09/02/2018
Une naïveté toute en rousseur : A. Dumas (?)
"A. Dumas", une signature en rouge tracée en grosses lettres au bas de deux tableaux récemment dénichés aux Puces, le "A" correspondant peut-être à "Alice", d'après ce que me confia le marchand qui exhibait ces peintures sur le trottoir, car l'auteur étant, paraît-il, une femme... Les informations étaient chiches à son sujet, il s'agirait d'une peintresse inconnue, trouvée par un médecin qui aurait ramené quelques toiles à Nice, où le marchand vendant aux Puces les aurait à son tour choisies... Au moment de sa découverte par ce médecin, elle vivait dans une maison de repos à plusieurs dizaines de kilomètres de Paris. A quelle époque? Probablement pas plus loin que le dernier siècle... Comme on le voit, et comme à l'habitude avec nos amis les brocs', il est bien dur d'avoir une traçabilité bien cernée...
A. Dumas, sans titre (deux visiteurs d'un moulin dans les bois, celui qui s'en vient, celui qui s'en va ; celui qui s'en vient a le sourire, celui qui s'en va fait une grimace : le prix de la farine lui a-t-il vidé la bourse?), sans date, 90x106 cm, huile sur toile, photo et coll. Bruno Montpied.
Ce paysage me plaît énormément. Il ne faut évidemment pas se contenter de le juger d'après votre écran, la photo ne rendant que malaisément de son charme physique. Il y a un effet de matière, aux teintes rousses, rouges, brunes, jaunes, teintes automnales comme perpétuelles qui est envoûtant. Et plus je vis à côté d'elle, plus l'envoûtement grandit. L'esprit se fait progressivement aspirer dans ce paysage sylvestre aux arbres étranges. Se dressent ici, parmi ces corolles piquetant harmonieusement la composition (procédé habile d'autodidacte pour remplir le tableau d'une manière foisonnante), des bouleaux apparemment, tenant par de simples traînées blanchâtres aux dessins incertains, aux limites de l'anthropomorphisation... Et ces deux hommes aux têtes disproportionnées, aussi grosses que les roues de leurs carrioles (qui sont pour leur part passablement minuscules), que leurs expressions paraissent opposer... comme ils retiennent et interrogent nos regards, sur ces deux routes qui dessinent un V, ou le sommet d'une fourche, V que l'on retrouve en écho dans l'écartement des ailes du moulin, ailes comme désolidarisées du toit de ce moulin par ailleurs...
A. Dumas, sans titre, sans date, 81x100 cm (un jardin aperçu dans l'axe d'une charmille, avec cinq personnages - deux femmes et trois hommes - qui paraissent s'échanger des propos, ou des plantes (un homme tenant un panier semble-t-il), devant des parterres de fleurs visible sen arrière-plan ; photo et coll. B.M.
Dans ce tableau aussi, on retrouve la même gamme chromatique tournant autour d'une prédilection de l'autrice pour les teintes jaunes, rouges, oranges et brunes d'une saison figée par la magie d'une préférence. Il y a à l'évidence chez notre artiste un goût marqué pour les fleurs, l'abondance des couleurs de la nature, le foisonnement de la fertilité, apparent à la fois dans le jardin aux fleurs rouges de l'arrière-plan, et dans les ramures surchargées de grappes fleuries qui encadrent harmonieusement ce ballet de rencontres entre des personnages venus pour une récolte, semble-t-il, si l'on considère les brouettes placées à la base de chaque arbre, le tablier de la deuxième femme qui paraît concernée par le panier que lui tend l'homme devant elle, ou cet autre homme qui se penche à gauche pour cueillir des fleurs... Il y a peut-être là un moment de pur bonheur, un souvenir d'autrefois tel que voulut le revivre peut-être, au fond de sa maison de retraite, cette Mme Dumas, inconnue des radars de l'histoire de l'art, y compris naïf¹, au soir de sa vie, nostalgique peut-être, et ayant trouvé le moyen de revenir dans le passé à volonté par la magie de sa peinture.
C'est l'occasion de répéter une fois de plus le plaisir que l'on peut goûter au spectacle d'une œuvre dite "naïve" (figuration poétique... Réalisme intellectuel...), contrairement à ce qu'affirmait Dubuffet, dans le but d'imposer son Art Brut. On n'a pas forcément affaire à un artiste ne se résumant qu'à une recherche de réalisme à l'académisme plus moins raté. Il y a chez les meilleurs naïfs, qu'ils soient frustes ou raffinés, une délicatesse de vision qui restitue la sensibilité immédiate des auteurs, une sensibilité brochée sur une perception enchantée – du fait de dispositions particulières pour voir le côté poétique des choses, des situations, des relations entre les gens, des paysages... Le résultat de leurs œuvres est d'autant plus fort que ces artistes, qui se sont faits eux-mêmes, ont choisi de perpétuer la représentation extérieure du monde en y mêlant l'écho de leur perception intérieure de ce même monde.
M'est avis que dans un proche avenir, l'art naïf merveilleux (car je n'ai pas en tête l'art naïf commercial du genre cul-cul) pourrait bien faire retour auprès des amateurs d'art autodidacte, par lassitude devant les recherches répétitives d'un certain art brut par trop déconnecté de la figuration, ou par trop ésotériques.
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¹ J'ai consulté ma documentation, demandé autour de moi, et nous n'avons pour l'instant rien trouvé sur cette "A. Dumas" (ou Alice Dumas, le prénom "Alice" ayant été suggéré par le marchand, ce qui reste toutefois très incertain...). Si des lecteurs reconnaissaient l'œuvre et la dame, qu'ils n'hésitent pas à se manifester...
Mise à jour : cependant, si l'on veut bien sauter quelques mois sur ce blog, et se reporter à une nouvelle note, celle du 26 juin 2019, on verra que le hasard nous a finalement permis d'identifier cette artiste...
00:07 Publié dans Anonymes et inconnus de l'art, Art immédiat, Art naïf | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : a. dumas, art naïf, art naïf féminin, art immédiat, bruno montpied, trouvailles de puces, meuniers, alice dumas, art brut, retour de l'art naïf | Imprimer
18/11/2017
Gaston Teuscher, deux petites oeuvres d'art brut classique à vendre
Je remets le couvert avec la boutique du Poignard. Puisque j'ai des petits camarades qui veulent déballer le contenu de leurs malles aux trésors bruts... Voici donc deux petits dessins sur taches diverses du Suisse Gaston Teuscher, bien connu des lecteurs des fascicules de l'Art Brut (voir le n° 10 de 1977 qui contenait une notice sur Teuscher écrite par Michel Thévoz). Comme précédemment, si ces œuvres vous intéressent pour les acheter (le prix est légèrement en dessous de la cote pratiquée), veuillez me contacter en privé (voir dans la colonne de droite "Me contacter").
Gaston Teuscher, sans titre, encre sur papier fin, 11 x 16,5 cm.
Gaston Teuscher, sans titre, encre, crayon de couleur et collage sur papier (peut-être de paquet de cigarettes ; le verso est doré), 19 x 8 cm.
Verso du dessin précédent, papier doré.
17:22 Publié dans Art Brut, Art immédiat | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : gaston teuscher, art brut, michel thévoz, fascicules de l'art brut, art brut à vendre | Imprimer
02/11/2017
"Le Gazouillis des éléphants", premier inventaire des environnements populaires spontanés en France, par Bruno Montpied, paraît aujourd'hui
Trente-cinq ans que je le méditais cet inventaire... Longtemps, je me suis dit que je n'y arriverais jamais. Et puis un soir... A la Maison de Victor Hugo, j'ai fait une rencontre, j'ai fait connaissance avec le responsable des éditions du Sandre, Guillaume Zorgbibe, qui accompagnait un vieux camarade à moi, Joël Gayraud. Guillaume éditait alors la revue de Marco Martella, Jardins, qui cessa malheureusement après six numéros. Martella m'avait invité à publier un article pour son n°2. Par la suite j'en fis un autre dans le n°5. Bref, les Editions du Sandre, c'était donc déjà mon éditeur... Je le signalai en souriant à l'ami Guillaume. Il me semble qu'il m'a regardé avec curiosité, mais peut-être mon souvenir enjolive, mythifie ce qui s'est réellement passé ce soir-là. Ce fut le début de notre collaboration plus étroite autour d'un projet qui m'était cher depuis longtemps, faire l'inventaire des environnements spontanés français...
Après Eloge des jardins anarchiques en 2011...
Andrée Acézat, oublier le passé, en 2015...
Marcel Vinsard, l'homme aux mille modèles, en 2016...
Voici donc :
Le Gazouillis des éléphants, tentative d'inventaire général des environnements spontanés et chimériques créés en France par des autodidactes populaires, bruts, naïfs, etc., éditions du Sandre, novembre 2017.
Ce projet d'inventaire des environnements populaires spontanés français (= "inspirés des bords de routes", "habitants-paysagistes", "bâtisseurs de l'imaginaire"...) me trottait dans la tête depuis des décennies. Chaque fois que je commençais à accélérer dans l'idée de le finaliser en m'y mettant sérieusement, un livre sortait sur la question, parcellaire, toujours insuffisant à mon avis (par exemple le Bonjour aux promeneurs d'Olivier Thiébaut chez Alternatives en 1996), ou mixé de façon peu judicieuse (mais commerciale!) avec des sujets insolites plats (par exemple Le Guide de la France insolite de Claude Arz chez Hachette en 1990, où le sujet était mêlé à l'évocation de lieux hantés, de trésors cachés, de musées de l'épicerie, de la sorcellerie de bazar...).
Le Gazouillis présent à l'étalage du stand de la Halle St-Pierre à la dernière Outsider Art Fair, du 19 au 22 octobre dernier, où il fit une apparition temporaire en avant-première... pour une dédicace.
Le Gazouillis ouvert sur une notice consacrée à Denise Chalvet en Lozère. Ph. B.M.
En rassemblant tous les sites recensés dans les différents ouvrages d'un certain volume traitant de la question, il me semblait toujours qu'on ne dépassait pas la centaine de créateurs environ, tout compris, dispersés qui plus est sur plusieurs ouvrages distincts publiés à des années de distance. En outre, les découvertes se renouvelaient fort lentement (je ne veux pas jeter la pierre à Claude et Clovis Prévost, mais au fil des années, ils ne nous ont parlé que des mêmes 15 créateurs, dont certains, comme Chomo, Tatin ou Garcet étaient plutôt des artistes singuliers et marginaux que des créateurs totalement hors système des Beaux-arts). Dans Eloge des Jardins anarchiques, moi-même, je n'évoquais qu'une cinquantaine de sites (dont plusieurs avec une seule photo).
Couverture de Jardins n°5, 2014 ; avec un texte de Bruno Montpied sur la Mare au Poivre d'Alexis Le Breton (Morbihan)
Alexis Le Breton, dans son arboretum de La Mare au Poivre, Locqueltas, ph. Bruno Montpied, 2010.
Ainsi, si l'on voulait se faire une idée de l'ensemble des sites qui avaient existé, existaient encore, ou étaient en train d'apparaître, l'information était éclatée, parfois dans des publications devenues très difficiles de se procurer, uniquement consultables pour beaucoup en bibliothèque, ou bien se trouvait sur des cartes postales anciennes rarement rassemblées en un livre unique (la collection de cartes postales sur les Inspirés de Jean-Michel Chesné, si elle fut dévoilée dans la défunte revue Gazogène de Jean-François Maurice, ne paraît l'avoir été que de façon fragmentaire et, là aussi, éclatée sur les différents numéros ; de plus ce rassemblement de documents anciens, séparé d'un rassemblement plus général qui aurait montré la continuité des sites présents sur les cartes postales, donnait une impression tronquée du phénomène). Ces cartes postales anciennes (en l'occurrence, venues de ma propre collection), il me semblait nécessaire – c'est une autre caractéristique importante de mon inventaire - de les associer dans mon livre à une iconographie en couleur illustrant les mêmes sites conservés jusqu'à l'époque présente, ainsi, bien sûr, que des sites nettement plus récents. D'une manière immédiate, devant ce noir et blanc confronté à la couleur, le lecteur comprend que les environnements existent depuis bien avant le Palais Idéal du Facteur Cheval (commencé en 1879) et se poursuivent aujourd'hui...
Bas-relief de Louis Licois, daté de 1843, toujours présent sur la façade d'une maison à Baugé (Maine-et-Loire), Photo B.M., extraite du Gazouillis, 2009.
J'ai longtemps déploré dans mes débuts de recherche de ne pas trouver une ressource qui me permettrait d'avoir la liste complète des lieux existants ! C'est une question qui m'a souvent été posée au cours des débats que j'ai pu faire à la suite de la sortie d'Eloge des jardins anarchiques : comment faites-vous pour trouver ces sites? Pour aller voir ces sites étonnants, c'est un truisme, il faut d'abord apprendre qu'ils existent, et trouver l'endroit où on les évoque. Ce sont des lieux privés, où il y a une exhibition certes, mais qui restent des lieux privés, des habitats supposant une approche discrète et respectueuse des habitants. Dans les années 1980, années où j'ai commencé ma quête, il n'y avait bien sûr pas d'annuaire des inspirés! Ce dernier n'est d'ailleurs pas souhaitable. J'ai patiemment cherché, sans me presser (cette lenteur m'a toujours paru essentielle ; aujourd'hui les nouveaux venus dans ce genre de recherche, habitués à tout trouver très vite sur internet, sont trop pressés...), accumulant des fiches, des références... Une bibliographie condensée et fournie, commencée dans Eloge des JA, et légèrement augmentée dans mon nouveau livre, fait office à mes yeux de premier signe de pistes... Il n'est pas aventuré ou has been de considérer cette recherche des Inspirés hors système des Beaux-Arts comme une longue dérive au sein d'un labyrinthe... Un sens préservé du merveilleux est à ce prix.
Entrée du Paradis, chez son auteur, Léopold Truc, à Cabrières d'Avignon (Vaucluse), ph. B.M. (extraite du Gazouillis), 1989.
Le Gazouillis n'est donc pas un annuaire. Je n'y ai donné des adresses que lorsque j'étais sûr que cela correspondait au désir des créateurs inventoriés, ou des collections qui préservent des fragments d'environnements (comme la Fabuloserie dans l'Yonne, la collection de l'Art Brut à Lausanne, le LaM de Villeneuve d'Ascq à côté de Lille, ou le Jardin de la Luna Rossa à Caen). C'est plutôt une immense stimulation à découvrir la création primesautière française se déployant hors les cadres des beaux-arts traditionnels, et aussi, point remarquable, hors du marché de l'art (ce qui explique qu'on n'en parle pas tant que cela!).
Les Ruines de la Vacherie, exemple de carte postale ancienne (début de XXe siècle), montrant un site réalisé par un récupérateur de gravats nommé Auguste Bourgoin, alentours de Troyes (Aube), aujourd'hui disparu, coll. B.M.
Il rassemble, avec discrétion et parfois un peu de mystère, en un seul volume, tout ce que j'ai pu voir et trouver dans des ouvrages ou des revues, pas forcément des publications spécialisées en art brut d'ailleurs, et tout ce que j'ai découvert de mon côté, ou éclairé, ou remis en perspective. A partir de ce rassemblement, il me semble qu'on pourra se faire une idée plus précise du phénomène des créations d'autodidactes en plein air, entre habitat et route, associables tantôt à l'art brut, tantôt à l'art naïf, sur le territoire métropolitain en France.
Le Gazouillis des éléphants recèle ainsi jusqu'à 305 notices consacrées à ces créations d'hier et d'aujourd'hui. En donnant l'état des lieux, dans la mesure de mes connaissances, et en particulier les solutions diverses qui ont été trouvées pour sauvegarder ou prolonger, en partie ou en totalité, divers sites. Depuis quelque temps, il me semble en effet que la notoriété de l'art brut et des environnements d'inspirés allant en augmentant, le public se montre de plus en plus sensibilisé à la question du prolongement à donner aux environnements spontanés post mortem. Ce que les héritiers de ces décors foutraques auraient jeté naguère, il arrive plus fréquemment qu'il soit désormais conservé ou, quand on veut à tout prix s'en débarrasser, au moins mis en vente par exemple (voir le cas du site d'André Hardy en Normandie).
André Hardy, lion en ciment peint et collage de faux crin, ph. B.M. en 2010.
Le même lion d'André Hardy dans les réserves du LaM à Villeneuve d'Ascq, après acquisition et en attente de restauration, © photo LaM 2011.
Fidèle à mon angle habituel pour aborder ces créations de plein air, je me suis cantonné dans cet ouvrage aux environnements populaires, en écartant tous les environnements créés par des artistes modernes ou singuliers (marginaux), hormis quelques cas-limites qui permettent de faire ressortir la spécificité du corpus retenu (comme par exemple le jardin de Monsieur X dans la Presqu'île de Crozon en Bretagne, de son vrai nom Jacques Boënnec - je donne à présent son nom car il vient de disparaître ; auparavant, il m'avait demandé de taire son identité, d'autres que moi n'avaient pas eu ce respect...). Pas de Cyclop de Tinguely, ou de musée Robert Tatin, pas davantage de maison de "Celle qui peint" (Danielle Jacqui), manifestant une culture artistique préalable (Jacqui m'a toujours donné l'impression de connaître Picassiette, par exemple).
Primo, il fallait circonscrire à tout prix le champ d'étude (déjà, arriver à 305 notices m'a amené à un livre-monstre qui fait 930 pages avec plus de mille photos, pour un poids de 2,7 kgs...). Secundo, j'ai un faible pour les créations d'autodidactes populaires, qui œuvrent artistiquement sans se revendiquer artistes, et dont les travaux, détachés de toute attitude référentielle – y compris quand il leur arrive de démarquer ou de copier/transposer des œuvres d'art vues à la télé ou dans les magazines –, gardent une fraîcheur authentique. Fraîcheur brute ou naïve, je ne fais pas de hiérarchie sur ce point, si l'œuvre me surprend et m'enchante (critère premier!).
C'est ce qui explique que l'Introduction du Gazouillis insiste sur ce slogan que je reprends régulièrement, depuis quelque temps, dans mes textes : il s'agit bien d'un Art sans artistes. Comme on parla à une époque d'une architecture sans architectes.
Bon vagabondage à tous!
Bruno Montpied, Le Gazouillis des éléphants, tentative d'inventaire général des environnements spontanés et chimériques créés en France par des autodidactes populaires, bruts, naïfs, excentriques, loufoques, brindezingues, ou tout simplement inventifs, passés, présents et en devenir, en plein air ou sous terre (quelquefois en intérieur), pour le plaisir de leurs auteurs et de quelques amateurs de passage, Editions du Sandre, 2017. 950 pages, 220x240x70 mm, plus de mille photos couleurs et noir et blanc. Disponible au prix de 39€ dans toutes les bonnes librairies (si vous ne le trouvez pas, faites-le commander par votre libraire favori) à partir de la première semaine de novembre. Diffusion Harmonia mundi.
Les professionnels des éditions du Sandre, sans qui il n'y aurait jamais eu de multiplication du Gazouillis, de gauche à droite: Guillaume Zorgbibe, Stefani de Loppinot et Julia Curiel, ph. B.M., 2017 ; merci à eux! Heureusement que ces gens existent...
QUELQUES DATES A RETENIR :
Durant tout le mois de novembre, exposition de photos et d'objets de la collection de Bruno Montpied dans la librairie Atout-Livre, 203 bis avenue Daumesnil dans le XIIe arrondissement. Causerie et débat avec le public le vendredi 24 novembre à 19h30, en présence de B.M. et de Régis Gayraud, camarade d'enquête de B.M.
Le samedi 9 décembre, à l'auditorium de la Halle Saint-Pierre, à 15h, projection de photos extraites du livre (rangées par ordre chronologique de dates de création) et débat avec le public en présence de B.M. Suivie d'une dédicace. Organisée en partenariat avec la librairie de la Halle St-Pierre.
Le mercredi 20 décembre, au Musée de la Création franche à Bègles, à 19h30, projection de photos et rencontre-débat avec le public dans le cadre du LAB et en partenariat avec la librairie bordelaise La Machine à lire.
Dessin de Jade, 8 ans (qui sert de cul-de-lampe à quelques endroits du Gazouillis, notamment sur les pages de garde)
00:05 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : le gazouillis des éléphants, éditions du sandre, bruno montpied, environnements spontanés, art brut, art naïf, éloge des jardins anarchiques, revue jardins, marco martella, alexis le breton, andré hardy, claude et clovis prévost, marcel vinsard, andrée acézat, premier inventaire des environnements spontanés, guillaume zorgbibe, julia curiel, louis licois, léopold truc, cartes postales anciennes | Imprimer
12/10/2017
Deux autres expositions à voir: "Pop collection" et Michel Zimbacca à l'Usine
Couverture du carton annonçant l'exposition-vente de la collection de Pascal Saumade à l'Arts factory (11 octobre- 17 novembre 2017)
J'ai un petit rab d'annonces à faire concernant deux expos. Rue de Charonne, dans la galerie de l'Arts factory, connue jusqu'ici pour être "le premier espace d'envergure entièrement dédié à la scène graphique contemporaine", ils ont invité Pascal Saumade de la Pop galerie (galerie nomade, qui s'expose notamment à l'Outsider art fair ; une nouvelle édition est d'ailleurs pour bientôt, à l'Hôtel du Duc, rue de la Michodière dans le IXe ardt à Paris). J'ai eu l'occasion de parler de lui, qui fut l'organisateur de plusieurs expos en collaboration avec le musée des arts modestes de Sète. Une partie de sa collection – le tiers paraît-il – est présentée rue de Charonne. Cela part dans tous les sens, bien en accord avec l'éclectisme revendiqué du galeriste-collectionneur, amateur en gros de tout ce qui constitue l'art populaire contemporain, autre nom de l'art modeste.
Jean Pous dans Pop Collection, photo Bruno Montpied.
Rnord (?), portrait d'une femme, crayon graphite, ph. B.M.
Philippe Jacq, assemblage et terracotta, 2015-2017. Ph. B.M.
On trouve des posters du Ghana (ils furent exposés par l'Arts Factory au temps où ils étaient installés rue d'Orcel dans le XVIIIe), des paños chicanos, de l'art "outsider" afro-américain (S.L. Jones par exemple), des artistes graphistes divers (Javier Mayoral, Anne Van Der Linden), de l'art brut (quatre dessins de Jean Pous, Guy Brunet - affiches, portraits -, Charles Boussion, Yves Jules, Patrick Chapelière, Jean Tourlonias, Pépé Vignes...), des dessins d'inconnus (R Nord), de l'art populaire sétois (Aldo Biascamano dont le tryptique sur la "pêche à la traïne" fait beaucoup penser aux faux ex-voto de Gérard Lattier), de l'art singulier (François Burland, Jaber, Nidzgorski, Angkasapura, Sendrey, Jacqui, etc.), de l'art naïf même (Germain Tessier) et ce que Saumade et l'Arts factory appellent du "Rock'n'Folk Art" (voir liste ci-dessous). Tout cela mélangé dans une grande arlequinade de 300 œuvres où personnellement j'aurai tendance à opérer un tri, car tout ce qui est produit là n'est pas de la même provenance sociologique – l'usage social de l'art définissant aussi celui-ci. Sans compter que tout n'y est pas toujours de premier ordre au point de vue poético-esthétique. Il reste qu'on a toujours intérêt à suivre les curiosités de Pascal Saumade, qui est de la race des grands fureteurs.
Liste des exposants à l'Arts factory, expo "Pop Collection".
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Michel Zimbacca à l'Usine
Sous ce titre, j'ai l'air de vouloir renvoyer Zimbacca en arrière, il y a très longtemps au temps du travail. Car cela fait un bout de temps qu'il a pris sa retraite, quoique pas celle du merveilleux. Surréaliste discret (depuis son arrivée dans le groupe dès 1949) – ultra discret même –, on connaît surtout de lui des films, qui ont été réunis récemment en DVD, dont L'invention du monde, très connu auprès des cinéphiles amateurs de documentaires sur l'art, et, en l'occurrence, sur le monde des arts tribaux (le commentaire était de Benjamin Péret). Certains seront projetés d'ailleurs le 28 octobre à 20h à la galerie L'Usine de Claude Brabant (102 boulevard de la Villette, dans le XIXe ardt parisien).
Cette même galerie a en effet l'insigne honneur de nous proposer une exposition rare d'autres œuvres de Michel Zimbacca : des peintures, des dessins, des collages et des objets. J'en suis personnellement curieux, moi qui recopiais récemment un récit de rêve de 1998 où justement j'interrogeais Zimbacca sur les travaux graphiques et autres qu'il avait pu faire et sur lesquels ils se montrait fort discret. Je l'ai toujours imaginé, se réservant pour lui et ses proches les fruits variés et éclectiques de ses flâneries mentales, de ses digressions et rêveries intimes, si profondément intimes qu'elles durent peut-être lui paraître de nature à être réservées au cercle de sa vie quotidienne. Ce qui provient de l'inconscient et du hasard en effet apparaît bien souvent comme risquant de se galvauder au contact du monde extérieur. C'est affaire de pudeur et de scrupules qui sont également pratiqués par les auteurs d'art brut et qui expliquent que l'on découvre les œuvres de ces derniers bien souvent de façon posthume. La galerie l'Usine, galerie pour happy few, au charme secret lui aussi, est sans doute l'endroit idéal pour présenter, de façon anthume heureusement, les résultats des prospections mystérieuses du poète Michel Zimbacca. Avis aux amateurs, l'expo ne dure que deux semaines...
Une curieuse production spontanée de Michel Zimbacca, réalisée à la fin d'un repas sur un bout de nappe en papier qui fut partiellement brûlée, coll. B.M., 2002 ; un oiseau passablement dépenaillé est jeté en travers du papier déchiré, celui-ci adoptant – involontairement? – la forme d'une tête dont la bouche est soulignée par la couleur du papier brûlé, les yeux étant figurés pour le premier par un cercle dans une serre de l'oiseau et pour le second par l'œil de l'oiseau lui-même.
13:10 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art populaire contemporain, Art singulier, Cinéma et arts (notamment populaires), Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : arts factory, pascal saumade, art modeste, pop galerie, guy brunet, jean pous, art brut, art singulier, panos, posters du ghana, pop collection, graphisme contemporain, michel zimbacca, galerie l'usine, l'invention du monde | Imprimer
02/10/2017
Expositions en pagaille tous azimuts
L'automne est là, les feuilles roussissent, avant de se faire bientôt ramasser à la pelle, les marrons commencent à jaillir de leurs bogues, je ne vous apprends rien, et, comme d'habitude, l'actualité des expositions connaît l'emballement habituel des rentrées. Cela me donne des scrupules : par lesquelles commencer? C'est du boulot, et je renâcle à me faire le complaisant écho de ces manifestations qui toutes ne me font pas sauter en l'air, surtout quand elles participent d'un certain ron-ron au point de vue du choix des exposants (j'en ai un peu marre de voir parler des mêmes artistes ou créateurs : Robillard et ses sempiternels fusils pour investisseur en poncifs de l'art brut, Joël Lorand ou Ody Saban, les arbres qui cachent la forêt de l'art singulier). Alors, j'ai envie aujourd'hui de mettre plusieurs expos dans une même note, en vrac, sans trop de commentaires, et dieu, comme on dit (je n'irai pas jusqu'à lui mettre une majuscule), reconnaîtra les siens.
Toutes celles que j'indique ci-après, cependant, après un tri rigoureux, me paraissent dignes d'intérêt, et sont donc une sélection automnale non exhaustive de ce qui a trait à l'art singulier, brut, outsider, spontané, surréaliste spontané, etc.
Exposition Outsider Art III, "Art brut haïtien contemporain" : Charles Djerry, Jean-Baptiste Getho, Frantz Jacques dit Guyodo, Alexis Peterson, Fanfan Romain, Pierre-Paul Lesly. Du 5 octobre au 4 novembre 2017. Galerie Claire Corcia et Polysémie.
Guyodo à la galerie Corcia ; à noter qu'on a découvert cet artiste autodidacte (dont les graphismes, intéressants, ressemblent tout de même pas mal à d'autres œuvres déjà vues ailleurs dans le domaine de l'art brut, vous savez, tous ces dessins griffonnés au stylo Bic...) à l'expo du Grand Palais, "Haïti, deux siècles de création contemporaine" (19 novembre 2014-15 février 2015), où il était présenté avant tout comme un sculpteur, un récupérateur de matériaux variés, unifiant ses assemblages sous des couches de pulvérisation d'aluminium (technique qui fait beaucoup penser à celle des Staelens en France qui unifient également leurs assemblages de même manière, quoique en rouge, ou minium). A priori donc, ne relevant pas strictement, pour des raisons sociologiques de l'art brut annoncé sur l'intitulé de l'expo. A noter qu'on parle rarement d'art brut haïtien, plutôt d'art naïf. Ou d'art vaudou. Ces délimitations terminologiques sont bien délicates...
Claude et Clovis Prévost exhibent leur "exposition multimédia (photographies, films et œuvres d'artistes depuis 1963), avec la contribution des Rocamberlus de Georges Maillard, en son jardin de pierres d'Osny dans le Val d'Oise" à la Villa Daumier à Valmondois. Ouvert le week-end du 9 septembre au 15 octobre 2017. C'est bien sûr à l'occasion de la réédition de leur livre Les Bâtisseurs de l'imaginaire, aux Belles Lettres. Sur leur carton d'invitation, une photo non légendée (voir ci-dessous) montre un monsieur barbu d'allure distinguée posant devant une sorte de portail germinatif qui paraît indiquer une inspiration naturelle, quoique mâtinée d'une certaine culture, donc relevant à mes yeux du corpus des environnements singuliers (genre Robert Tatin). Ce doit être, par élimination de ce que nous connaissons déjà des trouvailles de Claude et Clovis Prévost, le dénommé Georges Maillard avec ses "Rocamberlus". Mais on aimerait que les Prévost le confirment.
Photo Clovis Prévost.
La Galerie Les Yeux Fertiles pour sa part s'apprête à établir des "Connexions" entre art brut, surréalisme et art singulier. A ses visiteurs de rendre à César... ce qui appartient à chacune des étiquettes en question. Deux cas parmi les exposants que je situe mal, les dénommés "L. Smith" (créateur populaire afro-américain?) et "D.Valdés-Lilla" Au chapitre du surréalisme, on rangera seulement Masson et les Cadavres exquis, Mirabelle Dors (qui inventa une éphémère "tendance surréaliste populaire") et en prenant quelques libertés, Louis Pons. Du côté de l'art singulier, je placerai personnellement, Bettencourt, Rispal, Sefolosha et Chomo (souvent abusivement rangé dans l'art brut). A noter cinq contemporains dans cette liste, Pons, Sefolosha et Rispal, voire Charles Boussion, un authentique créateur d'art brut d'aujourd'hui, avec Lubos Plny aussi. Pourquoi avancer, dès lors, M. Morand, que la galerie ne se tourne pas vers l'art contemporain? Vous avez le contemporain sélectif? (Pourquoi pas, d'ailleurs?).
A la nouvelle galerie de la Fabuloserie à Paris, l'expo d'automne est consacrée à Genowefa Magiera, seule cette fois. On se souviendra en effet qu'elle fut une première fois présentée dans l'expo d'art brut polonais précédente, à la galerie parisienne et plus récemment à la Fabuloserie dans l'Yonne. C'est une trouvaille de Sophie Bourbonnais en compagnie de Marek Mlodecki, suite à des explorations en Pologne. Expo du 8 septembre au 21 octobre. Voir le lien. J'aime beaucoup ce genre de peinture d'une fraîcheur et d'une ingénuité absolues.
Geneviève Magiera en vrac...
Et la Maison sous les Paupières, à Rauzan, dans l'Entre-deux-mers, que devient-elle, me direz-vous (enfin, ceux qui suivent...)? Après une longue éclipse due à des petits problèmes de dérapage sur verglas cet hiver, son animatrice, Anne Billon a repris l'activité. Elle expose Bernard Briantais, le singulier Nantais dont personnellement j'ai déjà eu l'occasion de parler sur ce blog. C'est du 7 au 29 octobre. Le vernissage ce sera samedi prochain le 7, à 18h (ouverture de la galerie dès 14h). Adresse de la Maison sous les paupières... voyez l'affichette ci-dessous :
Sans transition, signalons aussi l'exposition plurielle de visionnaires et créateurs dissidents que concocte chaque mois de septembre, depuis des années, le Musée de la Création Franche à Bègles. Si la plupart des créateurs ou artistes présentés me sont inconnus, et je ne peux donc rien en dire de particulier, à part signaler leur présence, on notera tout de même qu'en fait partie Solange Knopf que j'ai plusieurs fois défendue ici même et aussi dans les colonnes de la revue du musée : je fais allusion à l'entretien que j'avais réalisée avec elle dans Création Franche n°41, en décembre 2014 (« Quelques questions à Solange Knopf au-delà des ténèbres »). "Visions et créations dissidentes", musée de la Création franche, du 30 septembre au 3 décembre 2017. A noter qu'à l'issue du vernissage qui a eu lieu le 30 septembre dernier, le nouveau maire de Bègles, Clément Rossignol Puech, a remis symboliquement les clés du musée au Président de Bordeaux Métropole, en l'occurrence Alain Juppé. Je crois qu'on espère au musée que ce transfert de propriété des locaux (et non pas de l'entité administrative et artistique qui reste l'apanage de la ville de Bègles) ouvrira la porte à des travaux d'extension dont la collection a bien besoin, étant donné son étendue croissante.
Dessin de Solange Knopf présenté sur le site de la galerie d'Ys en Belgique où elle a une exposition parallèle à celle de Bègles (du 8 au 29 octobre).
Ailleurs, c'est la folie qui requièrent les efforts de deux organisateurs d'exposition et pas des moindres, d'une part le MAHHSA (Musée d'Art et d'Histoire de l'Hôpital Sainte-Anne, anciennement Musée Singer-Polignac ; on annonce pour bientôt son déménagement dans de nouveaux locaux, la Chapelle de l'hôpital... – désertée pour cause de mort de Dieu?), pour deux expos dont une déjà en cours, "Elle était une fois, Acte I" (du 15 septembre au 26 novembre 2017) et "Acte II" (Du 1er décembre 2017 au 28 février 2018) – c'est "l'Acte I "qui est commencé – et d'autre part, la Maison de Victor Hugo place des Vosges qui va bientôt présenter une formidable exposition, montée avec l'appui de diverse collections et fondations, et intitulée "La folie en tête, aux racines de l'art brut". Cette dernière, comme son sous-titre l'indique, se veut comme une mise en perspective de quatre collections psychiatriques du XIXe siècle (celle écossaise du Dr. Browne – une des plus anciennes, puisque fondée en 1838 –, celle d'Auguste Marie – qui fut un des premiers en France à créer un Musée de la folie, à Villejuif il me semble –, et celles de Walter Morgenthaler et de Hans Prinzhorn). Ces collections existaient donc bien avant que la collection d'art brut de Jean Dubuffet ne se monte elle-même (à partir de 1945), parfois en s'incorporant justement certaines anciennes collections de psychiatres (comme celle du professeur Ladame, par exemple). L'exposition se tiendra du 16 novembre 2017 au 18 mars 2018 (vous avez le temps donc). La commissaire d'exposition, en dehors du directeur de la Maison de Victor Hugo, Gérard Audinet, en est Barbara Safarova, présidente de l'association ABCD. On note la présence, au sommaire du catalogue, de contributions de Savine Faupin et de Thomas Röske entre autres. Mais je m'étonne de ne pas retrouver de contributions de Vincent Gille qui travaillait encore il n'y a pas si longtemps à la Maison de Victor Hugo et avait contribué à plusieurs reprises à tisser de fructueuses collaborations du musée avec la collection d'ABCD.
du vernissage, le Maire de Bègles, Clémen
Exposants au MAHHSA dans le cadre d'"Elle était une fois Acte I".
Visuel proposé par la Maison de Victor Hugo pour l'expo "La folie en tête".
14:21 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art singulier, Art visionnaire, Environnements populaires spontanés, Environnements singuliers, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : guyodo, art brut haïtien, art naïf haïtien, claud eet clovis prévost, environnement ssinguliers, georges maillard, rocamberlus, villa daumier, outsider art 3, galerie les yeux fertiles, surréalisme, art brut, art singulier, création franche, solange knopf, la maison sous les paupières, anne billon, genowefa magiera, art brut polonais, fabuloserie, mahhsa, maison de victor hugo, la folie en tête, abcd art brut, dr browne, prinzhorn, auguste marie, walter morgenthaler | Imprimer
07/09/2017
Une exposition consacrée à Marcel Vinsard dans le cadre de la 7e Biennale Hors les Normes de Lyon
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Exposition de Marcel VINSARD 14 septembre au 20 octobre 2017
Taxis Lyonnais
(où, paraît-il, quelques statues seront présentées dans les bureaux, mais aussi, initiative plus étrange, dans un vieux taxi - qui devrait peut-être circuler dans Lyon??)
Lundi au vendredi : 10h-12h / 14h-18h, 83, Rue Jean Jaurès – 69500 Bron T2- arrêt Bron Hôtel de Ville
Dans le cadre de la 7e Biennale Hors-les-Normes de Lyon (aux dates variées selon les événements dont elle est partenaire), va se tenir une exposition consacrée aux pièces sculptées par Marcel Vinsard, le créateur d'un environnement de mille statues, naguère installé à Pontcharra en Isère, et qui a été démantelé à l'été 2016, après sa mort survenue en juillet de la même année.
Démantélement du site de Marcel Vinsard, ph. Fatimazara Khoubba en août 2016 ; on aperçoit, très abîmé, au centre du cliché un portrait de Gérard Depardieu tout ruiné...
Le même portrait de Depardieu du temps de sa "splendeur"; Marcel Vinsard collait souvent dans un coin de ses compositions des photos de ceux qui lui avaient servi de "modèles", ph.B.M., 2013.
Les animateurs de l'association La Sauce Singulière, Loren, Jean-François Rieux et autres, prévenus par le sculpteur Jean Rosset, qui est de la région, connaissaient comme moi cet environnement, et ont eu le temps de récupérer environ deux cents pièces. De mon côté, j'en ai récupéré quelques-unes aussi, dont certaines sont allées au musée des Arts Buissonniers à Saint-Sever-du-Moustier dans l'Aveyron. D'autres sont chez quelques collectionneurs (qui les ont acquises durant une précédente expo à Lyon, déjà organisée par la BHN en 2015). Personnellement j'en conserve six, dont un de Gaulle que j'avais acquis directement auprès de Marcel Vinsard. J'ai gardé aussi, abîmé, le panneau où Vinsard avait inscrit des jeux de mots près de son chalet.
Marcel Vinsard, de Gaulle, coll. et photo Bruno Montpied, 2013.
Marcel Vinsard, masque vert, polystyrène peint, créé vers 2013, ph. et coll. B.M. (devant la galerie Dettinger), 2016.
Marcel Vinsard, "Coiffeur à la retraite...", panneau en polystyréne peint, années 2000, coll. et ph. B.M., 2016
Marcel Vinsard, j'en ai causé sur ce blog le 3 février 2015, après l'avoir rencontré en juillet 2013 en compagnie d'un camarade, suite à un signalement par Alain Dettinger et Fatimazara Khoubba. C'est le type même de créateur d'œuvres éphémères qui installent leurs artefacts en plein air en négligeant absolument la question de la pérennité de leurs œuvres. Il est probable, en outre, que Vinsard ne se faisait aucune illusion sur la suite que donnerait sa famille à ses excentricités... Mais il reste tout de même emblématique de l'attitude toute empreinte d'immédiateté d'une majorité de ces créateurs autodidactes, étrangers aux milieux artistiques. Leurs environnements vivent aussi longtemps qu'eux. Lorsque ces derniers pensent avoir atteint la fin (de leur art et de leur vie, c'est tout un), tout part en quenouille... Les matériaux qu'employait Vinsard, le polystyrène, les mousses polyuréthanes dans une grande majorité des œuvres (il recourut cependant aussi au bois, au Siporex et au ciment-colle par exemple), n'arrangeaient pas les choses, non plus! Il est donc vain de traiter les familles ou les héritiers de ces sites avec des noms d'oiseaux – comme le font certains sur des sites web que je ne nommerai pas...
Marcel Vinsard, vue des abords de son chalet d'habitation en 2013... Ph. B.M.
...et après le démantèlement, le vide, l'ennui... ph. B.M., 2016.
A signaler que dans l'expo on pourra trouver mon livre paru l'année dernière dans la collection La Petite Brute aux éditions de l'Insomniaque, Marcel Vinsard, l'homme aux mille modèles. Ne pas hésiter à le demander à l'accueil...! Très beau, pas cher... Il contient de nombreuses photos du site prises en 2013, à son apogée quasiment.
12:51 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : marcel vinsard l'homme aux mille modèles, la petite brute, bhn7, taxis lyonnais, la sauce singulière, environnements spontanés, art brut, de gaulle, polystyrène, art éphémère | Imprimer
17/07/2017
Parution du livre de Benoît Jaïn, "Pierre Jaïn, un hérétique chez les Bruts"
Comme on va me rétorquer que, puisque j'en ai écrit la préface, et que j'ai été à de nombreuse reprises l'instigateur de redécouvertes du sculpteur d'art brut douarneniste Pierre Jaïn (entre autres, sur ce blog), il n'est pas étonnant que je défende l'édition du livre de Benoît Jaïn récemment paru sur son grand-oncle (et l'on ne s'embarrassera pas alors pour me reprocher mon copinage...), je répondrai que c'est parce que j'ai toujours été profondément intrigué par l'œuvre et la personnalité de Pierre Jaïn que je défends toutes les entreprises qui visent à faire connaître ce créateur hors-normes. Donc, pas de souci, nulle complaisance ici.
Il est logique que je vous conseille de vous procurer Pierre Jaïn, un hérétique chez les "Bruts", aux éditions YIL, surtout si l'on aime la problématique de l'art brut, de ses liens avec l'art populaire rural d'autrefois, et accessoirement l'imaginaire traditionnel breton. Cela vient tout juste de sortir, et ce ne sera peut-être pas très facile de se le procurer partout (pour le moment, la librairie de la Halle Saint-Pierre en possède quelques exemplaires, et sans doute le trouve-t-on en différents points de la Bretagne, mais sa diffusion paraît d'ores et déjà restreinte, du genre bouche à oreille, ou d'un mail à l'autre ; le mieux étant, pour ceux qui seraient loin de Paris et de la Bretagne - il y en a... -, de le commander à ce lien : http://yil-edition.com/produit/pierre-jain-un-heretique-c...). J'en profite au passage pour signaler l'exposition qui se tient en ce moment dans son village natal, à Kerlaz (Finistère), non loin de Douarnenez (voir le carton ci-dessous). Que les gens passant par là-bas durant la semaine qui vient ne manquent pas l'événement, cela se termine le dimanche 23 juillet. On doit sûrement y trouver le livre de Benoît Jaïn.
Pierre Jaïn, ce "colosse boîteux", comme le surnomme Benoît dans son livre, m'est apparu très tôt, avant même que je ne découvre le cas du sculpteur creusois François Michaud – lui-même au carrefour entre l'art populaire rustique et l'art brut (mais plus tôt que Jaïn ; si ce dernier a commencé grosso modo après guerre la sculpture, sur pierre, puis sur bois, et enfin sur os après la mort de sa mère en 1964, et trois ans avant sa propre mort, on sait que François Michaud a œuvré dans la deuxième moitié du XIXe siècle) –, comme un cas que les défenseurs sourcilleux de l'art brut orthodoxe ne voulaient envisager que sous un seul aspect, le plus conforme à leur vision de l'art brut. La même chose s'est reproduite ailleurs avec le dessinateur bourguignon Maugri que l'animatrice principale de l'Aracine, Madeleine Lommel, refusait d'envisager dans toutes ses dimensions, de dessinateur naïf, dessinateur visionnaire, et dessinateur automatique (et donc "brut"), ne privilégiant que la dernière veine. Selon mes vues, il me paraît fort partial et injuste de découper en tranches l'œuvre d'un homme. L'information se doit d'être la plus complète à son sujet, quitte à donner ses préférences dans un second temps.
Pierre Jaïn, La femme et le dragon, bloc de bois sculpté représentant le diable avec une femme (sorcière?), coll. particulière, ph. Bruno Montpied, 2013.
Pierre Jaïn, personnage sculpté dans la pierre, placé dans un tube de métal, ancien élément de la "batterie" du sculpteur (merci à Benoît qui m'a donné cette précision), jardin de Kérioré-Isella, Kerlaz, ph. B.M., 1991.
Pierre Jaïn, os d'omoplate taillée et colorée, coll. de l'Art Brut, Lausanne, ph. Arnaud Conne.
Benoît Jaïn ne l'entend pas de cette oreille et il nous donne avec cet ouvrage un portrait des plus complets, dans l'état actuel des informations disponibles, de son grand-oncle, à l'inspiration éclectique, visant selon lui à un projet universaliste qui fut parfaitement incompris de ses contemporains (et ajoutons-le, toujours aussi méconnu des contemporains actuels). Son livre dévoile un grand nombre d'œuvres de Pierre, le plus souvent détourées, mariées ainsi plus intimement à son texte, où, seul bémol que j'apporterai quant à la maquette typographique, l'on peut s'agacer de l'usage répété du gras dans les caractères soulignant inutilement les membres de phrases sur lesquelles l'auteur veut attirer l'attention du lecteur par une espèce de tic didactique. On oublie cependant vite ce défaut bénin, à mesure que l'on suit Benoît, nous déroulant progressivement comme dans une balade séduisante le labyrinthe de cette œuvre hétéroclite restée longtemps inédite, expérimentale souvent, mais aussi déployant des sortes de transposition d'après diverses sources iconographiques que le sculpteur kerlazien recueillait pieusement dans sa maison.
Œuvre sculptée de Pierre Jaïn, démarquée des photographies illustrant le livre de Denise Paulme et Jacques Brosse, Parures africaines (éd. Hachette.), ph. B.M., 2013.
En effet, nombreuses paraissent être les œuvres qui s'inspirent de modèles dénichés dans les livres dont le sculpteur aimait à s'entourer. Benoît publie dans son livre une petite partie de sa bibliothèque telle qu'elle a pu être malaisément reconstituée, à la fois pour montrer sans détour la manière de procéder de son aïeul et à la fois pour démontrer que l'autodidacte ne dédaignait pas de se construire ses propres références, s'intéressant aux peuples africains, à la cryptozoologie (science des animaux à l'existence controversée), à l'astronomie, aux mysticismes divers (il avait des relations avec les Témoins de Jéhovah), car il était très pieux, à l'histoire, à la préhistoire, et à la musique. Pour cette dernière, il pratiquait, chantait en s'accompagnant sur une batterie bricolée dont Benoît nous détaille dans le livre les différents éléments, ce qui intéressera les amateurs de musique brute qui croisent de temps à autre sur ce blog.
C'est aussi l'occasion pour Benoît Jaïn d'insister sur l'environnement de sculptures et installations diverses que son grand-oncle avait fini par constituer autour de la ferme familiale, où, aujourd'hui encore, subsistent quelques-unes des ses pierres sculptées (à ce titre, le jardin figurera dans mon prochain livre, Le Gazouillis des éléphants, à paraître en novembre). S'il y avait organisé sa "batterie" loufoque le long d'une clôture, il avait disposé aussi une hutte contenant une femme nue sculptée, des sortes de galettes de ciment incrustées de divers accessoires, un totem dont il ne reste aujourd'hui que la tête (voir ci-dessous)...
Benoît Jaïn présentant la tête, vestige de l'ancien totem du jardin (pour voir l'aspect du totem complet dans le jardin, se référer à mon livre à paraître en nov.17), ph.B.M., 2013.
Le livre propose aussi, heureuse initiative, un lexique des principales catégories artistiques auxquelles on pourrait rattacher l'œuvre de Pierre Jaïn, avec leurs définitions et les caractéristiques que l'œuvre possède en rapport avec ces catégories.
Une page, la 91, de Pierre Jaïn un hérétique chez les "Bruts", avec un Yéti, un Néandertalien, un dinosaure...
En conclusion, cet ouvrage est aussi une éclatante réponse de la famille du "colosse boiteux" aux rumeurs propagées au départ par le Dr.Maunoury, puis par Michel Thévoz et Michel Ragon, ayant exagéré la destruction par les proches de Pierre Jaïn des œuvres décrétées les plus originales par eux. S'il y a bien eu des pièces rejetées et perdues (certaines sont parfois retrouvées par Benoît en fouillant le sol autour de la ferme, quand il a l'occasion de se faire archéologue de l'art brut), cela ne paraît concerner en définitive qu'une minorité d'œuvres. Et c'est finalement du sein de la famille qu'est sortie la voix la plus habilitée pour défendre la mémoire de Pierre Jaïn, hérétique par rapport à l'art brut, hérétique par rapport à toutes les religions, et ajoutons-le, par rapport à toutes les catégories artistiques.
Enfin, un dernier point à signaler. Cet ouvrage, commandé par moi au départ à Benoît Jaïn, aurait dû être le cinquième opus de la collection La Petite Brute que je dirigeais aux éditions de l'Insomniaque et qui a cessé de paraître, faute de lecteurs, de presse, de diffusion, etc. Pour mémoire... (D'un certain point de vue, cela fut une bonne chose pour cet ouvrage, car son auteur, Benoît, a pu ainsi réaliser lui-même la maquette de son ouvrage, profitant de sa compétence d'infographiste).
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On consultera si l'on veut être tenu au courant des actualités autour de Pierre Jaïn le site internet suivant, créé par Benoît: http://pierrejainartbrut.com/
10:53 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art populaire insolite, Art visionnaire, Confrontations, Environnements populaires spontanés, Musiques d'outre-normes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pierre jaïn, benoît jaïn, art brut, art populaire rural, sculpture naïve, art populaire visionnaire, kerlaz, docteur maunoury, éditions yil, os sculptés, cryptozoologie, musique brute | Imprimer
23/06/2017
Tourisme du côté de l'art singulier (et un peu de l'art brut) (3)
Embêtons – voulez-vous? – les lecteurs du type R.R. qui se plaignent de ne pas pouvoir être au four et au moulin (et qui, également, et peut-être, n'apprécient que modérément l'absurde et le nonsense)... Et envoyons-les, non, pas sur les roses, mais à la fois (les vernissages étant tous le même 30 juin, ça va être dur pour ceux qui voulaient manger les petits fours partout) dans trois endroits différents, en trois points cardinaux, à savoir à Saint-Trojan-les-Bains (Île d'Oléron) pour l'exposition de l'Art Partagé organisée par l'œil de lynx de Jean-Louis Faravel...
... Puis à Gisors (c'est plus près de Paris, ça), pour le bien nommé Grand Baz'art (jeu de mots sur le mot art à noter dans notre collection), où l'on verra entre autres une sélection d'art obscur de Michel Leroux, art obscur qui, à force d'être en pleine lumière va bientôt s'appeler l'art clair-obscur...
Et enfin, toujours le même jour de vernissage, histoire d'accentuer le grand écart, ne pas oublier d'aller "Ailleurs", c'est-à-dire, en l'occurrence à Fontcouverte (c'est tout en bas, dans le sud profond, l'Aude je crois, du côté de l'art improbable de Jean-Louis Bigou qui enchaîne les expositions depuis quelque temps, présentant simultanément art brut, art des handicapés, art enfantin...
Hein? Joli programme, qu'en dites-vous, R.R., pour vous couper en quatre, je veux dire en trois?
Et, de fait, à cause de cette date très demandée (début des vacances?), ce n'est plus d'art partagé qu'il faut parler, mais bien plutôt d'art simultané... Mais bon, je taquine (faut-il le souligner? Eh bien oui...), hormis le Baz'art de Gisors, qui ne dure que trois jours, pour les deux autres, si vous ne tenez pas aux petits fours, vous pourrez sauter dans des véhicules qui vous emméneront partout pour ne rien rater, puisque les deux autres expos durent un peu plus durant le mois de juillet.
00:19 Publié dans Art Brut, Art de l'enfance, Art singulier, Calembours idiots sur le mot ART | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : absurde, st-trojan, l'art partagé, faravel, grand baz'art, jean-luc bourdila, ailleurs, studio via, fontcouverte, jean-louis bigou, art improbable, art enfantin, art brut, robillard, art simultané | Imprimer
05/06/2017
Ce blog a dix ans jour pour jour ce 5 juin : grand rassemblement d'éléphants de tous poils pour fêter l'événement, et en hommage précoce à un certain "Gazouillis" à venir bientôt...
Les éléphants sont étonnants. Les éléphants sont intrigants.
Ils ont des nez très longs, des airs pachydermiques (et pour cause), des grosses pa-pattes avec des gros ongles et le dessous des pieds plat. Deux grandes quenottes qui leur sortent des deux côtés de la bouche, que toute une série de gens mal intentionnés veulent leur arracher. Des portugaises comacs pour ceux d'Afrique, mais plus riquiqui pour ceux d'Asie, qui me font penser à des feuilles de choux.
André Robillard, un éléphant dafrique (sic ; cette bête-là a dû être coupée avec un cocker on dirait), env. 40x50cm, coll. et ph. Bruno Montpied.
Sandy Calder, un éléphant de bronze en mobile, 1973.
Ils ont la peau rugueuse, paraissant avoir des milliers d'années, comme une peau fossile. Des airs de vieux, vieux sages revenus de tout. Il ne faut cependant pas leur courir sur le haricot, ils s'énervent facilement. Et en même temps, ils sont attentionnés avec leurs cornacs, qui leur peignent dessus parfois (c'est du plus bel effet, ils devraient être tout le temps peints).
Ils marchent avec des airs balourds, l'air grommelant de traîneur de savate.
L'éléphant fascine petits et grands. Il y eut Babar bien sûr (voir ci-contre un exemplaire par le sculpteur naïvo-brut Joseph Donadello (en Hte-Garonne), ph. B.M., 2008). Et des jouets (voir ci-dessous un à roulettes ayant appartenu à un rassemblement d'objets du brocanteur Philipe Lalane), des éléphants de dessin animé et de publicités improbables...
Poupée-éléphant, peut-être d'origine ukrainienne, ph. et coll. B.M.
Le Jardin d'Acclimatation, Constructions enfantines, cadeau du magasin Le Bon Marché (merci à Guillaume pour la permission de photographier la chose), ph.B.M.
Vu à Lille dans une brasserie, reproduction d'une ancienne affiche publicitaire, où l'éléphant chasse les moustiques en courant, ph.B.M.
Affiche de Capiello reproduite sur le blog Les Beaux dimanches de Laurent Jacquy
Affiche "l'orchestre des éléphants", F Appel, 1890.
L'éléphant est tellement sympathique et fort, avec une réputation de mémoire légendaire que les publicitaires et inventeurs de logos ont bien souvent songé à lui...
Cherchez-le, ici en logo d'une société de transport (en Lorraine?) qui cherche à donner une image de force et de puissance, ph. B.M.
Mais ceux qui ont adoubé le pachyderme qui hante nos rêves restent avant tout les artistes, les créateurs anonymes et populaires, naïfs, les enfants aussi qui adorent "croquer" les éléphants, et puis, au bout de la chaîne, ceux qu'on a appelés tour à tour inspirés du bord des routes, habitants-paysagistes ou créateurs d'environnements spontanés. Ces derniers en sèment très souvent dans leurs jardins, soit dans un recoin de l'espace dont ils disposent entre habitat et route, soit en majesté avec toute la lumière désirable braquée sur eux... Tant et si bien, que, dans le volumineux livre que je vais faire paraître aux Editions du Sandre en octobre prochain, intitulé de façon cohérente Le Gazouillis des Eléphants, qui est une tentative d'inventaire des environnements populaires spontanés d'hier et aujourd'hui en France (voir projet de couverture actuel ci-contre), je suis souvent amené à publier de nombreux exemples de cette étrange mascotte des inspirés.
L'éléphant qui gazouille, formule démarquée d'une stèle installée dans la "Seigneurie de la Mare au Poivre" d'Alexis Le Breton à Locqueltas dans le Morbihan, y servira de virgule visuelle, et de métaphore programmatique du propos de l'ouvrage : une défense et illustration de l'imaginaire gracieux des plébéiens bien souvent perçus et méprisés par l'intelligentsia comme des lourdauds et des bourrins de l'art...
Dessin d'enfant d'environ 7 ans, 2011.
Dessin d'Idriss Bigou, un éléphant dont la trompe ressemble à une paille...
Marionnette à fil africaine, coll. Joëlle et Jean Veyret, ph.B.M., 2016.
Cyrille Augeard, Les éléphants, feutres sur papier, 32x45 cm, 2012, atelier La Passerelle, Cherbourg.
Un éléphant représenté sur un vase "aux Chinois", dû à l'artisan Pierre-Innocent Guimonneau de La Forterie, vers 1786, musée de la Reine Bérengère, Le Mans, ph.B.M.
Jean Bertholle, silhouettes en tôle découpée et peinte, montées sur girouette, parc de la Fabuloserie, ph.B.M., 2011.
Eléphant (détouré) du Facteur Cheval, couloir intérieur du Palais Idéal, Hauterives (Drôme), ph.B.M., 2011.
Morris Hirschfield, éléphanteau avec jeune garçon, env. 44 x 22 cm, 1943.
Chez André Hardy, outre une baleine bleue, et divers autres bestiaux, il y avait ce magnifique pachyderme à l'œil extatique, ph.B.M., 2010.
Anonyme, éléphants de la fontaine à Cléon d'Andran (Drôme), ph. B.M., 1994.
Marie-Louise et Fernand Chatelain (Fyé, Sarthe) posant devant l'objectif de Clovis Prévost ; derrière on reconnaît les éléphants de la fontaine de Chambéry, celle des "4-100-Q".
L'éléphant de la fontaine de Chambéry, en effet dépourvu d'arrière-train...
Quelquefois, c'est la nuit qu'ils surgissent, travestis en buissons, et arpentant la ville comme des fantômes...
Art topiaire à Londres en nocturne, photo sans référence transmise par Julia (merci à elle).
Même sur les sablières des églises bretonnes, il arrive qu'on en rencontre...
Sablière d'une chapelle Saint-Pierre (pas plus de référence...).
Le "yarn bombing" (si je ne me trompe pas d'orthographe), cet enrobage de formes en plein air (mobilier urbain, troncs d'arbre...) par d'habilles mains tricoteuses, s'en prend aussi aux pachydermes...
Yarn bombing en Espagne, pas plus de références...
L'homme, à l'évidence, entretient un rapport fusionnel à l'éléphant, qu'on en juge avec cette statue funéraire consacrée à un dompteur et à un dompté :
Tombe d'un dresseur-dompteur au cimetière de Méza Kapi, Riga, ph André Chabot.
Et un éléphant par Yves d'Anglefort, qui se dit "artiste d'art brut" (dans son cas, le terme paraît coller) ; 32x41 cm, technique mixte sur Canson, coll. privée, Grenoble.
Les éléphants sont innombrables. Il faut bien conclure (provisoirement? La suite du feuilleton se proposera-t-elle au prochain anniversaire décennal ?). En attendant cet hypothétique et beau jour, voici un enregistrement où nos héros ne gazouillent pas vraiment... (capté à la Fondation Cartier, enregistrements de Bernie Krause) :
Et encore, un cadeau en sus, la reproduction d'une carte postale peu connue (je ne pense pas que les autres amateurs cartophiles, collectionnant les autodidactes inspirés, à supposer qu'ils la connaissent, l'aient mise quelque part en ligne...) :
L'auteur de ces sculptures sur sable paraît se nommer Winter Duerec (ou Duérée? Ou bien, peut-être plus probablement Querée? Voir ci-dessous dans les commentaires l'hypothèse de Régis Gayraud) : "Artiste autodidacte, modeleur de bêtes sauvages Attention à la nouveauté", est-il proclamé sur la banderole tendue derrière la scène sculptée ; Winter Querée est sans doute l'homme accroupi au centre des animaux féroces (au moins trois félins avec un éléphant, un homme étant sur le point de se faire dévorer...).
00:28 Publié dans Art Brut, Art de l'enfance, Art immédiat, Art naïf, Art populaire insolite, Environnements populaires spontanés, Photographie | Lien permanent | Commentaires (33) | Tags : éléphants, pachydermes, le gazouillis des éléphants, environnements spontanés, art enfantin, art brut, bestiaire, bruno montpied, inventaire des environnements populaires spontanés, fontaine des 4-100-q, art topiaire, sablières bretonnes, yarn bombing, sculpture sur sable, cartes postales art insolite, winter duerec | Imprimer
29/05/2017
Loli et Jano Pesset dans les murs de la Fabuloserie parisienne jusqu'au 10 juin, hâtez-vous...
Rue Jacob, dans le VIe arrondissement de Paris, comme je l'ai déjà dit, la Fabuloserie, dont les principaux locaux et la collection incessible se trouvent à Dicy en Bourgogne (Yonne), a ouvert une "antenne" parisienne, où ont déjà eu lieu quelques expositions, une sur Michèle Burles, une sur des créateurs bruts polonais et actuellement la dernière en date, une expo consacrée à de merveilleux travaux, les "buissonneries" de Jano Pesset et les broderies de sa femme Loli, que je trouve personnellement remarquables, d'une extrême originalité, fleurant bon une étrange inspiration, comme venue d'extrême-orient. L'idée de la Fabuloserie et de son animatrice, Sophie Bourbonnais, était de demander aux artistes de la collection de présenter en vente des œuvres récentes, et donc ne faisant pas partie de la collection de Dicy. Cela permet aux amateurs qui voudraient se constituer une petite Fabuloserie en réduction à la maison d'acquérir quelques pépites alternatives...
Jano Pesset et Loli ont eu peu d'occasions d'exposer à Paris, ce me semble, alors même qu'ils sont d'anciens artistes de la Fabuloserie puisque présentés par Alain Bourbonnais dès ses premiers pas de montreur d'art hors-les-normes dans la galerie qui s'appela de 1972 à 1982 l'Atelier Jacob, galerie située quasiment en face des locaux actuels de la Fabuloserie parisienne. Jano tient de l'anarchiste et du sage dans les discours qu'il parsème dans ses compositions en relief vernissé. Ce sont en vérité d'étranges œuvres d'art, mot dont il doit penser, je crois, qu'il sonne bien grandiose parfois, synonyme d'"art du vent", comme le suggère malicieusement un tableau, en trois dimensions comme les autres, qui est exposé à la Fabuloserie, collection permanente, à Dicy.
Jano Pesset, avec le texte suivant du haut vers le bas et de gauche vers la droite: "LE VANTARD / L'ART DU VENT / son esprit n'avance qu'avec des béquilles il transpire en pesant bien ses gouttes / Le soufflet à flatteries et faussettes grand doreur d'ordures enfle sa tête en remplaçant le vide par des idées creuses. Mais l'air qui orne et ment n'est qu'un ornement / Proie des moulins à vent le vantard atteint de hauts sommets mais vite se vide et son cul plus lourd que sa tête le ramène à la raison. Ainsi sont leurres remis à l'heure" ; cette littérature résonne comme en écho des jeux de mots à la Boby Lapointe, dont il ne m'étonnerait pas d'apprendre qu'il est un auteur de chevet de Pesset ; un cousinage est à note aussi avec divers textes remplis d'homophonies que commit à une époque dans plusieurs petits livres l'artiste Noël Fillaudeau, dont la Fabuloserie du reste possède aussi des œuvres ; ph. Bruno Montpied, 2017.
Ce sont en réalité de véritables poèmes visuels aux formes tourmentées, tenant de la maquette de paysage, du tableau, de la sculpture, du poème-objet, réalisés grâce à une technique propre à Jano Pesset.
Jano Pesset, L'Homme ressemble au HERISSON..., expo "Buissonneries" à la Fabuloserie Paris, ph. B.M., mai 2017.
Jano Pesset, L'ORIGINE DU MONDE (version forestière) d'après Courbet, exposition "Buissonneries" à la Fabuloserie Paris, ph.B.M.
Il a contribué à construire la signature esthétique de l'art-hors-les-normes, avec d'autres, citons par exemple Francis Marshall et ses poupées bourrées encadrant le personnage désormais célèbre de Mauricette, Alain Bourbonnais et ses turbulents eux-mêmes, Reynaldo Eckenberger, Pascal Verbena, Michel Nedjar (qui débuta, je crois, par l'Atelier Jacob), François Monchâtre, Mario Chichorro, Jean Rosset, Joël Negri, Andrée Moiziard, Marie-Rose Lortet, Le Carré Galimard, etc. Signature d'art singulier qui constitue l'identité (quelque peu carnavalesque) de la Fabuloserie bien davantage que – ou parallèlement à – l'art brut dont certaines œuvres sont aussi présentes pourtant dans la collection (Aloïse, Podesta, Pierre Petit, Petit Pierre, Albert Sallé, Sylvette Galmiche, Juva, etc.). Ces deux tendances qui irriguent la collection reflètent Alain Bourbonnais, qui paraît avoir hésité toute sa vie entre son goût personnel pour une certaine truculence provocante et l'art brut plus tourmenté tel que collectionné par Dubuffet.
Une des six broderies de Loli exposées jusqu'au 10 juin, dépêchez-vous, elles sont en vente, ce qui est extrêmement rare concernant ces merveilleuses broderies, déjà deux de parties sur les six..., ph.B.M., mai 2017.
16/05/2017
Cecilie Markova
Vente close... (22 mai)
A nouveau, je signale une œuvre à vendre, un dessin au crayon de couleur (peut-être à la sanguine) d'une créatrice médiumnique connue en République tchèque, Cecilie Marková (1911-1998). C'est sous l'influence de séances spirites qu'elle a commencé à dessiner vers 1938, essentiellement des formes proches du végétal, stoppées bien souvent, dirait-on, avant que la composition ne commence à être trop dirigée. C'est avant tout l'automatisme pur, actif pleinement au moment des premiers gestes, qu'elle paraît rechercher dans ses graphismes. Elle fut longtemps classée dans l'art naïf, avant d'être rangée à la suite des expositions d'art brut tchèque montées par l'artiste et historienne de l'art surréaliste Alena Nadvornikova au début des années 2000, à Prague, Paris (notamment l'expo montée à Paris à la Halle Saint-Pierre en 2002-2003) ou à Lausanne, sous cette dernière notion. Quelques œuvres (huit exactement) de Cecilie Marková sont présentes dans la Collection de l'Art Brut à Lausanne. Elle fut présentée aussi au LaM au cours de l'exposition Hypnos en 2009.
Cecilie Marková, sans titre, 29,7x21cm (dans un cadre de merisier, avec marie-louise et sous-verre, le tout mesurant 44,5x35cm), crayon de couleur (ou sanguine) sur papier, daté du 22-05-1960 ; une petite tache est visible à gauche, qui est du fait de la créatrice, ph. Bruno Montpied.
18:55 Publié dans Art Brut, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : cecilie markova, art brut, art naïf, art brut tchèque, art médiumnique, dessin automatique, surréalisme tchèque | Imprimer
03/04/2017
Du maquettisme à Saint-Nazaire
Cette note a été remaniée par rapport à de précédentes versions que j'estime désormais caduques, tels des brouillons.
Depuis quelques temps, un correspondant ne cesse de vouloir me convaincre que des maquettes de paquebots que fabrique un passionné à St-Nazaire – en s'inspirant de ces bateaux de croisière qui ont des formes hésitant entre le tiroir-caisse et l'empilement de containers, que l'on fabrique aux chantiers de Saint-Nazaire, ce qui bien sûr donne du boulot aux ouvriers de la ville mais n'en fait pas pour autant des merveilles esthétiques – sont des chefs-d'œuvre d'art brut ou apparentés. Je ne l'entends pas de cette oreille (ni de cet œil), et j'ai répondu plusieurs fois que je ne voyais pas l'intérêt de faire en plus petit ce qui est déjà moche en plus grand (car je pense avant tout – que l'on me comprenne bien! – aux reproductions de paquebots actuels), mais ce correspondant insiste, car il lui apparaît sans doute que tous ceux qui s'intéressent aux arts populaires devraient penser comme lui... Ce monsieur ne voit que le travail minutieux du maquettiste (et il faut l'avouer, ce dernier a beaucoup travaillé sur ses bâtiments reconstitués, on ne peut le contester), et ma réponse le révulse. Il faut admirer à toute force les chefs d'œuvre qu'il m'indique...
PHOTO RETIRÉE À LA DEMANDE DE SON AUTEUR
Un des paquebots en maquette construit par M. Vince (St-Nazaire).
PHOTO RETIRÉE À LA DEMANDE DE SON AUTEUR
Autres maquettes de M. Vince à St-Nazaire.
Il faut que je l'avoue, le maquettisme, envisagé du seul point de vue de la réduction minutieuse de ce qui existe, sans le moindre recours à une poésie quelconque, un maquettisme qui cherche à faire exact (même si, pour ce faire, l'auteur utilise des matériaux de récupération), ne m'intéresse en effet pas. Et en outre, il faut également le répéter, malgré l'évidence pour ceux qui sont déjà au courant, cela ne relève en rien de l'art brut, ni de l'art singulier. Ni même d'une poésie que l'on peut rencontrer dans d'autres types de maquettes, plus proches d'ailleurs des jouets – je pense en particulier aux maquettes de bateaux sculptés naïvement par des marins, objets de patience confectionnés pour leurs enfants en attendant de pouvoir les revoir au retour de leurs longues campagnes de pêche, ou aux bateaux naïvement logés au fond de leurs bouteilles, comme dans un rêve d'ivresse marine.
Bateau confectionné en guise de patience, collection Humbert, musée rural des arts populaires de Laduz (Yonne), ph. Bruno Montpied.
Paquebot en bouteille, voici de la poésie pure, cet énorme bâtiment étant dessiné et sculpté ingénument à l'intérieur de sa prison de verre, comme fixé pour l'éternité d'un songe... Coll. L. Jacquy, photo B.M.
Le maquettisme visant à la copie, on en voit dans tous les musées de la marine, cela peut avoir un intérêt didactique, pédagogique, mais ce n'est pas sous cet angle que se place le correspondant dont j'ai parlé au début de cette note. Non, lui, veut voir de "l'art brut" dans ces maquettes, emporté qu'il est par l'usage de plus en galvaudé et confus du terme, par la faute de tant de commentateurs insuffisamment informés.... Eh bien, c'est une erreur...
Une salle du musée de la Marine à Paris...
...ou du musée maritime de Hambourg, où c'est bourré de maquettes, à des fins historiques, etc., mais sont-ce pour autant des musées d'art brut?
Le maquettisme qui consiste à reproduire le plus exactement possible des véhicules, bateaux, trains électriques, maisons..., pourrait plutôt appartenir, à la rigueur, à ce que l'on appelle du côté de Sète, "l'art modeste", qui rassemble toutes sortes d'expressions populaires, du collectionneur d'étiquettes de boîtes de camembert ou de petits soldats au peintre décorateur de flippers... Il y a des salons pour ce genre de hobby, avec leurs lots de "bénédictins" se consacrant entièrement à leur passion de la miniaturisation.
La copie miniaturisée de la réalité ne me cause aucune émotion. Ce que nous recherchons avant tout, en effet, et au contraire, c'est de contribuer à dévoiler l'autre réalité sous-jacente qui se cache dans le dialogue permanent entre l'homme et le monde, que l'imagination de l'homme sert à révéler. Ce sont les travaux où cette imagination est à l'œuvre qui nous interpellent. Je préférerai toujours les nefs de Jean Branciard (assimilable à l'art singulier), par exemple, aux maquettes réalistes qui ne nous apportent pas ce surplus d'imagination et de poésie dont nous sommes plusieurs à être affamés. Ou bien les maquettes incroyablement bricolées que l'on rencontre dans le véritable art brut, comme les deux exemples que je donne ci-dessous (après les nefs de Branciard) en donneront une suffisante illustration. Voilà la véritable marine brute en réduction!
Jean Branciard, La péniche
Jean Branciard, catamaran, vers 2008.
Un bateau, le Myra, par le sculpteur brut Auguste Forestier qui séjournait dans les années 1940 à l'hôpital psychiatrique de St-Alban-du-Limagnole, anc. collection du Dr. Ferdière, ph. B.M.
Un bateau extraordinaire créé "en os de cuisine" par un Poilu "dans la zone des armées entre 1916 et 1917. Carte postale situant l'objet à St-Vigor-d'Ymonville (à l'époque en Seine Inférieure).
16:31 Publié dans Art Brut, Art naïf, Art populaire contemporain, Art singulier, Marine populaire et singulière | Lien permanent | Commentaires (18) | Tags : chantiers de saint-nazaire, art modeste, maquettisme, paquebots de croisière, modèles réduits, miniaturisation du réel, jean branciard, monsieur vince, art brut, marine poulaire, brute et singulière, auguste forestier | Imprimer
09/03/2017
Jeanne Giraud, brodeuse d'îles de songe
Jean-Luc Giraud et Laurent Danchin ont créé l'année dernière une petite collection de titres jusque là consacrée à certains de leurs écrits ou à Chomo, artiste singulier auquel Danchin aura été fidèle toute sa vie (on sait qu'il vient de disparaître en janvier dernier). Cela s'appelle "les bonbons de Mycélium", du nom du site web de l'association basée à Nantes. Jusqu'ici je n'ai pas été très sensible aux sujets traités dans cette collection, mais j'attendais avec une certaine impatience la parution du quatrième titre consacré aux broderies de Jeanne Giraud, la mère de Jean-Luc Giraud.
Doigts de fée, les broderies de Jeanne Giraud, collection Les bonbons de Mycélium, éditions Lelivredart, novembre 2016 ; le livre est disponible en particulier à la librairie de la Halle Saint-Pierre à Paris.
"Ce qui est sûr, c'est que ma mère ne se prenait pas du tout pour une artiste. Il ne pouvait y avoir qu'un artiste dans la famille et c'était évidemment son fils, dont elle était si fière.
Ses broderies n'étaient d'ailleurs pas de l'art, mais un support à la méditation."
(Jean-Luc Giraud ; on sait que ce dernier est peintre, entre autres, car je crois qu'il fait aussi du cinéma d'animation).
Jeanne Giraud, œuvre reproduite dans le livre Doigts de fée.
J'aime infiniment ce genre de travail dit "méditatif" (faute de terme plus adéquat peut-être?). On avait déjà remarqué avec la publication d'un article de Jean-Luc Giraud dans le fascicule n°20 de l'Art Brut¹ (1997) cette œuvre si fortement empreinte d'intimisme, réalisée avec les matériaux les plus simples et les moins coûteux (dans le texte liminaire de ce petit livre, repris du texte déjà édité dans le fascicule n°20 de 97 – l'autre texte du livre étant constitué de ses réponses à un questionnaire de Laurent Danchin – Giraud rappelle que sa mère "n'avait jamais acheté une bobine de fil ailleurs qu'au marché aux puces (la modicité du prix guidant le choix de la couleur), ni brodé sur un autre support que des chiffons provenant des chemises usagées de mon père"). M'avait frappé dans ce fascicule l'aspect insulaire des mondes représentés, carrés d'herbes folles d'où surgissait un arbre, un étang, avec un être humain campant à côté, exerçant une activité bénigne, peu importait, ce qui comptait étant de restituer avant tout le caractère de merveilleux de l'évocation (cette insularité, nous la rencontrons aussi dans les dessins tirés de l'observation visionnaire de pommes de terre par Serge Paillard). Parfois, la composition aux modestes fils de couleur se concentrait toute entière à magnifier un mot cousu : "confiance"... Il y entrait donc un peu de magie blanche dans cette occupation. Décidément, oui, Jean-Luc Giraud a raison, sa mère n'était pas une "artiste", au sens où elle exerçait ses talents dans un rapport fusionnel avec ses productions brodées. C'est comme si elle avait fait une œuvre avec la sève même de sa mémoire.
Jeanne Giraud, œuvre brodée reproduite dans Doigts de fée.
Car la broderie apparaît parfaitement adaptée à cette mission de remémoration enchantée, qui s'accompagne semble-t-il inévitablement d'un aspect vaporeux et flou, comme le cinéma Super 8 également peut nous le procurer. Les traits sont comme tremblants, et rendent les images assez analogues à des mirages objectifs qui surnagent, comme des îles séparées de toute continuité, tels que nous apparaissent nos souvenirs au fond, proches de morceaux de banquise brisée, dérivant sans souci d'une quelconque chronologie...
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¹ Les œuvres de Jeanne Giraud sont entrées dans la Collection de l'Art Brut de Lausanne en 1986, grâce à Laurent Danchin qui les avait présentées à Michel Thévoz. Avec Germain Tessier, Marcel Storr, Petit-Pierre, ou encore Youen Durand, elle fait partie des quelques créateurs naïfs ou bruts dont Laurent Danchin aura su se faire le passeur émérite (j'en excepte Chomo qui n'est pas à mes yeux un créateur brut ou naïf, mais plutôt un artiste de la mouvance "singulière").
00:57 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf | Lien permanent | Commentaires (25) | Tags : jeanne giraud, broderies brutes, art brut, mycélium, les bonbons de mycélium, jean-luc giraud, laurent danchin, germain tessier, chomo, marcel storr, petit pierre, fascicule n°20 de l'art brut | Imprimer
09/01/2017
A vendre un Sefolosha et deux Roland Vincent (vendus)
Comme dans le cas du "proto-fusil" d'André Robillard vendu par un ami dont je m'étais fait l'intermédiaire, voici déjà quelque temps, je signale à nouveau des mises en vente, d'une part de deux œuvres réalisées par un créateur "brut", Roland Vincent, maçon sculpteur vivant dans la Creuse (deux statuettes faisant partie de sa série dites communément des "babioles" ; elles ne sont plus disponibles, NDLR 9 octobre 2017), et d'autre part d'une œuvre d'une artiste de la mouvance "art singulier", Christine Sefolosha, une peinture qui fait partie de sa série dite des "Terres" (appelée ainsi en raison des matières graineuses qui donnent un effet de relief et des pigments aux couleurs terreuses, rouge, brun, sombre...).
Voici ci-dessous les deux statuettes de Roland Vincent (vendues):
Roland Vincent, à gauche une statuette sans titre ("le musicien à la cornemuse"), 38cm (H) ; à droite une autre également sans titre ("le tambourinaire"), 32 cm (H), poudre de granit à la colle forte sur matériaux recyclés, années 2000, coll. privée.
Et voici l'œuvre, également sans titre, de la peintre suisse Christine Sefolosha (il me semble que des peintures de cette série des "terres" ne sont pas si fréquentes) :
Christine Sefolosha, sans titre, 54 x 80 cm, technique mixte sur carton contrecollé et agrafé sur panneau de bois, 1994 (série des "terres"").
Si quelqu'un est intéressé, prière de me contacter en privé (voir ci-dessus "Me contacter", juste au-dessus de la vignette représentant un sciapode), le prix pour Séfolosha apparemment en dessous des prix pratiqués pour les peintures de cette artiste de cette période. Depuis le 17 janvier, l'œuvre de cette dernière est visible en format d'image plus grand dans la "Boutique du Poignard subtil" (voir colonne de droite pour en trouver l'accès).
19:25 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art singulier, Art visionnaire | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : roland vincent, christine sefolosha, art brut, art singulier, babioles de roland vincent, terres de christine sefolosha | Imprimer
03/12/2016
"Jean-Dubuffet-Alain Bourbonnais: Collectionner l'art brut", une correspondance ou un calque?
Vient de paraître chez Albin Michel un magnifique ouvrage, un pavé orange, consacré, par delà la correspondance entre Jean Dubuffet et Alain Bourbonnais qu'il met en scène (dans un appareil critique dû à Déborah Couette), à l'histoire de l'activité de la galerie nommée l'Atelier Jacob (de 1972 à 1982) et de la constitution de la collection "d'Art-Hors-les-Normes" de la Fabuloserie (ouverte à Dicy dans l'Yonne de 1983 jusqu'à aujourd'hui).
Photo Bruno Montpied
Disons d'emblée que ce gros livre est d'abord un très beau livre d'images. Son iconographie est riche et variée, couvrant à la fois les œuvres d'art brut d'auteurs qui furent exposées ou non à l'Atelier Jacob et les œuvres, plus nombreuses, d'artistes ou d'auteurs travaillant "sous le vent de l'art brut", pour reprendre la terminologie de Jean Dubuffet. Beaucoup de ces œuvres sont inconnues, en terme de publication. Grâce à la recherche qu'a menée Déborah Couette, on découvre les filiations et les échanges qui ont existé entre Alain Bourbonnais et son foyer d'art hors-les-normes (étiquette suggérée par Dubuffet) d'une part, et, d'autre part, la collection de l'art brut et sa documentation installée dans les années 1960-70 encore rue de Vaugirard (dans l'hôtel particulier qui est devenu aujourd'hui le siège de la Fondation Dubuffet), où Bourbonnais allait en compagnie de sa femme Caroline puiser des idées et des informations pour sa propre collection.
Un feuilletage du livre en moins de 15secondes (et non pas un effeuillage, Bousquetou, si vous traînez encore par ces pages...), film B.M.
Mais au fur et à mesure de la lecture se dégage une curieuse constatation. Dubuffet, on le sait depuis peu (grâce à un témoignage de Michel Thévoz paru dans le catalogue des 40 ans de la collection de Lausanne), donna sa collection d'art brut à la ville de Lausanne, après avoir refusé de la confier à une institution française (il craignit même un temps que sa donation soit bloquée à la frontière lors de son transfert en Suisse), ne voulant pas que son "Art Brut" (il préférait les majuscules) soit mélangé à l'art moderne du Centre Georges Pompidou (cela devrait nous faire réfléchir actuellement, alors qu'art brut et art contemporain ont entamé une drôle de valse ensemble...). Ce transfert prit place en 71 (la Collection au Château de Beaulieu ne s'ouvrant au public qu'en 1976). Alain Bourbonnais, c'est ce qui apparaît de manière éclatante dans l'ouvrage paru chez Albin Michel, était en admiration éperdue devant l'œuvre de Dubuffet elle-même. Il la suivait depuis pas mal de temps. Il admirait également, en parallèle, ses collections d'art brut. Et il tenta donc de renouveler l'expérience à Paris, puis en Bourgogne, en se calquant sur Dubuffet. Ce mot de "calque", ce n'est pas moi qui l'invente, il apparaît dans une lettre de Dubuffet à Michel Thévoz (premier conservateur de la Collection d'Art Brut), publiée dans cette correspondance (p.383 ; lettre du 13 octobre 1978): "Alain Bourbonnais paraît s'appliquer à calquer ce qui a été fait pour la Collection de l'Art Brut et faire à son tour en France à l'identique, ce qui me donne un peu de malaise." Dubuffet, pour conjurer ce malaise qui l'étreint par moments, aide pourtant Bourbonnais, surtout en l'orientant vers des créateurs qui appartiennent plutôt à ce que Dubuffet a classé dans sa "collection annexe", intitulée par la suite par Thévoz et Dubuffet "Neuve Invention". Mais Dubuffet n'en est pas moins méfiant, attentif de façon sourcilleuse à ce que Bourbonnais ne joue pas les usurpateurs. Une lettre publiée elle aussi dans cette correspondance montre un Dubuffet fort mécontent, après avoir vu une émission de télévision ayant présenté les œuvres de Bourbonnais, et ses collections comme de "l'art brut" (voir p. 348, lettre du 12 janvier 1980 ; et aussi, p. 148, la lettre parue bien auparavant le 6 décembre 1972). Pourtant, Bourbonnais – que je devine fort matois et malin, diplomate et rusé (mais Dubuffet en face lui rend des points! Au fond, au fil de cette correspondance, on suit une passionnante partie d'échecs...) – ne cesse de protester de son amitié, de son admiration et de son respect à l'égard du peintre-théoricien. Il pousse même l'imitation de Dubuffet jusque à copier son attitude sourcilleuse vis-à-vis de l'usurpation du mot "art brut", en lui signalant telle ou telle récupération du terme.
Alain Bourbonnais, quatre "Turbulents" parmi d'autres dans la salle qui leur est consacrée dans la Fabuloserie (au rez-de-chaussée), été 2016, ph. B.M.
Même l'œuvre de Bourbonnais est imprégnée de sa fascination pour celle de Dubuffet. Ses lithographies du début des années 1970 (voir p.49 et p.51) portent la marque de son admiration. Et plus tard, les "Turbulents" eux-mêmes, grosses poupées carnavalesques articulées dans lesquelles un homme peut parfois se glisser pour les animer, paraissent passablement cousines des gigantesques marionnettes que Dubuffet avait conçues pour son spectacle "Coucou Bazar", dans les mêmes années (le spectacle semble avoir été monté pour la première fois en 1973 aux USA).
Cette fascination de Bourbonnais, notamment pour les collections de Dubuffet, sa conviction qu'il existe un continent de créateurs méconnus – sur ces mots, "artiste", "créateur" , "productions", on trouve plusieurs lettres, entre autres de Dubuffet, qui rendent clairement compte des problèmes qui s'agitent derrière la terminologie, voir notamment p.347, la lettre de Dubuffet du 6 février 1978 –, on la retrouvera, quelques années plus tard (1982), chez les fondateurs de l'association l'Aracine, dont un des membres, Michel Nedjar – artiste autodidacte affilié approximativement selon moi à l'Art Brut – avait exposé dès 1975 à l'Atelier Jacob.
Mais, au final, Alain et Caroline Bourbonnais finiront par bâtir une collection qui s'éloignera de l'Art Brut, plus axée en effet sur des créateurs et artistes marginaux (l'Art-hors-les-normes, l'Art singulier, la Neuve invention, la Création franche, l'Outsider art anglo-saxon sont des labels plus ou moins synonymes servant à rassembler ces productions), restant sur un plan de communication avec l'extérieur, cherchant à exposer dans des structures alternatives. Ils rassembleront aussi des éléments venus d'environnements populaires spontanés (Petit-Pierre, Charles Pecqueur, François Portrat, etc.), environnements qui sont le fait d'individus recherchant la communication avec leur voisinage immédiat.
L'art brut est on le sait un terme qui s'applique davantage à de grands pratiquants de l'art au contraire autarciques, se souciant comme de l'an quarante de faire connaître leurs œuvres. C'est un corpus d'œuvres exprimées par de grands individualistes, la plupart du temps débranchés de toute relation avec le reste de la société, œuvres d'exclus, de rejetés par le système social, qui à la faveur de cette exclusion, inventent une écriture originale, construite sur les ruines de leurs relations aux autres.
Marcel Landreau, un couple, statues en silex collés sauvegardées à la Fabuloserie (contrairement à l'Aracine qui ne put en conserver faute à un conflit avec l'auteur) ; Marcel Landreau est l'auteur d'un incroyable environnement spontané à Mantes-la-Ville qui a été démantelé par le créateur lui-même au début des années 1990 ; ph. B.M., 2015.
Le départ (vu peut-être comme un exil) de la collection d'art brut de Dubuffet pour la Suisse fut un véritable traumatisme pour beaucoup d'amateurs dans ces années-là (fin des années 1970, début des années 1980). C'est visiblement un tournant dans l'histoire de l'art brut, et plus généralement dans l'histoire de la création hors circuit traditionnel des Beaux-Arts.
Collection de pièces d'Emile Ratier présentées à l'avant-dernier étage de la Fabuloserie à Dicy, ph. B.M., 2015.
L'ouvrage "Collectionner l'art brut" apparaît comme un document essentiel pour comprendre cette histoire.
Au chapitre des points criticables (points formels seulement) : si la maquette générale de l'ouvrage est dans l'ensemble fort belle et attractive, il reste que les notes de bas de page (que, personnellement, j'ai le vice d'aimer lire...) ont été éditées dans un corps véritablement microscopique qui les rend difficilement lisibles de tous ceux qui n'ont pas, ou plus, un œil de lynx. Ce genre de défaut typographique apparaît de plus en plus fréquent dans l'édition contemporaine, comme si un certain savoir traditionnel (justifié pourtant au départ par le respect dû aux lecteurs) s'était perdu du côté des maquettistes. Autre chose qui me chiffonne: en plusieurs endroits du livre, on confond, abusivement à mon sens, "Neuve Invention" (collection annexe, Singuliers...) et Art Brut, par exemple dans le libellé de légendes placées à côté des œuvres de la Collection de l'Art Brut. Comme si une volonté se dessinait chez les concepteurs du livre – ou plutôt des responsables de la collection de l'Art Brut ? Il semble bien que ce soit plutôt du côté de l'éditeur qu'il faudrait aller voir... Voir commentaires ci-dessous de Déborah Couette, puis celui, nettement plus éclairant, du documentaliste de la Collection de l'Art Brut, Vincent Monod... – de tout amalgamer, contrairement à ce que demande Dubuffet pourtant tout au long de cette correspondance avec Alain Bourbonnais...
A signaler que la sortie de cet ouvrage, Collectionner l'art brut, correspondance Jean Dubuffet-Alain Bourbonnais, fera l'objet d'une présentation au public le 12 décembre à la Fondation Dubuffet (de 18h à 21 h, 137 rue de Sèvres, dans le VIe ardt, à Paris), en même temps que sera présentée une autre publication récente, tout aussi intéressante, réalisée par la Collection de l'Art Brut, SIK ISEA et les éditions 5 Continents, l'Almanach de l'Art Brut.
Parallèlement, dans le nouvel espace de la Fabuloserie-Paris (retour des choses, cette nouvelle galerie, animée par Sophie Bourbonnais, fille d'Alain et Caroline Bourbonnais, est ouverte à côté de l'emplacement de l'ancien Atelier Jacob, au 52 rue Jacob Paris VIe ardt (ouvert du mercredi au samedi de 14h à 19h et sur rendez-vous au 01 42 60 84 23 ; voir aussi fabuloserie.paris@gmail.com), se tient une exposition consacrée à quatre artistes défendus par la Fabuloserie : Francis Marshall, To Bich Hai, Genowefa Jankowska et Genowefa Magiera (vernissage le 8 décembre de 18h à 21h).
Un nouveau venu à la Fabuloserie: Jean Branciard (que les lecteurs de ce blog reconnaîtront comme un artiste que nous avons défendu parmi les tout premiers ; je suis content que le Poignard Subtil puisse voir ainsi ses choix corroborés par ceux de la Fabuloserie), ph. B.M., 2016.
Film de Joanna Lasserre sur le vernissage de la sortie de "Collectionner l'art brut" les 22 et 23 octobre derniers, avec pour l'occasion, une exposition d'œuvres de la Fabuloserie dans un Atelier Jacob provisoirement réinstallé dans ses anciens locaux.
00:41 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art singulier, Environnements populaires spontanés, Galeries, musées ou maisons de vente bien inspirés | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : jean dubuffet, alain bourbonnais, correspondances épistolaires, art brut, art-hors-les-normes, collectionner l'art brut, collectionneurs, fabuloserie, déborah couette, sophie bourbonnais, marcel landreau, émile ratier, atelier jacob, fabuloserie paris | Imprimer
08/10/2016
Marjolaine Larrivé, l'Aubrey Beardsley de la savonnette sculptée
Ça m'énervait, je n'arrivais pas à retrouver le nom de ce sculpteur sur savon, particulièrement brut dans la facture, que j'avais découvert à une exposition à la Halle St-Pierre voici quelques années... Et puis ça m'est revenu... Jeffrey Hill, un Américain de New-York, taulard, qui, pour s'occuper et exprimer ses désirs d'homme enfermé avait ciselé des savons avec un incontestable sens de la stylisation et de l'ambivalence des formes, réussissant des scènes érotiques réalistes (le savon implique, peut-être avant tout, des rêves d'amour, par l'évocation des soins corporels?) qui simultanément présentaient une géométrisation à la limite du pictogramme et du symbole.
Jeffrey Hill, la même sculpture sur savon, vue sous deux angles différents, représentant une scène d'amour à trois ; ph. extraite de la revue Hey! n°6, 2011, se référant à l'exposition des œuvres de Jeffrey Hill dans l'exposition, la même année, à la Halle Saint-Pierre, "Sous le vent de l'art brut: la collection Charlotte Zander"
Marjolaine Larrivé, Impalas (qui sont des antilopes ; à noter que seuls les mâles ont des cornes en forme de lyre chez les impalas, paraît-il, mais ici, l'artiste semble avoir fait exprès de renverser la proposition à l'occasion de ses créatures hybrides, à la fois humaines et animales) ; carton d'invitation à l'exposition "Secrètes savonnettes" à la galerie Dettinger du 8 octobre au 29 octobre 2016
Je cherchais à retrouver ce nom et cette occurrence, parce qu'en passant récemment à la galerie Dettinger, place Gailleton, à Lyon, son animateur me parla de sa prochaine exposition consacrée à l'œuvre de "Secrètes savonnettes", alias Marjolaine Larrivé. Rien que son prénom, déjà, fleurait bon le matériau employé. Je me dis, logiquement, qu'il y avait un dossier sur le savon sculpté à ouvrir sur ce blog. Comme me le confia l'artiste, une fois celle-ci contactée, la sculpture sur savonnette existe depuis fort longtemps, depuis au moins le XIXe siècle lorsque des concours de sculpture sur des matériaux insolites (savons, mais aussi marrons...) étaient organisés auprès de la population , sans doute par des magazines du style le Magasin pittoresque, Lectures pour tous, ou La Nature.
Marjolaine Larrivé, les mêmes impalas, éclairés par derrière...
Cette artiste, basée sur Lyon, utilise le savon dans un style plus baroque et moins brut que Jeffrey Hill, elle joue par exemple des transparences en mettant une lumière derrière ses œuvres. Elle avoue aussi être grandement admiratrice des illustrateurs fin XIXe ou début XXe (Beardsley? Edmond Dulac? Pour Beardsley, c'est particulièrement vérifié dans certaines affiches qu'il lui arrive également de réaliser, car Mlle Larrivé est illustratrice à côté de ses savonnettes). La mollesse et la tendreté du matériau incline probablement le sculpteur à la virtuosité et à une précision bénédictine digne des chefs-d'œuvre de compagnons.
Marjolaine Larrivé, Daphné en lauriers, image en provenance du site web de l'artiste ; cette dernière apporte un soin particulier à la mise en valeur de ses savonnettes ciselées en les incluant dans des boîtes
Marjolaine Larrivé, Silver III, photo extraite du site web de l'artiste (comme la précédente)
Et puis, pour prolonger un petit peu plus loin la connaissance de cette jeune artiste lyonnaise, et l'entendre parler de la "douceur lyonnaise" et de sa difficulté, dans les débuts, de se dire "plasticienne", difficulté que je partage avec elle, je dois dire, même à mon âge bien plus élevé... on regardera la vidéo ci-dessous:
Vidéo, source YouTube, auteur: Résonance Chronique ; au début légère introduction à propos de l'exposition d'œuvres de Marjolaine Larrivé à la Demeure du Chaos... La musique est grandiloquente, mais ça ne dure pas très longtemps, l'interview de l'artiste dans son atelier suit très vite...
L'exposition des savonnettes de Marjolaine Larrivé s'accompagne d'une autre consacrée à des dessins de Béatrice Elso (même durée d'exposition). A signaler aussi que dans le dernier numéro de Hey! (n°27 je crois), paru très récemment, le travail de Marjolaine Larrivé a fait lui aussi l'objet d'une note, comme dans le cas de Jeffrey Hill, cinq ans plus tôt, ce qui a ravi l'artiste, m'at-elle confié...
18:46 Publié dans Art Brut, Art moderne ou contemporain acceptable | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : savon sculpté, jeffrey hill, collection charlotte zander, hey!, marjolaine larrivé, sculpture sur savon, aubrey beardsley, edmond dulac, illustration, art contemporain insolite, art brut, galerie dettinger-mayer, artistes lyonnais | Imprimer
21/09/2016
La fête à Robillard, à Villefranche-sur-Saône
On me disait récemment qu'il y avait deux collectionneurs qui étaient aux petits soins pour André Robillard – l'homme aux fusils faits d'objets Le premier a même été accusé par une certaine rumeur d'infléchir la production de notre héros vers du commercial avec des produits plus accessibles au point de vue de leur valeur monétaire (je pense que c'est à cause des pistolets qui étaient à vendre à l'Outsider art fair de l'année dernière ; c'était bien vu, des pistolets, c'est plus petit, il y a moins de choses à assembler, c'est moins cher...). Les objets fabriqués chez ce collectionneur, sorte de mécène pour un créateur brut en quelque sorte (du coup, le "brut" devient-il moins "brut"?), on les appelle dans un certain milieu non plus des Robillard, mais des Robillux, mot-valise plaisant qui enregistre le nom du dit collectionneur... C'est oublier cependant que Robillard, outre qu'il tire toujours son épingle du jeu, tellement ce qu'il fait reste marqué au coin de sa personnalité irréductible, a toujours été content de recevoir des regards sur son travail, presque dès le départ.
Exposition André Robillard, plus divers événements en parallèle, à Villefranche-sur-Saône
Après sa production initiale de fusils des années 1960, par exemple, il paraît avoir fait une pause, qui s'acheva du jour où il découvrit ces mêmes fusils exposés à la Collection de l'Art Brut de Lausanne. Cela lui donna un coup de fouet, semble-t-il (cela mériterait précision), il se remit de plus belle au travail. De cette seconde époque, témoignerait le "proto-fusil" que j'ai récemment mis en ligne sur ce blog, proto-fusil qui inaugura peut-être sa seconde période de création. L'apparition, puis le développement de la collection de l'Aracine, à partir de 1982, le conforta dans sa création. Et il ne s'arrêta plus. Avec le "premier collectionneur" évoqué plus haut, il semble qu'il se soit tourné davantage vers d'autres réalisations, comme des spoutniks ou des pieuvres en trois dimensions, voire des costumes de cosmonautes. Son activité graphique continuait de se développer en parallèle.
Le deuxième collectionneur dont on me parla récemment, ça doit être Alain Moreau, un admirateur sincère d'André Robillard, qui lui aussi ne résista pas à l'envie de lui proposer de travailler sur un support inédit, des galets en l'occurrence. Je n'en ai en effet jamais vu ailleurs que dans la collection de Moreau. Ce sont de belles pièces, qui font heureusement écho avec d'autres pierres, peintes par toutes sortes d'autres artistes et créateurs (il faudrait faire des livres ou des expos rien que là-dessus).
Trois galets dessinés par André Robillard, coll. Alain Moreau, ph. Bruno Montpied, 2009
Alain Moreau a décidé de tresser un joli petit collier d'événements autour de Robillard. Voyez plutôt le programme ci-dessous. Le vernissage était lundi 19 septembre pour l'ensemble des manifestations (exposition du 12 septembre au 1er octobre ; spectacle ; rencontre ; projection des films de Philippe Lespinasse et de Claude et Clovis Prévost).
"Découvert par Jean Dubuffet", dit le carton, moi, j'ai tout de même envie de citer d'abord le docteur Paul Renard qui montra initialement les fusils de Robillard à Dubuffet.
J'ai rencontré André Robillard avec des amis récemment. On l'a invité à casser une graine avec nous dans un de ses bistrots du coin favoris. Un de ses fusils, paré d'une splendide plaque de pub pour le Ricard, trônait d'ailleurs en majesté au-dessus du bar. Je me suis laissé aller moi aussi à l'influencer, à lui passer commande de quelque chose. Cela a été sans doute proportionné à la valeur monétaire de notre "mécénat" (un menu ouvrier...). Je lui ai fait remarquer qu'à ma connaissance il n'avait jamais représenté de Martien. Pourtant, ce n'est pas la première fois qu'on l'entend parler martien. Philippe Lespinasse dans son film lui en parle à un moment (film André et les Martiens). Hélène Smith, elle, qui recopiait des éléments de langue martienne, a eu l'audace d'en dessiner quelques spécimens (voir ci-contre l'étrange personnage semblable à un berger, avec une face fort large, une magnifique jupe à bretelles et de solides sandales). Mais André Robillard? Eh bien, il eut la gentillesse de m'en dessiner un sur un coin de notre nappe taché par la sauce des andouillettes qu'on venait d'engloutir. Voici, ci-dessous, en exclusivité mondiale, le résultat de cette remémoration graphique robillardesque.
André Robillard, dit "le Marsien", Bonjour MARSIEN, dessin au marqueur sur nappe en papier, 2016, coll. B.M.
00:54 Publié dans Art Brut, Art immédiat | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : andré robillard, art brut, fusils détournés, alain moreau, théâtre de villefranche-sur-saône, marsiens, robillux | Imprimer
17/09/2016
La Fabuloserie remet un pied à Paris
La Fabuloserie Paris est le nom de la galerie que vient d'ouvrir Sophie Bourbonnais à St-Germain-des-Prés, renouant avec les origines de la Fabuloserie, origines qui avaient pour nom l'Atelier Jacob, ouvert quant à lui de 1972 à 1982. Cette galerie fut la première à représenter l'art brut à Paris, alors appelé "art hors-les-normes", du fait des interdits de Dubuffet vis-à-vis de l'appellation qu'il se réservait (à un moment, en 1972, où sa collection de la rue de Vaugirard était en train de migrer vers Lausanne, migration qui mit six ans avant qu'on puisse la voir muséographiée au "Château" de Beaulieu).
Le vernissage de la nouvelle galerie "fabulosante" a lieu aujourd'hui à partir de 15h... Voici les intentions qu'affichent sans ambages ses animateurs :
Œuvre de Michèle Burles
C'est donc un nouveau souffle que se donne la Fabuloserie dont les rênes ont été reprises récemment, après la disparition de Caroline Bourbonnais en 2014 (le fondateur de l'Atelier Jacob et de la Fabuloserie, Alain Bourbonnais, étant disparu beaucoup trop tôt, en 1988), par ses filles Agnès et Sophie. On pourra commencer par la galerie parisienne pour des expositions centrées sur des créateurs et artistes défendus par la collection de Dicy (Yonne) – en tout premier lieu cette fois Michèle Burles, artiste très inventive mais pas assez remarquée, je trouve –, en s'en servant comme d'un marchepied en quelque sorte pour rebondir ensuite à Dicy, pour visiter la collection princeps. Ou, tout au contraire, venu de Dicy, on viendra à Paris afin d'en apprendre davantage sur l'œuvre de tel ou tel découvert primitivement en Bourgogne. Les animateurs de l'endroit promettent cependant de ne pas s'en tenir aux artistes ou créateurs déjà collectionnés, mais d'ouvrir la nouvelle galerie à d'autres œuvres récemment découvertes.
Une librairie annoncée sur l'art brut et apparentés, avec événements à la clé (dont des projections de films...), est une initiative supplémentaire heureuse, car les occasions de dénicher de la documentation et de la littérature sur les sujets qui nous occupent restaient rares jusqu'ici, en dépit de l'excellente librairie de la Halle St-Pierre.
Alain Bourbonnais et ses "Turbulents" à la Fabuloserie, ph. Bruno Montpied, 2016
13:54 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art rustique moderne, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : fabuloserie, fabuloserie paris, sophie borubonnais, alain et caroline bourbonnais, michèle burles, art hors-les-normes, art brut, art singulier, atelier jacob | Imprimer
09/08/2016
Une affiche de la Collection de l'art brut fort originale
Affiche éditée par la Collection de l'art brut de Lausanne à l'occasion de son exposition des 40 ans de sa fondation ; les auteurs d'art brut représentés dans les 17 médaillons encadrant la composition (où l'on reconnaît en bas le château de Beaulieu, qui abrite la Collection) sont, en partant de la gauche en bas : Carlo, Pascal-Désir Maisonneuve, Augustin Lesage, Joseph "Pépé" Vignes, Louis Soutter, Adolf Wölfli, Elisa Bataille, Laure Pigeon, Aloïse, Madge Gill, Simone Marye, Emile Ratier, Miguel Hernandez, Juva, Francis Palanc, André Robillard (seul vivant de la série), et Jules Doudin.
L'auteur de l'affiche, les amateurs l'auront reconnu, est Guy Brunet qui a sans doute voulu, à cette occasion, gratifier la Collection d'un œuvre très originale, à la fois dans la perspective de sa propre œuvre, avant tout axée comme on sait sur un éloge dithyrambique du cinéma américain et français d'avant les années 1970, et à la fois dans la perspective de l'art brut. Il a été exposé l'année dernière en effet à Lausanne, qui, de ce fait, l'adoubait comme auteur d'art brut (terme que je préfère de loin à "artiste", bien que ce mot soit utilisé par Brunet lui-même dans les textes inscrits au bas de l'affiche ; "auteur" ou "créateur" sont en effet plus adaptés qu'"artiste" qui donne une fausse idée de l'usage social qui est fait de l'art par la majorité des individus collectionnés sous l'étiquette d'art brut). On conçoit donc que Guy Brunet se sente redevable vis-à-vis de cette Collection qui a consacré de manière si éclatante sa vision (il se campe en réalisateur de films documentaires sur l'histoire du cinéma, les confectionnant avec les moyens du bord, et faisant converger en eux toute une "armée" de silhouettes peintes représentant acteurs et producteurs, qu'il fait bouger devant ses caméras, des fresques et des emboîtages peints pour les décors, et toute une flopée d'affiches peintes sur papiers divers de très grand format, qui sont des transpositions d'affiches ayant existé).
Guy Brunet devant ses personnages découpés en silhouettes peintes, ph. Bruno Montpied, 2012
Ce qui est original dans cette affiche dans la perspective des auteurs d'art brut, c'est que l'on rencontre ici un des premiers cas – voire l'unique cas – où un des auteurs de l'art brut peint une sélection de ses congénères (17 personnages, choisis subjectivement). L'art brut, on le sait, est plutôt une collection d'individualistes forcenés, œuvrant avant tout pour eux-mêmes, sans souci des autres, ne cherchant pas nécessairement à être reconnus tant ils sont avant tout le siège d'une pulsion expressive qui ne s'accommode d'aucun besoin vénal, d'aucun besoin d'autres regards dans l'immédiat ("dans l'immédiat", parce qu'il est entendu que, peut-être, sur un plan différé, absolu, ils recherchent obscurément un contact avec un autre quel qu'il soit, un autre qui soit à l'écoute). Ici, avec cette affiche, qui fut probablement commandée qui plus est (on aimerait le savoir) par les responsables de la Collection (qui eut l'idée? Sarah Lombardi?) – ce qui est aussi une première me semble-t-il à Lausanne –, on a poussé un auteur d'art brut à dialoguer par delà les âges avec d'autres auteurs, réalisant ainsi ce que j'avance dans la parenthèse ci-dessus, permettre enfin le contact sur un plan absolu de tous ces enfants perdus les uns avec les autres...
Mais en passant cette commande, on peut se demander s'il n'y a pas eu remise en question implicite des caractéristiques autarciques de l'art brut, tel qu'il était conçu à l'origine par Jean Dubuffet ou Michel Thévoz. Et, curieusement, cette remise en question aura été opérée par les gardiens de la collection principale de l'art brut eux-mêmes... Et pourquoi pas?
00:44 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art populaire contemporain, Cinéma et arts (notamment populaires), Questionnements | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : collection de l'art brut de lausanne, guy brunet, art brut, cinéma amateur, enfants perdus, affiches, anniversaires, artiste ou créateur | Imprimer
05/07/2016
La vie dans un tonneau
J'aime bien ce conte du tonneau magique que racontait à l'occasion ce grand diseur qu'est Michel Hindenoch. Lorsqu'on laissait tomber quelque objet que ce soit à l'intérieur, cette chose s'y multipliait jusqu'à ras bord pour le bonheur, ou le malheur, de celui qui l'y avait jeté...
Ici, essayons plutôt le bonheur (quoique... Voir Garou plus bas...).
Joseph "Pépé" Vignes, sans titre, crayons de couleur et graphite sur papier, 24 x 32 cm, 1976, coll. et ph. Bruno Montpied
J'ai mis en ligne, je crois, au moins une fois déjà, ce dessin aux crayons de couleur de Pépé Vignes montrant un tonneau figuré à la fois de face et de profil, ressemblant à un chalet suisse. Tonneau (foudre plutôt) qui repose sur un accordéon, comme me l'a signalé autrefois monsieur de Belvert à la suite de ma première note sur ce dessin.
Cette rencontre de piano à bretelles avec un tonneau résume en grande partie la vie de l'auteur du dessin, Pépé Vignes, que l'on n'a pas oublié dans sa bonne ville d'Elne (Catalogne française) puisqu'une rue porte son nom, comme nous l'a signalé naguère un commentateur de la note citée ci-dessus signant "Illibérien" (habitant d'Elne ; voir sa photo ci-contre). Joseph Vignes, fils et frère de tonneliers, lorsqu'il était enfant, dormait, contraint et forcé, dans un des tonneaux de l'entreprise familiale. Et l'accordéon était l'instrument favori de Vignes, dont il jouait pour animer nombre de fêtes et de bals dans sa région, en dépit des imbéciles qui se moquaient de lui en raison de sa simplicité ("Illibérien" - qui signe aussi, dans les courriels que j'ai échangés avec lui, "Jean de la Lune" - dit qu'il était "retardé ; un Espagnol aurait dit qu'il lui manquait un quart d'heure..."). Photo ci-contre: Pépé Vignes par Mario Del Curto (très myope, Vignes dessinait au ras de sa feuille... Peut-on être plus immédiat que cela en matière de dessin?
Voici quelques souvenirs de Jean de la Lune, l'Illibérien qui connut Pépé Vignes en 1960 (Vignes avait alors 40 ans, et notre Illibérien en avait 16):
"Je vais vous dire qui était Pépé. Fils de tonneliers auvergnats installés à Elne, avenue du Général de Gaulle, Jo est le mal-aimé de la famille. Il n'a pas toute sa tête, il ne fait rien, ne sert à rien (c’est un peu un être inutile). Les Vignes, c'est une famille nombreuse. Ils vivent non pas dans une maison, mais dans une sorte de hangar qui fonctionne comme un tout, atelier ou maison. Le papa tient la tonnellerie avec un des fils. Il y aussi deux filles. Jo est l'aîné, il est né en 1920 − lorsque j'ai bien connu Jo, j'étais adolescent − lui avait 40 ans et moi 16 [nous sommes alors, donc, en 1960]. Dans tous les bals où Jo allait, il y avait ces imbéciles qui lui empoisonnaient la vie − lui ne disait jamais rien, il était gentil. Des fois, il venait au bal avec son accordéon et en bon fils d 'Auvergnat, il aimait la bourrée. Les malfaisants lui faisaient jouer de l'accordéon et danser la bourrée à n'en plus finir. Mais comprenez qu'à la fin, ça devenait lassant de se retrouver avec la même bande de lourdauds qui empoisonnaient ce brave garçon. Pour ce qui est du tonneau dans la cour − je revois leur image encore en vous écrivant (c'est le chemin de l'école, je les voyais quatre fois par jour) − il y avait cinq ou six énormes tonneaux −des foudres énormes− et dans l'un d’eux, Jo dormait. C'était sa chambre à coucher ! Hiver comme été ce brave Jo dormait là ! Vous comprendrez maintenant que le dessin de son chalet prenne la forme d'un tonneau." (Jean de la Lune)
Cela m'est revenu lorsque j'ai eu envie de rassembler pour les besoins de la note présente quelques images ayant pour point commun le tonneau vu comme un habitat (si l'on peut dire cela pour le cas qui suit immédiatement).
La seconde occurrence où figure un tonneau, elle aussi a déjà fait l'objet d'une note précédemment. Mais, dans une autre note qui se veut rassemblement et anthologie d'habitats-tonneaux, cela prend un sens élargi.
Tombe de Léonce Chabernaud, Rochechouart, photo (carte postale) Jacques Thibault
Pour ceux qui n'auraient pas lu les commentaires croisés de "l'Aigre de mots" et de "Pierre-Jean", publiés à la suite de la note donnée en lien ci-dessus, cette tombe représente le wagon-foudre d'un négociant en vins, anticlérical au point d'avoir voulu se faire enterrer sous un symbole qui moquerait les bigots de tous poils dans sa région et au-delà. Et il faut dire que cette sépulture de ce point de vue ne manqua pas sa cible... De plus, elle appelle par analogie d'autres coutumes funéraires pratiquées dans des cultures a priori bien éloignées des nôtres, comme cette coutume au Ghana dans l'ethnie Ga qui consiste à fabriquer des cercueils en forme d'objets ou d'animaux ayant eu un rapport avec la vie du défunt. J'en ai également déjà parlé.
Extrait de Massif Central magazine, années 1990
Revenons à nos tonneaux, cela dit. Non loin de l'Auvergne, dans le Velay, au sein d'une forêt entourant le magique lac du Bouchet, cachant la bouche d'un volcan, vivait autrefois un certain Pierre Brun, dit communément "Garou", homme à tout faire dans cette campagne du Bouchet-Saint-Nicolas. Pauvre d'entre les pauvres, il habitait un tonneau transformé en abri, avec un toit de zinc, une porte et une fenêtre, foudre de "500 hectolitres" que lui avait cédé par troc son marchand de vins favori du Bouchet. Il y survivait tant bien que mal, creusant les trous des morts au cimetière communal, éclusant pas mal de chopines. Il habitait ainsi le logement idoine, étant donné son occupation favorite... Un hasard pathétique voulut qu'en 1971, il termine sa vie en se noyant dans le lac voisin, buvant plus d'eau qu'il n'en avait jamais absorbé sa vie durant. S'il a disparu, il semble bien qu'en revanche son foudre soit toujours debout, abri de fortune pour les promeneurs de passage.
L'abri de Garou, encore debout dans les années 1990... Photo Luc Olivier, Massif Central magazine
L'idée d'un habitat conçu à partir d'un tonneau, même si elle renvoie souvent au mythe du célèbre Diogène, n'a pas eu à ma connaissance (qui reste tout de même fort limitée en ce domaine) d'applications nombreuses à notre époque si l'on excepte des applications d'ordre publicitaire. Voici deux exemples au moins, relevés en France. L'un, repéré en 2010 à Batz-sur-Mer, montre un stand de vente de vins de Bordeaux, logiquement installé dans un foudre.
Batz-sur-Mer, ph. Bruno Montpied, 2010
Le second a été rencontré ces jours-ci par notre correspondant spécial à Clermont-Ferrand, Régis Gayraud, sur la place de Jaude. Là encore, on a affaire à un marchand de vins, mais cette fois son stand est à "roulettes".
Cette camionnette originale est un vestige de la caravane publicitaire du Tour de France 1952, ph. Régis Gayraud, 2016
Voici la camionnette originale parée aux couleurs de Byrrh...
Alors, certes, certains esprits chagrins pourraient nous rétorquer que ce ne sont là que constructions au service du commerce, mais nous pourrons toujours leur répondre qu'en dépit de cela, continue de passer un message poétique, exploité à des fins de négoce bien sûr, mais toujours présent, concrètement prouvé.
08:50 Publié dans Architecture insolite, Art Brut, Art immédiat, Art populaire anti-religieux, Confrontations, Danse macabre, art et coutumes funéraires, Le conte en rapport avec d'autres expressions, Photographie, Véhicules créatifs | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : tonneaux, habitats dans des tonneaux, architecture insolite, abris insolites, foudre, tonnellerie, joseph pépé vignes, art brut, rue pépé vignes, accordéon, illibérien, elne, garou, lac du bouchet, pierre brun, régis gayraud, véhicules insolites, habitat alternatif | Imprimer
24/05/2016
Rappel, ce samedi 28 mai, la Petite Brute, dans l'Yonne, à Villeneuve-les-Genêts...
A signaler que cette journée du 28 mai –où sera également disponible à la vente l'ensemble des quatre titres de la collection La Petite Brute– marque le début de mon exposition de photographies consacrées à la thématique des environnements spontanés, prévue pour durer les mois de juin et juillet. Ci-dessous, une des photos exposées:
René Escaffre, un maçon au travail, statue installée à Roumens, dans le Lauragais, devant la maison de l'auteur, photo Bruno Montpied, 2004
09:25 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Environnements populaires spontanés, Photographie | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : petite brute, bruno montpied, photographies d'inspirés, art brut, environnements spontanés, habitants-paysagistes, remy ricordeau, denise et maurice dresseurs d'épouvantails, marcel vinsard l'homme aux mille modèles, marcel vinsard, épouvantails, visionnaires de taïwan, art brut de taïwan, andrée acézat, association puys'art, café m'an jeanne et petit pierre, villeneuve-les-genêts, rené escaffre | Imprimer
28/04/2016
André Robillard, un proto fusil?
Il y a quelques jours, j'ai publié une photo en faible résolution d'un fusil apparemment primitif d'André Robillard. Il paraissait pouvoir se dater des années 1980, dates auxquelles son propriétaire (qui s'en est désormais défait, inutile d'écrire...) l'avait acquis dans les locaux de l'Aracine à Neuilly-sur-Marne (ouverts en 1984). On sait cependant que Robillard a commencé plus tôt ses pétoires symboliques, connues pour leurs agrégations d'accessoires multiples et variés. Et, à contempler l'engin –dont je produis ci-dessous une image, un peu meilleure j'espère, accompagnée des inscriptions qui se trouvent par dessous–, on peut légitimement se demander s'il ne faut pas le considérer comme un prototype, ou mieux, un proto-fusil... Un squelette, une matrice avant le développement ultérieur, rendu aujourd'hui un peu trop systématique du fait d'une demande des collectionneurs? Celui qui le possède aujourd'hui aurait en ce cas une pièce assez historique, dans la perspective de l'œuvre robillardesque...
André Robillard, fusil "le serpent indien", années 1980? Ou plus ancien?, coll. privée, ph. Bruno Montpied
André Robillard, inscriptions en dessous du fusil, la signature de l'auteur et le titre, "le serpent indien", ph. B.M., 2016
00:41 Publié dans Art Brut | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : andré robillard, art brut, proto fusil, matrices, prototypes, fusils symboliques, aracine | Imprimer
27/12/2015
Des goujats de Goujounac
Trois sculptures en médaillon et silhouettes, dont celle de droite qui est la véritable première œuvre de Gaston Mouly (telle qu'il me l'affirma en 1984), ce qui contredit ce qu'affirme (p.7 et p.22) Jean-François Maurice dans le catalogue de l'exposition Mouly au musée Henri Martin de Cahors en 2000 ; photogramme du film en Super 8 de Bruno Montpied sur Gaston Mouly (1987)
Une exposition sur Gaston Mouly se prépare à Goujounac, son village natal du Lot. Ce sera pour juin semble-t-il. Une association nommée Goujoun'Art, animée par des personnes du cru, ont contacté plusieurs personnes qui de près ou de loin ont connu Gaston Mouly.
Est-ce l'air du temps porté sur la paranoïa et sur la lâcheté? La peur du qu'en-dira-t-on (qui n'effrayait pourtant aucunement un Gaston Mouly comme le proclament parfois les titres de ses œuvres, voir aussi l'inscription au bas de cette note)? La crainte frileuse d'assumer les propos des participants à cette manifestation auxquels ils prêtent d'imaginaires retombées en terme de réputation ? Toujours est-il que le signataire de ces lignes, après avoir avec bienveillance apporté son soutien au projet, donné quelques informations, jugements et conseils qu'il estimait de nature à aider les organisateurs, avoir écrit un texte de souvenirs sur Gaston Mouly, une première fois remanié pour complaire à Goujoun'Art, aménagé son agenda pour une conférence qu'on lui avait demandée pour la fin avril 2016, discuté avec la responsable de cette association, le signataire de ces lignes s'est fait purement et simplement renvoyer à ses chères études, sans la moindre justification, par un mail en cinq lignes! On ne voulait plus du texte, dans ce qui ressemblait à un caprice, et la conférence elle-même était annulée... A Goujounac apparemment on prend les gens pour des kleenex. Plus goujat, tu meurs!
Dessin inédit de Gaston Mouly, 56x76 cm, du 9 avril 1996, donné à l'école maternelle de Castelnau-Montratier (où il se trouve toujours), selon ce que nous en a dit Mme Claudie Bousquet, ancienne institutrice de cette école, suite à l'appel que je fis sur ce blog pour aider Doriane Mouly à retrouver des œuvres de Gaston
Gaston Mouly donnant quelques explications à des enfants de l'école maternelle de Castelnau-Montratier lors de sa venue en 1996 (un an avant l'accident qui lui coûta la vie), archives de l'école ; photo inédite
Qu'est-ce qui a déplu dans ma proposition de texte (car c'est celui-ci qui est en cause apparemment)? Je suis inévitablement conduit, en l'absence d'explication, à proposer des hypothèses. Mon but second étant d'alerter tous ceux, dans les milieux d'art brut et d'art singulier, qui auraient affaire à l'avenir à cette association. Et je voudrais souligner aussi une propension de certains amateurs d'art − beaucoup trop "amateurs", dans le pire sens du terme − à s'ériger en censeurs. La censure d'Etat, c'est déjà atroce, alors que dire de la censure des gens ordinaires...?
Voici mon texte ci-dessous proposé dans la version que je considérais comme définitive:
Gaston Mouly dans mon rétroviseur
En 1984, alors que l’Aracine venait d’ouvrir les portes du Château-Guérin, à Neuilly-sur-Marne, afin d’y présenter son embryonnaire collection d’art d’autodidactes ‒ à cette époque, elle n’avait pas le droit d’employer le terme « d’art brut », Jean Dubuffet n’autorisant personne à en user en dehors de sa propre collection ‒, je fis la connaissance de Gaston Mouly, et de son inénarrable faconde, de son accent quercynois et surtout de son univers plastique, qui se limitait alors à ses sculptures en ciment polychrome.
Il avait débuté dans ce domaine depuis trois ou quatre ans, et c’était une future romancière, Myriam Anissimov, qui, en faisant sa connaissance (via une commande à son entreprise de maçonnerie je pense), l’avait recommandé à Madeleine Lommel et à Michel Nedjar. Ces derniers étaient en effet à l’affût de nouveaux créateurs afin d’étoffer la collection qu’ils rêvaient de construire en suivant l’exemple de la collection d’art brut princeps, celle de Dubuffet, qui venait d’être donnée à la ville de Lausanne (et ouverte en 1976), en ayant quitté la France où l’art brut avait été pourtant inventé (dès 1945). Notre pays attendit jusqu’en 1999 pour qu’une collection d’art brut entre officiellement dans un musée d’art moderne, au LaM de Villeneuve-d’Ascq dans le Nord. Cette collection étant justement celle que s’ingénièrent à constituer les animateurs de l’Aracine durant une quinzaine d’années.
Je suivais l’aventure de l’Aracine depuis sa première exposition à Aulnay-sous-Bois en 1982. Ce qui m’y intéressait, c’était précisément cette recherche de nouveaux créateurs, et je dois dire que je suis resté fidèle toute ma vie à ce genre d’attitude. Tomber sur des auteurs sauvages, en dehors de tout système des beaux-arts, et de tout marché de l’art, est une aventure passionnante, stimulante en retour pour notre propre démarche créative. Je fus d’autant plus surpris de constater qu’au fil des mois, les animateurs du Château-Guérin paraissaient mettre de côté Mouly, peut-être parce que, entre autres raisons, cherchant avec fièvre de nouvelles œuvres, il leur arrivait de remiser leurs précédentes trouvailles.
Je trouvais dommage qu’on puisse avoir envie de mettre entre parenthèses l’art d’un Mouly, son dévoilement venant tout juste d’être opéré. Je fis plus amplement connaissance avec lui, me rendant à plusieurs reprises dans son village de Lherm, et lui venant souvent à Paris, pour se confronter à son rêve naïf de vie artistique à la capitale (il descendait dans un hôtel de St-Germain-des-Prés, d’où il nous arrivait d’aller nous exhiber aux Deux Magots pour faire plaisir à Gaston).
Je décidai donc quelques années plus tard de le recommander à mon tour à Gérard Sendrey du Site de la Création Franche (nom primitif du musée de Bègles), en 1988-89. Gaston avait déjà, depuis quelques années, fait de la peinture (plusieurs tableaux en attestent). Il m’avait même donné des dessins pour mon fanzine, La Chambre rouge en 1985.
Couverture de La Chambre rouge n°4/5, 1985 ; la première occurrence où apparaissent des dessins de Gaston Mouly
Sendrey, ne disposant pas de beaucoup d’espace dans sa minuscule galerie Imago (espace qu’il avait ouvert avant de récupérer un local plus grand où se trouve toujours aujourd’hui le musée de la Création Franche), voulait des œuvres de petit format. Il repoussait en conséquence les sculptures de Gaston, qu’il jugeait trop difficiles à manœuvrer pour des accrochages. Il lui demanda s’il ne faisait pas des dessins. Gaston sauta sur l’occasion pour développer un secteur de sa création qui ne demandait qu’à prendre plus d’ampleur¹. Une magnifique floraison de dessins en couleur surgit alors, qui devait lui ouvrir les portes d’autres collections prestigieuses, comme celles de la Fabuloserie et de la Neuve Invention dans la collection de l’Art brut à Lausanne² (« Neuve Invention » étant un terme inventé par Dubuffet pour classer les cas-limites situés entre l’art savant et l’art brut au sens strict).
Carton d'exposition en 4 pages de Gaston Mouly à la galerie Imago de Gérard Sendrey en 1989, avec un texte d'introduction de Bruno Montpied
L’originalité du dessin de Gaston Mouly provient de son désir profond de faire moderne. Parallèlement, il restait fier de sa culture de base, intimement liée à son goût du patois. Il m’a souvent dit que la langue française lui paraissait peu imagée, alors que l’occitan rendait mieux de ce point de vue. On trouve aussi ce genre d’opinion chez un Gaston Chaissac. Ce dernier qualifiait sa propre œuvre « d’art rustique moderne », terme que l’on pourrait aussi appliquer à l’art de de Gaston Mouly.
Ses diverses œuvres portent la marque d’une inspiration à nulle autre pareille, certes sommaire, eu égard au tracé de ses figures par exemple, mais porteuse d’un goût inné de l’architecture qui éclate partout dans l’articulation, la structuration des images. Je pense même que le sujet n’a que peu d’importance fondamentalement. C’est d’abord le plaisir d’architecturer qui mène Mouly, qui ne fut pas maçon par hasard. Le sujet doit se plier à cette loi, de gré ou de force. Procédant par intuition, il se créait ses solutions figuratives dans la conscience pleine d’agir ainsi en inventeur solitaire, s’appuyant sur l’exemple d’artistes modernes pour qui il avait travaillé dans sa région (Zadkine, Bissière, Nicolas Wacker). Mais il ne faut pas oublier que l’on trouvait aussi, accrochés au-dessus de ses sculptures, au mur de son atelier d’été, divers objets et outils caractéristiques de la culture rurale, attestant de son goût pour les formes générées dans le cadre de cette dernière. Dans son dessin, dans sa sculpture, il tentait de marier influences formelles venues de l’art moderne et influences stylisatrices provenant de l’art populaire. Ce dernier aime les raccourcis, les associations d’images, les jeux de mots, et se passe fort bien de l’imitation de la réalité photographique. Comme Gaston Mouly.
Alors, « singulier », Gaston Mouly ? Ce dernier terme ‒ qui désigne aujourd’hui de plus en plus des artistes semi professionnels inspirés par l’art brut, et plutôt liés à une culture urbaine ‒ ne lui correspond pas exactement. Certes, ses opinions politiques étaient nettement droitières, comme celles de tant de gens qui appartiennent au peuple des paysans et des artisans, choisissant à l’occasion, par facilité, un individualisme égocentrique teinté de populisme. En dépit de cela, il est loisible de reconnaître à travers son imaginaire graphique et plastique toute une culture à coloration païenne mettant en avant l’esprit de fête, de danse, de jouissance, où la ligne est virevoltante, sinueuse et sensuelle. Ses sculptures font parfois penser aux figures populaires en pain sculpté que l’on trouve dans plusieurs pays d’Europe. Artiste populaire contemporain, prisant le plaisir sous toutes ses formes, bon vivant, c’est ainsi que je préfère revoir Gaston Mouly, quand il m’arrive de contempler nos rencontres dans mon rétroviseur…
Bruno Montpied, décembre 2015.
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[1] Voir le dessin qu’il avait fait en 1983 sur une porte de sa maison, que j’ai reproduit dans le catalogue Des jardins imaginaires au jardin habité, Hommage à Caroline Bourbonnais, édité par la Fabuloserie en mai 2015.
[2] Gaston Mouly et moi, en 1987, bien avant qu’il expose à Bègles, avions du reste conçu un projet d’aller montrer ses sculptures à Michel Thévoz, que j’avais contacté par téléphone. Ce dernier, dès cet entretien, m’avait confié que, si ces sculptures pouvaient intéresser leur collection, elles ne pourraient être intégrées au mieux que dans la Neuve Invention. Selon lui, en effet, Mouly ne relevait pas complétement de la définition de l’art brut. Malheureusement, notre projet de voyage en camionnette avec les sculptures capota, à mon grand regret.
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Après avoir lu ce texte, que comprendre de ce qui a pu déplaire à nos goujats de Goujounac? Est-ce le dernier paragraphe qui les chiffonne où il est fait allusion aux opinions droitières de Gaston? Doit-on donner une image lisse du créateur, émasculée de tout ce qui pourrait rompre avec une évocation de Bisounours, strictement axée sur la question esthétique (le créateur vu uniquement au ras des pâquerettes, en ne prenant en considération que ses outils et ses tubes de peinture comme s'il n'y avait rien d'autre autour de lui)?
Serait-ce une considération de respect exagéré vis-à-vis de je ne sais quelle peur de déplaire à la famille sur une question de détail (en particulier le rappel du rôle d'intercesseur de Myriam Anissimov, que j'avais pourtant signalé dès la plaquette Imago de 1989?) ? Je me perds en conjectures... Et je finis par conclure à la décision absurde d'une belle bande de neuneus doublés de jésuites qui vont nous pondre une expo ruisselante de bons sentiments. A oublier bien vite.
Inscription qui était apposée sur la porte de l'atelier d'été de Gaston Mouly à Lherm, archives BM ; en dépit de sa syntaxe bizarre, on décrypte aisément le propos: "bien qu'ici mes œuvres puissent emmerder les raseurs, leurs fruits parlent, tâchez donc d'en faire autant...." ; lisse, Gaston Mouly? Allons donc...
15:51 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art rustique moderne, Art singulier, Questionnements | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : gaston mouly, goujounac, goujats, art brut, art singulier, bruno montpied, castelnau-montratier, censure ordinaire, myriam anissimov, l'aracine, la chambre rouge, art rustique moderne, neuneus, jésuites, goujoun'art | Imprimer
10/08/2015
Joseph Donadello, un livre et une exposition au musée des Amoureux d'Angélique
Le Musée des amoureux d'Angélique, j'en ai déjà parlé, c'est du côté des Pyrénées, en Ariège, dans le village d'artistes du Carla-Bayle. Ils montent une exposition consacrée à ce créateur populaire d'environnement de Saiguède (Haute-Garonne), mais cette fois ce n'est plus dans le local traditionnel du musée (peut-être qu'il est trop plein?). C'est dans une grotte, la "Cavité du Cruzet", ouverte sur l'extérieur et qui se laisse regarder, nous dit-on, jour et nuit.
Deux pages du livre consacré à Donadello (aussi appelé "Bepi Donal") par l'Association Gepetto (Martine et Pierre-Louis Boudra)
L'expo dure tout l'été, sans doute jusqu'en septembre donc... Vous avez le téléphone ci-dessus pour vous renseigner à ce sujet (et commander le petit album concocté par les Amoureux d'Angélique avec plein de photos qui dévoilent à quel point notre Joseph a une production en sculpture et en peinture extrêmement foisonnante et quelque peu... hétéroclite). Et rien ne vous empêche d'aller voir M. Donadello sur son site de création, où son jardin de bord des routes exhibe toujours de mirifiques créations en ciment polychrome traitées en deux dimensions, comme autant d'images inspirées par les média audio-visuels. C'est à Saiguède, en demandant votre chemin...
Le jardin de Joseph Donadello en 2008... Grandement modifié depuis, je parie... Ph. Bruno Montpied
03:12 Publié dans Art Brut, Art naïf, Art populaire contemporain, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : joseph donadello, bepi donal, environnements populaires spontanés, musée des amoureux d'angélique, pierre-louis et martine boudra, association gepetto, cavité du cruzet, art naïf, art brut, saiguède | Imprimer
31/07/2015
Expo de l'Art en Marche à Moulins
Du 6 juillet au 21 août 2015 à l'Hôtel du Département à Moulins
Les choix esthétiques de L'Art en Marche, disons-le sans ambages, ne sont pas pour leur majorité ma tasse de thé. Il y a trop, du moins dans le rassemblement visible à Lapalisse dans l'immense entrepôt qui l'abrite, d'artistes ailleurs qualifiés de "singuliers" mais manquant singulièrement d'originalité (à mes yeux, s'entend, ce n'est qu'un avis purement personnel). Mais il existe aussi une minorité de créateurs proches de l'art brut ou de l'art populaire contemporain, et aussi des artistes plus inspirés, marginaux talentueux peu connus (comme Jacques Renaud-Dampel par exemple ou Pépé Donate). A Moulins, du 6 juillet au 21 août, voici une petite sélection intéressante, où le terme d'art brut ne paraît cette fois pas trop usurpée.
Une œuvre de Pépé Donate exposée au musée de l'Art en Marche à Lapalisse en avril 2014
Sur les cinq artistes ou créateurs présentés à Moulins, il en est au moins trois à recommander de la part du Poignard Subtil, à savoir Monique Le Chapelain, Jean Tourlonias et Popy (alais Guy Maraval). On pourrait très bien ne pas remarquer le dernier nommé, mais je dois à un camarade qui visitait avec moi le dit entrepôt le printemps dernier (alors que Luis Marcel avait annoncé à grands renforts de trompe qu'il vendait tout - combien de fois a-t-il "tout" vendu?, me demandé-je maintenant...) de l'avoir remarqué en achetant une des ses œuvres ce qui fit que je pus repasser plusieurs fois devant par la suite, et que je me surpris à changer d'humeur à son égard au fil du temps. Il faut croire que Popy, ancien marin qui s'est mis à peindre (à l'acrylique) depuis un grave accident où il paraît avoir vu la mort de près, ne fait pas de l'art "immédiat" en dépit d'un graphisme pourtant élémentaire et d'un vocabulaire de sujets volontairement réduit. C'est peut-être à cause de cela du reste que je passai à côté au début. "Trop proche de Chaissac", me suis-je dit tout d'abord. Et pourtant un charme opère à la longue, du moins en ce qui concerne les œuvres que je reproduis autour de ces lignes (la première s'intitulant "Spirale" et la seconde "L'Œuf"), datant de la fin des années 90.
Monique Le Chapelain, Grand éléphant décoré, 20F (inventaire Muel D85), 1997, coll. Bruno Montpied (cette œuvre bien entendu ne préjuge pas de celles qui sont présentées à Moulins)
Monique Le Chapelain, je n'ai plus de nouvelles d'elle. J'ai contribué autrefois à la faire connaître, notamment par le truchement de la revue Création Franche, et puis, affamé perpétuellement de nouvelles découvertes, j'ai fini par laisser se distendre les rapports. Elle menait une vie assez rangée en compagnie de son époux dans une banlieue assez quelconque, du côté des Ulis, que rompaient seules de temps à autre des sorties dans des soirées dansantes qui étaient son plaisir suprême. Elle passait pour l'occasion des robes étourdissantes colorées et vaporeuses qui lui composaient un écrin pour la princesse qu'elle n'avait jamais cessé de rêver être depuis son enfance. Ces robes, ces parures se retrouvaient transposées dans ses peintures et ses dessins, parfois trop hâtivement brossées tellement elle était pressée de produire. Ses dessins et gouaches sont moins connus que ses peintures à l'huile, mais mériteraient pourtant d'être appréciés, étant donné leur relative "tranquillité". Les quelques exemples que je conserve ont une stabilité dans la facture, une maîtrise exempte de la précipitation dont je parlais ci-dessus. Je donne deux exemples de sa production que je conserve, une peinture à l'huile tout d'abord (ci-dessus) et immédiatement après une gouache justement...
Monique Le Chapelain, Coq de piques, 1963
Jean Tourlonias est le plus connu des trois, avant tout pour ses véhicules (motos, voitures de course...) portant les noms de vedettes connues et les noms des personnes à qui les peintures étaient destinées. il figurait en bonne place à l'exposition thématique de la Collection de l'Art Brut à Lausanne sur les véhicules (en 2013-2014). Habitant Cébazat près de Clermont-Ferrand, c'était un peu le régional de l'étape. Si l'on a vu à Lapalisse des petits paysages sans grand relief, on l'estime avant tout pour ses bolides ébouriffants dédiés aux destinataires des ces véhicules futuristes.
Jean Tourlonias est passé un jour par La Godivelle et ses deux lacs, sur les rudes hauteurs du Cézallier, petite peinture photographiée par Régis Gayraud sur une brocante auvergnate en 2015...
Trois Tourlonias aux noms des anciens animateurs de la Collection de l'Art Brut à Paris, puis à Lausanne, ph. BM
23:39 Publié dans Art Brut, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pépé donate, art en marche, art brut, monique le chapelain, renaud-dampel, luis marcel, art singulier, popy, jean tourlonias, collection de l'art brut | Imprimer
17/07/2015
Retour sur "Brut de Pop' " à l'écomusée de Marquèze, Art populaire et art brut, ou Art populaire et art singulier?
J'ai reçu le catalogue de l'exposition qui s'est terminée le 28 juin à l'Ecomusée de Marquèze dans les Landes, réalisée en partenariat avec le Musée de la Création Franche de Bègles (je profite de cette note pour remercier les responsables de ce dernier). Ce catalogue, présentant les motivations de ses organisateurs (principalement les conservateurs de l'Ecomusée de Marquèze), appelle quelques remarques de ma part, d'autant qu'une de mes déclarations écrites y est prise à témoin, gentiment contestée (comme quoi l'art populaire au sens rural, collectif et normé aurait disparu et survivrait de façon individualiste dans une partie de l'art brut).
"Brut de Pop' " se proposait de confronter l'art populaire et "l'art brut", assimilé par la principale commissaire de cette exposition, Vanessa Doutreleau, tout uniment, dans un bel amalgame qui ne s'embarrasse que de peu de nuances, à l'ensemble de la collection du musée de la Création Franche à Bègles, qui avait prêté pour cette manifestation environ 250 œuvres. Je parle d'amalgame et d'absence de nuances dans la terminologie parce que comme le savent ceux qui fréquentent ce musée, il existe de fortes différences, à la fois en termes de sociologie de l'art qu'en termes d'inspiration et d'arrière-plans culturels, entre les différentes expressions plastiques conservées à Bègles.
On y trouve de l'art brut, mais aussi de l'art naïf, de l'art populaire contemporain, de l'art contemporain singulier, des surréalistes se revendiquant en tant que tels aujourd'hui même (en filiation avec le mouvement surréaliste historique et non pas de façon unilatéralement proclamée, comme cela paraît se produire ici et là, notamment à Bordeaux), le tout s'amalgamant dans ce que Gérard Sendrey a étiqueté "création franche" (sans parvenir véritablement au fil du temps à imposer le terme) et qui ces derniers temps se laisse aussi englober sous l'étiquette d'art marginal¹ pour ne plus dire "art singulier" qui, du fait de ses terribles succédanés - les sous-Chaissac et les producteurs de têtes à Toto en pagaille - est un terme aujourd'hui bien galvaudé.
Jean Dominique (en haut) et Gabriel Vergez (en bas), catalogue Brut de Pop'
René Guisset, danseurs aux rubans, sculpture coll. Alain Moreau
Si Vanessa Doutreleau a totalement raison quand elle met en regard les sculptures naïves et frustes (terme non péjoratif sous les touches de mon clavier) de Jean Dominique, voire aussi de René Guisset (tous deux présents dans la collection de la Création Franche) avec celles de l'autodidacte de semblable culture populaire Gabriel Vergez (qui fait partie de la collection de l'écomusée de Marquèze et qui à cette occasion s'est révélé être une véritable découverte), Dominique et Guisset exemples tous deux de sculpture populaire contemporaine², les autres comparaisons de notre commissaire d'exposition - par exemple lorsqu'elle confronte les œuvres d'artistes, plus ou moins consciemment déférents à l'égard des œuvres de l'art populaire rural (comme le font entre autres Jean-Joseph Sanfourche ou Gilles Manero), avec d'autres objets venus de la collection d'art populaire de l'Ecomusée de Marquèze, objets religieux ou bien outils - ces autres comparaisons ne renvoient plus à une confrontation art populaire rural/art brut, mais plutôt à un rapport art populaire rural/art singulier. Or l'écart entre ces deux catégories, pour le coup, se trouve être bien plus large.
Ce véhicule brinquebalant de Burland peut paraître associable à l'art brut... Mais seulement si on ignore que son auteur, suisse, a beaucoup vu d'œuvres d'art brut... qui l'ont probablement passablement marqué
Carlo M, bateau le Sozialis, art produit en hôpital psychiatrique en Suisse ; une référence pour François Burland ?
Jean Bordes relève quant à lui nettement plus nettement de ce que l'on appelle l'art brut, du genre structures amalgamées-ficelées (voir Judith Scott aussi) ; lui aussi a pu influencer certains singuliers que l'on qualifie du coup de "bruts", par confusion des genres je trouve
Voici une maquette de trolley du Néerlandais Willem Van Genk qui lui aussi a dû impressionner François Burland... ; selon moi ce dernier illustre bien un type d'artiste contemporain singulier qui connaît si bien l'art brut qu'il en est profondément marqué ; cependant il s'en distingue généralement par un aspect esthétisant qu'il ne peut que difficilement éviter (voir la première image de cette série, l'œuvre de François Burland, un tantinet plus pimpante...)
L'art singulier, autrement appelé Création Franche à Bègles ou Neuve Invention à Lausanne, regroupant toutes sortes d'artistes semi-professionnels, en marge du système traditionnel des Beaux-Arts, artistes auxquels le terme turfiste d'outsider correspond finalement assez bien (c'est le canasson pas favori au départ qui peut finir par arriver bon premier...), l'art singulier est en effet assez différent - par ses substrats culturels, et par les connaissances artistiques de ses auteurs - du jaillissement irrépressible de l'art véritablement brut. L'art singulier, produit de créateurs semi-artistes – "semi", parce qu'introduits de façon limitée dans le monde professionnel (c'est évidemment variable selon les cas) – l'art singulier est une pratique de l'art, la majeure partie du temps autodidacte, où l'on sent malgré tout une culture artistique à l'œuvre par-dessous. Culture artistique souvent forgée de manière personnelle, et influencée par l'exemple rude et direct des créateurs de l'art brut.
Les semelles peintes d'Alain Pauzié, artiste atypique de la Création franche et de l'art singulier, n'ont en commun avec les sabots décorés de l'art populaire que le fait d'appartenir au monde de la chaussure ; la confrontation des deux arts débouche ici sur une confrontation art populaire/art contemporain (marginal): pourquoi pas? Mais l'étude devrait alors être infiniment plus vaste, ouvrant sur des perspectives beaucoup plus cruciales (l'usage social de l'art) qui ne paraissent pas faire partie de ce qu'ont recherché les organisateurs de "Brut de Pop' ")
L'automatisme, même si il n'est pas revendiqué sous ce vocable, est largement pratiqué dans l'art singulier où l'on reconnaît des artistes tout à fait anticonformistes qui sont aujourd'hui diffusés par les médias, comme Gaston Chaissac par exemple, énormément imité çà et là par tant et tant d'épigones moins originaux. Cobra, Dubuffet, les surréalistes, Miro, l'art populaire, mais parfois aussi l'expressionnisme allemand, en plus généralement de tout ce qui se fait connaître à travers de grandes expositions évoquées par les médias, bouleversent et chamboulent les esprits de ces autodidactes qui se lancent dans l'art avec spontanéité. Un certain primitivisme dans l'expression, un goût des couleurs vives pour ne pas dire criardes, sont des caractéristiques récurrentes dans ces arts singuliers.
Vanessa Doutreleau, qui s'intéresse visiblement beaucoup à l'art populaire (ce en quoi elle nous est sympathique, de même que le concept de cette exposition), s'efforce donc de trouver des parallèles entre les collections de son écomusée et certaines œuvres du musée de la création franche qu'elle assimile à la louche à l'art brut. Elle veut s'attacher à prouver que l'art populaire n'est pas mort, et qu'il survit aujourd'hui dans ce qu'elle prend pour de l'art brut à Bègles. Elle aurait dû je pense, tout en triant plus judicieusement dans la collection du musée de Bègles (garder Jean Dominique et Emile Ratier...), se tourner en outre du côté de plusieurs autres collections et peut-être notamment interroger des collections d'art populaire contemporain, comme celle du petit musée des Amoureux d'Angélique au Carla-Bayle dans l'Ariège, ou puiser dans l'histoire des expositions montées dans le passé par le Musée International des Arts Modestes à Sète et ailleurs. L'art modeste est en effet un concept qui recoupe assez largement celui d'art populaire contemporain, même si son défenseur, le peintre Di Rosa l'a tellement élargi qu'il en est devenu un inénarrable fourre-tout (pin-ups sur camions, mouchoirs dessinés par des taulards, skate customisés, décors de flippers, collectionnites aiguës, jouets anciens, publicités, ex-voto contemporains, affiches peintes à la main, masques de catcheurs mexicains, etc.).
Cette confrontation entre une machine à tailler la bruyère bricolée par Jean Cazenave (collection de l'Ecomusée de Marquèze) et la maquette de bois assemblés d'Emile Ratier apparaît ici parlante, mais l'on a affaire avec Ratier à un authentique créateur populaire, intégré à l'art brut
L'art brut de son côté, s'il contient (s'il a contenu) beaucoup de cas de créateurs d'extraction populaire, coupés de la culture traditionnelle des anciens artisans ruraux, rassemble aussi des créateurs cultivés en situation de rupture, parfois fort cérébraux (des illuminés mystiques confus, des adeptes de la numérologie et des diagrammes ou schémas en tous genres, des handicapés non indemnes de culture artistique exhibée par leurs thérapeutes). Le concept d'art brut est devenu du coup de plus en plus flou.
C'est là que je me dois de souligner mon évolution personnelle face à ces transformations. Personnellement, je cherchais autrefois dans l'art brut une dimension de naïveté et d'immédiateté, proche du regard enfantin, qui provenait de la part populaire de l'art brut (je m'y intéresse cela dit toujours). J'ai cherché, dans l'article des actes I du colloque sur l'art brut monté par Barbara Saforova dans le cadre d'un séminaire qu'elle mène, à dresser des passerelles entre art brut et art populaire. Cet article est cité par Vanessa Doutreleau dans ses textes du catalogue. Mais elle me range aux côtés d'un Michel Thévoz (ce qui m'honore grandement) pour conclure que j'aurais conclu à la mort de l'art populaire. Que nenni pourtant... Même si je réitère que l'art populaire rural d'autrefois, aux normes esthétiques assumées par les communautés, aux produits utilitaires, a bien quasiment complètement disparu en France, je trouve néanmoins qu'on peut encore trouver ici et là des formes de regain anarchiques, déconnectées d'une intégration à la vie du peuple.
De plus, si je ne le trouve plus beaucoup dans l'art brut new look qu'on cherche à mettre en avant entre autres à la galerie Christian Berst, je continue de le retrouver chez les créateurs d'environnements spontanés que j'ai étudiés dans mon livre Eloge des Jardins anarchiques (que Mme Doutreleau ne paraît pas avoir lu, ce qui est dommage car elle y aurait vu que j'y défends certains inspirés qui travaillent dans un esprit collectif, comme la famille Montégudet en Creuse par exemple), et aussi ailleurs, notamment chez toutes sortes de créateurs inaperçus ou complètement anonymes que l'on rencontre la plupart du temps plutôt en brocante que dans les galeries. Les ventes aux enchères, les vide-greniers sont des endroits où réapparaissent toutes sortes de créateurs la plupart du temps oubliés, peu remarqués parce que leurs œuvres sont restées peu nombreuses, et naïves. Ce blog en a présenté régulièrement plusieurs d'entre elles.
Des bouteilles peintes de Louis Beynet, coll. privée, Paris ; j'ai présenté ce travail naïf insolite dans le n°3 de la revue L'Or aux 13 îles
Je ne crois donc pas à la disparition de l'art populaire. Il s'est fait seulement plus individualiste, plus libre partant de là, toujours aussi marqué par un regard d'enfant préservé, et n'intéressant que peu le marché de l'art (et tant mieux!). Les catégories d'art populaire contemporain ou d'art populaire insolite que j'ai insérées dans la colonne de droite sur ce blog atteste de mon intérêt pour cette permanence de l'art populaire.
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¹ Ce terme d'art marginal est revendiqué pour cet été dans un communiqué de presse rédigé par Oana Amaricai annonçant un festival du même nom à Montcuq dans le Lot (je ne sais s'il y a eu malice dans le choix de ce bourg...). La manifestation est organisée par elle (du 1er au 15 août ) en collaboration avec Jean-Luc Bourdila et Marcel Benaïs, présenté par ailleurs comme "artiste ufologue" (c'est-à-dire qui voit des soucoupes volantes partout?). Je souscris assez au texte de cette dame. Oana Amaricai et Jean-Luc Bourdila sont par ailleurs animateurs de cet autre festival d'art marginal le "Grand Baz'Art à Gisors" qui s'est tenu le récent week-end du 4-5 juillet dernier. Si j'ai le temps, j'y reviendrai bientôt, afin d'évoquer un créateur que j'y ai rencontré.
² Cette sculpture populaire contemporaine est une catégorie qui prend parfois l'allure d'un sous-ensemble de l'art brut, quoique ce dernier ait tendance à évoluer considérablement du fait de l'emprise de certains marchands, puisqu'on y intègre de plus en plus des œuvres d'esprits savants en rupture, du type Lubos Plny ; l'œuvre de ce dernier est stylistiquement à des années-lumières de la naïveté d'un Vergez ou d'un Jean Dominique. L'art brut est ainsi associable plus facilement avec les œuvres d'un certain type d'art plastique contemporain. On voit ce que vise aussi cette manœuvre, attirer d'autres collectionneurs vers cet art brut devenu plus intellectuel, partant plus présentable aux yeux d'un amateur d'art contemporain.
18:26 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art populaire contemporain, Art populaire insolite, Art singulier, Confrontations, Galeries, musées ou maisons de vente bien inspirés | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : brut de pop', création franche, écomusée de marquèze, art populaire et art brut, art populaire et art singulier, jean dominique, vanessa doutreleau, gabriel vergez, rené guisset, françois burland, art brut, usage social de l'art, art modeste, art populaire contemporain, amoureux d'angélique, louis beynet, bruno montpied | Imprimer
12/05/2015
Les Mayennais toujours à l'œuvre et à la manœuvre en Estonie
"Chers amis et contacts,
J'ai le plaisir de vous annoncer une nouvelle exposition de La Mayenne à l'oeuvre, organisée au musée Paul Kondas d'art naïf et outsider de Viljandi en Estonie, du 15 mai au 15 juillet 2015.
Article de Pauline Launay dans Le Courrier de la Mayenne du 6-5-2015
Un dessin de Robert Tatin, La Vierge aux Oiseaux, 1982, coll. Art Obscur
Jean-Louis Cerisier, un billet de 1000 zlotys déchiré, allégorie d'un refus de la vénalité proposé par l'artiste?
Gustave Cahoreau tenant une de ses sculptures, un "protégé" de Michel Leroux... Archives Art Obscur
Céneré Hubert, créateur multi-formes et notamment créateur d'environnement à St-Ouen-des-Toits (toujours en Mayenne), Archives Art Obscur
Un très beau dessin (pastel?) de Patrick Chapelière ; à noter que les trois créateurs ci-dessus s'apparentent davantage à l'art brut qu'à l'art dit singulier, tant leur travail s'accomplit dans l'écart vis-à-vis des démarches traditionnelles artistiques ; coll. Art Obscur
Alain Lacoste, autre Singulier mayennais bien connu et prolifique ; coll. Art Obscur
Marc Girard ; j'aime assez cette œuvre qui me fait penser à ... moi, mais aussi à Chaissac, à Lacoste...; coll. Art Obscur
Et un Joël Lorand, un... Peut-être relativement ancien, non? ; coll. Art Obscur
00:04 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art moderne ou contemporain acceptable, Art naïf, Art singulier, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : mayenne à l'oeuvre, jean-louis cerisier, viljandi, musée paul kondas, art naïf, art singulier, alain lacoste, marc girard, jacque reumeau, musée du vieux-château à laval, csn 53, jules lefranc, robert tatin, école de figuration poétique lavalloise, céneré hubert, environnements spontanés, patrick chapelière, art brut, joël lorand | Imprimer
05/04/2015
"Brut de pop'" dans les Landes
J'ai appris un peu à la dernière minute, et avec très peu d'informations sur le contenu de l'exposition (ainsi que sur la totalité des auteurs présentés)... qu'une manifestation commençait le 1er avril à l'Ecomusée de Marquèze (fin prévue le 28 juin) près de Sabres dans les Landes (entre Bordeaux et Mont-de-Marsan ; le titre est un calembour bien entendu, on veut nous faire songer à "brut de pomme"... Et l'on joue aussi en sous-titre sur les rapports de l'art brut avec l'art populaire en posant la question de "l'impopularité" hypothétique de ces formes d'art).
Le musée de la Création Franche de Bègles est associé à l'exposition par le prêt de pas moins de deux cents œuvres. Ils sont généreux à Bègles, faut pas le nier. Mais qui est exposé, c'est la question à mille francs ? Il semble qu'il n'y ait pour l'instant aucun dossier de presse de disponible, et l'on en est donc réduit aux supputations. Un catalogue, sous la forme d'un numéro spécial de Création Franche, devrait cependant, en principe, sortir la semaine prochaine. Les amis Albasser m'ont informé de plus qu'il y a deux douzaines d'œuvres de Pierre Albasser d'accrochées dans une section consacrée à la "récupération" (on les apercevait, à un moment d'internet, en illustration d'un communiqué de l'Ecomusée, présentées sous des cadres vitrés suspendus). Il semblerait aussi qu'on puisse aussi y trouver des pièces de Simone Le Carré Galimard, si le masque sur l'affiche est bien d'elle... A côté de l'affichette ci-dessus, on aperçoit aussi une de ces charmantes sculptures ultra brutes de décoffrage de Jean Dominique (sur lequel, je profite de l'occasion, est paru il n'y a pas si longtemps un ouvrage entièrement consacré à sa vie et son œuvre – avec une centaine de sculptures reproduites – livre écrit et autoédité par Jean-Luc Thuillier, Jean Dominique, une figure de l'art brut en Périgord, 2012). Le musée de la Création Franche possède en effet une cinquantaine de pièces de cet auteur.
Deux petites sculptures de Jean Dominique, musée de la Création Franche, ph. Bruno Montpied
Mais pour le reste? On ne peut que faire des suppositions en attendant qu'on trouve le temps de nous en dire plus ou que je rencontre quelque motorisé qui voudrait bien m'emmener là-bas... Le laïus du communiqué déjà évoqué indique: "Objets du quotidien détournés, art du bricolage et de la récupération, cette exposition propose de découvrir des objets aussi insolites qu’esthétiques, mais aussi de s’interroger sur les principes de la création artistique, qu’elle soit populaire, brute ou franche.
Anonymes, artisans, artistes, les créateurs rassemblés ici offrent une vision esthétique du monde loin des « beaux-arts » et des cercles académiques. Pour vous en faciliter la découverte, nous avons regroupé ces objets et œuvres autour de sept thématiques : l’artiste-artisan, le monde rural, le foyer, le religieux, l’enfance, les fêtes et les loisirs, la récupération."
Il semble donc que l'on veuille – dans un écomusée, c'est dans la logique des choses – associer l'art brut, et la création singulière d'artistes en porte-à-faux avec l'art des "Beaux-Arts" d'un côté (ce qui fait le fonds du musée de la Création Franche), avec, d'autre part, l'art populaire au sens rural du terme (tel qu'il a été conservé en tout cas dans ce musée consacré à la culture populaire landaise¹). Pour illustrer ce dernier aspect, il semble que l'Ecomusée ait décidé de mettre des éléments de sa collection (statues, œuvres de patience, meubles, gourdes en calebasse gravée, jouets...) en regard des œuvres venues de la Création Franche. Il faut préciser du reste que c'est une responsable de l'Ecomusée, Mme Vanessa Doutreleau, chargée des expositions au Pavillon de Marquèze, qui a choisi les 450 œuvres (au total) de "Brut de Pop'". J'applaudis en principe à ce genre d'initiative qui permet de réassocier art d'autodidactes bruts ou naïfs et art populaire, loin de l'art moderne ou contemporain (le rapprochement avec ces derniers, comme je l'ai déjà dit, se fait en effet par trop depuis quelque temps dans les cercles plus mondains de la capitale). Plutôt que de conserver une collection d'art brut dans un musée d'art contemporain et d'art moderne, on aurait pu tout aussi bien imaginer la voir entrer dans le prolongement d'un musée d'art populaire, comme c'est presque le cas lorsqu'on découvre en Bourgogne dans un même triangle géographique (j'avais appelé celui-ci autrefois, en 1989..., le "triangle d'or") le musée d'art naïf de Noyers-sur-serein, le musée d'art populaire de Laduz et la Fabuloserie de Dicy...
Une vue fort partielle de l'expo
Il faut souligner ce que ce projet a de tout à fait plausible et stimulant, à l'heure où certaine galerie parisienne et certain grand collectionneur voués à l'art brut aiment à mettre en avant ce qui relève à l'intérieur du champ de l'art brut plutôt du document ou de hautes élaborations intellectuelles pondues par des êtres cultivés en rupture, élaborations débouchant sur des chinoiseries cérébrales proches en terme d'ennui de tant d'œuvres de l'art contemporain le plus emmerdant (je pense au secteur dit "des hétérétopies scientifiques" de la dernière exposition ABCD à la Maison Rouge).
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¹ On pourrait renvoyer au fait les responsables de ce musée à l'information que j'ai délivrée il y a déjà quelque temps sur ce blog à propos d'Alphonse Benquet, ce peintre et sculpteur landais qui vivait dans les décennies du début XXe siècle à Tartas, non loin de Mont-de-Marsan dont est proche Sabres.
12:37 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art populaire insolite, Art singulier, Confrontations, Galeries, musées ou maisons de vente bien inspirés | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : écomusée de marquèze, musée de la création franche, art populaire des landes, art brut, art singulier, brut de pop', albasser, jean dominique, édition jean-luc thuillier, enfance, art sans artistes, création franche | Imprimer
21/03/2015
Lucienne Peiry éditée en Chine
On apprend sur le site web, que Lucienne Peiry continue d'animer sur internet, Notes d'Art Brut, (site que j'ai récemment ajouté à la liste de mes "doux liens" en colonne de droite), après l'avoir créé au départ je crois à l'intérieur du site de la collection d'Art Brut de Lausanne dont elle fut la conservatrice puis la directrice des relations internationales jusqu'à décembre dernier, que son livre L'Art Brut de 1997, paru chez Flammarion, paraîtra en Chine à l'enseigne des éditions Shanghai University Press en juin prochain.
Couverture de l'édition chinoise de L'Art Brut de Lucienne Peiry
Nul doute que cette traduction (on l'espère fidèle) permettra aux amateurs d'art brut chinois de saisir plus exactement ce que Dubuffet entendait par art brut, catégorie inventée par lui qui ne se limitait ni à l'art des fous, ni aux productions des spirites et ne voulait pas être confondu avec l'art des enfants, l'art naïf ou l'art populaire. Ce que je ne sais pas, c'est si Lucienne Peiry aura songé, ou pu, opérer quelques mises à jour du côté des découvertes qui furent faites depuis 1997 concernant certains créateurs chinois comme Guo Fengyi en Chine populaire ou Hung Tung et Lin Yuan à Taïwan (a-t-elle fait attention aussi aux articles que Remy Ricordeau a aussi publiés sur notre blog même, concernant certains environnements sur l'ancienne île de Formose?)
14:12 Publié dans Art Brut | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : lucienne peiry, art brut, notes d'art brut, édition chinoise de l'art brut, art brut chinois, environnements spontanés taïwanais, hung tung, guo fengyi, lin yuan | Imprimer
24/02/2015
Stimulantes parenthèses au Musée National d'Art Moderne
La balade que je relaterai ici commence à dater un peu. Elle fut faite en mars 2014 dans les collections permanentes du Musée National d'Art Moderne suite à une indication que m'avait donnée une membre du CrAB (Collectif de recherche autour de l'Art Brut). On sait que la collection permanente de ce musée, malheureusement toujours prisonnière de l'affreuse raffinerie beaubourgeoise et pompidolienne de la rue Rambuteau à Paris (que ne l'exile-t-on pas, celle-ci et sans le MNAM, à Marseille pour qu'on nous rapatrie en échange les collections du MUCEM?) est de temps à autre remodelée, ré-accrochée, bouleversée, etc. C'était le cas au début de l'année dernière. Je ne sais si elle a encore changé depuis, ne passant guère mon temps dans ces parages. En mars 14, il y avait du nouveau. Si le groupe CoBrA paraissait glorieusement absent des cimaises, ou du moins passablement sous-représenté, quelques insolites œuvres avaient été tout à coup sorties des réserves, en majorité liées au fonds d'œuvres naïves que recèle le MNAM, grâce semble-t-il aux acquisitions de l'ancien directeur du musée Jean Cassou.
Tableau de Colette Beleys (1911-1998), La Maison Potagère (1950), intégré aux collections du MNAM du temps de Jean Cassou ; Colette Beleys était une artiste qui se disait "peintre instinctive", non pas participant d'une "naïveté" mais se revendiquant plutôt d'une "innocence poétique" ; ses compositions fort élaborées, pour moi essentiellement des années 1930 à 1950, sont d'une poésie délicate (merci à Jean-Louis Cerisier qui attira autrefois mon attention sur elle) qui me font songer à certains autres figuratifs cousins par le style et l'esprit de sa manière, comme Elie Lascaux par exemple ; une exposition consacrée à elle tourna en 95-96 entre diverses villes, comme Montauban, Aix-en-Provence, Besançon, etc. et un catalogue fut publié à cette occasion
Il s'agissait, semble-t-il, dans les espaces que les conservateurs leur avaient consentis (des couloirs aux murs vitrés comme autant d'espaces interstitiels entre les différentes salles, parenthèses, intervalles où on logeait ainsi des marginaux, des œuvres posant question?), il s'agissait de proposer des rapprochements entre figuratifs savants et figuratifs autodidactes dits ailleurs naïfs qu'un même sens de la stylisation "primitiviste", ou un refus du réalisme – attitudes que l'on pourrait résumer en un seul mot, "réalisme intellectuel" – unissaient. Du reste avant que le visiteur ne tombe sur ces couloirs-intervalles, une première salle du parcours des collections, consacrée à une évocation de l'exposition expressionniste du Blaue Reiter (de 1911-1912), proposait déjà, éparses parmi des œuvres des artistes contemporains de l'époque réunis autour de Kandinsky, quelques pièces liées à l'art populaire de l'époque et revendiquées par le groupe avant-gardiste du Blaue Reiter. Histoire de murmurer à l'œil et l'oreille des visiteurs que ces confrontations art populaire/art moderne ne dataient pas d'aujourd'hui (et avaient peut-être aussi une autre allure que les confusions actuelles entre art contemporain et art brut).
Un des murs de la salle consacrée au Blaue Reiter, MNAM Centre Georges Pompidou, mars 2014
Une sirène, art populaire (entre 1850 et 1890), legs Nina Kandinsky, MNAM Centre Georges Pompidou
André Bauchant, Louis XI faisant planter des mûriers près de Tours, 1943, don de l'artiste (1950), MNAM Centre Georges Pompidou
Des œuvres d'artistes consacrés depuis longtemps comme Naïfs, tels Aristide Caillaud, André Bauchant, Séraphine ou Germain Van Der Steen, se rencontraient au hasard des couloirs, non loin de pièces de Henri Gaudier-Brzeska, d'André Derain ou encore, exposée plus loin dans une salle, d'une œuvre de Feininger, digne d'être mêlée à du brut des plus contemporains.
Henri Gaudier-Brzeska (1891-1915), Samson et Dalila (1913), don Ezra Pound, MNAM Centre Georges Pompidou (là, cependant, il paraît difficile de rapprocher cette œuvre de celles de l'art naïf ou de l'art brut ; plutôt de l'art ethnique éventuellement, par exemple l'art inuit...)
Œuvre de l'expressionniste Feininger, d'une modernité étonnante, préfigurant l'essor du primitivisme contemporain d'un bon siècle et se référant visiblement, et respectueusement, à l'art des enfants, MNAM Centre Georges Pompidou
On trouvait aussi dans un recoin une peinture de la jeune Algérienne Baya qu'André Breton aida à se faire révéler, ainsi qu'une scène de bataille avec des cavaliers, fort naïve et attachante, d'une certaine Janice Biala (1903-2000), une encre sur toile de Géra, primitiviste éthiopien, dont l'œuvre fort colorée était prêtée par le Musée du Quai Branly (on est là en présence d'art africain singulier dérivé de l'art traditionnel éthiopien notamment à base iconographique chrétienne ; l'œuvre se voulant thérapeutique, soignant l'âme et le corps à la manière d'un talisman).
Janice Biala, scène de bataille équestre, 1934-1936, MNAM Centre Georges Pompidou
Géra, encre sur toile, provenance Musée du quai Branly, MNAM Centre Georges Pompidou
Plus loin, on trouvait diverses autres allusions à la créativité populaire ou singulière, hors champ de l'art "mainstream", comme cette photo de Gisèle Freund (voir ci-contre, photo de 1951) s'attardant sur le mur d'ex-voto fauchés par Diego Rivera dans les églises de son Mexique chéri (comme quoi André Breton, qui faisait la même chose, au grand dam de Trotsky paraît-il, si l'on suit l'auteur d'une récente biographie de Jacqueline Lamba, avait des exemples autour de lui au cours de son voyage des années 30 au Mexique). Ou bien encore les statues africaines d'Aniedi Okon Akpan telles qu'elles aussi avaient été empruntées au Musée du quai Branly, dans une salle qui évoquait les anciennes expos du Centre Beaubourg, Les Magiciens de la Terre ou Africa Remix.
Statues d'Aniedi Okon Akpan, MNAM Centre Georges Pompidou (cet Akpan est connu aussi pour de célèbres statues funéraires, à la fois réalistes et naïves, qu'il installait au Nigeria sur les tombes des personnes représentées)
Mais ce qui me scotcha véritablement fut la découverte, toujours dans un de ces couloirs interstitiels si pleins de surprises, de deux œuvres de grand format d'un "anonyme", dont les œuvres étaient entrées selon les cartels du musée en 1953 par don dans la collection permanente. Avait-on jamais vu ces œuvres-là au MNAM, très colorées, plus que naïves, presque brutes pour le coup étant donné leurs audaces s'émancipant grandement des références à la réalité visuelle, et faites à coup de collages et de juxtapositions, surlignés à la gouache? Je parie bien que non. Les cartels, concernant de telles œuvres de format et retentissement si importants, auraient pu nous donner des pistes plus conséquentes, mais on n'avait pas cru bon de le faire... Le visiteur n'avait qu'à se dépatouiller avec ces deux surprenantes compositions qu'on avait daigné leur sortir des réserves, faut pas exagérer non plus...
Anonyme, Le cheval de Troie, (1930-1945), gouache sur papiers découpés et collés, MNAM Centre Georges Pompidou ; on excusera le flou du cliché pris avec un portable pas terrible et placé qui plus est entre des mains tremblant de surprise...
Anonyme (le même que ci-dessus à l'évidence), Le Roi et la Reine, (1930-1945), gouache sur papiers découpés et posés sur une toile collée sur contreplaqué, don à l'état 1953, MNAM Centre Georges Pompidou ; à bien les contempler, on peut se demander s'il ne s'agit pas là de grands travaux d'un enfant ou plutôt d'un adolescent ; il reste que ces deux compositions énigmatiques sont fort étranges et que l'on aimerait en savoir plus...
Note Subsidiaire: Eh bien, voici qu'un commentateur me donne des précisions disant avoir vu un cartel précisant qu'il s'agit de dessins d'enfants. Je n'ai personnellement pas vu les mêmes cartels que lui, peut-être ont-ils été modifiés depuis ma visite qui date de l'année dernière. Mais je veux bien le croire même si cette précision n'apparaît pas sur la fiche de la RMN qu'il nous met en lien (ce serait signé Escolier, et cela signifierait écolier donc?). De toute façon, ces travaux paraissent bien des dessins d'enfant, mais qui les a assemblés, si ce n'est un adulte, un éducateur sans doute....? En cherchant mieux sur la base du MNAM on trouve enfin la référence complète: "Elèves de la Ville de Paris, sous la direction du peintre M. Jean Lombard et de Mme Vige Langevin". Donc il y a bien eu médiation d'enseignants, et la relation des uns avec les autres a donné au moins deux bien belles œuvres. Ce qui me confirme personnellement dans la qualité qui peut se rencontrer dans un travail accompli en commun entre enfant(s) et adulte(s), genre d'action artistique aujourd'hui pas très en vogue, et même plutôt combattu dans les ateliers pour enfants, voire dans les écoles, au nom de l'autonomisation de l'enfant.
On me dira que les écoles en ont beaucoup de ces travaux. Sans doute, je le sais bien, moi qui vois disparaître régulièrement des tombereaux de chefs-d'œuvre dans les poubelles des écoles. D'aussi fouillés, d'aussi bien composés (la guerre de Troie avec le cheval, les Troyens derrière leurs murailles, les Grecs sur le point d'envahir la cité), par contre, je pense que c'est plus rare. Peut-être travaillait-on avec plus d'application dans les années 40. Cela doit nous faire regretter qu'on n'ait pas eu plus envie jusqu'à présent de créer des musées d'art enfantin. Et qu'on ait commis tant de vandalisme aux dépens des œuvres des moutards. Le MNAM a tout de même recueilli ces deux chefs-d'œuvre, constituant par là même l'ébauche d'une section d'art enfantin dans ses réserves. Y en a-t-il d'autres?
12:01 Publié dans Art Brut, Art de l'enfance, Art immédiat, Art moderne méconnu, Art naïf, Confrontations, Galeries, musées ou maisons de vente bien inspirés | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : mnam centre georges pompidou, art brut, art naïf, blaue reiter, feininger, kandinsky, art populaire, diego rivera, ex-voto, gera, akpan, anonymes de l'art, colette beleys, janice biala, baya, andré breton | Imprimer