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01/04/2017

Du vandalisme des trouffions indonésiens, et de la responsabilité de certains internautes dans ce vandalisme...

      Récemment, en faisant des recherches sur la toile, je ne me souviens pas comment j'ai pu tomber sur cet entrefilet paru sur le site du Huffington Post (article de Maxime Bourdeau), qui relate l'anéantissement d'une sculpture, d'apparence naïve, un tigre, chargée au départ d'être la mascotte d'un régiment indonésien basé à Garut dans l'ouest de l'île de Java. Ce sont les militaires eux-mêmes qui se sont cru obligés de devoir détruire cette statue, tellement l'armée avait honte des réactions de certains internautes qui se moquaient régulièrement de cette œuvre dont l'art populaire, avec ses déformations et son expressivité proche de l'art des enfants, n'était visiblement pas repéré en tant que tel. On aurait pu, au lieu de la détruire, la déposer et l'offrir à un quelconque musée en Indonésie ou en Occident sensible à l'art naïf. L'article du Huffington post, renvoyant à une interview effectuée par un journaliste de BBC news, où l'information paraît être apparue en premier, du moins en Europe, rapporte ces propos démagogiques du commandant du régiment après sa destruction du tigre : "Chaque régiment décide de la confection de sa statue mais, parfois, l'artiste n'est pas très bon." "Pas très bon", c'est toujours la même rengaine et le même jugement de valeur à propos de l'art naïf, accusé de maladresse, de gaucherie, etc. On ne veut jamais voir ce qui se dit d'autre derrière cette apparente déformation de la réalité visuelle, une tendre jeunesse du regard, et, en l'occurrence, un émerveillement devant les prestiges de la nature sauvage.

Tigre naïf Indonésie, Sculpture détruite, .jpg

      Mais s'il ne faut pas attendre de la part d'un militaire beaucoup de sens de l'humour et un goût artistique ne s'écartant pas des normes du réalisme le plus éculé (pourtant, au départ, le commandant de ce régiment avait eu assez de sensibilité, et peut-être d'humour pour choisir cette œuvre entre toutes, apparemment déjà ancienne), on aurait pu attendre des internautes un peu moins de bêtise. A part quelques-uns qui avouèrent se sentir un peu coupables après coup d'avoir contribué à la destruction du pauvre tigre grâce à leurs photomontages plus ou moins hilarants (voir un d'entre eux ci-dessous), il semble que la majorité portent une grande responsabilité dans ce cas de vandalisme caractérisé. On ne pouvait attendre de la Grande Muette, qui redoute plus que jamais le ridicule, que devant cette bronca elle déclare: "les chiens aboient, la caravane passe" et qu'elle laisse en conséquence subsister le très charmant félin.

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Un exemple de montage photographique dû à un internaute sur le web pour se moquer du tigre de Garut...

 

      Cette affaire n'est pas sans rappeler le cas du Christ repeint de façon "brute" par Cecilia Gimenez près du Sanctuaire de la Miséricorde près de Borja et de Saragosse en Espagne, dont j'ai déjà parlé sur ce blog. Sauf que dans cet exemple, l'objet du "scandale" n'a pas eu le temps de voir affluer des foules vers lui, ce qui aurait pu apporter des subsides, qui sait?, aux bidasses de Garut. Il a été effacé en trois temps, trois mouvements. Et on n'a pas non plus eu le temps, ou  pris la peine, de recueillir le nom du créateur de cette sculpture sympathique. On réfléchira aussi à l'action délétère que peut avoir le web quand il se transforme en meute de chiens prêts à déchirer l'un ou l'autre pour le plaisir d'un soi-disant bon mot. Il va falloir se blinder de manière redoutable pour résister aux aboiements des hordes ne se sentant plus dans l'anonymat d'internet. 

 

25/03/2017

Carnaval chez les chiens

Les chiens déguisés, oct 13, ave Vellefaux (recadré).jpg

Chiens habillés, Paris Xe ardt, photo (prise à la volée) Bruno Montpied, octobre 2013.

 

      M'avaient frappé l'esprit, ces deux clebs vêtus par un automne commençant sans doute fraîchement, à tel point que je décidai de les saisir avec leurs beaux atours anthropomorphes... Aujourd'hui, retombant sur cette image, je me dis qu'il serait fort amusant, probablement, de colliger toutes les photos qui existeraient sur le même sujet, de façon à débuter d'envisager un carnaval de médors accoutrés de la manière la plus excentrique.

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      Il doit bien y avoir parmi ces vêtures insolites, des plus brutes que les autres, reflétant comme chaque fois la mentalité de leurs maîtres, car bien sûr, en principe...

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21/03/2017

Vices de qualité

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Devanture de teinturerie, Rue Bouchardon, Paris, Xe ardt, photo Régis Gayraud, 2017.

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Ce qu'il fallait voir... (dans ces "vices" promis par une teinturerie, à quoi correspond l'initiale "E"? Erection à sec?), ph. Régis Gayraud (détail), 2017.

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Ame blême... Hisserie (boutique où on hisse?)... ph Régis Gayraud, vue sur la même teinturerie...

12/03/2017

La cathédrale intime, de Mark Greene à Justo Gallego

     Un genre qui se développe toujours, c'est le livre semi documentaire, semi fictionnel, sur un auteur d'art brut (ou apparenté). Plusieurs créateurs ont ainsi déjà fait l'objet d'ouvrages de qualités variables : Picassiette, Richard Dadd, l'abbé Fouré, Jeannot et son plancher gravé, etc. Voici qu'est paru il y a peu un petit ouvrage bien écrit, dû à Mark Greene, Comment construire une cathédrale, sous titré "récit", dans une collection intitulée "Les invraisemblables", chez l'éditeur Plein Jour.

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    Pour bien nous montrer qu'on est ici dans la littérature,  entre autres raisons, aucune illustration n'accompagne cette digression, cette réflexion à propos de Justo Gallego. L'homme – 92 ans cette année – construit quasi seul (avec le temps, il s'est concilié deux ou trois aides en appoint, dont un certain Angel qui promet de continuer après Gallego ; et  depuis peu, il semble que soient organisées aussi des journées pour l'aider avec plusieurs volontaires...), depuis le 12 octobre 1961, nous dit Mark Greene, une cathédrale de son invention dans les environs de Madrid (exactement à Mejorada del Campo). Justo Gallego 10 Cartographie.jpg Pour voir l'objet, l'éditeur renvoie en note à un site internet où est proposé un dossier iconographique, mais j'ai eu beau chercher, cela reste introuvable. Pour se faire une idée du bâtiment, on ira plutôt au hasard sur la Toile, où les photos pullulent (une cathédrale, c'est tellement connu, tellement admis par le peuple des moutons qui ont besoin de pasteurs, ça permet d'utiliser le mot  "spirituel", dont on adore se gargariser, la bouche en cœur...).

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La cathédrale en éternel chantier de Justo Gallego Martinez, photo Paco de Casa.

 

     Pourquoi une cathédrale, me suis toujours dit, à propos de cette construction à l'entreprise certes folle, tenant du défi et de l'exploit, et pas autre chose de plus original (comme un Palais Idéal new look)? Comment peut-on penser librement à l'ombre d'une cathédrale? Justo Gallego ne se prendrait-il pas pour une autre sorte de messie s'auto crucifiant en créant son édifice interminable?

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Une projection en 3D de José Luis Manteca de ce à quoi devrait ressembler la cathédrale une fois achevée? ; En hait, à droite, la vue aérienne fait ressembler l'ensemble architectural de cette "Cathédrale de la Fe" à une sorte d'usine...

 

     Mark Greene dans son petit récit – dont il rappelle vers la fin qu'il a procédé pour l'écrire d'une façon analogue à la manière dont Justo Gallego a bâti sa chimère, son "monstre", en mettant un pied l'un après l'autre, empiriquement, intuitivement – rappelle que Gallego n'eut jamais de plan (du moins au début), qu'il bâtit sans permis de construire, de façon tout à fait illégale, sur un terrain qui lui appartenait. Il accomplit une lente dérive à travers un projet plus grand que lui, chargé sans doute de le faire tâtonner jusqu'à quelque  chose qui ressemblerait à ce qu'il conçoit comme un dieu...

        Les architectes professionnels semblent partagés à son sujet. Norman Foster est passé sur le chantier, et, peut-être un zest démago, a trouvé que c'était "la chose la plus extraordinaire qu'il ait jamais vue" (il n'a pas vu grand chose, alors, soit dit entre nous...). Par contre, Andrés Cánovas, un professeur à l'école supérieure d'architecture de Madrid, pense que la cathédrale est "d'une simplicité qui défie les lois de la construction. En outre, elle enfreint toutes les normes de sécurité actuellement en vigueur. A commencer par le port du casque. Un jour quelqu'un va se tuer."  Justo Gallego utilise des briques qu'on a rejetées et Mark Greene écrit: "S'il me fallait conserver une photographie, une seule image de la cathédrale, ce serait le plan rapproché d'un mur de briques. Ces briques rouges qu'on trouve un peu partout en Espagne. Seigneuriales quand ce sont celles du Prado ou du palais d'Aranjuez, banales lorsqu'elles ont nourri le boom immobilier de la dernière décennie (on parle, pour qualifier la crise du bâtiment, de crisis del ladrillo, de la brique) et qui montrent ici, un visage altéré, méconnaissable. Ces briques impossibles, tordues, si profondément dérangées..." . Le diocèse local, auquel Gallego voudrait léguer le bâtiment de plus de 6000 m², est plus que réservé... Il calcule les sommes qu'il faudrait débourser pour achever et entretenir une telle énormité hors cadres. On insinue plutôt qu'il faudra inévitablement démolir. Comme le souligne Mark Greene, ce mot plane de façon menaçante autour de la cathédrale.

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Briques de la cathédrale de Justo Gallego, posées d'une façon très peu "catholique"... Voulait-il créer des nichoirs? Il a en effet bien cherché, et réussi, à faire venir des cigognes sur ses tours...

 

        Cet ancien moine, rescapé d'une maladie grave, nous dit encore Mark Greene, s'est attelé à une tâche énorme, infinie, comme pour dépasser sa finitude. L'histoire des bâtisseurs autodidactes d'environnements regorge de cas similaires, où la motivation se greffe sur le dépassement d'un handicap, ou d'une douleur quelconque, comme celle qui découle de la perte d'un être cher. Gallego a une mémoire exceptionnelle, il a lu beaucoup de livres techniques. Il n'a pas besoin de mesurer, il a le compas dans l'œil. Comme l'écrit Greene, Justo Gallego "donne à penser, c'est l'une de ses principales qualités"... Il cherchait la vérité et il l'a trouvée, incarnée dans un bâtiment interminable auquel il a fondu sa vie, pour mieux arrimer celle-ci à celle-là. Les créateurs populaires d'environnements anarchiques ne font pas autrement. Le livre de Mark Greene éclaire en retour ces derniers, auxquels je suis personnellement davantage attaché, parce que plus profanes, naïfs et merveilleux.

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Basilique de Saragosse, grosse pâtisserie architecturale, ph. Bruno Montpied, août 2015.

 

         Car son bâtiment n'a esthétiquement rien d'extraordinaire, il a de vagues airs de la basilique de Saragosse (voir ci-dessus), ou Gallego a fait des séjours, entre parenthèses. Il fait également écho, bien entendu, à la Sagrada Familia d'Antonio Gaudi, par son côté entreprise folle (mais pas par son aspect, bien moins délirant et ne défiant pas l'imagination comme l'édifice de Gaudi qui engendre un sentiment de vertige). Curieusement, une rue qui passe devant la cathédrale de Justo Gallego s'appelle justoment la Calle Antonio Gaudi... (baptisée ainsi avant ou après le début du chantier de Gallego, je ne sais...?).

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Mark Greene, Comment construire une cathédrale, collection Les Invraisemblables, éditions Plein Jour, 2016. 12 €.

09/03/2017

Jeanne Giraud, brodeuse d'îles de songe

      Jean-Luc Giraud et Laurent Danchin ont créé l'année dernière une petite collection de titres jusque là consacrée à certains de leurs écrits ou à Chomo, artiste singulier auquel Danchin aura été fidèle toute sa vie (on sait qu'il vient de disparaître en janvier dernier). Cela s'appelle "les bonbons de Mycélium", du nom du site web de l'association basée à Nantes. Jusqu'ici je n'ai pas été très sensible aux sujets traités dans cette collection, mais j'attendais avec une certaine impatience la parution du quatrième titre consacré aux broderies de Jeanne Giraud, la mère de Jean-Luc Giraud.

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Doigts de fée, les broderies de Jeanne Giraud, collection Les bonbons de Mycélium, éditions Lelivredart, novembre 2016 ; le livre est disponible en particulier à la librairie de la Halle Saint-Pierre à Paris.

 

    "Ce qui est sûr, c'est que ma mère ne se prenait pas du tout pour une artiste. Il ne pouvait y avoir qu'un artiste dans la famille et c'était évidemment son fils, dont elle était si fière.

     Ses broderies n'étaient d'ailleurs pas de l'art, mais un support à la méditation."

    (Jean-Luc Giraud ; on sait que ce dernier est peintre, entre autres, car je crois qu'il fait aussi du cinéma d'animation).

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Jeanne Giraud, œuvre reproduite dans le livre Doigts de fée.

 

    J'aime infiniment ce genre de travail dit "méditatif" (faute de terme plus adéquat peut-être?). On avait déjà remarqué avec la publication d'un article de Jean-Luc Giraud dans le fascicule n°20 de l'Art Brut¹ (1997) cette œuvre si fortement empreinte d'intimisme, réalisée avec les matériaux les plus simples et les moins coûteux (dans le texte liminaire de ce petit livre, repris du texte déjà édité dans le fascicule n°20 de 97 – l'autre texte du livre étant constitué de ses réponses à un questionnaire de Laurent Danchin – Giraud rappelle que sa mère "n'avait jamais acheté une bobine de fil ailleurs qu'au marché aux puces (la modicité du prix guidant le choix de la couleur), ni brodé sur un autre support que des chiffons provenant des chemises usagées de mon père"). M'avait frappé dans ce fascicule l'aspect insulaire des mondes représentés, carrés d'herbes folles d'où surgissait un arbre, un étang, avec un être humain campant à côté, exerçant une activité bénigne, peu importait, ce qui comptait étant de restituer avant tout le caractère de merveilleux de l'évocation (cette insularité, nous la rencontrons aussi dans les dessins tirés de l'observation visionnaire de pommes de terre par Serge Paillard). Parfois, la composition aux modestes fils de couleur se concentrait toute entière à magnifier un mot cousu : "confiance"... Il y entrait donc un peu de magie blanche dans cette occupation. Décidément, oui, Jean-Luc Giraud a raison, sa mère n'était pas une "artiste", au sens où elle exerçait ses talents dans un rapport fusionnel avec ses productions brodées. C'est comme si elle avait fait une œuvre avec la sève même de sa mémoire.

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Jeanne Giraud, œuvre brodée reproduite dans Doigts de fée.

 

      Car la broderie apparaît parfaitement adaptée à cette mission de remémoration enchantée, qui s'accompagne semble-t-il inévitablement d'un aspect vaporeux et flou, comme le cinéma Super 8 également peut nous le procurer. Les traits sont comme tremblants, et rendent les images assez analogues à des mirages objectifs qui surnagent, comme des îles séparées de toute continuité, tels que nous apparaissent nos souvenirs au fond, proches de morceaux de banquise brisée, dérivant sans souci d'une quelconque chronologie... 

_____

¹ Les œuvres de Jeanne Giraud sont entrées dans la Collection de l'Art Brut de Lausanne en 1986, grâce à Laurent Danchin qui les avait présentées à Michel Thévoz. Avec Germain Tessier, Marcel Storr, Petit-Pierre, ou encore Youen Durand, elle fait partie des quelques créateurs naïfs ou bruts dont Laurent Danchin aura su se faire le passeur émérite (j'en excepte Chomo qui n'est pas à mes yeux un créateur brut ou naïf, mais plutôt un artiste de la mouvance "singulière").

04/03/2017

Bruno Montpied, exposition à la Galerie Dettinger-Mayer, Lyon

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Carton d'annonce de l'exposition à la Galerie Dettinger-Mayer avec, en reproduction, L'insurgé, 12x18 cm, acrylique et marqueurs sur papier, 2010.

 

      Onze ans après la première exposition que j'avais faite chez Alain Dettinger, 4, place Gailleton dans le 2e arrondissement de Lyon (dans la Presqu'île), aux côtés d'œuvres de Ruzena, m'y voici de retour avec une vingtaine d'œuvres sur papier choisies en fonction d'un thème, "les solitaires", car pour leur grande majorité, constituées de figures isolées. Ces personnages seuls, j'en ai toujours dessiné, dès le début de ma production dans les années 1980 (voir ci-dessous un exemple – Une tendance au tragique, 21,5x15,5 cm, 1981 – qui ne fait pas partie de la sélection qui sera montrée à Lyon).Une tendance au tragique (2), acr sur p, 21,5x15,5 cm,1.8.1981.jpg

      Et puis, passant à des compositions plus foisonnantes, longtemps "bourrées", j'avais délaissé ces solitaires, hormis quelques cas exceptionnels. J'y suis revenu depuis quelques années, ayant engrangé de nouvelles techniques, de nouvelles humeurs découlant du changement de ma personnalité avec le temps.

       J'éprouve le besoin désormais de plus de sobriété dans mes dessins, de laisser respirer l'œuvre en ménageant des intervalles en réserve, ou plus ou moins vides. Les œuvres présentées n'en sont pas moins variées, puisque je n'abandonne jamais le désir de me surprendre en les réalisant. Aux amateurs de le vérifier en allant voir mon expo – qui sera accompagnée de celle de dessins du Néerlandais Huub Niessen – chez Alain Dettinger, durée prévue du samedi 18 mars au samedi 8 avril prochains. Le vernissage aura lieu le vendredi 17 mars à partir de 18h30.

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Bruno Montpied, Lapine sanguine, 24x19cm, encre, mine de plomb et marqueurs sur papier, 2016 ; œuvre exposée à la Galerie Dettinger-Mayer.

 

03/03/2017

Le site de Picassiette vandalisé!

     Est-ce un signe des temps obscurs qui approchent, je ne sais, mais comment expliquer cet incroyable fait-divers rapporté par l'Echo Républicain (merci à M. Bézelin qui me l'a communiqué), selon lequel l'œuvre de Raymond Isidore, dit Picassiette, à Chartres, a été vandalisée par un individu qui a sauté les grilles de clôture du site dimanche 26 février, entre 17h et 18h (il a été filmé par des caméras de surveillance). Il s'en serait pris essentiellement – l'article n'est pas très disert sur l'étendue du saccage – à la maquette de la cathédrale de Chartres qui est scellée sur  le tombeau dans la Cour Noire, juste après la maison, si je me souviens bien de la disposition des lieux. Il l'aurait brisée en une quarantaine de fragments...

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La maquette de la cathédrale de Chartres au-dessus du tombeau, ph. Jérémie Fulleringer, parue dans l'Echo républicain.

    Bien sûr, on peut imaginer que le vandale, probablement passablement déséquilibré, qui a commis cet acte aberrant sera retrouvé, puisqu'il a été filmé, et l'on en saura peut-être alors davantage sur ses motivations. S'il ne s'en est pris qu'à la cathédrale en miniature, c'est peut-être déjà une indication.. L'acte a en tout cas quelque chose de particulièrement révoltant lorsqu'on veut bien se rappeler tout ce qu'a pu endurer déjà de son vivant Picassiette lui-même, en butte aux moqueries de toutes sortes de la part de gens à l'entendement limité (pour ne pas dire plus). Et cela nous prouve aussi que le fait de bâtir ou de créer en plein vent des œuvres ou des monuments d'art anticonformiste n'a pas tant que cela le vent en poupe. II y a toujours quelques (?) crétins qui rôdent. Et certains partis politiques aux conceptions culturelles bornées ont peut-être plus d'influence qu'on ne le croit généralement sur ce genre d'excités.

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Extrait de Poésie pas morte, 1961.

 

     Les internautes qui en sauraient plus à Chartres même sont priés de nous faire savoir les développements de l'affaire...  

21/02/2017

Dictionnaire du Poignard Subtil

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PEINTURE :

     "La peinture, c'est pendant. Jamais avant, jamais après."

     (Walasse Ting)

17/02/2017

Sirènes, quelques images de plus, pour répondre à Darnish et pour ajouter un codicille au vagabondage d'Emmanuel Boussuge

      Il n'y a pas beaucoup d'avantage au fait de vieillir, et je ne sais pas si on ne doit pas y ajouter le phénomène des amis qui sont ravis de vous faire découvrir quelque chose que vous aviez déjà vu il ya longtemps, en l'occurrence, il y a très exactement 28 ans... Il faut faire comme si on ne savait pas, pour leur laisser le plaisir de la révélation qu'ils vous offrent.  Mais à de certains moments, on ne peut s'empêcher de se conduire en malotru, et de se moquer grassement du jeune cuistre. Qu'il nous en excuse donc, c'est ici un moment de ce genre... Le pilier de l'église de Varengeville, sculpté d'une sirène affleurant du granit - une des plus touchantes ondines qui se puisse voir dans une église - ... n'a visiblement pas changé depuis 1989, lorsque, avec une étudiante de Dieppe, Laure Lemarchand, qui m'y avait mené pour voir le singulier pilier décoré de sujets profanes placé au beau milieu du sanctuaire, je le photographiai (à l'argentique). Je saisis sous mon objectif  la sirène, la coquille St-Jacques (signalant sans doute aux pèlerins que le bâtiment pouvait les héberger), et les profils ultra naïfs qui entouraient l'ondine archaïque (probablement des portraits de donateurs ?). Darnish en 2015 me confirma que le pilier était bien toujours  en place. J'étais venu visiter l'église de Varengeville uniquement pour ce pilier sculpté ; Braque... Je ne m'en souviens pas... Il faut avouer qu'à l'époque, je m'en moquais éperdument. Et je crois bien que je n'aie guère changé depuis...

Pilier sculpté 2 église de Varengeville, 1989, détails, sirène, profils, coquille st-j.jpg

Pilier sculpté de l'église de Varengeville, ph. Bruno Montpied, 1989.

Sirène église de Varangeville (2), ph Darnish 2015.jpg

Sirène du pilier, plus près, ph. Darnish, 2015.

*

    Bon, ceci dit, après avoir fait mon vieux schnock, revenons à l'Auvergne, ses sirènes bicaudales (pas très poétique tout de même ce dernier adjectif, même si il est très précis) et autres ondines en pleine terre. Il n'y a rien de surprenant à en trouver en de tels endroits. Outre le fait que, comme le dit Emmanuel dans son texte, l'imagination a bien le droit de disposer des thèmes mythologiques comme bon lui semble, il faut se rappeler que les croyances se portaient aussi vers les sirènes d'eau douce.

       Je voudrais ajouter ici un exemple de sirène non repérée par Emmanuel, cette fois hors d'une église, en plein milieu du plateau de l'Aubrac, dans le village de Saint-Urcize, qui, malgré son apparente austérité et sa solitude au milieu d'un pays resté somme toute encore assez sauvage, m'est inexplicablement cher (je n'y suis passé que deux fois dans ma vie).

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Fenêtre d'un maison fort ancienne (Moyen-Age?) à Saint-Urcize (Aubrac), ph. B.M., 2016.

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Détail de la fenêtre précédente, la sirène, en train de jouer d'un instrument probablement à cordes (un plectre?) ; à noter que de l'autre côté de la fenêtre est sculpté un personnage jouant lui aussi de la musique ; peut-être que la maison était celle d'un musicien et que ces motifs fonctionnaient comme des enseignes ? ph. B.M., 2016.

 

15/02/2017

Sirènes d'Auvergne... un vagabondage d'Emmanuel Boussuge

« Loin de Pénélope, Ulysse cultivait des champs de sirènes »

Emmanuel Boussuge

 

Pour ma sirène ciotadine

 

            La passion des sirènes n’était-elle pas tombée quelque peu en sommeil sur le Poignard subtil… ? Ma petite collection photographique va-t-elle ranimer la flamme plus durablement ?

           Elle est issue pour l’essentiel d’Auvergne et des environs mais pas exclusivement. On sait que la représentation du sujet n’a à peu près rien à voir avec une géographie maritime, lacustre ou fluviale (sans parler des sources réelles ou prétendues, ni des courants telluriques) ; non, les sirènes échouèrent d’abord là où l’imagination des sculpteurs médiévaux, les premiers à les produire en nombre, du moins sous nos latitudes, les plaça. Ils faisaient tout aussi bien des éléphants ou des centaures sans que leur région d’activité fût une réserve de chasse pour les uns ou les autres. Mes sirènes de moyenne montagne ne sont pas plus porteuses de symbolisme ésotérique et, pour ma part, ça me va très bien comme ça. J’aime les sirènes en elles-mêmes sans nul besoin d’aura surajoutée, je les aime avec simplicité pour la fluidité de leur forme et les rêveries qu’elles procurent. Je les aime presque toutes.

            Ceci étant dit, leur forme est beaucoup plus variable qu’on ne l’imagine généralement, et c’est surtout vrai au moyen-âge qui a fourni l’essentiel de ma collecte. Deux de mes sirènes remontent à la figuration antique de la créature mythologique. Initialement, on le sait, il s’agissait d’êtres ailés, redoutables par leur chant, que seul Ulysse parmi ses compagnons, mais solidement attaché à son mât, put écouter sans périr. Grecs et Romains ne les représentaient jamais autrement qu’emplumées et avec des serres acérées et les sculpteurs romans de Saint-Hilaire-La-Croix ou de Brioude sont restés fidèles à la vieille tradition ornithomorphique.

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Saint-Hilaire-la-Croix, 2005, photos Emmanuel Boussuge (ainsi que toutes les autres photos à suivre dans cette note)

B Brioude, sept 2013.jpg

Brioude, 2013

          Remarquons l’hésitation entre masculin et féminin (tout aussi présente dans l’Antiquité), et le mode spécifique de remplissage des chapiteaux romans avec un goût prononcé pour la symétrie, largement déterminé par les contraintes du support (un chapiteau a deux faces).

          Restons dans la basilique de Brioude, la plus riche (parmi mes visites) en sirènes et aussi en variantes du sujet. Car, si à son chevet les sirènes sont cousines des oiseaux et barbues, à l’intérieur, elles ont le pied marin et sont des deux sexes. Les sirènes masculines sont aussi appelées tritons. Comme on le voit ci-dessous, elles peuvent être chauves mais aussi couronnées.

C1 Brioude, sept 2013.jpg Brioude, 2013

Brioude, 2013 C2 Brioude, sept 2013.jpg

D Brioude, sept 2013.jpg Brioude, 2013

           Les sirènes du sexe, comme on disait à l’âge classique, ne sont pas en reste. Elles sont représentées sur quatre chapiteaux, rassemblées deux fois par paires et deux fois isolées. La plus simplifiée est sur le chevet.

 

E Brioude, sept 2013.jpg         F Brioude, sept 2013.jpg

G Brioude s 2013.jpg         H Brioude, sept 2013.jpg

Brioude, 2013

           Deux remarques peuvent être faites. Les sirènes médiévales ont en général deux queues (sans aucun doute beaucoup plus pour des raisons d’occupation du support à sculpter que pour tout autre chose) et elles tiennent leur double queue à pleines mains (sans aucun doute beaucoup plus pour des raisons d’occupation des dites mains que pour tout autre chose… – vous avez vraiment l’esprit mal placé). À travers toutes les variations, leur portée symbolique n’est pas toujours nulle mais paraît toutefois très atténuée laissant presque libre cours à la fantaisie des sculpteurs.

          Près de Brioude, on trouve dans la petite ville de Blesle deux chapiteaux à sirènes : l’un avec figure dédoublée où les sirènes semblent porter de magnifiques burkinis de haute époque ; l’autre, colorié par les restaurateurs du XIXe siècle, est sans conteste une des sirènes les plus moches de la collection (mais ce n’est pas la faute des restaurateurs).

I 1 Blesle, juil 2015.jpg Blesle, 2015

Blesle, 2016 I 2 Blesle, juil 2016 (2).jpg

J Blesle, juil 2015.jpg Blesle, 2015

 

         Autre grand centre de l’art roman, Conques. Une sirène à deux queues figure entre deux centaures. Nulle justification par le support cette fois-ci, la queue est dédoublée par pur amour de la symétrie, semble-t-il. K Conques, août 2016 (2).jpg 

         Les petites églises du Massif Central offrent bien d’autres sirènes romanes bicaudales. À Roffiac, les sculpteurs ont des modèles proches des églises plus prestigieuses. Deux chapiteaux sont concernés. Les sirènes sont parmi les plus charmantes mais elles ont la particularité d’être à peine des sirènes. Au bout de ce qui devrait être leurs queues, on trouve ou des palmes ou une tête (de chien, de monstre ?) et plus aucune nageoire (c’était déjà le cas à Brioude et ensuite à Menet, Saint-Rémy et Valuéjols, phot. C, F, G, O, T). Le motif devient dans ce cas presque complètement autonome de toute signification précise. (...)

L Roffiac, août 2016.jpg

Roffiac, 2016

M roffiac, sept 2013.jpg

Roffiac, 2013

 

Le texte d'Emmanuel Boussuge se poursuit en suivant ce lien (fichier en PDF), qui vous permet de récupérer l'ensemble de sa promenade au pays des sirènes du Massif Central.

12/02/2017

Canotage et sirènes

Castelnau V. Benoît (2), sans titre (une sirène et un ondin), 59x91cm, 28-10-74.jpg

Castelnau V. Benoît, sans titre (trois sirènes, monsieur...madame... et leur petit, canotant sur une embarcation sculptée en forme de poisson), 59x91 cm, 28-10-1974, ancienne collection Jean-Marie Drot, ph. et coll. Bruno Montpied (2017)

     Voici un tableau arrivé récemment entre mes mains grâce à un camarade qui l'avait repêché à une vente récente de tableaux naïfs haïtiens de l'ancienne collection Jean-Marie Drot, le documentariste bien connu, amoureux de l'art haïtien. Il s'ajoute à une autre petite œuvre d'un certain W. Italien (c'est ainsi qu'il signe), représentant aussi une sirène et provenant de la même collection Drot que je possédais déjà. La signature, Castelnau V. Benoît, ne me dit rien. Jamais rencontrée : ni sur une peinture, ni dans un ouvrage sur la peinture naïve haïtienne. Pareil pour le "W. Italien" ci-dessous et sa sirène pourvue d'un troisième œil au centre de son corps.W.Italien (2), sans titre (sirène à gueue bifide), ss date, 21x27 cm, anc coll J-M. Drot.jpg

       Ma collection s'enrichit ainsi à la fois côté sirènes et côté naïfs. Les sirènes sont à mes yeux des sortes d'anti serpents qui nous entourent, enlacent, caressent de leurs frôlements invisibles. Les murs de mon château de verre sont ainsi de plus en plus couverts de sinuosités enjôleuses...

09/02/2017

Info-Miettes (29)

Le musée de l'art spontané

 

    Oui, il y a un musée pour la spontanéité et il est à Bruxelles. Semble-t-il longtemps concentré sur l'art naïf (envisagé dans nombre de cas dans son versant gentillet), il s'ouvre aussi à différentes formes d'automatisme autodidacte dans l'art (dans une démarche qui n'est pas sans rappeler celle du musée d'art naïf et d'arts singuliers de Laval). Comme c'est le cas, en février et mars, avec l'exposition "Au fil de l'encre" de Rosanna Brusadelli, dessinatrice qui crée en symbiose avec les formes naturelles, calquant son graphisme sur des arborescences et des réseaux, voire des rhizomes, ressemblant parfois à des échangeurs routiers.  Elle dessine à la plume "à profiler" en noir et colorie après coup, toujours à l'encre. Un travail en tout cas qui me retient, d'après le peu que j'ai vu jusqu'à présent..

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Rosanna Brusadelli 

Exposition du 14-02-2017 au 05-03-2017, Musée d'Art spontané, 27, rue de la Constitution, à 1030 Schaerbeeck (nord de Bruxelles).

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Dreamdew n°8

     Dreamdew, ça veut dire "Rosée de rêve". C'est un bulletin de 4 pages édité numériquement par Sasha Vlad et Bruno Jacobs, rédigé en anglais et provenant des USA. La publication est entièrement vouée aux rêves, comme de juste. Le dernier numéro (de février 2017) vient de m'être envoyé, et on y trouve des récits, plutôt brefs dans l'ensemble, relatifs à des lectures intervenues dans les rêves des divers auteurs des récits. Pour accéder à ce numéro, cliquez ici.

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Sasha Vlad, "Sur le plan horizontal, une fraîcheur noire. Sur le plan vertical, un éther neutre" (légende de Dan Stanciu), collage, date et dimensions non précisées ; œuvre non reproduite dans Dreamdew.

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Des "Singuliers de l'art" à Carquefou, au Manoir des Renaudières

            Une exposition, parmi les dernières qui vont se tenir dans l'année qui vient au Manoir des Renaudières qu'anime avec brio Chantal Giteau à Carquefou (banlieue de Nantes), en instance de départ à la retraite, promet d'être un perit feu d'artifice rendant grâce à l'art véritablement singulier.

Singuliers à Carquefou, Carton Recto (2).jpgCarton d'invitation à l'expo "Des singuliers de l'art", on reconnaît en bas à droite un dessin patatomancien de Serge Paillard, plus haut une roulotte en réduction de Paskal Tirmant, quelques personnages grotesques de Briantais, des corbeaux (peut-être de Manero? Il est difficile à identifier, celui-ci, parce qu'il a plusieurs manières), en déduisant que le reste, par élimination, est due à Goux et Cottalorda...

 

      "Véritablement", parce qu'en l'occurrence cela n'a rien à voir avec les festivals de Têtes à Toto que l'on déplore ici et là, et qui abîment l'étiquette d'art singulier par voie de conséquence plus du tout "singulier". Sont annoncés pour l'occasion Gilles Manero, Serge Paillard, Paskal Tirmant, Bernard Briantais (quatre artistes que j'ai chroniqués sur ce blog), et Claudine Goux (un pilier de l'art singulier et de la création franche), ainsi que Chloé Cottalorda (inconnue de moi). Le carton d'invitation est un collage original réunissant en un tout homogène des fragments d'œuvres de ces six artistes.

Singuliers à Carquefou carton verso.jpg

       En outre, seront présentés le samedi du vernissage, à 10h30, un film sur l'abbé Fouré, L'homme de granit, avec une intervention de Joëlle Jouneau, animatrice de l'association qui cherche à faire mieux connaître l'ermite de Rothéneuf, et surtout, à 14h30, un film plus inédit, car récemment produit (2016), La Dame de Saint-Lunaire, d'Agathe Oléron, consacrée aux recherches et découvertes de cette dernière sur l'étonnante créatrice d'une maison singulière à Dinard, Jeanne Devidal.

 

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 Disparition de Bernard Jugie (1940-2013)

 

 La-porte,-la-boîte-aux-lett.jpg           M'est avis que ce nom ne dira vraiment rien à la plupart de mes lecteurs en dépit de l'article que je lui avais consacré dans la revue Création franche (le n°37, décembre 2012), de quelques notes sur ce blog et d'une de ces expositions confidentielles dont la revue Recoins a le secret – c'était dans la galerie de la Halle Saint Pierre.

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Bernard Jugie, sans titre, panneau de bois peint et gratté, ph. et coll. Bruno Montpied

      J'avais repéré des indices de son activité de sculpteur et de peintre naïf et populaire en passant en voiture dans une rue de Billom (Puy-de-Dôme ; voir photo ci-dessus avec la boîte aux lettres, ph.B.M., 2012). Je poussais alors mes compagnons de route vers le Livradois en quête d'un château où se trouvaient peut-être de belles fresques naïves de l'époque napoléonienne (cette quête se heurta à une magnifique porte fermée). Quelques années plus tard, en 2012, on fit l'expédition directement à Billom pour savoir si on aurait plus de chances du côté de Billom. On appela l'intéressé au téléphone au préalable, grâce à l'entremise d'une créatrice de cette ville, Marie Paccou.

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Bernard Jugie, un renard obtenu par évidement d'un panneau d'aggloméré longuement travaillé, ph. et coll. B.M., 2012.

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Bernard Jugie, une lapine et ses lapereaux, ph. B.M., 2012.

 

     Qui se cachait derrière cette porte surmontée de tableautins naïfs (renard, oiseaux, faisans, nichoir, papillons...), on le découvrit bientôt avec bonheur. C'était un des ces créateurs solitaires qui produit des objets, des sculptures, des tableaux (fleurs, animaux, paysages) pour son plaisir et celui de quelques rares proches et amis... Un dépositaire d'un talent naïf, toujours aussi difficile à expliquer pour ce qui est de savoir pourquoi il avait élu domicile en ce corps-là, et pas ailleurs chez maints autres individus.

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Bernard Jugie, statuette sans titre, coll. privée, Paris, ph. B.M. 2012.

Bernard Jugie, ss titre (bouquet de fleurs), (2) vers 2012.jpg

Bernard Jugie, sans titre (fleurs dans un vase), vers 2012, ph. et coll. B.M.

 

      Bernard Jugie était modeste, parlait peu, et il était généreux. Je poussai à la roue pour acquérir des œuvres, conscient de l'éphémère de la situation. A trois, nous lui achetâmes quelques pièces qui sont pour le moment à l'abri. Est-il sûr qu'il en soit de même pour les œuvres que Jugie garda jusqu'à l'année suivante? On vient de m'apprendre en effet que la Camarde est venue l'année d'après le chercher. On aimerait savoir ce que deviennent les sculptures et peintures qu'il accumulait dans son petit musée sous les combles...

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Bernard Jugie, créateur à ses heures, ph. B.M., 2012.

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Joël Lorand dans une nouvelle galerie d'art singulier à Nantes, la galerie Perrine Humeau

     Tiens, ça faisait longtemps que je n'avais pas parlé de Joël Lorand, le globe-trotter de l'art singulier. II est toujours autant en recherche qu'au début. Après être passé par différentes périodes (les dernières étant les "personnages floricoles", les "boucliers cosmogoniques" et une série de dessins en noir et blanc - qui me laissent personnellement  sur ma réserve), le voici qui fait une incursion à Nantes dans une neuve galerie (ouverte en mars 2016) qui veut se consacrer à l'art singulier, plus qu'à "l'art brut" proprement dit (si l'on doit s'en référer aux créateurs et artistes choisis jusqu'à présent), la galerie Perrine Humeau, qui a déjà exposé entre autres Bernard Briantais (qui s'est fait connaître des amateurs d'art singulier en exposant préalablement au Manoir des Renaudières à Carquefou) et quelques créateurs venus de l'atelier de l'ESAT de Cholet.

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Joël Lorand, exposition du 2 février au 25 mars 2017. Coordonnées de la galerie en cliquant sur le lien ci-dessus.

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Scottie Wilson à la Galerie du Marché, Lausanne

 

     Une exposition d'œuvres d'un créateur classique de l'art brut – qui me paraissent inégales (si je dois penser que les œuvres exposées correspondent à celles qu'on voit sur le site de la galerie), mais baste, ça n'est pas si fréquent de voir des dessins de Scottie par ces temps de marché de l'art brut galopant – est organisée à la Galerie du Marché animée par l'affable Jean-David Mermod à Lausanne, du 25 janvier au 11 mars. Le danger avec les dessins de Scottie Wilson, c'est leur propension à tomber parfois dans le décoratif. Toutes les œuvres affichées sur le site web n''échappent pas toutes à cet écueil. Je n'ai pu m'empêcher d'être un peu déçu, surtout après avoir d'abord découvert l'œuvre ci-dessous que proposait comme une amorce alléchante le mail d'annonce de l'expo...

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Scottie Wilson, sans titre, technique mixte, 50x70 cm, Galerie du Marché

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Jean-Marie Massou est édité en disque chez un nouveau label dont le titre me rappelle quelque chose...

 

      Il y a quelque temps, j'ai parlé de M. Olivier Brisson et de son projet d'éditer un enregistrement des complaintes et autres mixages sur radio K7 de l'ermite de la forêt de Marminiac, Jean-Marie Massou, dont il nous dit qu'il n'a plus trop d'énergie désormais pour descendre dans les galeries qu'il a creusées durant des décennies à la recherche d'on ne sait quelle civilisation préhistorique (ce qu'il m'avait confié en 1987 lors de ma visite chez lui en compagnie de Gaston Mouly). Eh bien, le projet vient de se réaliser, un disque vinyl vient d'être réalisé (zut, je n'ai plus de platine...) avec cartes de téléchargement aussi (je n' y comprends plus rien à ces nouveaux supports... Le CD me paraissait pourtant bien pratique et bien plus simple). Il  fixe les expérimentations de Massou. Olivier Brisson, avec deux de ses compères (Matthieu Morin - ce nom me dit quelque chose... - et Julien Bancilhon - on comprend qu'il s'occupe de vinyls avec un tel nom, où l'on entend déjà du sillon sur un banc...), paraît passionné de mettre en lumière la possibilité d'une musique brute, moi, je dis "d'outre-normes" pour éviter toute possibilité de confusion. Pour ce faire, il a fondé, après un premier label qui s'appelait, si j'ai bien compris, "Vert pituite la Belle", une nouvelle collection... "La Belle Brute"... Fondée au milieu de 2016. Tiens? Ça ne vous rappelle rien?

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Curieux titre que ce "volume 1" de "musiques" de Jean-Marie Massou... Comment le décrypter? Une plateforme de départ en voyage pour la sodomie... ? (Sodo...rome, comme il ya des aérodromes, des vélodromes...?)

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Vous vous souvenez d'elle...? (Voir "la boutique du Poignard subtil" dans la colonne de droite de ce blog...)

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"Introspective" Michel Nedjar au LaM, une exposition d'art contemporain

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      Je n'ai pas grand-chose à ajouter au laïus du LaM qui annonce la rétrospective Nedjar, artiste et fondateur de l'association l'Aracine (à quand une expo aussi pour Claire Teller et Madeleine Lommel, qui restèrent infiniment plus discrètes?) dans ses locaux à Villeneuve-d'Ascq du 24 février prochain jusqu'au 4 juin. Tout y est dit (un bémol pourtant sur le "à la croisée de l'art brut et de l'art contemporain") :

"Michel Nedjar (1947), artiste à la croisée de l’art brut et de l’art contemporain, est l’un des membres fondateurs de l’association L’Aracine qui donna son exceptionnelle collection d’art brut au LaM en 1999. Ses poupées de chiffon et de boue sont à ce jour ses œuvres les plus connues, alors même que son importante production artistique est loin de s’y limiter. À travers cette nouvelle exposition, explorez toutes les facettes de son œuvre : poupées bien sûr, mais aussi sculptures, dessins, peintures et films expérimentaux, de 1960 à 2016, ainsi que les thèmes qui sous-tendent l’ensemble de son travail : l’enfance et le primitivisme, la vie et la mort, la magie et le voyage."

      Si je n'ai aucune inclination pour ses poupées "de chiffon et de boue" (qu'à part moi, je surnomme "les étrons"), je dois reconnaître avoir été plus enchanté par ses poupées "Pourim", que j'ai aperçues dans un livre édité par Gallimard,art singulier à carquefou,manoir des renaudière,chantal giteau,gilles manero,art spontané,musée de l'art spontané,rosanna brusadelli,bernard jugie,dreamdew,sasha vlad,art populaire contemporain,jeanne devidal,agathe oléron,joël lorand,galerie perrine humeau,galerie du marché,jean-david mermod,scottie wilson,jean-marie massou,la belle brute,olivier brisson,musique d'outre-normes ou bien encore ce qu'il appelle ses poupées "coudrées", comme doit en faire partie la "poupée" ci-après (j'espère ne pas me tromper). Du côté de ses peintures et de ses dessins, on sent une grande influence des œuvres d'art brut qu'il connaît fort bien, et dont, pour cette raison même,  il ne peut faire partie, à moins qu'on ne brouille toutes les notions.

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Michel Nedjar

 

04/02/2017

Les mises en boîte de Jean Veyret

       Les assembleurs d'objets en boîte sont pléthoriques depuis des années que l'on connaît les boîtes-poèmes d'André Breton ou celles de l'artiste para-surréaliste Joseph Cornell, ainsi que les objets à fonctionnement symbolique tels que les surréalistes les promurent dans les années 1930. Il y eut, pour consacrer ce nouveau support artistique, une grande exposition, intitulée "Boîtes" tout simplement (tenue de décembre 1976 à mars 1977 au Musée d'art moderne de la ville de Paris puis à la Maison de la Culture de Rennes, juste avant la fameuse exposition les Singuliers de l'art de 1978 dans ce même musée parisien).jean veyret,art d'assemblage,théâtre d'objets,boîtes à mise en scène d'objets

      Depuis, je n'ose imaginer ce qui a pu se produire dans ce domaine. Un de mes anciens amis, un surréaliste anglais, Peter Wood, excellait dans ce domaine, avant de tirer sa révérence bien trop tôt dans cette vallée de larmes. Ses assemblages sous boîte vitrée étaient fidèles à une certaine tradition surréaliste de l'image ésotérique. Il la tempérait avec une touche de naïveté ça et là.

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Peter Wood, sans titre, boîte peinte avec divers éléments assemblés, années 1980-1990, coll. et ph. Bruno Montpied.

      Récemment cependant, agréablement surpris (faut dire que j'étais conduit par Alain Dettinger, grand dénicheur de talents devant l'Eternel), j'ai été confronté à un autre style de boîtes, remplies elles aussi d'assemblages, celles d'un ancien instituteur, Jean Veyret, par ailleurs adepte avec son épouse Joëlle (elle aussi tâte des arts plastiques et du détournement de matières et d'objets) d'une forme d'archéologie amateur qui les pousse chaque été, la plupart du temps, dans les déserts, notamment ceux de la Mauritanie, où ils récoltent nombre de débris et bestioles desséchées qui viennent alimenter leurs rêveries ultérieures, une fois de retour au bercail...

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Jean Veyret, La guerre, boîte peinte avec assemblage d'accessoires divers, fil en laine, bois avec écorce, 40 x 28 x 12 cm, 2011, ph. et coll B.M., 2016 ; certes, le sujet est assez limpide, la colombe de la paix va être dévorée par un monstre à la gueule immense et vorace, mais cela est réalisé avec un sens des couleurs et des matières magnifique ; le contraste entre la pelote de fils, les ailes en plastique de la colombe, matériaux tous aussi fragiles les uns que les autres, et le bloc de bois fruste sur un fond sanglant, est très frappant, je trouve.

 

       Les assemblages de Jean Veyret recèlent une fraîcheur et une immédiateté poétique qui s'éloignent nettement de  l'esprit ésotérique qui préside aux boîtes à connotation onirique, un peu comme on pourrait distinguer la poésie d'un Prévert (du reste, poète apprécié par Jean Veyret) de la poésie d'une Alice Massénat (pour citer quelqu'un de contemporain, particulièrement "ésotérique")...

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Jean Veyret, L'apparition, date non notée,  ph. B.M., 2016.

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Jean Veyret, Le sacre, date non notée, ph. B.M., 2016.

 

     Bien qu'au début, paraît-il, cet artiste autodidacte ait commencé par des boîtes confusément interprétables. C'est sa compagne Joëlle, qui, réclamant (avec raison selon moi) du sens plus explicite, orienta involontairement le travail de son mari vers des assemblages  plus immédiatement lisibles : antimilitarisme, anticléricalisme, moquerie à l'égard du christianisme, dénonciation de l'éducation religieuse lobotomisante, poésie engendrée par des rapprochements humoristiques et des analogies surprenantes, toutes attitudes saines et salubres méritant d'être observées avec constance. D'autant que ça nous change enfin de ces boîtes remplies d'objets, certes jolis, léchés, choisis avec un goût exquis, destinées à nous faire sentir qu'on a affaire à un poème visuel qui sonne surréaliste parce qu'on n'y comprend rien et qu'on a affaire à des objets insolites particulièrement beaux...

 

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Jean Veyret, Coffret de représentant en Clous de Christ, date non notée, env. 25 x 35 cm, ph. B.M., 2016.

 

      Jean Veyret a été instituteur une bonne partie de sa vie, je l'ai déjà dit. On rencontre nombre d'artistes autodidactes parmi les professeurs des écoles en effet. Nul doute qu'un ouvrage paraisse un jour à ce sujet, comme il y en eut déjà un sur les artistes postiers (Josette Rasle, Ecrivains et artistes postiers du monde, éditions Cercle d'Art, Paris, 1997). J'ai abondamment parlé sur ce blog des œuvres de deux autres maîtres d'école, Jean-Louis Cerisier et Armand Goupil. Voici donc à présent les boîtes de Jean Veyret. L'instituteur est souvent féru de cultures diverses, pratique un métier altruiste tourné vers les enfants, désire améliorer la société en propageant toutes sortes d'idéaux via les élèves qu'il enseigne. Il n'est pas étonnant, qu'il puisse à côté de son travail, durant les temps de loisir qu'il possède – que l'on sait plus longs  que dans bien d'autres métiers –, tenter de s'exprimer à son tour. Il le fait souvent en autodidacte, ou, au mieux, avec des moyens et des techniques artistiques moins poussées que celles qu'on enseigne dans les écoles spécialisées des Beaux-Arts.

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Jean Veyret, Lobotomies, date non notée, ph. B.M. , 2016 ; les lobotomisés que l'on aperçoit ici, adéquatement choisis parmi des figurines Duplo (plutôt des Playmobil...), aux crânes creux, connues des enfants, se dressent devant une photo de classe religieuse... 

 

      Parallèlement à cette activité de metteur en boîte, qu'il poursuit depuis une trentaine d'années à peu près (et qu'il a très peu montrée, sa première exposition n'ayant été organisée qu'en 2013, à la galerie Dettinger-Mayer à Lyon, suivie d'une autre, tout récemment, fin 2016, dans le même lieu),  Jean Veyret a coulé aussi ses pas dans ceux des aventuriers qui de tous temps ont été attirés par les espaces sauvages ou inconnus des Occidentaux. Il partit à moto à travers le Sahara, stimulé par les premiers rallyes Paris-Dakar, fréquentés et organisés en amateur au début, puisque leurs premiers vainqueurs, côté voiture, avaient roulé en 4L Renault. On était très loin de l'actuel rallye avec ses caravanes de matériel, de technologie, sa couverture médiatique, son spectacle, donnant l'impression d'un divertissement du capitalisme instrumentalisant des territoires au profit de ses jeux du cirque.

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Chez Jean Veyret, la réserve aux boîtes-poèmes... ph. B.M. 2016.

 

     Jean Veyret cherche depuis quelque temps à exposer davantage. Avis aux professionnels de la diffusion artistique qui n'ont pas les yeux dans leurs poches... 

25/01/2017

Surréalisme ou barbarie, par Joël Gayraud

Surréalisme ou barbarie

 

       « Homme libre, toujours tu chériras la mer ! », le cri du cœur lancé par Baudelaire résonne toujours aujourd’hui, à près de deux siècles de distance, dans la tonalité où il avait été émis, celle de l’éternelle utopie du départ vers les rivages heureux. Mais le signal que lui renvoie l’écho, c’est un cri d’agonie, un cri qui nous plonge dans le sombre registre des espoirs compromis. Car la mer, « la mer toujours recommencée », n’a jamais été aussi près de finir. Est-ce encore la mer, ce plancher putride où flottent les sacs plastiques, cette fosse à boues rouges sillonnée d’usines à dépeupler les abysses, ce cuveau à isotopes où le plutonium nourrit le kraken, où les sirènes se poudrent au mercure et où le poulpe au regard de soie se parfume au pétrole brut ? Comme elles sont ébréchées, ô vieil océan, tes vagues de cristal ! La mer se meurt au rythme même où, sur la terre ferme, croissent, en un mouvement uniformément accéléré, l’hydre des banlieues et la tache livide des déserts. Les baleines bleues n’osent plus remonter les estuaires, les tortues géantes ne savent plus sur quel rivage pondre leurs œufs, les coraux sont réduits à l’état de squelettes blanchis, et, après les eaux douces, les eaux amères, loin de se transformer en limonade comme le rêvait Fourier, collectent toutes les pestilences de l’égout.

       Dans les antiques récits de l’Âge d’or, la mer restait hors de portée de l’homme ; on se contentait de paresser sur le rivage, sans doute aimait-on se laisser caresser par les vagues, mais personne n’eût émis l’idée de construire un radeau ou une pirogue et de s’embarquer pour une navigation périlleuse. Les poètes anciens sont unanimes : la navigation permit d’étancher la soif de lucre des premiers marchands. Leur observation cible juste, mais ne suffit pas à expliquer l’origine de tant d’entreprises risquées, et l’on peut affirmer sans trop craindre de se tromper que c’est le manque de ressources dû à l’accroissement de leur population qui a décidé les tribus et les peuples à migrer vers d’autres terres au large des côtes, et que, de la Méditerranée à l’océan Pacifique, les îles et les archipels se sont peu à peu peuplés d’exilés plus contraints que volontaires. Cependant, avec le perfectionnement des techniques de navigation, les hommes, après l’avoir redoutée, se sont mis à aimer la mer et, à l’Âge d’or s’éloignant dans le temps du mythe, ont succédé les Îles Fortunées localisées dans le mythe de la distance, en Extrême-Occident, par-delà les Colonnes d’Hercule, dans ces parages fiévreux d’où certains voyageurs seraient revenus sourds pour avoir entendu, le soir, le coup de cymbales du Soleil qui tombe dans l’océan.

       À mesure que les continents se faisaient de moins en moins propices à la liberté, l’esprit d’évasion l’a emporté sur les frayeurs et, tandis que les Empires se disputaient le contrôle des nouveaux mondes, la mer devint peu à peu le refuge de tous les réprouvés, de tous ceux qui voulaient reprendre le libre usage de leur vie, fût-ce au risque de la perdre. Ce fut le bref printemps des utopies pirates. Mais de nos jours il n’est plus d’île déserte à découvrir, d’atoll inconnu à explorer, et la mer, comme la terre, est prise en otage par les marchands et les entrepreneurs. Déjà des urbanistes envisagent de construire des villes flottantes pour entasser la population surnuméraire, qu’il s’agira bien sûr de faire travailler et de faire consommer. Il n’est assurément rien de poétique ni même de simplement vivable dans de tels projets pharaoniques, que leur démesure fonctionnaliste suffit à priver de tout charme. Si rien n’est fait pour y mettre un terme, le monde marin, déjà colonisé par la pollution, va l’être par l’habitat humain mécanisé, et la lèpre urbanistique qui achève de ronger les forêts, de miter les campagnes, de métamorphoser la ville elle-même en une entropique périphérie, va maculer de son abominable lupus la face des océans. Or, par un mouvement parallèle et contemporain, les banquises fondent, les calottes glaciaires se réduisent comme peau de chagrin, le niveau des mers ne cesse de monter. Les non-voyants eux-mêmes annoncent déjà la submersion de la plupart des grandes villes et de nombreuses capitales, situées sur les côtes ou près des embouchures. La mafia du béton, cette pieuvre des grandes terres, se frotte les tentacules à l’idée des profits garantis par la construction des digues, mais il n’est pas sûr qu’elle ait le temps de les construire. À mesure que les eaux gonflent et grossissent, les ouragans se lèvent et les cyclones déroulent leurs spirales dévastatrices. Faut-il attendre que les cataractes aux rideaux de ténèbres s’abattent du fond du ciel, que les vagues pachydermiques déferlent sur les côtes et emportent les masures comme les tours, que les réacteurs nucléaires inondés entrent en fusion, multipliant les Tchernobyl et les Fukushima, que des virus mutants, beaux comme la couleur des quarks dans le rayonnement fossile, éclosent de ce chaos, faut-il attendre l’ultime extinction pour que quelqu’un réponde – trop tard – à la question décisive et déjà centenaire : « Surréalisme ou barbarie ? ».

         Joël Gayraud

 

(Paru in Peculiar Mormyrid n°4)

22/01/2017

Création Franche, la revue, n° 44 et n° 45

     Si, régulièrement, je me fais l'écho de la seule revue que nous ayons réussi à pondre en France au sujet de l'actualité des arts spontanés (la création, dite franchepar Gérard Sendrey,  fondateur du musée du même nom), j'avoue avoir pris du retard vis-à-vis du n°44, sorti en juin 2016. Pourtant, il contenait d'intéressants articles, dont un en particulier de Brigitte Gilardet, une chercheuse en histoire de l'art contemporain, travaillant au CNRS, auteur récent d'un (probablement) fort intéressant ouvrage,  Réinventer le musée, François Mathey, un précurseur méconnu (1953-1985), qui est paru aux Presses du Réel en 2014.Lucienne Peiry, ph. Chris Blaser.jpg Dans ce n°44, elle se préoccupe de braquer la lumière sur Lucienne Peiry (voir son portrait ci-contre par le photographe Chris Blaser) et, en particulier, sur l'ouverture de l'art brut vers les mondes extra-européens qu'opéra celle-ci, le temps où elle fut aux commandes de la Collection de l'Art Brut (une dizaine d'années de 2002 à 2012).

Couv CF N°44 déc 2016.jpg

Création Franche n°44, avec une œuvre de Dimitri Pietquin en couverture, juin 2016.

 

     Par ailleurs, la création franche, ayant le courage de ne pas laisser retomber les peintres naïfs, victimes de l'aura grandissante de l'art brut – et, il faut bien le dire, des oukases de Dubuffet et de ses partisans, qui avaient beau jeu de vouer aux gémonies l'art naïf si l'on se référe à ce que l'on a mis en avant dans cet art des années 1960 à aujourd'hui , une sorte d'art cu-cul, comme dit Yankel... –, rend hommage de temps à autre à certains d'entre eux, comme dans ce même n°44 de la revue, à Simone Le Moigne (article de Jean-Pierre Nuaud).

Gisèle Grun-Rousseau, portrait d'un marin nommé Forbin, Coll perm du M de la Création Franche, ph 2008.jpg

Gisèle Grun-Rousseau, sans titre (portrait d'un marin appelé Forbin), coll. permanente du musée de la Création franche, exemple d'art naïf contemporain de belle venue, ph. B.Montpied en 2008.

 

     Gérard Sendrey dans  le même numéro, comme Gilardet avec Lucienne Peiry, veut rendre hommage à un autre critique d'art, Dino Menozzi, qui anima très longtemps en Italie la revue Arte naïve qui s'ouvrit dans la dernière partie de son existence  aux arts singuliers. Par ailleurs, on trouve aussi un article d'archive (de 1991), de Jacques Karamanoukian, trop tôt disparu, s'étant fait l'écho de sa rencontre avec le créateur brut noir américain Sam Mackey à Detroit.

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Quelques numéros d'une valeureuse revue italienne sur l'art naïf et l'art singulier (marginal), Arte naïve... 

 

     Il y a bien sûr d'autres articles dans ce numéro, je ne vais pas tous les citer, il suffit de s'abonner. En ce qui me concerne, je signe un article, d'hommage là aussi, consacré à l'autodidacte Lino Sartori, mari de cette Andrée Acézat (à qui j'ai consacré un ouvrage dans ma collection La Petite Brute), influencé par la liberté de cette femme qui sut, à plus de 70 ans passé, abandonner tout ce qu'elle avait peint jusque-là pour se lancer dans une production de caricatures enfantines singulières. Lino Sartori, quant à lui, s'il peignit aussi sur divers supports en deux dimensions, choisit de préférence les souches de bois qu'il interprétait à la peinture, dans une démarche inconsciemment proche d'un Gaston Chaissac qui, on le sait, adorait peindre sur tout ce qui se présentait à lui, vieux bidons, planches de rebut, parpaings, marmites cabossées... Des œuvres de Sartori sont récemment entrées dans la collection permanente du musée de la Création franche.

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Lino Sartori, sans titre, tronc d'arbre évidé peint, coll. privée, région bordelaise, ph. B.M.

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Lino Sartori, sans titre (dialogue entre marionnettes?), 2007, coll. privée bordelaise, ph.B.M.

 

     Par ailleurs, est également sorti, en ce mois de janvier 2017, traditionnellement décalé par rapport à son mois annoncé en couverture (décembre 2016 ; la revue publie deux numéros par an), le n° 45 de Création Franche.

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Création Franche n°45, décembre 2016 ; en couverture, une œuvre d'une récente découverte de Pascal Rigeade : Léonie Pointis.

 

    Au sommaire, j'ai particulièrement retenu l'annonce par le directeur du musée, Pascal Rigeade, de la requalification du musée en "équipement d'intérêt métropolitain" depuis le 1er janvier dernier. Ce qui paraît signifier que les locaux deviennent propriété de Bordeaux métropole, alors que ce qui s'y expose et s'y anime reste de l'initiative de la ville de Bègles. Pascal Rigeade, dans son éditorial, délivre l'idée que cela pourrait induire des possibilités d'agrandissement et de modernisation pour le bâtiment actuel du musée. Ainsi qu'une communication accrue autour de ses manifestations. On sait qu'a été abandonné le projet de déménager le musée vers la Cité Numérique qui se trouve géographiquement plus près de Bordeaux. Il faut donc imaginer que les responsables de la Création franche rêvent maintenant plutôt de repousser les murs. Cependant, il faut noter parallèlement que le maire actuel de Bègles, Noël Mamère, qui a œuvré grandement à l'épanouissement du musée, ne se représentera pas aux élections en 2020. Il faut espérer que cela n'aura pas de conséquences sur l'avenir du musée, en place et actif depuis 1989 tout de même, et donc bien inscrit dans le paysage des arts spontanés à la fois régionalement, nationalement et internationalement.

      Par ailleurs, dans ce numéro on retrouve quelques contributeurs habituels : Paul Duchein (qui me paraît en petite forme), Dino Menozzi (sur une exposition d'"Irréguliers" à Cles, province de Trente, qui pose la question de "l'authenticité" préalable à toute création par ailleurs taxée d'"outsider" ; je dois dire que son texte, reposant les sempiternelles questions de délimitation terminologique m'a paru quelque peu embrouillé ; en particulier, qui  aurait l'idée – à part en Italie?– de reléguer encore  les "outsiders" et les "irréguliers" dans un quelconque ghetto?), Gérard Sendrey, Bernard Chevassu (qui revient sur les rochers de Rothéneuf de l'abbé Fouré sans véritablement apporter du neuf sur la question, et en véhiculant même une approximation à propos du gisant de la pointe du Christ – ce dernier n'est pas "Judicaël", comme avait cru bon de l'affirmer Frédéric Altmann, que l'on se rapporte à ce que j'ai révélé sur ce blog même, on se demande à quoi ça sert que je me décarcasse?), Jo Farb Hernandez (qui signale ses travaux de recherche sur les environnements spontanés en Espagne, ce que j'avais moi-même déjà relevé dans le n°43 de cette même revue en la citant, ainsi que d'autres ayant travaillé sur le même sujet (ce qu'elle bien entendu se passe bien de faire... ; le rédacteur en chef de la revue aurait pu – je le signale au passage – le rappeler en note)...

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Michel Maurice, sans titre, Musée des mille et une racines de Cornimont, ph. (inédite) B.M., 2016.

 

       En ce qui me concerne, j'ai offert à ce numéro un article qui dévoile pour la première fois dans une publication liée aux arts spontanés un petit musée pratiquement - je gage - inconnu du public des amateurs de ces arts, le Musée des mille et une racines de Michel Maurice (1937-2014) situé à Cornimont (Vosges ; il est dommage que la revue n'ait pas jugé utile de garder les coordonnées de ce musée que j'avais pourtant pris soin d'insérer à la fin de mon article, je les remets donc ici à la fin de cette note). Encore un créateur qui a collecté durant des décennies (50 ans) des formes naturelles en bois tantôt laissées telles quelles, tantôt réinterprétées, teintées, sculptées, etc. Cela avec beaucoup de goût. Après son décès, il est à noter que la municipalité de Cornimont, avec l'appui de ses proches, notamment sa fille Corinne, lui a bâti un musée tout exprès dédié.

Musée des Mille et Une Racines, 23, route de Lansauchamp, Cornimont (près de Gérardmer) . Ouvert tous les jours de 10h à 12 h et de 14h à 18h sauf les mardis ; fermeture du 14 au 30 novembre. Tél : 03 29 23 95 74.

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Michel Maurice, sans titre, (deux promeneuses?), musée des Mille et une racines de Cornimont, ph. B.M., 2016 ; photo non retenue par la rédaction de Création Franche.

Du côté de la Création Franche, à signaler dans les expositions à venir plus particulièrement une expo consacrée à l'art brut en Finlande du 14 avril au 11 juin 2017 qui promet d'être intrigante, tout autant que celle qui fut récemment consacrée à l'art brut indonésien.

19/01/2017

Fontaine hallucinatoire

Détail d'un lavoir aux Baux de Provence, site les fontaine sdu Vaucluse.jpg

Détail du lavoir dit "des Porcelets" aux Baux-de-Provence ; elle est présentée comme représentant un groin mais il est loisible d'y voir, comme moi, un postérieur caché, superposé, par delà le trou d'évacuation de l'eau, à une lèvre supportant une longue langue, creusée pour l'écoulement de l'eau ; l'ensemble possède l'aspect d'une gueule d'animal quelque peu fantastique, plus imaginaire que la seule représentation d'un museau de porc... ; photo trouvée sur un site qui s'intitulait "les fontaines du Vaucluse" (ph. Didou 13) ; on trouve beaucoup de photos de cette fontaine sur le site "Petit Patrimoine".

09/01/2017

A vendre un Sefolosha et deux Roland Vincent (vendus)

     Comme dans le cas du "proto-fusil" d'André Robillard vendu par un ami dont je m'étais fait l'intermédiaire, voici déjà quelque temps, je signale à nouveau des mises en vente, d'une part de deux œuvres réalisées par un créateur "brut", Roland Vincent, maçon sculpteur vivant dans la Creuse (deux statuettes faisant partie de sa série dites communément des "babioles" ; elles ne sont plus disponibles, NDLR 9 octobre 2017), et d'autre part d'une œuvre d'une artiste de la mouvance "art singulier", Christine Sefolosha, une peinture qui fait partie de sa série dite des "Terres" (appelée ainsi en raison des matières graineuses qui donnent un effet de relief et des pigments aux couleurs terreuses, rouge, brun, sombre...).

     Voici ci-dessous les deux statuettes de Roland Vincent (vendues):

 

roland vincent,christine sefolosha,art brut,art singulier                            roland vincent,christine sefolosha,art brut,art singulier

Roland Vincent, à gauche une statuette sans titre ("le musicien à la cornemuse"), 38cm (H) ; à droite une autre également sans titre ("le tambourinaire"), 32 cm (H), poudre de granit à la colle forte sur matériaux recyclés, années 2000, coll. privée. 

 

     Et voici l'œuvre, également sans titre, de la peintre suisse Christine Sefolosha (il me semble que des peintures de cette série des "terres" ne sont pas si fréquentes) :

Christine-Sefolosha-Sans-ti.jpg

Christine Sefolosha, sans titre, 54 x 80 cm, technique mixte sur carton contrecollé et agrafé sur panneau de bois, 1994 (série des "terres"").

 

Si quelqu'un est intéressé, prière de me contacter en privé (voir ci-dessus "Me contacter", juste au-dessus de la vignette représentant un sciapode), le prix pour Séfolosha apparemment en dessous des prix pratiqués pour les peintures de cette artiste de cette période. Depuis le 17 janvier, l'œuvre de cette dernière est visible en format d'image plus grand dans la "Boutique du Poignard subtil" (voir colonne de droite pour en trouver l'accès).

02/01/2017

Alfred Flóki (1938-1987), un symboliste surréaliste attardé en Islande

     Grâce à l'aide de Jean-Louis Cerisier qui l'avait gardé dans ses archives familiales, j'ai retrouvé un dessin d'un dessinateur islandais qui, des années 1960 aux années 1980, joua les Alfred Kubin à la sauce Reykjavik.

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Alfred Flóki devant deux de ses dessins (années 1960?)

 

      Sjón, l'écrivain islandais le plus notoire de ce petit pays, et commissaire d'une rétrospective qui a eu lieu au musée des Beaux-Arts de Reykjavik en 2009, connut probablement Flóki, avant que ce dernier disparaisse prématurément à 49 ans. Il  présente ce côté rétro de l'artiste dessinateur comme une manière de réemployer les styles du passé pour les faire servir à une autre époque dans un autre type de récit. Il écrit : "D’une manière semblable à la façon dont Karen Blixen et Jorge Luis Borges réactivaient les vieilles traditions du récit de contes, Flóki employait des techniques visionnaires venues du passé en les intégrant à son propre langage." (Texte de présentation traduit par Bruno Montpied d'après une version anglaise, voir le texte complet à la fin de cette note). C'est assez malin, cette façon de tourner les choses... A priori, je dirais plutôt que par sincère admiration pour les dessinateurs visionnaires de la fin XIXe siècle, début du XXe siècle (les Kubin, les Max Klinger, les Félicien Rops, etc.), Flóki les continuait, en s'assimilant le surréalisme – comme le note aussi Sjón d'ailleurs, dès la première phrase de son texte – mais un surréalisme d'autodidacte, ce qui le rapproche d'un surréaliste belge, appelé Armand Simon (1906-1981), que le musée royal de Mariemont et le Centre culturel wallon à Paris ont exposé en 2014 ,à côté de Kubin, Klinger et Rops. Ce genre de dessinateur illustre à merveille un surréalisme spontané où les rapprochements les plus délirants se mêlent à des provocations immorales, le tout exprimé avec des moyens graphiques adolescents (c'est-à-dire des moyens graphiques en herbe).

     Cela dit, un ami, membre du groupe de Paris du mouvement surréaliste, Guy Girard, m'a envoyé récemment la précision suivante: " Flóki a bien participé aux activités collectives surréalistes du groupe Medusa (le groupe de Sjón, Thor Eldon and co) et auparavant à "Surrealist i Norden" (avec des surrés danois dans les années 1960-1970), si je me souviens bien. J'aime bien ce genre d'art "lubrique-visionnaire"."

Alfred Flöki, (2) encre et plume sur papier, 42x29,5cm,1982, coll.B.M..jpg

Alfred Flóki, sans titre (à moins que le titre soit l'inscription, incompréhensible pour moi, qui se trouve au verso : "©otsy"...), 42x29,5 cm, encre sur papier, 1982, anc. collection Christine Bruces ; c'est le dessin retrouvé dont je parle au début de cette note.

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Dessin d'Armand Simon, publié dans L'ombilic du rêve, Rops, Klinger, Kubin, Simon, sous la dir. de Sofiane Laghouati, La lettre volée et le musée royal de Mariemont (Belgique), 2014 ; même goût pour la provoc' naïve...

 

      Flóki peut être aussi rapproché d'un autre symboliste tardif, Gustav-Adolf Mossa, grand inclassable de l'art à l'écart, vivant à Nice, loin de  la capitale donc, qui possédait cela dit un métier artistique plus poussé, mais qui était tout aussi friand de scènes provocantes, avec des goules fixant de leurs grands yeux fous les spectateurs, du haut de pyramides où s'empilent des cadavres d'hommes nus, massacrés par elles. Ces artistes ont ceci en commun de vouloir forcer le trait, de lâcher les chiens de leurs fantasmes, sans se laisser freiner par de quelconques tabous. Ne s'en effraieront que les grenouilles de bénitiers.

 

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Alfred Flóki, 36,8 x 26,8 cm, 1983.

 

        Alfred Flóki est parfaitement inconnu par nos contrées, du fait du manque de curiosité des professionnels de la critique d'art, et du fait aussi de la barrière de la langue. L'islandais paraît si exotique aux oreilles françaises. Et pourtant, plusieurs artistes islandais, plasticiens ou musiciens de rock et de pop, ont su se faire connaître (en parlant anglais): Erró, Björk, Emiliana Torrini, et plus récemment Olafür Arnalds... Je suis tombé dessus en ce qui me concerne grâce aux surréalistes islandais qui firent parler d'eux dans les années 1980 (Sjón était leur figure de proue, avant de devenir par la suite, l'écrivain national et, accessoirement, le parolier de Björk). Et puis ma grande amie Christine Bruces séjourna en Islande deux mois (1982 ou 83 ?), où elle rencontra Björk, alors peu connue,  Sjón et autres membres du groupe des débuts de Björk, les Sugarcubes... et Alfred Flöki ! Elle m'avait raconté qu'il l'avait même entraînée, voulant la draguer très probablement, dans un petit voyage à travers l'Islande, en louant un taxi. La longue chevelure de Christine lui rappelait certainement les femmes qu'il affectionnait de dessiner dans ses compositions. Le dessin de la femme faisant une fellation à un pendu, qui fut donné à Christine suite au petit voyage, ne fut peut-être pas dessiné en pensant à elle, mais sa réalisation paraît cependant contemporaine du séjour de mon amie en Islande. D'où l'hypothèse qui courut un temps lorsque Christine montra le dessin de retour à Paris qu'il représentait un fantasme de Flóki vis-à-vis d'elle... Elle faisait la grimace devant cette hypothèse, et je ne pense pas qu'elle aimait beaucoup l'œuvre... Après tout, il y a plus romantique comme fantasme.

     Flóki, cependant, ne peut être limité à ce genre de dessin provocateur. Il possède apparemment, si l'on en juge d'après internet, au gré de ventes aux enchères islandaises (l'œuvre ne paraît avoir quitté beaucoup son pays), d'autres sources d'inspiration comme les images ci-dessous tentent de le démontrer.

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Alfred Flóki

Alfred Flöki (38-87), Dökkumio, 60x90cm, 1983.jpg,.jpg

Alfred Flóki, 60x90 cm, 1983.

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Alfred Flóki, Œuf noir, 25x34 cm, 1977.

Alfred Flöki, Aning (mise en scène), 29x24 cm, vers 86.jpg

Alfred Flóki, Aning (mise en scène), 29 x 24 cm, vers 1986.

 

*

Texte de présentation de Sjón (2009):

     Alfreð Flóki tient une place à part dans l’histoire de l’art islandais. Il fut inspiré par le symbolisme et le surréalisme, les théories de mystiques et de poètes, et ne manqua pas d’offenser ses compatriotes avec les idées audacieuses que ces sources ténébreuses propageaient. A sa première exposition, en 1959, il parut évident que Flóki voguerait à rebours des courants de l’époque. Non seulement il dénonçait l’art de la peinture et l’abstraction, mais ses sujets figuratifs, traités au fusain et à l’encre, étaient, pour le dire diplomatiquement, étrangers au public islandais. Le spectateur était rejeté de la vie morne et grise de Reykjavík vers un monde où la nature humaine apparaissait sous ses formes les plus extrêmes : la procréation et la mort, des fanatiques religieux constipés luttant contre de souriantes et capricieuses séductrices, le durcissement ou le pourrissement de la chair, des singes libidineux fricotant avec de nobles dames au passé suspect. D’une manière semblable à la façon dont Karen Blixen et Jorge Luis Borges réactivaient les vieilles traditions du récit de contes, Flóki employait des techniques visionnaires venues du passé en les intégrant à son propre langage. Mais même si la façon dont Flóki a construit son monde d'images rappelle plus les méthodes de travail des écrivains que celle des artistes, personne, parmi ceux qui auront vu son œuvre, ne peut douter qu’il chercha toujours de nouvelle voies dans ses interprétations visuelles ; la ligne peut tantôt être propre et bien pensée, tantôt devenir indisciplinée et agressive.

      Dans cette rétrospective, nous cherchons à faire connaître aussi bien le Flóki, artiste travailleur acharné, que le Flóki facétieux qui répondait à la curiosité du public à propos de sa vie privée par des interviews chargées de remarques provocatrices. L’œuvre qui reste nous peint une personnalité qui a plongé son regard dans l’abîme et nous a rapporté – à nous qui ne pouvions faire autrement que de regarder de l’autre côté – des histoires de ce rendez-vous dessiné avec la matière même, pourpre et noire, des ténèbres.

Sjón.

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Alfred Flóki, Le génie Alfred Flóki à Kvoldgongu,  30,5 x 18,5 cm, fév. 1959.

 

01/01/2017

Frère de tout le monde...

       Frère de tout le monde, voici qui peut parfois entraîner de lourdes responsabilités... Bonne année nouvelle à tous, cela dit.

voeux 2016-2017.jpg

Dessin de Huub  Niessen, Brother of everybody...

 

       A signaler en 2017 deux événements me concernant de près : une exposition Bruno Montpied-Huub Niessen à la Galerie Dettinger-Mayer, 4 place Gailleton à Lyon 2e ardt – du 17 mars au 7avril –... et la parution de mon nouveau livre, un inventaire des environnements populaires spontanés, intitulé Le Gazouillis des éléphants, (sortie prévue à l'automne 2017, aux éditions du Sandre). Cela devrait être un gros ouvrage plein d'images et de textes inédits, de quoi faire le panégyrique d'une véritable France parallèle des créateurs ingénus inconnus...

Page annonçant la parution du Gazouillis dans carte catalogue du Sandre.JPG

Cette annonce figurait dans la dernière carte de vœux des éditions du Sandre en 2016, avec les parutions à venir...

26/12/2016

Eloge de la pluie, en dédicace à Zébulon

      Tenez, en spéciale dédicace à un de mes commentateurs distingués, et pour augmenter ma playlist éparse au fil des notes de ce blog, pour alimenter aussi les rubriques "poèmes choisis du sciapode" et "chanson poétique", voici un poème de Francis Carco, chanté par Monique Morelli (que l'on retrouve sur l'anthologie de chansons d'après Carco éditée sous le label EPM, collection "Poètes et chansons").


podcast

"Il pleut", par Monique Morelli

25/12/2016

Les épouvantails de Denise et Maurice en voyage à Mamers (Sarthe)

       Qu'on se le dise dans les bocages et ailleurs, le film de Remy Ricordeau, Denise et Maurice dresseurs d’épouvantails, sera projeté en sa présence le mardi 24 janvier à 20h au cinéma Rex de Mamers (dans la Sarthe) ainsi que le dimanche 29 du même mois à 14h dans le cadre du festival "Regards sur le monde rural". M'est avis qu'on devrait trouver aussi à cette occasion le livre au titre éponyme publié dans la collection La Petite Brute (éd. L'Insomniaque). Et, non, avant qu'un commentaire ne s'empare de la question, autant préciser tout de suite que le maire de Mamers n'est pas Noël Mamère (ce serait trop beau)...

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On reconnaît, sur la photo de l'affiche, l'oie Fifi du couple créateur d'épouvantails, en train de défendre son épouvantail favori.

23/12/2016

Jean-Louis Cerisier et ses "contrées intermédiaires, 1972-2016", un bel ouvrage pour les fêtes

     Le peintre Jean-Louis Cerisier, dont j'ai déjà eu ici de nombreuses occasions de parler, publie en cette fin d'année une monographie sur son œuvre qu'il envisage rétrospectivement. Titre complet : Jean-Louis Cerisier, contrées intermédiaires. Dessins, peintures et compositions, 1972-2016. C'est le deuxième titre de la collection Les Cahiers de la Création Naïve et Singulière que dirige par ailleurs le même Cerisier ("charité bien ordonnée, etc."..!). On se souviendra peut-être que j'avais chroniqué, sur ce même blog, le n°1, consacré à Serge Paillard, le visionnaire des pommes de terre.

Contrées intermédiaires, 1ère et 4e de couverture (2).jpg

Le livre sur Jean-Louis Cerisier, ph. Bruno Montpied, 2016.

      Il a demandé quelques contributions à des auteurs extérieurs (Gérard Sendrey - qui signe là un de ses meilleurs textes, j'ai trouvé – votre serviteur, Bruno Montpied (texte intitulé Un Cerisier parmi mes talismans), et des notices, analysant certains tableaux, dues à Françoise Limouzy).

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Jean-Louis Cerisier, Imaginaires Le rêve, huile sur panneau de bois, 39x49 cm, 1983, coll. ville de Laval ; cette peinture n'est pas reproduite dans le livre Contrées intermédiaires.

 

     Dans mon texte, je confesse vers la fin que  l'œuvre de Jean-Louis Cerisier me ravit surtout lorsqu'elle s'applique à générer une atmosphère onirique au sein d'une représentation en apparence réaliste (exemple le tableau ci-dessus), mais que cette opération reste "intermittente"... Le mot, je le sais, a chiffonné le peintre qui a tout de même accepté de publier le texte. D'après lui, la "majorité de son œuvre est onirique"... Et, effectivement, à parcourir l'iconographie choisie pour cette monographie, il semble que l'artiste mayennais a tout fait pour me faire mentir, en sélectionnant ses pièces avec soin du côté de l'imaginaire et du mystère. Il faut dire que pour les commentateurs extérieurs, même ceux qui ont approché, comme moi, régulièrement l'œuvre (je crois bien avoir été un des tout premiers à l'avoir défendue, dès 1992, dans un entrefilet de Création Franche n°5, puis en 1994, dans mon  fanzine L'Art immédiat n°1 (dont tous les textes dataient en réalité de 1990), références bibliographiques que je dois déplorer, cela dit, de ne  pas voir indiquées dans la bibliographie finale de l'ouvrage), il a toujours été difficile de s'en faire une idée exacte, des pans entiers en restant secrets. Comment, dans ces conditions, M. Cerisier, espérer que vos exégètes pourront être parfaitement documentés afin de fonder au mieux leurs analyses?

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Bon de commande de l'ouvrage, ci-dessus en JPEG, ce qui ne le rend pas très lisible mais permet de voir à quoi ça ressemble.... On veillera donc à l'imprimer plutôt au format PDF, comme je le propose ici même en suivant ce lien.

 

      Personnellement, je me suis posé la question d'une possible intermittence à l'onirisme, suite aux deux expositions que nous fîmes ensemble, au musée de la Création franche en 2011 et au Manoir des Renaudières à Carquefou en 2015. J'y vis une tendance de l'artiste à s'essayer à des "compositions" un peu trop formalistes et gratuites, comme si l'auteur se mirait en elles dans une certaine pose artiste (voir ci-dessous La Grande Côte), voire à des scènes sans grande saveur (une série de maisons simples par exemple exposée à Carquefou). Ce livre évite ce genre d'œuvres, (hormis quelques-unes, les plus réussies dans le genre), et donne donc en apparence tort à ma remarque...

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J-L. Cerisier, La Grande Côte, expo au musée de la Création franche, ph. B.M. (non reproduit dans Contrées intermédiaires).

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J-L. Cerisier, L'escalier et la fenêtre, tempera, 28,5x20cm, 2008, coll. de l'artiste ; extrait du livre Contrées intermédiaires, exemple de tableau où le cadrage est particulièrement étudié.

 

     L'ouvrage (de 112 pages) est illustré de 85 reproductions couleur, choisies en fonction des époques, et des différentes techniques, (gouache, grattage, ardoises, collage, etc.), "compositions", ou  marottes (Cerisier aime découper certains de ces tableaux, le cadrage jouant un grand rôle dans son travail - influence que l'on pourrait  imputer, au début de l'œuvre cerisiéenne, à son admiration pour le grand peintre "naïf" (ou réaliste poétique?) Jules Lefranc, qui par ailleurs fut à l'origine du musée d'art naïf du Vieux-Château, à Laval, ville où Jean-Louis Cerisier a grandi).

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J-L. Cerisier, Le petit déjeuner, stylo sur papier, 23x30,5 cm, 1984, ph. et coll. B.M. (œuvre reproduite dans Contrées intermédiaires) ; exemple d'œuvre où une extrême importance est accordée au service à thé aux étranges rutilances...

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J-L. Cerisier, Scène d'intérieur avec arrosoir, huile sur toile, 92x73cm, 2005, coll. privée Rouen (œuvre reproduite dans Contrées intermédiaires) ; où l'on retrouve le soin particulier de l'auteur du tableau pour le rendu mystérieux et disproportionné des objets, après le service à thé du dessin ci-avant, voici en l'occurrence ces pots de fleurs où l'on perçoit encore d'étranges phosphorescences (comme le décrit Françoise Limouzy dans une de ses analyses) ; l'effet de perspective n'explique pas tout dans ce gigantisme...!

 

      En majorité, les peintures choisies reflètent avec grand sérieux l'amour du peintre pour les objets (qu'à mon avis, il restitue avec une étrangeté et une maestria plus grandes que lorsqu'il campe des êtres humains, voir ci-dessus les deux œuvres que je mets en vis-à-vis), les situations aux statuts énigmatiques, les paysages, confinant parfois à l'abstraction ou au visionnaire, comme dans le cas de Ardoise Paysage I de 2008 , qui n'est pas loin de faire penser, par sa qualité et son esprit, aux paysages "surréalisant" de Joseph Sima, ce peintre fameux du groupe Le Grand Jeu.

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J-L. Cerisier, Ardoise Paysage I, gouache sur ardoise, 30x20cm, 2008, coll. privée, Châteaubriant ; œuvre reproduite dans Contrées intermédiaires.

 

      En ce qui concerne la dimension visionnaire, je produirai également en exemple cette petite peinture intitulée Souvenir de Versailles (2004 - où passe le souvenir d'un art visionnaire  fin XIXe siècle un peu nordique ; il ne m'étonne pas qu'elle soit partie dans une collection privée en Finlande) ou encore Le cerf-volant de 1988 (dont, moi qui l'ai vu en train d'être peint à même le sol dans un camping, j'ai publié une esquisse dessinée au stylo en noir et blanc dans l'Art immédiat n°1, voir plus bas) .

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J-L. Cerisier, Souvenir de Versailles, gouache et crayons de couleur, 29,7x21 cm, 2004, coll. privée, Finlande (œuvre reproduite dans Contrées intermédiaires).

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J-L. Cerisier, Le cerf-volant, huile sur panneau de bois, 19x13 cm, 1988, coll. privée, Paris (œuvre reproduite dans Contrées intermédiaires)

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Page 15 de mon fanzine L'Art Immédiat, daté de 1994, avec mon premier texte sur Jean-Louis Cerisier, Portrait-minute daté du 17 juillet 1988, écrit pendant la réalisation du Cerf-volant.

 

       Il y a aussi chez Cerisier une dimension ingénue ou naïve, n'ayons pas peur du mot, si détesté des critiques d'art académiques vite effarouchés devant l'innocence – ou pour le dire autrement, un réalisme poétique qui ne débouche pas toujours nécessairement sur l'onirisme, comme dans le cas de ce paysage parisien, représentant le café de la Grosse Bouteille, qui existe (existait?) réellement Boulevard Richard-Lenoir dans le XIe ardt, mais hélas!, plus pour longtemps, si l'on en croit un article du Parisien de mai dernier, qui prédisait la destruction prochaine du bistrot miteux dont on atteste la présence depuis les années 1920 (la bouteille ayant changé au moins deux fois de matériau). Doisneau l'a photographiée dans les années 1960... Une fois de plus, les édiles parisiens se font remarquer par leur insensibilité crétine à la poésie du Paris populaire. On ne parle même pas d'essayer de remiser la bouteille "en plastique médiocre des années 1950" dans un quelconque musée Carnavalet., mais plutôt de l'intégrer en deux dimensions dans une fresque du square qui va remplacer le bistrot (on voit le genre d'ici...).

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J-L.Cerisier, La grosse bouteille, gouache sur carton, 32x25 cm, 1995, coll. privée, Paris (œuvre reproduite dans Contrées intermédiaires, appelée à devenir un document historique...) ; les pompiers qui paraissent l'avoir encordée et semblent prêts à la faire tomber sont prémonitoires, hélas...; l'étiquette Byrrh me paraît fantaisiste, mais c'est à vérifier, quelque Isabelle Molitor ou Régis Gayraud de passage vont bien nous le confirmer ou l'infirmer...

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Robert Doisneau, la Grosse Bouteille aux couleurs du Picon en 1961.

      Mais plutôt de continuer cette note, mieux vaut vous inciter à vous procurer l'ouvrage, édité, est-il besoin de le souligner?, avec beaucoup de courage et d'audace par l'artiste lui-même.

17/12/2016

Mark/Isidor, l'art au bord du gouffre

      Hier, je me baladais dans un quartier de Paris connu pour abriter de nombreuses galeries. Un quartier des plus chics et des plus historiques de la capitale. Belles maisons, beaux objets, tout très cher évidemment. Subitement, mon œil aperçoit de l'autre côté d'une rue très passante, sur un trottoir étroit, un amas de planches parmi lesquelles se trouvent des panneaux peints de scènes diverses, certains qui paraissent pouvoir retenir l'attention. Je traverse, me disant qu'un artiste du coin a vidé ses laissés pour compte sur le trottoir autour de sa poubelle. Dans le tas, il me semble que parmi des peintures pas très poussées, mais tout de même assez brutes de décoffrage, peuvent surnager quelques pièces à sauver de la destruction (les éboueurs ne sont pas encore passés). Je commence à déplacer les peintures, ébauchant un tri, tout en repêchant les œuvres qui se cachent les unes en dessous des autres. Tout à ma tâche, je n'ai pas examiné de quoi est fait le tas sur lequel s'empilent les panneaux, et brusquement, je perçois un mouvement à l'intérieur. Il y a un homme là-dessous! Qui s'extirpe pour voir qui je suis et pourquoi je fouille dans ses affaires... Il n'est pas en colère. Je m'excuse, en outre... Je lui explique que j'ai cru qu'il s'agissait de peintures jetées à la rue. Il baragouine dans un pidgin difficile à décrypter, mais il a compris que je m'intéressais à ses petits tableaux. Nous nous entendons rapidement. A force de lui faire répéter ses mots, je parviens à dégager quelques éléments. Il viendrait d'un pays de l'est, un de ses tableaux montre un drapeau de l'ancienne Yougoslavie. Il signe "Mark" sur plusieurs de ses tableaux, ajoutant parfois un nom en rapport avec une personne rencontrée (je n'ai pas compris de quel type était le lien entre cette personne et l'image), par exemple "Calamo" (nom d'un encadreur du quartier paraît-il, peut-être une transcription ultra approximative du vrai nom) ou "Isidor"...

Vue générale (2) de l'expo de rue 1.jpg

Vue générale de l'installation de Mark, "street artist" d'un autre genre, photo Bruno Montpied, 2016.

Vue générale (2) de l'expo de rue 2.jpg

Mark, pour les besoins de la photo, a disposé la plupart de ses tableaux comme pour une expo sauvage, en pleine rue, ph. B.M., 2016.

 

     Sa situation est des plus périlleuses. Il dort et vit sur un petit matelas sous cet échafaudage de planches (je n'ai pas trop eu le temps d'examiner en détail son abri, j'étais appelé ailleurs), sur  un trottoir qui ressemble à une corniche posée au bord d'un torrent de bolides hurlant, se précipitant à cet endroit vers le sud de la capitale. En dormant, ou ayant bu un coup de trop,  il pourrait verser sous les roues des voitures. Je le lui dis, mais il répond, mais non, c'est OK... Est-il là, justement à cause de cette localisation peu enviable, sur un bout de bitume que personne ne peut songer à lui disputer? Il s'enfouit sous cet amas de tableaux qui lui sert de couvertures (à tous les sens du terme), d'abri, de carte de visite, et de cachette, qu'on prend, comme moi, pour un tas de détritus en lisière d'une circulation si bruyante qu'on n'a qu'une hâte, s'éloigner le plus vite possible... (D'ailleurs, le bref dialogue que j'eus avec ce peintre clochard était sans arrêt recouvert par le vacarme des véhicules, ce qui n'arrangeait pas la compréhension comme on l'imagine). Mais, je m'en apercevrai plus tard, il laisse dépasser du tas ses jambes abritées dans un sac de couchage , simplement masquées par un mince tableau (sans doute est-ce un moyen d'informer le passant – et l'éboueur – qu'il ne s'agit pas là d'un tas de détritus comme les autres... De plus, il est aussi à remarquer que sous l'endroit où il pose une chaise, il y a une bouche d'aération qui lui assure peut-être un peu de chaleur.

Mark, sans titre (2) (Salamo ; tête cornue, ptêt un faune...), 33x28cm, 2016 (alt).jpg

Mark, sans titre ("Calamo" ne paraît pas être le titre), peinture (acrylique?) sur panneau de bois, 33x28cm, ph. et coll.B.M. ; à noter qu'il semble que la peinture lui ait été fournie par un marchand de fournitures artistiques du quartier, à partir de ses invendus

 

      Le contexte urbain a dû peser sur son choix de se lancer dans la peinture. Le quartier est semé de galeries diverses et variées. Juste à côté de son abri, visible sur la première photo mise en ligne ci-dessus, on aperçoit d'ailleurs un bout d'un magasin d'antiquités (où les prix des œuvres sont bien entendu à des années-lumière de ses prix à lui...! Je lui  ai acheté un petit portrait d'homme, pourvu de cornes, ressemblant à un faune, pour une somme peu élevée mais qui peut tout de même l'aider). Il "habite" ce trottoir depuis déjà quelques années, d'après ce que m'a confié une galeriste du coin, mais le désir de peindre ne semble être venu que depuis  un an – le temps sans doute qu'infuse en lui la présence massive des œuvres d'art présentes autour de lui dans le quartier...?

Paysage à l'éléphant (2), 60x110cm env.jpg

Mark, sans titre, paysage à l'éléphant (fort membré), à peu prés 60x100cm, ph.B.M., 2016.

Source d'inspiration (2), une brochure donnée par des passants.jpg

D'où vient l'inspiration... pour les scènes érotiques situées en contrebas sur la photo ; à noter aussi le portrait de Michel Sardou en jaune et bleu, sous la brochure... ph.B.M, 2016.

 

    Il paraît chercher de temps à autre une utilité à ses peintures – distincte du pur plaisir de les contempler, je veux dire. Il me montra par exemple une peinture de paysage dont un espace vide, peint en bleu ciel, pouvait servir à insérer un menu de restaurant . Il fait dans la peinture érotique aussi, en démarquant les images d'une brochure que des passants grecs lui ont donnée. Mais dans sa (petite) production, le meilleur est encore à chercher du côté de peintures bizarres, un paysage avec un éléphant semi rose (rançon d'un demi éthylisme?), une "grenouille" qui m'a tout l'air d'avoir été écrasée, un portrait de Michel Sardou (chanteur qui a l'air de l'obnubiler), une composition bleue vaguement "cubiste", une autre avec un globe terrestre, un portrait en profil de Spartacus, un bateau à la forme inusitée...

La grenouille (2), Isidore.jpg

Mark, "grenouille"... Une inscription à droite : "Isidor" (une autre signature?), ph.B.M., 2016.

Saynète bleue.jpg

Mark, sans titre (saynète bleue "cubiste"), ph. B.M., 2016.

Bateau, Isidorejpg.jpg

Mark, sans titre (un bateau ; plus la  même inscription que ci-dessus, "Isidor", qui paraît comme masquée...), ph.B.M., 2016.

 

    Cet homme, peintre sauvage de rue, devrait être encouragé, je trouve. Cela fait d'ailleurs longtemps que je pense que les SDF qui mendient dans la rue devraient s'essayer à l'art. Cela pourrait être une source de revenu. Vu le nombre de passants dans les couloirs du métro, ils toucheraient fatalement quelques collectionneurs croisant devant leur installation de misère. Je ne donne pas l'adresse exacte de ce peintre, mais si quelque amateur demandait à le rencontrer, qu'il n'hésite pas à me contacter en privé (adresse en haut sur la colonne à droite sur ce blog, ou adresse à la fin de "l'éditorial" qui se cache dans la rubrique "A propos", même colonne). 

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Mark (Isidor?), ph. B.M., 2016.

13/12/2016

Monsieur Arthur Borgnis cherche de l'aide pour financer son film sur une Histoire de l'Art Brut

     C'est la mode, on adore prendre des termes anglo-saxons pour intituler ses œuvres, la langue française étant désormais perçue par tant de gens – à mon avis de façon désolante –  comme moins sexy...  M. Arthur Borgnis n'y a pas coupé en reprenant une citation (quelque peu sybilline, je dois dire, surtout si on la rapporte au sujet du film) d'une créatrice rangée dans l'art brut, Madge Gill, Eternity has no door of escape (= "On ne peut  pas s'échapper de l'éternité"), pour en faire le titre d'un documentaire qu'il souhaite réaliser et éditer en DVD l'année prochaine (pas de diffusion possible sur les chaînes de télé, que la dictature de l'audimat continue d'écraser), et qu'il rêve de voir comme une "histoire de l'art brut", projet qui n'aurait pas été tenté selon lui (et pourtant, ne pourrait-on pas citer le film de Bruno Decharme, Rouge Ciel, qui a déjà été sur le même "créneau"?).

Trailer du film d'Arthur Borgnis projeté

 

     Ce titre a déjà été utilisé pour l'exposition de la collection Eternod-Mermod il ya quelques années (2001) à Lugano, et je me demande s'il est bien adéquat pour un tel projet (évidemment, surtout auprès d'un public francophone)... On lira cependant attentivement le projet du film avec la demande de collaboration participative (Kiss Kiss Bank Bank...) demandée auprès de tous ceux qui veulent  le soutenir.

    Cependant, personnellement, une phrase dans ce projet, qui évoque "quatre figures emblématiques incontournables" de l'art brut, me chiffonne assez considérablement : "Jean Dubuffet, qui théorisa l’art brut, sera la figure tutélaire du film. Hans Prinzhorn, qui fut le premier à considérer les œuvres d’aliénés comme des œuvres à part entière, puis  Harald Szeemann qui l’introduisit dans l’art contemporain, et Alain Bourbonnais qui l’ouvrit à l’art autodidacte sous différentes formes seront nos guides, nos passeurs." Si je peux m'accorder avec l'auteur du projet avec la première partie de cette déclaration (Dubuffet, Prinzhorn...), la seconde me paraît ultra délicate. Szeemann aurait introduit l'art brut dans l'art contemporain? Si c'est vrai, cela n'a aucun sens et ne peut être réalisé qu'à la faveur d'une entourloupe, d'une manipulation et d'une usurpation du sens des mots "art brut". C'est en effet, cependant, ce qu'essayent de faire aujourd'hui, certains marchands (la galerie Christian Berst par exemple), créer une confusion entre art brut et art contemporain, mais cela n'a pas à être défendu par les vrais amis de l'art brut. Dire ensuite qu'"Alain Bourbonnais" aurait ouvert l'art brut "à l'art autodidacte" est incohérent et confus, puisque l'art brut, par définition, est précisément le fait d'autodidactes. Il semble que le texte veut dire autre chose, si on me permet de l'interpréter en dépit de sa confusion: ne veut-on pas insinuer en effet qu'Alain Bourbonnais aurait "élargi" l'art brut  à l'art des marginaux contemporains en tous genres, classés dans la neuve invention ou dans l'art singulier, ou selon le terme utilisé par Bourbonnais justement, "l'art hors-les-normes"? Qu'il aurait en quelque sorte adhéré par là à l'amalgame très anglo-saxon de l'art "outsider"? Cela serait défendre une contre-vérité là aussi, puisque Bourbonnais a bifurqué au contraire par rapport à l'art brut, en s'intéressant avant tout à des formes de création inclassables, singulières : de l'art contemporain de marginaux, pas assimilables à l'art autarcique propre à l'art brut. Il ouvrait ainsi une voie qui s'est poursuivie avec l'art dit singulier (après 1978) qui reste une catégorie d'art à distinguer de l'art brut. Quelques créateurs de l'art brut se retrouvent certes dans la collection de la Fabuloserie de la famille Bourbonnais (Ratier, Aloïse, Podesta par exemple), mais ils sont minoritaires au sein de la collection, n'étant là que parce qu'Alain et Caroline Bourbonnais étaient avant tout éblouis par leur créativité. Il est aussi à noter que la Fabuloserie recèle peu d'œuvres venues du monde asilaire.

09/12/2016

L'art clandestin de Pierre Caran

      Est paru en secret l'an dernier un bel ouvrage d'art auto-édité par Mme Thérèse Joly, la compagne de Pierre Caran, un créateur fort original (1940-2008), décédé d'un cancer qu'il avait essayé d'oublier, ou de surmonter, grâce à son activité humoreuse d'artiste recycleur qui se déploya durant les six dernières années de sa vie.

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Pierre Caran, ouvrage édité à l'initiative de Thérèse Joly, novembre 2015 ; en couverture, Totem, peinture à l'eau sur bois et collage, 2004.

 

      Totalement inconnu des amateurs d'art brut, d'art naïf ou singulier, d'art d'autodidactes – ce qu'était en matière artistique Pierre Caran apparemment, qui fit carrière comme médiateur culturel dans la région de Thonon-les-Bains, et donc était largement pourvu en matière de connaissances de toutes sortes – ce poète clandestin réalisa en secret une œuvre des plus attachantes, si l'on s'en rapporte aux nombreuses pièces présentées dans ce livre, variées et surprenantes, manifestant par leurs titres, mais aussi par les matières, couleurs, techniques mises en œuvre, le raffinement culturel de l'auteur, mixé paradoxalement à un dessin archaïsant, aussi stylisé que l'art enfantin, que ne reniait sans doute pas Pierre Caran.

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Pierre Caran, L'enfant, collage et assemblage d'éléments divers sur racine, peinture à l'eau, 2006. 

 

     Cette œuvre fut produite dans l'intimité, seulement connue d'un cercle de proches, dont deux d'entre eux, fort célèbres, Valère Novarina et Michel Butor ont donné des textes pour les besoins de l'ouvrage, la biographie du créateur et la description de l'œuvre étant pour leur part confiées à Emmanuel Boussuge, que les lecteurs de ce blog connaissent quelque peu. Même le livre aurait pu ne pas dépasser le cercle des proches, si Thérèse Joly n'avait pas eu l'heureuse idée d'en déposer quelques exemplaires¹ à la librairie de la Halle St-Pierre, où son animateur, Pascal Hecker, me le fit voir (une petite exposition, peut-être pas très "lisible", se tenait sur les murs de la librairie au même moment). Toutefois, on peut noter une unique exposition organisée après sa disparition, à la Chapelle Saint-Bon, à Thonon en 2009.

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Pierre Caran, Hommage à Valère Novarina, peinture à l'eau sur bois et pierre, 2006.

 

      L'œuvre comprend beaucoup d'assemblages, de galets, pierres, ou bois trouvés dans sa région, près du lac Léman², qu'il laissait tels quels, ou bien sur lesquels il intervenait, les repeignant selon les cas plus ou moins intégralement, les mettant en scène (c'était un homme qui aimait le théâtre et le cinéma), les associant parfois à des références littéraires (car il était aussi féru de littérature), les mêlant à d'autres matières réemployées. Il ne se contentait pas de ces interprétations sur objets naturels,pierre caran,thérèse joly,emmanuel boussuge,art clandestin,art d'autodidactes cultivés,art singulier,art récup',valère novarina,michel butor il peignit et dessina aussi (voir ci-contre son Autoportrait, de 2005), écrivit divers textes, toujours dans le même bref laps de temps  durant lequel la maladie lui mit le grappin dessus. Plusieurs de ces œuvres sont des évocations de scènes liées à sa maladie et aux traitements. Ce qui me frappe dans cette production, outre le raffinement dont il faisait preuve, c'est qu'il ne s'abandonne jamais à la facilité, comme tant d'autres artistes dits "singuliers" peuvent au contraire s'y vautrer. Ces derniers se contentent généralement de rapprochements évidents (produisant à la pelle des "Têtes à Toto", à l'aide par exemple de deux enjoliveurs et d'un peigne). Chez Caran, nulle paresse, un souffle poétique, greffée sur un vécu et une souffrance – jamais complaisamment mise en avant –, se déploie authentiquement.

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Pierre Caran, L'enfer sur terre, peinture à l'eau sur toile, 70x60cm, 2008 ; terrible peinture à mon avis.

 

      Emmanuel Boussuge, dans sa contribution, se demande où le situer : art brut? Art singulier?... Peut-être que pour ce genre de créateurs cultivés, autodidacte en matière artistique, on pourrait créer une nouvelle étiquette: l'Art clandestin? Il ne serait pas seul sous cette appellation, les jardins secrets d'écrivains par exemple étant légion (exemples, ceux de Victor Hugo, August Strindberg, Marguerite Burnat-Provins, etc.)...

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Pierre Caran, Reflets dans l'eau, peinture à l'eau sur papier, galets collés, 40x50cm, 2007.

 

      J'incite fortement mes lecteurs à acquérir cet ouvrage, histoire de distinguer un peu mieux où se situe aujourd'hui le véritable génie "singulier".

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¹ On peut toujours les y trouver, et sinon, on peut commander l'ouvrage (35€, port compris) à Mme Thérèse Joly en écrivant à joly.photos@free.fr , ou aux Editions des Amis de Pierre Caran, 4 avenue du général de Gaulle, 74200 Thonon-les-Bains.

² Thonon-les-Bains, rappelons-le, est située juste en face de Lausanne, de l'autre côté du lac Léman. Ville où s'abrite la Collection de l'Art Brut... On ne sait si Pierre Caran eut l'occasion d'aller visiter ce mirifique endroit, où il aurait trouvé de nombreux cousins par l'esprit, sinon par le style et la technique, de son art...

03/12/2016

"Jean-Dubuffet-Alain Bourbonnais: Collectionner l'art brut", une correspondance ou un calque?

      Vient de paraître chez Albin Michel un magnifique ouvrage, un pavé orange, consacré, par delà la correspondance entre Jean Dubuffet et Alain Bourbonnais qu'il met en scène (dans un appareil critique dû à Déborah Couette), à l'histoire de l'activité de la galerie nommée l'Atelier Jacob (de 1972 à 1982) et de la constitution de la collection "d'Art-Hors-les-Normes" de la Fabuloserie (ouverte à Dicy dans l'Yonne de 1983 jusqu'à aujourd'hui).

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Photo Bruno Montpied

      Disons d'emblée que ce gros livre est d'abord un très beau livre d'images. Son iconographie est riche et variée, couvrant à la fois les œuvres d'art brut d'auteurs qui furent exposées ou non à l'Atelier Jacob et les œuvres, plus nombreuses, d'artistes ou d'auteurs travaillant "sous le vent de l'art brut", pour reprendre la terminologie de Jean Dubuffet. Beaucoup de ces œuvres sont inconnues, en terme de publication. Grâce à la recherche qu'a menée Déborah Couette, on découvre les filiations et les échanges qui ont existé entre Alain Bourbonnais et son foyer d'art hors-les-normes (étiquette suggérée par Dubuffet) d'une part, et, d'autre part, la collection de l'art brut et sa documentation installée dans les années 1960-70 encore rue de Vaugirard (dans l'hôtel particulier qui est devenu aujourd'hui le siège de la Fondation Dubuffet), où Bourbonnais allait en compagnie de sa femme Caroline puiser des idées et des informations pour sa propre collection.



Un feuilletage du livre en moins de 15secondes (et non pas un effeuillage, Bousquetou, si vous traînez encore par ces pages...), film B.M.

 

      Mais au fur et à mesure de la lecture se dégage une curieuse constatation. Dubuffet, on le sait depuis peu (grâce à un témoignage de Michel Thévoz paru dans le catalogue des 40 ans de la collection de Lausanne), donna sa collection d'art brut à la ville de Lausanne, après avoir refusé de la confier à une institution française (il craignit même un temps que sa donation soit bloquée à la frontière lors de son transfert en Suisse), ne voulant pas que son "Art Brut" (il préférait les majuscules) soit mélangé à l'art moderne du Centre Georges Pompidou (cela devrait nous faire réfléchir actuellement, alors qu'art brut et art contemporain ont entamé une drôle de valse ensemble...). Ce transfert prit place en 71 (la Collection au Château de Beaulieu ne s'ouvrant au public qu'en 1976). Alain Bourbonnais, c'est ce qui apparaît de manière éclatante dans l'ouvrage paru chez Albin Michel, était en admiration éperdue devant l'œuvre de Dubuffet elle-même. Il la suivait depuis pas mal de temps. Il admirait également, en parallèle, ses collections d'art brut. Et il tenta donc de renouveler l'expérience à Paris, puis en Bourgogne, en se calquant sur Dubuffet. Ce mot de "calque", ce n'est pas moi qui l'invente, il apparaît dans une lettre de Dubuffet à Michel Thévoz (premier conservateur de la Collection d'Art Brut), publiée dans cette correspondance (p.383 ; lettre du 13 octobre 1978): "Alain Bourbonnais paraît s'appliquer à calquer ce qui  a été fait pour la Collection de l'Art Brut et faire à son tour en France à l'identique, ce qui me donne un peu de malaise." Dubuffet, pour conjurer ce malaise qui l'étreint par moments, aide pourtant Bourbonnais, surtout en l'orientant vers des créateurs qui appartiennent plutôt à ce que Dubuffet a classé dans sa "collection annexe", intitulée par la suite par Thévoz et Dubuffet "Neuve Invention". Mais Dubuffet n'en est pas moins méfiant, attentif de façon sourcilleuse à ce que Bourbonnais ne joue pas les usurpateurs. Une lettre publiée elle aussi dans cette correspondance montre un Dubuffet fort mécontent, après avoir vu une émission de télévision ayant présenté les œuvres de Bourbonnais, et ses collections comme de "l'art brut" (voir p. 348, lettre du 12 janvier 1980 ; et aussi, p. 148, la lettre parue bien auparavant le 6 décembre 1972). Pourtant, Bourbonnais – que je devine fort matois et malin, diplomate et rusé (mais Dubuffet en face lui rend des points! Au fond, au fil de cette correspondance, on suit une passionnante partie d'échecs...) – ne cesse de protester de son amitié, de son admiration et de son respect à l'égard du peintre-théoricien. Il pousse  même l'imitation de Dubuffet jusque à copier son attitude sourcilleuse vis-à-vis de l'usurpation du mot "art brut", en lui signalant telle ou telle récupération du terme.

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Alain Bourbonnais, quatre "Turbulents" parmi d'autres dans la salle qui leur est consacrée dans la Fabuloserie (au rez-de-chaussée), été 2016, ph. B.M.

 

     Même l'œuvre de Bourbonnais est imprégnée de sa fascination pour celle de Dubuffet. Ses lithographies du début des années 1970 (voir p.49 et p.51) portent la marque de son admiration. Et plus tard, les "Turbulents" eux-mêmes, grosses poupées carnavalesques articulées dans lesquelles un homme peut parfois se glisser pour les animer, paraissent passablement cousines des gigantesques marionnettes que Dubuffet avait conçues pour son spectacle "Coucou Bazar", dans les mêmes années (le spectacle semble avoir été monté pour la première fois en 1973 aux USA).

     Cette fascination de Bourbonnais, notamment  pour les collections de Dubuffet, sa conviction qu'il existe un continent de créateurs méconnus – sur ces mots, "artiste", "créateur" , "productions", on trouve plusieurs lettres, entre autres de Dubuffet, qui rendent clairement compte des problèmes qui s'agitent derrière la terminologie, voir notamment p.347, la lettre de Dubuffet du 6 février 1978 –, on la retrouvera, quelques années plus tard (1982), chez les fondateurs de l'association l'Aracine, dont un des membres, Michel Nedjar – artiste autodidacte affilié approximativement selon moi à l'Art Brut – avait exposé dès 1975 à l'Atelier Jacob.

      Mais, au final, Alain et Caroline Bourbonnais finiront par bâtir une collection qui s'éloignera de l'Art Brut, plus axée en effet sur des créateurs et artistes marginaux (l'Art-hors-les-normes, l'Art singulier, la Neuve invention, la Création franche, l'Outsider art anglo-saxon sont des labels plus ou moins synonymes servant à rassembler ces productions), restant sur un plan de communication avec l'extérieur, cherchant à exposer dans des structures alternatives. Ils rassembleront aussi des éléments venus d'environnements populaires spontanés (Petit-Pierre, Charles Pecqueur, François Portrat, etc.), environnements qui sont le fait d'individus recherchant la communication avec leur voisinage immédiat.

     L'art brut est on le sait un terme qui s'applique davantage à de grands pratiquants de l'art au contraire autarciques, se souciant comme de l'an quarante de faire connaître leurs œuvres. C'est un corpus d'œuvres exprimées par de grands individualistes, la plupart du temps débranchés de toute relation avec le reste de la société, œuvres d'exclus, de rejetés par le système social, qui à la faveur de cette exclusion, inventent une écriture originale, construite sur les ruines de leurs relations aux autres. 

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Marcel Landreau, un couple, statues en silex collés sauvegardées à la Fabuloserie (contrairement à l'Aracine qui ne put en conserver faute à un conflit avec l'auteur) ; Marcel Landreau est l'auteur d'un incroyable environnement spontané à Mantes-la-Ville qui a été démantelé par le créateur lui-même au début des années 1990 ; ph. B.M., 2015.

      Le départ (vu peut-être comme un exil) de la collection d'art brut de Dubuffet pour la Suisse fut un véritable traumatisme pour beaucoup d'amateurs dans ces années-là (fin des années 1970, début des années 1980). C'est visiblement un tournant dans l'histoire de l'art brut, et plus généralement dans l'histoire de la création hors circuit traditionnel des Beaux-Arts.

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Collection de pièces d'Emile Ratier présentées à l'avant-dernier étage de la Fabuloserie à Dicy, ph. B.M., 2015.

 

      L'ouvrage "Collectionner l'art brut" apparaît comme un document essentiel pour comprendre cette histoire.

      Au chapitre des points criticables (points formels seulement) : si la maquette générale de l'ouvrage est dans l'ensemble fort belle et attractive, il reste que les notes de bas de page (que, personnellement, j'ai le vice d'aimer lire...) ont été éditées dans un corps véritablement microscopique qui les rend difficilement lisibles de tous ceux qui n'ont pas, ou plus, un œil de lynx. Ce genre de défaut typographique apparaît de plus en plus fréquent dans l'édition contemporaine, comme si un certain savoir traditionnel (justifié pourtant au départ par le respect dû aux lecteurs) s'était perdu du côté des maquettistes. Autre chose qui me chiffonne: en plusieurs endroits du livre, on confond, abusivement à mon sens, "Neuve Invention" (collection annexe, Singuliers...) et Art Brut, par exemple dans le libellé de  légendes placées à côté des œuvres de la Collection de l'Art Brut. Comme si une volonté se dessinait chez les concepteurs du livre – ou plutôt des responsables de la collection de l'Art Brut ? Il semble bien que ce soit plutôt du côté de l'éditeur qu'il faudrait aller voir... Voir commentaires ci-dessous de Déborah Couette, puis celui, nettement plus éclairant, du documentaliste de la Collection de l'Art Brut, Vincent Monod... – de tout amalgamer, contrairement à ce que demande Dubuffet pourtant tout au long de cette correspondance avec Alain Bourbonnais...

 

A signaler que la sortie de cet ouvrage, Collectionner l'art brut, correspondance Jean Dubuffet-Alain Bourbonnais, fera l'objet d'une présentation au public le 12 décembre à la Fondation Dubuffet (de 18h à 21 h, 137 rue de Sèvres, dans le VIe ardt, à Paris), en même temps que sera présentée une autre publication récente, tout aussi intéressante, réalisée par la Collection de l'Art Brut, SIK ISEA et les éditions 5 Continents, l'Almanach de l'Art Brutjean dubuffet,alain bourbonnais,correspondances épistolaires,art brut,art-hors-les-normes,collectionner l'art brut,collectionneurs,fabuloserie,déborah couette,ateleir jacob,sophie bourbonnais,fabuloserie-paris,marcel landreau,émile ratier

Parallèlement, dans le nouvel espace de la Fabuloserie-Paris (retour des choses, cette nouvelle galerie,  animée par Sophie Bourbonnais, fille d'Alain et Caroline Bourbonnais, est ouverte à côté de l'emplacement de l'ancien Atelier Jacob, au 52 rue Jacob Paris VIe ardt (ouvert du mercredi au samedi de 14h à 19h et sur rendez-vous au 01 42 60 84 23 ; voir aussi fabuloserie.paris@gmail.com), se tient une exposition consacrée à quatre artistes défendus par la Fabuloserie : Francis Marshall, To Bich Hai, Genowefa Jankowska et Genowefa Magiera (vernissage le 8 décembre de 18h à 21h).

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Un nouveau venu à la Fabuloserie: Jean Branciard (que les lecteurs de ce blog reconnaîtront comme un artiste que nous avons défendu parmi les tout premiers ; je suis content que le Poignard Subtil puisse voir ainsi ses choix corroborés par ceux de la Fabuloserie), ph. B.M., 2016.


Film de Joanna Lasserre sur le vernissage de la sortie de "Collectionner l'art brut" les 22 et 23 octobre derniers, avec pour l'occasion, une exposition d'œuvres de la Fabuloserie dans un Atelier Jacob provisoirement réinstallé dans ses anciens locaux.

01/12/2016

Un caviardage d'amateur...

Boulevard des Charognes, XXe ardt_edited.jpg

En matière de caviardage, cette nouvelle trouvaille, boulevard de Charonne dans le XXe ardt parisien, qu'une main maladroite, ou pas suffisamment appliquée, a tenté de rebaptiser "boulevard des charognes"... On lui conseillera d'utiliser plutôt la prochaine fois des papiers collants... Ph. Bruno Montpied, novembre 2016.

27/11/2016

Claude, Clovis Prévost et les Bâtisseurs de l'imaginaire

     Claude (l'épouse et  l'écrivain) et Clovis (l'époux photographe et cinéaste) Prévost font reparaître les Bâtisseurs de l'Imaginaire qu'ils avaient publié aux éditions de l'Est en 1990. On sait – et si on ne le sait pas, on devrait le savoir! – que le couple travaille depuis une cinquantaine d'années sur le sujet des habitants autodidactes, créateurs bruts, naïfs ou singuliers d'environnements fantaisistes, mettant en jeu sculpture, bas-reliefs, mosaïque, peinture, sonorisation parfois, poésie naturelle détournée, architecture (plus rarement), accumulation, land art sauvage... Ils sont les auteurs de nombreux films sur le sujet, d'expositions multimédia, de livres, et font figure de ce fait de grands initiateurs historiques à l'art de l'immédiat, et à l'art total, terme qu'ils chérissent plus particulièrement, après les photographes Robert Doisneau ou Gilles Ehrmann qui les avaient précédés de quelques années et sont disparus aujourd'hui. Clovis Prévost est à mon avis un grand photographe qui plus est, doublé d'un cinéaste de documentaire de très grande qualité, au style particulier. Pour sa bio-biblio-filmographie, voir ici.

Claude et Clovis Prévost interviewés à la Halle St-Pierre par Olga Caldas

 

 Couv. (2) Bâtisseus C&C Prévost 150 .jpg    Outre le fait que les chapitres initiaux paraissent avoir été remodelés dans certains cas (je n'ai pas encore le livre, mais je m'en rends compte en voyant les pages filmées dans l'interview filmé ci-dessus), la réédition de leur ouvrage de 1990 (cette fois aux Editions Klincksieck  Les Belles Lettres) comporte des chapitres supplémentaires par rapport à la première édition. Quatre exactement. Chaque chapitre étant consacré à un seul "bâtisseur" à chaque fois (en l'occurrence dans la première édition: le Facteur Cheval, Chomo, Fernand Chatelain, l'abbé Fouré, Monsieur G. - Gaston Gastineau, de son vrai nom -, Marcel Landreau, Picassiette, Camille Vidal, Irial Vets, et Robert Garcet), les quatre créateurs qui ont été ajoutés dans cette nouvelle mouture sont : Robert Vasseur, Robert Tatin, Roger Rousseau et Guy Brunet. Personnellement, si je ne connais pas "l'œuvre" de Roger Rousseau (qui paraît dépouiller des sols du Lot pour restituer les amas rocheux désormais dénudés qu'ils contiennent, réalisant ainsi volontairement ou involontairement une sorte de "land art" sauvage), et si je ne sais donc pas si l'on a affaire  avec lui plutôt à un artiste qu'à un homme sans qualité particulière, je n'hésite pas à ranger en art singulier (art contemporain de marginaux) Robert Tatin et Chomo, qui, en dépit de leur originalité, restaient très "artistes" (faisant référence à des cultures artistiques modernes diverses). Claude et Clovis Prévost se refusent à faire le distingo entre art brut stricto sensu et artistes marginaux, ce n'est pas leur affaire. Leur message essentiel consiste à attirer notre attention sur le fait que, pour ces créateurs en plein air, l'espace fonctionne comme un discours.

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Gaston Gastineau (appelé "Monsieur G." par les Prévost) devant une de ses fresques qui donnait sur la rue à Nesles-la-Giberde, Seine-et-Marne, photo Clovis Prévost, 1974.

 

     Samedi 3 décembre, samedi prochain donc, à 15h (entrée libre), à l'auditorium de la Halle St-Pierre, Claude et Clovis viendront présenter leur livre et, par la même occasion, projetteront trois de leurs anciens films : Robert Tatin, les signes de l'homme (28min.), Le Facteur Cheval, "Où le songe devient la réalité" (13 ou 26 min. ? Car il existe deux versions), et Chomo, "le fou est au bout de la flèche" (28 min.). C'est un événement à ne pas manquer.

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Mme Isidore, devant la maison qu'avait couverte de mosaïque son mari, Raymond, surnommé Picassiette, ph. Clovis Prévost

     Et citons pour clore cette note ce passage final de la préface de Michel Thévoz (reprise d'un texte de 1978), dont la conclusion vient confirmer le titre que j'avais choisi pour mon propre ouvrage paru en 2011 (Eloge des jardins anarchiques) :

     " (...) les bâtisseurs dont il est question, Camille Vidal, Fernand Chatelain, Irial Vets, Marcel Landreau, Raymond Isidore (dit Picassiette), Monsieur G., le Facteur Cheval, Chomo, Robert Tatin et quelques autres, ont entrepris de transgresser les règlements et usages et d'affronter les ricanements de leur entourage, pour échafauder cette manière de philosophie personnelle et concrète où l'habiter, le sentir, le penser et le vivre trouvent une expression encyclopédique et monumentale. Bien que, en cette période de programmation urbanistique, le terme résonne péjorativement dans la bouche des architectes les plus éclairés — ou qui se croient tels — nous dirons que cette exposition constitue un éloge de l'anarchie architecturale."

Michel Thévoz, à propos de l'exposition "Les Bâtisseurs de l'Imaginaire" de Claude L. et Clovis Prévost, présentée fin 1978 début 1979 à la Collection de l'art brut de Lausanne.

 

26/11/2016

Télescopage à la prémonition balbutiante

Boulangerie Poignard, insolite (2), Yonne, entre Gien et Villeneuve-les-Genêts.jpg

Photo Bruno Montpied, 2016

 

     Cette rencontre entre deux enseignes dans un village dont je n'ai pas gardé le nom, non loin de Gien, probablement dans l'Yonne, m'a paru – outre l'exemple de contre-aptonymie possible entre le poignard et l'activité pâtissière (l'artisan ayant dévié de l'attirance pour l'assassinat, genre Tugh, vers une activité beaucoup plus pacifique) – comme une prémonition balbutiante de mon propre nom de blog. Poignard insolite, ça n'est pas loin de poignard subtil, non?

22/11/2016

La Maison sous les Paupières, une galerie aux champs

     Anne Billon – certains s'en souviennent peut-être encore dans ce monde de plus en plus d'atteint d'Alzheimer collectif – travailla de 1989 à 2011, aux côtés de Gérard Sendrey, au Musée de la Création franche à Bègles, où elle s'occupait, en particulier, de la revue du même nom. Comme elle le dit dans le dossier de presse qu'elle a rédigé pour expliquer sa nouvelle démarche – l'ouverture d'une galerie à la campagne (dans l'Entre-deux-mers), nommée "La Maison sous les paupières" –, par la suite, "les aléas de la vie professionnelle l'amenèrent à exercer un tout autre métier, plus alimentaire..." (mon cher Watson). Ceci sans que cela altère sa passion pour la création, la sienne d'abord et aussi celle des autres artistes et créateurs qu'elle se refuse à n'envisager que dans une seule catégorie de création, ce qui l'intéresse étant en définitive la création authentique, loin de tout étiquetage.

Fragment d'explication sur la maison sous les paupières.JPG

Extrait du dossier de presse de "La Maison sous les paupières"

Carton d'invitation J L Giraud.JPG

     Samedi prochain aura lieu le vernissage de la première exposition qu'elle monte à Rauzan, le village où elle a posé ses bagages depuis déjà quelques années aux côtés de son compagnon artiste, Gilles Manero, qui la seconde grandement dans les travaux de la galerie et qui, par l'exigence qu'on lui connaît, est un gage de soin dans la dimension esthétique qui a dû être apportée à l'architecture intérieure de cette galerie d'un nouveau genre.

JL Giraud le vnérable locataire d'une campagne sobre... 2016.JPG

Un des nombreux autoportraits de Jean-Luc Giraud (voir le clip réalisé par l'auteur ci-dessous)

       Elle invite Jean-Luc Giraud à exposer dans ce projet un peu risqué, elle ne le cache pas, d'installer une galerie en pleine campagne, au milieu des vignes bordelaises (on est en conséquence assuré de ne  pas manquer de bon vin aux vernissages, c'est déjà un bon point du lieu). J-L. Giraud est connu pour ses autoportraits variés, aux contextualisations fantaisistes, parfois absurdes.


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      Au programme pour la suite, devrait s'annoncer également Bernard Briantais, autre Nantais qui a fait les beaux jours du Manoir des Renaudières à Carquefou.

      Après avoir déjà remarqué la "Maison du Tailleu" de Jean et Michelle Estaque à Savennes dans la Creuse, là aussi galerie dans un village, je souhaite bon vent et bonne chance à son tour à la "Maison sous les Paupières" de Rauzan, qu'elle nous aide à mieux rêver, et par voie de conséquence, à mieux voir...