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22/10/2009

Nostalgie du Paris populaire récent

     Dans les commentaires à ma note du 19 août dernier, nous évoquions, Régis Gayraud et moi, un restaurant antillais où nous avions déjeuné (d'un assez médiocre boudin créole ma foi) au 31, rue des Vignoles dans le XXe ardt de Paris. Il s'appelait Les Chutes du Carbet.Les Chutes du Carbet sur l'Ile de Basse-Terre, Guadeloupe.jpg C'était une petite maison avec véranda et un petit étage en retrait, comme une paillotte de bord de mer qui aurait été parachutée au beau milieu de Paris, une sorte de guinguette en somme. Une bouée était accrochée à l'entrée du restaurant, ancrant dans l'esprit l'impression d'être dans un lieu maritime.

Restaurant antillais Les Chutes du Carbet,août 2000, ph.Bruno Montpied.jpg
Restaurant disparu, Les Chutes du Carbet, ph.Bruno Montpied, 2000

     De mauvaises chaises étaient disposées vaille que vaille sur la terrasse en ciment, deux ou trois arbres aux troncs passablement conséquents bordaient cette dernière, une fresque quasi naïve tentant d'égayer le décor.

Les Chutes du Carbet,la terrasse,ph.Bruno Montpied, 2000.jpg
Ph. BM, 2000
Les chutes du Carbet,le pêcheur, ph Bruno Montpied, 2000.jpg
Le pêcheur, ph. BM, 2000

    On apercevait un autochtone qui jetait ses filets dans la mer, un phare au lointain (d'où la bouée...). Un grand tambour, voisinant avec une machette et un décor de palmes, achevait de donner une touche tropicale à l'estaminet... L'endroit était sans apprêts, on y respirait une grande nonchalance, un détachement comme dirait un ami musicien, mot qu'il emploie toujours en dernière extrémité pour qualifier en l'occurrence le jazz des Noirs américains, synonyme de feeling. Autant dire que le lieu était interdit aux bégueules, tant y régnait l'esprit des vacances éternelles et le dégoût du travail (ce qui n'était peut-être pas étranger, en même temps, à la qualité médiocre du boudin...).

Les Chutes du Carbet,le tambour, ph. Bruno Montpied, 2000.jpg
Tambour et machette, ph.BM, 2000

     Les propriétaires ont changé par la suite. Si vous passez chez Temporel dans la rue des Vignoles, voici le restau new look que vous rencontrerez, intitulé dans une connaissance poussée de ses futurs clients: "Mondes Bohèmes". Les deux arbres ont été abattus, une serre s'élève désormais à côté de la terrasse. Plus de fresque naïve... Irions-nous encore nous enivrer dans un tel lieu si propre sur lui? Rien n'est moins sûr.

Les Mondes bohèmes ex-Les Chutes du Carbet, ph. Bruno Montpied, 2009.jpg
Les Mondes bohèmes, ex-Chutes du Carbet, ph.BM, 2009

18/10/2009

Un musée de l'art médiocre à Dedham, Massachusetts

     Dans la problématique de la valeur des oeuvres d'art, on versera au dossier l'existence d'un Musée de l'art médiocre (ou moche, voir dans les commentaires ci-dessous) aux Etats-Unis, le MOBA (museum of bad art).Dog, collection du MOBA(auteurInconnu peut-être d'origine danoise).jpg Il m'a été signalé par l'animateur de l'émission de radio Song of praise, Cosmo Helectra. Cela faisait suite à des discussions que nous avions eues au sujet de la vogue qui sévit aux USA autour des collections d'oeuvres trouvées dans les dépôts-ventes et autres brocantes, dans les décharges, dans la rue, etc., oeuvres qui possèdent un aspect bizarre, difficile à classer dans l'une ou l'autre des catégories en usage telles que l'art brut, l'art naïf, l'art populaire. Des oeuvres étranges que le regard hésite à taxer d'idiotie, leurs apparentes maladresses pouvant recéler quelque langage nouveau, pas encore perceptible à notre époque. Des oeuvres inclassables, véritablement inclassables. Cosmo m'a ainsi montré un bouquin édité aux USA, intitulé Thrift store paintings (peintures de dépôts-ventes),Couverture du catalogue Thrift Store paintings.jpg qui présentent un certain nombre de ces tableaux effectivement fort insolites, d'un surréalisme involontaire semble-t-il dans certains cas (quoique... Un certain nombre d'entre elles paraissent en même temps mal digérées de ce dernier mouvement, l'inspiration, et la technique, étant le plus souvent défaillantes...).

peinture d'auteur inconnu,extraite d'un blog américain pour femmes au foyer.jpg
Image trouvée sur un blog à l'intention des femmes au foyer américaines...

    Je donne ici quelques exemples pris sur internet, venus d'horizons hétéroclites, comme l'image ci-dessous piquée sur un site dédié au ping-pong:

peinture d'un certain Wolters, peinture trouvée dans un dépôt-vente aux USA.jpg

        Certains artistes, bien documentés, se sont mis, toujours aux USA, dans l'esprit d'Asger Jorn, à repeindre ou à faire des collages sur les peintures de dépôts-ventes. Que l'on se reporte par exemple à cette artiste contemporaine américaine (née en 1934), Margot Bergman, dont cela paraît être le procédé permanent (de fort beaux résultats). On se souvient que cela n'est pas nouveau, Jorn, dont j'ai déjà parlé sur ce blog, a eu une période où il exécutait des modifications sur des croûtes achetées aux Puces, affirmant par ailleurs admirer la banalité pure de ces tableaux anonymes, y ajoutant sa patte (et sa pâte). La rencontre des deux styles nous a laissé des oeuvres très attachantes. Il apparaît à la lumière du déferlement actuel des modificateurs sur croûtes comme un véritable précurseur.

margot bergman,joy gaye,2008,acrilique sur toile, peinture d'amateur modifiée.jpg
Margot Bergman, Joy Gaye, acrylique sur toile, peinture de dépôt-vente modifiée, 2008
Asger Jorn,Dolce vita,modification,1962.jpg
Asger Jorn, La Dolce Vita, Huile sur toile, 1962

      Cependant, le projet du MOBA paraît quelque peu différent. Sur leur site, ils affirment vouloir donner toute sa place au mauvais art, une place aussi grande que celle accordée à l'art établi comme bon art (leur slogan est "Un art trop mauvais pour être ignoré"). Il entre bien entendu là-dedans une part de provocation et d'humour qui sonne très pataphysique. Leur démarche est quelque peu ambiguë, ne sont-ils pas moqueurs, dépréciatifs sous couvert de reconnaissance du mauvais art? Veulent-ils simplement donner à voir des pièces médiocres pour réenraciner par contraste la valeur des oeuvres traditionnellement établies qu'une certaine relativisation généralisée des valeurs, très contemporaine, menace actuellement, dans notre époque post-avant-gardiste? Des questions sont posées à ce sujet sur le blog des éditions Cynthia 3000 qui sont par ailleurs à l'origine de la CAPUT dont j'ai déjà parlé ici (Collection d'Art Populaire et de l'Underground Tacite, qui se constitue à partir d'oeuvres d'inconnus retrouvées dans  les brocantes là aussi), dans une réponse des animateurs du blog à un autre commentaire que votre serviteur leur avait laissé il y a quelque temps.

Peinture d'un anonyme, collection du MOBA.jpg

Oeuvre d'un inconnu, MOBA

     Autre remarque, ce projet de constituer une collection d'art médiocre me fait aussi beaucoup penser au fond à la reprise  du projet primitif de l'écrivain Georges Courteline qui au début du XXe siècle collectionnait les peintures d'amateurs en les recouvrant du terme générique de "musée des horreurs" (ce qu'il modifia à la fin de sa vie, lorsqu'il voulut les revendre, en "musée du labeur ingénu"...). Il se livra dans différents articles à une recension de ses trouvailles - de fort belles peintures à la poétique naïveté du reste - qu'il accompagna cependant de commentaires narquois, se gaussant par en dessous des tableaux qu'il avait acquis par esprit de dérision (au début en tout cas). André Breton se moqua à son tour de lui en traitant son état d'esprit de "bon sens éculé", "la croissante misère psychologique "(de Courteline) "cherchant dans les sarcasmes à se libérer de l'éternelle peur d'être dupe" (voir le texte de Breton, Autodidactes dits "Naïfs", dans Le Surréalisme et la peinture).

17/10/2009

Expo-parcours Jean Smilowski à Lille du 10 au 24 octobre

     Voici que j'apprends qu'un parcours consacré à la mémoire du créateur inspiré Jean Smilowski se tient depuis le 10 octobre  dans le Vieux-Lille, et ce jusqu'au 24. Pressez-vous, si vous avez la disponibilité pour aller chez nos amis lillois. Vous pourrez d'une pierre faire deux coups. Les déviants textiles (voir note du 16 octobre) et Smilowski.

Parcours avec Jean Smilowski, affiche,Lille, oct 09.jpg

    Je ne tenterai pas aujourd'hui de dépeindre tout du long qui était ce curieux bonhomme, que je découvris il y a de nombreuses années dans une expo de l'Aracine en 1992, Art et Bricolage, à Neuilly-sur-Marne, et dont l'oeuvre a été conservée après sa mort (1989) par les fervents admirateurs de l'association La Poterne. Il vivait misérablement dans une sorte de cabane, qu'il appelait "Mon ranch", ou "Mon palais", au pied des fortifications du Vieux-Lille, qu'il avait décorée d'une fresque consacrée à Ramona et à Sitting-Bull (il avait un certain goût pour les Peaux-Rouges), fresque en bas relief que l'on peut admirer aujourd'hui dans l'entrée de la mairie du Vieux-Lille (charmante petite bâtisse). Plusieurs de ses oeuvres, sculptures, assemblages, malles peintes, sont conservées à la fois par l'association La PoterneJean Smilowski,malle peinte avec effigie de Ramona, Association La Poterne vers 1993.jpg qui les montre à l'occasion de dates anniversaires comme en ce moment, mais aussi par le musée d'art brut issu de la collection de l'Aracine qui se trouve désormais hébergé à Villeneuve-d'Ascq (une quarantaine d'oeuvres de Smilowski, selon La Poterne, est entrée en 1992 à l'Aracine). Vous aurez beaucoup plus de renseignements au sujet des lieux d'exposition actuels à Lille en cliquant sur le mot parcours.

Jean Smilowski, maquette d'avion de chasse des années 1940.jpgJean Smilowski, malle avec effigie de Ramona et maquette d'avion de chasse des années 1940, extraits d'un "coffret-cadeau" édité par l'association La Poterne vers 1993 

16/10/2009

Sur le fil, déviances textiles à la Maison Folie de Wazemmes

    Pascal Saumade et Barnabé Mons sont les deux commissaires de l'exposition "Sur le fil",  sous-titré "déviances textiles" qui a débuté le 10 octobre dernier à la Maison Folie de Wazemmes, quartier au sud-ouest de Lille, connu pour ses Géants de carnaval.Maison folie de Wazemmes, ancienne filature.jpg Cette Maison est une ancienne usine textile, lieu parfaitement adapté au projet de ces deux supporters de l'art modeste (Saumade collabore avec le MIAM de Sète) qui ont pris l'habitude depuis quelque temps de monter des expositions dans le Nord, notamment l'expo récente "Kitsch-Catch" qui évoquait l'univers du catch à travers l'imagerie populaire et l'art populaire contemporain, en particulier au Mexique. Peut-être cette recherche de proximité avec le Nord est-elle à mettre en relation avec le futur musée d'art brut et d'art moderne qui ouvrira l'année prochaine ses portes à Villeneuve-d'Ascq dans un bâtiment prolongé et rénové?Sur le fil, expo de la Gamelle Publique à la Maison Folie de Wazemmes, octobre, novembre 09.jpg

     Ces déviants textiles (je préfère le sous-titre au titre, qui a vraiment trop servi ici et là, c'est vraiment la métaphore évidente dès qu'on parle de textile) sont constitués de créateurs hétéroclites (art populaire, art brut, art contemporain, art outsider), et tant mieux, ayant pour point commun de travailler des matériaux textiles. Un hommage est particulièrement dressé à celui qu'on classe généralement parmi les Naïfs contemporains, auteur de nombreuses "tapisseries", fresques brodées, patchworks de pièces de tissus, Jacques Trovic qui habite dans le Nord justement et qui est actif depuis les années 50. A côté de lui, l'association La Gamelle Publique (association à l'origine du projet) a "rassemblé plus de 50 artistes d'univers et de nationalités divers au sein d'un parcours labyrinthique".

Jacques Trovic Hommage à Tintin, vers 1988.jpg
Jacques Trovic, Hommage à Tintin, extrait d'un livre publié aux éditions AREA en 1988 à Paris  
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Maison Folie Wazemmes. Expo du 10 octobre au 22 novembre 2009, ouverte du mercredi au samedi de 14h à 19h, dimanche de 10h à 19h, 70 rue des Sarrazins - 59000 Lille. T: + 33 (0)3 20 78 20 23
mfwazemmes@mairie-lille.fr
Accès : Métro Gambetta - Wazemmes (ligne 1) -  Montebello (ligne 2) 

11/10/2009

Infos-miettes (5)

RUZENA, PARLEZ-MOI DE GRENOBLE...

     Ruzena continue son petit bonhomme de chemin. Ses dessins pleins de lianes et d'homuncules étrangleurs, de spectres aux yeux vides, de serpents jaillissant lentement du prolongement de branches ou de cuisses, atterrissent à Grenoble dans les locaux de la galerie Ex Nihilo, présentés à côté d'oeuvres d'Eric Gougelin et à l'initiative de Jean-Louis Faravel de l'association Oeil'Art.

L'exposition se déroulera du 15 au 31 octobre prochain,  8, rue Servan (c'est dans le centre du vieux Grenoble, ancien quartier des antiquaires). Le vernissage aura lieu le jeudi 15 octobre à partir de 18h30.

RUZENA image en filigrane du carton d'invitation, Galerie Ex Nihilo, Grenoble, 2009.jpg

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LOUIS PONS, Dessins Anciens

      Des dessins de Louis Pons sont annoncés à la galerie de Béatrice Soulié, rue Guénégaud, pour une exposition de six jours (du 20 au 25 octobre) qui se prolongera ensuite dans une galerie voisine, la galerie Sellem, rue Jacques Callot, du 29 octobre au 21 novembre. Chez Mme Soulié, ce sera ouvert aussi le dimanche, et le vernissage aura lieu le mardi 20 octobre.

Louis Pons, dessin ancien,galerie Béatrice Soulié, 2009.jpg
Louis Pons, dessin ancien, extrait du dossier de presse de l'exposition
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LE RAYON INVISIBLE, nouvelle collection des Editions Les Loups sont Fâchés
Le rayon invisible Guy Cabanel Pierre Peuchmaurd, Les loups sont fâchés, octobre 2009.jpg      Deux ouvrages paraissent simultanément dans cette collection toute neuve, Maliduse, de Guy Cabanel, avec des illustrations de Robert Lagarde (réédition de celle de 1961), et Le pied à l'encrier, qui paraît être le dernier ouvrage qu'aura préparé Pierre Peuchmaurd de son vivant, sorte de journal posthume donc, apparemment consacré à ses lectures, à des réactions vis-à-vis du "caquetage médiatique".
Les loups sont fâchés, 75, rue Dutot, 75015 Paris, ou www.lesloupsediteurs.fr
A l'occasion du lancement de la collection, une rencontre aura lieu avec Guy Cabanel "qui dédicacera Maliduse suivant son humeur", le mardi 13 octobre à partir de 18 heures, à la Galerie Nuitdencre 64, 64, rue Jean-Pierre Timbaud, Paris 11e. T: 01 49 29 48 49. Se tient actuellement dans ses locaux une exposition consacrée à Jacques Lacomblez qui vaut aussi le détour (jusqu'au 13 novembre).
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 ART BRUT NEERLANDAIS

     L'exploration systématique de l'art brut par pays continue vaillamment. Pas un pouce de terrain qui n'échappera! Ce sont nos amis bataves qui passent demain au crible. C'est chez Christian Berst dans sa galerie ex-Objet Trouvé (j'en connais pour qui cette galerie n'a pas le droit de changer de nom). Voici les créateurs sélectionnés: Rieka Bettink, Siebe Wiemer Glastra, Ylonka Elisabeth Jaspers, Ron Oosterbroek, Evert Panis, Han Ploos van Hamstel, Micha Stanojevic et Roy Wenzel, le seul dont j'avais jusque là entendu parler. Pas de Willem Van Genk? Pas grave, ce n'est personnellement pas le créateur que je retiens le plus en Hollande... Dans cette exposition, ma curiosité se porte vers monsieur Glastra, à ce que j'en suppose en me basant sur le site de la galerie bien sûr.

GLASTRA Galerie Christian Berst, octobre 2009.jpg
Siebe Wiemer Glastra

"Made in Holland", l'art brut néerlandais, du16 octobre au 28 novembre 2009. Vernissage le jeudi 15 octobre de 18h à 21h.

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SOIREE d'HOMMAGE à MADELEINE LOMMEL

De gauche à droite,Madeleine Lommel, André Robillard, Claire Teller, archives LaM, Villeneuve-d'Ascq.jpg

      C'est programmé dans le cadre de l'expo, dont j'ai déjà parlé ici, "Les Chemins de l'art brut 8", à l'auditorium de l'INHA, la salle Walter Benjamin, dans le passage Colbert (entrée indifféremment par la rue des Petis Champs ou la rue Vivienne à Paris). Cela aura lieu le jeudi 22 octobre à 18h30. Sera projeté à cette occasion le film de Claude et Clovis Prévost (dont j'ai mis en ligne ici et là sur mon blog quelques photogrammes grâce à l'obligeance des Prévost), qui est un montage d'entretiens réalisé avec les fondateurs de l'Aracine, Madeleine Lommel, disparue comme on sait en avril, Claire Teller et Michel Nedjar.

Louise Tournay, Les Chemins de l'art brut 8, INHA, 2009.jpg
Louise Tournay, exposition Les Chemins de l'art brut 8,
 salle d'exposition de l'INHA, Galerie Colbert

      A signaler qu'un catalogue d'environ 180 pages paraît seulement ces jours-ci pour accompagner l'exposition. Il s'agit d'une "promenade chronologique commentée" par divers intervenants, divers témoins de l'histoire de l'Aracine, notamment durant la période entre 1982 et 1996, date du départ de la collection vers le futur LaM de Villeneuve-d'Ascq.

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ANATOMIA METAMORPHOSIS

       L'exposition de l'automne dans la galerie ABCD à Montreuil a déniché un titre bien pédant cette année, je trouve. Faut croire que "Métamorphose anatomique", ça faisait péquenot. Sont invitées sur les cimaises les figures hésitant entre pure ornementation et spéculation botanique (ou anatomique, donc) d'Anna Zemankova et les plongées tourbillonnantes au sein du corps par Lubos Plny. Un film sur ce dernier sera également présenté. Par ailleurs, a été montrée à quelques privilégiés, l'avant-première du film de Bruno Decharme intitulé "Rouge Ciel", traitant de l'art brut, de son histoire, de sa réception chez quelques amateurs, et interrogeant des créateurs eux-mêmes, notamment ceux que Bruno Decharme est allé filmer à diverses reprises. Espérons que ce film pourra être rapidement visible d'un plus grand nombre de passionnés.

Lubos-Plny,ABCD.jpg
Une oeuvre de Lubos Plny, extrait du dossier de presse d'ABCD

 

Exposition du 10 octobre au 29 novembre, galerie ABCD, 12, rue Voltaire, 93100 Montreuil. Ouvert les samedis et les dimanches de 12h à 19h.

08/10/2009

La Passerelle, foyer artistique à Cherbourg, la poésie souffle toujours où elle veut

     Une jolie surprise m'est venue ces jours-ci de ma boîte e-mail. Un monsieur nommé Romuald Reutimann m'a donné un lien vers son blog, celui d'un foyer artistique pour déficients mentaux (c'est le terme qu'il utilise), la Passerelle, situé à Cherbourg, la ville des mythiques Parapluies dont on ne sait pas grand-chose à part ces sempiternels clichés pluvieux, ou ses homards à multipinces venus des environs de La Hague...

L'atelier de la Passerelle, Cherbourg, photo Romuald Reutimann, 2009.jpg
L'atelier de La Passerelle

      Or, c'est idiot de ne pas chercher à en savoir plus sur cette ville oubliée au bout du Cotentin, face à la mer qu'elle contemple, on le suppose, extasiée depuis des éternités. J'aurais bien envie de commencer par les usagers de cette Passerelle justement. Les oeuvres reproduites sur le blog (créé semble-t-il depuis peu, le mois d'août dernier?) sont fraîches, simples, inventives, et les commentaires qui les accompagnent sont au diapason, sans prétention aucune, ce qui nous change des proses et des poses artistiques habituelles.

Christine,sans titre,2002, atelier La Passerelle.w.jpg

Christine, sans titre, 2002        

Yann, l'animal dans la personne, ph.La Passerelle, 2009.w.jpg

Yann, L'animal dans la personne, 2009

     "Actuellement nous accueillons plus ou moins une vingtaine de participants divisés en deux groupes qui se réunissent les mardis et jeudis, après le travail, entre 17 et 19h. Nos moyens et notre espace de travail sont modestes mais l'enthousiasme et l'assiduité sont là..." (Romuald Reutimann)

Cyril, Hommes-machines, la couverture, ph. La Passerelle, 2009.jpg  PasserelleCA.Hommes+machines+vue+1.w.jpg
Cyril, feuillets assemblés, Hommes-machines, 2001

     Le travail se fait dans un appartement, sobrement mais aussi assez elliptiquement décrit, ce qui lui confère une aura de mystère. Les oeuvres montrées sur ce blog me séduisent passablement, me faisant désormais croire que vient de surgir en France un centre de création pour handicapés qui pourrait rivaliser avec les centres belges du type de la Pommeraie, ou du foyer Reine Fabiola à Neufvilles, ou encore avec ceux dont les oeuvres sont montrées de temps à autre chez Art en Marge à Bruxelles, ou dans le Mad-musée à Liège. En attendant, je ne peux faire moins que l'ajouter à ma liste de doux liens.

Gisèle,Marchand de pigeons, ph. Atelier La Passerelle2007.jpg
Gisèle, Marchand de pigeons, encre et collage, 2007

     

04/10/2009

Recoins n°3

      Recoins n°3 est sorti avec les feuilles qui se ramassent à la pelle, ce qui ne sera pas son cas, car le numéro a belle allure, en constante amélioration. La revue concoctée à Clermont-Ferrand par Emmanuel Boussuge avec la collaboration d'émérites Auvergnats pur sucre (ou pure gentiane), qui ont pour noms Benoît Hické, Franck Fiat, François Puzenat, Colas Grollemund, Julie Girard, Bill Térébenthine, Bastien Contraire, etc., la revue s'est épaissie (70 pages contre les 58 des deux premiers numéros, ce qui explique aussi la petitesse des caractères, car il faut bien payer tant de matière, ne s'en étonneront que les nantis et les bourgeois, n'est-ce pas Ani la moule?), nourrie qu'elle est de substantifiques moelles. Comme d'habitude, art, belles-lettres et rock'n roll sont convoqués aux quatre (re)coins de la revue.

Recoins n°3,sept 2009.jpg
Numéro 3 de Recoins, 7 euros... 

     Au sommaire, outre quelques articles sur le rock des origines (que je suis d'un oeil en éveil - car il faut être bien étroit d'esprit pour ne pas voir qu'il y a là une source de créativité populaire largement sous-évaluée dans nos contrées, n'est-ce pas Caligula Vagula?), que les auteurs traitent dans le sillage des ouvrages parus chez Allia, comme par exemple celui de Nick Tosches intitulé "Héros oubliés du rock'n roll", plusieurs contributeurs :

      Tout d'abord votre serviteur (charité bien ordonnée commence par soi-même, n'est-ce pas?) intervient à propos du meunier Marcel Debord, dont l'environnement, à ce qu'avait révélé Jean-Luc Thuillier en 2007 dans son livre Arts et Singuliers de l'Art en Périgord, a été ravagé par la tempête en 1999, après avoir longtemps fait le plaisir des rares passants qui le connaissaient, car il fallait être curieux ou très bien renseigné pour tomber sur ce site à l'écart d'une route largement secondaire, à quelques encablures de Brantôme. Je l'avais visité en 1992 et ne m'étais pas résolu à en parler, son auteur étant infirme, fatigué (de fait il mourut en 1994). Recoins me permet aujourd'hui de renouer le fil avec cet homonyme d'un célèbre situationniste. Mon article est illustré d'une dizaine de photos, cherchant à faire le tour de cet environnement peu étudié et répertorié. 

Marcel Debord,autoportrait, ph.Bruno Montpied, 1992.jpg
Marcel Debord, autoportrait en meunier, photo Bruno Montpied, 1992

     Autres intervenants dans la revue, Anna Pravdova et Bertrand Schmitt y publient un texte instructif sur Jan Krizek, qui fut un sculpteur à la croisée des routes entre surréalisme et art brut. Leur article préfigure des développements ultérieurs, tant on sent qu'ils s'y retiennent d'en dire trop. "Jan Krizek, sculpter en deux dimensions" est un amuse-gueule, une amorce.Jan Krisek,Linogravure,n°13 sur 38, 1958, coll.privée, Paris, ph.Bruno Montpied.jpg On retrouve également Régis Gayraud qui publie trois textes dont un est connu de ceux qui fréquentent les archives de mon blog (suivez le lien ci-contre, paresseux!). Un homme qui porte le même patronyme que lui et prénommé Joël, et lui aussi un habitué de cette colonne blogueuse (qui n'est pas la colonne sèche que nous avions rêvée, vous en souvenez-vous, chers Gayraud?), dépose un texte de "souvenirs familiaux", "Mots de ventre, mots de coeur" où il est question de mots privés familiaux. Et là, je crie au scandale. Dis donc le père Jojo, t'aurais pu me demander mon avis, car ce texte m'avait été promis en 1988 (et bonjour pour le réchauffé)! Pour une enquête que je menais alors, que je mis je dois l'avouer en stand-by durant les vingt ans qui suivirent mais que je n'ai jamais désespéré d'achever et de publier un jour...! J'ose donc espérer que ce texte n'est ici produit qu'en pré-publication.

Millange,Bourrée, Recoins n°3.jpg
Millange, une bourrée, publié dans Recoins n°3

     Du côté d'Emmanuel Boussuge, qui signe aussi parfois Eubée dans sa revue, on notera l'excellente et quasi exhaustive présentation du peintre naïf bien oublié, méconnu, Millange, dont il eut la révélation auprès d'une érudite cantalienne Odette Lapeyre (je l'ai rencontrée un jour  en sa compagnie, charmante vieille dame amoureuse de sa région du côté d'Antignac, elle renseigna Boussuge aussi sur le cas de François Aubert). Ce Millange, qu'Emmanuel qualifie de "peintre paysan", on pourrait tout à fait le qualifier d'Emile Guillaumin pictural. Comme ce dernier, qui fut on le sait un écrivain-paysan enrôlé sous la bannière des "écrivains prolétariens", il aimait à chanter les peines et les labeurs des champs, la vie rurale de son temps, le tout dans une palette vaporeuse qui confère une aura onirique à ses saynètes.

Millange,La Lettre de l'absent, Recoins n°3.jpg
Millange, La lettre de l'absent, publié dans Recoins n°3

Voici une impressionnante liste de librairies où on peut trouver Recoins n°3 à Paris : A la Halle Saint-Pierre bien sûr, mais aussi chez Libralire, dans le 11e, rue St-Maur, chez Bimbo Tower, passage St-Antoine (qui donne sur la rue de Charonne dans le 11e), à la galerie Nuitdencre, rue Jean-Pierre Timbaud (au 64), Un Regard moderne (rue Gît-le-Coeur dans le 6e), chez Parallèles, rue des Halles, chez Vendredi, rue des Martyrs, presqu'à l'angle avec le boulevard de Rochechouart, chez Atelier 9, dans la même rue mais un peu plus bas, chez Anima, avenue Ravignan, dans le 18e (la Butte Montmartre), au Monte-en-l'air, rue des Panoyaux (paraît-il), et également aussi à l'Atelier, la librairie qui se trouve en dessous du métro Jourdain, prés de la rue des Pyrénées (20e).

    D'autre part, oyez, oyez, demain lundi 5 octobre, à 19h30, dans  l'émission "Songs of praise" sur Aligre FM (93.1 à Paris), Emmanuel Boussuge, en compagnie du... sciapode, qui l'escortera fantomatiquement (car il devrait être question de rock'n roll et de musiques expérimentales et peu d'art brut, quoique... On devrait peut-être entendre, à cette occasion, un bout de la bande-son du film de Pierre et Renée Maunoury sur le créateur de l'art brut Pierre Jaïn), Emmanuel donc participera à l'émission hebdomadaire de cette émission vieille de vingt ans, pour présenter sa revue. Elle peut être captée par internet de partout in the world. Comme ça, si vous lisez cette note tardivement, vous pourrez encore vous rattraper.

     Sinon, on peut aussi s'abonner à la revue pour 29€ (4 numéros) en écrivant à Recoins, 13, rue Bergier, 63000 Clermont-Ferrand (e-mail: revuerecoins@yahoo.fr). 

Art brut, les florilèges des Yeux Fertiles

     La galerie Les Yeux Fertiles, connue pour ses expositions rue de Seine à Paris dans le 6e arrondissement (voir ce lien) qui sont généralement tournées du côté du surréalisme et des domaines avoisinants, présente une exposition d'art brut, intitulée "Florilèges de l'art brut" du 9 octobre au 28 novembre 2009.Florilèges de l'art brut, Emile Hodinos, galerie Les Yeux Fertiles, 2009.jpg

     ACM, Anselme Boix-Vives, Joseph-Fleury Crépin, Philippe Dereux, Domsic, Fischer, Eugène Gabritschevsky, Madge Gill, Chris Hipkiss, Emile Josome Hodinos, Horacek, Jakic, Kôczy, Simone Le Carré-Gallimard, Leonardini, Augustin Lesage, Sluiter, Schröder-Sonnenstern, Scottie Wilson, Gironella, Slavko Kopac, Michel Nedjar... Tels sont les noms des créateurs dont les oeuvres seront accrochées aux cimaises de cette petite galerie, qui déjà par le passé a organisé des expos sur cette catégorie d'art, à juste titre, si l'on constate la proximité d'inspiration entre l'art brut, sorte de surréalisme inconscient, et le mouvement historique qui revendique l'action et l'art surréalistes.

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Friedrich Schröder-Sonnenstern, Sans titre, vers 1950-1960, ph.Marc Domage, exposition "Arnulf Rainer et sa collection d'art brut" à la Maison Rouge-Fondation Antoine de Galbert à Paris en 2005 

     On notera que sont mêlés aux créateurs d'art brut au sens strict, des artistes plus délibérément "artistes", conscients de se confronter à l'histoire de l'art, comme Philippe Dereux, Slavko Kopac (immense artiste, collaborateur de Dubuffet dans la deuxième Compagnie de l'Art Brut, et simultanément ami des surréalistes: exploit qu'il fallait mener quand on sait la solide rivalité qui oposait Dubuffet au groupe surréaliste dans les années 50-60 de l'autre siècle),  Chris Hipkiss, Michel Nedjar... Sans doute par souci de faire figurer dans cette présentation des oeuvres aux contenus en harmonie avec une inspiration qui fait la part belle à l'imagination par les sujets et le graphisme.

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Slavko Kopac, Femme couchée, 1982, extrait du catalogue d'exposition à la Salle Saint-Jean, Hôtel de Ville de Paris, 1996

Polanski, ce que cela fait dire à certain de mes lecteurs

    Voici ce que j'ai reçu récemment, de la part d'un lecteur épisodique du blog, au sujet de l'affaire Polanski. Réaction qui mérite d'être mentionnée en raison de son éclairage paradoxal, peu en faveur dans les media actuels:

    "A propos de Polanski : Ayant été personnellement "abusé sexuellement" à l'âge de quinze ans par une voisine majeure (fort jolie fille d'ailleurs et d'un tempérament excessivement lubrique), j'en conserve un souvenir ému pour ne pas dire émerveillé. Je lui en suis à l'heure actuelle, et ceci à la lueur du passé, toujours reconnaissant."

    (Alfred)

01/10/2009

Le Plein Pays, documentaire d'Antoine Boutet sur Jean-Marie M., archéologue sauvage

         Je n'avais plus de nouvelles de ce monsieur Jean-Marie M. depuis bien longtemps. Depuis que j'étais allé le voir en 1987 avec Gaston Mouly qui s'était gentiment chargé de faire le médiateur entre nous (j'ai tourné un petit film en Super 8 à cette occasion que j'ai intégré par la suite à  l'ensemble de petits films d'amateur sur les environnements que j'ai intitulés Les Jardins de l'art immédiat).     L'ami Joël Gayraud m'avait signalé un article de Walter Lewino paru en 1984 dans Le Nouvel Observateur qui évoquait cette présence peu commune dans une forêt du Lot (article Le Malthusien des Bruyères).

J-M-portrait, photogramme Les Jardins de l'art immédiat, par Bruno Montpied, 1987.jpg
Jean-Marie M. à l'entrée d'un de ses puits, photogramme extrait des Jardins de l'art immédiat, Bruno Montpied, 1987

    Jean-Marie creusait le sol, effectuant un travail colossal à mains nues au début, puis, après s'être perfectionné côté outillage et engins, avec plus de moyens, élargissant ses tunnels, ses puits,Entrée de puits de J-M.M.,Les jardins de l'art immédiat,Bruno Montpied, 1987.jpg ses crevasses dans l'espoir de découvrir une civilisation préhistorique sous son terrain. On était dans une région de grottes célèbres, Pech-Merle, Cabrerets... Le Périgord aussi n'était pas très loin.

    Il fouillait la terre comme une taupe humaine, acharné de façon hyperbolique, creusant sans cesse comme à la poursuite du secret des origines. Qui n'étaient à chercher nulle part ailleurs, bien sûr, qu'au sein de la terre-mère. Il vivait seul avec sa mère sur ce territoire qu'il perçait de galeries. Il interdisait qu'on aille vers sa maison qu'on devinait par delà deux pyramides de pierres, où vivait la génitrice protégée comme une idole. Il interdisait aussi qu'on emmène de la terre de son fief sous les semelles de nos chaussures. Il nous épousseta bien soigneusement, Gaston et moi, avant que nous ayons eu le temps de franchir la limite de la propriété.

     Je ne suis pas descendu dans les galeries et les salles creusées dans la terre rouge quand je vins chez lui, tellement cela me paraissait périlleux en l'absence de lumière et sans plus d'information. Le sculpteur Ipoustéguy qui a visité en 84 le site avec Walter Lewino avait été plus téméraire, il descendit au fond, se frottant aux parois de terre rouge, rapportant que l'on voyait quelques gravures de Jean-Marie à certains angles. Sur le terrain lui-même, il y avait peu d'interventions "artistiques". Sur les pyramides évoquées ci-dessus (des cairns améliorés), on pouvait apercevoir quelques grossières incisions, tentant d'imiter les gravures rupestres du Val Camonica en Italie ou de la Vallée des Merveilles dans les Alpes françaises. Interrogé par nous sur ce qu'il avait réussi à mettre au jour jusqu'alors (1987, je le répète), il s'était embrouillé, avait seulement soulevé une bâche pour nous montrer une belle améthyste, qui consistait à ce que nous crûmes comprendre en son unique trouvaille de quelque valeur... Peut-être était-ce avant tout sa quête qui le faisait vivre, et peu importait la fin.

J-M.,photogramme Les Jardins de l'art immédiat, Bruno Montpied, 1987.jpg
J-M. fouillant dans ses trouvailles, quelques pierres... Photogramme Les Jardins de l'art immédiat, B.M., 1987

     A suivre l'article de Walter Lewino, J-M en 1984 avait un message écologique et démographique à faire passer au monde (ce qui le range aussi du côté des "fous littéraires"). Selon lui, la Terre étant bien trop peuplée, il fallait réduire d'urgence la population en cessant de procréer (sa théorie était peu claire, il militait pour une "extinction de l'espèce humaine", ce qui est nettement plus radical qu'une simple diminution démographique ; de plus il en voulait à son père de lui avoir donné le jour, il prédisait l'arrivée des extra-terrestres qui retrouveraient ses vestiges et en feraient un palais merveilleux ; au fond, il proclamait son désir de n'avoir jamais existé). Il avait confié à Lewino un message à publier dans les média, ce que ce dernier fit (voir ci-dessous).

Avis à tous les média, J-M. Article Walter Lewino, Le nouvel Observateur, 1984.jpg

J-M.,article Lewino, Le nouvel Observateur, 1984.jpg

Texte dicté à sa mère par J-M, photos de l'article de Walter Lewino, Le nouvel Observateur, 8-6-1984

     Je commençai d'écrire quelque texte à son sujet, que je finis par délaisser, n'ayant que peu de tribunes à ma disposition, puis  je me mis à en parler autour de moi, le cas était tout à fait intriguant, j'attendais une occasion, et je me demandais comment en parler adéquatement... J'étais impressionné aussi par l'impact que pourrait avoir la révélation de cette existence sur un public plus large. Des articles parurent cependant ici et là, par exemple dans le magazine Dire Lot qui ne cacha pas le nom de Jean-Marie, si je me souviens bien, ou dans Gazogène également à qui je l'avais signalé (revue éditée à Cahors). Dans ce dernier bulletin, vers 2000, il fut fait état d'une nouvelle fantastique, la mère de Jean-Marie étant décédée, et ayant été enterrée au cimetière, loin de leur terrain sacro-saint, celui-ci n'avait pu le supporter et était parti la déterrer (toujours cette quête du souterrain), pour l'exhumer et la ramener chez lui. Cela ressemble au comportement de l'auteur du fameux plancher de Jeannot dont j'ai déjà parlé ici. Jean-Marie, avais-je alors appris, avait pu regagner son domicile après quelques démêlés avec les autorités. Depuis je n'avais plus de nouvelles.

J-M M.,affiche Le Plein Pays, film d'Antoine Boutet, 2009.jpg

     Et voilà que j'apprends qu'on a fait un film avec lui, où son nom  - à juste titre peut-être - n'est pas prononcé. Seul son prénom apparaît dans les dossiers de presse qu'on m'a communiqués (grand merci à Remy Ricordeau pour cette information précieuse).J-M. dans une de ses galeries avec une lanterne, photogramme Antoine Boutet.jpg L'auteur du documentaire est Antoine Boutet. Le film, daté de 2009, est un moyen-métrage de 56 minutes. Son titre: Le plein pays. Il sera projeté dans la région parisienne incessamment (c'est l'avant-première). Rendez-vous le mercredi 7 octobre à 21h au cinéma Le Méliès à Montreuil. Je ne sais pas vous, mais moi, j'y serai. Voici le résumé tel que je l'ai trouvé sur le site des "Rencontres cinématographiques autour du documentaire" qui se tiennent du 6 au  octobre à Montreuil:

    "Robinson au milieu d'une forêt française, avec pour seuls compagnons une radio et un magnétophone : l'homme que filme Antoine Boutet est un solitaire, un homme qu'on pourrait dire « des bois » ou « des grottes », tant il fait corps avec ces lieux secrets. Il les sculpte et les manipule, les chamboule et les creuse. Dans un même mouvement, du plus profond de lui, éclôt sa voix, ses mythes et bientôt, par bribes, son histoire."

    C'est le genre de film à rapprocher de celui qu'ont fait les animateurs du blog "Playboy communiste" sur le "griffonneur de Rouen", Alain R. Voir dans ma note ancienne ce que j'en avais dit. Ainsi que le lien vers leur blog dans ma colonne consacrée aux liens.

J-M, photogramme Antoine Boutet, 2009.jpg
J-M., photogramme Le Plein Pays, film d'Antoine Boutet

29/09/2009

Benjamin Péret, oncle d'Amérique

      Je rate toutes les expos à la Maison de l'Amérique Latine. J'ai raté Mandiargues récemment, vais-je rater Benjamin Péret et les Amériques ?Péret dans un hamac, photo Association des amis de Benjamin Péret.jpg Un sort s'acharne sur moi. Qui provient du fait que je n'ai jamais trop su où se situait cette fameuse Maison, ou du moins que je ne voulais pas vraiment la situer... Enfin, je me comprends. J'ai pris l'habitude de ne pas la situer, de penser à son existence évanescente dans une de ces ruelles ténébreuses chères à Jean Ray, qui apparaissent et disparaissent quand ça les arrange.

      Tout ça donc, pour annoncer cette exposition que m'a aimablement signalé M. Gérard Roche qui a l'air très impliqué dans l'Association des amis de Benjamin Péret, dont l'adresse est à Lyon et qui édite un petit bulletin (pas cher, la collection complète des 23 numéros est à 25€), Trois cerises et une sardine, où l'on paraît trouver nombre d'inédits concernant Péret mais aussi d'autres surréalistes.

N°24 de Trois cerises et une sardine2.jpg

      On découvrira donc dans cette expo: "les principaux livres de Benjamin Péret dans leurs premières éditions, des revues surréalistes auxquelles il a collaboré, des manuscrits, des correspondances, des photographies prises au Brésil et pendant son séjour au Mexique, ainsi que des œuvres de ses amis peintres et photographes".Remedios Varo, el cazador de estrellas (l'emprisonneur d'étoiles?).jpg Ses voyages au Mexique (1941-1948) et au Brésil (1929-1931 et 1955-1956) y sont également évoqués. Y parle-t-on de la rencontre Robert Tatin-Benjamin Péret qui permit à ce dernier de rédiger un texte sur Tatin pour le projet d'Almanach de l'Art Brut qu'avaient réalisé conjointement André Breton et Jean Dubuffet? Ce projet ne fut jamais édité et son manuscrit dort encore aujourd'hui dans les archives de la collection de l'art brut à Lausanne (j'ai édité ici une fois un texte de Lise Deharme en provenance de cet "almanach" très spécial). Le texte de Péret sur Tatin (qui avait également voyagé au Brésil) paraît bloqué par les ayant-droit de Péret... A moins qu'il ne soit réservé aux inédits que distille Trois cerises et une sardine ?  

Maison de l'Amérique Latine 217, Boulevard Saint Germain 75007 Paris. 01 49 54 75 00. Attention! Mardi 29 septembre, aujourd'hui donc, a lieu à 18h30 une soirée avec des lectures et des interventions (invités entre autres, Victoria Combalia, Claude Courtot, Gérard Durozoi, Jérôme Duwa), ainsi qu'en deuxième partie la projection du film rare de Michel Zimbacca et Jean-Louis Bédouin, L'Invention du monde, de 1952, dont le commentaire avait été écrit par Benjamin Péret. L'expo dure du 18 septembre au 6 novembre.

26/09/2009

Prédestinants d'Auvergne selon Emmanuel Boussuge

       Aptonymes, c'est la rentrée. Et je pense à la collection de noms prédestinants du Poignard Subtil, à laquelle je joins ma petite récolte.  Prise dans les rues d'Aurillac, la devanture de la blanchisserie Propre, Alain Propre.

Aurillac, Blanchisserie Propre, 08 2009,phEB.JPG
Photos Emmanuel Boussuge, 2009
Aurillac, Blanchisserie Propre, aout 2009,ph EBoussuge.JPG

          Et un cas à valeur historique une armoire spéciale que l'on peut voir au Musée de la Haute-Auvergne à Saint-Flour. Il s'agit d'une des plus vieilles armoires signées connues puisqu'elle date de 1679. Et dans le musée des aptonymes de haute époque, elle se pose là aussi :

         Musée de la Haute-Auvergne - armoire Planche - juillet 2009,phBoussuge.JPG 

       Remarquez ce qui est peut-être le plus intéressant : la façon de faire lettres et chiffres, selon une inspiration très géométrique, dont on ne connaît pas d'équivalent (moi en tout cas) à l'époque et qui fait de notre Planche, charpentier à Ussel en Planèze (à ne pas confondre avec celui de Corrèze), un précurseur des expérimentations typographiques du début du XXe siècle.

     Emmanuel Boussuge 

Musée de la Haute-Auvergne - armoire Planche - juillet 2009.JPG
photos E.B., 2009

24/09/2009

La Vie de l'abbé Fouré, par Noguette (1919)

    Il y a 90 ans cette année, soit donc en 1919, paraissait la première biographie consacrée à l'Ermite de Rothéneuf, l'abbé Adolphe-Julien Fouré, connu pour avoir sculpté non seulement les rochers de la côte, sur le site de la Haie, dans le bourg de Rothéneuf, mais aussi toute une série de statues en bois étonnantes qu'il montrait dans le village même, dans l'enceinte de son Ermitage.

Couverture de la brochure biographique sur l'Ermite de Rothéneuf par Noguette, 1919.jpg

     Pour fêter en quelque sorte cet anniversaire, j'ai décidé de publier ici le texte de cette courte biographie, ce que personne n'a eu l'idée de faire depuis sa première édition. Seuls quelques fragments ont paru en de brefs extraits ici ou là. Elle est due à un écrivain régionaliste breton, spécialiste de la Côte d'Emeraude du début XXe siècle, Eugène Herpin, qui signait du pseudonyme de "Noguette".

L'abbé Fouré assis devant les mousses de Jacques Cartier, carte postale de son vivant.jpg

La Vie de l'Ermite de Rothéneuf

 (L'Abbé Fouré) 

I

          L'abbé Fouré - qu'on appelait l'ermite de Rothéneuf - naquit à Saint-Thual, canton de Tinténiac, le 7 mars 1839 (1). Guillaume, son grand-père paternel, était fermier-­général d'Etienne-Auguste Baude de la Vieuville, marquis de Châteauneuf, guillotiné à l'âge de quatre-­vingt-deux ans, sur la place du Champ-de-Mars, à Rennes, le 4 mai 1793.

         Ce Guillaume avait épousé Françoise Laisné, de Dol, dont le frère François-Henri, entré dans les Ordres, était économe au Séminaire de cette ville à l'époque de la Révolution, et émigra à Jersey, où il mourut le 3 mai 1795.

         Du mariage de Guillaume Fouré, avec Françoise Laisné, naquirent deux enfants, Adolphe et Albert, qui furent élevés par leur oncle.

         Adolphe devint le domestique de Mgr Urbain René de Hercé, dernier évêque de Dol, et passa avec lui en Angleterre, à l'époque des mauvais jours. Son frère Albert le suivit.

         Revenu en France, après deux années d'exil, il se fixa à Saint-Thual. En 1796, il fut nommé maire de cette commune et en devint le bienfaiteur.

         Mgr Urbain de Hercé ayant été nommé grand-aumônier de l'armée catholique et royale, par le pape Pie VI, son fidèle serviteur Adolphe l'accompagna dans la malheureuse expédition de Quiberon, et fut fusillé avec son maître, sur la Garenne, à Vannes, le 29 juillet 1795.

         Un grand-oncle maternel de notre bon ermite, Jean Astruc, de Saint-Solen, était patron de barque. Ce fut lui qui, à la descente de Quiberon, conduisait le bateau où se trouvaient le général de Sombreuil et le comte Bozon de Périgord, son officier d'ordonnance. Une balle frappa Jean Astruc, en plein cœur, au moment où il allait aborder le rivage, et son sang éclaboussa l'uni­forme de ses illustres passagers. On le voit, l'Abbé Fouré avait du sang de chouan dans les veines (2).

         Son enfance, bercée des souvenirs de la Révolution, s'écoula au milieu des landes paisibles de Saint-Thual: c'est là que naquit, dans son âme de paysan breton, le goût de la solitude et de la rêverie. Le recteur de la paroisse, ayant remarqué sa piété, lui enseigna les pre­mières notions de latin. Adolescent, il fut envoyé au Petit-Séminaire de Saint-Méen, d'où il entra au Grand-Séminaire de Rennes. Ordonné prêtre, en 1863, il exerça d'abord son ministère sacerdotal, comme vicaire dans différentes paroisses du diocèse. Alors, il fut nommé recteur de Paimpont.

            De cette période de sa vie, il conserva un inaltérable souvenir. Grand pêcheur, ainsi qu'intrépide chasseur, épris de la vie contemplative, il adorait sa chère pa­roisse, dont le clocher se mire dans l'étang, sur lequel glissent, dans leurs robes de brouillard, les mystérieuses « dames blanches ». Il aimait s'égarer dans les mystères de cette étrange forêt de Brocéliande, où les légendes, dit le folkloriste, sont nombreuses autant que les feuillages. Ce fut, dans le domaine de Merlin l'Enchanteur, de la fée Vivianne et du Val-sans-Retour, dans ce paradis breton des fées, des chevaliers de la Table Ronde, du roi Arthur... que le futur sculpteur de Rothéneuf trouva sa tournure d'esprit et l'inspiration de ses œuvres futures.

         Lorsque l'abbé Fouré était recteur de Paimpont, les forges, aujourd'hui endormies, étaient en pleine activité. Elles étaient la richesse, l'animation et la gloire de la paroisse. Dans le cours de l'année 1866, le bruit se répandit, dans le bourg, qu'elles allaient être fermées. Les princes d'Orléans, retirés à Londres, étaient alors les propriétaires, tant de la forêt que des hauts-four­neaux. A cette nouvelle, le bon recteur partit pour l'An­gleterre. Auprès des princes, il plaida, avec toute son âme, la cause de ses paroissiens et de leurs hauts-four­neaux. Il perdit son procès: la décision était irrévocable. Le cœur désolé, il revint auprès de ses ouailles. Peu de temps, après, il fut nommé recteur de la paroisse de Retiers, et ensuite de celle de Langouet, canton de Hédé.

         Cependant, la vieillesse venait. Le bon recteur était devenu sourd. Puis ce fut une paralysie de la langue. Il fallait songer à la retraite: où aller ? Il demanda conseil au recteur de Rothéneuf. Celui-ci lui décrivit sa paroisse, bornée par la mer et des rochers sauvages. L'abbé Fouré donna sa démission de recteur, et vint à Rothéneuf, où il loua un petit logement. C'était en octobre 1893 (3).

 II

          Désormais, ce ne sera plus la vision de la légendaire Brocéliande, ou de la verdoyante et paisible campagne de Langouet ; ce sera la vision de la mer qui charmera, seule, l'âme rêveuse du vieux prêtre breton.

         Quelle émotion! Quand, pour la première fois, par un de ces prestigieux couchers de soleil, qui sont un des charmes de la Côte d'Emeraude, il contempla I'admi­rable site que domine la pointe de La Haie. Tout près, l'île Bénétin tenant, dans ses tenailles de granit, l'émou­vant squelette d'une goélette naufragée. Plus loin, à gauche, découpant leurs silhouettes aux tons mauves, dans les teintes orangées du couchant, le Grand et le Petit-Chevret. Au premier plan, le Gouffre, dont les roches noires prolongent, jusqu'à la mer, leurs béantes excavations.

         Et, le soir tombant, il remarqua que les rochers, à mesure qu'ils s'estompaient, prenaient des formes étranges. Celui-ci devenait un monstre fabuleux ; cet autre, un reptile fantastique. Dans ses courses, au fond des bois et des chemins creux, il avait fait déjà la même observation, se plaisant à deviner tout un monde mystérieux, dans les silhouettes des arbres et les replis de leurs séculaires racines, se tordant, comme des cou­leuvres, sur le revers des fossés. Profiter des contours du rocher et des sinuosités d'une branche, ou donner le coup de pouce pour faire naître, du granit ou du chêne, l'œuvre ébauchée par la nature : tel fut le système de l'ermite de Rothéneuf.

         Ce fut, pour occuper sa solitude et son désoeuvre­ment, qu'il se mit au travail, fouillant, de son ciseau, le roc et le granit. Jamais il n'avait eu ni leçons ni conseils, et ses instruments étaient rudimentaires.

         Voici les Rochers sculptés. Les sujets se pressent, se tassent, se bousculent. C'est là, aspergé par les embruns et secoué par les vagues, un art primitif, étrange, qui rappelle les grimaçantes silhouettes des gargouilles moyenâgeuses. Dominant le tout, un haut calvaire qui bénit cet étonnant musée de pierre.

         Non loin de ce musée de pierre, signalons tout spécia­lement la fontaine Jacques-Cartier, située au bout du chemin vicinal, à l'endroit appelé « les Bas-Chemins ». A cette fontaine, qui est intarissable, Jacques Cartier, raconte la tradition populaire, fut puiser sa provision d'eau, à la veille de partir, sur la Grande-Hermine, à la découverte du Canada.

         L'ermite aimait se reposer au pied de cette fontaine, dont il sculpta la pierre, avec un attrait tout parti­culier.

         Mais, visitons surtout l'ermitage. Au-dessus du mur crénelé qui lui sert de clôture, émergent des têtes gri­maçantes et naïves, qu'animent des yeux verdâtres, des bouches béantes et des coiffures aux rutilantes couleurs. Elles semblent regarder ironiquement le visiteur. Elles se nomment: Enguerrand de Val, Pia de Kerlamar, Marc de Langrais, Yvonne du Minihic, Perrine des Falaises, Adolphe de la Haye, Cyr de Hindlé, Jeanne de Lavarde, Karl de la Ville-au-Roux, Gilette du Havre et Benoît de la Roche.

L'abbé-Fouré-dvt-son-ermita.jpg

            A l'intérieur, l'établi rudimentaire sur lequel les racines de chêne se transformaient en serpents, en hiboux et en dragons. Sur cet établi, son dernier travail demeure inachevé. Voici son beau portrait, grandeur nature. Voici le banc sur lequel il peignait ses oeuvres, et le fauteuil, orné de devises, sur lequel, tant de fois, il s'est assis pour donner, gracieusement, des milliers et des milliers d'autographes à ses innombrables visiteurs.

         Je ne puis, évidemment, décrire toutes les œuvres de l'ermite, soit rangées dans des galeries, par les soins du propriétaire de ce curieux musée, soit groupées dans le jardin et dans les différentes pièces de la jolie gentil­hommière.

         Signalons, toutefois, M. et Mme de Rothéneuf. Le mari est un marin et sa « payse », avec la coiffe d'autrefois, tient un perroquet que son « homme » lui a rapporté des îles. Egalement, le groupe qui représente les Nations au pied de la Vierge, le Chasseur indien et Ranavalo qui, juchée sur un monstre, traverse une rivière à la nage. Une mention toute spéciale à ces troncs de chêne que le ciseau de l'ermite transforma en Gargantua. Des fleurs nombreuses, des têtes sans fin complètent cette œuvre curieuse dont, à différentes reprises, l'ermite refusa des sommes importantes,

         Oh ! Il n'était pas intéressé, le bon ermite. A l'entrée de son musée, il y avait un tronc. Donnait qui voulait ! Et, si la recette, à la fin de la saison, dépassait, ses modestes besoins, il en donnait le surplus aux pauvres.

         L'ermite avait un curieux album, sur lequel étaient les autographes les plus variés. J'en ai détaché ces deux strophes :

          Ici, l'art, à son tour, embellit la nature,

         A ces différents blocs, le ciseau d'un sculpteur

         Habile a su donner des traits, une figure,

         Voici des cavaliers ; plus loin, un enchanteur.

 

         Dragons ailés, serpents, fantastiques chimères,

         Des monstres effrayants, des êtres fabuleux

         Invoquant, du passé, légendes et mystères,

         Des héros et des saints apparaissent à nos yeux.

         Ayant, pendant vingt années, sculpté le bois et le granit, et, avec son art primitif, fait la fortune de Rothéneuf, l'abbé Fouré - le dernier des ermites de France - mourut pieusement dans sa petite gentil­hommière, au milieu de ses statues de chêne. C'était le 10 février 1910.

         Le 29 juillet suivant, des amis firent apposer sur sa maison une plaque commémorative portant, en lettres d'or, cette inscription :

 "HOMMAGE A L'ABBÉ ADOLPHE FOURÉ

L'Ermite de Rothéneuf

Né à Saint- Thual (I.-et-V.) le 7 mars 1839 (4) 

Décédé, dans cette demeure, le 10 février 1910.

En sculptant, il se fit le bienfaiteur de ce pays."

          Deux jours après la pose de cette pierre, avait lieu la vente aux enchères des curieuses sculptures. M. Galland, propriétaire de la maison, eut l'heureuse idée d'en acheter le plus grand nombre. En sa faveur, notamment, furent adjugées, en bloc, toutes celles qui remplissaient le jardin. Ainsi, l'œuvre de l'abbé Fouré a pu être conservée, et elle attire toujours l'attention du touriste qui ne va pas visiter Rothéneuf, sans aller voir, « le Musée de l'Ermite » (5).

          NOGUETTE

         (Imprimerie Bazin, 1919, Saint-Malo)



1. Cette date ne correspond pas à celle de l'acte de naissance. Voir ci-dessous.

2. On notera que Noguette oublie de nous indiquer clairement qui étaient les parents de l'abbé. L'acte de naissance publié par Frédéric Altmann en 1985 (voir ci-dessous pour les références exactes de son ouvrage) les identifie sous les noms de François Fouéré et Anne Redouté. La graphie "Fouéré" n'apparaît que dans les actes d'état-civil. L'abbé signait les cartes postales représentant ses rochers d'un autographe indiquant "l'abbé Fouré". Je garde personnellement cette graphie conforme aux usages de l'abbé.

3. On a ici la date exacte de l'arrivée de l'abbé à Rothéneuf, et par conséquent la date du début de ses travaux aussi.

4. Cette date ne correspond pas à celle qui est apposée sur l'acte de naissance de l'abbé, à savoir le 4 septembre 1839. Acte qui a été republié dans Frédéric Altmann, L'Ermite de Rothéneuf, le sculpteur des rochers de Rothéneuf, 1839-1910, AM, Nice,1985.

5. Hélas, ce musée a disparu aujourd'hui, sans qu'on sache précisément à quelle date. Les rumeurs parlent d'une destruction intervenue pendant la guerre, période pendant laquelle les populations civiles qui habitaient Rothéneuf furent évacuées. Les seuls objets sculptés qui réapparaissent au gré des expositions en galeries (par exemple à la Galerie de Messine à Paris, ou à la galerie de l'association ABCD à Montreuil) sont des meubles, tabernacle, commode ou bois de lit.  Ce qui paraît logique lorsqu'on sait qu'à la vente aux enchères des biens de l'abbé ce furent surtout des meubles qui partirent de l'ermitage. On acheta utile à cette époque. Les sculptures étaient sans doute soit moquées soit réservées au propriétaire de l'Ermitage qui en racheta effectivement la majorité. Cela causa paradoxalement leur perte, puisqu'elles disparurent avec l'ermitage censé les protéger.

   

22/09/2009

Aux racines de l'Aracine, expo d'art brut à l'INHA

Madeleine Lommel, extrait du fil de Claude et Clovis Prévost.jpg
Madeleine Lommel devant une sculpture d'Auguste Forestier, extrait du film
 de Claude et Clovis Prévost sur l'Aracine
 (merci à Frédérique pour la capture) 

      La dernière exposition d'art brut concoctée avec la collaboration de Madeleine Lommel ouvre ses portes au public à partir du jeudi 24 septembre prochain. Cela se tient dans les locaux flambant neuf de l'INHA (Institut National d'Histoire de l'Art, établissement, ou département paraissant dépendre de la Bibliothèque Nationale) qui se situent dans la galerie Colbert (dans la salle Roberto Longhi exactement) à Paris,INHA, la galerie Colbert.jpg ce passage rejoignant à une de ses extrémités la galerie Vivienne, vous savez, cette galerie si charmante aujourd'hui infiniment plus distinguée et classieuse (trop même) que du temps où Huguette Spengler, artiste excentrique, y tenait une boutique aux vitrines bizarres toujours envahies d'un décor se réclamant d'un climat fantastico-baroque (qui se souvient encore de cette boutique? Et même Huguette Spengler, je ne sais si je ne me trompe pas de nom... Il m'est revenu à l'heure d'écrire ces lignes, fantôme hantant la mémoire de ces passages si parisiens).

Pépé Vignes,1979,coll.Alain Moreau, ph.Bruno Montpied.jpg
Un dessin aux feutres sur Canson et carton (un aéroplane), 1979, coll. Alain Moreau, ph.Bruno Montpied

     "Les Chemins de l'art brut VIII", c'est le titre de cette manifestation hors-les-murs organisée par le musée d'art moderne de Villeneuve-d'Ascq. Elle se veut, semble-t-il, l'occasion de récapituler l'histoire de la collection d'art brut de l'Aracine qui fut longtemps animée, principalement, par Madeleine Lommel, Claire Teller et Michel Nedjar (avec beaucoup d'autres prêtant une aide ou des concours ponctuels et discrets). Un film de Claude et Clovis Prévost devrait être au rendez-vous de l'expo, diffusé sur des postes le long du parcours, faisant témoigner les principaux fondateurs de cette association qui, dotée de faibles moyens, et composée de gens simples, eut cependant le talent de faire entrer sa collection d'art brut dans un musée d'état français en l'espace de seulement vingt ans. Joli tour de force tout de même...

     On sait que cette association, au nom ressemblant à un mot-valise (art-racine, mais aussi simultanément art privé de racines ; peut-être au fond voulait-on parler d'un art avec d'autres racines? Car je crois pour en avoir souvent causé avec elle que c'était plutôt ce sens que défendait Madeleine Lommel), cette association s'est constituée aprés l'exposition des Singuliers de l'art du musée d'art moderne de la Ville de Paris en 1978. Et surtout aussi par suite du départ de la collection d'art brut de Jean Dubuffet pour la Suisse.

Couverture dépliant Les Jardins Barbares, Aunay-sous-Bois, 1982.jpg
Couverture du dépliant édité en photocopie à l'occasion de l'expo de 1982 "Les jardins barbares" ; à noter la coquille sur le nom de la "conceptrice",
Madeleine "Lonné"... épouse fantasmatique sans doute de Raphaël Lonné! 

      La première exposition d'ensemble, "Jardins barbares", eut lieu en 1982 à la Maison de la culture d'Aulnay-sous-Bois dans le 93, où elle fut accompagnée d'une série de projections sur différents créateurs (le mince dépliant qui accompagna l'expo n'a pas gardé trace des documentaires projetés). Je me souviens que Marcel Landreau, dont certains assemblages avaient été prêtés pour l'expo, était présent dans l'auditorium, ainsi que d'autres créateurs de l'art brut. C'était d'ailleurs un des aspects sympathiques des expositions que montait l'Aracine, on pouvait croiser les créateurs qui n'avaient aucune espèce de gloire autre que d'estime au sein d'un cercle restreint de passionnés qui restaient peu nombreux, et discuter avec eux (c'est ainsi que je devins l'ami de certains d'entre eux, comme Gaston Mouly ou Maugri). Il n'y avait pas encore de marché de l'art brut, ni aucune sacralisation.

Hélène Reimann,1893-1987, crayons de couleur sur papier, 21x29 cm, coll. l'Aracine.jpg    Voici les noms de ceux dont on devrait retrouver les travaux au cours de cette exposition:

Aloïse Corbaz, Benjamin Bonjour, Paul Engrand, Auguste Forestier, Georgine Hu, Aimable Jayet, Jules Leclercq, Raphaël Lonné, Dwight Mackintosh, Jean Pous, Guillaume Pujolle, Émile Ratier, Hélène Reimann, André Robillard, Scottie Wilson, Louise Tournay, Pépé Vignes, Josué Virgili, Théo Wiesen, Carlo Zinelli... Certes, des personnages déjà bien connus du petit monde des amateurs d'art brut, souvent exposés par le passé noamment dans le cadre des expos initiées par l'Aracine, mais qui trouvent en cette occasion une éclatante reconnaissance de la part de l'establishment artistique français. On ne peut en effet s'empêcher de constater le contraste qui s'établit entre l'écrin  luxueux de la galerie Colbert et les Peaux d'Anes (ou d'Ours) de l'art brut. Il y a de la revanche dans l'air.

Théo Wiesen,Les Chemins de l'art brut 2 à Villeneuve-d'Ascq, 2002.jpg
Théo Wiesen, exposition "Les chemins de l'art brut 2",
 Musée d'art moderne de Villeneuve-d'Ascq, 2002

 

En lien avec l'exposition, le colloque Une avant-garde en moins ? se tiendra à l'Institut national d'histoire de l'art les lundi 7 et mardi 8 décembre 2009. Ce colloque se propose entre autres questions de débattre de la question de l'intégration de la notion d'art brut à l'histoire de l'art et à l'histoire du goût. La place de l'art brut dans l'art moderne. Suggérons aux organisateurs de ce colloque de se pencher plus généralement sur les relations qui existent entre le corpus des arts populaires dans leur ensemble et celui de l'art moderne.

INSTITUT NATIONAL D'HISTOIRE DE L'ART
GALERIE COLBERT, SALLE ROBERTO LONGHI
6 RUE DES PETITS CHAMPS, 75002 PARIS
WWW.INHA.FR

LES 7 ET 8 DÉCEMBRE, DE 9 H À 10 H 30 ET DE 14 H 30 À 18 H

ENTRÉE LIBRE SUR INSCRIPTION
T. : +33 (0)1 47 03 89 00 / 86 04


  

18/09/2009

Un monde modeste, film sur Arte

     Le dimanche 27 septembre à 23h25 sur Arte, sera diffusé le documentaire de Stéphane Sinde, écrit avec Bernard Tournois, réalisé cette année, "Un monde modeste" (52 min).

Guy brunet, affiche peinte du film Un monde modeste.jpg
Affiche du film réalisée par Guy Brunet

      Consacré essentiellement à l'art modeste - ce concept voulu indélimité et forgé par Hervé Di Rosa, traitant d'un champ de l'art particulièrement vivant et souvent poétique, grosso modo l'art populaire manufacturé, le monde des collectionneurs de bibelots, objets et images publicitaires, le kitsch, etc. - ce film permet d'apercevoir (vite, car l'esthétique du film a fort à voir avec le clip) Guy Brunet dans son décor,La façade de l'immeuble où habite Guy Brunet, catalogue d'expo de l'Espace Antonin Artaud à Rodez, 2008.jpg Joseph Donadello,Joseph Donadello,Rio-Grande, photo Bruno Montpied, 2008.jpg Bernard Belluc et ses installations compulsives, Alfredo Vilchis, l'habitant-paysagiste populaire Yves Floch, "l'Organugamme" de Danielle Jacqui, ainsi que divers médiateurs, Hervé Di Rosa, Bernard Stiegler, et Pascal Saumade (récent commissaire de l'exposition "Kitsch-Catch",Affiche expo kitsch-catch, MIAM de Sète, 2009.jpg qui après une première installation à Lille, s'est déplacée ensuite début 2009 au Musée International des Arts Modestes à Sète, musée dont on voit quelques images fugitives dans le film).Enrique et Gerardo Velez, catcheurs en papier mâché peint à la main, catalogue Kitsch-Catch 2008.jpg

Yves Floch,portrait par Remy Ricordeau, 2008.jpg
Yves Floch au milieu de ses compositions, machines, bidules, personnages en matériaux recyclés et assemblés (Normandie), photo Remy Ricordeau, 2008

      Ce film, que nous avons vu en projection pour la presse (le P.S. ne recule devant rien pour satisfaire ses lecteurs), disons-le tout de suite, ne sert peut-être pas bien la cause de l'art dit modeste. Et encore moins celle des créateurs populaires qu'il nous laisse par bribes superficielles entrapercevoir. Le montage rapide, amusant au début, cherchant à créer l'illusion de la modernité (qui est aujourd'hui assimilée dans une large frange du cinéma documentaire à la vitesse, à l'épate par l'étourdissement, plutôt qu'au temps laissé à la réflexion), devient vite agaçant. Certains créateurs semblent même présentés pour amuser la galerie (Guy Brunet est montré en train de faire un film à partir de ses silhouettes naïves, faisant parler des effigies de cartons comme des marionnettes, le public rigole de tant de naïveté...). On amalgame les plus inspirés (Brunet, Donadello, Floch, Vilchis, Belluc) avec des histrions a priori légèrement hystériques et incohérents (Michel "El coyote" Giroud).

Alfredo Vilchis,ex-voto mexicain.jpg
Ex-voto d'Alfredo Vilchis (expo à la galerie Frédéric Moisan, 2009), photo extraite du livre de Pierre Schwartz sur les ex-voto paru au Seuil (voir le lien ci-dessus)

     De temps à autre des fragments surnagent. Le philosophe Bernard Stiegler (qui sort un livre chez Galilée ces temps-ci) insiste sur l'esprit de résistance à la pensée unique qui se manifeste chez les créateurs autodidactes, ainsi que sur la collectionnite qui caractériserait les travaux et autres objets réunis dans l'art modeste. Un artiste péruvien parle de cette nouvelle forme d'art qu'il pratique - et qui pourrait s'appliquer aussi à l'entreprise de Bernard Belluc - "le collage-archivage". Mais son interview, là comme ailleurs, passe à la vitesse du TGV, on a à peine le temps de le remarquer encore moins de s'en souvenir... Di Rosa, pourtant à l'origine le fondateur du concept d'art modeste, est à peine interrogé. Pascal Saumade, excellent dénicheur de talents populaires contemporains (ex-votos mexicains, imagerie du catch, affiches et portraits naïfs de Guy Brunet, posters faits main pour la publicité de films ghanéens de série Z), fait des apparitions fantomatiques.

Vitrine du MIAM à Sète, figurines collection de Bernard Belluc.jpg
Une vitrine du MIAM apparemment due à Bernard Belluc, figurines de jeu

     Le film  n'est qu'un tourbillon de couleurs et de fragments de phrases qui laisse l'amateur de ces formes d'art profondément sur sa faim. Pourtant le concept d'art modeste mériterait mieux, une collection de petits films (posés) sur chacun de ses domaines. On pourrait pousser plus loin l'interrogation à propos de ses diverses sous-catégories. L'art brut est-il un sous-ensemble de l'art modeste? Le terme de "modeste" n'est-il pas dépréciatif pour des Donadello, des Floch, des Guy Brunet, des Alfred Vilchis? Danielle Jacqui à un moment du film a le mérite d'avoir repéré le bât qui blesse, elle le clame avec netteté: "Je ne suis pas modeste, je fais l'Organugamme"... Jacqui pas modeste, ça, on peut dire qu'elle parle d'or. Il est du reste passablement paradoxal que le Musée des Arts modestes lui ait précisément proposé à elle d'exposer son projet en cours, le Colossal d'Art Brut, initialement projeté pour décorer la façade de la gare d'Aubagne (voir son blog en cliquant sur le lien à son nom).

Danielle Jacqui, détail de sa façade décorée au Pont de l'Etoile (Provence), photo Geneviève Berg, communiquée par J-P. Paraggio, 2009.JPG
Danielle Jacqui, détail de sa maison décorée au Pont de l'Etoile à Roquevaire-en-Provence, photo Geneviève Berg, 2009

      On aurait pu, surtout, laisser parler les créateurs populaires, et laisser de côté les spécialistes de la pensée, si intéressants soient-ils. Mais  peut-être veut-on voir le populo  sous un oripeau décidément trop modeste?

17/09/2009

Journées du patrimoine au Jardin de Nous Deux (anciennement Charles Billy)

    Oyez, oyez, amateurs d'environnements d'autodidactes. Pour les journées du patrimoine qui auront lieu le week-end prochain, ceux qui ne sont pas très loin de la vallée de l'Azergues, dans le Rhône, pourront si le coeur leur en dit, aller découvrir, ou redécouvrir un environnement qui est généralement fermé au public, le Jardin de Nous Deux de feux Charles et Pauline Billy, à Civrieux d'Azergues, chemin du Mazard. J'en ai déjà parlé sur ce blog, mais voici quelques images qui aideront le lecteur curieux à se faire une idée du site.

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Maquettes de monuments divers, temple thaï à gauche, ph. Bruno Montpied, 1990
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Au premier plan, arche d'hommage aux classes en 5 et 0 (derniers chiffres des dates de naissance des époux Billy en l'occurrence), référence étant faite à la fête de la "vague" à Villefranche, ph.BM, 1990

      En effet le propriétaire actuel qui a conservé le décor de Charles Billy, ce qui est tout à son honneur et un exemple rare à souligner dans l'histoire de la postérité des sites créés par des autodidactes, ouvre le jardin au public le dimanche 20 septembre. La visite est gratuite. Elle aura lieu à 10h et à 15h, le rendez-vous étant pris auparavant place de la mairie. Mais ATTENTION! Le nombre de places est fort limité (sans doute parce que les dimensions du jardin n'autorisent pas de grandes foules...). On ne dépassera pas les 15 personnes. Il faut en outre s'inscrire à l'avance à la mairie, et ce avant le 18 septembre prochain avant 18h, hâtez-vous donc, il ne reste que deux jours... Tél: 04 78 43 04 17, et fax: 04 78 43 15 06. A vous l'espace d'un instant, châteaux finlandais ou "de Piédanleau", mosquée, moulin guadeloupéen, parthénon, hommage aux classes de Villefranche, temple thaï, tour de Sidi Bousaïd, monument au Beaujolais et autres décors de pierres dorées, harmonieux et excentrique collage architectural cernant un pavillon d'ancien ouvrier des frères Lumière.

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Château finlandais et tour du Beaujolais, ph. BM, 1988

13/09/2009

Réédition du "Paris insolite" de Jean-Paul Clébert, avec les photos de Patrice Molinard

RENCONTRE

Le vendredi 25 septembre à 18h

Pour fêter la réédition du livre (enrichi en 1954 des photographies de Patrice Molinard)

 de

 Jean-Paul Clébert

Paris insolite

Aux éditions Attila

Paris-Insolite-couv09.jpg

En présence des éditeurs ainsi que d'Olivier Bailly

Auteur de Monsieur Bob

(sur Robert Giraud) aux éditions Stock

A LA LIBRAIRIE PAGE 189, qui est comme de juste au 189, rue du Faubourg Saint-Antoine, Paris XIe...

 

  

11/09/2009

Chomo, l'art pré-ludien sort de sa forêt

     Le mardi 10 septembre s'est ouverte l'exposition Chomo à la Halle Saint-Pierre (en même temps qu'une exposition Marie Morel), prévue pour durer... jusqu'au 7 mars 2010! Les expos de la Halle battent toujours les records de longévité.

Expo Chomo à la Halle Saint-Pierre,2009-2010.jpg

     Chomo, on n'en entendait plus parler depuis belle lurette. Lorsque j'ai découvert l'art brut au début des années 1980 (oui, c'est l'heure des souvenirs de Papy Bruno), j'ai commencé par lui. Je suis allé frapper sur le gong-couvercle de poubelle qui lui signalait l'arrivée de visiteurs, les bras dûment chargés de bouteilles de Porto, ce breuvage étant l'analogue avec lui des verroteries que les voyageurs occidentaux échangeaient avec les "sauvages" dans les contrées exotiques de l'autre bout de la terre. Et c'est vrai qu'arriver jusqu'à lui, après le franchissement d'une zone intermédiaire semée de pancartes en langage phonétique,Inscription de Chomo, L'art c'est concrétiser des rêve.jpg ça donnait, au moins la première fois, un peu les chocottes. Alors que l'homme était en réalité plutôt du genre urbain, à la fois courtois et provocateur.

Portrait de Chomo, photographe non identifié.jpg

      Ses oeuvres étaient le pur produit d'une attitude expérimentatrice que j'ai toujours respectée, même si tout ce qu'il produisait n'était pas forcément de même qualité. J'avais admiré, conservés dans un abri couvert, surtout ses Bois Brûlés que j'espère voir à la Halle (je n'ai pas encore vu l'expo, le vernissage c'est le mardi 15), sortes de totems de bois carbonisé par places qu'André Breton, selon les propres dires de Chomo, aurait admirés au début des années 60, dans la galerie Jean Camion où Chomo exposa de façon éphémère avant d'aller se cacher au fond des bois en ermite vitupérateur.

Chomo,Bébé d'orage, ph.Halle Saint-Pierre.jpg
Chomo, bébé d'orage, photo site de la Halle Saint-Pierre

       Chomo, c'était un artiste, et non pas un créateur de l'art brut. Il avait une culture artistique affirmée, même si elle était personnelle. On n'a jamais trop cherché à la mettre en lumière. Mais l'entretien que je fis avec lui, assez décousu, me permet encore aujourd'hui de me dire qu'il parlait  d'égal à égal à ses interlocuteurs instruits comme lui de l'histoire des avant-gardes et des novations en art. On sait notamment qu'il fréquenta un autre amateur de jargons et de poésie signiste nommé Altagor (le bulletin éphémère Zon'Art qui entra en contact avec Marc Vernier, le fils d'Altagor, a publié la correspondance Chomo-Altagor, voir le lien ci-dessus). Le mot "signiste" fut employé, histoire de ne pas indisposer le mouvement lettriste qui leur était parfaitement contemporain.  J'ai montré aussi un jour (dans  Gazogène n° 7-8 en 1993, et suite à la réaction ulcérée d'un disciple absolu de Chomo, Jean-Pierre Nadau, dans le Bulletin de l'Association des amis de François Ozenda n°52 ou sous forme de tract, je ne sais plus, voir ci-dessous...) qu'il y avait de troublantes ressemblances entre les graphologies de Dubuffet et de Chomo. Tous deux en réalité partageaient probablement le même engouement pour les tentations d'après-guerre en direction de la création de nouvelles formes de langage qui seraient débarrassées de l'intellectualisme, mot que proférait sans cesse Chomo du reste.

Bruno Montpied,Réponse à un connaisseur,1994.jpg
Bruno Montpied, Réponse à un connaisseur, tract, 1994

        Il se voyait précurseur, un peu situationniste sans le savoir clairement, d'une société où le jeu régnerait en maître contre l'accumulation des richesses concentrées entre les mains d'une caste (il fait du reste une fugitive apparition dans un film de William Klein sur mai 68, apparition un peu ringarde et réactionnaire...) Exposer Chomo loin de sa forêt dans un espace culturel, alors qu'il est avant tout connu, et limité à cela bien souvent à tort, pour son "village d'art pré-ludien", c'est une bonne idée. On découvrira alors peut-être qu'il était au fond un grand artiste moderne, défenseur d'un art total fondu avec la vie quotidienne, qui eut besoin du grand écart loin de la société de son époque parce qu'elle ne pouvait lui permettre de s'exprimer et de vivre comme il l'entendait. Précurseur de plusieurs autres créateurs de l'art singulier qui vinrent après lui, et cousin conceptuel (un grand mot en ce qui les concerne) de tant de créateurs populaires d'environnements spontanés, type facteur Cheval et autres Picassiette.

Portrait de chomo, extrait d'Outsider environments Europe.jpg
Portrait de Chomo, photo extraite du blog d'Henk Van Es, Outsider environnements Europe,  photographe inconnu

     Il faut annoncer qu'à l'occasion de cette exposition une émission de radio lui sera consacrée, dans "Songs of praise", lundi 14 septembre à 19h15, sur Aligre FM (93.1 Mhz). Son animateur, Cyril ("Cosmo Helectra") devrait recevoir l'un des deux commissaires de l'exposition, Laurent Danchin, ainsi que le photographe et cinéaste Clovis Prévost, qui projettera son film sur Chomo, fait avec Chomo, "le Débarquement spirituel" dans le cadre de l'exposition de la Halle. Divers documents sonores devraient être diffusés dont des expériences de création musicale de Chomo - musique et poésie étaient presque synonymes pour lui - et des fragments d'entretien, dont certains seront des extraits de l'interview et repiquage de poèmes lus à voix haute que j'avais réalisés en 1982, fragments que j'ai prêtés pour les besoins de l'émission. Sera également présent un grand ingénieur du son en la personne de Michel Geiss qui aida à de nombreuses reprises Chomo. 

Expo_Altagor-Chomo, affichette dans Zon'Art.jpg
Affichette republiée dans le bulletin Zon'Art (n°9, 2003), voir leur site ; "Estivals" étant sans doute Robert Estivals, une connaissance, me semble-t-il, des Situationnistes

A signaler enfin du 10 au 30 septembre, parallèlement, une exposition d'Adam Nidzgorski dans l'espace "Galerie" de la Halle. Pour une "iconologie de l'être humain", paraît-il... On connaît le goût de Nidzgorski pour le dépouillement des représentations humaines, avec ses personnages dessinés avec une simplification qui va presque jusqu'à l'os. Un art souvent pathétique.

08/09/2009

Nouvelle expo à la Galerie Christian Berst (ObjetTrouvé perdu...)

     Exposition de rentrée à la galerie nouvellement rebaptisée "Galerie Christian Berst", ex-Galerie Objet Trouvé, avec quelques créateurs nouveaux au bataillon, mais pas toujours nouveaux en terme de concepts d'oeuvres. J'en prends pour preuve Raimundo Camilo, ce patient brésilien qui côtoya paraît-il Arthur Bispo de Rosario dans l'hôpital où il avait été admis consécutivement à des troubles de la personnalité après que son patron l'eut traité comme un chien et qui se mit à créer ses propres billets de banque (ce qui entre parenthèses pourrait se transformer en vraie monnaie si la spéculation se met de la partie). Raimundo Camilo, billet de banque, Galerie Christian Berst.jpg

      Des billets de banque réinventés, ça me rappelle un autre cas connu dans le petit monde de l'art brut, qui avait été exposé dans les anciens locaux de l'Aracine à Neuilly-sur-Marne, celui de Georgine Hu qui "payait" ses médecins du côté de Fleury-les-Aubrais dans le Loiret avec des billets de banque. On peut également penser à Emile Josome Hodinos, ancien graveur en médailles, qui s'ingéniait à dessiner des pièces de monnaie de son invention.

Yuri Titov, Galerie Christian Berst.jpg
Yuri Titov, Galerie Christian Berst

      La galerie exposera Yuri Titov, Sylvia Katuszewski (qui n'est donc plus ici Sylvia K. Reyftmann?), Leonhard Fink, Eric Benetto, Patrick Heidsieck, Chris Hipkiss, en plus donc de Camilo. J'avoue avoir un petit faible pour Yuri Titov. De même que pour un certain dessin de Leonhard Fink, visible sur le site de la galerie, qui m'enchante particulièrement. Ce "premier Autrichien dans le cosmos", daté de 2008, est à ranger à côté des cosmonautes de Robillard, tout aussi immédiats.

Leonhard Fink,1er Autrichien dans l'univers, Galerie Christian Berst.jpg
Leonhard Fink, Le premier autrichien dans l'univers, graphite et craie grasse sur papier, 29,6x20,9 cm, 2008, Galerie Christian Berst
    Sur Yuri Titov, il n'est pas inutile de rappeler que l'on a pu le découvrir - notamment? - à travers le documentaire de Kamil Tchalaev, Yuri Titov ccccc 555, projeté dans le cadre des manifestations organisées par l'association niçoise Hors-Champ de Pierre-Jean Würst (voir la notice sur ce film dans le Petit Dictionnaire Hors-Champ de l'Art Brut au Cinéma dont j'ai déjà parlé sur ce blog le 13 décembre 2008 ). 
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L'exposition "Une rentrée Hors-les-Normes" se tiendra à la galerie du 11 septembre au 17 octobre 2009. Pour les renseignements pratiques, se reporter au lien figurant au début de cette note ("Galerie Christian Berst").

06/09/2009

On sait pas ce qu'on voit

     J'entends encore ma mère jeter à la cantonade: "On sait pas ce qu'on voit!" dès que l'image ou le spectacle était trop étrange, pas assez univoque pour elle et ses goûts au ras des pâquerettes.

La tache balayée.jpg

     Que voyez-vous dans l'image ci-dessus? (Que ceux qui connaissent son origine et sa signification veuillent bien se retenir, SVP!) Il me semble que l'on a affaire ici à une image à première vue fort étrange. C'est cette première vue que j'aimerais que mes lecteurs expriment ici, et non pas le produit de l'inévitable raisonnement qui vient dans un second temps.

05/09/2009

Les arbres aussi jettent des passerelles

    Mon éminent camarade Sasha Vlad, depuis l'autre côté de l'océan (il vit en Californie), sans doute inspiré par nos messages qui circulent sous les mers le long des câbles tendus par les hommes sur le sable des océans, me signale un phénomène tout à fait captivant, celui des ponts que les racines des arbres à caoutchouc de Cherrapunji (nord-est de l'Inde ) jettent par-dessus certaine rivière de ces belles régions moites, histoire d'aller voir ce qui se passe de l'autre côté (en tout cas, pas pour constater que l'herbe y est plus verte, car c'est assez évident sous ces latitudes). Il paraît que cette région est l'une des plus humides du monde, ceci expliquant cela.

Pont-de-racines-3.jpg
Photo Atlas obscura

     Les arbres (des Ficus elastica, variété de figuiers aux racines aériennes, comme il est dit sur le blog anglophone Living root bridges (1) que m'a indiqué Sasha) font des ponts, n'hésitant pas à se projeter d'une rive à l'autre, incroyable n'est-ce pas, et follement poétique, je trouve. Alors bien sûr, les habitants du coin (la tribu des Khasis) leur donnent un petit coup de pouce, mettant des dalles de pierre entre leurs tiges arachnéennes de façon à pouvoir marcher plus commodément sur ces passerelles. Ils guident aussi les racines en leur adjoignant, si j'ai bien compris le texte inséré sur le blog cité ci-dessus (et dans ce domaine, la traduction de langue étrangère, en l'occurrence de l'anglais, je ne suis jamais complètement prémuni contre une crise de délire d'interprétation...), des troncs d'aréquiers (arbre qui permet de produire du bétel) qui empêcheraient les racines de se déployer... Ces ponts peuvent atteindre jusqu'à une centaine de mètres de long, ce qui est tout à fait conséquent. Ils mettent entre entre dix et quinze années pour franchir une rivière. Et certains, en se renforçant continuellement, atteignent l'âge respectable de cinq cents années.

Pont de racines 2.jpg
Photo Atlas obscura

      Mon blog amateur de passerelles en tous genres ne pouvait que se faire l'écho de ces ponts jetés sur l'abîme d'une nature décidément imaginative.

(1) En réalité, l'information sur ces ponts de racines, répercutée par le blog Living root bridges, provient d'un autre blog, plus vaste, Atlas obscura, blog consacré à la compilation des sites merveilleux, curieux ou ésotériques du monde .

02/09/2009

Petit théâtre de sculpture improvisée

     Fin d'inspection aux Puces de Vanves durant ce cher mois d'août parisien dépeuplé. Pas de bousculade, quel plaisir... J'arrive au bout du dernier trottoir point complètement exploré, et je me dis que je ne trouverai rien comme souvent. Et puis, comme voulant malignement déjouer ce pessimiste pronostic, je m'avise d'une boîte vitrée contenant quelques petites sculptures placées sur le fond d'un collage de deux fragments de photos dont l'une est décolorée, tirant sur le bleuâtre. A côté, s'étalent des outils de dinandier ou de chaudronnier (à ce que me précisera mon camarade Philippe Lalane, qui explorait de concert avec moi ce matin-là). Ce sont ces outils que le marchand espère vendre, semble-t-il. Les petites statuettes ne paraissent guère soulever son estime. Il pense que ce ne fut qu'un passe-temps éphémère de la part de son auteur. J'avoue ne pas comprendre très bien le peu de cas fait de ces oeuvrettes qui m'ont séduit moi en revanche immédiatement. Mais comme il va me faire un prix fort raisonnable, j'oublie rapidement mon étonnement...

Anonyme,Ensemble de 6 sculptures en bois, XXe siècle, photo Bruno Montpied, 2009.jpg
Sculptures populaires anonymes, XXe siècle, photo Bruno Montpied, 2009

     J'emporte la boîte, ôte prestement la vilaine photo d'arrière-plan une fois rentré à mon domicile. Je note au passage que les photos, collés sur la paroi vitrée renvoient à deux fragments de calendrier évoquant en légendes les villes de Rochefort-en-Terre (dans le Morbihan) et de Collioure (Pyrénées-Orientales), images toutes deux dues au photographe Jacques Verroust, connu pour son livre avec Jacques Lacarrière sur les Inspirés du bord des routes... Ces photos ne paraissent là que pour constituer un arrière-plan médiévisant aux statuettes montrant des personnages du monde rural. Seule exception à cette thématique ruralisante, se distingue cependant une statue de femme africaine nue, à genoux, la poitrine généreusement proéminente et le fessier bombé.

    Anonyme, une statue africaine, dos nu, XXe siècle, art populaire,ph. Bruno Montpied, 2009.jpg    Anonyme, femme africaine, de face, statuette art populaire, ph. Bruno Montpied, 2009.jpg

Photo BM, 2009

     Il y a six petites statues, un homme qui joue du marteau, paraissant être un forgeron (je retrouverai un second marteau sur le bois qui sert de plancher, avec des ornements ovales tracés au crayon pour suggérer un dallage quelconque ; et je le raccrocherai à la main restée libre).Anonyme, un forgeron, stauette d'art populaire XXe siècle, ph. Bruno Montpied, 2009.jpg A ses pieds, une enclume où l'on n'aperçoit aucun outil à forger... L'homme n'est pas fixé. Ce qui n'est pas le cas de la saynète des deux causeurs assis, sculptés dans des couleurs différentes. On les a munis d'une pointe par-dessous qui les retient au sol.

Anonyme,Deux causeurs assis, art populaire XXe siècle, ph. Bruno Montpied.jpg 

    Les causeurs, photo BM, 2009

     En plus de la femme africaine agenouillée, on découvre aussi un bûcheron, au faciés passablement proche du squelettique. La Mort bûcheronnant?

Anonyme,un bûcheron, art populaire XXe siècle, ph.Bruno Montpied, 2009.jpg
     Qui pourrait me donner plus de renseignements factuels sur l'auteur de ces figurines tout en rondeurs et en crânes, pour l'heur inconnu ?      
            

29/08/2009

Rives du dessin

L'univers du dessin et de la création, expo à Rives (38).jpg

     L'association Oeil'Art qu'animent les époux Faravel, Jean-Louis plus organisateur et Marie-Jeanne plus créatrice (assez proche en style de Claudine Goux je trouve), monte une nouvelle exposition en Isère, "L'univers du dessin et de la création", à Rives, tout prés de Grenoble, du 6 au 14 septembre prochain.

Bruno Montpied,Où l'on perd la tête,2005, photo Bruno Montpied.jpg
Bruno Montpied, Où l'on perd la tête, 25x30 cm, 2005

 

     Il faudra s'organiser pour ne pas manquer ces dates point trop nombreuses à dire vrai. D'autant que nous sommes plusieurs à y exposer. J'ai déposé chez Oeil'Art une douzaine d'oeuvres, je ne sais combien ont été retenues, mais si l'envie vous vient d'y aller voir, vous pourrez toujours demander à voir l'ensemble en vous adressant aux organisateurs, sinon présents physiquement au moins accessibles par mail à l'adresse suivante où l'on peut retrouver un diaporama des oeuvres en question. Pour tenter d'amorcer votre intérêt, voir les deux oeuvres ci-dessus ci-dessous.

Bruno Montpied, La maison de Baba-Yaga,2005, ph.Bruno Montpied.jpg
Bruno Montpied, La maison de Baba Yaga, 25x30 cm, 2005

    Bon, je ne plaide pas que pour mon nombril cela dit. Dans cette exposition plus axée sur le dessin, on retrouvera aussi, pour ne citer que ce que je préfère, Ruzena, Marie-Jeanne Faravel, Martha Grünenwaldt,Martha Grünenwaldt,collection Faravel, ph.Bruno Montpied, 2009.jpg Joël Lorand (oui, il est partout), Alexis Lippstreu, Claudine Goux, Adam Nidzgorski,Adam Nidzgorski, 2006,site L'Art tout simplement (Faravel).jpg Jean Branciard (dont j'ai déjà parlé ici, ainsi que dans  la revue Création Franche), Yvonne Robert, Eric Gougelin, Gilles Manero, Christelle Hawkaluk (qui a un nom esquimau on dirait)... Pour la liste complète, se reporter au carton de l'exposition que j'ai mis en ligne au début de cette note.

Jean Branciard,Le renardo, photo Bruno Montpied, 2008.jpg
Jean Branciard, Le renardo, Photo Bruno Montpied, 2008
Ruzena,dessin sans titre,ph.Bruno Montpied, 2008.jpg
Ruzena, dessin sans titre, photo BM, 2008
Gilles Manero,Lycanthropie gouloukienne,2006, ph.Bruno Montpied.jpg
Gilles Manero, Lycanthropie gouloukienne, modification sur image trouvée, 2006
Yvonne-Robert,Fedo et Irma...,2008, ph.Bruno Montpied.jpg
Yvonne Robert, Fedo et Irma ont bien travaillé ils partent ce matin, 24x32 cm, 2008, coll. privée, Paris, ph. BM
    Bon... Et si on finissait cette note sur une suggestion? "L'art tout simplement", comme les Faravel ont intitulé leur site internet, ça fait un peu trop simple justement. Elle rend imparfaitement compte du fait que les Faravel rassemblent là finalement assez peu d'artistes contemporains au sens professionnel du terme, mais plutôt des autodidactes pour la plupart amateurs d'une expression directe (il y a parmi eux une bonne proportion de créateurs venus du monde du handicap mental). Ils ont demandé qu'on leur fasse des propositions d'étiquette. J'en ai une, qui fait certes très "histoire de l'art" et comme telle répudiable par les puristes de l'art singulier je m'en doute bien, mais qui a simultanément aussi pour elle de correspondre assez précisément à ce que recherchent les animateurs d'Oeil'Art: de la figuration primitiviste

 

 

26/08/2009

Passage Dieu

    Petit ajout à la balade dans le XXe arrondissement que j'ai mise en ligne il y a quelques jours. En recherchant la rue des Vignoles, je suis tombé sur un passage Dieu dont je ne me souvenais plus. Sans doute parce que la rue Dieu, dans le Xe, prés du Canal Saint-Martin, l'avait éclipsé. Placer deux fois le nom de Dieu sur des voies parisiennes faisant décidément un peu too much (d'autant que Satan de son côté n'a droit qu'à une pauvre impasse, comme par hasard, probablement par souci de le limiter, dans le XXe aussi).

C.-Coupé.jpg
"C.Coupé, tapissier"... Passage Dieu, XXe ardt, photo Bruno Montpied, 2009

    Ce passage s'est révélé riche d'une inscription en nom prédestinant, comme on peut le voir ci-dessus. Et riche aussi, un peu plus loin, de la collision cocasse entre sa plaque de rue et un avis de chantier placé en contrebas...

Passage-Dieu.jpg
Passage Dieu, port du casque obligatoire... ph. BM, 2009

23/08/2009

Gilles Manero veut-il du mal aux sciapodes?

    Gilles Manero a une curieuse vision des sciapodes. Il m'en a envoyé trois, à base d'aquarelle, de collage, de détournement.

    Voici dans l'ordre chronologique le premier:

Gilles-Manero,-Sciapodicus,.jpg

Gilles Manero, Sciapodicus, 2008   

    Puis le second:

Gilles-Manero,-sciapode-du-.jpg
Gilles Manero, [Sciapode du genre écorché], 2008

    Enfin le troisième:

Gilles-Manero,-Le-sciapode-.jpg
Gilles Manero, Le Sciapode au Poignard subtil, 2008
     Mais enfin, qu'est-ce que les sciapodes lui ont fait pour qu'il se les représente ainsi, cadavériques, écorchés ou tout bonnement squelettiques, et inquiétants qu'ils sont, adossés à leur poignard ouvert? 

22/08/2009

Les librairies préférées du sciapode

    Cela fait un certain temps que j'ai envie de lister les librairies parisiennes où je tombe presque automatiquement sur des livres faits pour moi. Une bonne librairie, c'est en fait cela avant tout, celle qui a pensé à vous mettre sous le nez le livre qui vous était destiné. C'est ce que tout le monde appelle une "bonne librairie" sans souligner la plupart du temps qu'il ne s'agit que d'un choix très subjectif, à la limite de l'égocentrisme. Mais si cela peut recouper les marottes, les chemins de traverse, les inclinations personnelles d'autres internautes lecteurs de ce blog, je n'aurai pas tenté ce rassemblement subjectif en vain. Et du coup, peut-être ce "subjectif" commencera de se transformer en valeur objective...

Tschann.jpg

 

    Première à laquelle je pense, la librairie Tschann sur le boulevard du Montparnasse, dans le XIVe ardt, peu après le carrefour Vavin. Cela ne varie pas en ce qui me concerne, je trouve depuis au moins trente ans toujours mes livres là-bas. Leurs goûts évoluent avec les miens. Notamment les beaux livres sur l'art. Ils ont une politique de libraire personnelle, ils trient les ouvrages qui méritent davantage que d'autres d'être portés à la connaissance de leurs clients. Contrairement à tant de leurs confrères qui se contentent d'être des comptoirs de diffusion des cent mêmes titres imposés par les diffuseurs dans la plupart des boutiques de France et de Navarre. 

Librairie l'Ecume des pages.jpg     L'Ecume des pages arrive sûrement en deuxième dans mes préférées. C'est la librairie qui reste ouverte tard (minuit en semaine), restant accessible aussi le dimanche (Boulevard Saint-Germain, à Saint-Germain-des-Prés, à côté du Flore). Elle avait changé il y a quelque temps la disposition de ses rayons et étalages et l'on y a trouvé moins d'ouvrages hors des sentiers battus durant quelque temps. Cependant, la direction du lieu après une réadaptation semble-t-il a repris sa marche en avant du côté d'une certaine exigence. Elle reste bien instruite des livres à découvrir, pas nécessairement médiatiques. De l'extérieur, il ne faut pas craindre de franchir le seuil malgré les présentoirs à cartes postales qui font croire à une boutique pour touristes...

Librairie Libralire.jpg
Vitrine de la librairie à l'époque où les enfants de ma BCD y avaient exposé des "lettrines iconophores" concoctées avec mézigue (une lettrine est illustrée par des images d'objets dont le nom commence par cette lettre, comme c'était l'usage dans les anciens dictionnaires type Larousse), ph. Bruno Montpied, 2008

    Libralire n'évite pas toujours le piège des livres identiques à ceux qu'on trouve dans les librairies type comptoirs de diffusion, mais en raison de la sympathie que nous inspirent ses libraires - notamment l'ineffable Fabrice - je cite sans coup férir cette adresse. Nous regrettons, disons-le au passage, le départ de Nelly qui était une excellente connaisseuse de la littérature jeunesse. La librairie se trouve presque au croisement de la rue Jean-Pierre Timbaud et de la rue Saint-Maur dans le XIe ardt.

 Librairie L'humeurvagabonde.jpg    L'humeur vagabonde est une excellente librairie de quartier dans le XVIIIe ardt. En dépit de sa petite surface, on trouve souvent les livres curieux que l'on recherche triés par des professionnels au sein de l'abondante production livresque. On sent un certain penchant des libraires pour les sujets radicaux dans cette librairie. La librairie jeunesse qu'ils ont installée de l'autre côté de la rue (du Poteau) est loin d'égaler sa qualité, cela dit, lorgnant semble-t-il beaucoup trop du côté d'une certaine mièvrerie de la littérature pour enfants. Pour la trouver, descendre depuis la mairie du 18e ardt en direction de la Porte Montmartre la rue du Poteau, c'est après la partie de la rue plus spécifiquement dévolue aux commerces alimentaires.

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La librairie de la Halle Saint-Pierre, rue Ronsard, 18e ardt

 

    La librairie de la Halle St-Pierre reste le lieu incontournable en matière de documentation sur les arts spontanés, unique en son genre à Paris, étant donné la variété et la multiplicité des ouvrages proposés. Ses animations dans le petit auditorium en sous-sol prolongent utilement cette offre d'informations. Leur activité s'inscrivant comme on sait, qui plus est, dans un programme d'expositions très souvent liées à la thématique des arts populaires, imaginistes ou insolites. Le lieu, agrémenté d'une caféteria où il fait bon rêvasser en sirotant quelque boisson, est ouvert sept jours sur sept, et c'est à Montmartre...

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Intérieur de la librairie Un regard moderne, ph.Bruno Montpied, juillet 2007

    Un Regard moderne, située rue Gît-le-Coeur dans le 6e ardt, est une échoppe incroyablement bourrée du sol au plafond d'une littérature excentrique allant de l'art graphique underground à l'art brut et environs (rayon prés de la porte d'entrée, au ras du sol, un des rares accessibles sans avoir à demander auparavant au gérant ce que l'on est venu chercher - personnellement, je n'entre jamais dans une librairie en sachant ce que je cherche, je suis comme Picasso, je trouve...), en passant par l'érotisme, avec de nombreux titres sur le sado-masochisme, le surréalisme (littérature et arts plastiques), les situationnistes, le rock'n roll et la culture qui s'y rattache, etc... Un petit espace d'exposition le flanque sur la droite plutôt ouvert aux graphistes tendance Dernier Cri et consorts. 

Anima.jpg    Anima, ça se trouve avenue Ravignan, vous savez, l'avenue de Montmartre où s'élevait le Bateau-Lavoir de Picasso et autres. C'est une petite librairie tenue par une passionnée que garde un (une?) sympathique bull-dog. On y trouve surtout des ouvrages de poésie exigeante, de sciences humaines, des ouvrages féministes ; mais aussi de la littérature générale, et des revues littéraires rares, comme l'excellent Bathyscaphe édité au Québec par Benoît Chaput et Antoine Peuchmaurd. Je n'y trouve pas toujours mon bonheur, mais c'est plutôt pour goûter aux charmes de discussions aux fils labyrinthiques et légèrement foutraques, improbables, avec la gérante des lieux, que j'aime à y entrer de loin en loin.  

     Val'heur, je ne cite cette librairie-là, située dans le 9e ardt rue Rodier prés du lycée Jacques Decour, que parce qu'on est sûr d'y trouver les publications du Collège de Pataphysique. [Cependant depuis quelque temps, la librairie ne s'occupe plus des ouvrages pataphysiques édités après 2007... Mise à jour, février 2010]

     La librairie du musée du Louvre, c'est bien pratique, et cela rend inutiles les voyages coûteux et mangeurs de temps précieux vers les expositions régionales et européennes... Les catalogues étant si bien faits aujourd'hui, si richement illustrés, parfois davantage iconographiés que dans l'expo elle-même, qu'ils dispensent d'aller voir l'exposition à laquelle ils se rapportent. En plus, on peut les garder chez soi, eux.

     La librairie Henri Veyrier aux Puces de Saint-Ouen, c'est un bouquiniste énorme question surface, et question choix. On y trouve de tout, côté beaux livres d'art ou littérature générale, littérature jeunesse, dictionnaires, bandes dessinées... Pour les fauchés, adresse idéale.

      Vendredi, une bonne librairie dans la rue des Martyrs, prés du croisement avec le boulevard de Clichy. Chez eux, ou elles plutôt, j'ai toujours l'impression que les livres à découvrir sont avant tout dans la vitrine qui concentre ce qu'il y a de plus intéressant dans le choix du moment. Là aussi, un regard complice trie en amont les livres qui sont faits pour les lecteurs qui partagent cette communauté d'esprit. 

      Joseph Gibert, boulevard Saint-Michel, à ne pas confondre avec Gibert Jeune plus bas, place Saint-André-des-Arts, est toujours la grosse librairie de Paris où l'on peut trouver des ouvrages d'occasion signalés par des bouts d'adhésifs noirs ou rouges en fonction des réductions. Le choix est vaste, il faut chercher, ça dure longtemps, les libraires changeant souvent l'ordonnancement des rayons, les différents étages, ça bouge tout le temps (et c'est assez casse-pieds...). 

Librairie Palabres M.Zinsou,ph.Gérard Lavalette, blog paris faubourg.jpg      Palabres, petite librairie d'occasion rue de Nemours dans le 11e ardt (signalée par Joël Gayraud). Elle est tenue par M. Zinsou, communicatif, sympathique, qui a de la littérature de voyage,  des livres rares sur toutes sortes de sujets, l'Afrique notamment, mais aussi la Commune de Paris, la révolution, Paris, l'art (un peu)...

(A suivre?) 

19/08/2009

Naïve aventure

NAÏVE DEVANTURE

 

               Quand on quitte la station de métro Maraîchers par la sortie donnant sur la rue des Pyrénées, on rencontre aussitôt une ruelle transversale dénommée rue du Volga. Son nom masculinisé de façon insolite, son étroitesse, qui contraste avec l'idée d'immensité qu'on se fait d'un tel fleuve, et surtout le pont du chemin de fer de ceinture qui arrondit sa voûte au-dessus d'elle une centaine de mètres plus loin, agissent comme autant d'irrésistibles appâts qui aimantent les pas du promeneur et l'incitent à s'y engager.

Une des plaques de la rue du Volga, Paris,20e ardt, ph. Bruno Montpied.jpg

               Il longe alors sur le trottoir - ou, devrais-je dire, la rive gauche - quelques ateliers transformés en isbas, dont les jolies façades de bois le font rager d'autant plus fort contre les promoteurs coupables d'avoir bâti juste en face une de ces casemates de béton bouygo-stalinien qui défigurent, tel un lupus hideux, le visage des villes. Mais alors que le promeneur croyait son chemin tout tracé jusqu'à la voûte du chemin de fer, il est arrêté par le débouché de la rue des Grands-Champs qui, à la manière d'un indolent affluent, se jette dans le Volga par la rive droite; et là, comme l'âne de Buridan, notre homme hésite sur le parti à prendre.Rue du Volga et débouché de la rue des Grands Champs, Paris, 2Oe ardt, ph. Bruno Montpied, 2009.jpg Les grands champs évoquent en lui tout à la fois la clé des champs et les grandes largeurs, deux pôles inscrits depuis longtemps sur le cryptogramme de sa sensibilité. Mais la voûte l'attire, comme tout ce qui lui rappelle les arcades, ces reconstructions urbaines de la caverne primitive où prend son élan la poussée utopique de l'humanité. Or justement, en ce soir de mai, ce n'est pas d'un abri qu'il a besoin, ni de la nostalgie des origines, mais de la liberté des grands champs, ce qui le décide finalement à s'y vouer. Par un détail qui ne manque pas d'avoir infléchi ce choix, la rue ne présente pas de perspective au regard, mais amorce un virage à quelques encablures; et nul n'ignore que le flâneur est toujours avide de découvrir ce qu'il y a après le virage.

107 rue des Grands Champs, salon de Coiffure Chez virginie, ph. Bruno Montpied, août 2009.jpg
Salon de coiffure au 107,rue des Grands champs, "Chez Virginie", ph. Bruno Montpied, août 2009

               Et de fait, le flâneur, qui n'éprouvait qu'un vague espoir de trouvaille, n'a pas été déçu dans son attente sans objet : au rez-de-chaussée du numéro 107 de la rue des Grands-Champs, juste après le virage, s'ouvre la vitrine d'un salon de coiffure, ornée sur les murs qui en constituent la devanture de fresques murales représentant une énorme paire de ciseaux, une sirène alanguie (1) et d'autres figures naïvement peinturlurées. Au-dessus de la porte une plaque de pierre où s'inscrit l'expression latine TEMPUS FUGIT nous rappelle notre condition de mortel,Salon de Coiffure Chez Virginie, le Tempus fugit et la paire de ciseaux, ph.Bruno Montpied, 2009.jpg reliant sans doute, dans l'esprit de la tenancière des lieux, une nommée Virginie, s'il en faut croire l'enseigne, le thème de la fuite du temps à celui de la chute irrésistible des cheveux, l'universelle et inexorable calvitie que seuls des soins appropriés prodigués par une main experte, et l'on espère très caressante, sont capables de retarder.

 Joël Gayraud

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(1). Note du Poignard Subtil:  à l'époque où fut faite la photo du salon de coiffure en question, à savoir seulement quelques semaines après que ce texte ait été rédigé, la "sirène" s'était visiblement transformée en clown... Ou faut-il croire à quelque hallucination de la part de l'auteur de ce texte? D'autre part, à nos yeux, il ne s'agit pas là d'un décor proprement "naïf" mais plutôt d'un exemple de ce que le peintre Di Rosa appelle de l'Art modeste, à mi-chemin entre la décoration des camions et les fresques de graffeurs.

 

Enseigne du Salon de Coiffure chez Virginie avec une grenouille, ph.Bruno Montpied, 2009.jpg
Enseigne de la boutique de Chez Virginie avec une curieuse grenouille brandissant des ciseaux... Photo B. M., 2009

 

16/08/2009

De l'art brut en Mayenne?

    Gustave Cahoreau, Patrick Chapelière, Céneré Hubert, Alain Lacoste, Joël Lorand, Robert Tatin sont les créateurs invités, certain post mortem (Tatin), par la médiathèque de Villaines-la-Juhel en Mayenne... Et, non, ils ne sont pas si vilains en passant par la Juhel... On y a eu l'excellente idée, loin des cénacles et des clubs de professionnels de la diffusion des fausses valeurs contemporaines de nous y proposer des créateurs vraiment inspirés et peu en vue durant toute la durée du mois de septembre.

Affiche autour de l'art brut à Villaines-la-Juhel, septembre 2009.jpg
Affiche de l'exposition communiquée par Michel Leroux (avec une reproduction d'une oeuvre d'Alain Lacoste)
 
 
    C'est en septembre, dès le 4, jour de vernissage, que vous pourrez en apprendre davantage sur cette ronde de Mayennais "autour de l'art brut". La sélection - qui ne compte véritablement que deux ou trois créateurs qu'on pourrait associer à l'art brut, Gustave Cahoreau,Gustave Cahoreau,dessin sans titre,crayons de couleur, coll.Jean-Louis Cerisier, ph.Bruno Montpied.jpg Céneré Hubert et Patrick Chapelière (nouveau venu recommandé par Joël Lorand au musée de la Création Franche) - la sélection ne voulant pas utiliser le terme d'art singulier, peut-être trop galvaudé ces temps-ci, s'est rabattu sur le terme "d'art brut", pourtant lui aussi accommodé à toutes les sauces, mais plus tapageur... Faute de mieux, je trouve qu'on aurait tout de même pu garder "singuliers". Le mot indiquant que nous avons affaire à des créateurs marginaux vis-àvis de l'art contemporain (des semi-professionnels exposant sporadiquement - exception faite de Joël Lorand! ), n'aimant guère se lier à des marchands uniques, et réfractaires aux esthétiques transmises dans les grandes écoles. L'influence d'un certain primitivisme autodidacte est évidemment primordiale en l'espèce. Alain Lacoste fait figure, avec les lithographies de Tatin que prête Michel Leroux (plusieurs oeuvres viennent de ses collections), de grand ancêtre des Singuliers du reste. Il était présent par exemple à l'exposition Les Indomptés de l'Art  qui s'était tenue à Besançon en 1986, dans le sillage de l'exposition parisienne les Singuliers de l'Art en 1978. Une très belle oeuvre de lui a été choisie pour l'affiche de cette exposition.
Patrick Chapelière, dessin,Coll. Michel Leroux.jpg
Patrick Chapelière, dessin sans titre, sans techniques communiqués, date? Coll. Michel Leroux
 
 
     Les organisateurs de l'exposition cependant, en montant cette exposition au projet initialement modeste (inciter les lecteurs de la médiathèque de Villaines à s'intéresser à de nouveaux domaines de l'art), sans le savoir, en remontrent à ceux qui ailleurs en Mayenne auraient dû voir depuis longtemps plus grand dans le domaine de la pépinière d'art mayennaise. Toutes nos félicitations à cette médiathèque "perdue" dans la campagne, il va sans dire... 
   Autour de Laval, patrie du douanier Rousseau, d'Henri Trouillard et de Jules Lefranc, peintre naïfs tous les trois et, pour le dernier en outre, donateur d'une collection importante d'art naïf qui fut le socle de celle qui est conservée au musée du Vieux Château (où elle végète scandaleusement), il existe en effet une incroyable nébuleuse de peintres et créateurs indépendants, figuratifs insolites ou singuliers, certains n'abandonnant pas la référence au réel rétinien, tandis que d'autres, à l'instar de ceux qui sont précisément exposés à Villaines-la-Juhel, s'en affranchissent plus ou moins radicalement. On peut citer les cas de Jacques Reumeau, de Jean-Louis Cerisier, Serge Paillard (dont j'ai déjà parlé ici),  de Sylvie Blanchard (dont on n'a plus de nouvelles), ou encore d'Antoine Rigal. Il serait particulièrement vain de vouloir en effet distinguer d'une façon bêtement hiérarchisée les créateurs dits "naïfs" des créateurs plus proches de l'art dit "brut". Tous participent d'un même désir de réenchantement du monde.
Cénéré Hubert,Sans titre, peinture sur contreplaqué, coll. privée, Paris, ph.Bruno Montpied.jpg
Céneré Hubert, peinture sans titre, coll. privée, Paris, ph.B. M. ; sur ce créateur, qui fut aussi un "inspiré des bords des routes", et dont, après sa disparition, plusieurs oeuvres ont été sauvées et mises à l'abri par Michel Leroux, on lira avec fruit l'article que Jean-Louis Cerisier lui a consacré en 1998 dans le n°57 de la revue 303 (titre de son article: "Mondes insolites et travaux artistiques: la Mayenne à l'oeuvre", voir reproduction d'une page de cet article ci-dessous)
Illustrations d'oeuvres de Céneré Hubert extraites de la revue 303, n°57.jpg
Page n°59 de la revue 303, article de Jean-Louis Cerisier contenant plusieurs images de peintures naïvo-brutes et des fragments du décor de son jardin à Saint-Ouen-des-Toits par Cénéré Hubert
 
    Le grand rassemblement de ces peintres singuliers et marginaux, de cette "Ecole lavalloise de figuration poétique" comme je l'ai appelée dans une courte note que j'avais fait paraître dans un numéro ancien de la revue 303 (n°XLIX, 1996 ; l'article portait sur une exposition de Jean-Louis Cerisier à Laval), viendra bien un jour, et  il faudra bien que cela se fasse à Laval, cela serait logique...
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Sur Céneré Hubert, que je m'entête à considérer comme un très grand créateur naïvo-brut, malheureusement trop peu connu, et pour cause de disparition avant que sa notoriété ait eu le temps de s'établir, il existe aussi un article de Michel Leroux, par ailleurs sauveur de plusieurs de ses oeuvres, "Céneré Hubert forgeron de ses rêves, Saint-Ouen des Toits (Mayenne) 1910-2001", paru dans la revue Création Franche n°26, septembre 2006. Il faut souhaiter qu'il puisse un jour rendre  à nouveau public l'accès à cette oeuvre infiniment charmante. 

13/08/2009

Léon Evangélaire et le Tarzan auquel on n'a pas pensé

    J'ai visité pour des raisons professionnelles, et donc sans m'y intéresser plus que ça, l'exposition Tarzan au musée du quai Branly (où ce qui m'a le plus charmé, c'est l'allée sinueuse où l'on aurait bien glissé sur une luge à roulettes avec les moutards, avec Johnny Weismüller projeté sur nos faces hilares au passage).

Tarzan!.jpg

Expo Tarzan! du 16 juin au 27 septembre 2009

 

     Et je me suis dit, que c'était en définitive regrettable que les orgnisateurs de l'expo n'aient pas connaissance d'un très beau Tarzan en ciment polychrome qui se tient toujours sous le ciel nuageux à l'ombre des terrils, là-bas vers le Pas-de-Calais, à Pont-en-Vendin, sur le minuscule lopin de terre qui s'étend devant la petite maison d'un ancien employé au chemin de fer des Houillères, au milieu d'animaux n'ayant pas toujours quelque chose à voir avec les vrais protagonistes des aventures africaines de Tarzan. Chez le bien nommé Léon Evangélaire, que nous a fait découvrir Francis David dans son Guide de l'art insolite Nord/Pas-de-Calais en 1984.

Léon Evangélaire,Jane,Tarzan,et autres animaux en ciment, photo Bruno Montpied, 2008.jpg
Léon Evangélaire: Jane, Tarzan, Cheeta, flamant rose, poule, perroquets, caniche, écureuil et serpent... Photo Bruno Montpied, 2008

     J'ai tenté de rectifier le tir en l'imprimant sur une photocopie couleur que j'ai montrée aux petits visiteurs de l'expo que j'avais emmenés avec moi ce jour-là. Une goutte d'eau dans l'océan d'ignorance qui affecte les inspirés du bord des routes. Alors, je continue ici même, en me disant que nos gentils commissaires d'exposition vont parfois surfer sur le net de temps en temps eux aussi...

Léon Evangélaire, Tarzan seul,photoBruno Montpied, juin09.jpg
Tarzan en juin 2009, ph.B M

09/08/2009

Haïti et vaudou au Musée du Montparnasse

    "Le dernier voyage d'André Malraux en Haïti ou la découverte de l'art vaudou", tel est le titre de l'exposition qui s'est ouverte le 19 juin dernier au Musée du Montparnasse, et qui est prévue pour durer jusqu'au 19 novembre prochain.

Exposition André Malraux et l'art vaudou haïtien, Musée du Montparnasse, été et automne 2009.jpg

     Je ne suis personnellement pas très attiré par les gesticulations et les manières de génie qui se la joue profond de l'ancien ministre de la culture André Malraux, mais c'est l'occasion ici de voir quelques oeuvres d'art haïtiennes, certaines bien sûr en provenance de la communauté de Saint-Soleil (communauté dissoute en 1978) qu'alla plus particulièrement visiter Malraux en 1975.

 

        Louisiane Saint-Fleurant,Dessalines, expo André Malraux en Haïti, musée du Montparnasse, photo Bruno Montpied, 2009.jpg              Louisiane Saint-Fleurant,ph Raymond Arnaud.jpg
A gauche, Louisiane Saint-Fleurant, Dessalines, 2005, coll. Monnin, Haïti (exposé au Musée du Montparnasse) ; à droite portrait de Louisiane Saint-Fleurant par Raymond Arnaud (extrait du catalogue de l'expo au Musée d'Aquitaine en 2007, Peintures haïtiennes d'inspiration vaudou)

      A côté des artistes de Saint-Soleil (j'aime bien Louisiane Saint-Fleurant en particulier), qui sont souvent difficiles à distinguer les uns des autres, comme si un moule avait été édicté d'où toutes les oeuvres découleraient, à côté de ces créateurs - souvent vite classés du côté de l'art brut en raison de leurs formes enfantines à la Chaissac - on trouve ici une petite surprise sous la forme de deux tableaux d'un certain Edouard Duval-Carré (au nom prédestinant semble-t-il, car les deux tableaux sont de format...carré justement).

Edouard Duval-Carré,Hector et son mentor, la rencontre d'André Breton et d'Hector Hyppolite en Haïti, 1992, expo Malraux en Haïti, le Musée du Montparnasse, ph.Bruno Montpied, 2009.jpg
Edouard Duval-Carré, Hector et son mentor, la rencontre d'André Breton et d'Hector Hyppolite en Haïti (1946), 1992, coll. Afrique en Créations, Cultures France, Paris (exposé au Musée du Montparnasse)
 

       Il a représenté la rencontre d'André Breton et d'Hector Hyppolite, l'un des tout premiers peintres primitifs haïtiens (on sait que le phénomène s'est développé en Haïti au tournant des années 1940, essentiellement grâce à l'impulsion que donna à la peinture la fondation à Port-au-Prince d'un Centre d'Art fondé par le professeur américain Dewitt Peters, centre qui était à la fois une école et un lieu d'exposition), rencontre qui eut lieu lors des conférences que donna Breton en Haïti en décembre 1945, conférences qui s'accompagnèrent alors de journées révolutionnaires appelées les "Cinq Glorieuses".

Messagers de la tempête,Michael Löwy et Gérald Bloncourt, éd. Le Temps des Cerises, 2007.jpg
Dans cet ouvrage, les auteurs, dont l'un, Gérard Bloncourt, est un des acteurs de la tentative révolutionnaire haïtienne de 1946 (qui aboutit tout de même au départ, au "déchouquage", disent les Haïtiens, du dictateur Lescot), évoquent le souvenir des "Cinq Glorieuses" ; le livre est toujours disponible aux éditions Le Temps des Cerises (le petit "e" de "cerises" permet aussi de lire le mot "crises"...)

         Les deux hommes sur le tableau se tiennent de façon quelque peu hiératique, Hector Hyppolite, qui était un prêtre vaudou, un houngan, semblant être perçu par le peintre comme un intermédiaire reliant Breton par le contact de branches d'arbres avec la terre qu'il touche de son bras gauche transformé en tronc. C'est assurément là une image peu connue concernant les deux personnages. On sait que Breton acheta une douzaine d'oeuvres à Hector Hyppolite et qu'il projeta de le présenter dans l'Almanach de l'Art brut, projet de Dubuffet qui finit malheureusement par capoter.

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Edouard Duval-Carré, La triste fin de Jacques-Stephen Alexis, 1992, coll. Afrique en Créations, Cultures France, Paris (exposé au Musée du Montparnasse)

      Un second tableau représente pour sa part l'assassinat du leader révolutionnaire, ami de Gérald Bloncourt déjà cité, et écrivain important (il a écrit un roman que d'aucuns recommandent chaudement, Compère Général Soleil), Jacques-Stephen Alexis, dans les années 60 par les sbires du dictateur Duvallier. Au-dessus du corps d'Alexis , on semble reconnaître un "Baron Samedi", personnage funèbre qui dans le panthéon vaudou symbolise la Mort (souvent accompagné par "la Grande Brigitte"), avec ses attributs, le chapeau noir, les lunettes noires, le complet veston... Mais la Mort squelettique, d'aspect très mexicain, est ici aussi présente.

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Bruno Montpied, Lorsque le Baron Samedi paraît, 24X32 cm, 2003

     A côté de cette découverte des peintures de Duval-Carré, on reste intrigué également par les peintures d'un peintre récemment apparu (déjà signalé dans l'exposition "Peintures haïtiennes d'inspiration vaudou" qui s'était tenue au Musée d'Aquitaine à Brodeaux en 2007),Peintures haïtiennes d'inspiration vaudou, éd. Le Festin, 2007.jpg Franz Zéphirin (né en 1963), à l'imagination fertile, amateur de sirènes -personnages importants dans le panthéon vaudou, à la fois féminins et masculins - et pratiquant un dessin et une peinture qui nécessitent un travail conséquent, voir en particulier la grande toile de 2008, présente dans l'exposition, Le destin cosmologique d'Haïti.

Franz Zéphirin, Le Destin Cosmologique d'Haïti, 2008, expo Musée du Montparnasse.jpg
Franz Zéphirin, coll. Monnin, Haïti, exposé au musée du Montparnasse
Franz Zéphirin,détail central du Destin Cosmologique d'Haïti.jpg
Détail central de la toile précédente, M. et Mme Sirène...
 
 
    Ajoutons pour finir que la visite de l'exposition s'effectue dans un cadre fort agréable, car le musée est niché au milieu de la verdure qui colonise une ancienne cour ceinte d'ateliers où était, je crois, installée une cantine pour les artistes de la grande époque de Montparnasse. Au fond de cette cour tout en longueur, on peut également visiter l'espace Frans Krajcberg consacré à cet artiste néo-réaliste d'origine polonaise, à la vie aventureuse extraordinaire, devenu écologiste, qui récupérait des troncs d'arbres morts dans la forêt amazonienne pour les rehausser de pigments naturels trouvés dans la nature eux aussi, les oeuvres obtenues étant de toute beauté. Voir ci-dessous.
Frans Krajcberg, Musée du Montparnasse, photo Bruno Montpied, 2009.jpg
Une oeuvre de Frans Krajcberg, Musée du Montparnasse