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11/11/2014

Le mystère des statues guatémaltèques, une histoire de Chichi...castenango

    J'aime bien le titre de cette note qui fleure bon ceux des aventures de Tintin et Milou. Pour commencer, les lecteurs non prévenus devront se référer à cette ancienne note de 2011. On y causait d'une statue trouvée par Laurent Le Meur au Mans en 2011. Toute une flopée de commentateurs était venue s'exciter à la suite de cette note, un peu par ma faute car j'avais appelé à l'aide pour l'interpréter. Les hypothèses sur son origine avaient afflué. L'un la voyait madone des gitans, l'autre lui trouvait un air oriental, moi je me l'imaginais éthiopienne, un érudit clermontois nous promenait du Maroc à l'Inde, bref, ça délirait sec.

 

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La Sainte-Vierge? Coll. et ph. Laurent Le Meur

 

      Il aura fallu trois ans pour qu'à la suite d'un mail récemment parvenu sur ma boîte mail en privé nous puissions avoir enfin la clef de l'énigme. Un collectionneur canadien —oui, les recherches sont mondialisées— répondant au doux patronyme de Jean-Marie Chapeau, m'a sorti de son couvre-chef non pas un lapin mais la photo d'une autre statue dénichée par lui dans un bric-à-brac genre Emmaüs canadien, statue qu'il a immédiatement rapprochée, avec raison semble-t-il, de la statue mancelle.

 

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L'autre statue venue au Canada, coll. et ph. J-M. Chapeau (Montréal), un Saint-Joseph?

 

 

      Laurent Le Meur n'a pas tardé à réagir, suite à leur mutuelle mise en contact, et a versé du coup des pièces nouvelles qui paraissent éclairer le mystère de la statue aux mains ouvertes (enfin... Si l'on peut vraiment parler de mystère en l'occurrence, car un vieux doute m'étreint, n'aurait-on pas affaire ici à de l'art populaire pour touristes? Une énième hypothèse délirante? Cette forme d'art populaire n'étant pas synonyme systématiquement de mauvaise qualité du reste...).

 

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Les deux statues rassemblées par Laurent Le Meur, dans sa collection en 2014

 

      Laurent Le Meur, depuis ma note de 2011, a trouvé une troisième statue à verser au dossier (voir ci-dessus). Toujours intrigué bien sûr par ces découvertes, il est parti à la recherche d'informations, et il a fini par tomber sur une carte postale qui montre un étal dans le village guatémaltèque (2000m d'altitude) de Chichicastenangoart populaire guatémaltèque,chichicastenango,laurent le meur,jean-marie chapeau,statues propitiatoires,vierge marie et saint joseph,art modeste (j'adore ce nom, et je réfléchis désormais fortement à la possibilité d'y aller installer le siège de ce blog) où l'on devine (oui, c'est le mot, parce qu'il faut avoir de bons yeux vu la qualité du cliché) des statues du même style que celles ci-dessus. Le village, nous dit internet, est connu pour conserver des traces de la culture traditionnelle maya. Les statues qu'on devine sur l'étal correspondent aux statues de Le Meur et Chapeau, elles sont toutes presque plates, anguleuses et surtout pourvues de gros yeux cernés d'un épais trait noir. art populaire guatémaltèque,chichicastenango,laurent le meur,jean-marie chapeau,statues propitiatoires,vierge marie et saint joseph,art modesteIl semble donc que là-bas on trouve ainsi plusieurs traces d'une piété populaire qui mêle sans doute d'anciennes croyances indiennes aux mythes chrétiens. Bref, il fallait chercher du côté de l'Amérique Centrale. Ouf, on est un peu plus instruit.

      Et puis tiens, en me promenant au hasard sur internet je suis tombé sur le site de l'artiste Eliane Larus, une sorte de petite cousine de Chaissac, où il est question d'un séjour qu'elle fit dans ce fameux Chichicastenango. Rien à voir avec nos statues?

 

 

09/11/2014

Sculpture populaire polonaise

     Le hasard a voulu que je photographie à de très brefs intervalles deux œuvres de sculpteurs naïfs polonais venues faire un tour à des dates non précisées dans notre belle contrée de France. Voici en effet un Maréchal Foch, au garde-à-vous (comme tout bon soldat et aussi comme toute bonne statue...),  sculpté par Jan Lamecki (mort en 1960), aux yeux quelque peu protubérants et hypnotiques, ce qui paraît être une marque de fabrique de ce sculpteur —curieusement, c'est souvent par la façon de faire les yeux, et les arcades sourcilières que l'on différencie plusieurs sculpteurs naïfs polonais (car dieu sait qu'il y en a, tant on les a poussés par là-bas, sous l'ancien régime communiste, comme après, par habitude, car la chose paraît continuer aujourd'hui que le régime a changé) ; les styles de sculpture dans l'art naïf polonais, aux moyens limités, très sobres, rendent parfois difficiles en effet de départager ce qui appartient aux uns ou aux autres.

 

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Jan Lamecki, Ferdinand Foch, coll. privée, Paris, ph. Bruno Montpied ; Foch, à ce que m'a communiqué l'ami Régis Gayraud, était populaire en Pologne pour avoir soutenu, après la guerre de 14-18, la reconstruction de la Pologne en une seule entité, sans couloir de Dantzig

 

     Autre œuvre, cette fois il s'agit d'un fascinant groupe de cinq statuettes, signées de Stanislaw Denkiewicz (1913-1990) en 1975. Il s'agit en l'espèce d'un hommage à une mère, peut-être la femme à la longue jupe plissée présente au centre du groupe.

 

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Stanislaw Denkiewicz, statues pour un jubilé à l'occasion d'une "année de la femme", 8-3-1975, coll. privée, Paris, ph. BM

   Le texte, gravé dans le socle, entre grappe de raisin et fleurs nouées (symboles de prospérité et d'affection?), dit ceci en polonais (merci à Jean-Louis Cerisier pour sa traduction): "En cette journée internationale de la femme, nos vœux que tu vives cent ans, Maman". Le mot "Jubilé" est quant à lui gravé sur le rebord avant peint en vert. Chaque personnage a presque une seule arcade sourcilière, tandis que leurs yeux ont une fixité qui fait une bonne part de leur charme... Les nez très géométriques, style Île de Pâques, leurs bouches comme des entailles, les visages identiques (c'est une famille, mais tout de même...) leur donnent une allure presque effrayante. Ce sont peut-être les quatre enfants, trois sœurs et un frère, entourant la mère à la jupe plissée, personnage le plus grand au milieu de l'arc de cercle. Ces enfants portent tous une fleur chacun (le garçon ayant perdu la sienne, la brassée d'herbe visible dans son poing étant un remplacement imaginé par le brocanteur qui vendait ces statues), et pas la grande femme, ce qui implique qu'elle peut être la mère, les fleurs lui étant destinées.

 

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Stanislaw Denkiewicz, le grand frère? Et/ou le sculpteur? Coll. privée, Paris, ph. BM

 

     Quel âge avait cette mère à qui ses enfants (et parmi eux le sculpteur, peut-être le seul homme du groupe, à gauche?) souhaitaient une longue vie? Sans doute un âge déjà certain, puisqu'on souhaite toujours une longue vie à nos aînés lorsque ces derniers ont déjà pas mal d'heures de vol... Et qu'en toute logique, ils ont moins d'années futures en stock que d'années écoulées... Cependant, si l'on accepte de laisser de côté quelque temps l'humour noir, on sent qu'à l'évidence, derrière ces faces de craie aux yeux fixes, se cache un amour entier pour la famille qui lie ces personnages dans un cercle. Et un amour des jupes plissées!

 

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Stanislaw Denkiewicz, détail de son groupe de statues représentant un hommage à une mère, coll. privée, Paris, ph. BM

 

 

03/11/2014

Acrobatie en terre cuite

      "Objets de curiosité" est un terme qu'emploient certains brocanteurs et antiquaires, notamment ceux qui cherchent encore du côté de l'art populaire. Je vais vous en montrer un exemple, chiné il y a déjà quelque temps par un curieux sur le stand de Daniel Boniteau, émérite broc que l'on retrouve régulièrement au détour de plusieurs foires, comme par exemple celle qui débute ces jours-ci à la Bastille (du 6 au 16 novembre).

 

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Une drôle de pyramide humaine, sans date, sans signature, photo Bruno Montpied

 

      Drôle de pièce n'est-ce pas? En terre vernissée, elle paraît pouvoir servir de pichet, mais à la table de quelque érotomane distingué (ou pas). Son axe —pour le qualifier d'un euphémisme— est en effet creusé, un bec horizontal étant chargé de guider la sortie du liquide versé à l'intérieur par une petite rigole qui porte bien son nom. Ce liquide, jailli de cet axe, prend des allures tout bonnement scabreuses...

 

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Ph. BM

 

     Car, comme on s'en avise à présent que l'objet a été mieux scruté, la tige orange, moucheté comme une robe de léopard, et sur laquelle s'appuient différents corps nus, miniaturisés  proportionnellement à la tige-pichet (corps nus parmi lesquels on reconnaît une femme enceinte), cette tige est un phallus fièrement érigé. La femme prégnante voit d'ailleurs ce sexe géant surgir entre ses cuisses, tandis que ses voisins font pour l'un les pieds au "mur", couvert d'une substance blanchâtre laissant peu de doute sur sa provenance (voir image finale en bas de cette note), et pour deux autres une courte échelle plutôt goulue (l'homme placé en dessous d'une femme en est très visiblement émoustillé, voir ci-après, sa tête disparaissant du reste complètement dans l'entrejambe de sa partenaire).

 

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Ph. BM

 

    Un quatrième corps (voir première photo) est vautré au sol, présentant haut son postérieur joufflu. Des petits masques décorent la base, tandis que deux testicules un peu ramollis pendent à l'un de ses côtés, permettant aux jambes de la parturiente de s'y reposer comme sur deux coussins.

    Comment classer ce genre d'objet? Est-ce de l'art brut? De l'art pour érotomane? Distraction d'un potier en mal d'amour? De l'art populaire érotique? Peu m'importe au fond, la chose m'amuse et m'intrigue, plus vivante que tous les diagrammes, plans, schémas, cartes météo et autres gribouillages numérotés que l'on cherche à nous fourguer pour de l'art brut chez les marchands et collectionneurs qui font parler d'eux en ce moment.

 

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Un de nos fêtards baignant dans le foutre, à ce qu'il semble bien, ph. BM

 

 

27/10/2014

Une suite provinciale à l'affaire parisienne des plaques commémoratives?

     Dans une note plus ancienne consacrée à la disparition de Jean-Pierre Le Goff, l'écrivain et poète des coïncidences, créateur de situations-poèmes, je mentionnais sa recherche sur des fausses plaques commémoratives qui fleurirent un temps à Paris avant d'être effacées brutalement du paysage (toutes sauf une? Voir ci-dessous), recherche "parue dans le n°12 de Viridis Candela (1 gidouille 130 EP, vulg. 15 juin 2003), carnet trimestriel du Collège de 'Pataphysique, p.49 à p.64".plaques commémoratives

    Eh bien, passant récemment par la Bourgogne, dans l'Yonne exactement, dans le bourg de Bléneau, qui s'enorgueillit entre autres d'avoir toujours un portail d'église rehaussé d'une rare proclamation jacobine d'amour envers "l'Etre suprême", je suis tombé en arrêt devant ce qui m'est apparu sur le moment comme une tentative de prolonger l'affaire des fausses plaques dont le contenu tournait en dérision la tendance actuelle à commémorer à tout va. Il y avait là une boutique de coiffure intitulée "la chaise blanche", et dans un coin de sa façade une inscription analogue à celle que l'on voyait autrefois à Paris.

plaques commémoratives

La "Chaise Blanche" avec une mini chaise blanche pour enseigne, et sa plaque commémorative bouffonne, ph Bruno Montpied, 2014

plaques commémoratives

L'affaire des fausses plaques va-t-elle rebondir à la France entière? Les "Renseignements Généraux" sont sur les dents... ph BM, 2014

23/10/2014

Art brut, soluble dans l'art contemporain? Ou art contemporain dissout dans la vie quotidienne?

     La rumeur enfle, toute une série d'intervenants, de ténors s'étant taillés des robes d'avocats de l'art brut, se sont donnés le mot, on dirait, pour prêcher la future fusion de l'art brut avec l'art contemporain. Ce dernier recouvre toutes sortes de formes d'expression, mais cela importe peu à nos ténors. Qu'on y distingue encore des avant-gardistes, comme ce fut le cas par le passé, ce qui pourrait permettre effectivement de le mettre sur le même plan côté novation avec les inventifs de l'art brut (parallèle qui est évoqué de façon un peu confuse selon moi par Céline Delavaux dans un de ses récents ouvrages, Comment parler d'art brut aux enfants, éd. Le Baron Perché, 2014,¹), qu'on y trouve encore des avant-gardistes, comme au temps où les surréalistes attiraient l'attention du public sur l'art produit en asile, les inspirés du bord des routes, les autodidactes dits naïfs ou l'art populaire merveilleux, cela n'interpelle pas les mêmes spécialistes. Non, en face de l'art brut, il n'y a que "l'art contemporain" tout uniment.

      Et il ne faut surtout pas que l'on sorte du champ de l'Art. Pour nos spécialistes, l'art est en train de s'étendre en effet. L'art "contemporain" serait comme une immense tache d'huile qui s'annexerait des nouveaux territoires. Dont l'art brut, mais aussi les créations des bâtisseurs spontanés de bord de routes.

 

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      En ce qui me concerne, je vois les choses d'un point de vue inverse, je ne m'intéresse nullement à une "extension du champ de l'art" qui annexerait des formes d'expression non répertoriées dans l'Histoire de l'Art, je ne m'intéresse absolument pas à ce que l'on a appelé d'un néologisme barbare, "l'artification"². Non, moi, je préfère envisager la chose plutôt comme une annexion de l'art par la vie quotidienne, et s'il faut répondre à un néologisme par un autre néologisme, je parlerai alors d'une "quotidiennisation" de l'art, ce que j'appelle aussi sur ce blog une poétique de l'immédiat. Comme une dissolution de l'art dans la vie quotidienne, ce qu'annoncent les créateurs (et non les "artistes") de l'art brut et autres inspirés bricoleurs des décors de leur vie quotidienne.

     Comme on le voit c'est d'une toute autre perspective qu'il s'agit. Mais bien sûr, il ne s'agit plus dans ce cas d'une histoire de gros sous... Je dis ça, car j'entends dire ici et là que derrière cette histoire de fusion art brut/art contemporain, il serait surtout question d'une stratégie de hausse des prix de l'art brut (l'art contemporain met en jeu des cotes plus substantielles...). Certain marchand, et certain collectionneur, y auraient intérêt pour faire valoir les articles en magasin, d'où toute l'agitation et tout le branle-bas de combat actuels autour de l'art brut... Ce serait vraiment pas joli-joli, si cela se révélait exact. 

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¹ "L'art contemporain, comme l'art brut, implique la nouveauté, l'exploration d'un inédit qui force la réflexion. En ce sens, lui aussi appelle le regard à s'ouvrir et le discours à se renouveler. Comme l'art brut, l'art contemporain présente un éclectisme total, une mosaïque de propositions singulières." (Céline Delavaux). On est là semble-t-il bien loin du Dubuffet, pourtant le fondateur de la notion d'art brut, qui vouait aux gémonies l'ensemble de "l'art culturel"...

² Voir sous la direction de Nathalie Heinich et Roberta Shapiro, De l'artification, Enquêtes sur le passage à l'art, éditions de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences, 2012.

18/10/2014

Jacqueline Humbert et les sirènes

     Retrouvée récemment par le camarade Jacques Burtin à Auxerre dans le marché couvert qu'a bâti jadis Alain Bourbonnais, voici une douce et gentille sirène peinte par Jacqueline Humbert, peintre naïve et comme on sait aussi animatrice acharnée du musée rural des art populaires de Laduz. Elle fut peinte il y a pas mal d'années (les années 70? 80?) mais elle se maintient avec une belle persévérance je trouve, ce qui n'est pas évident sur un rideau de fer...

 

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Jacqueline Humbert, marché couvert d'Auxerre, ph. Jacques Burtin, 2014

 

 

14/10/2014

"Un soir, j'ai assis la Beauté sur mes genoux..."

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Graffito rue des Récollets, Paris Xe ardt, ph. Bruno Montpied, octobre 2014

  

      "Un soir, j'ai assis la Beauté sur mes genoux. - Et je l'ai trouvée amère. - Et je l'ai injuriée." (Rimbaud, Une Saison en enfer)

06/10/2014

Cap sur Babahoum!

     Non, à moi, le doux nom de Babahoum ne fait pas penser à une "dégringolade" comme l'écrit Pascal Quignard dans sa préface au catalogue de l'exposition Babahoum qui va se tenir à Paris dans le Marais du 8 octobre au 12 octobre - quatre journées seulement qu'il vous faut cocher amis parisiens ou hôtes de passage. Cela m'évoque, loin du "Badaboum" auquel songe l'écrivain, plutôt le rythme d'une mélopée sauvage scandée en chœur par des milliers de poitrines indigènes, comme dans King-Kong, lorsque le peuple de l'île au singe géant appelle la Bête vers la Belle. Ba-ba-houm! Ba-ba-houm! Ba-ba-houm!...

 

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La couverture du catalogue de l'exposition Babahoum à Paris (livre trouvable à la librairie de la Halle St-Pierre)

 

     J'avais déjà hébergé son nom et montré deux de ses dessins ou peintures lorsque j'avais mis en ligne il y a un an, presque jour pour jour, le récit par Darnish de son périple à lui et à sa compagne Samantha dans la ville d'Essaouira, l'ancienne Mogador, au Maroc. C'est Babahoum qui m'apparaissait comme la plus belle découverte de Darnish, loin des autres productions plus connues des peintres d'Essaouira.

 

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Babahoum, œuvre sur papier, 65x52 cm, coll. privée, Paris

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Babahoum dans son "atelier"... Sur la natte, on aperçoit ses outils fort simples, des stylos bic, des feutres, de la gouache ou de l'aquarelle, des crayons... Ph. Escale Nomad

 

        Ancien ferrailleur et brocanteur, s'étant un temps occupé d'un pressoir à olives actionné par un dromadaire, il s'est mis à dessiner à soixante-dix ans.  On découvre chez lui des scènes de la vie de bédouin dans des étagements sans perspective, avec des couleurs simples et diluées, un dessin ultra stylisé, une composition rythmique (on retrouve peut-être là le rythme de la fameuse mélopée sauvage que j'évoque ci-dessus) qui assure aux images une séduction renouvelée au fil du temps (Pascal Quignard écrit: "Son sens de la mise en page est inné, impérieux, immédiat, absolu"),  et l'on éprouve un choc devant ces peintures d'une immédiate fraîcheur d'inspiration. C'est de l'âpre inspiration venue du fond d'un corps en harmonie avec le monde naturel. Babahoum, c'est une petite symphonie brute et naïve comme on en voit peu.

 

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Babahoum, œuvre sur papier, 75x51cm, coll. privée, Paris

 

       Rendons grâce à l'Escale Nomad et à Philippe Saada qui ont permis cette exposition et ce catalogue. Rendez-vous donc à la Galerie Six Elzévir, 6, rue Elzévir, dans le 3e ardt à Paris (c'est près du M° Saint-Paul, non loin du musée Picasso, dans la même rue que le Centre Culturel Suédois), pour le vernissage mercredi 8 octobre de 18h à 22h, et sinon les trois autres jours suivants (les horaires ne sont pas donnés mais l'on suppose que c'est l'après-midi).

04/10/2014

Création franche et productive

    J'ai gardé silence cet été sur deux publications du musée de la Création Franche à Bègles me disant que cela serait plus judicieux d'en parler à présent que plusieurs internautes sont revenus de leurs campagnes, d'après ce que j'en juge en parcourant les statistiques de ce blog. En effet elles sont sorties en plein juillet, pendant que vous vous détachiez, chers internautes, de toutes tablettes, et autres engins électroniques, voir presse et radios traditionnels. Le musée n'en a cure, sa communication ne  lui paraît  pas essentielle, peut-être se dit-il "Dieu reconnaîtra les siens". La distribution de ses libelles et autres catalogues se fait centralement à Bègles dans ses locaux. Vous ne la trouverez que par la grâce d'un miracle en librairie. Même la Halle St-Pierre à Montmartre ne la diffuse qu'erratiquement. Et pourtant... Voici qu'est paru le n°40 de leur revue (lui pourtant disponible à la librairie de la Halle), avec une couverture noire minimaliste et pourtant baroque, une photo avec des superpositions qui fait penser à un archipel ou un oiseau dans les ténèbres, due à l'art raffiné de la photographe Marie-France Lacarce. création franche,musée de la réation franche,halle saint-pierre,marie-france lacarde,n°40 de la revue création franche,les fanzine sde l'art brut,crab,céline delavaux,déborah couette,bruno montpied,pascal rigeade,gérard sendrey,cako boussion,paul duchein,françois aloujes,joe ryczko,jean-françois maurice,abdelkader rifi,alain genty,thierry bucquoyBelle couverture qui veut peut-être solenniser ce chiffre rond - 40 numéros tout de même - mais qui sera la seule façon de marquer le coup pour ce bel effort éditorial, car nulle fête ne se profile à l'horizon pour ce quarantième non rugissant, mais séduisant.

 

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Charles Cako Boussion, panneau de signalisation bricolé, retrouvé par Charles "Cako" Boussion et profondément modifié par la peinture et des ajouts d'inscriptions en "profession de foi", 36x63 cm, 1983, coll. BM, Paris

       Il y est question de Cako Boussion - c'est moi qui me charge d'un article qui veut montrer que monsieur Boussion ne se cantonne pas aux compositions en mandalas, dites parfois "médiumniques", mais peut se révéler parfois bien plus éclectique dans ses choix de formes d'expression (comme on s'en convaincra ci-dessus). Paul Duchein rappelle de son côté l'environnement qu'avait créé Abdelkader Rifi à Gagny, en voisin de Madeleine Lommel l'ancienne fondatrice de l'Aracine. Il signe un second article sur les intéressantes compositions en coquillages de François Aloujes. Bernard Chevassu met pour sa part le focus sur un autre créateur d'environnement, Roger Mercier, qui vient d'abandonner son "Château de Bresse et Castille" située en pleine Bresse, site architectural naïf que nous avait autrefois révélé Frédéric Allamel dans Plein Chant (voir petit cliché ci-contre, ph. Bruno Montpied). création franche,musée de la réation franche,halle saint-pierre,marie-france lacarde,n°40 de la revue création franche,les fanzine sde l'art brut,crab,céline delavaux,déborah couette,bruno montpied,pascal rigeade,gérard sendrey,cako boussion,paul duchein,françois aloujes,joe ryczko,jean-françois maurice,abdelkader rifi,alain genty,thierry bucquoyJoe Ryczko quant à lui refait parler de l'excellent Alain Genty et de ses terres vernissées hautement "agitées", citant au passage le travail d'information que fait Thierry Bucquoy sur son blog à propos de Genty.

 

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Dimitri Pietquin, illustration extraite du catalogue de "Visions et Créations Dissidentes" 2014

 

      Il est à noter qu'il y a ce me semble une sorte d'écart qui grandit entre les créateurs et artistes évoqués dans la revue Création Franche et ceux que le Musée présente en ce moment dans sa dernière édition de "Visions et Créations dissidentes" (du 27 septembre au 23 novembre). Ai-je la berlue, ou bien ai-je raison de trouver qu'il y a vraiment de plus en plus de créateurs venus d'ateliers pour handicapés mentaux dans les expositions d'automne du musée (on sait que les autres expositions le reste de l'année sont plus spécifiquement consacrées à la découverte et la mise à jour des créateurs du fonds permanent du musée)? Dans la dernière mouture de cette exposition automnale, montrant comme d'habitude 8 nouveaux créateurs, il semble qu'on y compte au moins 5 ou 6 travaux d'ateliers, dont deux proviennent d'ESAT (Aide par le Travail). Ces ESAT qui paraissent bien rares - selon moi n'est-ce pas? - en travaux véritablement originaux (à l'exception notable comme je l'ai déjà plusieurs fois écrit sur ce blog, de l'ESAT de Ménilmontant, avec son Philippe Lefresne et son Fathi Oulad Ben Abid). Parmi ces travaux d'atelier, bien sûr il arrive que surgisse une œuvre plus attirante qu'une autre, mais les ressemblances avec d'autres travaux de talent déjà vus ne sont pas absentes, ainsi pour cette édition béglaise 2014 des œuvres de Dimitri¨Pietquin reproduites dans le catalogue. Au milieu de ces créateurs, surnage aussi (je me base on l'aura compris uniquement sur le catalogue pour exprimer cet avis), apparemment un peu incongrue  par l'aspect savant de ses reliquaires en assemblages d'objets recyclés et amalgamés en un ordre esthétique déjà rencontré dans les galeries parisiennes de la Rive Gauche, Lucie de Syracuse, dont Gérard Sendrey avait déjà parlé dans un numéro précédent de la revue Création Franche (d'une façon un peu absconse, je dois dire...).

 

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Lucie de Syracuse, illustration extraite du catalogue "Visions et Créations Dissidentes" 2014

 

      Au cœur du mois de juillet enfin, est paru avec retard un grand numéro hors-série (n°1) de Création Franche consacré entièrement aux "fanzines d'art brut et autres prospectus" et qui se veut "Actes de la Rencontre du 23 novembre 2013". En réalité, ce numéro est composé de textes et autres réponses à un questionnaire qui avaient été rédigées bien en amont de cette journée de novembre.

 

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     Le but recherché par le musée et par deux protagonistes du CRaB, Déborah Couette et Céline Delavaux, était, en interrogeant les protagonistes des revues et autres bulletins tournant autour de "l'art brut" (les Caire, moi, Bruno Montpied, Danielle Jacqui, Joe Ryczko, Gérard Sendrey, Jean-François Maurice, décédé peu de temps avant la journée du 23 novembre, Martine Lamy, et Denis Lavaud) et en exposant divers documents, de proposer à l'attention de (futurs?) chercheurs quelques exemples de publications plus ou moins amateurs qui des années 80 à aujourd'hui faisaient de l'information sur des domaines de la création populaire marginale. Il est à remarquer cependant que les revuettes et autres fanzines évoqués n'étaient pas à proprement parler des fanzines d'art brut (même si Céline Delavaux dans sa contribution à ce numéro Hors-Série contourne le problème en parlant de "manières d'édition brutes"...). Si l'on s'en tient aux définitions du concept inventé par Dubuffet, la seule revue d'art brut qui ait véritablement existé des années 60 jusqu'à aujourd'hui est ce que l'on appelle improprement "les Cahiers de l'Art Brut" et qu'il faut plutôt appeler les Fascicules de la Collection de l'Art Brut, émanant comme le dit le titre de la fameuse Collection installée à Lausanne depuis les années 70. En réalité les revuettes évoquées dans ce numéro lié à la rencontre de Bègles évoquent toutes sortes de formes de création, de l'art brut strict, jusqu'à l'art contemporain insolite, en passant par des artistes singuliers historiques, les environnements spontanés (pas tous réductibles à l'art brut), l'art des handicapés, les graffiti, le surréalisme conscient ou inconscient, l'art visionnaire, les fous littéraires, l'excentricité en littérature, l''art naïf, etc, etc. Comme s'il n'était pas possible de monter une publication qui se circonscrirait  uniquement à l'art brut. Ce constat, très peu dans ces "actes" ne le mentionnent et pourtant, il aurait mérité d'être mentionné et peut-être débattu.

      A signaler enfin que malgré une promesse entendue pendant la journée du 23 novembre le numéro hors-série en question n'est pas parvenu à nous restituer sous une forme écrite (pourtant il y eut captation par la vidéo et le son) les échanges qui eurent lieu durant cette journée, notamment la table ronde finale entre Jean-Claude Caire, Bruno Montpied, Gérard Sendrey, Pascal Rigeade et Denis Lavaud. Peut-être aurons-nous cette restitution plus tard notamment sous une forme vidéo mise en ligne sur le site du Musée de la Création Franche?

       On l'aura donc compris, c'est auprès de ce dernier qu'il faut se rendre pour se procurer ces diverses publications récentes.

03/10/2014

Du bon usage des doigts de fée

sex shop et coiffure à Annecy.jpg

Ah les charmants télescopages... Cela faisait longtemps qu'on n'était pas retombé sur un beau : merci à Fatimazara Khoubba et Alain Dettinger pour cette photo judicieusement enclenchée ce jour-là, à Annecy, 2014

26/09/2014

La maison de la gaieté de Chérac: un autre chef-d'oeuvre en péril

     Des camarades m'ont signalé depuis plusieurs mois l'existence à Chérac (à deux pas de Cognac en Charente-Maritime) d'une maison couverte de mosaïques où s'étale sur une des façades l'inscription visible de loin, "LA MAISON DE LA GAIETÉ". Il s'agit d'un travail d'autodidactes, un père et son fils, Ismaël et Guy Villéger, qui de 1937 à 1952 avaient choisi de décorer d'un million de cassons de vaisselle les murs extérieurs de leur cabaret de campagne. Cela mettait à l'évidence de la couleur au bord de la route, signalant de façon immédiate aux soiffards de passage qu'ils trouveraient là bonne humeur et joie de vivre. Des fenêtres en trompe-l'œil et des grappes de raisins avaient été représentées pour égayer les parois en mosaïque.

 

maison en mosaïque de chérac,ismael et guy villéger

La Maison de la Gaieté, photo Eric Straub, 2012 ; à noter que la façade à droite derrière les palmiers (qui ont depuis disparu, ce qui est déjà bien dommage) possédait aussi des mosaïques qui sont tombées au fil du temps

 

     Eh bien, cette maison qui s'était maintenue vaille que vaille jusqu'à nous depuis les années 50 de l'autre siècle, voilà-t'y pas que la nouvelle équipe municipale arrivée au pouvoir récemment s'est mise en tête de s'en débarrasser Elle en est en effet la propriétaire. Comme paraît-il elle coûte trop cher (ah bon? Faudrait voir ça de plus près), le conseil municipal veut la vendre. Et le candidat au rachat a demandé si on ne pourrait pas la démolir... Histoire de mettre à la place sans doute quelque banalité architecturale qui n'attirera plus aucune attention.  Elle est prudente, la dite équipe municipale, elle s'est dite, on va demander à l'architecte des monuments de France si une étude de la démolition pourrait être faite. C'est que par ailleurs, si je suis l'article de Sud-Ouest qui évoque la question (merci à Michel Valière de me l'avoir transmis), "la maison et ses objets étaient en cours d'instruction pour être inscrits à l'inventaire général du patrimoine, au titre des Monuments historiques". Sans doute quelques esprits un peu avertis du patrimoine populaire des bords de routes avaient dû s'inquiéter de la sauvegarde de ce décor, et avec juste raison selon moi.

 

maison en mosaïque de chérac,ismael et guy villéger

La Maison de la Gaieté, détail, les grappes de raisin, ph. Eric Straub, 2012

 

 

      On avait pourtant parlé d'en faire un musée, ce qui aurait pu être une bonne idée. Ignore-t-on à Chérac qu'il existe dans cette même région un autre site, décoré de 400 statues cette fois, là aussi naïves, par un menuisier nommé Gabriel Albert pour lequel la région s'est récemment mobilisée afin de chercher la possibilité de le préserver durablement? C'est à Nantillé, entre Saintes et St-Jean-d'Angély. Tout près de Nantillé, à Brizambourg, existe aussi le jardin naïf rempli d'animaux en ciment de Franck Vriet. Et un peu plus loin à Lavaure, près d'Yviers, en dessous d'Angoulême, n'oublions pas le site étonnant de Lucien Favreau. En France, on recense ainsi des dizaines et des dizaines d'environnements tous plus excentriques et merveilleux, plus anti conformistes les uns que les autres, créés par des autodidactes d'origine populaire, qui mériteraient qu'on les documente par des centres d'information et des petits musées qui constitueraient un réseau de points de documentation et de sauvegarde relié les uns aux autres à travers la France. C'est la culture créée par le peuple pour le peuple qui est ici en jeu. Sans oublier qu'en préservant ainsi ce genre de sites artistiques rares, on crée une ressource touristique supplémentaire pour des communes qui n'en ont pas forcément tant que cela.

 

maison en mosaïque de chérac,ismael et guy villéger

Détail de la fenêtre en trompe-l'œil imaginée par Ismaël Villéger et son fils, ph Eric Straub, 2012

 

     Souhaitons donc que le nouveau maire de Chérac laisse tomber son projet funeste, et que la population de cette commune se rende compte qu'en le laissant agir comme un vandale institutionnel elle perdrait un fleuron de l'architecture populaire insolite, et qu'elle fasse pression pour que cela n'arrive pas.

 

maison en mosaïque de chérac,ismael et guy villéger

On tapait le carton aussi à la Maison de la Gaieté, comme l'indiquent les piques, carreaux, trèfles, cœurs qui dégringolent à gauche... Ph. Eric Straub, 2012

 

24/09/2014

Deux petits événements à retenir pour les "Happy few"

      Cette semaine, j'ai oublié de les mentionner, il y a deux rendez-vous.

     Le premier, c'est sur Radio-Libertaire demain matin (jeudi 25 septembre) de 10h30 à midi dans l'émission Chroniques Hebdo animée par Gérard Jan. Je suis invité à causer de ma participation à l'exposition actuelle de la Halle Saint-Pierre "Sous le vent de l'art brut 2, la collection De Stadshof", de l'animation du présent blog et aussi de mon article paru sur les bouteilles malicieuses du couple Beynet dans le n°3 de la revue L'Or aux 13 îles.

 

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Bouteille de Louis et Céline Beynet, des filles et des monstres, coll. BM

 

     Et le deuxième événement, quel art de la transition, n'est-ce pas?, c'est justement la présentation de la revue L'Or aux 13 îles de Jean-Christophe Belotti à la librairie du Sandre, rue du Marché Ordener dans le 18e ardt de Paris vendredi soir. Tous les amateurs de cette splendide revue sont cordialement invités à venir boire un coup et discuter avec les collaborateurs de cette revue. Voir le fichier PDF en lien ICI.  

14/09/2014

Un message d'Agnès et Sophie Bourbonnais

 Voici un mois, le 10 août, que notre mère, Caroline Bourbonnais, nous a quittés dans sa quatre-vingt-onzième année, sans souffrance, dans sa maison de Dicy, entourée de ses proches. Nous tenons à remercier très chaleureusement tous ceux qui nous ont témoigné leur sympathie.

        Souvenons-nous du parcours de Caroline et d’Alain qui se marièrent en 1955. Caroline, après l’avoir soutenu dans ses projets d’architecture, l’accompagna dans l’aventure de l’Atelier Jacob, galerie d’art hors-les-normes à Paris de 1972 à 1983. A la fermeture de celle-ci, ils créèrent ensemble le musée de La Fabuloserie à Dicy dans l’Yonne.

Tous ceux qui ont connu nos parents se souviennent que cette aventure était en permanence partagée par toute la « tribu Bourbonnais », comme l’ont nommée Jean Dubuffet et Michel Ragon: visites chez les créateurs, montage des expositions à l’Atelier Jacob, participation active à la fabrication des Turbulents et aux films, à l’impression des gravures, sauvetage du Manège de Petit Pierre…

Au décès d’Alain en 1988, notre mère a pris la direction du musée familial et c’est tout naturellement que nous avons mis nos compétences respectives et celles de nos conjoints au service de La Fabuloserie pour la gestion des travaux, la participation à la conception et à la réalisation des quatre ouvrages édités par La Fabuloserie et par Albin Michel et, depuis quelques années, pour la gestion du personnel et des finances.

Ainsi, nous avons déjà imaginé l’hommage que nous souhaitons rendre à notre mère, dont la motivation pour la mise en valeur de la collection est notoirement reconnue, ainsi que son énergie à développer le rayonnement national et international de La Fabuloserie.

Cet hommage prendra la forme, à la saison prochaine, d’une exposition, dans une pièce entière du musée, consacrée à ses découvertes et ses apports à la collection, sans oublier les créateurs avec lesquels elle avait tissé des liens d’amitié. Nous espérons que tous ceux, fort nombreux, qui nous ont fait part, depuis le 10 août, de leur admiration et de leur affection pour Caroline se feront un plaisir de nous accompagner dans cet hommage. A la saison prochaine donc à Dicy.

        Agnès et Sophie Bourbonnais

 

03/09/2014

Postérité des environnements (9): la maison recombinée d'Antoine Puéo en danger de mort résiste encore...

     Des architectures d'autodidactes populaires, à part quelques exemples fameux comme le Palais Idéal du Facteur Cheval à Hauterives, la maison de Picassiette à Chartres, celle de Joseph Meyer à Berck-Plage, le collage de maquettes de monuments autour de la villa des époux Billy dans le Rhône la tour Travert et ses fers à cheval soudés dans le Maine-et-Loire, les demeures troglodytiques ornées comme celle de M. Roux dans le même département, les galeries souterraines de Jean-Marie Massou dans le Lot, la maison caparaçonnée de Jeanne Devidal à St-Lunaire, il n'y en a pas tellement en France, si on les compare aux nombreuses autres disciplines artistiques rencontrées dans les espaces populaires entre habitat et route. C'est plutôt les réalisations mobilières qui l'emportent sur l'immobilier, statues, mosaïques, fresques, accumulations, jardins topiaires, etc.

 

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Sans doute ce cliché des archives familiales conservées par Mme Ruig, petite-fille d'Antoine Pueo, montre un des états antérieurs de la "maison fleurie" de Lézignan ; merci à Jean-Louis Bigou de nous avoir transmis ce document

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Carte postale peut-être des années 70 montrant la même maison en rocaille, après déconstruction-reconstruction, Antoine Pueo apparaissant vraisemblablement au sommet de la construction, ainsi que sa femme (peut-être) à une fenêtre du premier étage, coll. Bruno Montpied

 

     C'est pourquoi la maison, l'immeuble plutôt, d'Antoine "Tounet"¹ Pueo à Lézignan-Corbières, fait partie des exemples architecturaux très rares, réalisés en pleine ville qui plus est par un autodidacte qui se permit de tripatouiller lui-même sans architecte sa propre demeure, en la recombinant, eut-on dit, d'étage en étage, rajoutant une balustrade par ci, éventrant des murailles par là, installant un système d'arrosage de ses nombreuses plantations en jardin suspendu qui recueillait les eaux de pluie, incrustant des statuettes dans des niches (qui ont été mises de côté par sa petite fille, voir le blog de J-L. Bigou), etc. Le tout prenant au fil du temps l'allure d'une gigantesque rocaille éruptive poussée en pleine zone urbaine.

 

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La maison ex-fleurie, photo BM, juillet 2014

 

    Elle a résisté près de cinquante ans. Je la croyais même disparue depuis belle lurette, jusqu'à ce que je découvre par une note du blog de Jean-Michel Chesné, puis par les nouvelles informations glanées par Jean-Louis Bigou sur son sympathique blog De l'art improbable dans l'Aude et ses environs, qu'elle était encore debout. Un répit de dernière minute me permit de photographier ce qui en subsistait en juillet dernier. En effet, la découverte de vestiges archéologiques tout près du bâtiment avait suspendu les travaux de démolition qui affectent de façon idiote tout le quartier de la "maison fleurie", surnom donné par les habitants et les journalistes à la construction rocailleuse de Pueo.

 

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Comment mieux mettre en évidence la guerre totale que mènent les urbanistes à la solde du pouvoir face aux demeures du peuple? Art "contemporain" contre art brut... Ph. BM ,juillet 2014

 

      Parce qu'il faut dire que la municipalité a décidé de passer un grand coup de balai dans ce vieux quartier populaire de Lézignan, aux petites boutiques simplissimes, au charme convivial, habité entre autres par des familles de Gitans, pour construire à la place des clapiers déshumanisés et sans âme comme aiment en produire au kilomètre les édiles et les urbanistes contemporains. Déjà, comme on le voit ci-dessus, on a placardé une espèce de fresque creuse et mochissime juste devant la maison en rocaille, prélude spatialement évident à la censure définitive annoncée pour bientôt de la maison d'Antoine Pueo.

     Et pourtant, habitants de Lézignan et gens de passage, cette maison était un des rares exemples français de création architecturale foutraque et naïve encore tolérée sur notre territoire. Vous aviez des amateurs qui se déplaçaient de loin pour venir la photographier. Si vous la détruisez, que viendront-ils faire à Lézignan ? Il n'y aura plus rien à voir...

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¹ Et non pas "Quinet" comme l'appela de manière erronée Yves Rouquette dans un article ancien de la défunte revue Les Cahiers de l'Office.

15/08/2014

Disparition de Caroline Bourbonnais, et hommage à la Fabuloserie

     Caroline Bourbonnais est décédée dimanche dernier. Décidément, après Madeleine Lommel, Monika Kinley (décédée au début de cette année à 88 ans), Charlotte Zander (elle aussi disparue cette année), une page se tourne avec ces femmes d'une incroyable pugnacité qui bâtirent des collections d'art hors les sentiers battus des années 70 aux années 2000. Caroline Bourbonnais, devenue la vestale de la Fabuloserie après le décès de son mari architecte et artiste Alain Bourbonnais en 1988, tenait d'une main de fer dans un gant de velours la collection d'Art-Hors-les-Normes qui est installée à Dicy dans l'Yonne, et divisée en deux parties particulièrement révélatrices dans leur spatialité des conceptions du couple Bourbonnais. Elle paraissait éternelle, personnellement je ne me souciais aucunement de chercher à connaître son âge, tant son rôle de gardienne intemporelle des lieux lui composait un masque d'intangibilité. Je n'ai découvert son âge (90 ans) qu'en apprenant sa mort, cette dernière inéluctablement associée au temps qui nous emporte tous.

 

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Parc de la Fabuloserie consacré aux environnements spontanés, avec des statues de Camille Vidal et des médaillons en mosaïque de François Portrat sur le mur de présentation rouge conçu par Alain Bourbonnais, ph. Bruno Montpied, 2011

 

     A la Fabuloserie, ouverte en 1983, il y a le bâtiment, qui se ramifie par des surgeons greffés ou ouverts ces dernières années, conçu comme un labyrinthe et qui abrite des œuvres peintes, brodées, tissées, collées, sculptées, etc., et il y a le parc, consacré à une sorte de musée des environnements spontanés d'habitants-paysagistes quasi unique en France, voire en Europe. Ce parc a reçu en effet au fil du temps des fragments d'environnements sauvés de la destruction et du vandalisme, ce qui est le lot quasi fatal de ces formes de créations de non-artistes, fragments entretenus, restaurés, par des équipes formées par les Bourbonnais, des passionnés qui entrent en empathie avec les œuvres qu'ils choisissent de prolonger en les réparant et en les remontant, qu'on songe au magnifique sauvetage du "manège" de Petit-Pierre par exemple.

 

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Le manège de Petit-Pierre, ph. BM, 2011

 

       La Fabuloserie fut créée dans le prolongement de l'activité de l'Atelier Jacob qui s'était constitué dans le VIe arrondissement parisien dès le début des années 70, Alain Bourbonnais collectionnant depuis les années 60, activité qui lui servait de jardin secret à côté de son activité professionnellecaroline bourbonnais,alain bourbonnais,fabuloserie,art brut,art-hors-les-normes,dicy,aloïse,jean rosset,fernand michel,les singuliers de l'art,environnements spontanés,petit-pierre,église stella matutina (il fut l'architecte, à ce que j'ai entendu dire, entre autres de l'aménagement intérieur de la station RER Nation, et de l'église Stella Matutina à Saint-Cloud -église où entre parenthèses le signataire de ces lignes, bien avant de connaître l'art brut, à douze ans, fit sa communion... avant d'abjurer toute croyance en Dieu, le jour même de la cérémonie !). Bourbonnais avait décidé de continuer en France la prospection d'art brut, d'autant qu'il regrettait le départ de la collection de Dubuffet vers la Suisse en 1971.

 

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A l'intérieur de la Fabuloserie, des enseignes de coiffeur africaines, un Fernand Michel semble-t-il, des sculptures de René Guivarch, de Jean Rosset, un bateau de Ratier, photo extraite du site web de la Fabuloserie

 

           Cela dit, est-ce tout à fait le même "art brut" que l'on trouve à Dicy et à Lausanne? S'il y a des Aloïse à la Fabuloserie, et des Ratier, on y trouve aussi, mêlés sans distingo, beaucoup d’œuvres d'artistes singuliers, comme Nedjar, Francis Marshall, François Monchâtre, Verbena et autres Moiziard ou Lortet et Chichorro. Les deux Bourbonnais recherchaient semble-t-il avant tout l'étonnement et l'émerveillement générés par les œuvres qu'ils rencontraient au gré de leur quête, qu'ils proviennent du contact de créateurs autodidactes, bruts, populaires ou naïfs, ou d'artistes marginaux. L'exigence de leur regard esthétique aidait à fondre ces créations, hétéroclites au départ, dans un creuset unitaire. La Collection d'Art Brut de Dubuffet était plus intransigeante, cherchant avant tout chez le créateur recherché l'écart vis-à-vis de toutes références culturelles artistiques. Les créations plus mêlées au cirque artistique ambiant étaient rejetées dans une collection dite "annexe" qui fut rebaptisée par la suite la collection Neuve Invention.

 

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Caroline Bourbonnais faisant visiter le manège de Petit-Pierre à la Fabuloserie, photo A.Gacon, sur le site lYonne.fr

 

     Caroline Bourbonnais aura grandement fait grandir la collection qu'elle avait commencée avec son mari, tout en préservant l'unité architecturale labyrinthique voulue par Alain Bourbonnais. Depuis plus de trente ans, c'est grâce à elle que l'on continue d'avoir au cœur de l'Yonne ce double cabinet des merveilles, conjuguant intériorités et extériorités poétiques d'autodidactes divers. Ses filles Agnès et Sophie la secondaient depuis quelques années, reprenant progressivement le flambeau. Il semble donc que dans l'avenir immédiat il n'y ait pas de souci à se faire pour la poursuite de l'aventure "fabulose"... Mais Caroline Bourbonnais, elle non plus, nous ne l'oublierons pas.

09/08/2014

Que voyez-vous?

    On va jouer à un autre jeu. Je propose aux internautes de passage par ce blog de me dire ce qu'ils voient, ce qu'ils interprètent, lorsqu'ils contemplent l'image ci-dessous. Un petit texte à publier dans les commentaires, s'il vous plaît... Les plus inspirés (mon jury de lecture est payé très cher) seront sélectionnés et anoblis à la dignité de textes principaux, posés en dessous de l'image. Il s'agit d'arriver face à elle de la manière la plus vierge possible

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Jean-Pierre Paraggio, Mon Chien - La nuit sur l'ongle, 29x19, cm, 2002

 

Que voient-ils donc? :

"Une grotte aux pirates"

(Benjamin Ravage)

"Trés intrigant ce dessin littéralement en camaïeu. A première vue, il m'inspire beaucoup de musiques avec ses cordes multiples et ses volutes. Et puis, sur la droite je voudrais y reconnaître un(e) "persona",un masque de théâtre grec, avec une bouche qui déclame ou chante ; une barbe même au menton... Cet assemblage de formes géométriques, orales et musicales, évoque un souvenir lointain des portraits "horticoles" d'un Archimboldo."

(Michel Valière)

"Pour fabriquer les objets en écume de mer – pipes, brosses à dents, gratte-dos, étuis péniens et autres prolongements de notre anatomie – on ne dédaigne pas la tonalité romantique des nuits de lune, on marche sur les plages au cours de telles nuits, les yeux fixés sur le feston grisâtre que forme la mer à son contact avec le sol du littoral. Les plages sont des cimetières où l'on aime se promener pieds nus pour sentir les craquements des coquilles sur les talons. Il faut marcher à pas rapides en fixant le ruban d'écume qui pétille au clair de lune. Muni d'une petite pelle pentagonale en bois de coudrier, le ramasseur d'écume guette dans la forme de la mousse l'émergence d'une tête, d'un animal, d'un paysage, plus rarement d'une scène entière, et quand il la trouve, il décolle une plaque d'écume avec sa pelle et la dépose plus haut sur la plage, à l'abri de la marée, où elle sèchera à la lumière pâle, s'agglomérant aux fragments de cadavres que recèle le sable modifiant encore la forme originelle.
Ensuite interviennent les pâtissières, en nombre identiques aux ramasseurs d'écume. Elles ne sont plus vierges depuis une lunaison. En haut de la plage, elles ont allumé un feu de branches de coudrier, et elles y font chauffer dans un grand chaudron un caramel de miel qui brille comme de l'or en fusion. Lorsque le caramel est bien fluide, chacune en lance une grande louchée sur un grand miroir où elle s'étale en plaque translucide ; pendant toute la fin de la nuit, les plaques ainsi déposées par les pâtissières vont sécher, se gonfler, se charger de bulles et prendre des formes particulières, selon l'humeur et les désirs des jeunes filles qui les ont créées. Pendant ce processus, ramasseurs d'écume et pâtissières, en commun, construisent des cages en bois de coudrier un peu plus haut encore sur la plage.
Quand plaques d'écume de mer et plaques de caramel sont sèches, on compare l'effet obtenu et on regroupe par paires les plaques dont des détails se superposent absolument. Il y en a toujours qui forment ainsi des couples. Jeunes pâtissières et ramasseurs d'écumes s'apparient ainsi et se tiennent main dans la main devant leurs plaques réunies.
Alors interviennent les verriers. Toute la journée suivante, reproduisant les dessins des plaques dans la pâte de verre, ils soufflent pour chaque couple cinq plaques de verre dans lesquelles se retrouvent superposés les désirs de chaque ramasseur d'écume et de chaque pâtissière. Une fois les plaques de verre obtenues, au soleil couchant, chaque couple s'allonge dans la cage qui lui est dévolue et on fixe sur les charpentes de bois de coudrier les quatre plaques de verre des murs, et la plaque de verre du toit. Il s'agit de verre couleur d'ambre, où se retrouvent tous les motifs des désirs figés dans l'écume des hommes et le caramel des femmes. Pendant toute la lunaison suivante, les couples se feront l'amour dans ces cages de verre coloré, et sur leur peau nue l'image des motifs des plaques de verre projetée par le soleil le jour, par la lune la nuit, s'imprime fugacement. Le sol est recouvert d'une membrane enduite de gélatine de veau. Sur cette membrane, l'image projetée des corps et des motifs des désirs se fixe.
A la fin de la lunaison, lorsque les amants s'échappent des cages et s'éloignent main dans la main le long du littoral, intervient Jean-Pierre Paraggio. Muni d'un petit pinceau, il reprend quelques détails des motifs imprimés sur les membranes abandonnées, estompe ici, renforce là. Voici enfin percé le secret de son œuvre.
Sur ce fragment, une huître joue de la guitare."

(Régis Gayraud)

"Je vois un singe aztèque, un animal savant et moqueur qui porterait la coiffe des civilisations perdues. Quelque chose comme l'ironie des mondes enfouis."

(Laurent Albarracin)

"Un maraudeur, le ventre plein de fils de pêche, d'écrous et d'épingles à linge, se laisse envahir par la moisissure au sortir de la nuit."

(Darnish)

"Comme cette œuvre me semble faite d'objets métalliques, je dirais que c'est un automate oiseau escargot perché sur son nid en train de nourrir son petit."

(Voilesdoiseaux)

"Il me fait penser au Château Ambulant, l’œuvre si forte de Miyazaki inspirée du roman "le Château de Hurle" de Dianna Wynne-Jones. Un château ambulant qui aurait une tête et un corps germés sur l'édifice primitif (mais il me semble me rappeler que le château de Miyazaki a en effet bien une tête...). Corps et tête très semblables à ceux de quelque soudard, quelque reître du Moyen-Age. Son armure est tatouée des mille déchets dans lesquels il s'est roulé au cours de ses combats. Et comme le château dont il est le prolongement, il avance en brinquebalant à travers la campagne, dans les ténèbres, guidé par une pauvre petite étoile qui brille au firmament, constamment en butte aux risques d'un démantèlement, d'une démantibulation de ses vis, écrous, plaques de métal mal attachés, le tout grinçant dans des bruits crispant de fer rouillé frotté sans huile depuis des lustres. En son cœur dort encore et toujours Calcifer, son feu secret qui le maintient en vie, et qui supplie la jeune-vieille Sophie: "Sophiiiie, attention! Mon feu s'éteiiiint...!" "

(Le Sciapode)

"Les rouages d'un hibou prolifèrent sous l'écorce de la nuit."

(David N.)

"Elle tend le cou, le tend pour essayer de se débarrasser de ce masque qui l'empêche de respirer... Sans mains c'est difficile de se libérer... Sans doute voudrait-elle hurler à la lune... mais les pièces, les rouages, les vis empêchent les cris de sortir de sa gorge... Combien sont-elles à souffrir ainsi...?"

(Claudine)

"Le chien hurle entre chien et loup une caresse douce à l'oreille d'une fraise sauvage des bois. La lune monte pendant ce temps sur la table du ciel en bois. J'ai traversé à cheval le miroir intime des dures relations humaines. Le loup a tué le chien. J'ai ouvert un livre sans images et sans mots. Je me suis assis sous la lune pour attendre le lever du soleil...."

(J.Guirao)

"C'est une omoplate, celle d'une femme très mince, voire maigre, un peu osseuse, une de ces femmes tellement émouvantes, dont le corps ne semble qu'une ébauche façonnée pour en agrémenter les orifices offerts au plaisir. Décharnée, celle-ci n'a que la peau tendue sur des épaules qui passeraient pour enfantines, s'il n'y avait pas ces excroissances, ces calcifications, ces tumeurs."

(Isabelle Molitor)

02/08/2014

Info-miettes (24): expos tour de France avec un détour par la Suisse

Musée de la Création Franche à Bègles (Gironde)

     Pendant l'été, jusqu'au 7 septembre, se tient à Bègles l'exposition "Côtes Ouest" qui confronte huit créateurs français et espagnols et huit créateurs américains de la côte californienne. Il semble qu'il s'agisse de confronter les travaux produits dans des ateliers ouverts où il y a du passage, et où l'intimité peut de ce fait être relative, et les œuvres créées dans des espaces plus secrets par des individus isolés. Les noms des créateurs exposés sont sur l'affiche. "Cako" Boussion râle parce qu'il aurait pu en faire partie, vu qu'il est originaire de la côte ouest française, C'est un Basque, Cako.

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Musée des Arts Buissonniers, Saint-Sever-du-Moustier

    Les Arts Buissonniers y vont aussi de leur expo estivale. en plus, ils ont un étage de plus pour la collection permanente, avec un espace dévolu aux boîtes coquillées de Paul Amar. C'est depuis le 12 juillet et cela dure jusqu'au 1er novembre. Saint-Sever c'est tout près de St-Affrique, dans l'Aveyron, pas loin de l'Aude, à côté des monts de Lacaune. Il y aura entre autres Patrick Chapelière, Sylvain Corentin, Anaïs Eychenne,Chris Hipkiss, l'incontournable Joël Lorand, Jean Tourlionas...

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Anaïs Eychenne au Musée des Arts Buissonniers

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Solange Knopf exposée à Paris

     Enfin une occasion pour les Parisiens de voir en réalité les travaux de l'excellentissime Solange Knopf qui, grâce à la galerie Polysémie (de Marseille) qui a loué l'espace, va exposer à partir du 30 septembre jusqu'au 5 octobre à la Galerie B&B (6 bis, rue des Récollets, à côté du Canal St-Martin, près du Square Villemin pour ceux qui connaissent Paris). Elle sera avec un certain H.Ripley, pas connu de moi, mais qui a l'air intéressant. Mais je préfère ici dire mon plaisir de pouvoir découvrir en vrai les œuvres enchantées de Knopf.SK Femmes n°7, 2012, crayons de couleur, 182x7cm.jpg

Ci-contre Solange Knopf, Femmes n°7, 2012, crayons de couleur, 182x7cm, Galerie Cavin-Morris (à New-York) ; cette œuvre ne sera pas à Paris

 

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Solange Knopf, ce dessin sera lui par contre à l'expo de Paris

 

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Collection de l'Art Brut, Lausanne, fin de règne

     A Lausanne, un tournant serait-il pris dans la politique à la fois d'acquisition de la Collection et de gestion de son personnel ? Lucienne Peiry, après avoir été conservatrice de la Collection pendant treize ans, et avoir été nommée ensuite directrice des relations internationales, vient de se voir remerciée par le syndic de Lausanne, Daniel Brélaz, qui paraît lui reprocher trop d'acquisitions, et de plus menées trop loin de l'Europe... La Collection croulerait sous les acquisitions? Eh bien tant mieux! L'art brut existe dans le monde entier, il a un côté universel donc, c'est un fait. Il semble que ce responsable lausannois ne veuille pas de l'idée d'un agrandissement des collections, au prétexte que la ville aurait des petits moyens économiques. Quel esprit étriqué! Pourquoi, chers amis helvétiques, devant un si patent manque d'ambitions, ne pas réfléchir dès lors à un transfert des collections vers un autre endroit plus vaste et une ville plus audacieuse? Gageons en tout  cas que Lucienne Peiry saura réagir et rebondir dans un autre cercle pour continuer à nous faire part de ses recherches.

 

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Affiche de l'expo de la CAB avec Gustav Mesmer et ses engins volants bricolés

 

    Actuellement, on peut voir à la Collection la dernière exposition montée par Lucienne Peiry, la bien nommée "L'Art Brut dans le monde" (qui a fait l'objet d'un magnifique catalogue ; du 6 juin au 2 novembre) où l'on peut découvrir plein de nouveaux venus, et une autre expo sur "Joseph Baqué", l'homme des monstres merveilleux dont j'ai déjà parlé ici (du 6 juillet au 26 octobre).

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Le Musée du Veinazès expose les dessins de René Delrieu

    Les curieux avaient peut-être remarqué les dessins naïfs de Delrieu à la récente exposition Recoins dans la galerie de la Halle Saint-Pierre. C'est un créateur dont j'ai déjà eu également à causer sur ce blog. Le musée du Veinazès de Bernard Coste qui a mis à l'abri plusieurs de ces œuvres et qui l'expose souvent a décidé cet été, du 14 juillet au 28 septembre, de présenter l'intégrale des dix dessins conservés par lui, graphismes qualifiés à juste titre par lui de "petit trésor cantalien", faisant écho aux sculptures métalliques que le musée conserve également par ailleurs. Vous aviez deviné ce musée, c'est dans le Cantal.

 

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René Delrieu, Labour et maréchalerie, coll. Musée du Veinazès

 

 

21/07/2014

Portrait brouillé à la Pointe Courte

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L'adolescence, photo Bruno Montpied, Sète, 2014

18/07/2014

L'OR AUX 13 ILES, pour un numéro 3 au cœur de l'été, on souscrit!

     C'est pas une date dira-t-on pour sortir une revue, surtout quand on l'attend depuis un bail... Jean-Christophe Belotti, son animateur, se moque de ce genre de problématique car il compte sur le bouche à oreille, sur le réseau des lecteurs qui avaient déjà repéré les deux numéros précédents. Et puis, il sera toujours temps de le faire connaître par les librairies à la rentrée. Et puis encore, la revue est tellement intéressante que peu importe le moment où on la sort...

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La couverture du nouveau numéro de L'Or aux 13 îles

      Pour ceux qui n'ont pas déconnecté de leurs petits écrans internet en ce mois de juillet, j'annonce donc la parution de ce troisième opus de cette revue toujours aussi soigneusement présentée (elle est à l'impression pour le moment). La couverture du numéro est peut-être la plus belle des trois parues. Pour souscrire, il faut cliquer sur ce lien au bout duquel vous trouverez un bon de commande avec quelques pages de la revue reproduites en vignettes. Pour ceux qui ne connaissent pas -ou ne voient pas j'en connais, du côté de Clermont-Ferrand...-  ce que j'appelle un lien, ils pourront toujours écrire à l'adresse de la revue: Jean-Christophe Belotti, 7, rue de la Houzelle, 77250 Veneux-les-Sablons en envoyant un chèque de 22€ + 4,50€ de frais de port (pour le numéro 3 ; mais on peut aussi acheter les deux numéros précédents: 30 €+ 4,50 de frais pour les deux). Et ils pourront aussi consulter le sommaire que la revue nous a gentiment communiqué:

 

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L'Or aux 13 îles n° 3, le sommaire ; l’œil dans l'oreille c'est peut-être pour souligner le rapport à la musique qui s'est invité dans ce numéro à travers deux contributions, dont un CD qui est joint au numéro

     On notera l'importance du dossier consacré à Alan Glass, surréaliste créateur entre autres de poèmes-objets qui vivait au Mexique, ami de Léonora Carrington, dont des dessins furent publiés en leur temps par André Breton et Benjamin Péret et qui a fait l'objet d'un film d'art dans la collection de documentaires sur des artistes surréalistes de la série Phares Seven Doc.

     Ce numéro contient aussi des contributions de Joël Gayraud et de Mauro Placi (des habitués des commentaires de ce blog), un scénario inédit, Les Insectes, de Jan Svankmajer, et divers compte-rendus consacrés à d'importantes publications parues ces derniers mois (sur l'univers de Svankmajer, sur Krizek, sur Laurent Albarracin, et sur Stanislas Rodanski).

 

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Deux pages de la revue consacrées au début du texte de Bruno Montpied sur "Les Bouteilles Malicieuses des époux Beynet"

 

       Enfin, je ne peux passer sous silence ma propre contribution visant à dévoiler quelque peu l’œuvre atypique et naïvo-brute de deux autodidactes auvergnats, les époux Beynet, qui dans les années 80 de l'autre siècle produisirent en secret, pour leur plaisir intime, près de deux cent bouteilles peintes sur leurs pourtours de saynètes drolatiques. Je suis très fier de cette découverte faite à un moment où les bouteilles en question étaient sur le point d'être dispersées. J'en ai ainsi récupéré près d'une centaine que l'on voit ci-dessous, en partie, accrochées à mes plafonds, dans un dispositif qui ressemble à celui qu'adoptaient chez eux dans leur musée secret à Auzat-sur-Allier les Beynet:

 

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Louis et Céline Beynet, 9 bouteilles peintes, coll. et ph. Bruno Montpied, 2014

 

   Une fois la période de souscription passée, je suppose qu'on pourra trouver la revue à Paris à la librairie de la Halle St-Pierre par exemple.

      

10/07/2014

"Il était une fois l'art brut"

     Le Collectif de Réflexion autour de l'art Brut (CRaB) monte actuellement une exposition qui vise à démystifier un certain nombre de clichés relatifs à l'interprétation chez de nombreux observateurs quant à ce que peut être l'art brut et ce qui s'y joue. Cela se passe dans  les locaux d'Art et Marges à Bruxelles du 13 juin au 10 octobre 2014.

 

art et marges,crab,il était une fois l'art brut

Affiche de l'expo reflétant la couverture du catalogue avec les mêmes petits carrés aquarellés fadasses réalisés pour l'expo par un artiste contemporain

 

     Le sous-titre donne un peu la clé du projet: "fictions des origines de l'art". A-t-on affaire avec l'art brut avec un corpus d’œuvres qui mettraient en pleine lumière un art originel (cela me rappelle que certains dans les années 80 (Jean Revol par exemple?) avec l'art des handicapés mentaux avaient parlé à leur propos "d'art originaire")? Les auteurs du CRaB ne le pensent pas. Ils récusent de contribution en contribution au fil du catalogue les différents amalgames que l'on voit périodiquement se construire et se reconstruire à propos de l'art brut, associé et confondu par exemple avec l'art des enfants ou l'art primitif, instinctuel. Le mot de primitif est par ailleurs jugé raciste par Baptiste Brun.

      L'exposition est paraît-il, si je suis les propos de Déborah Couette et Céline Delavaux qui signent l'avant-propos du catalogue, organisée de façon à camper visuellement, avec des couleurs (rose bonbon pour les œuvres qu'on pourrait associer à l'enfance, noir charbon pour les œuvres qu'on rapproche de l'art dit primitif, "vert sauvage" pour les œuvres avec des matériaux naturels...) les différents amalgames que les divers critiques pratiquent à l'égard d'un art brut qui doit selon les auteurs garder sa fonction d'affoleur et de questionneur (elles soulignent qu'elles ne veulent pas tomber dans le piège qui consisterait à le définir, elles reprennent ainsi la fameuse sortie de Dubuffet qui consistait à dire - je cite de mémoire : "L'art brut, c'est l'art brut et tout le monde a très bien compris").

     Bon, mais le lecteur reste tout de même un peu sur sa faim à suivre toutes ces remises en cause (qui me font penser par association d'idées aux exégèses multiples qui ont suivi le surréalisme surtout à partir des années 90 et qui pour la plupart, diverses et gloseuses dans des sens contradictoires, ont fini par brouiller entièrement le message initial). Sans compter que ce même lecteur ne se retrouve pas forcément dans la maquette du catalogue de l'expo assez laid et austère d'où le principe de plaisir semble avoir été banni (et que dire de cet artiste contemporain appelé "Messieurs Delmotte" avec ses photos campant une sorte de grand dadais jouant à dada réchauffé sans aucune force subversive, juste creux?). Et puis tous les contributeurs du CRaB ne semblent pas forcément vouloir laisser le lecteur devant un art brut seulement proposé comme indéfinissable (pourquoi pas indicible pendant qu'on y est?), éternelle savonnette échappant des mains.

   Vincent Capt, à la fin de son texte, ressemblant à un plaidoyer structuraliste, débouche sur un art brut qui serait selon lui surtout une "manière", un nouveau logos et non pas le reflet d'une intériorité psychologique exprimée d'une façon immédiate. Sur cette notion d'immédiateté, sans être moi-même capable de beaucoup théoriser sur le sujet, il me semble que la notion ne peut se réduire seulement au "reflet de l'intériorité la plus profonde" du créateur en train d'exprimer directement dans son art ce que Dubuffet appelait ses "mouvements d'humeur". Les humeurs d'un individu voulant les exprimer dans une forme qui les traduirait le plus directement possible peuvent très bien comprendre ses pensées conscientes, donc pas forcément enfouies (inconscientes) comme celles de son ressenti inconscient. Il y a là il me semble une volonté, et plus qu'une volonté, un désir, de chercher à traduire tout le ressenti d'un vécu dans une forme des plus immédiatement perceptibles par l'autre, tentative qui vise à fondre l'art avec la vie qui ne paraît pas du tout intéresser Vincent Capt.

    Roberta Trapani de son côté si elle aussi, dans un premier mouvement de son texte présente l'art brut comme une "bête" que les marchands, les commissaires d'exposition, les critiques, les collectionneurs et autres agents de la culture cherchent actuellement  à domestiquer en l'attachant à un piquet, dans un second temps se révèle comme indécise devant la constatation du développement intense du marché de l'art se livrant avec l'intégration de l'art brut dans le spectacle de l'art contemporain à une marchandisation de la sensibilité.

    A noter que le catalogue, tandis que les sites web du CRaB et d'Art et Marges de leur côté n'en montrent aucune, propose des reproductions d’œuvres montrées sans grand soin et sans volonté de surprendre le lecteur. Là aussi c'est une certaine austérité peu alléchante qui prévaut.   

07/07/2014

Une hypothèse inédite que je formule au sujet de certaines sculptures de l'ermite de Rothéneuf

     Voici donc l'été des vacances, l'époque de transhumance (enfin, pour les plus chanceux d'entre nous parce que l'étau du travail se resserre de plus en plus, même sur ceux qui n'en ont pas, en chercher, ou simplement survivre étant une autre forme d'aliénation). Et donc, pour ceux qui partent, si vous allez du côté de Rothéneuf, à côté de St-Malo, allez donc regarder de plus près ce qui subsiste des sculptures de l'abbé Fouré.

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Abbé Fouré en pose sculpteur, vers 1908? Coll. BM

     Le temps passant, on le sait, les roches sculptées il y a plus d'un siècle à présent (de 1894 à 1908) s'estompent toujours plus, certaines ayant disparu depuis longtemps (voir carte ci-dessous).

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Sur cette carte colorisée, on aperçoit de dos des statues de Bretonnes, épouses fouillant du regard l'horizon dans l'attente du retour de leurs maris marins ; les deux femmes représentées en pied et peintes en blanc (l'abbé on le sait peignait ses statues) ont aujourd'hui disparu, sans qu'on sache exactement à quelle époque ; on notera cependant leurs emplacements, en hauteur, disposées qu'elles sont sur des sortes de socles de roches faisant piédestal ; coll. BM

    C'est pourquoi les touristes qui passent ayant de plus en plus de mal à discerner les sculptures, chaque jour qui passe les ayant passablement érodées, et confondu avec le commun des autres roches de la falaise, les touristes se concentrent logiquement sur ce qu'ils peuvent plus facilement voir, certaines têtes restées nettement visibles et comme placées en évidence, trois en particulier, une de forme triangulaire avec son menton en pointe de botte, une avec un bonnet de marin à moins que ce ne soit d'un lutin (nain de mer au lieu de nain de jardin?), et une autre belle tête de vieux loup de mer, barbu.

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Abbé Fouré, tête de profil triangulaire, ph. Bruno Montpied, 2010

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Abbé Fouré, l'homme au bonnet (de marin ou de lutin), ph.BM, 2010

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Abbé Fouré, le barbu les yeux clos (?), ph. BM, 2010

 

    Ces trois-là sont de la belle sculpture savante, taillée avec maestria et inspiration. Justement... Tout à coup, depuis quelque temps, cela me rend perplexe. Si les autres sculptures, correctement déchiffrables sur les anciennes cartes des années 1900 et parfois encore aujourd'hui ici ou là, montrent que l'abbé parvenait dans son art à un certain réalisme puissant, appuyé toujours sur la forme naturelle donnée au départ par la roche brute, ces trois sculptures-là sont d'un style plus affirmé, infiniment moins rognoneux que les autres, plus rondes généralement (il paraît que Raymond Humbert, le fondateur du musée d'art populaire de Laduz, trouvait ces formes assez analogues à des étrons, que l'on me pardonne cette digression peu romantique). Et puis, autre argument qui accentue ma perplexité parce que plus frappant, on ne les voit apparaître sur aucune carte éditée du vivant de l'abbé (et même après, dans les années 20-30)...

     Alors? Qu'est-ce à dire? Ne serait-ce pas qu'elles sont "arrivées" sur le site à une époque bien ultérieure, dans la seconde moitié du XXe siècle, après la seconde guerre, de façon posthume donc, transportées là par l'exploitant des rochers de l'époque qui reprenait l'exploitation des Rochers après l'occupation de Rothéneuf par les Allemands, le fameux Henri Brébion, auteur d'une brochure appelée "la Légende des Rochers Sculptés" où il se livre à des interprétations fantaisistes purement subjectives (reprises ensuite à l'envi par tant de plumitifs peu rigoureux jusqu'à nos jours) sur une histoire de famille de corsaires qu'aurait voulu représenter l'abbé dans ces rochers? Il aurait pu, de même que dans ses "légendes", dans l'agencement des sculptures sur le site originel, se livrer à des modifications en voulant "l'améliorer"...? Si mon hypothèse se révélait fondée, il faudrait alors s'interroger sur celui qui a réellement sculpté ces trois pièces. Est-ce bien l'abbé lui-même qui les aurait stockées à part? Dans ce cas, où étaient cachées ces sculptures que l'on ne voit ni sur les cartes des rochers début 1900 ni sur les cartes montrant l'intérieur du musée de l'ermite dans le bourg? Est-il possible d'imaginer que l'abbé les a sculptées à part et planquées, remisées sans jamais les laisser se faire photographier? Connaissant son goût de la communication via les éditeurs de cartes postales (il en existerait environ 400 paraît-il), cela paraît curieux à tout le moins, d'autant que ces sculptures paraissent les plus belles parmi celles qu'il a faites (trop belles?). On notera enfin qu'elles occupent aujourd'hui une position en hauteur, ou à tout le moins des emplacements situés de façon à bien les voir, comme si elles avaient été destinées à remplacer les statues des femmes bretonnes en train de guetter disparues à un moment donné (vol? Déplacement? Destruction?).

     Peut-on imaginer que ces trois têtes sculptées soient le résultat d'une manipulation restée inaperçue, et qu'elles soient en bref dues au ciseau d'un autre sculpteur? Je lance l'hypothèse...

28/06/2014

L'heure de reconnaître Angel Tribaldos a sonné

     Oui? Vraiment? Ce n'est pas une petite note, la plus claironnante soit-elle, je ne me fais pas d'illusions, qui fera la notoriété de ce peintre presque totalement inconnu hors de Belgique, tandis qu'en Belgique déjà sa gloire est restée fortement limitée (n'est-il pas, même, aujourd'hui, en voie d'être complètement oublié?). Et pourtant, si l'on pouvait changer le destin... Pourquoi ne pas tenter la chose?

 

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Angel Tribaldos posant à côté d'une de ses peintures, représentant, semble-t-il, une guerre de gangs, vers 1982

 

     Angel Tribaldos –c'est le nom de notre héros– ne tenait pas à laisser partir ses peintures, il lui arrivait même, lorsque d'aventure il avait pu céder une pièce à la demande de certain collectionneur, d'aller retrouver l'acquéreur pour lui racheter l’œuvre en payant le double du prix qui lui avait été consenti durant l'exposition. C'est qu'il y était fortement attaché, tout en pensant –il l'affirma plus d'une fois à ses enfants– que "plus tard elles vaudraient cher", et que par conséquent il fallait les garder dans le giron familial. Ce qui est paradoxal. En effet, pour qu'une œuvre fasse un peu parler d'elle, qu'elle prenne une valeur, il faut qu'elle ait d'abord un minimum circulé et qu'on l'ait vue. Or, en l'espèce, Monsieur Tribaldos n'exposa que fort peu et encore dans des cadres plutôt alternatifs en pays wallon (il exposa un peu aussi en Espagne, à Madrid). Comment voulez-vous que dans ces conditions on ait pu faire attention suffisamment à cette œuvre et surtout de façon pérenne? Je dois à Jean-Louis Clément, ancien galeriste, essayiste et peintre visionnaire, la découverte de la peinture fort émerveillante de cet autodidacte imaginiste dont l’œuvre se situe aux frontières du surréalisme naïf et de l'art brut.

 

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Angel Tribaldos, peinture au titre que je n'ai pas eu le temps de relever ; il semble que figure parmi les divers personnages se carambolant sur ce carrelage un portrait d'Elvis Presley, 1983, ph. Bruno Montpied, 2014

      Il habitait dans la région de Liège, où il arriva d'Espagne en 1957. Il était né en 1929, et disparut en 1998 (je ne suis pas sûr de l'exactitude de cette année). Il plaçait sa peinture dans la lignée de Magritte et de E.Peeters, un surréaliste flamand. Il faut remarquer que la présence proche de nombreux surréalistes en Wallonie et en Flandre, leur sensibilité marquée (davantage peut-être qu'en France) pour les productions des autodidactes populaires, pourraient expliquer l'essor d'une peinture naïve de type plus imaginiste en Belgique. Tribaldos peut du coup être associé à d'autres peintres manifestant une sorte de surréalisme spontané, comme par exemple le Croate Matija Skurjeni que défendit le surréaliste Radovan Ivsic en France et en Croatie. On pourrait le rapprocher aussi d'autres peintres visionnaires comme Salvatore Bonura, dit "Sabo" en Sicile dont les personnages imbriqués les uns dans les autres rappellent ceux de Tribaldos.

 

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Sabo, L'escluso, huile sur toile, collection de l'art brut, Lausanne extrait du livre d'Eva Di Stefano, Irregolari, Art brut e outsider art in Sicilia

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Angel Tribaldos, titre indéterminé, date indéterminée, ph BM, 2014

 

    En effet, la marque de fabrique des peintures de Tribaldos c'est le côté arcimboldesque de ses compositions. On sent dans plusieurs de ses œuvres (celles que j'ai pu photographier à la volée alors que sa famille déménageait sa maison, sa veuve ayant disparu en ce début d'année 2014) un désir de laisser l'inconscient proposer des figures d'animaux et d'êtres humains mélangés au sein de sujets au départ plutôt réalistes. C'est comme si l'auteur laissait proliférer dans des peintures de genre (portraits, natures mortes, paysages) des formes n'ayant rien à voir avec le sujet initial, s'imbriquant les unes dans les autres, rampant parfois sur les jambes et les bras des personnages du premier plan. Que Tribaldos ait connu l'art d'Arcimboldo ne fait pour moi aucun doute. J'ai du reste pu photographier une œuvre de lui qui y fait référence de façon nette. C'est un visage entièrement constitué de figures d'animaux et d'hommes, exactement comme dans le cas d'Arcimboldo avec ses portraits symboliques de saisons.

 

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Angel Tribaldos, sans titre, 41x31 cm, 1994

 

 

      Plusieurs de ses tableaux, les plus originaux et inventifs à mes yeux, font ainsi se percuter des formes sans référence à la réalité visuelle et des formes tirées de l'observation de la réalité. Quelquefois il ne dédaignait pas non plus de reprendre des tableaux connus de l'histoire de l'art (Greuze, Murillo) et de les truffer de visages ou de museaux proliférant sur les corps des personnages. Les copies s'élevaient du coup au statut de détournements malicieux.

 

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Angel Tribaldos, d'après les Deux Mendiants de Murillo, les personnages couverts de figures rampant sur eux comme autant d'invités imprévus..., 1994

 

 

     Des sortes de mandalas ou de kaléidoscopes peuvent surgir sans coup férir au milieu d'un paysage. Ce genre de métissage des espaces visuels est fortement séduisant, et remet en cause la stricte séparation des genres picturaux. Il est très possible qu'Angel Tribaldos était conscient de son originalité, c'est ce qui s'exprimait peut-être lorsqu'il disait à ses proches que "plus tard ses tableaux vaudraient cher"...

 

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Angel Tribaldos, une de ses plus grandes œuvres, un paysage de bord de mer dominé par deux licornes, datée de 1982, environ 200x200cm

 

    Hélas, que vont devenir ces tableaux conservés par sa veuve durant une quinzaine d'années? La famille, nombreuse, annonce qu'elle veut les conserver, mais n'a pas forcément les ressources pour les stocker. Des musées ou des collections publiques seraient bien inspirées de se manifester pour en acquérir et ainsi sauver ce patrimoine visionnaire unique.

 

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Angel Tribaldos, titre non déterminé, 1984

 

23/06/2014

"Sous le vent de l'art brut 2", sous le vent, oui, mais pas forcément pour autant tous "bruts"

     La Halle Saint-Pierre a confié sa communication à une agence (Pierre Laporte Communication) pour sa prochaine grande exposition prévue à la rentrée de septembre (à partir du 17 septembre exactement, et devant durer jusqu'au 17 janvier 2015). On commence à recevoir dans les boîtes e-mail un laïus à ce sujet, ce qui est peut-être un peu tôt, mais c'est sans doute pour prévenir le grand "oublioir" de la période estivale qui s'annonce à grands pas....

 

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      Ce sera pour moi l'occasion de revenir étrenner les cimaises de la Halle, dans ses deux grands espaces pour expositions principales du rez-de-chaussée (la zone noire) et du premier étage, où, présenté par deux petites toiles à ce dernier niveau du reste, je n'étais pas revenu depuis l'expo "Art Brut et cie" de 1995-1996 (où j'étais exposé dans la section consacrée à la Création Franche). Cette fois, on m'exposera une douzaine de peintures et dessins, dans le cadre de cette manifestation destinée à faire mieux connaître la collection néerlandaise "De Stadshof", autrefois présentée à Zwolle en Hollande et dorénavant hébergée depuis 2002) au Muséum du Dr. Guislain à Gand, animée aujourd'hui par Liesbeth Reith et Frans Smolders (après l'avoir été initialement par Ans Van Berkum, nom qui a été "curieusement" oublié dans la présentation de l'agence de com').

 

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Bertus Konkers, maquette sculptée de l'ancien bâtiment qui hébergeait la collection "De Stadshof" à Zwolle aux Pays-Bas donc initialement

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Bruno Montpied, Les fumeurs de pipe, collage, acrylique et stylo sur papier et bois, env. 60x80 cm, 1990 ; ce tableau n'est pas reproduit sur le site internet de la collection De Stadshof mais fait bien partie de la donation que je leur ai consentie dans les années 90 (il ne sera pas exposé à la Halle St-Pierre)

 

    Un site internet, plutôt bien fait, permet de se promener parmi les œuvres des créateurs faisant partie de cette collection. Dont mézigue, qui ai fait une donation de quatre œuvres plutôt anciennes à la collection hollandaise du Stadshof. Tellement anciennes que la directrice de la Halle, Martine Lusardy m'a gentiment proposé d'opérer en quelque sorte une mise à jour de mes travaux apparus bien après cette donation (effectuée dans les années 1990). Dont acte, et ce dont je la remercie publiquement ici.

 

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Bruno Montpied, Bande-toi les yeux pour mieux voir, 24x18cm, encre et mine de plomb sur papier, 2013 (fait partie de la sélection pour "Sous le vent de l'art brut 2")

 

     Cependant, il me faut aussi apporter quelques précisions à propos de la communication actuellement transmise par newsletter par l'agence ci-dessus citée. La collection "De Stadshof" se proclamait autrefois collection "d'art naïf et outsider", ce dernier qualificatif ayant fait place plus récemment sur son site à "art brut". Même si "art outsider", à ce qui se répète souvent, serait l'équivalent dans le monde anglo-saxon du terme "art brut", il faut rappeler que pour les Anglo-saxons (que les Hollandais en l'occurrence imitaient) le mot sert surtout à mixer toutes sortes de corpus et de formes d'expression relevant de différentes catégories, comme l'art naïf, l'art populaire, l'art brut, les environnements populaires spontanés, et les artistes marginaux que l'on aurait plutôt tendance par nos contrées à qualifier "d'artistes singuliers" (terme que je ne dédaigne pas d'employer pour présenter mon propre travail graphique, même s'il me paraît passablement galvaudé par les temps qui courent). Le but principal étant de mettre en lumière une création plastique hors circuit officiel. L'agence Pierre Laporte Communication dans son laïus transmis actuellement par e-mail, dans une envolée généralisatrice, extrêmement discutable de mon point de vue à la fois de créateur et de critique, écrit ceci: « Martine Lusardy, directrice de la Halle de Saint Pierre avec Liesbeth Reith et Frans Smolders, conservateurs de la collection De Stadshof, ont sélectionné 350 oeuvres de 40 artistes emblématiques : peintures, sculptures, dessins, installations, broderies, signées par des figures incontournables de l’art brut (c'est moi qui souligne). »

     Eh bien, JE NE SUIS PAS une "figure incontournable de l'art brut" en ce qui me concerne. Incontournable, en termes d'embonpoint, je ne dis pas, mais en tout cas en ce qui concerne l'art brut, il y aurait malhonnêteté à me présenter ainsi. Et parmi les "40 artistes [toujours ce terme confusionniste] emblématiques", il doit bien y avoir d'autres personnes également peu concernées par ce label que l'on applique décidément trop à la louche par les temps qui courent: par exemple Marie-Rose Lortet, Christine Sefolosha, Philippe Azema, François Burland, Sylvia Katuszewski, Adam Nidzgorski, pour ne citer que ceux dont je connais (et respecte) le travail qui sera donc présent à la Halle Saint-Pierre à l'automne. Ces derniers noms recouvrent plutôt des artistes marginaux, effectivement situables dans une sorte d'orbite autour de l'art brut (orbite passant aussi sans doute autour d'autres corpus comme le surréalisme, le mouvement Cobra, and so on...). Je ne connais pas bien tous les créateurs hollandais présents dans la sélection, mais il y a fort à parier que plusieurs d'entre eux ont aussi à voir avec l'art naïf plutôt qu'avec l'art brut. Mais comme l'épithète "naïf" ne fait plus vendre, n'est-ce pas, on préfère "brut"... Donc, "Pierre Laporte Communication", si vous voulez être pris au sérieux, encore un effort, cernez davantage le champ proposé cet automne à la Halle Saint-Pierre.

 

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Bruno Montpied, Barbu bestial, encre et marqueurs divers sur papier, 21x29,7 cm, 2013 (Œuvre exposée à la Halle Saint-Pierre dans "Sous le Vent de l'Art Brut 2")

    Et pour être complet voici la sélection des artistes et créateurs retenus pour cette exposition d'automne à la Halle St-Pierre (cela fera 350 œuvres exposées):

ACM (France), Yassir AMAZINE  (Etterbeek, Belgique), Anonyme, Philippe AZEMA (France), Okko BOSKER (Pays-Bas), Herman BOSSERT (Pays-Bas), Bonifaci BROS (Espagne), François BURLAND (Suisse), Aaltje DAMMER (Pays-Bas), Siebe Wiemer GLASTRA (Pays-Bas), Martha GRUNENWALDT (Belgique), Lies HUTTING (Pays-Bas), Bertus JONKERS (Pays-Bas), Sylvia KATUSZEWSKI (France), Truus KARDOL (Pays-Bas), Jan KERVEZEE (Indonesia), Saï KIJIMA (Japan), Rosemarie KOCZY (USA), Davood KOOCHAKI (Iran), Marc LAMY (France), Hans LANGNER (Allemagne), Pavel LEONOV (Russie), Marie-Rose LORTET (France), Bonaria MANCA (Italie), Markus MEURER (Allemagne), Bruno MONTPIED (France), Michel NEDJAR (France), Adam NIDZGORSKI (France), Donald PASS (Royaume-Uni), Hans SCHOLZE (Pays-Bas), Christine SEFOLOSHA (Suisse), Joseph SELHORST (Pays-Bas), Paula SLUITER (Pays-Bas), William VAN GENK (Pays-Bas), Henk VEENVLIET  (Pays-Bas), Roy WENZEL (Pays-Bas), Johnson WEREE (Liberia), Karin ZALIN (U.S.A), Anna ZEMANKOVA (République Tchéque).

15/06/2014

Génie savant, génie brut à l'Abbaye d'Auberive

      "Génie", le terme peut paraître un poil excessif en l'occurrence, mais le commissaire de cette exposition qui se tient à l'Abbaye d'Auberive du 8 juin au 28 septembre 2014, Laurent Danchin, s'en sort bien en citant dans le dossier de presse John Ruskin. "On abuse sans doute du mot génie, mais c’est quelque chose qui existe, et cela consiste principalement dans le fait qu’un homme fasse des choses parce qu’il ne peut pas faire autrement –des choses de nature intellectuelle, je veux dire. (...) il y a en moi un instinct puissant, que je suis incapable d’analyser, de dessiner et de décrire les choses que j’aime –non pas pour la gloire, ni pour le bien d’autrui, ni pour mon propre avantage, mais une sorte d’instinct qui est comme celui de boire et de manger." (Oui, je sais, la dernière phrase est grammaticalement bizarroïde)

 

Mycélium abbaye d'auberive 2014.jpg

 

 

     Le terme est donc synonyme d'instinct puissant... Bien. Aussi impérieux que l'instinct de boire et de manger, re-bien. La liste des exposants, les œuvres dont le dossier de presse nous donne un aperçu en une pièce à chaque fois, cependant, me convaincrait que s'il y a ici désir de représenter un instinct, qu'il soit savant ou brut (pourquoi pas le parallèle en effet?), il n'y a pas l'assurance que le talent soit toujours au rendez-vous de cette exposition (au titre complet de "Mycélium, génie savant, génie brut" ; Mycélium, c'est aussi le titre du site web animé par Laurent Danchin et Jean-Luc Giraud sur internet). Cependant, comme toujours avec les découvertes ou les créateurs défendus par Laurent Danchin, on doit pouvoir trouver quelques pépites dans ce rassemblement, plus nombreuses même à l'occasion de cette manifestation que dans les cas précédents (je reconnais à Danchin la défense des créateurs Marcel Storr ou Germain Tessier notamment, mais moins celle d'un Chomo qu'avec le temps, ayant pu comparer avec tant d'autres créateurs, j'ai fini par trouver peu original en fin de compte). A l'Abbaye d'Auberive, on peut par exemple admirer Joseph-Emmanuel Boudeau, apparemment actif dans les années 30, dont on ne sait rien de plus que ce qui se trouve inscrit dans deux compositions (le Mont Saint-Michel et le cuirassé Dunkerque) réalisées au crayon et à "l'encre de Chine et de France" comme il l'écrit...

 

 Joseph-Emmanuel Boudaud, Le Mont Saint-Michel, crayon et encre de Chine sur papier, 7x71 cm, 1937

 

        Si de mon côté je reste passablement sur ma faim en redécouvrant les œuvres de l'abbé Coutant, qui ne paraît à chaque fois exposé qu'en raison d'un besoin des commissaires d'expo soit de prouver  leur esprit de tolérance à l'égard des religieux soit de faire un petit discours catho (par exemple dans le dossier de presse Laurent Danchin ne résiste pas au couplet bondieusard en écrivant à propos des créateurs qu'il expose: "C’est cet esprit de soumission à une forme mystérieuse d’irrationnel qui donne à leur démarche son authenticité et tout son sens, et constitue le principal point commun entre des univers, pour le reste strictement individuels. Or revenir au sens et relier des individus, peut-on trouver plus bel objectif à réaliser dans une abbaye ? (c'est moi qui souligne)"), je deviens nettement plus intrigué lorsqu'on évoque le cas de Youen Durand. Né à Lesconil en 1922, handicapé de la jambe gauche, il dirigea la criée du port, faute d'avoir pu devenir marin. En parallèle il faisait de la peinture, naïve, et confectionnait des maquettes et des tableaux de coquillages tout à fait aboutis et raffinés, une trentaine environ, représentant des "scènes typiques de la vie locale, des images exotiques et des thèmes symboliques". A sa mort en 2005, les œuvres furent partagées entre ses descendants, certaines léguées à a commune qui aurait le projet de lui consacrer un petit musée. Une association de ses amis, animée par Mme Marie-Christine Durand (au nom homonyme sans avoir de lien familial), s'est également constituée. Dans l'expo Mycélium, il est mis en parallèle avec Paul Amar, dont j'ai déjà parlé en pointillés à plusieurs reprises sur ce blog. Ce sont tous deux des créateurs spécialistes de la mosaïque de coquillages, mais ils ne sont pas les seuls, que l'on pense par exemple à Hippolyte Massé en Vendée autrefois ou à Yvette et Pierre Darcel et leur environnement de statues couvertes de coquillages dans la région briochine dont j'ai parlé dans Eloge des Jardins anarchiques.

 

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Youen Durand, image tirée du blog Les Grigris de Sophie

 

    Je retiens aussi dans le rassemblement mycéliumien les broderies délicatement poétiques de Jeanne Giraud (j'ai un faible pour les broderies naïves décidément) qui vécut entre 1906 et 1993, produisant à partir de ses 66 ans une centaine d'œuvres.

 

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Broderie de Jeanne Giraud reproduite sur le site de Mycélium

 

      Germain Tessier (1895-1961), ce peintre naïf de Pithiviers, découvert au départ par son voisin le photographe Jean-Paul Vidal (par ailleurs ami de Laurent Danchin), et dont l'oeuvre a été conservée par le fondateur et animateur du Musée des Arts Forains, Jean-Paul Favand, est également du rassemblement Mycélium. L'occasion pour moi de saluer son oeuvre que je trouve effectivement très séduisante. Passant récemment dans le Périgord, j'ai eu l'occasion de tomber chez un collectionneur, Thierry Bucquoy, sur un tableau de Tessier que je crois peu connu.

 

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Germain Tessier, La Foire de Saint-Georges, 1966, coll Thierry Bucquoy ; il y a un côté un peu Dubout chez Tessier

    Sinon à l'Abbaye d'Auberive, on retrouve aussi les mêmes copains artistes de Danchin, comme les Staelens, Joël Lorand, Jean-Michel Chesné, Jano Pesset, Kurhajec, Joaquim Batista Antunes, etc. Le dossier de presse mis en lien ci-dessus permettra à chacun de se faire sa propre opinion. Je n'ai retenu ici que ce qui m'interpellait plus particulièrement.

 

 

11/06/2014

Guylaine, son bestiaire, ses portraits à la galerie Feuillantine

      Exposée naguère à la défunte galerie Nuitdencre du XIe arrondissement (et aussi à l'Inlassable Galerie pour une expo liée à la revue L'Or aux 13 Iles), la voici qui resurgit dans le Ve à la galerie Feuillantine. Auteur de nombreux dessins à l'encre noire, j'avoue que chez Guylaine, pour le peu que j'ai pu voir à travers le petit écran de la Toile, ce que j'aurai tendance à préférer, ce sont les portraits de quelques icônes de notre modernité, André Breton, Alfred Jarry ou ce portrait de Mme Cravan (Mina Loy?) que je reproduis ci-dessous.

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Guylaine, Mme Cravan

     Elle expose à partir du 12 juin et ce jusqu'au 5 juillet dans cette galerie située au bout de la rue Gay-Lussac ("où les rebelles n'avaient que les voitures à brûler", le 10 mai 1968, comme le dit une chanson connue) non loin du parc du Luxembourg. C'est une sorte de figurative poétique d'où l'ingénuité ne s'est pas envolée...

Guylaine carton d'expo 2014.png

03/06/2014

Les figures mécanisées de monsieur Alexis

     Un correspondant, M.Tireau, m'a récemment fait part d'une jolie petite découverte qu'il a faite sur un de ces dépôts-ventes où atterrissent parfois des créations d'inspirés. Il s'agit d'un ensemble de pièces mécanisées que des héritiers, après la disparition de l'auteur, ne se sont pas résolus à détruire, se disant peut-être qu'il y avait un peu d'argent à se faire, que c'était plus facile de s'adresser à un professionnel du débarras, un ferrailleur, plutôt que de les casser morceau par morceau.

 

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Photo et coll. M. Tireau

 

      Ces personnages paraissent de prime abord assez sommaires, parce que réduits au schéma, l'attention du créateur ayant été concentrée semble-t-il avant tout sur la question de leur animation.

Petite vidéo de monsieur Tireau insérée sur YouTube où l'on voit à l'action les créations mécanisées de "monsieur Alexis", et où aussi on entend, les bruits, cliquetis, clochettes tintinnabulantes, de ces dispositifs jouant un rôle important dans la conception de ces œuvres

       Notre collectionneur ne sait pas trop si on peut appeler cela des vire-vent, des girouettes, ou d'un autre qualificatif, dispositifs mécanisés, jouets? Ce dernier terme aurait plus ma faveur, tant j'imagine ce monsieur Alexis (1912-2002), ancien cheminot de la Sarthe, travailler en pensant à des petits-enfants qu'il rêvait d'émerveiller par ces tours de force d'animations mécanisées.

 

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Ces personnages font penser à des personnages de dessins animés, très stylisés, ph. et coll. M. Tireau

 

       La plupart des vingt pièces rachetées tournent grâce à une manivelle ou grâce à des pales de moulinets, mais M. Tireau m'assure qu'elles restent incapables de se mouvoir grâce au vent (les pales ne pouvant s'actionner qu'à la main).yohann tireau,monsieur alexis,girouettes,vire-vent,jouets bricolés et automatisés,whirligigs français Certaines étaient munies de tiges de fixation, l'une d'entre elles est même encore sur le toit de son atelier (M. Tireau a retrouvé le lieu de création originel), ce qui indiquerait qu'elles étaient prévues pour être installées en extérieur (M. Tireau: "Je me demande si ces objets n'étaient pas destinés à être mis sur des piquets d'environ un mètre de haut, du style girouette de jardin").

 

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Sur cette photo floue, on devine la girouette sur le toit de l'atelier, ph. M. Tireau

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Cycliste au visage noir (de nombreux Noirs apparaissent ainsi parmi les personnages), petit drapeau tricolore, joueur de trompette... Ph. et coll. M. Tireau

 

   Monsieur Alexis n'eut-il pas le temps de perfectionner ses sujets? Il semble qu'il ait en tout cas insisté sur l'animation. "Les personnages et animaux s'animent dans un joyeux bordel en tapant quelquefois sur des timbres", m'écrit M. Tireau. Un point sur lequel il faut revenir, c'est l'aspect schématique des silhouettes peinturlurées franchement, et la part envahissante prise par les grossières pièces de mécaniques, pales, écrous, vis énormes, montants métalliques, qui font penser à un jeu de Meccano particulièrement conçu pour un malvoyant.

 

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Exemple de pièces de mécanique très voyantes, jouant un rôle esthétique dans la composition de la pièce ; les divers éléments sont constitués de matériaux recyclés, ph. et coll. M. Tireau

 

    Le dessin des silhouettes (il en est peu de face, voir exception ci-dessous) est réduit au minimum, tirant celles-ci vers une tendance à l'abstraction géométrique colorée, où les éléments mécaniques joueraient un rôle esthétique (probablement involontaire).

 

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Personnage présenté de face, visage noir et tout de jaune vêtu, avec des sabots semble-t-il, ph. et coll. M. Tireau

 

   D'autres pièces seraient conservées dans d'autres parties de sa famille. Avis aux curieux...

31/05/2014

Veste à carreaux, drôle de chapeau, et portant sabots...

     De retour l'autre jour de la projection des films sur Vanabelle, où il n'y avait pas grand-monde venu s'inquiéter du devenir de la Base de la Menegatte, je suis tombé sur une brocante à cinquante mètres de chez moi. En général, dans ce genre de vide-greniers parisien, il n'y a vraiment que peu de chances de trouver quoi que ce soit dans les domaines qui m'intéressent, mais cette fois-ci, on m'avait prévenu qu'un personnage curieux m'y attendait peut-être.

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Collier de barbe, sabots, costume à carreaux, une petite cravate à trois brins et une drôle de tourte juchée sur le crâne, H. 67 cm, coll. BM

     D'où cela peut-il sortir? Le visage a une vague ressemblance avec ceux que sculptait autrefois Lui Buffo en Haute-Garonne. Il n'y a aucune inscription dessus. Le broc qui le vendait, comme d'habitude, n'avait recueilli aucune information à son sujet. Cela provenait, me dit son frère, d'un endroit perdu en France... Avec ça, on se débrouille...

    Il me semble que le chapeau très particulier, et plus généralement les détails vestimentaires, le costume, l'espèce de cravate, si c'en est une, les sabots, pourraient être des indices permettant au moins de situer l'origine géographique du bonhomme. Les fils de la "cravate" me font penser aux manadiers de Camargue, voire à des hidalgos d'Espagne... Mais peut-être erré-je...

17/05/2014

Info-Miettes (23)

Mini-musée de Louis Ame en Ille-et-Vilaine

    Je ne crois avoir jamais parlé de ce (gentillet) petit musée consacré à des maquettes de camions américains, œuvre d'un ancien camionneur passionné. Un correspondant me demande de "signaler que le mini-musée "américain" de Louis Ame (35, La Quesmière 35, Hirel) fêtera ses 20 ans à l'occasion des portes ouvertes du dimanche 18 mai (demain, certes mais le musée sera ouvert encore après...) de 10h à 18h. Contact : Louis Ame 02 99 48 82 03." Ben voilà, c'est fait.

 

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Dans ce mini-musée, je ne sais pas si je ne préfère pas davantage l'extérieur avec ses lettrages juxtaposés foutraques à son intérieur nettement plus kitsch, ph. Bruno Montpied, 2009

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Louis Ame en 2009, ph. BM

 

Petit bonhomme de chemin: les "Bricoleurs" continuent de se balader

    Le film de Remy Ricordeau, Bricoleurs de paradis, que j'ai coécrit avec lui, va être projeté bientôt (le 31 mai à 16h) dans une librairie libertaire à Lille. "L'Insoumise", qu'elle s'appelle la librairie, c'est situé au 10 rue d'Arras. Sur leur site web, ils disent que le film illustre le livre, Eloge des Jardins Anarchiques, tout ça parce que le film était joint en DVD au livre. Mais, puis-je le dire?, il y a beaucoup plus de choses dans un livre que jamais un film ne pourra pleinement illustrer ce me semble. Non, c'était plutôt deux travaux parallèles, l'un plus développé par l'écrit, et l'autre tentant d'esquisser quelques problématiques liées à ces fameux environnements populaires.

      J'écris "c'était", peut-être avez-vous remarqué? Le livre EJA est en effet officiellement épuisé, il n'en reste plus que quelques exemplaires à la librairie de la Halle Saint-Pierre à Paris par exemple. Et donc le film en DVD est épuisé aussi. Par contre, pour les amateurs de ce dernier qui voudraient le voir ou le revoir, il est à souligner qu'ils pourront bientôt le télécharger en vision louée ou en achat sur le site de téléchargement des Mutins de Pangée.

    Autres date et lieu pour pouvoir voir le film dans une salle, il y aura aussi le 28 juin à la Médiathèque Marguerite Yourcenar dans le XVe ardt à Paris. Tous les renseignements pratiques sont à trouver .

Solange Knopf: de plus en plus séduisante...

       Nouvelle exposition (du 1er mai au  juin), à la galerie new-yorkaise Cavin-Morris certes, ce qui n'est pas la porte à côté pour les amateurs français notamment, mais d’œuvres tirées par Solange Knopf de ses deux séries toujours en cours à l'heure où je vous parle, "Spirit Codex" et "Derrière la ténèbre". Je ne résiste pas au plaisir de reproduire quelques images tirées du site web de la galerie, proprement ensorcelantes (c'est pour ça qu'on ne peut résister...).

 

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Solange Knopf, Derrière la ténèbre I, 73 x 79 cm, 2013, galerie Cavin-Morris, New-York

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Solange Knopf,  Derrière la ténèbre II, 49,5 x 64,8cm, 2013, galerie Cavin-Morris

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Solange Knopf, Femmes n°7, 2012, crayons de couleur, 182 x 7cm

 

Les femmes créatrices toujours, Brigitte Maurice à Carquefou

 

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   Brigitte Maurice, je ne connais pas trop, mais je fais confiance à Chantal Giteau qui assure la programmation de l'Espace d'exposition du Manoir des Renaudières à Carquefou. Elle expose du 24 mai au 29 juin prochain. A signaler que c'est peut-être une artiste à mettre en parallèle avec les explorations picturales naïvo-figurativo-expérimentales d'un Jean-Louis Cerisier qui, lui, connaît mieux cette peintre.

 

Le Musée de la Création Franche circule...

    "La Création Franche s'emballe" était déjà le titre d'une précédente exposition préfiguratrice de celle-ci qui est montée au Centre d'Art Raymond Farbos du 28 mars au 14 juin à Mont-de-Marsan. Elle est la première étape d'un cycle d'expos décentralisées de la collection fondée par Gérard Sendrey et désormais animée par Pascal Rigeade. Elle devrait en effet continuer de se déplacer en Aquitaine essentiellement. Les responsables du musée m'indiquent très obligeamment que deux de mes propres peintures ont été retenues dans la sélection qui comprend cent trois œuvres et quarante auteurs.

 

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Bruno Montpied, Guetteurs fin-de-siècle, 8F, 2000, coll. Musée de la Création Franche (ce n'est pas forcément celui-ci qui est exposé actuellement à Mont-de-Marsan)

 

 Regards éblouis au Musée Ingres du 17 avril au 16 juin 2014

      Il y a toujours de l'éblouissement à glaner à Montauban quand arrive le printemps, avec les sélections éclectiques concoctées par Paul Duchein et les siens. Le carton d'invitation n'en dit pas trop, il faut examiner à la loupe les six vignettes qu'il reproduit, un Jules Godi? Un Labelle? Sanfourche, c'est facile à reconnaître... Peut-être un Abdelkader Rifi? Et un Ciska Lallier...? On dirait un jeu... Mais il n'y a rien à gagner, ou du moins rien d'autre à gagner que de la surprise et du ravissement peut-être. Alors allez-y voir. D'autant qu'y paraît que là-bas aussi on voudrait projeter "Bricoleurs de paradis", mais pas de date précise d'avancée, juste une rumeur dans La Dépêche du Midi.

 

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 Armand Schulthess au Centre Dürrenmatt de Neuchâtel

      Avant d'être remerciée quelque peu séchement (pour des raisons budgétaires officiellement) de son poste de responsable des relations internationales à la Collection de l'Art Brut de Lausanne par les responsables culturels de la mairie, Lucienne Peiry aura eu le temps d'organiser, conjointement avec la Collection de l'Art Brut, une exposition décentralisée au Centre Dürrenmatt de Neuchâtel sur "le labyrinthe poétique d'Armand Schulthess". Ce Centre clôt là un cycle d'expositions toutes organisés sur le thème du labyrinthe.

 

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Vue de l'expo Armand Schulthess, apparemment les obsessions ont été détaillées, examinées, étalées, sacralisées par la grâce muséale, on se croirait dans un musée ethnographique...

 

      Ce dernier 1901-1972) était connu pour avoir constitué, à partir de ses 50 ans, une installation hétéroclite et obsessionnelle, reflet de ses connaissances encyclopédiques qu'il voulait afficher dans l'environnement de son habitat situé dans le Tessin.

 

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Situation originelle des montages et assemblages de textes en pleine nature d'Armand Schulthess

 

    Panneaux de métal peint, assemblages mobiles, livres, collages, affichages en tous genres alternaient sur son terrain comme par une hantise de l'auteur de possiblement tout oublier. Lucienne Peiry a monté là la plus grande exposition jamais consacrée à cet auteur qui a déjà fait l'objet d'une longue notice dans un des fascicules de la collection d'art brut. Un catalogue paraît à cette occasion.

Les Rochers de l'Ermite de Rothéneuf: une source photographique différente des cartes postales

Cette note contient une petite mise à jour (en rouge)

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Plaque photographique en verre réalisée par un anonyme, probablement une plaque de projection (positif sur plaque de verre), 8,5 x 10 cm: j'aurais envie de dater la photo entre 1910 et 1920, après 1918 en tout cas, vu les vêtements portés par les visiteurs des rochers, et donc après la mort de l'abbé Fouré (il semble que de son vivant il ne laissait pas souvent les photographes travailler sans sa présence sur les clichés ; il existe cependant des photos sur certaines cartes postales où il ne figure pas...) ; je rappelle que sa mort date de 1910 ; un autre détail milite pour une année d'après la mort de l'abbé, les piquets, troncs d'arbustes, qui servent de balises pour les sentiers où passer pour se rendre jusqu'aux moindres détails des roches sculptées ; il me semble que ces piquets apparurent du temps des exploitants des Rochers, la famille Brébion, soucieuse sans doute de sa responsabilité vis-à-vis des estivants qui s'aventuraient sur ses rochers peu faciles à arpenter, parfois glissants...

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Le bras de mer à marée haute, vu depuis les rochers et du gisant de St-Budoc, là où se trouvaient les figurants de la plaque de verre récupérée par moi auprès d'un ami brocanteur ; c'est sur ses rochers situés en face des rochers sculptés qu'était placé le photographe

   Qu'est-elle devenue, cette jeune fille dont le visage reflétait ce jour-là, pour le photographe situé par delà le gouffre, de l'autre côté du ressac, une expression peu commode? La photo paraissait faite pour eux, elle en robe légère, car il devait faire chaud) et son compagnon à la cravate nichée étroitement dans un haut col dur (qui devait passablement l'étrangler), ainsi que pour deux femmes sur leur gauche, moins concernées semblait-il...

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Les deux femmes à droite, un peu avachies, accompagnaient-elles le couple qui faisait face au photographe?

   Les plaques photographiques positives sur verre de taille 8,5x10 cm, ancêtres des diapositives, ont, paraît-il été utilisées fin XIXe début XXe siècle, avec possibilité d'avoir duré jusqu'en 1920-1930, ce qui paraît possible ici justement. Sur cette vue, les rochers sculptés ont bien moins d'importance que les humains, contrairement à beaucoup d'images, par exemple dans les cartes postales plus connues sur ces rochers taillés par le fameux abbé Fouré, dont j'ai déjà eu maintes fois l'occasion de parler sur ce blog.

     De tous ces figurants des temps enfuis, reste-t-il le moindre survivant? Ils ont toutes les chances d'être partis au pays des fantômes, hormis peut-être la petite fille devant le gisant et le tombeau de Saint-Budoc, le patron de l'ermite, qui donne la main à sa mère prudente, et qui tient de l'autre peut-être un cornet de glace qu'elle déguste avec concentration... Si la photo date de 1920, elle aurait 100 ans aujourd'hui, car je lui suppose six ans à l'époque du cliché. Elle n'aurait de toute façon pas pu avoir de souvenirs de l'abbé, étant née après sa disparition. C'est du reste rappeler qu'il n'y a plus aujourd'hui la moindre chance de rencontrer encore quelqu'un qui aurait pu rencontrer l'abbé, du genre de ce vieil homme qui raconta dans les années 80 à un jeune homme que je croisai dans les rues de Rothéneuf (dans les années 90) qu'il se souvenait de l'ermite qui l'avait pourchassé dans les rochers, parce que l'enfant qu'il était alors avait commis quelque déprédation sur les sculptures sans doute. L'abbé courait après lui en poussant des sortes de borborygmes, en rapport peut-être avec sa surdité... Cette anecdote me pousse toujours à me représenter  l'abbé tel une sorte de Quasimodo grotesque poursuivant simiesquement les importuns en sautant de roche en roche...

   

14/05/2014

Art brut à Taïwan (7): Entre art rituel et art populaire acculturé, les décors aborigènes contemporains, par Remy Ricordeau

    Nous donnons sur ce blog la dernière des communications de Remy Ricordeau sur "l'art brut à Taïwan". J'en profite pour le remercier de l'ensemble de ses communications qui ont su trouver je crois un public attentif (signalons en outre que si le lecteur voulait retrouver l'ensemble de ces sept textes relatifs aux environnements taïwanais, il lui suffit de taper les mots-clés "environnements spontanés taïwanais" dans la fenêtre de notre blog intitulée "Rechercher" et il les retrouvera tous rangés les uns à la suite des autres):

 

Entre art rituel et art populaire acculturé,

 les décors aborigènes contemporains

 

        En parcourant la montagne du sud de l’île de Taiwan dans le district de Ping Dong, on peut voir de nombreux villages  aborigènes aménagés dans les années soixante à l’intention des populations austronésiennes. Il s’agissait à l’époque de s’assurer de leur soutien à l’Etat-parti (le Guomindang, parti nationaliste chinois) en leur offrant les attributs matériels de la « civilisation », c'est-à-dire des maisons en béton, l’eau courante et l’électricité. Sous le prétexte d’une accession au confort moderne, c’était également une manière de regrouper des populations à l’habitat épars et de les acclimater aux « charmes » de la propriété privée que jusqu’à un passé proche plusieurs d’entre ces peuples ignoraient encore (ne connaissant que la propriété communautaire correspondant à leur mode de vie). C’était enfin une manière de les contrôler en les organisant selon des préceptes  de représentation définis par l’Etat.

        Pour m’être attardé un peu plus longtemps dans l’un de ces villages, je prendrai ici l’exemple d’une des communautés Paiwan, un des 14 peuples austronésiens de Taiwan.

 

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Porte traditionnelle ancienne, ph. Remy Ricordeau, 2014

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Autres éléments de décor extérieur d'une maison de chef de clan, volet et linteau, ph. RR

       Traditionnellement leurs maisons étaient construites en torchis, en pisé ou en schiste et recouvertes de toits de chaume ou de lauses. Mises à part les maisons communautaires, dites maisons des hommes où se déroulaient différents rites relatifs à la vie sociale de la communauté, et les maisons de chefs de clan assez richement décorées de pans de bois sculptés, l’ornement des maisons d’habitation se résumait le plus souvent à des portes et des linteaux de bois assez grossièrement sculptés. Sur la plupart de ces décors figuraient des personnages évoquant les ancêtres, ainsi que les symboles mythologiques protecteurs que sont les serpents-aux-cent-pas. Représentés seuls ou sous forme de coiffe, ceux-ci sont en effet pour les Païwans le symbole même de notre humanité, l’humanité elle-même étant le fruit de la copulation de deux de ces serpents. Ces décors sur totems, portes ou linteaux représentaient également souvent des scènes rituelles de la vie de la communauté : guerre, chasse ou fêtes.

 

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Reconstitution d'une façade traditionnelle, ph. RR, 2014

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Panneaux de bois sculpté contemporains, ph. RR, 2014

 

      Transplantée dans un village moderne bétonné comme celui de Taiwu dans le district de Pingdong, la communauté Paiwan qui l’habite aujourd’hui s’est attachée à recréer des décors inspirés de leurs traditions.

 

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Une maison moderne Païwan, ph. RR, 2014

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Premier détail, une scène de retour de la chasse, ph. RR, 2014

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Scène indéfinie (un rituel indéterminé), ph. RR, 2014

 

      Cependant si les formes et la facture s’en sont trouvées renouvelées, l’esprit qui préside à leur création en est assez fondamentalement différent. Les symboles traditionnels comme les serpents-aux-cent-pas sont certes toujours présents, ainsi que les scènes représentant des activités traditionnelles qui pour la plupart ont évidemment disparu, mais leur fonction semble aujourd’hui plus décorative que porteuse d’un sens sacré ou magique. Les supports de ces décors sont ainsi plus variés du fait de la quasi absence de bois dans les matériaux de construction de ces maisons modernes. Les portes en fer ou les linteaux en béton ne pouvant plus être sculptés, ils sont désormais peints comme peuvent l’être également les façades, ce qui n’était pas le cas des maisons en pisé ou en schiste.

       Pour ces raisons les décors extérieurs des maisons sont aujourd’hui colorés contrairement aux bas-reliefs sculptés traditionnels qui ornaient l’extérieur des portes, des fenêtres et quelquefois leurs pourtours (les panneaux sculptés des décors intérieurs pouvaient par contre, par le passé, être colorisés). Si la facture des fresques décoratives est naïve, elle est d’une naïveté que je qualifierais de moderne en ce qu’elle se différencie de la simplicité et de la pureté «sophistiquée» des formes de représentations de l’art dit primitif ou tribal. La naïveté contemporaine de ces peintures témoigne à l’évidence d’une acculturation achevée par rapport à la tradition à laquelle elle se réfère. Peut-être serait-il cependant plus juste de dire qu’elle relève plutôt d’une autre culture, plus contemporaine, qui consiste à vouloir enchanter son univers par des décors et représentations désacralisés qui transcendent aujourd’hui toutes les traditions culturelles. Mais pour être complet il convient également de souligner une autre motivation à la réalisation de ces décors.

 

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Autre décor contemporain, ph. RR, 2014

 

       L’esprit qui préside à leur mise en œuvre est en effet également d’une nature différente. Ces représentations n’ont plus comme fonction première de permettre aux vivants de rester en contact avec les esprits de la tribu ou du clan et de se transmettre ainsi de génération en génération, mais plutôt de perpétuer le souvenir d’une culture aujourd’hui disparue. Si celle-ci subsiste cependant sur un mode réifié et folklorique, (la plupart des aborigènes ayant en outre été christianisés), les décors contemporains qui ornent les maisons du village ont en effet aux yeux de leurs créateurs un sens implicite de fierté identitaire qu’il faut comprendre dans le contexte politique taïwanais de recherche et d’affirmation de racines culturelles non chinoises. En ce sens, les décors contemporains aborigènes se distinguent assurément par leur fonction des autres types de création d’art populaire. Au-delà des divergences de message, la naissance et le développement d’un mouvement identitaire autochtone dans les années 80 a sans doute donné à ces décors contemporains une fonction culturelle d’une certaine manière assimilable aux fresques murales revendicatives qui ornent par exemple les villes et villages de nombre de pays d’Amérique centrale ou du Sud. C’est ainsi, il me semble, qu’il convient de les aborder plutôt que comme expression inspirée de la singularité de leurs créateurs.

Remy Ricordeau