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24/05/2018

Asmah à vendre...

     Une nouvelle œuvre à vendre, à voir dans la boutique du Poignard subtil....

21/05/2018

Le LaM et sa cartographie des "habitants-paysagistes", un début d'inventaire numérisé des inspirés

      Fondée sur plusieurs fonds iconographiques et archives (pêle-mêle, les archives de l'Aracine, le fonds de photographies de Francis David, les fiches d'André Escard, le fonds Claude et Clovis Prévost – pour l'instant 10 documents en ligne, à l'heure où j'écris ces mots –, les archives audio-visuelles de l'INA, le fonds Louise Tournay – qui, s'il est intéressant, ne relève pas pour autant des habitants-paysagistes à proprement parler...), a été mise en ligne depuis mars dernier une esquisse de cartographie de ce que le LaM a choisi d'appeler "les habitants-paysagistes", reprenant ainsi un terme quelque peu "scientifique"– quoique pas très exact – inventé par l'architecte-paysagiste Bernard Lassus, qui avait publié un livre sur la question, Les Jardins imaginaires, en 1977 aux Presses de la Connaissance. Il avait forgé cette appellation par projection de son propre métier. Il cherchait à se documenter sur les habitats d'ouvriers, en particulier de la région Nord-Pas-de-Calais, leurs façons d'orner leurs jardins, et d'y parler un langage  par le truchement de ces agencements. Ce n'était pas l'affaire de Bernard Lassus d'y repérer une poésie, de chercher l'insolite, un possible surréalisme inconscient. Il rabattait sur eux son métier d'architecte, tirant d'eux de la matière, des questionnements, de solutions venus d'en bas, du terrain des habitants, sans leur demander véritablement leur avis... Cela se voulait probablement démocratique comme démarche. Au service de projets paysagistes que Lassus serait amené dans les annnées suivantes à créer.

     Personnellement, je me suis résolu à utiliser le terme d'"environnements spontanés" qui me paraît plus précis, si tant est qu'on puisse arriver à trouver des mots suffisamment satisfaisants pour qualifier ces travaux visant à embellir, recréer, divertir, bâtir une poésie discrète dans l'espace. "Environnements", parce que cela désigne la zone où l'action a lieu, à savoir, majoritairement, entre habitat et route. Et "spontanés" parce que cela indique un phénomène d'expression empirique, bricolé avec les moyens du bord, sans formation artistique, surgi très souvent inopinément, une chose entraînant l'autre, quelquefois inspiré par des rêves, chez des gens qui ne sont pas des professionnels de l'art. Car j'ai centré mes enquêtes surtout sur des gens du peuple, ouvriers, artisans, paysans (voir mon livre Le Gazouillis des éléphants, pour les internautes qui n'auraient pas encore repéré cet ouvrage)...

Carte des habitants-paysagistes.JPG

La carte que l'on trouve sur le site des habitants-paysagistes du LaM ; Elle indique trois sortes d'informations quant à la pérennité ou non de ces créations: "site existant" en bleu, "site disparu" en rouge, et "site indéterminé" en orange. Cette carte est appelée à se couvrir de pastilles dans l'avenir, et l'on espère y voir davantage de bleu... Il faut dire que ces environnements sont très souvent éphémères, souvent sur le point de disparaître après être apparus brièvement dans les media.

 

           Mais revenons à cette cartographie du LaM. Elle n'est pour le moment qu'une esquisse, puisqu'on peut y trouver une quarantaine de sites indiqués sur la carte que l'on trouve dès l'accueil du site (voir ci-dessus). Alors qu'il en existe beaucoup plus. En ne se limitant qu'aux créateurs d'origine populaire, j'en ai inventorié dans mon Gazouillis jusqu'à 305 (du passé et du présent). Mais ce chiffre s'élève en réalité bien au delà... Atteignant vraisemblablement, au moins, les 400.

       Déjà, en parcourant cette cartographie en ligne, je suis tombé sur deux sites dont je n'avais jamais entendu parler – deux que je retiens parmi les plus inventifs, les plus "artistes", les plus naïfs (primesautiers), en refoulant les faiseurs de maquettes, les accumulateurs de déchets, etc. Car ce qui m'intéresse avant tout, c'est de mettre en valeur la créativité chez les autodidactes non artistes professionnels. Ce sont des environnements qui ont été comme de juste découverts, dans les années 1980, par cet incroyable fureteur qu'est le photographe émérite Francis David. Il avait, dans ces années là, probablement déjà fait un premier tour  de la France de ces modestes excentriques, adeptes du ciment armé, de la mosaïque, de la racine interprétée en plein air. Il aurait pu en dresser l'inventaire, daté de l'époque, si le public avait répondu présent après la publication d'un premier volume de son Guide de l'Art insolite, consacré aux régions (elles n'étaient pas encore réunies dans les "Hauts de France") Nord-Pas-de-Calais et Picardie (Herscher, 1984). Hélas, ce fut un échec, et l'éditeur ne poursuivit pas la publication d'autres volumes. L'auteur, que je croisai brièvement un jour de vernissage dans les locaux de Neuilly-sur-Marne à l'Aracine, paraissait quelque peu désabusé. Personne depuis cette date ne voulut s'atteler à nouveau à l'entreprise risquée d'inventorier les sites français d'art brut ou naïf en plein air. Je fus finalement le premier à y arriver... Grâce aux audacieuses éditions du Sandre et à son animateur, Guillaume Zorgbibe.

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David, Francis, "Le jardin de Marcel Mazière. [Marcel Maziere dans son jardin],” HABITANTS PAYSAGISTES : cartographie des maisons et jardins singuliers, LaM, 1989.

 

     Deux sites, disais-je, des années 1980, dont on peut se demander s'ils existent encore... : celui de Marcel Mazière à St-Astier en Dordogne (le site du LaM donne à chaque site son emplacement exact sur un plan) et celui de Raoul Justet à Allègre-les-Fumades dans le Gard.

      Marcel Mazière, que la notice du LaM indique dans un état "indéterminé" (ce qui laisse un espoir à tous ceux qui voudraient aller voir sur place s'il en est resté quelque chose), fut rencontré par David en 1989. Peu de photos furent prises, quatre, nous dit la notice, peut-être parce que l'auteur n'avait que peu sculpté? Mais les statues animalières et humaine que l'on aperçoit sont d'une très belle facture naïve. Je n'avais personnellement jamais entendu parler de ce site.

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David, Francis, “La maison de Raoul Justet. [Détail d'une fresque 2]”, HABITANTS PAYSAGISTES : cartographie des maisons et jardins singuliers, LaM, 1985.

 

      Idem avec celui – encore plus extraordinairement séduisant, c'était un créateur naïvo-brut de première force! – de Raoul Justet dans le Gard. Là aussi, on aimerait savoir de toute urgence si ces travaux ont pu être sauvegardés depuis 1985, date des clichés pris par Francis David. Sa façon de tracer ses personnages me paraît du genre à s'être complètement perdue aujourd'hui, hélas...

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David, Francis, “La maison de Raoul Justet. [Détail d'une fresque 1]”, HABITANTS PAYSAGISTES : cartographie des maisons et jardins singuliers, LaM, ph.1985.

 

      Le LaM sur ce site consacré au habitants-paysagistes se veut interactif avec les internautes et tous ceux que la question des environnements d'autodidactes passionne. Il est fait appel aux bonnes volontés, par des formulaires de contact, voire des appels à contribuer même, si l'on a idée de faire découvrir des sites non répertoriés, ou de compléter telle ou telle information, par exemple sur l'état actualisé des sites indiqués sur la carte, ou le destin des œuvres postérieurement aux dates des clichés ou des informations données dans les notices (les sites "indéterminés" devraient à terme tous se trouver renseignés exactement sur leur durée réelle...). A chacun de voir donc...

 

Nota bene : "Les habitants-paysagistes, une cartographie du LaM" figure également (sous ce libellé) dans mes "doux liens", dans la colonne de droite de ce blog.

01/05/2018

Ceija Stojka, le coup de poing de la mémoire

      La Maison Rouge à Paris va bientôt fermer, on le sait bien, hélas. Ce sera un haut lieu de la culture alternative, avec des propositions très souvent illuminantes, qui disparaîtra sans que rien d'équivalent ne naisse pour la remplacer, du moins  à l'instant où j'écris ces lignes (ce sera un grand trou dans le paysage culturel parisien). Et les dernières expositions qu'elle organise, comme celle consacrée à la créatrice et témoin rom autrichienne, "Ceija Stojka" (1933-2013), "une artiste rom dans le siècle", ou celle présentant la collection de Mme Déborah Neff, consacrée à des poupées noires américaines, "Black dolls", expo tout  à fait étourdissante, excellemment muséographiée, posant plein de questions sur la place des Afro-américains aux USA sous le regard des Blancs, ou bien encore l'exposition finale à venir en juin, "L'Envol", sur le thème des artistes qui ont rêvé d'envol (du 16 juin au 28 octobre 2018), organisée conjointement par Aline Vidal, Barbara Safarova, Antoine de Galbert et Bruno Decharme, toutes ces manifestations sont comme un feu d'artifice où le bouquet final ne pourrait cesser. Hélas (bis repetita)...

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Vue parcellaire de l'exposition "Black Dolls, collection Déborah Neff" à la Maison Rouge, ph. Bruno Montpied.

 

     L'expo Ceija Stojka, qui comme celle consacrée aux "Black dolls", se terminera bientôt, le 20 mai prochain, je l'ai vue dès le deuxième jour d'exposition, et quel coup de poing ce fut... On y revit la tragédie de la persécution et de l'extermination des Roms (100 000 morts en Autriche et en Allemagne ; on estime à 90% du total de leur population la disparition des Roms et Sintis en Autriche) par les Nazis à travers les yeux d'une enfant de 12 ans, qui peignit, et écrivit cela, à l'âge adulte (55 ans) en 1988, 45 ans après les faits, tout en ayant gardé sa fraîcheur d'enfant : sa déportation avec sa mère et des membres de sa famille dans les camps d'Auschwitz-Birkenau, Ravensbrück et Bergen-Belsen, d'où elle réchappa par miracle et grâce à des sacrifices terribles. Elle raconte comment elle et sa famille s'y prirent pour survivre (en mangeant des feuilles d'arbre par exemple, ou des lacets de cuir, du tissu... ou en se réchauffant sous des cadavres) dans quelques livres que l'on trouve en traduction française, comme Je rêve que je vis, libérée de Bergen-Belsen, ou Nous vivons cachés, récits d'une Romni à travers le siècle, tous deux aux éditions Isabelle Sauvage.

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Ceija Stojka, Ravensbrück 1944, tableau de 1994, 70x99,5cm, coll. privée, Montreuil.

 

     Ceija Stojka a voulu parler, premier témoin parmi les siens, qui eurent longtemps le secret en héritage vis-à-vis des assassins nazis (les raisons en paraissent multiples – mais c'est aussi qu'il y eut peu de rescapés des massacres et des camps, rien qu'en Autriche à peine 1200 à 1500 individus, d'après Gerhard Baumgartner dans le catalogue de l'exposition – et que les Roms se méfiaient des non Roms, vu le racisme ambiant, toujours prêt à reprendre flamme). Le souvenir la hantait, et déborda d'elle certainement. Il lui fallut se mettre à peindre, et à raconter (dans ce dernier cas grâce à Karin Berger qui cherchait des témoignages), dans les deux cas avec des moyens qu'elle s'inventa au fur et à mesure, dans un même mouvement les persécutions et les morts mais aussi la vie d'autrefois ou d'après dans la beauté de la campagne d'été (jamais d'hiver...). Un torrent d'images torturées, colorées, âpres, se déversa durant vingt ans. Elle n'eut aucun doute semble-t-il quant à la forme, aucun complexe vis-à-vis de la qualité esthétique de son témoignage, et c'est ce qui fait aussi une grande part de la force de cette œuvre au message violent, à l'expression immédiatement branchée sur le vécu atroce. Dans le film qui est diffusé sur le site de la Maison Rouge, Antoine de Galbert souligne que lorsqu'elle raconte, Ceija Stojka a toujours douze ans. Dans ses peintures aussi. Les angles de vue sont adaptés à la taille d'un enfant de cet âge. Et la facture des tableaux, si rude et fruste, est plus efficace et plus évocateur qu'une description réaliste, elle touche davantage en transmettant directement par ses lignes et ses couleurs bouleversées, et bouleversantes, le tourment de la vision et du souvenir de la peintre, à la fois psychologiquement enfantine et immergée dans l'enfance de l'art¹...

     Cette exposition est si forte, qu'elle entraîne presque le spectateur à revivre le traumatisme de Ceija Stojka, et à travers elle, l'horreur de ce que durent subir tant de ses semblables. C'est pourquoi on a du mal à en parler après, parce que l'on touche un peu du bout de l'âme les raisons du silence des rescapés, l'immense silence de mort et d'horreur qui saisit celui ou celle qui voit tout à coup ce qu'un homme peut infliger comme supplice à un autre homme, au nom de mythes, de mensonges, d'idéologie, de lubies funestes.

      Ce qui a contribué Ceija Stojka à parler s'explique derrière un de ses tableaux par cette inscription laconique qui murmure, comme dans un souffle, qu'il lui semble toujours qu'Auschwitz n'est pas complètement mort et qu'il dort seulement... Et donc que jamais il ne faudra baisser la garde.

 Ceija Stojka 004.jpg

Ceija Stojka

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¹ L'enfance est peut-être le trait d'union des deux expositions, davantage que le racisme. Cette enfance qui porte en elle l'espoir d'abolition de la haine raciste. Car le racisme, tant qu'il ne lui a pas été inculqué par les adultes, n'existe pas chez l'enfant.

12/04/2018

1 L'auteur des "Barbus Müller" démasqué ! (1er chapitre) ; une enquête de Bruno Montpied, avec l'aide de Régis Gayraud

     Je gage que ces mots, "les Barbus Müller" ¹, ne sont pas nécessairement des plus connus des lecteurs de ce blog, alors que, parallèlement, chez les amateurs pointus d'art brut (au sens historique du mot), ces mêmes termes ont une consonance quasi mythique, tout auréolées d'énigme que sont les sculptures qui portent ce surnom.

Affiche les Barbus Müller 1979 m Barbier Mueller (2).jpg

Le "Barbu Müller" reproduit sur cette affiche appartenait à Joseph Müller ; il est toujours dans les collections du musée Barbier-Mueller à Genève ; affiche, coll. Bruno Montpied.

 

     Lorsque j'ai commencé de m'intéresser à l'art brut en 1979-1980, comme un fait exprès, et comme par un coup du sort (un merveilleux coup du sort), je suis personnellement d'abord tombé sur ces fameux Barbus...

    Or, ces derniers personnages étaient eux-mêmes à l'origine de la collection d'art brut que débuta Dubuffet vers 1946-1947...

    Cela se passait à Genève, en 1980, où je fis un voyage en compagnie de Christine Bruces (j'avais alors 26 ans et elle, 24). Nous visitâmes des musées, et entre autres, nous tombâmes sur le musée d'art tribal Barbier-Mueller (fondé en 1977 par Jean-Paul Barbier-Mueller, le gendre du collectionneur Joseph Müller, musée toujours ouvert aujourd'hui). Il était fort réputé pour la richesse et la qualité de ses collections. Cependant, ce qui m'y frappa dès l'entrée, ce ne fut pas l'art tribal, ce fut l'affiche de l'exposition qui s'était tenue dans ses murs l'année précédente, en 1979 (voir ci-dessus), où l'on découvrait une fascinante   et surtout énigmatique, quoique européenne a priori – figure taillée dans une matière granuleuse, et aussi – et surtout – une mince plaquette blanche intitulée L'art brut, Fascicule I, Les Barbus Müller et autres pièces de la statuaire provinciale, avec pour nom d'éditeur, au bas de la couverture, Gallimard. Cette plaquette, que j'achetai immédiatement, était en réalité le fac-similé d'un fascicule que Dubuffet avait fait imprimer par Gallimard en 1947. Cet éditeur ne voulut pourtant jamais la diffuser, l'histoire de l'art brut lui imputant même un pilonnage ultérieur. Quelques exemplaires échappèrent à cette destruction incompréhensible, dont celui de Joseph Müller qui avait laissé photographier sept sculptures de sa collection pour les besoins de cette plaquette. Ce fut grâce à cet exemplaire, réchappé "des flammes" en quelque sorte, que le musée réitéra – en 1979 donc – l'édition manquée de 1947... Cette plaquette est devenue  rare elle-même par la suite. Qui la rééditera à nouveau?

couv fascicule sur les Barbus 1947.jpg

Le fascicule n°1 de l'Art Brut, réédition de 1979, "premier fascicule" manqué, puisque le Fascicule n°1 – plus officiel – de l'Art Brut date de 1964, dix-sept ans plus tard donc... ; retenez bien la figure qui était exposée sur cette couverture, nous allons la retrouver plus tard dans cette série de notes... ; la photo en noir et blanc l'éclaircit quelque peu, lui donnant une apparence assez voisine à celle d'un pain sculpté ; elle est aujourd'hui conservée au Musée des Confluences à Lyon ; archives B.M.

 

     J'y insiste : c'est donc dans ce musée Barbier-Mueller que je tombai sur ces étranges sculptures, et non pas dans la Collection de l'Art Brut de Lausanne, où je ne pus aller que quelques années plus tard (mais je me souviens encore du choc ressenti à l'intérieur de cet extraordinaire endroit !). Je ne sais combien de Barbus furent exposés en 1979 au musée Barbier-Mueller. Avait-on réuni tout ce que l'on pouvait regrouper comme pouvant faire partie du même ensemble? Je ne sais. Le musée a dû garder ces renseignements dans ses archives. Mais probablement pouvait-on y admirer au moins les sept sculptures que Joseph Müller, le beau-père du fondateur du musée,  avaient acquises (le musée Barbier-Mueller en possède désormais dix). C'est lui, le collectionneur qui paraît en avoir eu le plus grand nombre. C'est grâce au fascicule de 1947-1979 que l'on peut ainsi dénombrer qui possédait ces statues à cette époque. Dubuffet y a publié un court texte qui donne la liste des collectionneurs avec le nombre de possessions : Joseph Müller (7), Charles Ratton (qui en avait 4), le sculpteur Saint-Paul (1), Henri-Pierre Roché (3) et un "musée de Lyon" (1 ; celle mentionnée et reproduite ci-dessus).

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"Barbu Müller" reproduit dans le fascicule de 1947-1979, ayant appartenu à Charles Ratton.

 

     La difficulté, qui s'est imposée au fil des décennies pour les amateurs de ces sculptures, tient surtout au manque d'informations quant à l'attribution certifiée de telle ou telle statue à un seul auteur. Dès le fascicule publié avec deux textes de Dubuffet, puis en 79, d'un troisième texte, dû à un rédacteur anonyme du musée Barbier-Muller, on s'aperçoit que ces pièces ne sont attribuées à aucun auteur, en dépit du fait que Dubuffet subodore  tout de même un auteur unique ("On dirait que plusieurs sont l'œuvre du même homme") et qu'il est d'origine provinciale... 

      Ce corpus fut dénommé – par Dubuffet lui-même – "Barbus Müller" (parce que d'après lui, plusieurs personnages sculptés arboraient des barbes – ce qui est loin d'être évident, à bien examiner le fascicule et les 16 sculptures photographiées, on ne trouve de nettement barbue qu'une seule tête, et encore (voir ci-dessous)... –, et que Joseph Müller en possédait plusieurs). En dépit de son approximation, ce sobriquet fit son chemin et s'imposa, du moins tant qu'il s'appliqua à un ensemble cohérent. Avec le temps, on commença cependant à voir apparaître des sculptures qui s'éloignaient stylistiquement du premier ensemble, et, comme par coïncidence, le sobriquet des "Barbus Müller" se corrompit et l'on se mit à parler de "Barbier-Müller"...

       Comment – sur quoi – doit-on se fonder pour délimiter le plus précisément possible le corpus?

2 Barbu, coll Müller 2 (2) .jpg

Le "Barbu Müller": barbu, vraiment? Ou bien, plutôt lippu? Extrait du Fascicule n°1 de l'Art Brut de 1947, rééd. 1979.

 

     La réponse est à rechercher avant tout du côté des matières employées, granit ou roche volcanique, et surtout, du style et des caractéristiques figuratives de ces personnages schématiques : yeux proéminents, tantôt percés, tantôt à fleur de tête, arcades sourcilières très marquées, de même que des nez  imposants et forts, bouches très larges, comme lippues, une certaine rondeur des formes, sans doute due à la dureté de la pierre qui imposait au tailleur de pierre des raccourcis dans ses figurations (un peu comme dans le cas de l'ermite de Rothéneuf, l'abbé Fouré, qui tailla plus de 300 rochers de la côte malouine entre 1896 et 1908, dates qui ont de fortes chances d'être contemporaines de la taille des sculptures dites des Barbus Müller, comme on le verra plus tard ; Fouré, confronté à la dureté du granit, opta vite pour des formes rognonneuses...). Et je souligne que le style  de ces sculptures est en effet suffisamment marqué pour que différents collectionneurs, ayant trouvé ces pièces chez des antiquaires différents (à Paris, à Macon, à Lyon), les aient tout de même associés en un corpus unitaire, certes sous le regard de Dubuffet, mais aussi après lui.

     Une autre réponse, plus secrète, doit exister, mais il faudrait pouvoir aller la chercher, justement, dans les traces qu'a pu laisser Dubuffet dans ses rapports avec ces collectionneurs ou ces marchands chez qui il découvrit les sculptures. Peu de noms, du côté des antiquaires chez qui les pièces avaient atterri, ont circulé ². Il paraît sûr que Dubuffet a fait photographier (par un bon professionnel : Henri Bonhotal, au nom relevé par Sarah Lombardi, et Baptiste Brun dans son texte L'Atlas de Jean Dubuffet: place nette pour l'art brut, paru dans les Albums photographiques de Jean Dubuffet publiés  en 2017 par la Collection de l'Art Brut et les éditions Cinq Continents) les 16 sculptures de son fascicule de 1947, d'abord chez les collectionneurs qui les lui avaient révélées. C'est ainsi qu'il procédait pour acquérir des pièces pour sa collection naissante d'art brut. Il créa un réseau d'amateurs, de marchands, d'experts, de poètes, de critiques, etc., pour lui permettre d'amasser des informations. Mais il n'eut pas la possibilité d'acquérir les plus remarquables Barbus photographiés, la Collection de l'Art Brut n'en possède au bout du compte qu'assez peu (3).

19 Barbu (2), CollArt Brut 1 (buste de femme, cab-A701).jpg

Ce "Barbu"-ci fait partie de la Collection de l'Art Brut à Lausanne, sous la cote d'inventaire cab-A701, et il est intitulé "buste de femme"... ; Il ne figure pas dans les Barbus reproduits dans les Albums photographiques de Jean Dubuffet, ni dans ceux reproduits dans le fascicule n°1 de 1947-1979 ; on notera que la couleur permet de mettre en évidence le type de matière sculptée, ici visiblement une roche volcanique ; on ne l'associe aux Barbus Müller que  par certains points communs stylistiques, les lèvres lippues, les arcades sourcilières marquées... et par le type de pierre.

 

       Car c'est à noter : il n'y a que trois "Barbus Müller" dans la Collection de l'Art Brut, désormais à Lausanne comme on sait, ouverte au public depuis 1976. Peut-être ne sont-ils arrivés en outre  qu'après l'enquête photographique de 1947. J'en reproduis un premier ci-dessus. Un second est un personnage appelé "L'évêque" et portant une barbe (voir p.16 des Albums photographiques de Jean Dubuffet), ce qui représente un deuxième cas pouvant justifier le sobriquet pileux inventé par Dubuffet...  Un troisième, d'allure plus germinatif et grumeleux, lui aussi visiblement en basalte, peut se voir à la p. 17 du même ouvrage (on peut le voir aussi dans l'article de Sarah Lombardi, publié dans Arts et Culture 2017, cité plus haut). A ces trois pièces, on peut  en ajouter trois autres, étiquetées "HC" (c'est-à-dire "Hors Collection", et qui ne purent donc être acquises par Dubuffet, et Lausanne ensuite), reproduites toujours dans ce même volume des Albums photographiques de Jean Dubuffet), dont une qui ressemble à un étrange ver.... Cela m'amène à 22 pièces dans l'inventaire que je tente de bâtir peu à peu ici, nécessaire pour délimiter le corpus dont nous parlons.

24  Barbu, Arch phot de dubuf, HC 3 (2).jpg

Un "Barbu" très vermiculaire, avec toujours de gros yeux cependant et un nez marqué (des caractéristiques du visage de leur auteur?)... Extrait des Barbus Müller "Hors Collection" reproduits dans les Albums photographiques de Jean Dubuffet.

 

      Un vingt-troisième Barbu est à retrouver dans les archives de la Collection de l'Art Brut, comme me l'a aimablement communiqué son documentaliste, Vincent Monod.  En effet, en 1953, Dubuffet remercia un certain M. P. Demeny pour la photo d'une statuette d'un style pouvant permettre de l'attribuer à la série des Barbus Müller.

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Un Barbu Müller repéré par un certain P. Demeny, qui logeait à Paris, "Barbu" inédit, photo Archives de la Collection de l'Art Brut, Lausanne ; à noter le socle visible sur la photo : on ne sait pas où a pu être prise la photo : en Auvergne? Ailleurs? Dans la lettre que Dubuffet adressa à ce M. Demeny (également conservée à Lausanne à la CAB), Dubuffet lui parle d'un docteur de Tarbes qui lui a signalé une autre sculpture de même type, découvert chez un antiquaire de la région de ce médecin.

 

       Un vingt-quatrième cas, appartenant au LaM de Villeneuve-d'Ascq, est classé par moi comme un Barbu Müller authentique (je m'en expliquerai dans le 5e chapitre de ce blog), digne de figurer parmi les Barbus authentifiés, voir ci-dessous...

17 Barbu  LaM Villeneuve d'Ascq.jpg

Barbu Müller de la collection d'art brut du LaM ; troisième exemple de barbe... ; A noter, comme me l'a signalé Savine Faupin, la conservatrice de la collection, que l'on trouve, sur cette tête au moins, des traces de bleu dans les pupilles en creux : l'auteur avait-il peint en bleu les yeux de certaines de ses statues?

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Barbu Müller, avec l'aimable autorisation de The Museum of Everything.

 

        Enfin, on peut classer parmi les Barbus authentiques également cette autre figure  ci-dessus appartenant à The Museum of Everything en Grande-Bretagne. La preuve de son authentification se révélera dans les chapitres suivants de cette enquête, c'est d'ailleurs la même que celle qui a trait à la pièce du LaM, barbue, reproduite au-dessus de celle de The Museum of Everything...

      Hormis ces vingt-cinq cas reposant sur une documentation historique, on peut citer cependant quelques autres pièces présentées comme des Barbus dans diverses collections (au LaM ³, dans la collection ABCD, et à The Museum of Everything), mais qui demandent vérification pointilleuse pour être complètement rangées dans ce corpus, selon moi. Elles ne figurent pas dans le fascicule de Dubuffet de 1947-1979, ni dans ses Albums photographiques. Je n'en ai trouvé aucune trace dans les autres documents que j'ai découverts par la suite, documents qui permettent d'authentifier les dits Barbus Müller et que je publierai dans les notes à suivre sur ce blog. Parfois, certains possèdent quelques traits stylistiques en commun avec les Barbus, parfois ils n'en possèdent aucun. En voici quelques exemples:

présentés comme des BARBUS-MULLER, mais pas selon moi, coll ABCD.jpg

Coll. ABCD ; cette sculpture – par ailleurs intrigante et singulière – a davantage de points communs avec des pierres gravées de Jean Pous, autre auteur classé dans l'art brut, qu'avec les Barbus Müller (cependant, voir le commentaire, après notre chapitre 6, du responsable de la collection ABCD, Bruno Decharme, qui donne l'origine de cette pierre).

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Pareil ici, pour The Museum of Everything : ces pièces paraissent très inhabituelles, quoique ce ne soit pas un argument suffisant pour les rejeter ; le grand personnage de gauche, qui semble se rapporter à une femme enceinte (avec une étrange position de sa tête) provient de la collection de Tristan Tzara ; le masque à droite est plus problématique, fragmenté comme il est...

 

LaM Barbu Müller .jpg

Ce Barbu du LaM ressemble fort à un personnage religieux, tel qu'on aurait pu le retirer d'une église à la statuaire extrêmement archaïque ; c'est certes stylistiquement une pièce proche des autres Barbus authentiques ; il n'apparaît cependant dans aucune documentation photographique d'après guerre sur les Barbus... Mais c'en est tout de même peut-être un...!

*

       Je m'arrêterai, pour les besoins de cette enquête destinée à décrire comment je suis parvenu à établir l'identité du créateur des sculptures appelées "Barbus Müller", aux 25 cas bien homogènes inventoriés ci-avant. Ils suffisent en effet. 

     Il est de bon ton, et comme convenu, chez les commentateurs de l'art brut, de considérer les Barbus comme pouvant provenir de plusieurs auteurs différents, et surtout, de les considérer comme étant plongés dans un mystère et une énigme que l'on finit par désirer consubstantiels à leur nature. Ne l'a-t-on pas suffisamment répété que personne n'arriverait jamais à savoir d'où viennent ces fameuses statues, d'autant moins que, stylisées et sobres comme elles sont, louchant du côté de l'archaïsme, on peut leur trouver des dizaines d'origines diverses, certains n'hésitant pas à les voir comme provenant de l'Océanie, ou bien des Antilles, voire d'autres contrées exotiques ? Il est aisé d'interpréter ainsi – en se laissant entraîner par des formes ultra simples – sans se méfier que, devant tant de sobriété, il est facile de vaticiner à qui mieux mieux, la réduction de la palette d'expression plaçant ces œuvres à d'innombrables carrefours de multiples cultures d'autodidactes en tous genres...

       En me fondant – et en me limitant aux plus repérés comme provenant d'une même source – sur les 25 cas ci-dessus inventoriés,  je vais démontrer que ces Barbus ne sont dus qu'à un seul auteur (comme l'avait subodoré Dubuffet), et qu'ils peuvent  se voir attribuer maintenant un géniteur nommément désigné. Par conséquent, ils pourront alors, peut-être, être débaptisés et perdre leur sobriquet de "Barbus Müller", ne correspondant plus à rien quand on sait. Mais je ne vais plus me contenter d'une analyse stylistique. 

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¹ On trouve aussi, et ce d'une façon assez récente (dans les notices de la collection d'art brut ABCD par exemple), la graphie "Barbier-Mueller", qui est erronée, obtenue par approximation et contiguïté du nom du musée où des sculptures sont conservées avec le sobriquet inventé par Dubuffet.

² Hormis celui de Maurice Brossard (installé dans les années 1930 au 4, rue de l'Annonciade à Lyon), nom révélé par Olivier Bathelier, dans son article «L'authenticité mystérieuse de la "statuette fétiche granit"», Les Cahiers du Musée des Confluences, volume 8 : L'Authenticité, 2011, pp. 107-114. L'auteur de cet article précise que la statuette, celle qui était reproduite sur la couverture du fascicule sur les Barbus Müller (voir reproduction ci-dessus), est entrée dans les collections du musée, aujourd'hui celui des Confluences, en 1934. Elle avait été achetée pour la somme de 1200 frs. Les conservateurs l'avaient étiquetée comme provenant peut-être des îles Marquises (!) puis des Antilles... Voir l'article complet ici. Ce qui est très intéressant dans cet article, ce sont les questions de l'auteur relatives à une possible supercherie venue de l'antiquaire. Nous allons retrouver ce genre de questionnement un peu plus loin, comme on le verra.

³ Cependant le LaM a produit l'ensemble des Barbus qu'il abrite dans ses collections, en compagnie d'autres pièces, jamais montrées (à ma connaissance), au cours de l'exposition "L'Autre de l'Art, Art involontaire, art intentionnel en Europe, 1850-1974", présentée du 3 octobre 2014 au 11 janvier 2015 à Villeneuve-d'Ascq. Ces pièces, telles qu'on peut les voir dans le catalogue de cette expo (que j'ai chroniquée partiellement en son temps sur ce blog), paraissent du même style que celui qui permet d'identifier les Barbus Müller (hormis peut-être un ou deux cas?).

 

(Fin du premier chapitre : à suivre...)

 

11/04/2018

2 L'auteur des "Barbus Müller" démasqué ! (2e chapitre) ; une enquête de Bruno Montpied, avec l'aide de Régis Gayraud

Une avancée décisive dans le dévoilement de l'auteur des Barbus : de la localisation de la zone de production à la découverte de premiers noms...

 

     En novembre 2017, je publie Le Gazouillis des éléphants, un inventaire des environnements  populaires spontanés français. L'ouvrage inventorie un certain nombre de sites présentant des œuvres d'art réalisées en plein air par divers autodidactes non professionnels de l'art. A la région Auvergne, je publie une notice consacrée à un "anonyme", sculpteur de plusieurs statues, que je situe - avancée décisive dans ce qui prend dès lors l'allure d'une enquête approfondie sur l'identification de  l'origine et de l'auteur des Barbus Müller - dans le village de Chambon-sur-Lac (Puy-de-Dôme). J'annonce en effet que cet anonyme  a de fortes chances d'être l'auteur des fameux "Barbus", vu les ressemblances stylistiques frappantes de certaines de ses œuvres avec ces derniers.

     Mon éditeur en effet, Guillaume Zorgbibe, m'avait signalé une photo en vente sur internet (un tirage papier), que j'achète tout de suite  auprès d'un marchand de photographies, M. Gilles Minette. Ce dernier me fait connaître des clichés-verre (voir ci-dessous, un peu plus bas) dont il me fait parvenir des numérisations et dont il a sorti le tirage papier qu'il m'a vendu. Ces clichés montrent un jardin couvert de statuettes. Mon livre  reprend deux illustrations significatives tirées de ces clichés sur verre. 

        C'est ce marchand – je le reconnais bien volontiers – qui m'a permis de localiser précisément le jardin (un potager apparemment) visible sur les clichés. Car il lui a été aisé d'identifier le monument que l'on aperçoit en arrière-plan, le baptistère du cimetière de Chambon-sur-Lac, classé monument historique en Auvergne depuis 1862, et aussi appelé, plus exactement, chapelle sépulcrale (on l'a qualifiée de "baptistère" en raison de la découverte d'une cuve baptismale en bronze près de ses murs).

        Sur le tirage, je n'en ai pas cru mes yeux : les sculptures qu'elle présente dans un jardin, ou un potager, ressemblent furieusement aux fameux Barbus. Mon sang de "chasseur" d'art brut n'a fait qu'un tour, le mystère du lieu de leur production était-il en train de se dévoiler ? Pour convaincre les lecteurs de cette attribution, je décide de procéder à des agrandissements de deux pièces sur les trois qui me paraissent en tous points identiques à certaines qui sont reproduites dans le fameux fascicule de Dubuffet de 1947-1979. Elles sont dispersées dans le jardin parmi d'autres, nettement plus inconnues, mais de même style. Je place les deux agrandissements en vis-à-vis des Barbus leur correspondant le plus dans le fascicule. Leurs ressemblances sont frappantes (se reporter à mon livre Le Gazouillis des éléphants...).

 

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En regardant attentivement ces statuettes, souvent mêlées à des empilements de boules (peut-être des « bombes » volcaniques comme on en trouve dans la chaîne des Puys, et aussi dans cette région de Chambon probablement), assez semblables à certaines œuvres de land art contemporaines, et proches également de formes de totems, on retrouve des Barbus du fascicule de 1947 de Dubuffet ; ceci est un détail panoramique de la vue stéréoscopique de gauche visible ci-dessous, © Gilles Minette.

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Exemple d'agrandissement d'une des sculptures du jardin de Chambon, identique à un Barbu Müller répertorié dans le fascicule de Dubuffet de 1947.

 

     En outre, cette situation géographique corrobore une des indications que l'on trouve dans le mythique fascicule, signée d'un rédacteur du Musée Barbier-Müller : "Vers 1930, d'étranges sculptures apparurent sur le marché des antiquités parisiens. Elles attirèrent bien vite l'attention des collectionneurs d'art moderne et d'art primitif (fort souvent les mêmes!) qui les placèrent dans leurs salons entre les toiles cubistes et les fétiches nègres (...) Une dizaine d'années plus tard, le peintre Dubuffet (...) découvrit à son tour ces gnomes primitifs que l'on disait provenir d'Auvergne [C'est moi qui souligne], mais dont nul ne s'est jamais préoccupé d'étudier sérieusement l'origine... " (Je suis heureux de pouvoir infirmer cette dernière affirmation quarante ans après...). L'art brut ayant commencé par les Barbus Müller, il en découle donc que l'art brut aurait commencé en Auvergne, me dis-je alors en découvrant ces clichés (ce qui ne peut que ravir le demi-auvergnat que je suis) ! ¹

 

10 les deux vues stéréo ensemble au printemps (2).jpg

Clichés stéréoscopiques du site du Chambon-sur-Lac à la belle saison (arbres feuillus), provenant des archives du photographe Goldner (qui n'est pas forcément l'auteur des clichés) ; c'est la vue de gauche que j'ai reproduite en l'agrandissant (elle fut améliorée, qui plus est, par la maquettiste des éditions du Sandre, Julia Curiel) dans mon Gazouillis des éléphants, parce qu'elle montre un peu plus de détails que la vue de droite, avec une sculpture en plus notamment ; on notera que les statuettes sont rangées derrière des plantations de légumes à grosses feuilles, des choux peut-être, ce qui paraît faire de l'endroit un potager ; © Gilles Minette.

8 Les deux vues stereo ensemble en hiver (vingtaine de sculptures) (2).jpg

Autre paire de clichés stéréoscopiques originellement sur verre, vues prise apparemment à la morte saison: les arbres sont dépouillés, ce qui permet de distinguer mieux à l'arrière-plan du paysage une construction qui a son importance, puisque c'est elle qui permet d'établir le lieu où se trouvait ce jardin de sculptures ; en effet, outre les sculptures présentes derrière la clôture en piquets, outre la "cabane" couverte de chaume, qui fait songer à un case africaine, on reconnaît - du moins ceux qui connaissent l'art roman d'Auvergne -, en arrière-plan, la chapelle sépulcrale du cimetière de Chambon-sur-Lac, considérée comme l'architecture religieuse la plus ancienne d'Auvergne (elle date du Xe siècle, et relève de l'art roman) ; © Gilles Minette.

 

5 vue stéréoscop du cimetière de chambon sur lac (2).jpg

Autre vue stéréoscopique, originellement sur verre, appartenant à la même série de photos des archives Goldner conservées par M. Gilles Minette. Le photographe n'a pas oublié de saisir le cimetière et sa chapelle qui se trouvaient à quelques dizaines de mètres du jardin aux sculptures ; à noter que selon M. Minette, le photographe qui a pris les clichés n'est pas forcément Goldner, qui est peut-être seulement le dépositaire des photos dans ses archives; on doit donc pour l'instant conclure à un photographe anonyme : les vues ne sont pas datées, en outre ; mais à ce stade de l'enquête, on peut juste estimer qu'elles ont été réalisées entre la fin du XIXe et la fin des années 1930 (date à laquelle, apparemment, les clichés-verre ont cessé d'être commercialisés) ; cependant, comme on le verra dans la suite de cette enquête, on peut essayer d'affiner ce créneau de dates ; © Gilles Minette.

 

       Certes, je découvre peu de temps après mon achat que, dans le catalogue de l'exposition "L'Autre de l'Art", de 2014-2015, une page reproduisait une photo à peu près semblable du même site (mais en format portrait et non en format paysage comme les miennes). En feuilletant ce catalogue deux ans auparavant, je ne l'avais pas remarquée. La photo (qui provient, selon les crédits du catalogue, d'une source intitulée "Denis Mercier Studio", correspondant à un artiste-photographe de ce nom) est une vue moins large, et moins déchiffrable, que les vues que Gilles Minette m'a fait connaître après mon achat d'un tirage. Elle ne comporte en outre aucune mention du lieu, à la différence de ma propre enquête. Savine Faupin, qui l'a légendée dans le catalogue, a eu cependant la même intuition que moi en songeant aussi aux Barbus Müller.

      Ma découverte de ces clichés stéréoscopiques a lieu, je le précise, très peu de temps, courant 2017, avant la finalisation de mon livre Le Gazouillis des éléphants, dont il est impossible de bouleverser outre mesure la maquette, alors déjà bien avancée. Je ne peux donc faire état, dans la notice que je rédige in extremis avant le bouclage du livre, des développements qu'appelle inévitablement cette localisation, et je précise seulement que je poursuivrai ultérieurement l'enquête, promesse que je tiens à présent...

      A partir de ces photos, il était évident qu'un curieux de ces sculptures – à commencer par moi ! – aurait envie de découvrir si, par hasard, il serait resté quelque trace du lieu sur place, et plus extraordinaire sans doute, des œuvres! On n'a pas toujours le loisir, et les moyens, de traverser la France pour une recherche ou l'autre. Mais heureusement Google street est là, précieux auxiliaire des chercheurs indépendants... Je plonge donc, depuis mon domicile, sur la route passant toujours en dessous de ce cimetière intangible. Quelle n'est pas ma surprise de découvrir qu'il restait, dans un passé récent au moins (les photos de Google datent de 2011), un vestige évident de ce jardin aux sculptures de début XXe siècle : la fameuse "cabane" carrée, en particulier, est toujours présente, bien qu'elle se soit enfoncée dans le sol, rançon du temps écoulé bien entendu, les sols s'élevant comme on sait, au fur et à mesure des travaux des hommes entre autres, ou de l'évolution naturelle (comme c'est le cas en l'occurrence).

      Il y a toujours un potager, et les dimensions de la parcelle ne paraissent pas avoir beaucoup bougé... Ce qui peut paraître étonnant, mais ne l'est pas, lorsqu'on s'avise que dans ces coins de montagne auvergnate (Chambon-sur-Lac se situe à près de 900 m.), beaucoup de lieux ne changent que fort modérément au fil du temps. La cabane n'a plus son chaume, elle a été recouverte d'ardoises apparemment. Mais elle est toujours debout, repère temporel et spatial précieux, servant peut-être toujours, comme à l'époque des sculptures, de remise pour les outils de jardin?

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Plan de situation de la même parcelle que celle photographiée sur les clichés-verre au début du XXe siècle, localisable aisément grâce à la proximité de la chapelle sépulcrale du cimetière placée juste au-dessus ; capture sur Google maps

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Vue 2011 (en février), sur Google street, de la parcelle anciennement remplie de sculptures ; la cabane carrée est toujours là, s'enfonçant dans le sol qui a monté ; en visitant le village le lundi 12 mars 2018, avec Régis Gayraud, nous apprendrons que cette vallée rencontre un problème "d'enlisement" depuis des siècles, comme un panneau sur l'église en avise les touristes (le lac Chambon, aujourd'hui distant du village, recouvrait, il y a plusieurs siècles bien entendu, une bien plus grande portion de la vallée).

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La parcelle aux Barbus, aujourd'hui ; Photo Bruno Montpied, 12 mars 2018.

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La parcelle aux Barbus vue depuis le cimetière et la chapelle sépulcrale ; on aperçoit la cabane à droite derrière les arbres ; ph. B.M., 12 mars 2018.

 

       Le terrain existe encore, et la suite logique de l'enquête me mène à penser aux possibilités de retrouver via les archives départementales du Puy-de-Dôme et les plans cadastraux l'histoire des différents propriétaires qui ont pu se succéder sur ce lopin de terre. Parmi eux, trouvera-t-on peut-être l'auteur des sculptures qui nous intéressent tant? C'est alors que je songe à demander de l'aide à un bon camarade, Régis Gayraud, qui passe pas mal de temps à Clermont-Ferrand, et qui est bien plus familier que moi des recherches dans ce genre d'archives.

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Matrices cadastrales, Archives départementales du Puy-de-Dôme : le nom de l'auteur des Barbus Müller dort-il dans ce registre, et depuis combien de temps? ; Photo Régis Gayraud, 2017.

 

       Il va alors consulter aux archives départementales ce que l'on appelle les matrices cadastrales, et plus précisément, le cadastre napoléonien. Bien vite, il identifie le n° de la parcelle sur ce dernier cadastre, c'est la 1029 (numéro qui a changé sur le cadastre actuel national), qui correspond au terrain à la cabane carrée que je lui ai indiqué, situé au lieu-dit "La Chapelle" (du fait de la proximité avec la Chapelle sépulcrale). De fil en aiguille, il peut ainsi remonter aux différents propriétaires qui se sont succédé sur ce lopin de terre, celui qui nous intéresse ayant vécu entre la fin du XIXe siècle et les années 1930 (large fourchette liée aux dates induites par l'âge des clichés-verre). Et il finit par découvrir, m'indique-t-il bientôt (nous communiquerons dans notre collaboration par une série de SMS parfois enfiévrés, parfois embrouillés, nous tenant éveillés  tard dans la nuit quelques autres fois), qu'en 1893, la parcelle  1029 a été vendue à deux personnages, deux frères, tous deux prénommés Antoine, et portant le même nom : Rabany, propriétaires de ce terrain au moins jusqu'en 1907...

       Antoine Berthoule Rabany dit "le zouave", qui va se révéler être un cultivateur, et Antoine Rabany Séran, dit le "jeune", tailleur de profession...

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¹ L'art brut et l'Auvergne... On sait de plus que Dubuffet s'intéressa, dès le début de l'année 1945 au moins, et donc avant son voyage de prospection en Suisse que l'on présente souvent comme le début de ses découvertes, aux sculptures d'Auguste Forestier qui se trouvait à l'asile de St-Alban-sur-Limagnole, en Margeride (où il alla faire des recherches après son voyage en Suisse, mais bien qu'il ait eu vent de Forestier auparavant donc, à Paris, par Eluard et Queneau ; voir là-dessus Bruno Montpied, « D’où vient l’art brut ? Esquisses pour une généalogie de l’art brut », Ligeia, dossiers sur l’art n°53-54-55-56, Paris, juillet-décembre 2004).

 

(Fin du 2e chapitre : à suivre...)

10/04/2018

3 L'auteur des "Barbus Müller" démasqué ! (3e chapitre) ; une enquête de Bruno Montpied, avec l'aide de Régis Gayraud

Traque aux archives... La silhouette de l'auteur des "Barbus" se précise...

 

      Antoine Berthoule Rabany, dit "le zouave", qui va se révéler être un cultivateur, et Antoine Rabany Séran, dit le "jeune", tailleur de profession... disais-je à la fin de mon deuxième chapitre : ces noms recouvriraient-ils le(s) nom(s) de l'auteur – ou des auteurs – des Barbus?

       Régis Gayraud et moi nous plongeons alors en même temps, quoiqu'à distance, dans une rubrique des Archives départementales qui est, elle, consultable en ligne, disponible pour tout chercheur amateur, sans besoin de sortir de chez soi  : le recensement par communes, consultable jusqu'aux dates précédant la Grande Guerre. Puisque nous avons repéré des propriétaires de la parcelle jusqu'en 1907 au moins, autant regarder l'année de recensement la plus proche, et voir s'ils y figurent avec des renseignements complémentaires à leur propos. C'est le recensement de 1911 qui s'offre à nous... Nous égrenons une liste de noms assez longue, retranchant rapidement tous ceux qui habitent dans des villages ou des hameaux limitrophes du village principal de Chambon-sur-Lac (je rappelle que ce village est distant de quelques centaines de mètres du lac Chambon, lac qui en était probablement à cette période d'avant-guerre à ses premiers balbutiements touristiques). Sur cette liste de recensement, nous retrouvons rapidement les deux personnages cités dans les matrices cadastrales.

      Antoine Rabany dit le jeune, tailleur de profession, né en 1849, habite avec une certaine Nancy Séran, couturière, sa deuxième épouse (Antoine est un veuf, comme sa seconde femme d'ailleurs)  et son beau-fils, Alphonse Besson, né en 1898 d'un premier mariage de cette dame Séran (comme Régis le reconstituera ultérieurement grâce aux actes de mariage consultables sur le site Filae).

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Page du registre de recensement de la population de Chambon en 1911, donnant les noms des personnes habitant avec Antoine Rabany, dit le "jeune", tailleur...patron... (mais tailleur de vêtements et non pas de pierre... ; né en 1849).

 

      La mention du métier de tailleur, dans un premier temps, nous donnera un espoir : ne s'agissait-il pas d'un tailleur... de pierres? Jusqu'à ce que la mention du métier de sa femme, couturière, et la précision de son métier à lui (tailleur de tissus) sur l'acte de mariage que nous trouverons ensuite, viennent nettement doucher cette hypothèse. Etait-il le plus à même d'avoir sculpté ces statues, avec des doigts de tailleur que l'on imagine fins ? Les deux prénoms identiques – Antoine – nous agiteront un moment également. Quel manque d'originalité de la part des parents, appeler leurs deux fils du même prénom...

     Devant cette déconvenue, il faut explorer la piste d'Antoine l'aîné, plus vieux de cinq ans, puisque né – nous apprend toujours le recensement de 1911 – en 1844, ce qui, entre parenthèses, en 1911, lui confère l'âge, respectable à cette époque, de 67 ans. Ce qui peut le présenter comme un candidat plausible au passe-temps de sculpteur de Barbus... si on le compare à d'autres sculpteurs autodidactes de la même époque (le Facteur Cheval, l'abbé Fouré, François Michaud bien auparavant – né en 1810, ce dernier meurt en 1890), créant à leurs moments de loisirs et plutôt dans leur vieillesse.

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Page du recensement de 1911, où l'on trouve les habitants du foyer d'Antoine Rabany (né en 1844). C'est le même qui est surnommé "le zouave" sur le cadastre.

 

     Sur la liste du recensement, il est présenté comme "cultivateur", avec cette précision : "patron". Il est qualifié également de "chef du ménage". Son foyer en 1911 comprend sa femme, Marie Rabany, née en 1850, et ses trois petites-filles, Mélanie (née en 1902, et qui a donc 9 ans en 1911), Marie (née en 1903, qui a 8 ans) et Irma (née en 1907, qui a 4 ans). Des recherches ultérieures que j'effectuerai sur des sites de généalogie, m'apprendront que cet Antoine-là – surnommé "le zouave" dans la matrice cadastrale, sobriquet ayant sans doute servi à le distinguer, dans les papiers administratifs du moins, de son frère, dit le "jeune" – s'est marié avec Marie Berthoule (de son nom de jeune fille) le 25 juillet 1874. Les trois fillettes qui vivent chez lui sont les enfants que son fils Alphonse Rabany (né en 1875) a engendrés avec une certaine Catherine Frappa (qu'il a épousée en 1901 dans la Loire, département voisin du Puy-de-Dôme). Le recensement n'explique bien sûr pas ce que font ces trois fillettes dans le foyer des grands-parents Rabany. Nous n'avons pas retrouvé jusqu'à quel moment leurs parents vécurent (Alphonse Rabany, par ailleurs, était gendarme).  En 1911, cependant, on peut  penser qu'ils étaient encore vivants, au moins l'un des deux. Peut-on imaginer que le père des trois fillettes avait perdu sa femme et qu'il ne se sentait pas de taille à élever ses trois fillettes? Notre imagination bien entendu se met en action...

     Toujours est-il que, parvenus à ce point, nous n'avons toujours pas d'éléments qui permettraient de déterminer de façon certaine si c'est un de ces deux frères qui est bien l'homme qui a, à un moment, rangé, face à la route, des dizaines de sculptures dans le potager de la parcelle 1029, dite de "la Chapelle". Nous sentons que nous brûlons, que nous tournons autour du pot aux roses, mais la vérité se dérobe encore...

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Page du Moniteur d'Issoire où est annoncée la vente de "divers immeubles"... 14 novembre 1928.

 

      C'est alors qu'en cherchant par indexation de mots-clés sur un moteur de recherche, je vais faire une découverte importante quant à la détermination du propriétaire unique du potager à la cabane carrée : je tombe sur un encart dans le journal Le Moniteur d'Issoire (du 14 novembre) annonçant en 1928  la vente "sur licitation" de biens et de terrains situés à Chambon-sur-Lac... dont la fameuse parcelle 1029. La licitation des biens d'une succession, c'est la vente aux enchères de ces biens. Cela se passe ainsi quand il y a indivision entre plusieurs propriétaires. Les biens possédés en commun par les héritiers sont ainsi vendus. La vente paraît s'effectuer suite à la demande d'Irma Rabany, la plus jeune des sœurs devenues les héritières de leur père et grand-père. L'adjudication s'effectue aux enchères à la mairie du Chambon-sur-Lac le dimanche 9 décembre 1928. antoine berthoule rabany,antoine rabany le zouave,antoine rabany le jeune,chambon-sur-lac,grande guerre,barbus müller,zouaveIl s'agit, comme le proclame l'encart, de la vente d'"immeubles" "dépendant des successions d'Alphonse Rabany, époux de Catherine Frappa, et d'Antoine Rabany dit "Le Zouave" décédés au Chambon-sur-Lac". Ce qui implique qu'Antoine "le Zouave" n'a pu mourir qu'avant 1928, de même que son fils Alphonse (les dates de leurs décès ne sont pas données sur cet encart). Dans le jargon juridique pas toujours accessible à tout un chacun, l'annonce de la vente signale que la vente se fait aux noms de requérants et de "poursuivants" qui sont les héritières de ces immeubles en indivision – peut-être depuis plusieurs années? – : Mme Irma Rabany,  épouse Vitti, Mme Mélanie Rabany, épouse Servier et "Mademoiselle" Marie-Joséphine Rabany (sans doute la même qui, dans le recensement de 1911, est appelée "Marie", née  en 1903).

      La parcelle 1029 fait partie de bien liquidés par des héritières qui ont fait et refait leur vie ailleurs qu'à Chambon. Rien n'est dit de possibles sculptures qui seraient vendues avec le terrain, ce sont des "immeubles"  qui sont vendus en effet, et pas des biens meubles...  Cette vente apporte en tout cas une information importante: il n'est plus question dans cette succession du deuxième frère, Antoine Rabany Séran, dit "le jeune".

     Régis Gayraud va creuser la question. Et, toujours en consultant aux Archives Départementales, les matrices cadastrales, les actes d'état-civil, les archives du notaire qui a couvert la vente de 1928, on va apprendre deux autres informations capitales quant à la propriété du jardin aux sculptures du lieu-dit La Chapelle : 1, Antoine Rabany dit le zouave" est devenu seul propriétaire de la parcelle en 1907, et 2, il est mort en 1919, soit à 74 ans. Les biens qu'il possédait sont sans doute naturellement passés entre les mains de son fils Alphonse (sa femme, Marie Berthoule, dont on n'a pas encore retrouvé la date de décès, en ayant peut-être gardé quelque temps l'usufruit?), jusqu'à ce que ce dernier disparaisse lui aussi, événement qui ouvrit la question de la vente des biens en 1928. Une troisième information, légèrement secondaire, mais quelque peu sombre, va surgir des archives notariales consultées par Régis : une des trois petites-filles du "zouave", Mélanie (prénommée exactement "Marie-Mélanie") était en 1928 internée, comme folle, à l'asile Sainte-Marie de Clermont-Ferrand...

    Bon... On sait donc à présent que l'unique propriétaire du jardin aux sculptures, de 1907 à 1919, était un cultivateur nommé Antoine Rabany, dit "le zouave". Mais était-il l'auteur des statues alignées dans le fond de la parcelle ? Car rien ne nous assure véritablement, à cette étape de notre enquête, que les clichés-verre, dont j'ai appris l'existence en 2017 chez le marchand Gilles Minette, ont bien été pris à ces dates? En 1928, le propriétaire qui racheta la parcelle suite à la vente sur licitation, un certain Marius Carriat (fils d'un voisin de la parcelle aux statues), aurait pu être le sculpteur, si l'on estime que les clichés ont pu être réalisés entre 1928 et les années 1930... Question subsidiaire : ces statues, qui ressemblent furieusement à des "Barbus Müller", on n'a pas encore la preuve définitive, en ne se fondant que sur les clichés-verres, et en dépit des ressemblances plausibles de deux ou trois d'entre elles (voir mon ouvrage Le Gazouillis des éléphants), qu'elles peuvent être parfaitement assimilées aux Barbus de Dubuffet...

    Il faudra lire les chapitres suivants pour que ces deux questions trouvent leurs réponses et que tout s'éclaire...

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Chambon-sur-Lac, à une date indéterminée, peut-être les années 1930... ; dans le fond, à gauche, on aperçoit la chapelle sépulcrale et le cimetière, mais en dessous, la végétation cache la route de la parcelle... ; à l’arrière-plan, proche de l’horizon, on découvre le lac Chambon ; carte postale, coll. B.M.

 

(Fin du 3e chapitre : à suivre...)

 

09/04/2018

4 L'auteur des "Barbus Müller" démasqué ! (4e chapitre) ; une enquête de Bruno Montpied, avec l'aide de Régis Gayraud

Le mystère se dissipe enfin, l'auteur se dévoile, et les Barbus retrouvent leur père...

 

       Rien n'est encore fait dans cette enquête à la poursuite de celui que l'on croyait insaisissable, l'auteur des "Barbus Müller"...

      Mais, je vais enchaîner les découvertes, toujours avec la méthode des mots-clés, souvent efficace désormais grâce à la vaste indexation de ces derniers, via les moteurs de recherche sur internet (si efficace que cela en devient magique et, parfois aussi, un peu désespérant, tant cela peut apparaître un peu mécanique...).

L'étrange pratique du martelage, page 2.JPG     Je tombe tout à coup, à travers l'écran de mon ordinateur (voir ci-contre le deuxième article de février), sur deux textes, parus dans deux numéros de l'Auvergnat de Paris du 13 janvier et du 3 février 1934 ¹, et mis en ligne sur le site web de la Bibliothèque Clermont-Université. Il s'agit d'une correspondance et d'un débat entre Camille Gandilhon-Gens d'Armes (dont Régis me signalera qu'il fut un ami d'Alfred Jarry, simple référence entre parenthèses...) et Henri Pourrat – connu comme romancier régionaliste, conteur et connaisseur des traditions populaires en Auvergne –, à propos d'un chapiteau de la chapelle sépulcrale du cimetière de Chambon, où certains croyaient voir une illustration d'une pratique magique rare, "le martelage de ventre" (il s'agissait de menacer d'un coup formidable de marteau le ventre d'un patient souffrant du ventre), mais qui est en fait une représentation de la circoncision d'Abraham...

Chapiteaux 3 (le martelage de ventre ptet).JPG

Chapiteau de la chapelle sépucrale du cimetière de Chambon-sur-Lac, très probablement la scène de la circoncision dont débattirent Henri Pourrat et ses collègues dans l'Auvergnat de Paris ; ph. Bruno Montpied, 11 mars 2018.

 

       Dans sa réponse à Gandilhon, Pourrat lui rappelle ce que d'autres érudits lui ont dit de ce même chapiteau qui représente selon eux une scène de circoncision. Notamment, Pourrat cite Maurice Busset qui effectua de nombreux dessins à Chambon. Dans le témoignage de Maurice Busset, qui relève le peu de souci de réalisme des sculpteurs romans de la chapelle, un passage me saute littéralement aux yeux ! Car c'est le premier témoignage publié que je trouve sur le sculpteur de Chambon :

Maurice Busset cité par H.Pourrat en réponse à Gandilhon Gens d'Armes , l'auv de Paris 1934.JPG

Extrait de la réponse de Maurice Busset à Henri Pourrat au  sujet du chapiteau à "la circoncision" (ou au "martelage de ventre") de la chapelle sépulcrale de Chambon-sur-Lac.

 

      "Il y existait encore avant la guerre un cultivateur que j'ai connu (Rabany, le zouave) et qui fabriquait pour les touristes des bonshommes en lave absolument semblables à ceux du baptistère et de l'église. C'était à s'y méprendre, et les antiquaires en ont vendu beaucoup comme pièces romanes authentiques"... Ce passage est pour moi, à l'évidence, la (première) confirmation que notre Antoine Rabany, dit "le zouave", né en 1844 et mort en 1919, un an après la Grande Guerre donc, est bien l'auteur des sculptures exposées dans le jardin, telles que les clichés-verre nous les montrent, situées en dessous du cimetière. La mention "avant la guerre" dans le témoignage de Maurice Busset correspond en outre aux dates pendant lesquelles Rabany posséda, seul, le dit jardin. Ce souvenir permet aussi d'avancer un créneau de dates encore plus anciennes pour les clichés-verre, soit avant ou pendant la Grande Guerre.

 

4 Barbu, coll Müller 4 (2).jpg

"Barbu Müller", coll. Joseph Müller, tel que reproduit dans le fascicule de 1947, réédité en 1979 ; comment  peut-on y voir une copie "absolument semblable" aux sculptures romanes du Chambon, autrement que d'une manière très peu rigoureuse ?

eglise-romane-bas-relief-representant-le-martyr-de-saint-etienne-église-de-Chambon.jpg

Bas-relief représentant, paraît-il, le martyre de Saint-Etienne, sur le portail de l'église de Chambon-sur-Lac ; très peu de rapport avec les "Barbus Müller", si ce n'est une commune stylisation, due aux ciseaux de tailleurs de pierre pareillement peu exercés?

 

      Je trouve  particulièrement discutable l'opinion de Maurice Busset quant à la copie ("absolument semblable"...) qu'aurait faite notre zouave des sculptures du baptistère (c'est-à-dire la chapelle sépulcrale ; voir ci-dessus le chapiteau à la "circoncision"). Lorsque l'on compare ces dernières aux "bonshommes en lave", on peut mesurer aisément, en effet, l'écart de style. Il y a en réalité dans le jugement de ce Busset un nivellement par le bas : il ravale les deux types de sculpture à une forme d'art embryonnaire, "extrêmement primitif", une "tentative maladroite" (ce sont ses mots dans un autre passage de sa réponse à Pourrat). On notera par ailleurs la mention de l'utilisation par les antiquaires de ces sculptures comme "pièces romanes". On va retrouver cette interprétation plus loin.

    Ceci dit, il faut peut-être garder à l'esprit l'idée que Rabany le zouave ait pu tout de même vouloir se mesurer avec les sculpteurs du Xe siècle, d'autant qu'il voyait les touristes venir de loin les admirer. Après tout, l'idée de se faire un peu d'argent de ce côté-là a pu germer dans sa tête (on va en trouver un indice plus probant dans notre cinquième chapitre). Cela a pu être un motif initial, avant que le sculpteur autodidacte ne se prenne au jeu et cherche toutes les combinaisons possibles dans la structure de ses personnages ultra simplifiés. Car, dans la quête de cet art du peu poussé à l'extrême, tout en cherchant la beauté et le hiératisme, la force expressive stylisée, "le zouave" Rabany²  est allé bien plus loin que les sculpteurs romans de la chapelle voisine, ce qui justifie qu'en 1939 Charles Ratton s'y attache, et qu'en 1947 Dubuffet s'en soit entiché, décelant une originalité individuelle derrière ces pierres frustes et pourtant puissantes, ce qui pouvait justifier sa conception naissante d'un art véritablement "brut".

      Sans être totalement coupées d'une culture traditionnelle cependant (ce qui contredit une fois de plus la vue de l'esprit de Dubuffet concernant la possibilité d'un art qui aurait été orphelin et vierge de toute culture artistique...), ces pierres du Zouave Rabany manifestent une personnalité individuelle qui s'exprime originalement par des formes stylisées, s'éloignant d'un langage collectif.

     Nous avons donc répondu à la première question que je posais à la fin de mon troisième chapitre, mais reste la seconde question sur l'identification complète des sculptures aux Barbus Müller, ainsi baptisés vers 1947 par Dubuffet . Il faut reprendre le fil de l'enquête, car d'autres révélations vont venir étayer la première confirmation et, surtout, répondre à cette deuxième question...

____

¹ On se souviendra peut-être que c'est cette année 1934 qui est avancée comme la plus ancienne pour la découverte de Barbus Müller chez un antiquaire, comme il est dit dans l'article d'Olivier Bathelier dans Les Cahiers du Musée des Confluences, volume 8 : L'Authenticité, 2011 (voir la note 2 dans le premier chapitre de cette enquête). On voit cependant que, rien qu'en se fondant sur  le témoignage de Maurice Busset, cette date peut être désormais reculée en ce qui concerne les antiquaires...

² C'est ainsi qu'il faudra désormais l'appeler, comme on a appelé Henri Rousseau "le Douanier" Rousseau...

 

(Fin du 4e chapitre : à suivre...)

08/04/2018

5 L'auteur des "Barbus Müller" démasqué ! (5e chapitre) ; une enquête de Bruno Montpied, avec l'aide de Régis Gayraud

Les Barbus Müller s'ancrent définitivement à Chambon-sur-Lac...

 

       Comme le fil d'une tapisserie que l'on détricoterait, je continue de rechercher d'autres informations mises en ligne dans le secret d'archives insoupçonnées. Internet est une caverne d'Ali-Baba pour les chercheurs autodidactes et indépendants dans mon genre, surtout s'ils s'arment de bonnes intuitions.

       Les mots-clé "Antoine Rabany le zouave" vont m'apporter de nouvelles pistes via Google, sous la forme d'articles parus dans des bulletins de société archéologique, des actes de congrès archéologiques, articles qui dormaient avec leurs révélations depuis soixante-dix ans... Je ne donnerai pas ici la chronologie exacte de mes découvertes, mais plutôt les présenterai dans la chronologie des dates de parution de ces articles.

Léon_Coutil_autoportrait sur Wikipédia.jpg

Léon Coutil, autoportrait de 1930 figurant sur la notice qui lui est consacrée sur Wikipédia ; un barbu certes, mais pas Müller...

Couverture Congrès1908 (2).jpg      Le plus ancien d'entre eux est celui de l'archéologue Léon Coutil¹. Sa date est très ancienne, par rapport à tout ce que l'on savait jusqu'à présent de la première occurrence de Barbus Müller apparus chez des antiquaires (à Lyon en 1934, comme je l'ai déjà mentionné): 1908-1909 ! Il a paru dans le Compte-rendu de la Quatrième Session du Congrès préhistorique de France, tenu à Chambéry en 1908 cependant, quoique publié seulement en 1909.

    Je le reproduis ci-dessous :

Coutil, Bustes et statuettes de forme archaïque en lave d'Auvergne 1, cong pré de chamb 1908 _edited.jpg

Coutil, Bustes et statuettes de forme archaïque en lave d'Auvergne 2, cong pré de chamb 1908 _edited.jpg

Article de Léon Coutil rédigé en 1908.

 

     Ce texte est à prendre avec des pincettes. L'auteur, qui est avant tout un archéologue désireux de dénoncer les fabricants de fausses pièces archéologiques, paraît y mêler allusions à de vraies fausses pièces (au tournant des deux derniers siècles, il est vrai que le marché des faux objets archéologiques était florissant, et pas seulement à Clermont-Ferrand, comme l'avance Coutil) et évocations de statuettes créées par le "fabricant, nommé le Zouave ou père Rabagny (sic)", qui est le même que notre Antoine Rabany, surnommé le Zouave à Chambon-sur-Lac. Rien ne nous assure véritablement que les statuettes qu'il a trouvées chez un antiquaire d'Evreux – dont la description pourtant paraît correspondre à celle des Barbus ("yeux proéminents", "mesurant 0m30 à 0m40") – aient la même origine que les "statuettes" que possède un antiquaire de Murols qui lui donne l'adresse du "père Rabagny". Au passage, il met ces sculptures dans la même catégorie que des "haches fausses" que les "bourgeois" préfèrent acheter au même antiquaire, dont on remarquera au passage que Coutil nous avoue que c'est ce dernier qui les fabrique... Le lecteur en retire l'impression que, logiquement, les statuettes elles aussi sont des pièces "fausses". Un croquis accompagne l'article, visant à donner une idée de ces statuettes, mais reflétant l'interprétation de Léon Coutil, à savoir une vision ambiguë. La statuette – dont Coutil nous avoue, simultanément et contradictoirement, qu'elle provient d'une collection située à Flers, et qu'elle possède une caractéristique (des colliers) qui l'éloigne des "Barbus" –  y est plus proche d'une statuaire antique, assez éloignée du style nettement plus rugueux et "brut" des sculptures du zouave Rabany.

     On retiendra surtout de cet article – témoignage écrit le plus ancien qu'il m'ait été donné de trouver jusqu'à présent – que l'archéologue nous confirme (une deuxième fois après le souvenir de Maurice Busset que j'ai évoqué dans le quatrième chapitre de cette enquête) l'existence d'un Rabany, zouave, sculpteur à Chambon-sur-Lac en 1908. La présentation de ce sculpteur comme un "faussaire" est intéressante à noter, même si, selon moi, elle procède d'une erreur d'interprétation, à laquelle on peut cependant, peut-être, trouver une justification... N'est-elle pas l'indice d'une difficulté, de la part d'un spécialiste de l'art antique, à envisager comme un art à part la sculpture non utilitaire, non religieuse, d'un paysan autodidacte (Rabany à cette époque avait pour raison sociale "cultivateur", rappelons-nous la mention du recensement de 1911) rencontré dans un contexte de traque aux fausses pièces archéologiques qui plus est? On retiendra aussi l'hypothèse d'une ressemblance avec l'art des Canaques, hypothèse "primitiviste" qui reviendra chez d'autres commentateurs des Barbus dans les décennies suivantes du XXe siècle.

     En continuant de chercher par index de mots-clés, je vais  tomber sur deux autres articles, plus récents, puisque datant, pour le premier, de 1929 et pour le second, de 1930. Celui de 1929 est dû à un collègue de Coutil, Albert Lejay², archéologue comme lui, tandis que celui de 1930 est de nouveau un article du même Léon Coutil, répondant en quelque sorte à l'article de Lejay. Tous les deux sont publiés dans des bulletins de la Société préhistorique de France, et disponibles en se connectant au site Persée (pour le premier, intitulé Une collection d'objets faux, Bulletin de la Société préhistorique de France, tome 26, n°12, 1929, voici le lien ; et pour le second, de Coutil, Les figurines en granit et en lave de Chambon (Puy-de-Dôme), daté de 1930, tome 27, du Bulletin de la Société préhistorique de France n° 6, voici l'autre lien du site Persée). Je reproduis ci-dessous l'article de Lejay qui a une importance capitale, grâce aux clichés qu'il contient, montrant les fameuses statuettes trouvées à Chambon-sur-Lac par des antiquaires (en 1912), les mêmes que ceux évoquées par Léon Coutil en 1909, ce que ce dernier confirme dans son article en 1930. L'une d'entre elles en particulier ne peut que frapper les amateurs des Barbus.

 

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Les trois pages de l'article d'Albert Lejay de 1929.

 

     L'archéologue Lejay, dans la dernière phrase de son article, ne nous adresse-t-il pas un clin d'œil par-delà les décennies, lorsqu'il commente "ces épreuves qui permettront un jour de reconnaître et d'identifier ces bustes fabriqués il y a près de vingt ans"...? Je pourrais le croire tant il se montre prophétique.... A cette nuance près que "l'identification" que j'opère ici ne qualifie plus ces "bustes" comme des faux archéologiques, mais reconnaît en eux ce que Dubuffet identifia comme un art populaire original, si original qu'il fallait l'appeler d'un nouveau nom, et c'est ainsi que naquit... l'art brut en 1945. Ces épreuves photographiques qu'il eut la bonne idée de prendre montrent – on les reconnaît sans peine – une tête au milieu de la "figure 2" que l'on connaît bien (voir ci-joint la couverture du fascicule Dubuffet de 1947, sculpture aujourd'hui au Musée des Confluences à Lyon)...

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 ....et une autre tête, à droite de la même figure 2, qui paraît bien être la même que celle que  l'on peut aujourd'hui voir dans les collections du LaM à Villeneuve-d'Ascq (voir photos ci-dessous).

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      Sur ces "figures", ou planches, 1 et 2 de l'article de Lejay, on peut reconnaître également d'autre Barbus. Par exemple, la première statuette à gauche sur la figure 1 ressemble fortement à un Barbu appartenant à la collection d'Audrey B. Heckler  et exposé au LaM à l'occasion de l'exposition L'Autre de l'art (voir ci-dessous).

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Barbu Müller, collection Audrey B. Heckler, catalogue L'Autre de l'art, LaM de Villeneuve-d'Ascq.

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Sculpture du Chambon-sur-Lac à gauche de la figure 1 de l'article d'Albert Lejay de 1929.

 

    De même, la statuette centrale sur cette même "figure 1" ressemble trait pour trait à un Barbu Müller de The Museum of Everything.

 

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    N'est-ce pas évident ? L'article de notre archéologue jurassien, grâce à ces photos, permet de répondre à notre deuxième question des chapitres 3 et 4 de cette enquête : les statues photographiées à Chambon-sur-Lac, par un photographe non identifié jusqu'à présent, sont bien les mêmes que Dubuffet appela Barbus Müller en 1947, et elles furent créées par le ciseau d'un cultivateur, sculpteur autodidacte, nommé Antoine Rabany, dit "le Zouave", né en 1844 et décédé en 1919.

    Léon Coutil, cité dans l'article de Lejay, réagit en 1930 dans un autre article de ce même bulletin de la Société préhistorique de France. Il renchérit sur l'interprétation des sculptures vues comme des faux par les deux archéologues mais en même temps, il permet au chercheur de vérifier que les sculptures photographiées par Lejay en 1912 sont bien les mêmes que celles que Coutil avait vues en 1908 à Chambon et chez des antiquaires dans d'autres villes, où, dès le début du siècle donc, elles avaient commencé de migrer. Il répète dans son témoignage  sur celui qu'il appelle curieusement le "zouave algérien Rabagny" des souvenirs qu'il avait déjà rapportés dans son ancien texte .

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Léon Coutil, texte paru dans le Bulletin de la Société préhistorique de France n°6, tome 27, 1930.

      Augmentons la taille de l'extrait qui nous intéresse plus particulièrement...

 

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     Ce qui est curieux, c'est l'accentuation de l'hypothèse sur l'entreprise de faussaire attribuée à Rabany, désormais dénoncé comme fabricant de fausses haches aussi. On peut se demander si Léon Coutil ne mélange pas tout en 1930. Son article comporte une coquille sur la date de la trouvaille de son collègue Lejay: 1912 et non pas 1922. De plus, si Rabany est bien décrit comme "zouave" (un corps de l'armée française créé pendant la conquête de l'Algérie en 1830 dont le recrutement fut majoritairement européen, semble-t-il, à partir de 1842, hormis une brève période entre 1942 et 1945), il n'était pas "algérien" mais bien auvergnat, né à Chambon-sur Lac. En cherchant davantage, je suis du reste tombé sur sa fiche de renseignement dans le registre matricule (archives militaires) mis en ligne sur le site des archives départementales du Puy-de-Dôme. Il fit partie de la classe 1864, et dès cette époque était considéré comme un militaire puisqu'engagé volontaire. Il fut versé à cette date dans le 20e  bataillon de chasseurs à pied. Peut-être fit-il partie des soldats qui se battirent en 1870 contre les Prussiens. Et peut-être est-ce vers cette période qu'Antoine Rabany fut versé dans le corps des zouaves. En 1911, lors du recensement, il était alors mentionné comme "patron cultivateur". D'où lui vint ce surnom de "zouave", encore attaché à lui en 1908? Portait-il sur lui, comme me l'a suggéré mon camarade Régis Gayraud, quelques pièces de son ancien uniforme de zouave, une culotte rouge, un gilet festonné, un foulard dans les cheveux, tous articles qui donnaient à ces soldats fière allure?

     Ce souvenir, vieux de presque trente ans, émanant d'un archéologue de 74 ans, réitère ce qu'il avait déjà écrit en 1908 : Rabany sculptait selon lui en "hiver" et vendait "ces bustes et statuettes pour 5 à 10 francs", qui étaient à cette date des francs-or. Difficile de faire le parallèle monétaire ou de donner un équivalent actualisé en pouvoir d'achat, sans doute la somme de 5 à 10 frs équivaudrait peut-être à une somme variant d'une cinquantaine à une centaine d'euros actuels?

    Et l'on relèvera en conclusion le ton passablement méprisant de l'archéologue sans grand discernement, qualifiant in fine ces "produits" du zouave de "grotesques"... 

    Rendez-vous pour un sixième chapitre qui va rassembler tout ce qui, jusqu'à présent, a désormais été collationné sur notre sculpteur de Chambon, comme une sorte de fiche de renseignements...

_____

¹ "Léon Coutil, né le 13 octobre 1856 au hameau de Villers (Les Andelys) et mort le 24 janvier 1943 aux Andelys, est un peintre, graveur, archéologue et historien local français." (Extrait de notice Wikipédia).

² Albert Lejay (1872-1950), archéologue originaire de Dôle (Jura).

 

 (Fin du 5e chapitre: à suivre...)

07/04/2018

6 L'auteur des "Barbus Müller" démasqué ! (6e chapitre) ; une enquête de Bruno Montpied, avec l'aide de Régis Gayraud

Le Zouave Rabany,

sculpteur brut à Chambon-sur-Lac

 

     Voici, dans ce 6e chapitre,  tout ce que j'ai pu rassembler, avec l'aide de Régis Gayraud, comme informations factuelles à propos de l'auteur des sculptures appelées en 1947 "Barbus Müller" par Jean Dubuffet:

 

Antoine Rabany, dit "le Zouave", ou le Zouave Rabany.

 Né le 8 mars 1844 à Chambon-sur-Lac, Puy-de-Dôme, Auvergne (sur son acte de naissance, le nom est orthographié "Rabagny", graphie qui se mue en "Rabany" dans les papiers officiels ultérieurs ; l'orthographe provient peut-être de la prononciation auvergnate du nom).

Décédé le 2 janvier 1919 à Chambon-sur-Lac.

Acte de déceès d'antoine le zouave.jpg

Acte de décès du Zouave Rabany, 1919, Chambon-sur-Lac.

 

Fils de Guillaume Rabany (1811-1878) et de Louise Lacombe (1811-1877)

Frère de  François Rabany (1845-1924), Catherine Rabany (1848-1921) et d'Antoine Rabany (1849-?)

Marié le 25 juillet 1874 avec Marie Berthoule (1850-?)

Enfants: Antoine Alphonse Rabany (1875-?) et Mélanie Catherine Rabany (1883-1888)

Petits-enfants issus d'Antoine Alphonse (marié avec une Catherine Frappa):

Mélanie Rabany (née en 1902 à St-Genès, internée en 1928 , comme folle, à l'asile Sainte-Marie de Clermont-Ferrand), Marie Rabany (née en 1903 à St-Etienne), Irma Rabany (née en 1907 à St-Etienne)

Renseignements tirés des archives militaires:

Antoine Rabany fut dans sa jeunesse engagé volontaire, classe 1864, versé d'abord dans le 20e corps des chasseurs à pied, versé ensuite probablement dans un bataillon de zouaves ; sa profession indique alors "militaire".

Voici sa brève description physique dans sa fiche de renseignements :

"Antoine Chapa (ou Chapat) Rabany, né le 8 mars 1844 à Chambon, fils de Guillaume Rabany et de Louise Lacombe, cheveux et sourcils : châtain clair, yeux : gris-bleu, bouche: moyenne, menton : rond, taille: 1,68m, visage : ovale, ne sait ni lire ni écrire."

Cette indication sur son niveau d'instruction est confirmée en 1917, sur l'acte de décès de la belle-soeur d'Antoine Rabany, où il est dit que le zouave n'a pu signer à côté de l'officier d'état-civil : jusqu'à la fin de sa vie, Antoine Rabany fut donc analphabète.

En 1911, lors du recensement, il est indiqué comme "cultivateur" et "patron". Vivent à ce moment avec lui sa femme Marie Berthoule Rabany, et ses trois petites-filles, Mélanie, Marie et Irma.

Il se porte acquéreur d'une parcelle dite de la Chapelle, située en contrebas du cimetière et de sa chapelle sépulcrale, en 1893, parcelle qu'il achète en compagnie de son frère Antoine né en 1849, tailleur de vêtements de son métier ; en 1907, il devient le seul propriétaire du terrain. La chapelle sépucrale du cimetière comporte un chapiteau roman (Xe siècle). Des touristes viennent visiter ce monument, classé monument historique depuis 1862.

En 1908, l'archéologue Léon Coutil le rencontre sur place, le prenant pour un fabricants de faux objets archéologiques. Il signale que "Rabagny" (Coutil l'écrit comme il l'a entendu, à la manière de l'officier d'état-civil qui rédigea l'acte de naissance du zouave ; voir notre interview imaginaire... ) sculpte l'hiver, façonnant 3 à 4 pièces par an, les vendant entre 5 et 10 francs(-or). Il paraît se plaindre de ne pouvoir les vendre plus cher, car la pierre est dure (Coutil écrit: "Il se donne beaucoup de mal pour les exécuter, ignorant absolument le modelage et la technique du travail sur pierre dure"). Chaque sculpture est différente, Coutil le remarque. Comme ce dernier note aussi qu'il ne copie pas sur des modèles  (ce qui est somme toute contradictoire avec l'hypothèse que Rabany ferait des fausses pièces archéologiques).


podcast

Interview imaginaire d'Antoine Rabany par Léon Coutil en 1908... Avec accent du terroir...

 

Dès 1908, donc, des pièces provenant de Rabany auraient été signalées chez des antiquaires à Evreux et à Murols. En 1912, un autre archéologue, Albert Lejay, signale en avoir découvert à Lons-le-Saunier, en provenance d'un antiquaire de Vichy. Il en acquiert une, et prend des photos des autres.

Un photographe anonyme prend des clichés sur verre de la parcelle de La Chapelle, probablement avant 1919, où l'on peut voir alignées des dizaines de sculptures en hiver et en été. Je publie deux de ces photos dans mon inventaire des environnements populaires, Le Gazouillis des éléphants, en 2017, et je donne la localisation de la parcelle aux statues.

En 1928, a lieu une vente sur licitation des biens de feu Antoine Rabany. La parcelle de la Chapelle est alors vendue. il n'est pas question de biens mobiliers, de sculptures, dont on peut penser qu'à l'époque elles ont déjà été pratiquement toutes dispersées auprès de divers antiquaires et collectionneurs.

En 1934, dans un article de l'Auvergnat de Paris, paraît au détour d'une correspondance entre Henri Pourrat et Gandilhon Gens d'Armes un témoignage de Maurice Busset qui cite le nom d'Antoine Rabany, sculpteur à Chambon ; la même année,  une sculpture réapparaît chez un antiquaire de Lyon, Maurice Brossard (voir notre 1er chapitre)... ; plusieurs collectionneurs en acquièrent ailleurs, et les font connaître à Jean Dubuffet.

Les deux guerres mondiales ont certainement joué un rôle non négligeable dans l'effacement des traces de l'auteur des sculptures surnommées en 1947 "Barbus Müller" par Dubuffet, qui leur trouva suffisamment d'originalité pour les choisir comme pièces d'une "statuaire provinciale" qui deviendront, au fil des décennies, jusqu'à aujourd'hui, des œuvres fondatrices dans sa collection d'art brut.

Faudra-t-il désormais changer les cartels d'exposition et de musées pour inscrire "sculptures du Zouave Rabany" comme on dit "peintures du Douanier Rousseau"...?

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N-B : A noter que je publierai bientôt en revue une remise en forme de cette enquête dans la perspective d'une édition sur papier.

 

03/04/2018

D'Anglefort à Demin, nouvelle exposition chez Alain Dettinger à Lyon : deux univers originaux à découvrir...

     C'est une riche et originale exposition qui va bientôt commencer à la galerie d'Alain Dettinger au 4 place Gailleton à Lyon dans le 2e arrondissement (du 7 au 28 avril 2018).

Carton d'invitation à expo d'avril 18 chez Dettinger.png

Yves d'Anglefort, sans titre (mais qui doit être pourvu d'un numéro d'ordre non indiqué sur ce carton d'invitation...), 30x42cm, crayons de couleur et encre sur papier, 2017.

Carton d'invitation à la galerie Dettinger, avril 18.png

Demin, D 43, 29x42cm, stylo et crayon de couleur sur papier, 2017. Image du carton d'invitation.

 

     Les deux artistes présentés (en deux expositions parallèles dans les deux salles de la galerie : je parie pour d'Anglefort dans la première, ouverte sur la rue, et Demin – titre de son expo : "Les Altérations chimériques" - dans la seconde, plus intime) me sont chers en effet depuis quelque temps, m'ayant apporté la révélation de deux univers nouveaux et singuliers, tout en maintenant un rapport avec des traditions figuratives spontanées plus anciennes. C'est d'ailleurs la marque unificatrice de ces deux créations, outre le regard du galeriste émérite qu'est Alain Dettinger, dont j'ai maintes fois souligné le talent de dénicheur sur ce blog.

     Yves d'Anglefort a déjà exposé en plusieurs endroits : la Galerie Isola de Francfort ou la Galerie du Marché à Lausanne (c'est par eux que je suis tombé une première fois sur son œuvre). Pour en savoir plus sur sa biographie dont il ne fait pas mystère, on peut se reporter au site web qu'il anime lui-même. Il dessine en majorité (jusqu'à aujourd'hui tout du moins) des sortes de plans remplis de détails, de figures schématiques et d'inscriptions diverses, souvent aux thématiques historiques, le tout dans de vifs coloris. On peut se sentir désorienté de prime abord devant ces dessins multicolores où l'œil ne sait où se poser dans l'immédiat. Cela, du reste,  a été relevé par Sylvie Gallin-Lambert qui vient de lui consacrer un livre joliment illustré avec de nombreuses analyses détaillées de plusieurs dessins ¹. L'auteur, qui se qualifie lui-même "d'artiste art brut" (il a raison, il est un des rares à en avoir le droit, j'y reviens plus loin), se moque avec la plus grande des désinvoltures de la logique historique, en mélangeant les allusions, les citations à différentes périodes de l'histoire, comme le montre par exemple le dessin ci-dessous qui appartient à la collection ABCD...

Yves d'Anglefort ds la coll ABCD.JPG

Yves d'Anglefort, sans titre, coll. ABCD ; Cette "carte du courage.com" fait se rencontrer une cartographie romaine avec des références aux armées napoléoniennes, l'auteur se moquant allégrement de la continuité historique, cédant à tous ses caprices, pratiquant un dessin citationnel automatique au gré de sa fantaisie, souvent non dénué d'un besoin de provocation...

Yves d'Anglefort (Ferradou), dessin n°170, 2014 (2).jpg

Yves d'Anglefort, dessin n°170 (tous les dessins de d'Anglefort ont un numéro d'ordre plutôt qu'un titre, même si le recto dessiné comporte des encarts bourrés de texte, et le verso très souvent des commentaires fort développés (voir -ci-dessous)), 31x42 cm, 2014, ph. et coll. Bruno Montpied.

Yves d'Anglefort, C'est un plan pour envahir l'île de Ré...(2).JPG

Yves d'Anglefort, verso du dessin n°170 : "C'est un plan pour envahir l'île de Ré..." ; le dessin au recto représente les armées de Napoléon s'apprêtant à attaquer l'Ile de Ré pour aller délivrer l'aimée du dessinateur...

 

     Le dessinateur dit ne pas mettre de titre, trouvant cela l'apanage des faiseurs et des prétentieux (opinion discutable, il me semble), mais il strie ses compositions, et les versos de ses œuvres, de commentaires, de remarques marginales, qui ressemblent à des titres, comme autant de rebondissements produits par associations d'idée. Je me suis laissé dire que la galerie Dettinger-Mayer avait l'intention de placer dans son expo certains textes des versos à côté des œuvres exposées, ce qui est en effet une bonne idée .

N° 356 Plan du dessin du destroyer... vers 2017.jpg

Yves  d'Anglefort, dessin n°356, "plan du dessin du destroyer qui combat les ennemis de toi...", 31x42cm, vers 2017 ; comme on le voit, ce ne sont pas seulement des cartes que concocte Yves d'Anglefort, mais aussi des véhicules, des gros animaux...

 

    Yves d'Anglefort se dit "artiste art brut". On sait que, personnellement, je trouve ce mot d'artiste confusionniste, lorsqu'on l'applique aux auteurs d'art brut. On ne retient, en disant cela, que l'aspect de plasticien de ces individus créatifs, en évitant de rappeler que pour correspondre complètement à ce terme d'artiste, il faut aussi un numéro d'INSEE par exemple, vendre soi-même ses œuvres, en faire profession, démarcher des galeries, être reconnu par la société sous cette raison sociale, et aussi s'auto évaluer ainsi (comme me le faisait remarquer récemment un connaisseur du problème, Marc Décimo). Tout ceci peut s'appliquer à Yves d'Anglefort, mais beaucoup moins à la majorité des créateurs dont les œuvres sont collectionnées à Lausanne ou à Villeneuve-d'Ascq. Peut-on, cela dit, continuer à classer notre dessinateur dans l'art brut? La question est plus délicate. L'homme n'est absolument pas dépourvu de culture, notamment artistique, quoique l'histoire paraisse être sa discipline préférée. On a affaire à un homme qui s'est forgé sa propre culture sans passer par les grandes écoles et les universités. Il semble que ce soit par la complexité de ses compositions, parfois passablement foutraques, tout emplies de coq-à-l'âne visuels et écrits, que l'on peut tout de même le ranger aux côtés d'autres bruts. Complexité qui a peut-être quelque chose à voir avec le caractère bipolaire de sa personnalité, avoué par l'intéressé lui-même.

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Demin, dessin sans titre (dialogue de deux monstres ?), stylo et crayons de couleur, 29,7x42 cm, fév. 2018, ph. B.M.

 

    En ce qui concerne le second dessinateur exposé à la galerie Dettinger à partir de samedi prochain, il s'agit d'une autre tisane... L'homme dessine depuis seulement quelques mois, après avoir d'abord tenté la sculpture comme on peut en voir des exemples sur son site internet (encore un qui maîtrise la chose). Ces statues, ainsi que des peintures de Marie Morel, avaient d'ailleurs causé quelque émoi durant le dernier festival d'art singulier à Aubagne, lorsque les édiles municipaux (de droite) avaient demandé leur retrait pour "pornographie", ce qui avait provoqué la fin du festival, ses organisateurs n'acceptant pas la moindre censure. Personnellement, indépendamment de cette question de censure - idiote et rétrograde, cela va sans dire –, j'avais trouvé les statues, quelque peu "expressionnistes", assez peu réussies (c'est le moins que je puisse dire). Alain Dettinger me mit alors, à la fin de l'année dernière, deux dessins du même Demin sous les yeux et je fus au contraire tout de suite conquis, en en acquérant immédiatement un.

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Demin, dessin sans titre (l'auteur pour le moment ne met aucun titre, ni rien qui permette d'identifier ses œuvres), 40x29,7cm, stylo et crayons de couleur sur papier vers 2017, ph. et coll. B.M.

 

      Certes, Demin est par ailleurs psychanalyste (il n'en fait pas mystère). On pourrait croire par voie de conséquence à une inspiration qui serait brochée sur les hallucinations de ses clients. Il paraît particulièrement pressé de faire connaître son œuvre: cela a pour effet de provoquer la méfiance chez plusieurs médiateurs des arts spontanés, se demandant s'ils n'auraient pas affaire à une sorte d'arriviste. L'intéressé répond qu'il doit cela à sa posture d'hyperactif. Il faut que ça pulse...! Il expose ainsi dans plusieurs endroits, galeries, librairie, biennales... Moi, je ne veux regarder que le résultat de ses recherches graphiques, ces monstres obsessionnellement dessinés, sans titre, sans qualifications, aux extrémités souvent bourgeonnant en phallus de toutes tailles, en zigzags coralliens, en guirlandes de crocs... Ils se dressent face au regardeur, les yeux quelque peu hagards, comme fous et hilares, brindezingues au plus haut point, un peu hindous, un peu asiatiques...

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Demin, sans titre (la cage-poisson, titre que je lui donne à part moi), 42x29,7 cm, fév. 2018, ph.B.M.

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Demin, autre dessin sans titre (la femme et l'escargot?), vers 2017, ph. Demin.

 

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¹ Sylvie Gallin-Lambert, Yves d'Anglefort. Un aperçu de son œuvre, Einblick in Sein Werk, auto-édition, bilingue français-allemand, sans lieu ni date (2017 en fait). Ce livre est un premier document précieux sur les dessins d'Yves ; une seule fausse note : une couverture à l'illustration fort mal choisie, qui n'invite pas à ouvrir le livre (voir ci-dessous). On se procurera le livre auprès de divers sites de vente par internet en tapant les mots-clés "Yves d'Anglefort".

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20/03/2018

Un "Musée pittoresque de sculpture": un inspiré encore inconnu au bataillon

   Récemment, un correspondant lecteur de ce blog, M. Julien Gonzalez, m'a signalé une image montrant un "musée pittoresque de sculpture", primesautièrement installé dans le jardin d'un pavillon situé, selon la légende de la carte postale où l'on pouvait le découvrir, à Triel-sur-Seine, en Seine-et-Oise (aujourd'hui les Yvelines).

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On notera l'inscription "Le Musée" sur le portail surmonté d'une tête sculptée, et, imprimée en bas à droite, la mention "L'Abeille Asnières" (la référence du cliché à une publication du début du siècle semble-t-il) ; les statuettes rassemblées par l'homme barbu que l'on voit dans le jardin regardant vers l'objectif, vraisemblablement l'auteur de ces sculptures "pittoresques", sont majoritairement massées près de la clôture, derrière le grillage, afin de permettre plus aisément la contemplation aux passants sans doute trop timides pour frapper à la porte de ce "musée" privé...

 

     Cette carte me rappelait quelque chose... Où avais-je déjà vu ce site? Ma mémoire d'obsédé des inspirés du bord des routes privilégie bien entendu ce genre de réminiscences... Et, donc, la lumière s'est brusquement faite! Bon sang, mais c'était bien sûr, comme aurait dit le commissaire Bourrel (le genre de référence qui, je l'avoue, date gravement celui qui la profère, mais baste...) : ce personnage coiffé d'un calot ressemblant vaguement à une chéchia, je l'avais déjà rencontré sur une autre carte, publiée comme tronquée, dans un livre sur les jardins... de l'art brut... Dans le livre de Marc Décimo, portant justement ces mots  en titre, réédité l'année dernière.

     Une autre carte en effet, au cliché pris plus frontalement, est insérée dans l'introduction des Jardins de l'Art Brut (éditions Les Presses du Réel), mais ne comporte aucune légende, comme si elle n'était d'ailleurs qu'un fragment de carte (le format ne paraît pas proche de celui d'une carte postale), à moins que ce ne soit plutôt une photo? Marc Décimo paraissait désolé de n'avoir pu localiser ce "musée". Je tenais bien entendu à dissiper cette désolation, grâce au recoupement avec l'autre carte dénichée par Julien Gonzalez. Ce dernier a mené une enquête auprès d'une association érudite de Triel qui lui a signalé que "la maison existerait toujours et se trouverait rue de l'Hautil, aux environs de l'embranchement du chemin des Gouillards à Triel."

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La carte postale publiée par Marc Décimo dans son livre Les Jardins de l'Art Brut ; davantage mis en scène, le "Musée" : avec l'homme au calot, apparemment assis, au milieu de ses œuvres que l'on discerne plus, étant donné que la saison a laissé les branches sans feuillage, et deux femmes présentes à l'arrière-plan, aux fenêtres du pavillon ; les statues semblent particulièrement modelées, manifestant une dextérité qui ne se limite pas à de la stylisation et cherche des formes se rapprochant du réalisme : ce sculpteur avait-il du métier, ou était-ce un autodidacte?

06/03/2018

La "Pinturitas" ou "las grandes pinturas"?

      Un très beau livre d'art et de photographie vient de paraître, édité par un photographe déjà connu pour l'intérêt marqué qu'il porte aux expressions populaires, telles qu'elles s'affirment essentiellement sur les murs : Hervé Couton. Il a exposé jadis de très belles photos de graffiti historiques  à l'Abbaye de Belleperche. Récemment, pour mon propre ouvrage, le Gazouillis des éléphants, il m'a généreusement prêté des photographies qu'il avait prises sur les fresques murales ultra naïves de la peintresse autodidacte de Montauban, Amelia Mondin (1910-1987). Celle-ci était d'origine italienne, et cela préfigurait peut-être la passion qui l'a porté à aller photographier régulièrement les peintures de Maria Angeles Fernandez Cuesta, dite "La Pinturitas" (La "petites peintures", surnom double, singulier/pluriel, comme on le voit, entérinant peut-être une rupture des conventions en matière d'expression, et exprimant aussi adéquatement le foisonnement et le carambolage des figures et des couleurs qui s'étalent, mêlées à toutes sortes d'inscriptions, sur les murs d'un restaurant abandonné, à la sortie de la petite ville d'Arguedas, qu'elle a investi depuis l'an 2000).

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La Pinturitas, Hervé Couton, éditions Alpas (les Amis de La Pinturitas d'Arguedas), février 2018.

 

        Hervé Couton revient ainsi depuis huit ans saisir ce qui a changé, été remplacé, métamorphosé par la dame aux petites peintures. Autant dire que son travail se nourrit d'un dialogue constant avec cette peintre sauvage (au sens de libre, sans contrainte d'aucune sorte, si ce n'est celles qui sont naturellement imposées par le physique, ou la résistance des matériaux). Cela explique pourquoi les bénéfices de cet ouvrage sont annoncés comme devant profiter à Maria Angeles Fernandez Cuesta. Le photographe se sent redevable à la peintresse.

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La "Pinturitas" devant ses œuvres, ph. Hervé Couton, 2014.

 

       La "Pinturitas" peint aussi des tableaux sur panneaux de bois, et s'exerce également au dessin aux crayons de couleur, mais elle me paraît y être moins à l'aise. Son terrain de prédilection reste l'art mural, sur des parois de l'espace public, bien que supports de bâtiment désaffecté, s'inscrivant ainsi dans ce que Laurent Danchin, dans l'un de ses derniers textes, publié aussi dans cet ouvrage, appelle – pourquoi pas? – du Street art brut (muralisme brut, art brut de rue pourraient aussi bien être employés...). Son goût de peindre, de combiner sans cesse ses figures, ses mots, ses couleurs, ses yeux aux cils très marqués, peut s'y exercer à plein. Il y a sûrement là un indice de la manière dont elle préfère s'exprimer, sur l'espace public en un point donné, au cœur de la vie quotidienne, même si – ou parce que – ce point est un espace du rejet, de l'oubli, un trou noir dans le paysage qu'elle investit avec frénésie et gourmandise de couleur. Les peintures ou les dessins qu'elle essaye de produire à côté ne semblent pas lui donner le même plaisir, sa confiance en son geste paraît s'y freiner.

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La "Pinturitas" dans ses œuvres, ph. Hervé Couton, 2010.

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Pour commander le livre (35€), peut-être peut-on donner l'adresse postale des Amis de la Pinturitas d'Arguedas, 23 rue Michelet, 82000 Montauban. Et leur adresse e-mail: <lesamisdelapinturitas@yahoo.fr> ; nul doute qu'on puisse le trouver incessamment à la librairie de la Halle Saint-Pierre, à Paris. Il est aussi à la Fabuloserie Paris, rue Jacob dans le 6e ardt, ainsi qu'à Toulouse (librairies Ombre Blanche, Privat et Terra Nueva) et à Montauban (la Femme renard). Le livre sera disponible par la suite à Bordeaux et Bayonne. On le trouve aussi à Lausanne dans la librairie de la Collection de l'Art Brut, où il voisine du reste avec mon Gazouillis des éléphants...

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J'ajoute que le livre est trilingue (français, anglais, espagnol), qu'il comprend 160 pages couleur et qu'il regroupe, outre un texte et de nombreuses photos d'Hervé Couton, une préface de Sarah Lombardi, directrice de la Collection de l'Art Brut de Lausanne, et un texte de Jo Farb Hernandez, la directrice de l'association Spaces aux USA, par ailleurs grande connaisseuse des environnements spontanés espagnols.

J'ai déjà eu sur ce blog l'occasion de parler, par deux fois, de cette quête d'Hervé Couton, voir ici.

 

26/02/2018

Le LaM se donne trois jours pour lancer une nouvelle cartographie numérique des environnements spontanés...

     Les 15, 16 et 17 mars prochains, au LaM de Villeneuve-d'Ascq (à côté de Lille), c'est l'ouverture de... la chasse? Non, de la cartographie numérisée (et multimédia? Et interactive?) des environnements spontanés que le LaM compte commencer de mettre en place durant ce printemps, en débutant par les Hauts de France. J'ai personnellement du mal à cerner les limites que compte mettre le LaM au corpus qu'il projette de cartographier. Y intégrera-t-on les environnements d'artistes marginaux ou plus professionnels, à côté des environnements créés par des "hommes du commun", non professionnels de l'art ?  J'en ai bien l'impression, mais attendons d'en savoir plus... Rien n'a été véritablement précisé jusqu'à présent dans ce domaine. 

Voici le programme :

Journées des 15-16 et 17 mars 2018 (1).JPG

"Nombre de places limité", "réservation conseillée", c'est destiné aux happy few tout de même... ; on reconnaît sur cette première page du programme, en haut, des photos de Francis David, et l'on notera que les dates de ses prises de vue ne sont pas indiquées (première critique!), or cela a son importance quand on sait à quel point ces créations de plein air sont évolutives et éphémères.

Journées des 15-16 et 17 mars 2018 (p.2).JPG

      Ces trois jours se décomposent en ateliers où l'on discutera entre passionnés du sujet de différentes thématiques, des archives, de la notion de ce que le LaM appelle les "habitants-paysagistes" (reprenant l'appellation - trop générale à mon goût - de l'architecte-paysagiste Bernard Lassus), de l'histoire de sa communication, des problèmes de conservation (ou non), de son aspect international, de l'aspect technique, sociologique de ces créateurs dont l'activité est classable entre travail et loisir... Une demi-journée, le 16 mars, proposera une première sélection de films sur la thématique, mise au point par l'association Hors-Champ (de Nice). Il se murmure que l'on pourrait y voir le film que j'ai co-écrit avec son réalisateur Remy Ricordeau en 2011, Bricoleurs de paradis. Le samedi matin sera consacré à des signatures d'ouvrages récemment parus sur la question, comme les rééditions augmentées des Bâtisseurs de l'imaginaire de Claude et Clovis Prévost et des Jardins de l'art brut de Marc Décimo. Je dédicacerai pour ma part mon récent inventaire des environnements populaires spontanés, premier du genre, Le Gazouillis des éléphants, durant cette même matinée du samedi.Le Gazouillis 3 couv à plat (2).jpg Et l'après-midi verra la projection d'autres films, certains canoniques comme les Demeures imaginaires d'Irène Jakab, Kurt Behrens et Gaston Ferdière (documentaire de 1977 où l'on aperçoit en particulier, si je me souviens bien la maison extraordinaire, véritable toile d'araignée en bois, de Karl Junker à Lemgo en Allemagne), d'autres plus classiques, comme Le Palais Idéal d'Ado Kyrou de 1958 (qui lui fut inspiré par la séquence sur le même Facteur Cheval dans Violons d'Ingres de Jacques Brunius, film de 1939).

     

17/02/2018

Disparition d'une peintre naïve-brute, Yvonne Robert (1922-2018)

     Je me fais volontiers provocateur avec ce qualificatif de "naïf" mais c'est que ce terme paraît adéquat, sans pour autant être pénalisant à mon humble avis, pour qualifier l'œuvre, riche et multiple, de cette paysanne vendéenne qui plongea dans la peinture, comme on se jette à l'eau pour apprendre à nager. Classée dans l'art brut depuis l'article que son frère, le collectionneur d'art précolombien Guy Joussemet, lui consacra dans le fascicule 14 de la Collection de l'Art Brut (1986), Yvonne Robert y gagna une certaine célébrité dans le monde des amateurs d'art d'autodidactes, sans que cela atteigne nécessairement un développement considérable, peut-être justement en raison de cet aspect résiduel "naïf" de sa peinture, mal vu des partisans orthodoxes de l'art brut, alors que ce n'est que l'autre face d'une même pièce (comme le sentait bien André Breton, à la différence de Jean Dubuffet)...

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Yvonne Robert, Bonjour Sidonie Tiens la vieille est encore là..., 2005, dimensions non renseignées, communiqué par J-L. Faravel ; Le plaisir du spectateur des peintures d'Yvonne Robert se renforce à la lecture de leurs titres qui sont plutôt des récits des chroniques villageoises (pas très éloignées de l'esprit de Chaissac ou de celui de Gérard Lattier), des commentaires, des dialogues, parfois acides... Ce qui donne une double lecture (au moins) de ces œuvres.

 

       Les spéculateurs et collectionneurs en quête de nouvelles viandes fraîches qu'ils espèrent trouver du côté de cet art brut dont on parle beaucoup, tentent de l'insérer de force dans leur connaissance cérébrale. On met au pinacle, chez certaine galerie parisienne, les faiseurs de diagrammes, les adeptes de numérologie lettriste spontanée, les "écrituristes" de tous poils, les gribouilleurs gâteux dont les productions sans la moindre émotion peuvent donner l'impression qu'on est toujours avec elles sur le terrain de la cérébralité adulée par les amateurs d'art contemporain. Avec Yvonne Robert, hélas, pour ces trafiquants d'ennui intellectualisé, il est difficile de retrouver le même genre d'escroquerie. C'est trop frais, trop touchant, trop authentique. On choisit alors de la regarder de haut, de la tenir en lisière, voire de l'ignorer. D'où le peu de développement de sa notoriété dont je parlais plus haut.

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Yvonne Robert, ce sanglier du bois Charto, de 2014, est-ce un peu la peintresse elle-même, cernée par les corolles carnivores de ses détracteurs? Photo et coll. Bruno Montpied.

 

      Guy Joussemet, qui fait partie de sa fratrie (au total sept enfants), a crûment dessiné le contexte familial misérable d'où est issue Yvonne Robert : "Elle est la sixième – et l'unique fille – d'une famille de sept enfants. Ses parents exploitaient une fermette de dix hectares [à Saint-Avaugourd-des-Landes dans le bocage vendéen], dont six en fermage. Querelles multiples, brouilles sans fin, agressions verbales constantes, ivresses prolongées du père, tentative de suicide de la mère, manque permanent d'argent, conditions de vie quasiment médiévales, voilà l'ambiance familiale." Je ne cite pas la suite des avanies que subira toute sa vie Yvonne Robert, dont une agression sexuelle, et des dépressions chroniques consécutives à des problèmes de santé à répétition¹. La peinture fut visiblement sa bouée de secours face au naufrage qui lui était promis. Elle commande en mai 1974, dans un magasin de Luçon, une boîte de couleurs pour aquarelle et du papier au nom d'une enfant de dix ans imaginaire (mais pas si imaginaire que cela, en définitive). Son frère Guy l'encourage vivement à continuer. Elle passe au bout de très peu de temps à la toile et à l'huile. Et elle ne s'arrête plus, créant par là même un double monde, plus accordé à ses espoirs et à son rêve d'une autre société.

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Yvonne Robert, La Garache ne sortait que le soir pour faire peur aux gens, 2001, coll. privée, Gironde, ph. B.M.

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Yvonne Robert, Les deux lotus, 2005, coll. privée, Loire-Atlantique ; exemple de peinture de pure composition non réaliste...

 

     Son frère balaie dans son article la connotation "naïve" de ses compositions, affirmant que cela fut vite dépassé par sa sœur, qui se serait après 1984 davantage dirigée  vers l'art "brut". Conscient du critère sociologique de la notion, il souligne dans cette même notice de 1986 qu'elle ne souhaitait pas se séparer de ses œuvres, n'en ayant laissé partir qu'une dizaine  du côté de la Collection de l'Art Brut à Lausanne. Et c'est vrai que les sujets peints ne sont pas toujours des paysages, des portraits, des saynètes rurales, mais aussi parfois débouchent sur une forme d'"abstraction" ou sur des compositions d'art informel, où des motifs ornementaux prennent l'essentiel de l'espace.

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Yvonne Robert, Bonjour Monsieur Vous n'avez pas l'honneur de me connaître Je suis Léo Crépeau et j'habite à La Roche sur Yon, 2007, ph. et coll. B.M.

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Yvonne Robert, Comme font les oiseaux Mélanie s'est cachée derrière son armoire pour mourir Victorien dit à Mélina Je suis sûr que ta mère a ses sous dans l'armoire sous ses chemises Dépêche-toi, les autres vont arriver, 2002, ph. et coll. B.M.

 

     Il reste cependant que jusqu'à ces dernières années, Yvonne Robert, aura alterné les deux types d'expression, n'abandonnant jamais les sujets narratifs, les paysages, les anecdotes régionales, etc. Et qu'apparemment aussi, elle avait bien changé son fusil d'épaule quant à la communication de son œuvre, que l'on pouvait acquérir à un prix raisonnable en divers endroits. Elle représente de ce point de vue un exemple de créateur appartenant à un second marché des arts spontanés, aux prix abordables, n'éloignant pas les œuvres des auteurs primesautiers des amateurs au standing fort modéré certes, mais peut-être plus proches au point de vue social des auteurs d'art naïvo-brut.

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¹ Rien n'est dit dans le témoignage de Guy Joussemet sur la possible bigoterie diffuse dans les milieux vendéens, mais cela a pu également jouer sa part dans cet enfer. 

09/02/2018

Une naïveté toute en rousseur : A. Dumas (?)

    "A. Dumas", une signature en rouge tracée en grosses lettres au bas de deux tableaux récemment dénichés aux Puces, le "A" correspondant peut-être à "Alice", d'après ce que me confia le marchand qui exhibait ces peintures sur le trottoir, car l'auteur étant, paraît-il, une femme... Les informations étaient chiches à son sujet, il s'agirait d'une peintresse inconnue, trouvée par un médecin qui aurait ramené quelques toiles à Nice, où le marchand vendant aux Puces les aurait à son tour choisies... Au moment de sa découverte par ce médecin, elle vivait dans une maison de repos à plusieurs dizaines de kilomètres de Paris. A quelle époque? Probablement pas plus loin que le dernier siècle... Comme on le voit, et comme à l'habitude avec nos amis les brocs', il est bien dur d'avoir une traçabilité bien cernée...

A. Dumas, sans titre (les voyages au moulin), sans date, 90x106 cm, vers alt (2).jpg

A. Dumas, sans titre (deux visiteurs d'un moulin dans les bois, celui qui s'en vient, celui qui s'en va ; celui qui s'en vient a le sourire, celui qui s'en va fait une grimace : le prix de la farine lui a-t-il vidé la bourse?), sans date, 90x106 cm, huile sur toile, photo et coll. Bruno Montpied.

 

       Ce paysage me plaît énormément. Il ne faut évidemment pas se contenter de le juger d'après votre écran, la photo ne rendant que malaisément de son charme physique. Il y a un effet de matière, aux teintes rousses, rouges, brunes, jaunes, teintes automnales comme perpétuelles qui est envoûtant. Et plus je vis à côté d'elle, plus l'envoûtement grandit. L'esprit se fait progressivement aspirer dans ce paysage sylvestre aux arbres étranges. Se dressent ici, parmi ces corolles piquetant harmonieusement la composition (procédé habile d'autodidacte pour remplir le tableau d'une manière foisonnante), des bouleaux apparemment, tenant par de simples traînées blanchâtres aux dessins incertains, aux limites de l'anthropomorphisation... Et ces deux hommes aux têtes disproportionnées, aussi grosses que les roues de leurs carrioles (qui sont pour leur part passablement minuscules), que leurs expressions paraissent opposer... comme ils retiennent et interrogent nos regards, sur ces deux routes qui dessinent un V, ou le sommet d'une fourche, V que l'on retrouve en écho dans l'écartement des ailes du moulin, ailes comme désolidarisées du toit de ce moulin par ailleurs...

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A. Dumas, sans titre, sans date, 81x100 cm (un jardin aperçu dans l'axe d'une charmille, avec cinq personnages - deux femmes et trois hommes - qui paraissent s'échanger des propos, ou des plantes (un homme tenant un panier semble-t-il), devant des parterres de fleurs visible sen arrière-plan ; photo et coll. B.M.

 

    Dans ce tableau aussi, on retrouve la même gamme chromatique tournant autour d'une prédilection de l'autrice pour les teintes jaunes, rouges, oranges et brunes d'une saison figée par la magie d'une préférence. Il y a à l'évidence chez notre artiste un goût marqué pour les fleurs, l'abondance des couleurs de la nature, le foisonnement de la fertilité, apparent à la fois dans le jardin aux fleurs rouges de l'arrière-plan, et dans les ramures surchargées de grappes fleuries qui encadrent harmonieusement ce ballet de rencontres entre des personnages venus pour une récolte, semble-t-il, si l'on considère les brouettes placées à la base de chaque arbre, le tablier de la deuxième femme qui paraît concernée par le panier que lui tend l'homme devant elle, ou cet autre homme qui se penche à gauche pour cueillir des fleurs... Il y a peut-être là un moment de pur bonheur, un souvenir d'autrefois tel que voulut le revivre peut-être, au fond de sa maison de retraite, cette Mme Dumas, inconnue des radars de l'histoire de l'art, y compris naïf¹, au soir de sa vie, nostalgique peut-être, et ayant trouvé le moyen de revenir dans le passé à volonté par la magie de sa peinture.

     C'est l'occasion de répéter une fois de plus le plaisir que l'on peut goûter au spectacle d'une œuvre dite "naïve" (figuration poétique... Réalisme intellectuel...), contrairement à ce qu'affirmait Dubuffet, dans le but d'imposer son Art Brut. On n'a pas forcément affaire à un artiste ne se résumant qu'à une recherche de réalisme à l'académisme plus moins raté. Il y a chez les meilleurs naïfs, qu'ils soient frustes ou raffinés, une délicatesse de vision qui restitue la sensibilité immédiate des auteurs, une sensibilité brochée sur une perception enchantée – du fait de dispositions particulières pour voir le côté poétique des choses,  des situations, des relations entre les gens, des paysages... Le résultat de leurs œuvres est d'autant plus fort que ces artistes, qui se sont faits eux-mêmes, ont choisi de perpétuer la représentation extérieure du monde en y mêlant l'écho de leur perception intérieure de ce même monde.

       M'est avis que dans un proche avenir, l'art naïf merveilleux (car je n'ai pas en tête l'art naïf commercial du genre cul-cul) pourrait bien faire retour auprès des amateurs d'art autodidacte, par lassitude devant les recherches  répétitives  d'un certain art brut par trop déconnecté de la figuration, ou par trop ésotériques.  

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¹ J'ai consulté ma documentation, demandé autour de moi, et nous n'avons pour l'instant rien trouvé sur cette "A. Dumas" (ou Alice Dumas, le prénom "Alice" ayant été suggéré par le marchand, ce qui reste toutefois très incertain...). Si des lecteurs reconnaissaient l'œuvre et la dame, qu'ils n'hésitent pas à se manifester...

Mise à jour : cependant, si l'on veut bien sauter quelques mois sur ce blog, et se reporter à une nouvelle note, celle du 26 juin 2019, on verra que le hasard nous a finalement permis d'identifier cette artiste...

06/02/2018

Ernst Kolb à la Collection de l'Art Brut à Lausanne

Affiche expo Kolb à la  CAB février 18.jpg

     S'ouvre le 9 février, à Lausanne, une importante rétrospective consacrée à une découverte récente des amateurs de l'Art Brut, Ernst Kolb (1927-1993), prévue pour durer jusqu'au 17 juin.  J'écris génériquement "les amateurs", car ce personnage était déjà connu en Allemagne. Les visiteurs de l'Outsider Art Fair, lorsqu'elle se tenait au début, à l'Hôtel le A, près de St-Philippe-du-Roule, pouvaient découvrir certains de ses dessins sur le stand de la galerie Isola de Patrick Lofredi, galerie basée à Francfort. L'art brut  allemand est, plus généralement, à découvrir. Nos voisins paraissent en effet tout aussi riches en matière d'art spontané que par chez nous. Mais, précédant les expositions de la galerie Isola, il semble que l'on doive la révélation de ce créateur à deux personnes essentiellement. Voici ce qu'en dit Anic Zanzi, la conservatrice de la Collection de l'Art Brut qui est la commissaire d'exposition :

     "Dans le domaine de l’Art Brut, ce sont souvent des proches ou des connaissances fortuites qui sont amenés à rencontrer, à reconnaître un créateur insolite, contribuant ainsi à la découverte et à la valorisation d’œuvres dont le destin aurait été plus qu’incertain. Pour Ernst Kolb, qui ne se considère pas comme un artiste et ne cherche pas à exposer ce qu’il appelle ses « gribouillages », deux hommes vont jouer un rôle fondamental. Le peintre et sculpteur Uli Lamp lui offre une place dans son atelier et met à sa disposition du matériel, alors que l’écrivain Rolf Bergmann devient son ami. Il sera également le défenseur de son travail et publiera deux ouvrages sur lui, dont une biographie détaillée." [C'est moi qui souligne.]

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Portrait d'Ernst Kolb, photo Collection de l'Art Brut.

       Remarquable visage que celui d'Ernst Kolb. Je lui trouve un aspect atypique, massif, prédisposant peut-être son auteur à un regard s'éloignant des images convenues, et des portraits à l'harmonie classique. De fait, ses dessins, exécutés sur des supports de fortune ("menus du jour, annonces d’expositions, programmes de concert", nous dit Anic Zanzi)  avec un outil des plus rudimentaires, un simple stylo Bic, généralement de couleur bleue, ce qui donne une signature graphique marquée à sa production de "gribouillages", apparaissent comme un catalogue de recherches, faites avant tout pour soi, inventoriant toutes les manières de démantibuler des figures... Avec une économie de moyens remarquable, l'auteur parvient à produire une panoplie d'images extrêmement attachantes et singulières qui marquent la mémoire.

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Ernst Kolb, dessin sans titre, 21x15 cm, photo et coll. Bruno Montpied.

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Ernst Kolb, dessin sans titre, 15x11 cm, coll. privée.

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Ernst Kolb, dessin Collection de l'Art Brut.

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Ernst Kolb, dessin Collection de l'Art Brut.

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Ernst Kolb, dessin Collection de l'Art Brut.

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Ernst Kolb, dessin Collection de l'Art Brut.

 

01/02/2018

Gazouillis à l'Ecume des pages, à St-Germain-des-prés (où il n'y a plus d'après?)

     Plus que quelques jours – une semaine exactement – pour pouvoir profiter d'une vitrine historique que nous avons installée dans la librairie L'Ecume des pages, à côté du Flore et des Deux Magots, en plein St-Germain-des-Prés, avec quelques objets et photos tirés de ma collection.

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Photos Bruno Montpied, livre Le Gazouillis des éléphants de Bruno Montpied, collection de Bruno Montpied (n'en jetez plus...Charité bien ordonnée commence par...), vitrine de L'Ecume des pages, janvier-février 2018.

 

     Accessoirement, ce fut l'occasion d'exposer en plein centre de l'intelligentsia parisianiste (qui se décompose petit à petit, cela dit, grignoté par les boutiques de fringues...), un peu d'art frais venu de nos campagnes: de gauche à droite sur la dernière photo ci-dessus, un roi, sculpté dans un rondin, de Paul Waguet, une peinture sur bois de Joseph Donadello, une photo d'une saynète de Jean Grard,, une photo, un portrait d'Hubert Bastouil (en arrière-plan), un panneau sculpté et peint sur bois de Bernard Jugie, une grenouille en ciment d'Emile Taugourdeau, une photo de racine sculptée dans un arbre creux par Pierre Sourisseau et une sculpture de tireur de langue (pied de nez à l'intelligentsia?) de François Llopis.

    Sinon, pour les retardataires, il reste quelques exemplaires du Gazouillis à vendre dans cette (excellente) librairie. De même, à quelques encablures de la librairie, au 52 de la rue Jacob, on trouve le Gazouillis à la galerie de la Fabuloserie. Et toujours à la librairie de la Halle Saint-Pierre rue Ronsard, à Montmartre. Entre autres...

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Un exemplaire du Gazouillis plaisamment installé (de manière éphémère) dans un appartement parisien en train d'être déménagé... Photo Jacques Burtin, janvier 2018.

31/01/2018

Une cascade qu'on n'attendait pas

Nathalie Arthaud et ses cascades, ph Darnish.JPG

"Nathalie se reconvertit..." dixit Darnish qui est l'auteur de cette photo, prise sans doute du côté de Dieppe; on peut espérer que la cascade promise, dans ce qui n'est ici qu'un humoreux télescopage sous forme de palimpseste involontaire, ne soit pas une simulation d'électroCUTION (voir le mot caviardé par le déchirage de l'affiche).

27/01/2018

Un mousquetaire à Montmartre

Le 5e mousquetaire (2).jpg

Un cinquième mousquetaire, à Montmartre cette fois, ph. Bruno Montpied, 2018 (cinquième, puisque, comme on sait, les Trois Mousquetaires de Dumas étaient quatre).

 

    Tout à coup, comme surgie du bitume du trottoir, apparaît une forme corpulente se déplaçant avec lenteur, et stoppant tous les cinq mètres. Me sautent surtout au visage les inscriptions sur le dos du personnage, autour d'une croix, grossièrement fleurdelysée, et pour cause, je vais peu à peu m'en convaincre: le monsieur s'est confectionnée une veste en référence à l'uniforme des mousquetaires sous Louis XIII, puis Louis XIV (etc... ; y a eu des mousquetaires, paraît-il, jusqu'en 1816)... Les inscriptions, plutôt peintes et non brodées, sont rouges et se rapportent aux mousquetaires sans ambiguïté : on lit aisément les noms d'Atos (sic), Portos (re-sic), Aramis et d'Artagnant (re-re-sic). Plus des dates (? : 1245, 1114, 1195, 1244), des noms de pays, de peuples, ou de religions: "Grek", "Serb" (écrit deux fois), "Juif", "Orthodox", "Israël", "France en Ange"...

Le 5e mousquetaire plus prés (2).jpg

Plus prés... ph. B.M., Montmartre, 2018.

 

     Je n'ai pas le courage de contourner l'homme volumineux qui avance par paliers, dans l'idée de lui adresser la parole.... Je saisis juste l'image de cette veste hors-les-normes, la volant au passage certes, et la mettant en ligne qui plus est, dorénavant, mettant très volontairement le pied dans le plat – comme dirait une langue de vipère intercalaire de ma connaissance – afin de souligner, des plus lourdement comme de juste, cet exemple supplémentaire de poésie vestimentaire "brute" et quotidienne. Que se passerait-il en effet, s'il nous passait à tous fantaisie de graver sur nos parures expressions diverses, images par nous admirées, icônes ultra personnelles en tous genres, plutôt que ces inscriptions publicitaires et ces marques qui font de nous des hommes et des femmes sandwichs au service des marchandises? Seuls les bruts se permettent ce genre d'audaces (on connaît en effet bien d'autres exemples dans ce domaine comme les costumes chamarrés et originaux que portait Vahé Poladian sur la Côte d'Azur).

     Un ami est retombé sur lui le lendemain du jour où je pris les photos. L'homme est serbe, d'une famille dont la lignée lui est source de grande fierté (les dates sur la cape se rapportent ainsi à des événements fondateurs de cette lignée), de confession juive au départ, mais converti par la suite en chrétien orthodoxe. "Atos" fait référence à la fois au mousquetaire popularisé par Dumas et au mont Athos qui est situé en Grèce. Cette veste est au fond un manifeste identitaire promené devant tout un chacun par ce monsieur.

07/01/2018

Benjamin Péret à la Halle Saint-Pierre, quelques événements pour un riche retour sous la lumière

      Du 8 au 28 janvier, la Halle Saint-Pierre accueille une évocation de Benjamin Péret dans sa "galerie" du rez-de-chaussée, centrée sur les voyages qu'il fit entre 1955  et 1956, fasciné par les arts des Indiens et l'art populaire du Brésil. En effet, les éditions du Sandre, au même moment où elles publiaient mon Gazouillis des Eléphants – qui traite aussi d'art populaire – a sorti en novembre 2017 un beau livre consacré à Benjamin Péret et intitulé Les arts primitifs et populaires du Brésil, photographies inédites, qui illustre une fois de plus le profond intérêt qu'éprouvait le poète surréaliste pour l'art primesautier où qu'il se manifeste dans le monde. Si la galerie de la Halle présente sept vitrines d'exposition de différents documents et objets relatifs à cette période de la quête pérétienne, le tout sous le titre "Du merveilleux, partout, de tous les temps, de tous les instants", il convient de signaler – outre le vernissage (en entrée libre, comme tout ce qui concerne ces événements) autour de Péret qui aura lieu le jeudi 11 janvier prochain de 18h à 21h – également une après-midi consacrée à la présentation du livre, ainsi qu'à celle du dernier numéro  (le n°6) des Cahiers Benjamin Péret dans l'auditorium de la Halle, au sous-sol, le dimanche suivant 14 janvier, à 15h. Cela se fera en présence de Leonor de Abreu et de Jérôme Duwa, co-responsables du livre des éditions du Sandre, ainsi que de Gérard Roche (président de l'Association des amis de BP), celui-là même qui vient de signer la magnifique et vivante édition de la correspondance André Breton-Benjamin Péret chez Gallimard (2017).

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Une correspondance fascinante, pleine de vie, qui restitue les deux poètes avec une spontanéité et une chair que l'on ne rencontre pas de la même manière dans leurs autres écrits (même si Péret écrivait comme il respirait) ; certainement un des meilleurs volumes de la correspondance jusqu'ici parue concernant Breton. A n'en pas douter, ce furent eux les piliers du château étoilé...

 

     Il faut dire que l'actualité éditoriale est richement consacrée au retour de Benjamin Péret dans nos esprits et dans notre mémoire en ce moment. Il ne faut pas oublier de mentionner en effet la très bonne biographie de Barthélémy Schwartz, Benjamin Péret, l'astre noir du surréalisme, parue en 2016 chez Libertalia¹, qui permettra à tous ceux qui apprécient cet enfant terrible de la poésie, de l'amour sublime et de la révolte, s'ils ne savent pas de qui il s'agit exactement, de faire un copieux tour du personnage, documenté de faits, d'analyses et d'anecdotes savoureuses comme celle qui campe Péret, sortant de chez André Masson, et qui, chaque fois qu'il passait devant la loge où les concierges laissaient voir leur repas en famille, lançait : "Alors? Elle est bonne la merde?", ou encore cette autre, racontée par Marcel Duhamel, où, déambulant en voiture avec Tanguy, Prévert et Duhamel, il tirait au revolver en l'air au long des routes, comme un fêtard mexicain...

Benjamin Péret lampiao et maria bonita.jpg

Photo de Benjamin Péret extraite du livre aux éditions du Sandre ; Lampião et Maria Bonita, céramique polychrome, Mestre Vitalino, Caruaru, État du Pernambouc, coll. Museu de Arte Popular, Recife.

 

    Benjamin Péret, comme le souligne pertinemment Schwartz dans sa biographie, était un des rares autodidactes du mouvement surréaliste, avec Yves Tanguy, par ailleurs d'origine bretonne comme lui (Péret était nantais). Cela est à mettre en liaison directe avec son goût jamais démenti pour les techniques automatiques surréalistes, lui servant à lâcher les rênes d'une inspiration qui ne mettait jamais longtemps à traîner dans la boue les autorités, le clergé, l'armée, les juges, tout ce qui s'opposait à l'exercice de la liberté et de l'amour. Et cela explique aussi, outre le fait qu'il était de par ses origines prolétaires anti élitiste et anti bourgeois, sa compréhension profonde pour les arts populaires, les mythes et légendes dont il prisait essentiellement l'esprit magique, le merveilleux sous toutes ses formes (voir par exemple cet article qu'il consacra dans Minotaure aux armures délirantes de la Renaissance, ou aux automates) et vers la dernière partie de sa vie, pour deux figures importantes de l'art singulier (aux limites de l'art brut), Robert Tatin et Gaston Chaissac.

Benjamin Péret l'astre noir du surréalisme.jpg

    En effet, si l'on connaît le texte qu'il consacra à Chaissac, daté de 1958, dans l'édition de luxe des Inspirés et leurs demeures de Gilles Ehrmann, L'homme du point du jour, tel qu'édité dans le livre d'Henri-Claude Cousseau sur l'œuvre graphique de Chaissac chez l'éditeur Jacques Damase en 1982, texte différent (on découvre en effet des paragraphes alternatifs d'une version  à l'autre...) de la version intitulée Sur Chaissac dans Benjamin Péret, Œuvres complètes Tome VI (Association des amis de Benjamin Péret/libraire José Corti, 1992), on connaît bien moins le texte étonnant qu'il écrivit pour présenter Robert Tatin en 1948 (il venait de rentrer du Mexique en France), découvert par hasard semble-t-il, dans une galerie rue du Petit-Musc à Paris. Ce texte – inédit dans ses Œuvres Complètes – avait été proposé à Jean Dubuffet pour le projet d'Almanach de l'Art brut que ce dernier décida finalement de ne pas publier, en raison probablement de son désaccord ultérieur avec Breton. Il vient d'être (enfin) publié (en 2017, là aussi), en reprint d'après les tapuscrits, par la Collection de l'Art Brut, l'Institut Suisse d'Etude de l'Art et 5 Continents. Il nous montre que Péret n'eut de cesse de veiller aux irruptions de poésie sauvage qu'elles proviennent des jungles amazonienne ou mexicaine, ou de zones marginales de la créativité populaire en France. Voici un passage qu'il écrit au sujet de Tatin, alors seulement céramiste et peintre, et n'ayant donc pas commencé son environnement ébouriffant et syncrétique de la Frénouse à Cossé-le-Vivien en Mayenne (il recroisera la route des surréalistes au début des années 1960, ce que Péret n'aura  pas su puisqu'il décédera en 1959) : "Sa peinture a en effet  la force primitive de tous les arts archaïques (...) Robert Tatin revient donc aux origines mêmes de l'art, au point d'intersection qui contient en puissance l'infini des possibilités."  (L'Almanach de l'Art Brut, p. 473). Dans ce même Almanach, on trouve un autre texte sur les peintures populaires des cafés mexicains où l'on buvait de la pulque (alcool d'agave), Enseignes de pulquerias. Il me semble qu'il a été édité dans ses Œuvres complètes, dans le tome VII (à vérifier). A propos de ces Œuvres complètes (sept jusqu'à présent), on notera aussi un texte qu'il consacra à l'architecture délirante de Gaudi à Barcelone.

     Péret aurait vécu plus longtemps, nul doute qu'il aurait fait un tour plus appuyé du côté de tous les inclassables de l'art et autres poètes plastiques de la spontanéité apparus après les années 1960, du côté de l'art brut et dans ses marges. De l'art brut, je n'ai relevé jusqu'à présent qu'une  mention par Péret. Elle figure dans son texte contre l'art abstrait, La soupe déshydratée, paru dans l'almanach surréaliste du demi siècle (réédité par Plasma en 1978). Et il est dit quelque part (un texte d'exégète dans la récente édition de l'Almanach de l'art brut ? J'avoue avoir la flemme d'aller retrouver la source...) qu'il accompagna Breton et Dubuffet aux Puces lorsqu'il s'agit d'aller acquérir des masques en coquillage de Pascal-Désir Maisonneuve vers 1948, à l'époque où tout allait encore bien entre le pape de l'art brut naissant et le chef de file du mouvement surréaliste...

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¹ On rappellera aussi le film de Remy Ricordeau, déjà signalé sur ce blog, Je ne mange pas de ce pain-là, Benjamin Péret poète c'est-à-dire révolutionnaire, sorti en DVD, production Seven Doc, sorti en 2015. La première partie de son titre est repris du titre d'un des recueils de Péret, tandis que la deuxième récupère un autre titre, celui  d'une émission de radio de Guy Prévan de 1999, elle-même, comme il est précisé dans les commentaires ci-après par R.R.., reprenant un fragment du Déshonneur des poètes, ce livre de Péret contre la poésie de circonstance qui fit scandale chez les Aragonéluards en 1945, puisqu' y étaient visés les poètes stalino-nationalistes qui à la Libération confisquaient la vie culturelle à Paris.

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Association des amis de Benjamin Péret 
50, rue de la Charité
60009 Lyon

04/01/2018

Laissez libre le graffitiste cinéphile de Douarnenez! Un "préjudice"? Où ça, un "préjudice"?

     Ouest-France a publié le 2 janvier une nouvelle qui m'a passablement consterné. On a interpellé – fut-ce à la suite d'une plainte de la municipalité? On n'ose l'imaginer – et apparemment, si l'on en croit un autre article publié dans le Télégramme de Brest, sur la foi du "descriptif donné par un témoin", un homme de 44 ans à Tréboul (ville jouxtant Douarnenez), convaincu d'être celui que j'avais surnommé dans mes notes du 8 août 2017 et du 21 août suivant  "le graffitiste cinéphile de Douarnenez". Et Régis Gayraud et moi-même sommes cités par le même Ouest-France comme ayant "cosigné" une note sur ce graffitiste insolite.

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Capture d'un extrait de l'article d'Ouest-France du 2 janvier 2018 tel qu'on peut le lire sur le Net.

Capture article Télégramme.JPG

Capture de l'article paru dans le Télégramme de Brest du 2 janvier 2018, tel qu'on peut le trouver sur le Net.

 

    Que penser d'une telle garde à vue pour ce qui apparaît (un préjudice? Vraiment?), comme beaucoup de bruit pour rien...? Certes, on nous dit que ce graffiteur faisait "beaucoup parler de lui dans la ville" pour les graffiti (et non pas des tags) qu'il apposait "depuis des années". Mais, cet homme, probablement un pauvre diable (notons les mots attribués par l'article d'Ouest-France aux gendarmes : "un tagueur [encore ce terme inadéquat] systématique, sans doute compulsif, mais sans intention de nuire"), gênait-il, causait-il un "si grand préjudice" – chiffré à la somme mirobolante de 85 000 € tout de même – depuis toutes ces années où l'on passait à Douarnenez à côté de ses inscriptions, sans les voir réellement (toutes des titres de films ou de séries télévisées) ? Dans ma première note du blog, j'avais indiqué du reste que je ne les aurais pas vus tout de suite ces graffitis, si mon camarade Régis n'avait pas insisté (il s'intéresse de fort près aux inscriptions dans les villes, faut dire). Je suis bien sûr que plein de passants n'y accordaient aucune importance, exactement comme moi au début. Apposées sur du mobilier urbain qu'on ne voit littéralement pas tant il est banal, ces inscriptions en outre n'empiétaient jamais sur les textes officiels, les mots de la signalétique, ne les occultant pas, ne causant donc aucune nuisance. Le mobilier urbain en question, comme la bouche d'incendie que je reproduis ci-contre (photo Bruno Montpied, 2016)Le légionnaire, les associés (2).jpg, n'était pas plus dégradée par ces graffitis que par la crasse ou les taches d'usure qui le recouvrent sempiternellement. De plus, comme me l'a fait remarquer mon ami Régis, beaucoup de ces graffitis étaient en voie d'effacement par usure... Dès lors, que la municipalité puisse voir un préjudice dans ces graffitis est une pure plaisanterie... Autant demander au climat de rembourser les 85 000 €...

      A moins qu'un vilain calcul ne se soit glissé derrière la tête d'un élu, calcul qui consisterait à se faire de l'argent sur le dos d'un – j'y insiste – pauvre bougre, de l'aveu de la gendarmerie "compulsif, et sans intention de nuire"... Ce serait véritablement odieux, s'il en était ainsi. Et qu'on ne vienne pas dire non plus que ce monsieur aurait besoin peut-être d'être soigné, qu'un petit séjour chez les psychiatres pourrait s'imposer. Car son entreprise systématique, comme Régis, moi et plusieurs commentatrices et commentateurs, l'avons considéré, certes sous un angle hypothétique (quoique étayé d'analyses), relève à mes yeux de la poésie urbaine (voire de l'art brut de l'inscription), surtout s'il s'avère que les titres de films apposés en maints endroits de la ville, avec des numéros et des flèches, pourraient avoir un rapport avec l'histoire de ces lieux. Comme si notre graffitiste cinéphile avait voulu dresser un portrait pluriel des habitants de Douarnenez. Cela serait proprement génial, comme nous l'avons dit. Et mériterait d'être protégé dès lors, comme un patrimoine quasi immatériel qui ferait à terme la gloire de Douarnenez (et non pas une tache sur la réputation de la ville).

     Non, décidément, plus j'y pense, plus je me dis qu'il faut flanquer la paix à notre "compulsif", abandonner les poursuites et surtout les amendes (quelle bonne action ce serait, messieurs les édiles) , et revenir à l'élucidation du mystère de cette "geste", mystère qui, n'en déplaise aux journalistes, n'est pas "tombé" au moment où les gendarmes ont interpellé notre graffitiste cinéphile... A Rouen, où les Rouennais possèdent eux aussi un graffitiste compulsif de même acabit, ils ont su laisser "pisser le mérinos", comme dit la sagesse populaire. Ne me dites pas que les Douarnenistes ne peuvent en faire autant...

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Graffitis sur une armoire électrique près de la grande Poste de Rouen, tracés par Alain R., ph. Bruno Montpied, 2010.

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Information subséquente (1) du 4 janvier

Il semblerait, si l'on doit suivre l'information transmise sur Ouest-France Facebook il y a environ huit heures, que la mairie de Douarnenez renoncerait à poursuivre le graffitiste cinéphile, ce qui est tout à son honneur. Depuis quelques jours les témoignages affluaient sur les réseaux sociaux pour manifester de la colère devant l'interpellation du graffitiste, et de la honte  qu'on puisse envisager de lui demander raison d'un préjudice financier concernant l'imaginaire dégradation d'un mobilier urbain jugé par certains laid et anti-poétique. L'individu qui a dénoncé le graffitiste à la gendarmerie était particulièrement vilipendé pour sa délation rappelant de mauvais souvenirs d'un autre temps.

Information subséquente (2) du 9 janvier

Comme signalée ci-dessous en commentaire (par "Gueveur"), une autre plainte aurait été déposée, cette fois par Douarnenez communauté... Le même chiffre du "préjudice" revient sur la table, 85 000€, toujours aussi aberrant, étant donné l'imaginaire atteinte aux biens publics (des poubelles, des panneaux de signalisation,  des rambardes, des piquets, des armoires électriques dont tout le monde se contrefiche). 

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relevé sur Facebook d'Ouest-France ; merci du signalement à Régis Gayraud.

02/01/2018

Les éléphants viennent gazouiller sur Radio-Libertaire jeudi 4 janvier prochain

    On est toujours dans la présentation du Gazouillis des éléphants, mon inventaire des environnements populaires spontanés de France métropolitaine, paru au Sandre en novembre dernier.Le Gazouillis 7.jpg Je suis invité à converser sur le sujet dans le cadre de l'émission "Bibliomanie" par Valère-Marie Marchand, sur Radio-Libertaire, ce jeudi qui vient, à 15h (jusqu'à 16h30). A noter que l'animatrice de l'émission est elle-même écrivain et dessinatrice, et qu'elle est l'auteur, entre autres, d'un livre sur le Facteur Cheval aux éditions du Sextant (il y a une dizaine d'années), une biographie imaginaire du Facteur selon ce qu'elle m'a confié (je n'ai pas encore eu l'occasion de lire l'ouvrage).

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27/12/2017

Postérité des environnements (11): Le jardin de Gabriel est en restauration

     Je l'avais signalé naguère, l'ex-région Poitou-Charentes, désormais englobée dans la région Nouvelle Aquitaine, propriétaire depuis trois ans du site, parlait d'engager incessamment sous peu des travaux pour restaurer les statues fort abîmées de Gabriel Albert au lieu-dit Chez Audebert, à Nantillé (Charente-Maritime). Mon persévérant correspondant dans le pays, Patrick Métais, m'adresse à nouveau un article relevé dans Sud-Ouest de ce mois-ci, qui annonce le début des travaux (promesse tenue, donc, mais qui a mis cinq ans à se réaliser). Le journal a réservé trois pages à cette annonce.

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     En titre de couverture, on nous parle de 373 statues, ce qui doit correspondre à ce qui reste sur un total qui tournait autour des 420 à l'origine. Cela suppose qu'une petite cinquantaine a disparu, pour la plupart volées, et donc que des statues de Gabriel Albert doivent être planquées quelque part. Un très bon et très beau livre a fait le point sur ce site en dressant l'inventaire des œuvres de M. Albert. Il sera difficile de revoir les statues volées, car si elles étaient revendues, on pourrait assez aisément les reconnaître. On se demande les mobiles des voleurs... Peut-être croyaient-ils se faire des bénéfices en les revendant comme sculptures populaires anonymes? Ils feraient mieux de les rendre, aussi anonymement qu'ils les ont volées...

 

    Une autre source, cette fois sur internet peut être aussi consultée, le site de l'Inventaire du patrimoine de Nouvelle-Aquitaine qui donne beaucoup de précisions sur la nature et les techniques de restauration engagées (et présente également une avalanche de photos de tous ordres qui ont été collectées au fil du temps). Certaines sculptures, trop fragilisées, vont être soignées loin du site, et on nous promet qu'elles reviendront ensuite au bercail, c'est-à-dire en plein air dans le jardin.

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Statue représentant Jacques Brel, emballée avant déplacement pour restauration plus commode, ph. Inventaire du patrimoine Nouvelle-Aquitaine.

 

      Il est acquis en effet que l'on tient à garder les statues à l'air libre, ce qui, selon moi, pose problème. Parce que la station prolongée de ces œuvres, exposées en plein air certes par leur auteur, pour son plaisir, nécessitera de nouveau dans quelques années les mêmes frais pour les restaurer (aujourd'hui le chiffre de 250 000 € environ, payé par la région, est avancé...). Gabriel Albert n'avait pas conscience des dégradations qu'allaient endurer ses sculptures. Il me l'avait dit lors de la visite que je lui avais faite en 1988, il pensait les avoir bien consolidées, moitié sable, moitié ciment, disait-il, teintées dans la masse... Mais avait-il bien envisagé toutes les vicissitudes qui peuvent affecter un parc de sculptures à l'air libre (tempête, chocs thermiques, vols...)? Ses œuvres expriment un talent naïf de belle venue (plus que brut, terme trop à la mode, que l'on sert  trop facilement dans les journaux où l'on pense que les lecteurs sont trop demeurés pour faire des distingos), et il serait justifié de les présenter sous une couverture qui les mette à l'abri des intempéries et autres vandalismes naturels ou humains pour plus longtemps. Sous un dôme dont il faudrait inventer l'élégance, mais dont on pourrait difficilement cacher l'incongruité au milieu de cette campagne charentaise, ou bien plutôt transféré dans un musée d'un nouveau genre? Musée qui se spécialiserait dans la conservation des environnements populaires en péril...? On peut rêver... Et pourtant, cela me paraît réalisable, tout autant et bien plus envisageable que tant d'autres musées bien plus vains... 

15/12/2017

Présentation prochaine du "Gazouillis des éléphants" à Bègles (Gironde)

      Je poursuis ma tournée de présentation, juste avant une pause pour cause de fêtes à venir... Je vais donc à Bègles, au Musée de la Création Franche  pour une présentation, accompagnée de photos tirées de mon livre, le mercredi 20 décembre prochain à 19h. L'animation en question, en entrée libre, se déroulera dans les locaux de la bibliothèque qui est voisine du musée. A l'issue de la présentation et du débat qui, j'espère, s'ensuivra, je dédicacerai également mon livre aux lecteurs intéressés...

Rencontre-dédicace avec Bruno Montpied

Bruno Montpied sera l'invité du Musée de la Création Franche mercredi 20 décembre à 19h. Il présentera et débattra autour de son ouvrage Le gazouillis des éléphants, paru aux éditions du Sandre. Son ouvrage est une « sorte d'inventaire général » regroupant plus de trois cents jardins oniriques, fantasmagoriques et inédits à travers la France.

La rencontre sera suivie d'une dédicace.

Bibliothèque municipale de Bègles

58, avenue du Maréchal de Lattre de Tassigny 33130 BEGLES

 

Le portrait de mézigue (photographe José Guirao), choisi ci-dessus par le musée de la Création Franche pour illustrer la rencontre, je l'espère, ne fera pas trop peur aux éventuels amateurs des inspirés du bord des routes, car, pas d'inquiétude, en dépit de cet air quelque peu grincheux (je préfère dire : consterné, accablé...), je ne mords tout de même pas...

12/12/2017

Zig-zag, naissance des "Cahiers de la Passerelle"

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     Belle surprise que les éditions FP et CF (= Editions Frédéric Pierre et Camille Françoise) viennent de faire à l'atelier la Passerelle, basé à Cherbourg, en publiant ce premier "cahier de la Passerelle". Il s'agit d'un grand format (34,5x25 cm) au design sobre, joyeusement coloré, présentant en très grand, et magnifiquement imprimées, plusieurs œuvres choisies parmi les très nombreuses produites dans cet atelier proposé à plusieurs adultes déficients mentaux.

 

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Une double page de Zig-zag consacrée à André Jeanne, les Fusées, février 2005.

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Une autre page, simple cette fois, mais toujours consacrée à André Jeanne, L'église, mai 2003 ; j'apprécie particulièrement cet auteur.

 

    Hormis un texte court présentant l'atelier animé par Romuald Reutimann, on ne s'embarrasse pas dans ce Zig-zag  de textes autres (par exemple des descriptions des peintures, des analyses, le processus qui a mené les auteurs à leurs images finales, etc.). Il faudrait pourtant bien qu'un jour on analyse ce fait qu'il y a une "patte" de la Passerelle, une sorte de signature graphique, qui permet d'identifier les œuvres hors de leur lieu de production, comme il y a, par exemple, une ligne graphique "Gugging" (atelier pour psychotiques en Autriche). Et ce, en dépit de la politique de l'animateur de l'atelier, avec qui j'ai pu souvent en parler, Romuald Reutimann, qui fait tout pour éviter d'influencer et de formater les pratiquants de son atelier. Il cherche en effet  à laisser se développer au maximum la liberté de chacun dans les formes et les récits représentés.

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Séance d'atelier, ph. La Passerelle ; on note que les participants créent tous ensemble dans la même pièce, certes probablement chacun dans sa bulle, mais donnant sûrement de temps à autre quelques coups d'œil à leurs voisins?

 

     Rappelons que j'ai déjà parlé de cet atelier par le passé. Il existe depuis 25 ans. Les œuvres sont à vendre (généralement des formats de 50x70 cm sur papier, vendus 200€, port compris). N'hésitez pas à aller faire un tour sur leur blog. Le cahier Zig-zag, on peut se le procurer en s'adressant à l'éditeur (apparemment spécialisé dans les ouvrages graphiques): www.editionsfpcf.com.

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Une œuvre remarquable de Kevin Raffin, exposée dans le cadre de la sortie du Cahier de la Passerelle, en novembre dernier,à la galerie P38 de Mathieu Morin, située dans la rue Doudeauville (18e arrondissement de Paris) ; ça me rappelle quelque chose, le support utilisé, un emballage déplié et mis à plat, un sacré dépliage du reste... Pierre Albasser?

  

21/11/2017

Les merveilleux nuages...

    "« Tout le monde était sous le choc », s'est exclamé James Farmer, un habitant d'Okanogan, interrogé par le magazine Vice News", voici la déclaration qu'on peut lire ces jours-ci sur divers sites web d'information. Le magazine de news, s'il s'appelle "Vice", a tout pour bien apprécier le dit "choc", ça devrait leur rappeler d'autres expériences...

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Un pénis dessiné récemment par un pilote de l'armée de l'air américaine grâce à ses traînées de condensation ; une manière de plaisanter comme une autre, mais la hiérarchie ne l'entend pas de cette oreille (si je puis dire)... Tous les puritains de service ont bien sûr hurlé au loup... Et aux States, ça ne traîne pas, surtout en cas de condensations ; pourtant la dissipation a dû être curieuse à regarder, l'érection et la dissolution consécutive ayant été sans doute aussi radicales l'une que l'autre.

18/11/2017

Gaston Teuscher, deux petites oeuvres d'art brut classique à vendre

     Je remets le couvert avec la boutique du Poignard. Puisque j'ai des petits camarades qui veulent déballer le contenu de leurs malles aux trésors bruts... Voici donc deux petits dessins sur taches diverses du Suisse Gaston Teuscher, bien connu des lecteurs des fascicules de l'Art Brut (voir le n° 10 de 1977 qui contenait une notice sur Teuscher écrite par Michel Thévoz). Comme précédemment, si ces œuvres vous intéressent pour les acheter (le prix est légèrement en dessous de la cote pratiquée), veuillez me contacter en privé (voir dans la colonne de droite "Me contacter").

 

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Gaston Teuscher, sans titre, encre sur papier fin, 11 x 16,5 cm.

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Gaston Teuscher, sans titre, encre, crayon de couleur et collage sur papier (peut-être de paquet de cigarettes ; le verso est doré), 19 x 8 cm.

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Verso du dessin précédent, papier doré.

12/11/2017

"Le Gazouillis des éléphants", Actualités...

     J'ai récemment annoncé des présentations effectuées par votre serviteur, suite à la parution de mon récent inventaire des environnements spontanés, Le Gazouillis des éléphants. Je vais les rappeler ci-après. Mais voici que s'en rajoute une, plus rapprochée dans le temps. Je serai en effet présent pour une dédicace (plus qu'une présentation) sur le stand des éditions du Sandre au salon L'Autre Livre, à l'Espace des Blancs Manteaux (Paris 4e ardt), le dimanche 19 novembre, de 16 à 18h.

Et donc, petit rappel, n'oublions pas la présentation assortie de quelques photos, accompagnée d'une interview de mézigue par Régis Gayraud, et d'un débat avec les personnes intéressées, qui suivra à la librairie Atout-livre dans le XIIe arrondissement, tout près de la place Daumesnil (au 203 bis avenue Daumesnil, exactement), le vendredi 24 novembre à 19h30.

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Vitrine actuelle (durant tout le mois de novembre) de la librairie Atout-livre, consacrée au Gazouillis, avec quelques objets venus de divers sites d'inspirés du bord des routes, ph. Bruno Montpied, 2017.

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Exposition de photos de B.Montpied chez Atout-Livre (là aussi durant tout le mois de novembre 2017).

 

Puis, dans l'auditorium de la Halle Saint-Pierre, le samedi 9 décembre à 15h, idem, mais cette fois en solo et avec une présentation plus étoffée en photos, que je classerai dans l'ordre chronologique des dates de création des sites inventoriés dans mon livre.

Je poursuivrai à Bègles, au musée de la Création franche, le mercredi 20 décembre à 19h30, là aussi pour une présentation-dédicace du livre, en partenariat avec la librairie bordelaise La Machine à lire.

02/11/2017

"Le Gazouillis des éléphants", premier inventaire des environnements populaires spontanés en France, par Bruno Montpied, paraît aujourd'hui

      Trente-cinq ans que je le méditais cet inventaire... Longtemps, je me suis dit que je n'y arriverais jamais. Et puis un soir... A la Maison de Victor Hugo, j'ai fait une rencontre, j'ai fait connaissance avec le responsable des éditions du Sandre, Guillaume Zorgbibe, qui accompagnait un vieux camarade à moi, Joël Gayraud. Guillaume éditait alors la revue de Marco Martella, Jardins, qui cessa malheureusement après six numéros. Martella m'avait invité à publier un article pour son n°2. Par la suite j'en fis un autre dans le n°5. Bref, les Editions  du Sandre, c'était donc déjà mon éditeur... Je le signalai en souriant à l'ami Guillaume. Il me semble qu'il m'a regardé avec curiosité, mais peut-être mon souvenir enjolive, mythifie ce qui s'est réellement passé ce soir-là. Ce fut le début de notre collaboration plus étroite autour d'un projet qui m'était cher depuis longtemps, faire l'inventaire des environnements spontanés français...

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Après Eloge des jardins anarchiques en 2011...

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Andrée Acézat, oublier le passé, en 2015...

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Marcel Vinsard, l'homme aux mille modèles, en 2016...

 

Voici donc :

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Le Gazouillis des éléphants, tentative d'inventaire général des environnements spontanés et chimériques créés en France par des autodidactes populaires, bruts, naïfs, etc., éditions du Sandre, novembre 2017.

 

     Ce projet d'inventaire des environnements populaires spontanés français (= "inspirés des bords de  routes", "habitants-paysagistes", "bâtisseurs de l'imaginaire"...) me trottait dans la tête depuis des décennies. Chaque fois que je commençais à accélérer dans l'idée de le finaliser en m'y mettant sérieusement, un livre sortait sur la question, parcellaire, toujours insuffisant à mon avis (par exemple le Bonjour aux promeneurs d'Olivier Thiébaut chez Alternatives en 1996), ou mixé de façon peu judicieuse (mais commerciale!) avec des sujets insolites plats  (par exemple Le Guide de la France insolite de Claude Arz chez Hachette en 1990, où le sujet était mêlé à l'évocation de lieux hantés, de trésors cachés, de musées de l'épicerie, de la sorcellerie de bazar...).

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Le Gazouillis présent à l'étalage du stand de la Halle St-Pierre à la dernière Outsider Art Fair, du 19 au 22 octobre dernier, où il fit une apparition temporaire en avant-première... pour une dédicace.

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Le Gazouillis ouvert sur une notice consacrée à Denise Chalvet en Lozère. Ph. B.M.

 

     En rassemblant tous les sites recensés dans les différents ouvrages d'un certain volume traitant de la question, il me semblait toujours qu'on ne dépassait pas la centaine de créateurs environ, tout compris, dispersés qui plus est sur plusieurs ouvrages distincts publiés à des années de distance. En outre, les découvertes se renouvelaient fort lentement (je ne veux pas jeter la pierre à Claude et Clovis Prévost, mais au fil des années, ils ne nous ont parlé que des mêmes 15 créateurs, dont certains, comme Chomo, Tatin ou Garcet étaient plutôt des artistes singuliers et marginaux que des créateurs totalement hors système des Beaux-arts). Dans Eloge des Jardins anarchiques, moi-même, je n'évoquais qu'une cinquantaine de sites (dont plusieurs avec une seule photo).

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Couverture de Jardins n°5, 2014 ; avec un texte de Bruno Montpied sur la Mare au Poivre d'Alexis Le Breton (Morbihan)

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Alexis Le Breton, dans son arboretum de La Mare au Poivre, Locqueltas, ph. Bruno Montpied, 2010.

 

       Ainsi, si l'on voulait se faire une idée de l'ensemble des sites qui avaient existé, existaient encore, ou étaient en train d'apparaître, l'information était éclatée, parfois dans des publications devenues très difficiles de se procurer, uniquement consultables pour beaucoup en bibliothèque, ou bien se trouvait sur des cartes postales anciennes rarement rassemblées en un livre unique (la collection de cartes postales sur les Inspirés de Jean-Michel Chesné, si elle fut dévoilée dans la défunte revue Gazogène de Jean-François Maurice, ne paraît l'avoir été que de façon fragmentaire et, là aussi, éclatée sur les différents numéros ; de plus ce rassemblement de documents anciens, séparé d'un rassemblement plus général qui aurait montré la continuité des sites présents sur les cartes postales, donnait une impression tronquée du phénomène). Ces cartes postales anciennes (en l'occurrence, venues de ma propre collection), il me semblait nécessaire – c'est une autre caractéristique importante de mon inventaire - de les associer dans mon livre à une iconographie en couleur illustrant les mêmes sites conservés jusqu'à l'époque présente, ainsi, bien sûr, que des sites nettement plus récents. D'une manière  immédiate, devant ce noir et blanc confronté à la couleur, le lecteur comprend que les environnements existent depuis bien avant le Palais Idéal du Facteur Cheval (commencé en 1879) et se poursuivent aujourd'hui...

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Bas-relief de Louis Licois, daté de 1843, toujours présent sur la façade d'une maison à Baugé (Maine-et-Loire), Photo B.M., extraite du Gazouillis, 2009.

 

       J'ai longtemps déploré dans mes débuts de recherche de ne pas trouver une ressource qui me permettrait d'avoir la liste complète des lieux existants ! C'est une question qui m'a souvent été posée au cours des débats que j'ai pu faire à la suite de la sortie d'Eloge des jardins anarchiques : comment faites-vous pour trouver ces sites? Pour aller voir ces sites étonnants, c'est un truisme,  il faut d'abord apprendre qu'ils existent, et trouver l'endroit où on les évoque. Ce sont des lieux privés, où il y a une exhibition certes, mais qui restent des lieux privés, des habitats  supposant une approche discrète et respectueuse des habitants. Dans les années 1980, années où j'ai commencé ma quête, il n'y avait bien sûr pas d'annuaire des inspirés! Ce dernier n'est d'ailleurs pas souhaitable. J'ai patiemment cherché, sans me presser (cette lenteur m'a toujours paru essentielle ; aujourd'hui les nouveaux venus dans ce genre de recherche, habitués à tout trouver très vite sur internet, sont trop pressés...), accumulant des fiches, des références... Une bibliographie condensée et fournie, commencée dans Eloge des JA, et légèrement augmentée dans mon nouveau livre, fait office à mes yeux de premier signe de pistes... Il n'est pas aventuré ou has been de considérer cette recherche des Inspirés hors système des Beaux-Arts comme une longue dérive au sein d'un labyrinthe... Un sens préservé du merveilleux est à ce prix.

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Entrée du Paradis, chez son auteur, Léopold Truc, à Cabrières d'Avignon (Vaucluse), ph. B.M. (extraite du Gazouillis), 1989.

 

      Le Gazouillis n'est donc pas un annuaire. Je n'y ai donné des adresses que lorsque j'étais sûr que cela correspondait au désir des créateurs inventoriés, ou des collections qui préservent des fragments d'environnements (comme la Fabuloserie dans l'Yonne, la collection de l'Art Brut à Lausanne, le LaM de Villeneuve d'Ascq à côté de Lille, ou le Jardin de la Luna Rossa à Caen). C'est plutôt une immense stimulation à découvrir la création primesautière française se déployant hors les cadres des beaux-arts traditionnels, et aussi, point remarquable, hors du marché de l'art (ce qui explique qu'on n'en parle pas tant que cela!).

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Les Ruines de la Vacherie, exemple de carte postale ancienne (début de XXe siècle), montrant un site réalisé par un récupérateur de gravats nommé Auguste Bourgoin, alentours de Troyes (Aube), aujourd'hui disparu, coll. B.M.

 

      Il rassemble, avec discrétion et parfois un peu de mystère, en un seul volume, tout ce que j'ai pu voir et trouver dans des ouvrages ou des revues, pas forcément des publications spécialisées en art brut d'ailleurs, et  tout ce que j'ai découvert de mon côté, ou éclairé, ou remis en perspective. A partir de ce rassemblement, il me semble qu'on pourra se faire une idée plus précise du phénomène des créations d'autodidactes en plein air, entre habitat et route, associables tantôt à l'art brut, tantôt à l'art naïf, sur le territoire métropolitain en France.

      Le Gazouillis des éléphants recèle ainsi jusqu'à 305 notices consacrées à ces créations d'hier et d'aujourd'hui. En donnant l'état des lieux, dans la mesure de mes connaissances, et en particulier les solutions diverses qui ont été trouvées pour sauvegarder ou prolonger, en partie ou en totalité, divers sites. Depuis quelque temps, il me semble en effet que la notoriété de l'art brut et des environnements d'inspirés allant en augmentant, le public se montre de plus en plus sensibilisé à la question du prolongement à donner aux environnements spontanés post mortem. Ce que les héritiers de ces décors foutraques auraient jeté naguère, il arrive plus fréquemment qu'il soit désormais conservé ou, quand on veut à tout prix s'en débarrasser, au moins mis en vente par exemple (voir le cas du site d'André Hardy en Normandie).

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André Hardy, lion en ciment peint et collage de faux crin, ph. B.M. en 2010.

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Le même lion d'André Hardy dans les réserves du LaM à Villeneuve d'Ascq, après acquisition et en attente de restauration, © photo LaM 2011.

 

    Fidèle à mon angle habituel pour aborder ces créations de plein air, je  me suis cantonné  dans cet ouvrage aux environnements populaires, en écartant tous les environnements créés par des artistes modernes ou singuliers (marginaux), hormis quelques cas-limites qui permettent de faire ressortir la spécificité du corpus retenu (comme par exemple le jardin de Monsieur X dans la Presqu'île de Crozon en Bretagne, de son vrai nom Jacques Boënnec - je donne à présent son nom car il vient de disparaître ; auparavant, il m'avait demandé de taire son identité, d'autres que moi n'avaient pas eu ce respect...). Pas de Cyclop de Tinguely, ou de musée Robert Tatin, pas davantage de maison de "Celle qui peint" (Danielle Jacqui), manifestant une culture artistique préalable (Jacqui m'a toujours donné l'impression de connaître Picassiette, par exemple).

     Primo, il fallait circonscrire à tout prix le champ d'étude (déjà, arriver à 305 notices m'a amené à un livre-monstre qui fait 930 pages avec plus de mille photos, pour un poids de 2,7 kgs...). Secundo, j'ai un faible pour les créations d'autodidactes populaires, qui œuvrent artistiquement sans se revendiquer artistes, et dont les travaux, détachés de toute attitude référentielle – y compris quand il leur arrive de démarquer ou de copier/transposer des œuvres d'art vues à la télé ou dans les magazines –, gardent une fraîcheur authentique. Fraîcheur brute ou naïve, je ne fais pas de hiérarchie sur ce point, si l'œuvre me surprend et m'enchante (critère premier!).

     C'est ce qui explique que l'Introduction du Gazouillis insiste sur ce slogan que je reprends régulièrement, depuis quelque temps, dans mes textes : il s'agit bien d'un Art sans artistes. Comme on parla à une époque d'une architecture sans architectes.

     Bon vagabondage à tous!

 

Bruno Montpied, Le Gazouillis des éléphants, tentative d'inventaire général des environnements spontanés et chimériques créés en France par des autodidactes populaires, bruts, naïfs, excentriques, loufoques, brindezingues, ou tout simplement inventifs, passés, présents et en devenir, en plein air ou sous terre (quelquefois en intérieur), pour le plaisir de leurs auteurs et de quelques amateurs de passage, Editions du Sandre, 2017. 950 pages, 220x240x70 mm, plus de mille photos couleurs et noir et blanc. Disponible au prix de 39€ dans toutes les bonnes librairies (si vous ne le trouvez pas, faites-le commander par votre libraire favori) à partir de la première semaine de novembre. Diffusion Harmonia mundi.

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Les professionnels des éditions du Sandre, sans qui il n'y aurait jamais eu de multiplication du Gazouillis, de gauche à droite: Guillaume Zorgbibe, Stefani de Loppinot et Julia Curiel, ph. B.M., 2017 ; merci à eux! Heureusement que ces gens existent...

 

QUELQUES DATES A RETENIR :

Durant tout le mois de novembre, exposition de photos et d'objets de la collection de Bruno Montpied dans la librairie Atout-Livre, 203 bis avenue Daumesnil dans le XIIe arrondissement. Causerie et débat avec le public le vendredi 24 novembre à 19h30, en présence de B.M. et de Régis Gayraud, camarade d'enquête de B.M.

Le samedi 9 décembre, à l'auditorium de la Halle Saint-Pierre, à 15h, projection de photos extraites du livre (rangées par ordre chronologique de dates de création) et débat avec le public en présence de B.M. Suivie d'une dédicace. Organisée en partenariat avec  la librairie de la Halle St-Pierre.

Le mercredi 20 décembre, au Musée de la Création franche à Bègles, à 19h30, projection de photos et rencontre-débat avec le public dans le cadre du LAB et en partenariat avec la librairie bordelaise La Machine à lire.

 

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Dessin de Jade, 8 ans (qui sert de cul-de-lampe à quelques endroits du Gazouillis, notamment sur les pages de garde)

25/10/2017

Après le Gazouillis (2): Le Jardin du Cuirassier de Clément V. (b), photos complémentaires

     Grâce à l'amabilité et à la complicité de Jean-Michel Chesné, fameux chineur et collectionneur de cartes postales anciennes consacrées aux environnements bruts, naïfs ou singuliers, nous avons donc la possibilité de voir deux autres prises de vue consacrées à la fois au Jardin du Cuirassier mentionné dans ma note précédente et à la maison de son auteur. Deux cartes postales des mêmes années 1950...

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Le Jardin du Cuirassier, à B., coll. Jean-Michel Chesné ; avec un oiseau en plus à droite du fait du plan plus large.

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Et probablement en se retournant, une vue de l'entrée de la maison de l'auteur du jardin, le vigneron Clément V. ; on découvre deux paons magnifiques de part et d'autre de l'entrée, des jardinières et murets pour plates-bandes recouvertes de mosaïque de bouts de faïence et de coquillages ; le chien posé à droite sur le tricycle est sans doute un des deux modèles qui sont statufiés dans le jardin ; coll. Jean-Michel Chesné.