01/10/2009
Le Plein Pays, documentaire d'Antoine Boutet sur Jean-Marie M., archéologue sauvage
Je n'avais plus de nouvelles de ce monsieur Jean-Marie M. depuis bien longtemps. Depuis que j'étais allé le voir en 1987 avec Gaston Mouly qui s'était gentiment chargé de faire le médiateur entre nous (j'ai tourné un petit film en Super 8 à cette occasion que j'ai intégré par la suite à l'ensemble de petits films d'amateur sur les environnements que j'ai intitulés Les Jardins de l'art immédiat). L'ami Joël Gayraud m'avait signalé un article de Walter Lewino paru en 1984 dans Le Nouvel Observateur qui évoquait cette présence peu commune dans une forêt du Lot (article Le Malthusien des Bruyères).
Jean-Marie creusait le sol, effectuant un travail colossal à mains nues au début, puis, après s'être perfectionné côté outillage et engins, avec plus de moyens, élargissant ses tunnels, ses puits, ses crevasses dans l'espoir de découvrir une civilisation préhistorique sous son terrain. On était dans une région de grottes célèbres, Pech-Merle, Cabrerets... Le Périgord aussi n'était pas très loin.
Il fouillait la terre comme une taupe humaine, acharné de façon hyperbolique, creusant sans cesse comme à la poursuite du secret des origines. Qui n'étaient à chercher nulle part ailleurs, bien sûr, qu'au sein de la terre-mère. Il vivait seul avec sa mère sur ce territoire qu'il perçait de galeries. Il interdisait qu'on aille vers sa maison qu'on devinait par delà deux pyramides de pierres, où vivait la génitrice protégée comme une idole. Il interdisait aussi qu'on emmène de la terre de son fief sous les semelles de nos chaussures. Il nous épousseta bien soigneusement, Gaston et moi, avant que nous ayons eu le temps de franchir la limite de la propriété.
Je ne suis pas descendu dans les galeries et les salles creusées dans la terre rouge quand je vins chez lui, tellement cela me paraissait périlleux en l'absence de lumière et sans plus d'information. Le sculpteur Ipoustéguy qui a visité en 84 le site avec Walter Lewino avait été plus téméraire, il descendit au fond, se frottant aux parois de terre rouge, rapportant que l'on voyait quelques gravures de Jean-Marie à certains angles. Sur le terrain lui-même, il y avait peu d'interventions "artistiques". Sur les pyramides évoquées ci-dessus (des cairns améliorés), on pouvait apercevoir quelques grossières incisions, tentant d'imiter les gravures rupestres du Val Camonica en Italie ou de la Vallée des Merveilles dans les Alpes françaises. Interrogé par nous sur ce qu'il avait réussi à mettre au jour jusqu'alors (1987, je le répète), il s'était embrouillé, avait seulement soulevé une bâche pour nous montrer une belle améthyste, qui consistait à ce que nous crûmes comprendre en son unique trouvaille de quelque valeur... Peut-être était-ce avant tout sa quête qui le faisait vivre, et peu importait la fin.
A suivre l'article de Walter Lewino, J-M en 1984 avait un message écologique et démographique à faire passer au monde (ce qui le range aussi du côté des "fous littéraires"). Selon lui, la Terre étant bien trop peuplée, il fallait réduire d'urgence la population en cessant de procréer (sa théorie était peu claire, il militait pour une "extinction de l'espèce humaine", ce qui est nettement plus radical qu'une simple diminution démographique ; de plus il en voulait à son père de lui avoir donné le jour, il prédisait l'arrivée des extra-terrestres qui retrouveraient ses vestiges et en feraient un palais merveilleux ; au fond, il proclamait son désir de n'avoir jamais existé). Il avait confié à Lewino un message à publier dans les média, ce que ce dernier fit (voir ci-dessous).
Texte dicté à sa mère par J-M, photos de l'article de Walter Lewino, Le nouvel Observateur, 8-6-1984
Je commençai d'écrire quelque texte à son sujet, que je finis par délaisser, n'ayant que peu de tribunes à ma disposition, puis je me mis à en parler autour de moi, le cas était tout à fait intriguant, j'attendais une occasion, et je me demandais comment en parler adéquatement... J'étais impressionné aussi par l'impact que pourrait avoir la révélation de cette existence sur un public plus large. Des articles parurent cependant ici et là, par exemple dans le magazine Dire Lot qui ne cacha pas le nom de Jean-Marie, si je me souviens bien, ou dans Gazogène également à qui je l'avais signalé (revue éditée à Cahors). Dans ce dernier bulletin, vers 2000, il fut fait état d'une nouvelle fantastique, la mère de Jean-Marie étant décédée, et ayant été enterrée au cimetière, loin de leur terrain sacro-saint, celui-ci n'avait pu le supporter et était parti la déterrer (toujours cette quête du souterrain), pour l'exhumer et la ramener chez lui. Cela ressemble au comportement de l'auteur du fameux plancher de Jeannot dont j'ai déjà parlé ici. Jean-Marie, avais-je alors appris, avait pu regagner son domicile après quelques démêlés avec les autorités. Depuis je n'avais plus de nouvelles.
Et voilà que j'apprends qu'on a fait un film avec lui, où son nom - à juste titre peut-être - n'est pas prononcé. Seul son prénom apparaît dans les dossiers de presse qu'on m'a communiqués (grand merci à Remy Ricordeau pour cette information précieuse). L'auteur du documentaire est Antoine Boutet. Le film, daté de 2009, est un moyen-métrage de 56 minutes. Son titre: Le plein pays. Il sera projeté dans la région parisienne incessamment (c'est l'avant-première). Rendez-vous le mercredi 7 octobre à 21h au cinéma Le Méliès à Montreuil. Je ne sais pas vous, mais moi, j'y serai. Voici le résumé tel que je l'ai trouvé sur le site des "Rencontres cinématographiques autour du documentaire" qui se tiennent du 6 au octobre à Montreuil:
"Robinson au milieu d'une forêt française, avec pour seuls compagnons une radio et un magnétophone : l'homme que filme Antoine Boutet est un solitaire, un homme qu'on pourrait dire « des bois » ou « des grottes », tant il fait corps avec ces lieux secrets. Il les sculpte et les manipule, les chamboule et les creuse. Dans un même mouvement, du plus profond de lui, éclôt sa voix, ses mythes et bientôt, par bribes, son histoire."
C'est le genre de film à rapprocher de celui qu'ont fait les animateurs du blog "Playboy communiste" sur le "griffonneur de Rouen", Alain R. Voir dans ma note ancienne ce que j'en avais dit. Ainsi que le lien vers leur blog dans ma colonne consacrée aux liens.
24/09/2009
La Vie de l'abbé Fouré, par Noguette (1919)
Il y a 90 ans cette année, soit donc en 1919, paraissait la première biographie consacrée à l'Ermite de Rothéneuf, l'abbé Adolphe-Julien Fouré, connu pour avoir sculpté non seulement les rochers de la côte, sur le site de la Haie, dans le bourg de Rothéneuf, mais aussi toute une série de statues en bois étonnantes qu'il montrait dans le village même, dans l'enceinte de son Ermitage.
Pour fêter en quelque sorte cet anniversaire, j'ai décidé de publier ici le texte de cette courte biographie, ce que personne n'a eu l'idée de faire depuis sa première édition. Seuls quelques fragments ont paru en de brefs extraits ici ou là. Elle est due à un écrivain régionaliste breton, spécialiste de la Côte d'Emeraude du début XXe siècle, Eugène Herpin, qui signait du pseudonyme de "Noguette".
La Vie de l'Ermite de Rothéneuf
(L'Abbé Fouré)
I
L'abbé Fouré - qu'on appelait l'ermite de Rothéneuf - naquit à Saint-Thual, canton de Tinténiac, le 7 mars 1839 (1). Guillaume, son grand-père paternel, était fermier-général d'Etienne-Auguste Baude de la Vieuville, marquis de Châteauneuf, guillotiné à l'âge de quatre-vingt-deux ans, sur la place du Champ-de-Mars, à Rennes, le 4 mai 1793.
Ce Guillaume avait épousé Françoise Laisné, de Dol, dont le frère François-Henri, entré dans les Ordres, était économe au Séminaire de cette ville à l'époque de la Révolution, et émigra à Jersey, où il mourut le 3 mai 1795.
Du mariage de Guillaume Fouré, avec Françoise Laisné, naquirent deux enfants, Adolphe et Albert, qui furent élevés par leur oncle.
Adolphe devint le domestique de Mgr Urbain René de Hercé, dernier évêque de Dol, et passa avec lui en Angleterre, à l'époque des mauvais jours. Son frère Albert le suivit.
Revenu en France, après deux années d'exil, il se fixa à Saint-Thual. En 1796, il fut nommé maire de cette commune et en devint le bienfaiteur.
Mgr Urbain de Hercé ayant été nommé grand-aumônier de l'armée catholique et royale, par le pape Pie VI, son fidèle serviteur Adolphe l'accompagna dans la malheureuse expédition de Quiberon, et fut fusillé avec son maître, sur la Garenne, à Vannes, le 29 juillet 1795.
Un grand-oncle maternel de notre bon ermite, Jean Astruc, de Saint-Solen, était patron de barque. Ce fut lui qui, à la descente de Quiberon, conduisait le bateau où se trouvaient le général de Sombreuil et le comte Bozon de Périgord, son officier d'ordonnance. Une balle frappa Jean Astruc, en plein cœur, au moment où il allait aborder le rivage, et son sang éclaboussa l'uniforme de ses illustres passagers. On le voit, l'Abbé Fouré avait du sang de chouan dans les veines (2).
Son enfance, bercée des souvenirs de la Révolution, s'écoula au milieu des landes paisibles de Saint-Thual: c'est là que naquit, dans son âme de paysan breton, le goût de la solitude et de la rêverie. Le recteur de la paroisse, ayant remarqué sa piété, lui enseigna les premières notions de latin. Adolescent, il fut envoyé au Petit-Séminaire de Saint-Méen, d'où il entra au Grand-Séminaire de Rennes. Ordonné prêtre, en 1863, il exerça d'abord son ministère sacerdotal, comme vicaire dans différentes paroisses du diocèse. Alors, il fut nommé recteur de Paimpont.
De cette période de sa vie, il conserva un inaltérable souvenir. Grand pêcheur, ainsi qu'intrépide chasseur, épris de la vie contemplative, il adorait sa chère paroisse, dont le clocher se mire dans l'étang, sur lequel glissent, dans leurs robes de brouillard, les mystérieuses « dames blanches ». Il aimait s'égarer dans les mystères de cette étrange forêt de Brocéliande, où les légendes, dit le folkloriste, sont nombreuses autant que les feuillages. Ce fut, dans le domaine de Merlin l'Enchanteur, de la fée Vivianne et du Val-sans-Retour, dans ce paradis breton des fées, des chevaliers de la Table Ronde, du roi Arthur... que le futur sculpteur de Rothéneuf trouva sa tournure d'esprit et l'inspiration de ses œuvres futures.
Lorsque l'abbé Fouré était recteur de Paimpont, les forges, aujourd'hui endormies, étaient en pleine activité. Elles étaient la richesse, l'animation et la gloire de la paroisse. Dans le cours de l'année 1866, le bruit se répandit, dans le bourg, qu'elles allaient être fermées. Les princes d'Orléans, retirés à Londres, étaient alors les propriétaires, tant de la forêt que des hauts-fourneaux. A cette nouvelle, le bon recteur partit pour l'Angleterre. Auprès des princes, il plaida, avec toute son âme, la cause de ses paroissiens et de leurs hauts-fourneaux. Il perdit son procès: la décision était irrévocable. Le cœur désolé, il revint auprès de ses ouailles. Peu de temps, après, il fut nommé recteur de la paroisse de Retiers, et ensuite de celle de Langouet, canton de Hédé.
Cependant, la vieillesse venait. Le bon recteur était devenu sourd. Puis ce fut une paralysie de la langue. Il fallait songer à la retraite: où aller ? Il demanda conseil au recteur de Rothéneuf. Celui-ci lui décrivit sa paroisse, bornée par la mer et des rochers sauvages. L'abbé Fouré donna sa démission de recteur, et vint à Rothéneuf, où il loua un petit logement. C'était en octobre 1893 (3).
II
Désormais, ce ne sera plus la vision de la légendaire Brocéliande, ou de la verdoyante et paisible campagne de Langouet ; ce sera la vision de la mer qui charmera, seule, l'âme rêveuse du vieux prêtre breton.
Quelle émotion! Quand, pour la première fois, par un de ces prestigieux couchers de soleil, qui sont un des charmes de la Côte d'Emeraude, il contempla I'admirable site que domine la pointe de La Haie. Tout près, l'île Bénétin tenant, dans ses tenailles de granit, l'émouvant squelette d'une goélette naufragée. Plus loin, à gauche, découpant leurs silhouettes aux tons mauves, dans les teintes orangées du couchant, le Grand et le Petit-Chevret. Au premier plan, le Gouffre, dont les roches noires prolongent, jusqu'à la mer, leurs béantes excavations.
Et, le soir tombant, il remarqua que les rochers, à mesure qu'ils s'estompaient, prenaient des formes étranges. Celui-ci devenait un monstre fabuleux ; cet autre, un reptile fantastique. Dans ses courses, au fond des bois et des chemins creux, il avait fait déjà la même observation, se plaisant à deviner tout un monde mystérieux, dans les silhouettes des arbres et les replis de leurs séculaires racines, se tordant, comme des couleuvres, sur le revers des fossés. Profiter des contours du rocher et des sinuosités d'une branche, ou donner le coup de pouce pour faire naître, du granit ou du chêne, l'œuvre ébauchée par la nature : tel fut le système de l'ermite de Rothéneuf.
Ce fut, pour occuper sa solitude et son désoeuvrement, qu'il se mit au travail, fouillant, de son ciseau, le roc et le granit. Jamais il n'avait eu ni leçons ni conseils, et ses instruments étaient rudimentaires.
Voici les Rochers sculptés. Les sujets se pressent, se tassent, se bousculent. C'est là, aspergé par les embruns et secoué par les vagues, un art primitif, étrange, qui rappelle les grimaçantes silhouettes des gargouilles moyenâgeuses. Dominant le tout, un haut calvaire qui bénit cet étonnant musée de pierre.
Non loin de ce musée de pierre, signalons tout spécialement la fontaine Jacques-Cartier, située au bout du chemin vicinal, à l'endroit appelé « les Bas-Chemins ». A cette fontaine, qui est intarissable, Jacques Cartier, raconte la tradition populaire, fut puiser sa provision d'eau, à la veille de partir, sur la Grande-Hermine, à la découverte du Canada.
L'ermite aimait se reposer au pied de cette fontaine, dont il sculpta la pierre, avec un attrait tout particulier.
Mais, visitons surtout l'ermitage. Au-dessus du mur crénelé qui lui sert de clôture, émergent des têtes grimaçantes et naïves, qu'animent des yeux verdâtres, des bouches béantes et des coiffures aux rutilantes couleurs. Elles semblent regarder ironiquement le visiteur. Elles se nomment: Enguerrand de Val, Pia de Kerlamar, Marc de Langrais, Yvonne du Minihic, Perrine des Falaises, Adolphe de la Haye, Cyr de Hindlé, Jeanne de Lavarde, Karl de la Ville-au-Roux, Gilette du Havre et Benoît de la Roche.
A l'intérieur, l'établi rudimentaire sur lequel les racines de chêne se transformaient en serpents, en hiboux et en dragons. Sur cet établi, son dernier travail demeure inachevé. Voici son beau portrait, grandeur nature. Voici le banc sur lequel il peignait ses oeuvres, et le fauteuil, orné de devises, sur lequel, tant de fois, il s'est assis pour donner, gracieusement, des milliers et des milliers d'autographes à ses innombrables visiteurs.
Je ne puis, évidemment, décrire toutes les œuvres de l'ermite, soit rangées dans des galeries, par les soins du propriétaire de ce curieux musée, soit groupées dans le jardin et dans les différentes pièces de la jolie gentilhommière.
Signalons, toutefois, M. et Mme de Rothéneuf. Le mari est un marin et sa « payse », avec la coiffe d'autrefois, tient un perroquet que son « homme » lui a rapporté des îles. Egalement, le groupe qui représente les Nations au pied de la Vierge, le Chasseur indien et Ranavalo qui, juchée sur un monstre, traverse une rivière à la nage. Une mention toute spéciale à ces troncs de chêne que le ciseau de l'ermite transforma en Gargantua. Des fleurs nombreuses, des têtes sans fin complètent cette œuvre curieuse dont, à différentes reprises, l'ermite refusa des sommes importantes,
Oh ! Il n'était pas intéressé, le bon ermite. A l'entrée de son musée, il y avait un tronc. Donnait qui voulait ! Et, si la recette, à la fin de la saison, dépassait, ses modestes besoins, il en donnait le surplus aux pauvres.
L'ermite avait un curieux album, sur lequel étaient les autographes les plus variés. J'en ai détaché ces deux strophes :
Ici, l'art, à son tour, embellit la nature,
A ces différents blocs, le ciseau d'un sculpteur
Habile a su donner des traits, une figure,
Voici des cavaliers ; plus loin, un enchanteur.
Dragons ailés, serpents, fantastiques chimères,
Des monstres effrayants, des êtres fabuleux
Invoquant, du passé, légendes et mystères,
Des héros et des saints apparaissent à nos yeux.
Ayant, pendant vingt années, sculpté le bois et le granit, et, avec son art primitif, fait la fortune de Rothéneuf, l'abbé Fouré - le dernier des ermites de France - mourut pieusement dans sa petite gentilhommière, au milieu de ses statues de chêne. C'était le 10 février 1910.
Le 29 juillet suivant, des amis firent apposer sur sa maison une plaque commémorative portant, en lettres d'or, cette inscription :
"HOMMAGE A L'ABBÉ ADOLPHE FOURÉ
L'Ermite de Rothéneuf
Né à Saint- Thual (I.-et-V.) le 7 mars 1839 (4)
Décédé, dans cette demeure, le 10 février 1910.
En sculptant, il se fit le bienfaiteur de ce pays."
Deux jours après la pose de cette pierre, avait lieu la vente aux enchères des curieuses sculptures. M. Galland, propriétaire de la maison, eut l'heureuse idée d'en acheter le plus grand nombre. En sa faveur, notamment, furent adjugées, en bloc, toutes celles qui remplissaient le jardin. Ainsi, l'œuvre de l'abbé Fouré a pu être conservée, et elle attire toujours l'attention du touriste qui ne va pas visiter Rothéneuf, sans aller voir, « le Musée de l'Ermite » (5).
NOGUETTE
(Imprimerie Bazin, 1919, Saint-Malo)
1. Cette date ne correspond pas à celle de l'acte de naissance. Voir ci-dessous.
2. On notera que Noguette oublie de nous indiquer clairement qui étaient les parents de l'abbé. L'acte de naissance publié par Frédéric Altmann en 1985 (voir ci-dessous pour les références exactes de son ouvrage) les identifie sous les noms de François Fouéré et Anne Redouté. La graphie "Fouéré" n'apparaît que dans les actes d'état-civil. L'abbé signait les cartes postales représentant ses rochers d'un autographe indiquant "l'abbé Fouré". Je garde personnellement cette graphie conforme aux usages de l'abbé.
3. On a ici la date exacte de l'arrivée de l'abbé à Rothéneuf, et par conséquent la date du début de ses travaux aussi.
4. Cette date ne correspond pas à celle qui est apposée sur l'acte de naissance de l'abbé, à savoir le 4 septembre 1839. Acte qui a été republié dans Frédéric Altmann, L'Ermite de Rothéneuf, le sculpteur des rochers de Rothéneuf, 1839-1910, AM, Nice,1985.
5. Hélas, ce musée a disparu aujourd'hui, sans qu'on sache précisément à quelle date. Les rumeurs parlent d'une destruction intervenue pendant la guerre, période pendant laquelle les populations civiles qui habitaient Rothéneuf furent évacuées. Les seuls objets sculptés qui réapparaissent au gré des expositions en galeries (par exemple à la Galerie de Messine à Paris, ou à la galerie de l'association ABCD à Montreuil) sont des meubles, tabernacle, commode ou bois de lit. Ce qui paraît logique lorsqu'on sait qu'à la vente aux enchères des biens de l'abbé ce furent surtout des meubles qui partirent de l'ermitage. On acheta utile à cette époque. Les sculptures étaient sans doute soit moquées soit réservées au propriétaire de l'Ermitage qui en racheta effectivement la majorité. Cela causa paradoxalement leur perte, puisqu'elles disparurent avec l'ermitage censé les protéger.
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18/09/2009
Un monde modeste, film sur Arte
Le dimanche 27 septembre à 23h25 sur Arte, sera diffusé le documentaire de Stéphane Sinde, écrit avec Bernard Tournois, réalisé cette année, "Un monde modeste" (52 min).
Consacré essentiellement à l'art modeste - ce concept voulu indélimité et forgé par Hervé Di Rosa, traitant d'un champ de l'art particulièrement vivant et souvent poétique, grosso modo l'art populaire manufacturé, le monde des collectionneurs de bibelots, objets et images publicitaires, le kitsch, etc. - ce film permet d'apercevoir (vite, car l'esthétique du film a fort à voir avec le clip) Guy Brunet dans son décor, Joseph Donadello, Bernard Belluc et ses installations compulsives, Alfredo Vilchis, l'habitant-paysagiste populaire Yves Floch, "l'Organugamme" de Danielle Jacqui, ainsi que divers médiateurs, Hervé Di Rosa, Bernard Stiegler, et Pascal Saumade (récent commissaire de l'exposition "Kitsch-Catch", qui après une première installation à Lille, s'est déplacée ensuite début 2009 au Musée International des Arts Modestes à Sète, musée dont on voit quelques images fugitives dans le film).
Ce film, que nous avons vu en projection pour la presse (le P.S. ne recule devant rien pour satisfaire ses lecteurs), disons-le tout de suite, ne sert peut-être pas bien la cause de l'art dit modeste. Et encore moins celle des créateurs populaires qu'il nous laisse par bribes superficielles entrapercevoir. Le montage rapide, amusant au début, cherchant à créer l'illusion de la modernité (qui est aujourd'hui assimilée dans une large frange du cinéma documentaire à la vitesse, à l'épate par l'étourdissement, plutôt qu'au temps laissé à la réflexion), devient vite agaçant. Certains créateurs semblent même présentés pour amuser la galerie (Guy Brunet est montré en train de faire un film à partir de ses silhouettes naïves, faisant parler des effigies de cartons comme des marionnettes, le public rigole de tant de naïveté...). On amalgame les plus inspirés (Brunet, Donadello, Floch, Vilchis, Belluc) avec des histrions a priori légèrement hystériques et incohérents (Michel "El coyote" Giroud).
De temps à autre des fragments surnagent. Le philosophe Bernard Stiegler (qui sort un livre chez Galilée ces temps-ci) insiste sur l'esprit de résistance à la pensée unique qui se manifeste chez les créateurs autodidactes, ainsi que sur la collectionnite qui caractériserait les travaux et autres objets réunis dans l'art modeste. Un artiste péruvien parle de cette nouvelle forme d'art qu'il pratique - et qui pourrait s'appliquer aussi à l'entreprise de Bernard Belluc - "le collage-archivage". Mais son interview, là comme ailleurs, passe à la vitesse du TGV, on a à peine le temps de le remarquer encore moins de s'en souvenir... Di Rosa, pourtant à l'origine le fondateur du concept d'art modeste, est à peine interrogé. Pascal Saumade, excellent dénicheur de talents populaires contemporains (ex-votos mexicains, imagerie du catch, affiches et portraits naïfs de Guy Brunet, posters faits main pour la publicité de films ghanéens de série Z), fait des apparitions fantomatiques.
Le film n'est qu'un tourbillon de couleurs et de fragments de phrases qui laisse l'amateur de ces formes d'art profondément sur sa faim. Pourtant le concept d'art modeste mériterait mieux, une collection de petits films (posés) sur chacun de ses domaines. On pourrait pousser plus loin l'interrogation à propos de ses diverses sous-catégories. L'art brut est-il un sous-ensemble de l'art modeste? Le terme de "modeste" n'est-il pas dépréciatif pour des Donadello, des Floch, des Guy Brunet, des Alfred Vilchis? Danielle Jacqui à un moment du film a le mérite d'avoir repéré le bât qui blesse, elle le clame avec netteté: "Je ne suis pas modeste, je fais l'Organugamme"... Jacqui pas modeste, ça, on peut dire qu'elle parle d'or. Il est du reste passablement paradoxal que le Musée des Arts modestes lui ait précisément proposé à elle d'exposer son projet en cours, le Colossal d'Art Brut, initialement projeté pour décorer la façade de la gare d'Aubagne (voir son blog en cliquant sur le lien à son nom).
On aurait pu, surtout, laisser parler les créateurs populaires, et laisser de côté les spécialistes de la pensée, si intéressants soient-ils. Mais peut-être veut-on voir le populo sous un oripeau décidément trop modeste?
18:39 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art populaire contemporain, Cinéma et arts (notamment populaires), Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : art modeste, miam, pascal saumade, hervé dir rosa, stéphane sinde, joseph donadello, bernard belluc, guy brunet, environnements spontanés, ex-voto mexicains | Imprimer
17/09/2009
Journées du patrimoine au Jardin de Nous Deux (anciennement Charles Billy)
Oyez, oyez, amateurs d'environnements d'autodidactes. Pour les journées du patrimoine qui auront lieu le week-end prochain, ceux qui ne sont pas très loin de la vallée de l'Azergues, dans le Rhône, pourront si le coeur leur en dit, aller découvrir, ou redécouvrir un environnement qui est généralement fermé au public, le Jardin de Nous Deux de feux Charles et Pauline Billy, à Civrieux d'Azergues, chemin du Mazard. J'en ai déjà parlé sur ce blog, mais voici quelques images qui aideront le lecteur curieux à se faire une idée du site.
En effet le propriétaire actuel qui a conservé le décor de Charles Billy, ce qui est tout à son honneur et un exemple rare à souligner dans l'histoire de la postérité des sites créés par des autodidactes, ouvre le jardin au public le dimanche 20 septembre. La visite est gratuite. Elle aura lieu à 10h et à 15h, le rendez-vous étant pris auparavant place de la mairie. Mais ATTENTION! Le nombre de places est fort limité (sans doute parce que les dimensions du jardin n'autorisent pas de grandes foules...). On ne dépassera pas les 15 personnes. Il faut en outre s'inscrire à l'avance à la mairie, et ce avant le 18 septembre prochain avant 18h, hâtez-vous donc, il ne reste que deux jours... Tél: 04 78 43 04 17, et fax: 04 78 43 15 06. A vous l'espace d'un instant, châteaux finlandais ou "de Piédanleau", mosquée, moulin guadeloupéen, parthénon, hommage aux classes de Villefranche, temple thaï, tour de Sidi Bousaïd, monument au Beaujolais et autres décors de pierres dorées, harmonieux et excentrique collage architectural cernant un pavillon d'ancien ouvrier des frères Lumière.
00:05 Publié dans Art immédiat, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : charles billy, environnements spontanés, jardin de nous deux, civrieux d'azergues, journées du patrimoine | Imprimer
16/08/2009
De l'art brut en Mayenne?
Gustave Cahoreau, Patrick Chapelière, Céneré Hubert, Alain Lacoste, Joël Lorand, Robert Tatin sont les créateurs invités, certain post mortem (Tatin), par la médiathèque de Villaines-la-Juhel en Mayenne... Et, non, ils ne sont pas si vilains en passant par la Juhel... On y a eu l'excellente idée, loin des cénacles et des clubs de professionnels de la diffusion des fausses valeurs contemporaines de nous y proposer des créateurs vraiment inspirés et peu en vue durant toute la durée du mois de septembre.
16:49 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art singulier, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cahoreau, patrick chapelière, céneré hubert, alain lacoste, michel leroux, jean-louis cerisier, villaines-la-juhel, ecole lavalloise de figuration poétique | Imprimer
13/08/2009
Léon Evangélaire et le Tarzan auquel on n'a pas pensé
J'ai visité pour des raisons professionnelles, et donc sans m'y intéresser plus que ça, l'exposition Tarzan au musée du quai Branly (où ce qui m'a le plus charmé, c'est l'allée sinueuse où l'on aurait bien glissé sur une luge à roulettes avec les moutards, avec Johnny Weismüller projeté sur nos faces hilares au passage).
Expo Tarzan! du 16 juin au 27 septembre 2009
Et je me suis dit, que c'était en définitive regrettable que les orgnisateurs de l'expo n'aient pas connaissance d'un très beau Tarzan en ciment polychrome qui se tient toujours sous le ciel nuageux à l'ombre des terrils, là-bas vers le Pas-de-Calais, à Pont-en-Vendin, sur le minuscule lopin de terre qui s'étend devant la petite maison d'un ancien employé au chemin de fer des Houillères, au milieu d'animaux n'ayant pas toujours quelque chose à voir avec les vrais protagonistes des aventures africaines de Tarzan. Chez le bien nommé Léon Evangélaire, que nous a fait découvrir Francis David dans son Guide de l'art insolite Nord/Pas-de-Calais en 1984.
J'ai tenté de rectifier le tir en l'imprimant sur une photocopie couleur que j'ai montrée aux petits visiteurs de l'expo que j'avais emmenés avec moi ce jour-là. Une goutte d'eau dans l'océan d'ignorance qui affecte les inspirés du bord des routes. Alors, je continue ici même, en me disant que nos gentils commissaires d'exposition vont parfois surfer sur le net de temps en temps eux aussi...
09/08/2009
Haïti et vaudou au Musée du Montparnasse
"Le dernier voyage d'André Malraux en Haïti ou la découverte de l'art vaudou", tel est le titre de l'exposition qui s'est ouverte le 19 juin dernier au Musée du Montparnasse, et qui est prévue pour durer jusqu'au 19 novembre prochain.
Je ne suis personnellement pas très attiré par les gesticulations et les manières de génie qui se la joue profond de l'ancien ministre de la culture André Malraux, mais c'est l'occasion ici de voir quelques oeuvres d'art haïtiennes, certaines bien sûr en provenance de la communauté de Saint-Soleil (communauté dissoute en 1978) qu'alla plus particulièrement visiter Malraux en 1975.
A côté des artistes de Saint-Soleil (j'aime bien Louisiane Saint-Fleurant en particulier), qui sont souvent difficiles à distinguer les uns des autres, comme si un moule avait été édicté d'où toutes les oeuvres découleraient, à côté de ces créateurs - souvent vite classés du côté de l'art brut en raison de leurs formes enfantines à la Chaissac - on trouve ici une petite surprise sous la forme de deux tableaux d'un certain Edouard Duval-Carré (au nom prédestinant semble-t-il, car les deux tableaux sont de format...carré justement).
Il a représenté la rencontre d'André Breton et d'Hector Hyppolite, l'un des tout premiers peintres primitifs haïtiens (on sait que le phénomène s'est développé en Haïti au tournant des années 1940, essentiellement grâce à l'impulsion que donna à la peinture la fondation à Port-au-Prince d'un Centre d'Art fondé par le professeur américain Dewitt Peters, centre qui était à la fois une école et un lieu d'exposition), rencontre qui eut lieu lors des conférences que donna Breton en Haïti en décembre 1945, conférences qui s'accompagnèrent alors de journées révolutionnaires appelées les "Cinq Glorieuses".
Les deux hommes sur le tableau se tiennent de façon quelque peu hiératique, Hector Hyppolite, qui était un prêtre vaudou, un houngan, semblant être perçu par le peintre comme un intermédiaire reliant Breton par le contact de branches d'arbres avec la terre qu'il touche de son bras gauche transformé en tronc. C'est assurément là une image peu connue concernant les deux personnages. On sait que Breton acheta une douzaine d'oeuvres à Hector Hyppolite et qu'il projeta de le présenter dans l'Almanach de l'Art brut, projet de Dubuffet qui finit malheureusement par capoter.
Un second tableau représente pour sa part l'assassinat du leader révolutionnaire, ami de Gérald Bloncourt déjà cité, et écrivain important (il a écrit un roman que d'aucuns recommandent chaudement, Compère Général Soleil), Jacques-Stephen Alexis, dans les années 60 par les sbires du dictateur Duvallier. Au-dessus du corps d'Alexis , on semble reconnaître un "Baron Samedi", personnage funèbre qui dans le panthéon vaudou symbolise la Mort (souvent accompagné par "la Grande Brigitte"), avec ses attributs, le chapeau noir, les lunettes noires, le complet veston... Mais la Mort squelettique, d'aspect très mexicain, est ici aussi présente.
A côté de cette découverte des peintures de Duval-Carré, on reste intrigué également par les peintures d'un peintre récemment apparu (déjà signalé dans l'exposition "Peintures haïtiennes d'inspiration vaudou" qui s'était tenue au Musée d'Aquitaine à Brodeaux en 2007), Franz Zéphirin (né en 1963), à l'imagination fertile, amateur de sirènes -personnages importants dans le panthéon vaudou, à la fois féminins et masculins - et pratiquant un dessin et une peinture qui nécessitent un travail conséquent, voir en particulier la grande toile de 2008, présente dans l'exposition, Le destin cosmologique d'Haïti.
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02/08/2009
La dynastie des Montégudet, inspirés de père en fils (1)
On a tendance à croire, possédé que l'on est par le dogme de l'art brut, que les créateurs d'environnements populaires sont le plus souvent des individualistes forcenés. Cela n'est pas toujours vrai. Et même, lorsqu'il s'agit des inspirés du bord des routes spécialement, cela se révèle souvent faux. Mais peut-être aussi ne faut-il pas toujours associer l'art brut aux environnements spontanés.
Il y a ainsi le cas des deux Montégudet, le père et le fils, dans la Creuse, département qui s'enorgueillit de posséder par ailleurs le plus ancien environnement spontané qui soit parvenu jusqu'à nous, à savoir le village sculpté de Masgot du tailleur de pierre François Michaud (commune de Fransèches).
J'ai évoqué en titre une "dynastie", et d'accord c'est un peu exagéré, sauf à penser que nos créateurs retraités, issus pour leur majorité des classes populaires, lorsqu'ils créent, se fabriquent une nouvelle souveraineté, comme s'ils étaient devenus ce que j'ai appelé ailleurs "les rois d'eux-mêmes".
Il y eut d'abord le père, Ludovic, qui entre 1967 et 1981 créa autour d'un étang une sorte de parc de loisirs bricolé avec les moyens du bord. Il sema sur ses rives une multitude de petites saynètes représentant, entre autres, les Fables de La Fontaine, la Chèvre de Picasso, Barbe-Bleue, Roland à Roncevaux (ce dernier sujet peu banal chez nos autodidactes, en même temps en accord avec les souvenirs d'école!)... Ancien maire du bourg de Lépinas, retraité, c'était l'idée qu'il avait eu pour maintenir du lien social à la fois dans sa commune et pour lui-même aussi, parce que la retraite l'avait retranché de ses concitoyens. Il sculptait le bois et avait installé ses sculptures en plein air, à côté d'une buvette, ne dédaignant pas les galéjades parfois à la limite de la gaudriole.
Les couples d'amoureux venaient parfois se cacher au bord de "l'étang fleuri" et l'ancien maire en était fier. Le photographe François-Xavier Bouchart vint chez lui prendre des clichés, ainsi que Pierre Bonte, le spécialiste des gens-ordinaires-qui-ont-tous-un-grain-de-génie... Cela le fit connaître des amateurs de création populaire autodidacte (deux pages lui sont consacrées dans le catalogue de l'exposition Les Singuliers de l'Art au musée d'art moderne de la Ville de Paris, 1978 ; à quand la prochaine exposition sur le même thème pour faire le point et la mise à jour?).
Ludovic se faisait parfois aider dans ses sculptures par son fils René, qui outre quelques statues (de personnages), s'occupait surtout de mettre en couleur les statues de son père, ainsi que de les réparer l'hiver (car, comme René et son épouse le soulignent, les statues étant en bois souffraient terriblement d'être à l'air libre).
Fin de partie en 1981. Ludovic décède. René et Yvette, sa femme, constatant la détérioration accrue et le vandalisme qui affectent les oeuvres, décident de les retirer des rives de l'étang et de les mettre à l'abri dans une grange.
C'est une dizaine d'années après que, curieux de savoir s'il restait quelque chose des statues insolites de Ludovic Montégudet à Lépinas, je viens en Creuse où, avec l'aide du sculpteur Jean Estaque, grand amateur d'art et de culture populaires par ailleurs (nous nous étions rencontrés via Michelle Estaque et le projet de livre sur Michaud), nous partons visiter les héritiers de Ludovic, à savoir donc René et son épouse...
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La dynastie des Montégudet, inspirés de père en fils (2)
... Nous sommes en 1991. Les statues de Ludovic sont toujours gardées en vrac dans la même grange. Je fais quelques photos à l'époque, assez peu. Le couple ne veut pas qu'on les déplace trop car elles sont devenues fragiles (je prendrais alors cette réticence pour un respect limité à l'égard des oeuvres du père de René, ce qui était tout le contraire...!). Ce sont de fort jolies statues naïves, que je sors dans la cour pour tenter de les photographier avec une meilleure lumière. Jean Estaque, à peu de temps de là, obtiendra du couple qu'il prête leurs statues pour l'exposition intitulée "Noblesse du bois" qu'il montera au Moutier d'Ahun en 1992 (deux autres expos furent également montées entre temps en Creuse avec des oeuvres de Ludovic Montégudet, dont une à Guéret). Je rédigerai à cette occasion un petit texte, en guise de minuscule catalogue, Le Luna-Park du pauvre, ou l'Etang Fleuri de Lépinas.
Vers 1995, René paraît évoluer dans sa relation avec les statues de son père. Il décide de construire, à l'intérieur de sa propriété, dans une dépendance de la maison principale, une salle qui va être entièrement vouée à la présentation des statues, en respectant les sujets tels qu'ils étaient autrefois sur les rives de l'étang, mais qu'il va "scénographier" autrement... D'autant que l'espace est tout de même compté dans cette salle. Il s'agit d'une salle mémoriale, non destinée à être ouverte au public, plutôt visitable dans le cadre de relations amicales avec la famille.
En la visitant récemment (mai 2009), je penserai à cet autre petit musée privé qu'était celui de Franck Barret à Saint-Philippe du Seignal près de Sainte-Foy-la-Grande dans l'Entre-Deux-Mers, où ce dernier avait organisé dans deux petites pièces un petit théâtre de statues sur des thèmes divers, le Fantôme de l'Opéra, un explorateur face à un gorille, des hommes préhistoriques, un extraterrestre (Ludovic Montégudet lui aussi avait installé un extraterrestre au bord de son étang qui n'a pas été sauvegardé), etc.
René arrange ce musée personnel avec goût, il laisse de la terre au sol, il restaure et modifie parfois certains sujets (la tour de Barbe-Bleue, à l'origine tronc d'arbre mort, et désormais maçonnée en pierres). Il a sauvé ce qui pouvait l'être. On retrouve Roland de Roncevaux à la cotte de mousse jaunie avec son oliphant, le Lièvre et la Tortue, le Lion et le Rat rongeant la corde (une des pièces maîtresses de Ludovic), le Renard et le Bouc, la Coexistence Pacifique (des animaux différents dans un arbre), le Renard et la Cigogne, etc. Il semble bien que le fils, dans cette nouvelle présentation, a accru le côté esthétique des réalisations du père, au départ conçues dans un esprit de loisir. Une évolution se traduit ainsi au sein de cette famille de créateurs amateurs, allant vers une maîtrise et un incontestable savoir-faire.
René Montégudet, que son épouse Yvette épaule sans trêve, est bien conscient parallèlement qu'une mémoire de l'Etang Fleuri erre encore autour du site, en Creuse et au delà (notre passage à Jean Estaque et moi-même en 1991 en fut la preuve). On vient leur demander des nouvelles du site. Or, il n'est plus, dans son état d'origine en tout cas. Il décide alors de créer, pour combler cette demande, de créer à son tour un autre point d'exposition de sculptures en plein air. Sur une butte rocheuse située non loin de l'étang, il commence à installer des statues animalières, la première étant un chamois (la date de 1993 est apposée à ses pieds, gravée dans le ciment).
D'autres vont suivre, réalisées petit à petit, jusqu'à aujourd'hui. René procède avec soin, méticuleusement, pensant soigneusement ses oeuvres avant de les façonner. Il se fait aider par des amis ou des parents pour déplacer à l'aide d'engins les statues pesantes élaborées en ciment sur armature de ferraille. de l'atelier vers la butte. Il les flanque en certaines de leurs parties de morceaux de plomb, comme dans le cas du groin de son sanglier par exemple. C'est que d'aprés lui cela résistera mieux aux intempéries, à l'air libre. Il y a chez lui un souci de faire durer ses oeuvres, souci né incontestablement en voyant les dégradations subies par les statues de son père, conçues au départ dans l'éphémère. René ne l'entend pas de cette oreille, pour ce qui le concerne, conscient qu'il y a là un art qui comme tout autre plus savant et plus reconnu mérite d'être sauvegardé et patrimonialisé.
Vortex envisagé?
01:45 Publié dans Art immédiat, Photographie, Poésie naturelle ou de hasard, paréidolies | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésie naturelle, photographie insolite, vortex, spirales, loire | Imprimer
28/07/2009
Une histoire de tartines
Vacances... Vacances... Tout le monde est ailleurs, ou tout simplement déprimé devant l'afflux des soucis (chômage, manque d'argent, etc), la solitude estivale, etc... Période singulière que je préfère passer de mon côté dans les interstices, dans les marges, comme le reste du temps en fait. Ce qui fait le goût de tant de nos contemporains m'étant chaque jour plus étranger.
Je me consacre ainsi aux petites et grandes découvertes de la poésie interstitielle... Juliette surgit au jardin le visage barbouillé d'une boue verdâtre censée soigner son teint je suppose. Clic, une photo pour éterniser l'instant.
Le lendemain, au petit déjeuner, surprise, elle me tend une tartine grillée qui me fait de l'oeil. Un visage... Assez triste, avec un oeil qui dit merde à l'autre, on dirait, comme une ressemblance avec le visage disgrâcié du merveilleux Petit-Pierre de la Fay-aux-Loges dans le Loiret dont le manège d'automates en fil de fer a fait étape, restauré comme on sait, à la Fabuloserie du couple Bourbonnais dans l'Yonne. Je tartine de beurre la tartine en question, et voici que cela fait écho, la désolation mise à part, au visage barbouillé de Juliette la veille au jardin. Inutile de dire que je me suis empressé de la faire disparaître, cette triste figure couverte de beurre, avec une bonne gorgée de café...!
13:20 Publié dans Art immédiat, Poésie naturelle ou de hasard, paréidolies | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : poésie naturelle, coïncidences, tartines, petit-pierre, cartes postales insolites | Imprimer
24/07/2009
Roland Vincent
Roland Vincent n'a pas, de façon explicite tout au moins, le désir manifeste d'échapper à ce qui englue les personnages qui naissent sous ses doigts. Auteur (à l'époque où je l'ai rencontré, c'est-à-dire en 2005 et 2006) de deux sortes de sculptures, d'une part des pierres de granit taillées en forme de têtes qu'il sème dans son jardin au Mont-de-Sardent dans la Creuse, et d'autre part des statuettes en assemblage de matériaux récupérés qu'il encolle avec un enduit fait de poudre de granit pulvérisée (c'est des pièces de cette série que j'avais plus particulièrement choisi d'exposer lors de ma "carte blanche" du 9e festival d'art singulier à Aubagne en 2006), dans cette deuxième veine, il paraît ne pouvoir que difficilement préciser les contours de ses personnages auxquels il ne donne pas de titres nets.
Ils me paraissent assez voisins des corps retrouvés sous les cendres du Vésuve à Pompéi, pétrifications, fossilisations de réminiscences d'une mémoire hésitante... Imaginaire englué qui donne en spectacle la tragédie d'un enfermement dans la matière, gardant son secret par-dessous...
Roland Vincent vit dans la Creuse sur une colline appelée le Mont de Sardent (au-dessus de Sardent, le village où fut tourné Le Beau Serge de Claude Chabrol). Maçon de son état (fils et petit-fils de maçon), il s'est mis à la sculpture en autodidacte, de même qu'un frère (dont les œuvres sont encore plus secrètes, pour la plupart aujourd'hui dispersées, quelques-unes fort rares pouvant parfois encore se rencontrer au hasard des pérégrinations dans les environs de leur village). Il lui arrive d'exposer de temps à autres, par exemple à Limoges, ou à Masgot (Maison de la Pierre ; le village du tailleur de pierre François Michaud).
Les pierres de granit étant abondantes sur le terrain où lui et ses proches habitent tout au long de l'année, au début des années 80, il eut l'idée de les ramasser, pour les sculpter en forme de visages le plus souvent. Il sème ces dernières autour de sa maison. C'est depuis 1995 (à peu près) qu'il récupère la poussière de granit qu'il pulvérise ensuite, aprés encollage, sur des infrastructures de matériaux de rebut assemblés afin de donner la structure interne de ses statuettes. Cela donne des personnages drôlatiques difficiles à identifier, profondément empêtrés dans la matière.
Deux textes de Jan Dau Melhau (qui a beaucoup aidé Roland Vincent à se faire connaître) ont paru sur lui dans la revue Gazogène. J'ai personnellement été mis sur son chemin, il y a déjà pas mal d'années par une confidence de l'écrivain ethnologue Jacques Meunier (merci également à Roland Nicoux qui rendit nos rencontres possibles).
Roland Vincent, 1, le Mont, 23250, Sardent.
01:10 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roland vincent, art singulier, art brut, art immédiat, mont de sardent | Imprimer
21/07/2009
Il y a 100 ans disparaissait l'abbé Fouré, pour fêter ça, le restaurant Brébion est parti en fumée...
En repassant à Rothéneuf (prés de Saint-Malo) dernièrement, où j'aime tant m'asseoir sur les rochers sculptés par l'abbé Fouré entre 1894 et 1910 (ce sont les dates exactes, faites-moi confiance, toutes les autres, c'est du pipeau), quelle n'a pas été ma surprise de me retrouver nez à nez avec une pelleteuse qui était en train d'aplanir l'emplacement de l'ancien restaurant Aux Rochers Sculptés, le même qui avait été créé par Henri Brébion en 1907, dans le but de profiter de l'affluence des visiteurs du site de granit taillé au ciseau par l'abbé dans les roches de la falaise de la Haie, un site d'art rupestre populaire quasi unique au monde (et dont les institutions se moquent éperdument depuis des lustres).
En fait, l'ancien propriétaire du restaurant, M. Janvier, à ce que m'a appris son fils désormais en charge du droit de visite sur le fameux site sculpté, avait pris sa retraite voici déjà quelques années, et avait vendu le restaurant qui avait été du coup rebaptisé par le nouveau propriétaire "Le Bénétin". Mais voilà-t-y pas que le nouvel établissement s'est retrouvé l'année dernière la proie des flammes... Ce qui explique son rasage, et le projet d'un nouveau restaurant qu'un permis de construire annonce sur place prêt à bientôt renaître de ses cendres, la gastronomie devant être au rendez-vous avec ce nouveau restaurateur. Rothéneuf ne ressemble en effet plus beaucoup à l'ancien village où avait débarqué le pauvre abbé à la fin du XIXe siècle. Il a pris désormais des allures nettement plus résidentielles. Les trognes grotesques, les traits burinés des généraux de la guerre des Boers, les âpres visages des Saint-Budoc et autres "mousses" de Jacques Cartier, qui achèvent de s'estomper sur les rochers jouxtant la mer n'en paraissent que plus déplacés...
Par contre, si j'ai bien vu le fauteuil de l'abbé avec sa devise "Amor et dolor", ainsi que son grand portrait photographique rehaussé au fusain (comme me l'a précisé sur place le fils de M. Janvier), qui sont toujours conservés dans la guérite à l'entrée du site, j'ai oublié de demander des nouvelles des quelques souvenirs liés à l'abbé qui se trouvaient à une époque traînant à l'étalage du magasin de souvenirs - des faïences bretonnes pour la plupart - comme le portrait de l'abbé en buste, tout à fait banal, mais tout de même un souvenir de son temps puisqu'il avait été réalisé en hommage après sa mort avec l'accord de la municipalité. Est-il parti en fumée lui aussi ? Et qu'en est-il également de ce Saint-Nicolas, qui n'était pas de la main de l'abbé, lui non plus, mais qui provenait de l'ermitage où ce dernier avait accumulé comme on sait des splendides bois sculptés, mais aussi des tas de bibelots, objets pieux, etc. ? Voici les photos qu'une amie, Laure Lemarchand, avait faites de ces sculptures vers 1989:
01:45 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : abbé fouré, restaurant le bénétin, rochers sculptés de rothéneuf, environnements spontanés | Imprimer
15/07/2009
Anonymous Works, un nouveau lien
Cette courte note veut vous engager à cliquer encore et toujours vers d'autres sites ou blogs où vous trouverez sûrement matière à rêvasser devant des découvertes captivantes ou surprenantes, tel ce blog d'Anonymous works, rédigé aux USA apparemment (Los Angelés) et que je mets dans mes doux liens à partir de ce jour (sous le titre, traduit, de "Travaux anonymes").
11:22 Publié dans Art immédiat, Art involontaire, Art naïf, Art populaire insolite, Sur la Toile | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : anonymous works, art populaire américain, folk art, photographie vernaculaire, art naïf, limners | Imprimer
13/07/2009
Au musée des Amoureux d'Angélique, cet été
Cet été, le musée des Amoureux d'Angélique (une petite sorcière, celle-ci) attire nos regards sur deux des créateurs dont la collection permanente possède quelques oeuvres déjà significatives, Joseph Donadello et Denis Jammes. Ce dernier est un "berger tsapuzaïre", proclame l'affichette que m'ont envoyée les animateurs du musée du Carla-Bayle (Ariège). Tsapu-quoi?, vont crier les internautes peu au fait de l'occitan... Comme je l'ai déjà fait moi-même la première fois que je suis tombé sur le mot. C'était en lisant un article de 1924 - oui, je vais chercher mes nouvelles parfois un peu loin dans le passé - d'un certain P.Mamet, qui l'a publié dans L'Almanach de Brioude en Haute-Loire. Cela s'intitulait Les Artistes Instinctifs... Oui, déjà en 1924, on s'intéressait aux autodidactes dans l'art. "Sont artistes instinctifs ceux qui, sans études préalables, sculptent ou gravent des sujets naïfs sur des matériaux vulgaires avec des outils de fortune"... écrivait ce M. Mamet dans ces années-là. Il voyait même dans "les décorateurs de pichets, de boîtes, de cannes" des descendants des graveurs de rennes sur les parois des grottes préhistoriques.
C'est un peu plus loin, continuant sur le sujet de la terminologie, que Mamet emploie le mot qui m'intrigue: "J'aime mieux les appellations dont on les gratifie lorsque, débutants, leurs brimborions encombrent la pièce: Tsapiuzaïre (d'où tsapius et chapuis), faiseurs de copeaux, perdeurs de temps, faseliu, bourdjinaïres, (...). L'intraduisible bourdjinaïre caractérise bien leur travail lent, menu, frivole et non lucratif." P.Mamet donne ensuite quelques exemples de sculpteurs qu'il a rencontrés dans sa région, sans donner malheureusement beaucoup d'illustrations pour qu'on puisse se dire que leurs oeuvres ne devaient être autre chose que ce que l'on appelle aujourd'hui de la sculpture populaire rustique. Hormis ce dessin exécuté d'après des oeuvres d'un certain Ferre-mouches (surnom d'un des compatriotes de l'auteur, nommé en réalité Eyraud, mais son surnom indique bien son niveau d'habileté) et d'un autre nommé Cubizolles, qui de simple berger autodidacte s'éleva rapidement à la promotion d'artiste quasi professionnel (il finit "membre du jury des Beaux-Arts de Lyon", nous dit Mamet), le lecteur en quête de splendides exemples de sculpture populaire insolite et bizarre, revenue du fin fond du passé, reste sur sa faim...
Il me fallait en apprendre davantage sur ces "tzapiuzaïres, faseliu et autres bourdjinaïres"... Et pour cela, il n'y a qu'une adresse! Celle de Michel Valière, émérite connaisseur de la langue occitane, si chère à son coeur. Voici ce qu'il a eu la gentillesse de me préciser (attention, mini cours de langue occitane!):
« Pour les occitaneux, occitanistes contemporains de tous poils, fiers de leur langue, etc., et qui l'enseignent de la maternelle à l'Université, les tailleurs de bois, genre feuillardiers, etc., ce seraient des "chaplusaires", dérivés du verbe "chaplar": tailler, briser, hacher, etc.
Vous l'écrivez comme je vous le dis (avec CH-), mais vous le prononcez comme vous l'écrivez vous (TS-), avec en + le L en principe.
Oui, c'est bien de l'occitan du Massif Central, et du bon !!!
J'ajouterai qu'un grand "chaple", c'est une tuerie, un massacre genre St-Barthélémy, ou même le massacre de la volaille et du cochon dans la basse-cour lors d'un mariage, etc. »
Donc, si j'ai bien compris, il faudrait écrire "chapluzaire" et prononcer "tsapluzaire", en important la phonétique occitane en français, ce qui n'est pas forcément évident...
Pour les autres mots évoqués dans l'article de Mamet, voici ce que m'a également répondu Michel Valière:
« Ecrivez "normatif", "chaplusaire" et prononcez librement. Lorsque vous et moi écrivons en "français" nous avons la même orthographe, mais si vous et moi nous parlons, des nuances liées à nos origines, voire notre culture, sont sensibles et pourraient être phonétiquement réécrites avec quelques différences...
FASELIU : Frédéric Mistral écrivait, lui, FASILHOU, avec pour sens "factotum" (homme à tout faire), mais aussi homme remuant, actif... Et il localise bien ce lexème en Auvergne.
L'occitan moderne préfèrerait la graphie "Faselhon" (ne vous trompez pas: la désinence « -on », se lit « -ou » ! Quant au « -lh » c'est l'équivalent français de « -ill », cf. Millau /Milhau).
BOURDJINAÏRE : un peu plus complexe dans sa graphie fantaisiste locale, il devrait plutôt être écrit : "bordinejaire", c'est -à- dire faiseur de détritus végétaux, voire ramasseur de détritus. Là encore, en oc, "o" se prononce "ou" quand ce "o" n'est pas accentué; et "-jaire" signifie celui qui fait et refait quelque chose (ex. passejaire, se dit de quelqu'un qui ne fait que "passar" - passer - c'est-à-dire simplement un promeneur. »
Ah, eh bien merci M. Valière, on y voit plus clair. Le bordinejaire (prononcez "bourdinejaire", donc...) m'évoque un producteur de petits "bordels", de machins, de trucs que d'aucuns voudraient bien rejeter à la décharge dont ils ont l'air de sortir. Cela me fait repenser à Raymond Reynaud et à ces chères "bordilles" en Provence, ces décharges où il trouvait son miel pour ses oeuvres d'assemblage au point de les avoir reconstituées aux portes de son domaine, histoire d'avoir dans son environnement immédiat un vivier de matériaux et objets de rebut où puiser sans limite...
Il existe donc encore aujourd'hui des tailleurs de copeaux, des qui aime encore perdre leur temps à tailler des trucs en bois, des obsessionnels de la gouge et du canif, en Haute-Loire particulièrement. Denis Jammes continue une tradition que suivait également son père, c'est un dada familial en quelque sorte, comme un secret qui se transmet d'âge en âge.
17:16 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art populaire insolite | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : musée les amoureux d'angélique, joseph donadello, denis jammes, association gepetto, tsapluzaïres, michel valière | Imprimer
05/07/2009
Doudou saga
La petite chanson de l'été consacrée aux doudous est revenue... Voici qu'un lecteur enthousiaste m'adresse un rapport sur le doudou de sa fille de 6 ans et demi qui a un lapin nommé Rose Fleur pour compagnon, lapin tant adoré qu'il a fallu tout l'amour d'une mère pour le maintenir en vie à force de rapetassages divers et variés. Voici ce que m'écrit à ce sujet Cosmo Helectra (qui anime par ailleurs une émission de radio, Songs of praise, sur Radio Aligre à propos des "musiques de traviole"):
« Le lapin a subi plusieurs greffes car au bout d'un an, je pense, il était déjà en miettes, ma femme a eu l'idée de faire plusieurs masques de remplacement successif du visage et surtout des oreilles (importantes pour un lapin !) à partir de vieilles chaussettes d'enfant.
Il a été aussi rhabillé avec une tenue de poupée rose d'ou le nom que lui donne ma fille "Rose fleur", à l'origine il était bleu à rayure, et plutôt "masculin". »
Voici donc le doudou à trois stades de sa vie de doudou palpé, trituré, bisouillé, déchiqueté de tendresse pulsionnelle. Il finit par ressembler à l'autre doudou-lapin que j'avais dessiné chez des amis et que j'ai mis en ligne récemment.
01:04 Publié dans Art de l'enfance, Art immédiat, Art involontaire | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : art involontaire, art enfantin, songs of praise, musiques de traviole, doudous | Imprimer
26/06/2009
La Mami Wata de Cyprien Tokoudagba
Ces histoires de sirènes africaines, les Mami Wata, m'ont fait oublier je ne sais pourquoi de parler d'un bel ouvrage édité par la Fondation Zinsou au Bénin (l'ancien Dahomey) au sujet de cet extraordinaire artiste nommé Cyprien Tokoudagba, que j'apprécie énormément, surtout depuis une exposition qui s'était tenue à l'Institut du Monde Arabe en 1994, Rencontres Africaines, où ses tableaux gigantesques montrant des figures isolées sur fond blanc, manifestement inspirées des cultes vodoun, figures d'une grande audace picturale, m'avaient littéralement sidéré. Certes, en France, le travail de Tokoudagba avait déjà surtout été révélé par la remarquable exposition des Magiciens de la Terre (organisée en même temps à la Villette et au Centre Beaubourg en 1989). A l'époque dans la foule de créateurs venus des quatre coins du monde pour les besoins de cette exposition fondatrice, j'avais surtout remarqué d'autres créateurs africains, en particulier Bruly Bouabré ou Bodys Isek Kinghelez, mieux mis en scène sans doute.
Dahomey, Rois et dieux, Cyprien Tokoudagba, tel est le titre de cet ouvrage (bilingue anglais-français) que j'ai trouvé sur un stand dédié à la culture béninoise tel qu'on pouvait en voir un peu en marge de l'immense espace du Salon du Livre en mars dernier. Il parut à l'occasion d'une expo du même titre consacrée à l'artiste à Cotonou à la même Fondation Zinsou en 2006. Or, ce livre en plus du fait qu'il permet d'en apprendre davantage sur Tokoudagba (à lire l'éclairant texte de Joëlle Busca en particulier), nous met en contact avec une autre version de la Mami Wata, cette fois concocté par notre artiste béninois.
A côté de sa reproduction, une notice donne de précieux renseignements sur la "sirène" en question, en réalité une déesse, un "génie de la mer": "Elle habite les profondeurs de la mer et commande à des myriades d'ondines. Souvent elle se présente sous les traits d'une très belle femme lorsqu'on l'invoque surtout au bord de la mer. Elle est détentrice de beaucoup de richesses (argent, bijou, or...) convoitées par les humains à qui elle les dispense (...). Elle s'entoure de serpents qu'elle enroule autour d'elle. Son culte est assez répandu. En tant qu'esprit, elle peut prendre la forme qu'elle veut, tel ici un personnage visiblement masculin à trois têtes..." Elle peut "prendre la forme qu'elle veut"... On ne saurait mieux dire... Au vu de toutes les reproductions de Mami Wata en circulation (voir ma note du 9 novembre 2008 ), on s'en convainc aisément. Dans le même livre, on trouve aussi, entre autres images magnifiques, une toile représentant le dieu Gou, du fer et de la guerre (c'est le même qu'Ogun, une sorte "d'homologue du dieu Mars de la mythologie latine", dit le catalogue), c'est une image géniale, hallucinée...
00:24 Publié dans Art immédiat, Art inclassable, Art moderne ou contemporain acceptable, Art naïf, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : cyprien tokoudagba, mami wata, sirènes, art populaire africain, art contemporain africain, vodoun | Imprimer
09/06/2009
Arthur Vanabelle, à prés de 90 ans, vise plus que jamais le ciel
Je suis retourné voir la ferme d'Arthur et César Vanabelle à côté de Steenwerck dans le Nord, à quelques pas de la frontière belge, près de Nieppe où habitait paraît-il Line Renaud, personnalité qui n'est pas sans impressionner Arthur justement. Il aime à citer le voisinage d'une telle vedette, de même quand il rappelle la présence à une certaine époque de Marguerite Yourcenar à quelques encablures de sa ferme. Des fois qu'on prendrait son exploitation agricole pour un trou du cul du monde...?
Veut-il qu'on le prenne lui-même pour une vedette? Non, non, semble-t-il dire. Etes-vous un artiste? Si on veut, on est tous des artistes quelque part... Il répond avec malice, rigolard, les yeux pétillant.
Ce coin de France nordiste paraît aujourd'hui pour ce qu'il est devenu de fait, un cul-de-sac. La route qui va à la ferme de la Menegatte, la "ferme des avions" comme on l'appelle familièrement dans la région se termine à la propriété des Vanabelle, barrée qu'elle est par l'autoroute Lille-Dunkerque, où pilent parfois certaines voitures quand leurs conducteurs découvrent avec stupeur les installations "militaires" d'Arthur.
Du coup, on se fait une fausse idée du lieu. Car la route ne fut pas de toute éternité une impasse. Du reste, Arthur commença ses assemblages de fusées (Ariane...), ses canons anti-aériens, ses maquettes d'avions sur le toit, tank en bidons et autres matériaux recyclés, dans les années 60 avant que l'autoroute ne soit construite. La route qui passe devant la ferme continuait sans obstacle en direction de l'agglomération de Steenwerck qui se trouve plus bas. Le lieu était passant en réalité...
Une route tellement passante qu'elle eut l'occasion de voir défiler trois jours et trois nuits, comme dit Arthur les armées françaises, anglaises et allemandes, les une chassant les autres en 1940... Arthur (né en 1922) et César (de deux ans son cadet) avaient alors 18 et 16 ans. L'épisode les marqua durablement. Leur ferme était pleine de réfugiés (une trentaine) que les Allemands sans doute narquois en les visitant à leur passage firent mine de prendre pour une famille nombreuse...
Ce qui fait que l'installation qui a perduré jusqu'à aujourd'hui, avec son apparence trompeuse (?) de camp retranché apparaît comme la cristallisation d'un souvenir incrusté au fer rouge dans la mémoire des habitants de la Menegatte, ou de ce qu'ils ont appelé plus précisément "la Base de la Menegatte", comme il est inscrit sur un des murs de la ferme, base étant à comprendre comme dans "base militaire"... Bien sûr la guerre laissa de fort mauvais souvenirs dans la région qui vit déferler les hordes teutonnes. En même temps, Arthur, et César encore davantage, se trouvèrent à l'abri de toute conscription, puisqu'ils étaient trop jeunes pour être enrôlés. Arthur ajoute d'un air amusé qu'à la fin de la guerre en 1945 il était en revanche devenu trop vieux...
C'est ainsi que je m'explique les sujets que décida de traiter Arthur dans ses assemblages, ces pièces d'armement, de propulsion (celles qu'on voit en premier lieu, car on trouve sur le site aussi des masques, une girouette en forme de coq construite sur une base de bicyclette, des personnages, officiers ou des soldats, car comme le dit Arthur, qui dit armes dit soldats), un besoin de fixer dans la mémoire collective, au moins des habitants de la ferme, l'événement traumatisant de la guerre. C'est mon hypothèse. Car lorsque je demande directement à Arthur les mobiles de ses "stabiles", il ne répond pas. Vous auriez pu faire des femmes nues aprés tout, vous dominiez le ciment...Non, lui, ce qu'il répond, c'est qu'il fallait bien se trouver une occupation, un passe-temps, parce qu'on n'a pas toujours quelque chose à faire à la campagne (ce qui est inattendu pour le moins, je croyais au contraire qu'on ne manquait jamais de travail dans l'agriculture, surtout dans ces années-là).
Le site est connu, on le doit en premier à Francis David, le photographe dériveur qui dans les années 80 a publié le Guide de l'Art Insolite Nord-Pas-de-Calais (aux éditions Herscher). Tout le monde, tous les amateurs et journalistes qui sont arrivés par la suite ont pompé ensuite joyeusement dans cet ouvrage où David avait recensé et photographié excellemment beaucoup de sites majeurs de ce si sympathique Nord. Mais c'est vrai qu'on s'est toujours représenté le site comme en rapport direct avec l'autoroute, or ce n'est pas le mobile réel. La guerre de 39/45 est plus au coeur de cette réalisation hors du commun.
Arthur Vanabelle, né dans une autre époque, aurait pu peut-être développer un tout autre imaginaire, comme me le prouva, dimanche lorsque je le visitai, la vision de quelques rares dessins au stylo Bic qu'il cachait derrière des piles de papiers, comme indifférent à leur sort (certains étant abîmés, déchirés, éraflés). Il y a là à n'en pas douter un talent fort proche de l'art brut. Des visages de vedettes de la chanson, comme Mireille Mathieu, par exemple. La première mention de ces dessins à ma connaissance ayant été faite dans une émission de radio sur France-Inter en 2001 au cours de l'excellent entretien que donnèrent Arthur, César et leur soeur Agnès (récemment décédée) à la journaliste Zoé Varier.
Je partis de chez lui en me demandant ce que pourrait donner un rassemblement de bricoleurs de fusils et autres canons symboliques où figureraient par exemple André Robillard, Alexandre Lobanov (revenu d'entre les morts)...
01:12 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : arthur vanabelle, base de la menegatte, habitants-paysagistes, environnements spontanés, art brut, guerre 3945 | Imprimer
04/06/2009
12èmes Rencontres autour de l'Art Singulier à Nice
Et c'est reparti pour le 12ème festival Hors-Champ animé par Pierre-Jean Würtz toujours dans l'auditorium du musée d'art moderne de Nice... Voici le programme en espérant que vous pourrez le détailler. Cela se passe samedi prochain 6 juin (un jour pour débarquer...), de 10h à 17h30. L'entrée y est libre, il est bon de le souligner (c'est pas tous les jours gratuit ces temps-ci, n'est-ce pas?).
Deux films de Philippe Lespinasse et Andress Alvarez extraits de sa série éditée en DVD "Diamants bruts du Japon" (trouvable entre autres au comptoir de vente de la collection de l'Art Brut à Lausanne), consacrés à Eijiro Miyama (le matin) et Masao Obata (l'après-midi), sont notamment au programme.
Une découverte sera certainement au rendez-vous, le film de 9 minutes de Michelangelo Antonioni, "la villa dei mostri" (Le Jardin de Bomarzo), qui sera projeté "en présence de Charles Soubeyran". C'est un peu le dada de Pierre-Jean que de retrouver ainsi des petits films curieux oubliés dans les filmographies et se rapportant aux "arts singuliers".
Les spectateurs présents pourront certainement se délecter du court-métrage sur le Suisse Eugenio Santoro et ses sculptures anguleuses si expressives. On retrouvera aussi Guy Brunet qui annonce sur ce festival une "Télévision de demain". A noter que des rumeurs insistantes font état d'un projet d'exposition de ce dernier prévue pour dans un an au futur musée d'art brut de Villeneuve-d'Ascq. Info ou intox, on verra bien... J'aime à croire à l'info, moi qui l'avais signalé naguère à Madeleine Lommel dans un courriel, aprés l'avoir découvert dans une précédente édition du festival Hors-Champ.
Pour le reste des films présents, je renvoie mes lecteurs au programme ci-dessus, en me contentant de relever que la présentation du film (d'Alan Govenar) sur le maquettiste Lucien Mouchet ne fera pas oublier qu'existe en France un autre ensemble de cirque miniature géant (oui, un paradoxe...), le Cirque Valdi (bien plus intéressant à mon humble avis que celui de Mouchet), dû à Maurice Masvignier à La Souterraine dans la Creuse. J'insère ci-dessous une vue de cette oeuvre, en partie automatisée (à signaler que Lucien Mouchet connaît bien l'oeuvre de Masvignier puisqu'il est parent avec lui).
Rapelons enfin que sera en supplément présenté le livre que l'association Hors-Champ a publié à la fin de l'année dernière, Petit Dictionnaire de l'Art Brut au Cinéma, dont j'ai déjà parlé sur Le Poignard Subtil.
01:00 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art singulier, Cinéma et arts (notamment populaires) | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : festival hors-champ à nice, art singulier, art brut, antonioni, eugenio santoro | Imprimer
31/05/2009
Voitures fantômes revenues du Malawi 1990
Un ami de la région nîmoise, Yohan-Armand Gil, qui fait partie du groupe de créateurs regroupés sous la bannière du titre Venus d'ailleurs (voir leur site en lien), m'a mis en relation avec un autre de ses amis, Claude Ballaré qui en compagnie de son épouse Chris, en 1990, au cours d'un séjour au Malawi, en Afrique australe (c'est entre la Zambie, la Tanzanie, et le Mozambique, pays à la carte tout en longueur, tassé contre l'immense lac Malawi), fit un jour la découverte d'un original qui tressait des simulacres de voitures en bordure de chemin. Effectivement, cette rencontre méritait d'être photographiée et mise au jour. Loués soient donc Chris et Claude Ballaré pour leur ethnologie brute. Je joins ci-dessous les lignes que Claude m'a envoyées pour expliciter autant que faire se peut cette création d'une sorte de land art tout à fait brut.
Ce parc automobile important était situé au sud du pays, un peu à l'écart de la route principale, à proximité de la frontière séparant le Malawi du Mozambique qui était alors en guerre civile. Il ne nous a pas été possible d'établir un quelconque contact avec l'auteur, qui était muet, et semblait être la risée des quelques villageois rencontrés. Il habitait dans l'une de ses voitures. Compte tenu de l'abondance et de la vigueur de la végétation, je pense qu'il devait passer autant de temps à construire ses véhicules qu'à les défendre contre leurs pousses intempestives.
Ces réalisations étaient son unique activité, elles étaient à peine visibles de la route et à distance se confondaient avec la végétation. Pour le reste, il était totalement pris en charge par ses voisins.
Cela se passait il y a vingt ans, compte tenu de l'espérance de vie moyenne dans ce pays, je ne pense pas que ce mystérieux concepteur de véhicules soit encore en vie.
(Claude Ballaré)
Il est à noter qu'un des artisanats répandus au Malawi est la vannerie, et le tissage des fibres végétales (joncs, roseaux...) que l'on trouve en abondance dans les régions côtières du lac, comme Claude Ballaré l'a signalé dans le catalogue de l'exposition Malawi, des jouets, des jeux qu'il rédigea et semble-t-il organisa au Musée d'Allard Montbrison (dans la Loire) en 1989-1990, à partir de ses collections de jouets malawites, dont une partie est entrée par la suite dans les collections du Musée du Jouet de Moirans-en-Montagne (Jura).
00:54 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art involontaire, Art populaire insolite | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : malawi, claude ballaré, voitures sculptées, land art brut | Imprimer
29/05/2009
Tour du monde pacifiste conservé en carte postale
L'homme semble nous proclamer quelque important message qu'il faut de toute urgence transmettre au reste du monde.... Il se tient assis, le front ceint d'un couvre-chef de type oriental, tenant dans ses mains un curieux fil (de fer?). A ses pieds une sorte de marmite décorée dirait-on de grelots...
On perçoit certes en premier lieu l'énorme globe terrestre qui par ses dimensions signifie clairement quel est le sujet principal de cette mise en scène en remorque. La planète fait le souci de l'homme assis fièrement. Une inscription "Tour du Monde Globe de la Paix" - avec peut-être un numéro de téléphone en dessous? - indique le programme du monsieur, peut-être en train d'effectuer une tournée internationale pacifiste en solo. A droite, un bout de la voiture chargée de remorquer cet étrange attelage laisse voir une plaque d'immatriculation en 06, désignant donc, semble-t-il, un véhicule immatriculé en France.
De quand date cette image? Les années 50 ou 60, époque de guerre froide où le mouvement des citoyens du monde avec Garry Davis recueillait quelque écho...? Un croissant de lune sur la gauche de l'image, la coiffe de type oriental peuvent suggérer que nous avons affaire ici à un Mahométan. Tous renseignements supplémentaires sur cette image seront bien entendu les bienvenus sur notre blog...
09:04 Publié dans Art immédiat, Art involontaire, Photographie, Véhicules créatifs | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : cartes postales insolites, art immédiat, art involontaire, pacifisme excentrique | Imprimer
28/05/2009
Souvenir des Pierres qui Parlent, Marie-Antoinette Bassieux
Qui se souvient des "Pierres qui Parlent" et de leur petit musée à Dieulefit dans la Drôme?
Une dame fort âgée, Marie-Antoinette Bassieux l'avait créé dans une boutique vitrée où elle abritait sur des rayonnages des dizaines et des dizaines de cailloux, galets de rivière ou autres. Elle avait perçu des images inscrites à leur surface. Convaincue que bien entendu le public distrait n'a pas toujours la disponibilité requise pour reconnaître ces signes, à ses yeux pourtant évidents, Mme Bassieux avait consenti à souligner d'une légère touche de pinceau trempé dans l'encre noire les contours des personnages qu'elle avait reconnus.
L'inconscient naturel de ces pierres, ou l'imaginaire de Dieu (m'est avis que c'était l'hypothèse envers laquelle penchait en premier le coeur de Mme Bassieux...), n'était pas tout à fait naïf en l'occurrence. Ces images trahissaient une culture artistique moyenne, comme si Dieu, avec un coeur qui ressemble parfois à celui d'une midinette, avait beaucoup regardé des estampes, des profils enclos dans des médaillons, des scènes animalières quelconques. Un Dieu bien provincial somme toute (à la mode de jadis, je dis ça pour "G.M."), qui avait glissé ces copies en catimini dans les pierres, poursuivant je ne sais quel but, mais les voies du Seigneur ne sont-elles pas impénétrables?
Cependant, ces pierres interprétées finissaient par charmer. Sans doute parce que quel que soit le motif aperçu dans les matériaux naturels, l'oeil du spectateur reste amusé, intrigué devant tel phénomène de divination. Il y a comme une magie qui opère lorsqu'on se rend compte que l'interprète a sorti un personnage de rien, de l'informe, où pourtant elle l'avait perçu à l'état embryonnaire. Et peut-être que cette magie est d'autant plus opérante lorsqu'elle se manifeste dans le cas de ce genre de création aux sujets à la limite du banal, du convenu.
La collection de Mme Bassieux, dont a parlé en son temps Pierre Bonte (il l'avait interviewée) dans un de ses Bonjour M.le Maire, fut un moment transférée dans un "Naturodrôme", à Crest dans la Drôme toujours et comme le nom de cette collection consacrée à la poésie naturelle l'indique. Puis elle revint de guerre lasse à son point de départ, à Dieulefit (dont le nom, on s'en convaincra aisément, était déjà tout le programme de Mme Bassieux...). L'interprète des pierres m'écrivit quelques lettres pour me faire part des avatars affectant ses collections. Elle aurait bien aimé trouver un lieu qui protége de façon assurée ses pierres "parlantes" aprés son séjour terrestre. Que sont-elles devenues aujourd'hui? C'est ce que je me demandais ces jours-ci. Alors, si vous le saviez, ne vous privez pas d'éclairer nos lanternes...
23/05/2009
Armand Goupil, un peintre revenant
On aura sans doute lu le récent commentaire d'un internaute, Charles Hamm, qui propose aux lecteurs de ce blog de se manifester auprés de lui pour envisager ensemble les possibilités de monter une exposition sur Armand Goupil. Il va sans dire que le Poignard Subtil s'associe à, et encourage ce genre de projet. Goupil est décidément un peintre qui ne nous laisse pas tranquille et qui revient sans cesse. Que nous veut-il? Mais nous parler encore et toujours par delà le néant...
12:26 Publié dans Art immédiat, Art naïf, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : armand goupil, art immédiat, art naïf, art insolite, charles hamm | Imprimer
15/05/2009
Parasite?
Ce visage en danger de pulvérisation, d'une friabilité qui confine à l'angoisse, me rappelle le visage de l'acteur Charles Laughton qui avait les lèvres presque lippues, des lèvres à la lourde gourmandise, lourde menace, on aurait cru que ces lèvres allaient s'échapper de leur visage pour partir à la chasse à courre, happeuses, voraces...
Mon brocanteur favori, Philippe Lalane, dont je suis les stands nomades à la trace tant je sais pouvoir y trouver de quoi me surprendre, en avait d'autres, confectionnés dans la même matière friable. Du coup, il avait du mal à les présenter sur ses stands, autant tenir du sable dans ses mains. On dirait un champignon parasite des arbres, mais ce n'est pas sûr. En tout cas, de l'art particulièrement éphémère, immédiat, dont la gageure est précisément de le faire durer... Au moins par la photo.
10:47 Publié dans Art immédiat, Art populaire insolite | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : art populaire insolite, anonymes sculptures, sculpture sur champignon, philippe lalane | Imprimer
01/05/2009
René Jenthon, souvenir de Régis Gayraud
Lecteur fidèle, dites-vous, cher sciapode... Fidélité bien relative puisque je découvre cet écho seulement ce jour, soit une dizaine de jours après publication. Fidélité peu fluide, fidélité en grumeaux. Du haut du grumeau d'aujourd'hui, je note d'abord votre honnêteté, toujours fidèle, elle, en dépit des inexactitudes dont vous semblez redouter que je vous en fustige. Bien peu aurait eu le scrupule de relater par le menu, à votre instar, les conditions exactes d'une « découverte » ne leur « appartenant » pas tout à fait.
Donc merci de l'avoir fait et d'avoir rendu, de ce fait, justice à Agnès (moi, je n'y suis pour rien) d'avoir remarqué ce site en léger contrebas de la nationale 9, quelques kilomètres avant l'entrée dans Saint-Pourçain, mais déjà sur la commune. Puisque vous tenez tant à ce que nous apportions des précisions, les voici.
1) Agnès aperçut ce site pour la première fois en 1996, au cours de l'un des tout premiers de ces incessants voyages à travers toute la région qu'elle effectue depuis maintenant 13 ans.
2) A cette époque, le propriétaire-créateur était encore en vie, Agnès avait le projet d'un jour s'arrêter, de tâcher de le voir tout en redoutant un peu ce tête à tête (un peu comme autrefois quand nous étions allés voir J-M. Massou dans sa forêt et qu'au dernier moment, nous avions flanché devant la maison silencieuse au fond des bois d'où, sans doute, on nous épiait).
3) Le temps passa, Agnès passait plusieurs fois par an sur la route, n'avait jamais le temps de s'arrêter, un jour elle remarqua un panneau « A vendre » accroché à la clôture. Ca sentait le roussi.
4) C'est à ce moment-là que vous « descendîtes » nous voir et que nous prîmes ensemble la route de Saint-Pourçain dans notre automobile qu'on aperçoit à droite de la photo du haut.
5) A cet égard, pour l'intelligence du lecteur, il convient de remarquer que le jardin proprement dit ne se situait pas exactement « le long de la route principale », mais le long d'une petite route qui s'en sépare à l'occasion d'un tournant et suit presque parallèlement cette route principale (la N 9) sur plusieurs centaines de mètres, de sorte que l'on voyait parfaitement de ladite N 9 le site en question. La photo du haut [pour voir cette photo, se reporter à la note du 7 avril 2009 sur ce blog] est prise depuis la sorte de no man's land entre les deux routes, parsemé de quelques reliefs d'édifices certainement dus au même créateur : un ou deux bancs de bétons détériorés, et ce panneau indiquant « l'Etang Bazin ».
6) Aujourd'hui, la maison a été effectivement revendue et repeinte, le panneau « l'Etang Bazin » subsiste toujours.
7) Sur place subsiste toujours également la croix « A ma mère », qui se trouve de l'autre côté de la N 9 (soit à droite quand on vient de St-Pourçain). C'est une grande croix de fer parsemée de touches de peinture de différentes couleurs, peinture réfléchissante, de telle sorte qu'elle s'illumine (ainsi que la mention « A ma mère ») dans la lumière des phares des voitures, la nuit, comme pour rappeler aux automobilistes qu'un des leurs a tué là la mère Jenthon (c'est l'hypothèse d'explication qui s'impose à moi comme l'évidence d'une intuition, mais c'est peut-être faux). Au pied de la croix tente de pousser un lierre (comme en poussait un autour de la statue de la Liberté à laquelle vous faites allusion et que nous avons gardée, belle femme mi-Marilyn mi-Bardot, un cœur de fer - « sacré-cœur » comme on en voit de temps en temps sur les vieilles tombes - peint de rouge en relief au niveau du sexe), tandis que des fleurs de plastique s'abritent dans les ajours du fer.
8) Pour ce qui est du nom de Jenthon, nous l'avons appris d'une voisine habitant un pavillon plus loin, qui nous a aussi indiqué, un peu plus loin dans le même groupe de maison, celle du fils Jenthon, du jardin duquel montaient maints aboiements peu attirants.
Il est amusant et désespérant à la fois de relater brièvement notre course à la ferraille qui marqua la fin de l'Etang Bazin. Comme vous l'avez bien dit, nous nous levâmes un jour persuadés qu'il fallait aller faire le voyage de Saint-Pourçain. Agnès avait appelé l'agence immobilière indiquée pour en savoir plus, etc. Et nous avons appris que maintenant, la maison était vendue et que les acquéreurs allaient faire le net. Dès que possible, le samedi suivant, nous partons là-bas, avec l'idée de, peut-être, tout récupérer s'il n'était pas trop tard, y compris en payant une somme aux nouveaux propriétaires. En arrivant, bien sûr, plus rien, mais un type en train de faire des travaux. Le nouvel occupant. On l'interpelle. On lui demande ce qu'il a fait des figures de métal de son jardin. Lui un peu interloqué et commençant à regretter en voyant notre insistance. « Mis à la déchetterie lundi dernier ». C'est ainsi qu'on appelle maintenant les décharges. Il nous l'indique la décharge, une route à droite quelques kilomètres après Brou-Vernet. On s'y précipite. Des tas de plastique. Des tas de végétaux. Des tas de bois. Des tas de béton. Des tas de détritus divers. Pas de fer. On avise un employé, qui se souvient très bien des objets en question : « Le ferrailleur est passé avant-hier. Il a tout pris. C'est parti à Issoire, à la fonderie. Mais là-bas, il y en a des tonnes. Ca y est peut-être encore. Va savoir. » Hésitation devant l'idée de retraverser toute la région. Et puis, nous sommes samedi, faire tout ce chemin pour risquer de trouver porte close. L'employé nous donne le numéro de téléphone de l'entreprise. Le lundi, nous finissons par avoir quelqu'un. Bien sûr c'est trop tard.
Rarement l'impression de nous heurter à l'éternel fatum n'a été aussi forte.
La morale de cette histoire? Il faut battre le fer pendant qu'il est chaud. Les ferrailleurs le savent, eux.
Régis Gayraud
12:51 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : rené jenthon, régis gayraud, environnements spontanés, habitants-paysagistes | Imprimer
28/04/2009
Causerie pour situer François Michaud parmi les autres environnements spontanés
"François Michaud, première trace des environnements spontanés populaires. Sa proximité avec les autres créateurs autodidactes de son temps, et ses successeurs au XXe siècle. L'environnement spontané, un art de l'immédiat à part entière, illustré par de nombreux exemples choisis en France", tels sont le titre et les sous-titres de la causerie que je vais être amené à faire à la Maison de la Pierre, à Masgot même, dans la Creuse, berceau de l'oeuvre de ce tailleur de pierre, créateur du plus ancien des environnements spontanés qui nous aient été conservés en France, puisque commencé dans les années 1850-1860 et achevé sans doute avec la mort de son auteur en 1890 (il était né en 1810, ce qui en fait un phénomène de longévité en ce XIXe siècle impitoyable pour les gens de peu). Cela aura lieu le samedi 9 mai prochain à 20h30.
Je donne à la suite le plan que j'ai rédigé pour l'association des Maçons de la Creuse, animée notamment par Roland Nicoux, afin qu'on se fasse une petite idée de la tournure de cette conférence (que devraient accompagner pas moins de 190 photos... Mais j'ai sans doute compté trop large!):
François Michaud
Premier d'une tradition de créateurs autodidactes d'environnements en plein air
Il s'agit de resituer le décor du village de Masgot du tailleur de pierre François Michaud dans le contexte général des environnements populaires spontanés qui ont fleuri en France depuis deux siècles au moins. Ces créateurs d'environnements sont parfois aussi appelés « Inspirés du bord des routes », « bâtisseurs de l'imaginaire », ou encore « habitants-paysagistes ». L'environnement de Michaud, avec ses statues exposées sur les clôtures autour de ses maisons, est actuellement le plus ancien de ce type à avoir été conservé en France.
La causerie, constamment illustrée d'images numérisées (190 au total) s'attachera d'abord à présenter les environnements ou les sculptures populaires qui ont été repérés avant la période où fut décoré Masgot, grottes sculptées, croix de chemin, chapelle naïve d'un sculpteur solitaire prés de Gap, linteaux rustiques, bas-relief, sculptures par d'autres tailleurs de pierre et hommes du peuple, etc...
Nous glisserons ensuite vers la présentation de quelques œuvres de Michaud histoire de se les remettre dans l'œil avant de montrer un ensemble aussi vaste et varié que possible d'autres pièces créées dans des jardins d'inspirés et d'originaux en tous genres. Dans un premier temps, la causerie se focalisera sur des thématiques, les « Barbus Müller », ou le thème de la sirène par exemple, présente dans l'œuvre de Michaud et souvent traitée dans plusieurs autres environnements apparus au XXe siècle (chez Fernand Châtelain dans la Sarthe, Hippolyte Massé aux Sables d'Olonne, René Escaffre dans le Lauragais, Martial Besse dans le Tarn-et-Garonne, René Jenthon dans l'Allier, Alfonso Calleja sur le bassin d'Arcachon, ou Remy Callot dans le Nord).
Napoléon est un autre thème très présent à Masgot, il rejoint la légende napoléonienne telle que l'ont illustrée de nombreux sculpteurs populaires, anonymes ou non, au XIXe siècle (comme le sabotier Jean Molette dans le Rhône par exemple). Cette façon d'afficher ses admirations pour des personnalités célèbres en sculptant leurs effigies dans le décor de sa vie quotidienne se rencontre chez nombre de créateurs d'environnements, et ce de tous temps (voir les environnements de Gabriel Albert en Charente, Emile Taugourdeau dans la Sarthe, Raymond Guitet dans l'Entre-Deux-Mers). Il est à noter que de nombreux sculpteurs autodidactes ont aussi taillé des monuments aux morts, de façon naïve, comme Michaud lorsqu'on lui passa commande d'un buste de Marianne pour la mairie de Fransèches. Une sélection de quelques monuments aux morts naïfs sera ainsi présentée.
Une petite parenthèse sera ouverte pour présenter également les sites naïfs ou bruts réalisés par des ecclésiastiques excentriques, contemporains de François Michaud, comme l'abbé Fouré dans l'Ille-et-Vilaine, ou l'abbé Paysant dans l'Orne. On les rapprochera de l'humble mystique que fut Raymond Isidore, dit Picassiette, au siècle suivant.
Le Palais Idéal de Ferdinand Cheval dans la Drôme sera l'occasion de montrer que les autodidactes inspirés ont su aussi s'attaquer à des projets plus nettement architecturaux. S'inspirant parfois les uns des autres, comme dans le cas de Charles Billy dans le Rhône qui, inspiré par le facteur Cheval, dressa autour de sa villa un vaste collage de maquettes en pierre imitant des bâtiments célèbres du monde entier. L'architecture excentrique populaire peut parfois revêtir des aspects tour à tour muséaux (exemple du Castel Maraîchin à Croix-de-Vie en Vendée avec ses moulages à vocation pédagogique et encyclopédique, ou la maison de François Aubert dans le Cantal avec son musée minéralogique), ludiques (Camille Jamain en Touraine, ou Ludovic Montégudet dans la Creuse, créateurs de parcs de loisirs bricolés naïvement avec attractions faites main), parfois farceurs (Alphonse Gurlhie en Ardèche).
Parmi les créateurs d'environnements, la causerie a choisi de se concentrer sur les créateurs de statues puisque Michaud en a lui-même réalisé un certain nombre. Ces hommes simples rassemblent sur des terrains plantés d'arbres et de fleurs, dans une scénographie étudiée, pêle-mêle, hommes célèbres ou personnifications de métiers, comme chez André Hardy dans l'Orne, Charles Pecqueur ou Léon Evangélaire dans le Nord, Marcel Debord dans le Périgord.
Puis la causerie se déplacera insensiblement vers des environnements aux styles plus caractérisables dans le sens de ce que l'on appelle l'art brut, permettant au public de se faire une idée des distinctions possibles entre ces catégories aux limites poreuses que sont l'art naïf, l'art populaire et l'art brut. On verra ainsi des pièces venues des sites d'André Morvan dans le Morbihan (souches d'arbres et branches assemblées de manière anthropomorphe dans un style arcimboldesque), Jean Grard et ses manèges, statues et maquettes colorées et enfantines en Bretagne, Arthur Vanabelle dans le Nord avec ses canons et ses chars construits avec des matériaux recyclés afin semble-t-il d'exorciser le souvenir de la guerre vécue lorsqu'il était enfant, les statues de silex collés de Marcel Landreau à Mantes dans les Yvelines, le jardin de déchets accumulés de Bohdan Litnianski dans l'Aisne, le jardin aux girouettes et vire-vents de Monsieur P. en Vendée, le jardin du forgeron Maurice Guillet faisant de l'art moderne en autodidacte, ambition originale, ou encore le jardin de bidules emberlificotés d'Yves Floch en Normandie. Pour finir, seront présentées quelques sculptures d'Auguste Forestier qui en dépit du fait qu'elles sont rangées usuellement dans le corpus de l'art brut présentent de forts rapports de cousinage avec l'art populaire.
00:32 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : françois michaud, bruno montpied, masgot, environnements spontanés, habitants-paysagistes | Imprimer
26/04/2009
Armand Goupil, son goût des acrobaties
Pour complaire à ma commentatrice émérite Myriam Peignist, qui paraît traquer les contorsions artistiques en tous genres, voici un Goupil plus nettement acrobatique que dans le cas de la funambule qui la fait rêver à juste titre (insérée dans ma note du 24 mars 2008).
La posture fait beaucoup penser aux images carnavalesques du Pet-en-Gueule avec leur position tête-bêche, quoiqu'ici on ait l'impression que l'homme s'apprête à appliquer une fessée à sa partenaire (peut-être pour la punir d'une blague malodorante précédemment exécutée?)... On notera l'inscription en bas à gauche, Bronze... S'agit-il d'une peinture faite en copie d'une statue vue par Goupil?
Autre situation légèrement acrobatique, celle de cette jeune femme paraissant esquisser une position sciapodesque en se renversant dans les choux, ce qui semble désigner un moment d'extase, corroboré subtilement, en sous-main (bien dans la manière du gentiment pervers Goupil), par la tenue ferme d'une carotte dans la main de la donzelle. Est-elle destinée à la zone froufroutante située sous le jupon qui se retrousse? Il semble bien que oui...
20:21 Publié dans Art immédiat, Art naïf, Art populaire insolite | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : armand goupil, art populaire insolite | Imprimer
25/04/2009
Une image peut en cacher une autre
Une exposition à voir toutes affaires cessantes - et pourtant il y en a un certain nombre ces jours-ci à Paris, Calder, Jorn, Chirico, Kandinsky, Boix-Vives, Macréau (non, pas Warhol dont je me passe bien, personnellement), etc... - c'est L'AUTRE expo du Grand Palais, aux Galeries Nationales, UNE IMAGE PEUT EN CACHER UNE AUTRE. Du 8 avril au 6 juillet. Son chef d'orchestre est Jean-Hubert Martin, qui avait déjà coordonné une autre expo sur le même thème, à Düsseldorf, L'énigme sans fin, Dali et les magiciens de l'ambiguïté, en 2003. Plus lointainement, une expo au Palazzo Grassi à Venise, L'effet Arcimboldo (1987), avait elle aussi abordé le thème de la double image, de l'image cachée dans l'image. De même que plus près de nous, il y eut en 2006 au Palais des Beaux-Arts de Lille l'exposition L'Homme-Paysage, visions artistiques du paysage anthropomorphe entre le XVIe et le XXIe siècle, dont les concepteurs étaient Alain Tapié et Jeanette Zwingenberger, cette dernière se retrouvant au sommaire du catalogue de l'expo actuelle du Grand Palais. Assez en rapport avec cette dernière, on se souviendra également de la note que j'ai donnée le 30 mars 2008 à propos de l'exposition sur les cartes postales insolites, La photographie timbrée, qui fut montée l'année dernière à l'Hôtel de Sully.
C'est le genre d'expo qui peut intéresser tous ceux qui sont fascinés par les images ambivalentes, telles que Dali aimaient en produire (sa paranoïa-critique est basée sur ces jeux d'illusions, l'exposition lui consacre une petite salle avec des oeuvres de très haut niveau), ou telles qu'on peut en voir dans une foisonnante et hétéroclite iconographie dont cette expo montre une large sélection (parmi les artistes modernes, j'ai fait personnellement la connaissance des sculptures à double aspect, se dévoilant en tournant autour, de Markus Raetz). Dans la peinture de la Renaissance par exemple, nombreux sont les exemples de paysages où se dissimulent des têtes plus ou moins grotesques, des profils dans la découpure des falaises (un célèbre tableau de Mantegna avec des nuages façonnés en forme de visages, Pallas chassant les vices du Jardin des vertus, venu de la grande Galerie du Louvre, est présent dans l'expo). C'est un jeu de recherche qui fait le plaisir du visiteur (s'il parvient à s'approcher du tableau, ce qui relève de l'exploit étant donné l'affluence), l'exposition étant pour une fois parée d'une dimension ludique indéniable (qui ne devrait pas déplaire aux enfants qu'on peut y emmener de préférence à toute autre expo).
Mais elle ne se limite pas à cela. Des commentaires brefs mais denses aiguillonnent la curiosité. Notamment lorsqu'il s'agit d'expliquer au visiteur que ces images cachées à l'époque de la Renaissance avaient un sens peut-être édifiant, la nature peinte étant considérée comme le siège d'une sauvagerie qu'il était nécessaire de réduire par la civilisation. Ou bien voyait-on dans ces dissimulations d'images, destinées à être vues dans un second temps de la perception, la démonstration de ce que la contemplation d'une image, en apparence immédiatement lisible, recélait en réalité une autre signification cachée, ce qui ouvrait à une conception transcendante du parcours contemplateur. Dieu est caché dans le moindre détail, n'est-ce pas... Aujourd'hui, l'image cachée répond à d'autres significations, d'autres besoins, notamment celui de s'émerveiller, ou bien au goût des images séditieuses (une partie de l'expo est consacrée aux profils ou silhouettes d'hommes politiques cachés dans des trous, ou des intervalles du paysage, cf. les représentations de Napoléon en silhouette).
Il existe évidemment un lien avec les thèmes plus ou moins carnavalesques du monde à l'envers. L'imagerie populaire n'a pas été oubliée (si l'art brut lui, en dépit de sa présence à l'exposition de Düsseldorf pourtant, avec un article de Claudia Dichter dans le catalogue de cette dernière expo, a été mis de côté, on ne sait pourquoi ; je sais certain dessin de la collection Prinzhorn, présent dans le catalogue de l'expo de Düsseldorf, qui n'aurait pas détoné dans cette expo... ; on ne trouve dans un coin qu'un beau dessin - certes - d'Unica Zürn, qui n'est, de plus, elle, pas tout à fait réductible à l'art brut). L'exposition commence sur un mur constellé de cartes postales en noir et blanc montrant des roches aux formes fantastiques telles qu'on en trouve en nombre un peu partout en France (montage de Jean Le Gac, semble-t-il, mais il y avait trop de peuple, je n'ai pas réussi à me faufiler parmi les visiteurs qui les regardaient en faisant la queue sagement comme on fait la queue dans le métro, et du coup je n'ai pu identifier l'auteur du montage). Des pierres de l'ancienne collection de Roger Caillois sont montrées un peu plus loin (on se référera à ses ouvrages sur L'écriture des pierres). On rejoint là l'intérêt pour la poésie des formes naturelles que sur ce blog nous partageons fortement avec tant d'autres amateurs. Certains objets naturels trouvés reviennent dans l'expo qui avaient déjà été présentés au musée Dapper il y a plusieurs années dans le cadre de la très excitante expo intitulée Résonances (organisée par Yves Le Fur, que l'on retrouve comme par hasard parmi les auteurs du catalogue). Un chapitre de ce catalogue est consacré au thème sous le titre La Nature artiste. Ce secteur est présenté , à ce que je crois me souvenir, à proximité d'un autre espace consacré aux images vues dans les taches d'encre (pliages symétriques), comme par exemple celles de Rorschach dont quelques essais sont montrés à cette occasion (placés à côté de taches de Victor Hugo ou de Justinus Kerner, déjà montré autrefois dans ce même Grand Palais pour la grande exposition L'Ame au corps). Des décalcomanies surréalistes auraient pu également être montrées dans leur voisinage, mais sans doute a-t-on jugé que cela avait été déjà souvent fait (cependant, ce fut souvent de façon ultra partielle, une expo entière serait en réalité souhaitable sur le sujet des techniques d'empreinte dans le surréalisme)? Quelques taches obtenues par pliage et symétrisation produites par des poètes comme Eluard ou Marcel Duchamp sont présentées justement en raison de leur côté inédit, mais on reste un peu sur sa faim.
L'exposition ne manque pas de montrer également des cartes géographiques interprétées de façon à figurer dans les contours des frontières des personnages ou des animaux symboliques des nations, l'ours russe, le lion belge, etc. On retrouve évoquées, trop succinctement à mon gré, les lettres à images, des alphabets anthropomorphes (à ce sujet, on peut toujours se reporter au très bel et complet ouvrage de Massin, La Lettre et l'Image, paru autrefois chez Gallimard). Un bel espace est dévolu à des exemples d'anamorphoses, c'est le lieu où l'on enregistre d'ailleurs le plus grand nombre de torticolis au mètre carré dans l'expo... Les miniatures mogholes n'ont pas été oubliées. Dans le secteur sur le paysage-visage, on découvre que même Courbet sut se laisser impressionner par des rochers hallucinatoires (cf. Le géant de Saillon). Du reste, ce parcours recèle dans certains de ses replis et coins secrets des surprises comme ce très beau tableau de Meret Oppenheim de 1938 qui s'intitule La femme de pierre. De même certaines vidéos se révèlent au passage assez "bluffantes", comme une, due à Alain Fleisher (oublié ce me semble dans le catalogue), intitulée L'Homme dans les draps, qui consiste en une animation de draps se dépliant et dessinant des ombres de profils humains changeants, très belle idée et très belle réalisation...
Comme je le disais au début de cette longue note, décidément oui, une exposition à voir toutes affaires cessantes...
18:41 Publié dans Art immédiat, Art moderne méconnu, Art populaire insolite, Danse macabre, art et coutumes funéraires, Galeries, musées ou maisons de vente bien inspirés, Images cachées, images délirantes?, Photographie, Poésie naturelle ou de hasard, paréidolies, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : doubles images, surréalisme, dali, raetz, arcimboldo, poésie naturelle | Imprimer
24/03/2009
Macrévives et Boixau (Macréau et Boix-Vives)
Ce soir, vernissage à la Halle St-Pierre, rue Ronsard, 18e ardt, Paris, des expositions Macréau et Boix-Vives (à partir de 18h comme d'habitude). En douce un autre vernissage qui a attendu ce même soir pour être officialisé, afin de profiter on l'espère de la foule des grands jours, de l'autre petite expo de la Galerie du hall d'entrée, A chacun son dessin. Effectivement, il est légitime d'attendre la grande foule, Macréau et Boix-Vives sont deux immenses peintres, chacun dans leur genre bien distinct. Macréau c'est une sorte de Picasso graffiteur, un Picasso graphiste qui se serait emparé en contrebande de pinceaux. Boix-Vives, c'est un immense candide, candide jusqu'à la violence la plus absolue (il avait, paraît-il, des colères éruptives), amoureux de la couleur où il se roulait avec une gourmandise inspirée par une grâce venue d'on ne sait où, mais si on le sait, du fond de son être prodigieusement sage, équilibré, du bout de ses doigts soudaineement aimantés. Confiant dans ses pouvoirs au point de croire qu'il pourrait résoudre tous les problèmes de l'humanité grâce à de simples brochures où il traçait ses plans sur la comète pour la paix et l'harmonie dans le monde.
Je ne m'étends pas plus sur la question, il existe déjà pas mal de livres sur lui, notamment celui de Marie-Caroline Sainsaulieu aux éditions Acatos, et celui de Jean-Dominique Jacquemond à La Différence, sans compter les catalogues sur Boix-Vives et Macréau édités por l'occasion par la Galerie Margaron, galerie qui prête les oeuvres exposées, semble-t-il...
Cadeau en avant-première (pour ceux qui auront l'idée de venir faire un tour ce 24 mars après-midi sur ce blog), une des toiles de Macréau exposées à l'étage, photographiée l'autre jour avec autorisation spéciale de Martine Lusardy:
15:27 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art moderne méconnu | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : michel macréau, anselme boix-vives, art brut, art moderne méconnu | Imprimer
Armand Goupil au gré des blogs
Je ne me souviens plus comment je suis tombé sur le site du mouvement ambiphoque.... Oui, vous avez bien lu, ambiphoque. Cela renvoie à une librairie, située à Paris, 10, rue des Ecoles dans le 5e ardt, à ma surprise (je viens tout juste de m'en aviser ; au fait, tout prés de la Sorbonne, comme ça, le mouvement aurait peut-être mieux fait de s'intituler amphi-bock...). Je ne l'ai jamais vue, cette librairie-là, pourtant j'y passe souvent. C'est sans doute de création récente? Va falloir s'en assurer en y allant physiquement. Ce mouvement ambiphoque, correspondant à un désir de faire voler des êtres pourvus de nageoires, dixit un des deux libraires, Claire Ambi (l'autre se prénomme Julien, comme il est dit sur le site web de la librairie), s'intéresse en tout cas à Armand Goupil, comme mézigue. Je renvoie à la note que leur blog a mise en ligne à la date du 18 mars dernier.
Ce peintre m'intrigue et me séduit beaucoup, au point que je lui ai consacré un article dans la revue Création Franche n°29 en avril 2008. J'en ai peu parlé sur ce blog en fait, je ne sais pas pourquoi, d'autres sujets ayant pris le dessus entre temps. Deux notes seulement, pas particulièrement centrées sur le Goupil (cliquez sur ce mot et puis ici aussi) en question, ont reproduit deux peintures photographiées chez un brocanteur qui m'avait laissé les prendre avec beaucoup de complaisance (merci à Jean-Philippe Reverdy). Je vais essayer de réparer cet oubli dès aujourd'hui. D'abord en publiant l'image que m'a transmise Claire Ambi, qui l'a aussi insérée sur son propre blog, Ambiphoque, (voir image ci-dessus) et en signalant d'autres peintures du même Goupil sur un autre blog, celui d'un M.Yves Barré, intitulé Ah Oui... Suivre les liens... Et puis, en mettant en ligne de temps à autre d'autres peintures de Goupil, comme celle ci-dessous, qui montre que le monsieur aimait les calembours traduits en images.
Armand Goupil, on ne sait que très peu de chose sur lui, il serait mort en 1965, avance Ambiphoque (c'est vrai que la plupart des peintures vues de lui ne dépassent pas cette date). Des brocanteurs (Philippe Lalane par exemple qui m'a mis à l'origine sur la piste de ce peintre) le présentent comme un instituteur qui aurait peint à la retraite, "de 1953 à 1964"... La famille vivrait toujours dans la Sarthe. Ce serait elle qui aurait décidé de disperser chez un brocanteur l'oeuvre de leur aïeul (au moins deux mille oeuvres...). Mais tout ceci n'est que bruits et rumeurs, sur lesquels personnellement j'ai résolu sciemment de divaguer à loisir, en reconstituant rêveusement les motivations de l'artiste telles qu'on peut les découvrir présentes au gré des peintures que j'ai pu photographier en un beau choix (50 environ), un jour à Chatou... C'est ce qui a servi pour l'article que j'ai publié dans Création Franche. Cependant, je reconnais que ce texte peut se réduire en définitive à un pur délire d'interprétation! Qui sait...? Par le détour du délire, j'ai pu toucher à quelque port aussi bien...
00:32 Publié dans Art immédiat, Art inclassable, Art naïf, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : armand goupil, ambiphoque, art singulier | Imprimer