qu'au fond leurs oeuvres ne se distinguent pas tant que cela du tout venant de la création contemporaine (la création qui continue dans les arts plastiques, s'entend), on se dit que le terme "outsiders" au sens turfiste - le cheval qui n'était pas prévu pour la victoire et qui arrive cependant à gagner... - est bien mieux adapté.
Le 11e festival d'art singulier - le premier festival du nom, animé dès le départ par Danielle Jacqui, avec l'appui au début de feu-Raymond Reynaud -, basé au début à Roquevaire-en-Provence, puis migré à Aubagne, dans la grande banlieue de Marseille, ouvre ses portes le 31 juillet prochain, pour une exposition hétéroclite et bourrée comme d'hab' jusqu'au 29 août. On consultera le programme ci-lié, pour se rendre compte des artistes qu'on y trouvera (malheureusement, peu d'images sont fournies, quid de Pierre Hornung, par exemple, dont on nous annonce sur le site du festival monts et merveilles?). En lisant rapidement la liste des créateurs invités, j'ai relevé quelques noms, Jean Branciard (souvent mentionné sur ce blog), Bonaria Manca (très intéressante créatrice sarde auteur de peintures mais aussi d'une maison entièrement décorée à la limite du naïf et du brut authentiques ; un film a été fait sur elle par Marie Famulicki, excellent au demeurant), Swen et ses dessins touffus, Ester Chacon Avila, artiste chilienne de renommée internationale qui crée des oeuvres textiles aux figurations primitivistes qui font penser à du Marie-Rose Lortet, ou à du Karskaya en plus simple, Jacqueline Vizcaïno, Catherine Ursin, Adam Nidzgorski, ou encore Rosaria Cannonito (créatrice handicapée sicilienne sur qui on trouve un site à elle toute entière consacrée ; merci à Roberta Trapani de nous l'avoir indiqué)...
Les festivals jacquiens sont toujours foisonnants, à l'image de son animatrice charismatique, qui aime l'abondance et l'explosion de couleurs, il y a toujours quelque chose ou quelqu'un à dénicher dans cette salle du Bras d'Or la bien nommée. Bonne pêche!...
23/07/2010
Plein Chant débarque sur internet...
Je n'ai pas beaucoup de mérite sur ce coup-là. J'ai recopié l'info directement de L'Alamblog, le blog d'Eric Dussert. Effectivement, comme il l'écrit, ça, c'est de l'information! Les éditions Plein Chant ont désormais un site internet. Tout arrive. Il s'agit a priori d'un catalogue, d'une vitrine des activités de la maison, qui comme on sait édite depuis les années 1970 entre autres une des meilleures revues littéraires qui ait jamais été publiée dans ce beau pays de France, la revue Plein Chant, où j'eus le bonheur de publier trois textes dans le passé, ce dont je ne suis pas peu fier. Mais grâce à cette vitrine, les internautes qui voudront se renseigner plus rapidement que d'ordinaire (en ramassant par exemple les catalogues dans les salons où par ailleurs l'éditeur se faisait de plus en plus rare je trouve) pourront être mieux satisfaits. C'est l'occasion pour ceux qui ne connaîtraient pas encore cette bonne maison de découvrir l'éventail de ses titres, dont je prise particulièrement les rééditions de chroniqueurs du singulier du XIXe siècle, comme Lorédan Larchey, Champfleury, Charles Yriarte ou Théodor de Wyzewa. Voici donc le lien pour aller tout droit à Bassac: http://www.pleinchant.fr/
07:24 Publié dans Art immédiat, Art naïf, Confrontations, Curiosités, modifications et divertissements langa, Environnements populaires spontanés, Fous littéraires ou écrits bruts, Hommages, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : plein chant, edmond thomas, chroniqueurs singuliers du xixe siècle, champfleury, lorédan larchey, fous littéraires, oulipo, pataphysique | Imprimer
21/07/2010
Les constructeurs de Babel, bienvenue à un nouveau site sur les environnements "visionnaires" italiens
Je reçois de Gabriele Mina, anthropologue italien, la référence de son site, intitulé costruttori di babele et consacré aux environnements visionnaires de son beau pays. L'insertion de ma note ancienne sur Marcello Cammi m'avait fait croiser sa route. Je ne parle guère l'italien, mais j'arrive à peu prés à déchiffrer entre les lignes ce dont il est question, tant nos langues sont proches.
Le terme de land-art s'applique bien en l'occurrence, plus que le terme d'art paysagiste dont il est un proche parent. Je vois une distinction entre ces deux formes d'intervention artistique, car le land-art est davantage la création d'un tableau prenant pour support un territoire donné, alors que l'art du paysage serait plutôt un territoire qui fait recours à des conceptions artistiques dans la réalisation de son dessin. Les deux vont à peu prés à rebours l'un de l'autre... Et c'est vrai qu'un terme en langue étrangère s'est imposé là parce qu'il n'y avait pas de terme équivalent en français.
07:39 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : gabriele mina, i costruttori di babele, environnements spontanés, mario andreoli, marcello cammi, art immédiat | Imprimer
20/07/2010
Pourquoi pas une sirène de plus?
08:47 Publié dans Art immédiat, Art naïf, Art populaire contemporain | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : sirènes, enseignes naïves, sculpture populaire, art immédiat | Imprimer
18/07/2010
Postérité des environnements (1): Bohdan Litnianski
L'été est propice pour partir sur les routes, aller vérifier l'état de nos jardins créatifs, ceux du peuple j'entends, qui me sont plus chers parce que créés en dehors de toute histoire de l'art, par des sans-grades, des non adulés, des non avenus, à partir d'eux-mêmes, de leur culture en miettes, récupérée dans les poubelles de la télé et des média sacro-saints.
Je commence ici une chronique des environnements orphelins. Qu'est-ce que ça devient quand le patron est parti? A mon avis, cela risque fort d'être la chronique d'une mort et d'un pourrissement annoncés. Tant est forte la relation entre le créateur et sa création en l'espèce. Déjà, n'est-ce pas, les créations sont placées en plein air, comme si la pelouse qui longe la route devenait une galerie d'art spontané. Réalisées en des matériaux dont on n'a que rarement mesuré la tenue dans la durée - non, ça n'est pas du bronze, mais plutôt du ciment, des assiettes, des poupées, du bois, de la ficelle, du plastique... - les oeuvres durent généralement autant que la vie de leurs propriétaires. Bonjour les dilemmes sur la conservation de ces matériaux pour ceux qui arrivent après! Qu'ils soient des personnes privées ou des institutions (musée d'art moderne et d'art brut de Villeneuve d'Ascq)... En définitive, ces problèmes, liés à la question de la conservation des environnements, reflètent le questionnement fondamental qui se pose en amont, relatif au statut de ces créations: art ou bien autre chose? Intemporalité de l'art ou immédiateté et éphémère d'une création vécue au jour le jour?
Pour commencer cette chronique, je me contenterais de deux photos prises à quelques mois de distance sur le site de Bohdan Litnianski à Viry-Noureuil dans l'Aisne. La maison et son jardin incroyable sont toujours à vendre. Le temps fait son oeuvre parallèlement...
17/07/2010
Antonio de Pedro
Au musée des Amoureux d'Angélique à Carla-Bayle cet été, en plus des masques, j'ai oublié de mentionner une autre exposition, celle des sculptures sur formes naturelles en bois étonnamment ouvragées par un monsieur appelé Antonio de Pedro. Les affichettes éditées par le musée en 10 x 15 cm disent à peu prés toute ma science sur le personnage et son oeuvre. Je m'abrite donc trés paresseusement derrière elles.