25/11/2013
Apparition de Fatima-Azzahra Khoubba
Voici une dessinatrice lyonnaise, d'origine marocaine, que la Galerie Alain Dettinger nous propose du 30 novembre au 10 janvier 2014, pour les fêtes de fin d'année entre autres donc, dans une exposition intitulée "confidence à un perroquet".
Ne dirait-on pas une variante de l'art dit fractal, tel que l'illustre un certain Jean Corrèze du côté de Bordeaux? Un art de l'échancré, de l'aber ou du fjörd appliqué aux silhouettes inconsciemment surgissantes dans ces îlots bleus et rouges? Car on voit bien des ombres de personnages fantomatiques sur ce dessin reproduit en couverture du carton d'invitation, paraissant danser dans un grand frou-frou de loques effilochées. Ronde, flottement de figures indistinctes, parentes, dans d'autres dessins, de formes moins identifiables comme des taches, des graphismes informes, tavelures abstraites chargées de figurer des pensées ou des humeurs sans signification claire, toutes flottant dans un espace indéfini. Peut-être analogues à ces taches de peau qui apparaissent avec l'âge sur le dos de nos mains et plus généralement de notre corps... Qui sont comme des avertissements, des signaux...
Petite vidéo sur le vernissage de la galerie Dettinger le 29 novembre dernier
09:57 Publié dans Art moderne ou contemporain acceptable, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : fatima-azzahra khoubba, galerie alain dettinger, perroquet, taches, graphismes indéfinis, silhouettes, art fractal, jean corrèze | Imprimer
18/11/2013
Fanzines... d'art brut? Rendez-vous samedi 23 novembre au Musée de la Création Franche
C'est dans six jours. Une journée entièrement consacrée à la recherche autour des fanzines (petite presse en auto-édition) spécialisés dans l'art brut. L'initiative en revient à Déborah Couette du CrAB (Collectif de Recherche autour de l'Art Brut) et au Musée de la Création Franche à Bègles où se tiendra la journée d'études. Plusieurs intervenants, dont mézigue, sont attendus là-bas. Voici du reste le programme et les intentions des concepteurs de cette journée:
Des fanzines et des revues autour de l'art brut, il y en a eu, il y en a encore. Mais entièrement consacrés à l'art brut au sens strict du mot, à part les premières plaquettes éditées par la Galerie René Drouin en 1947-48, les publications en jargon de Dubuffet, puis les fascicules édités depuis le début des années 1960 sous l'égide de la Compagnie et de la Collection d'Art Brut, on ne peut pas dire qu'il y en ait eu véritablement. Toutes celles qui parurent, jusqu'à aujourd'hui, du Bulletin des Amis d'Ozenda, en passant par la Chambre Rouge, l'Art immédiat, Les Friches de l'Art, Gazogène, jusqu'à Zon'art et Création Franche, toutes ne parlèrent pas exclusivement d'art brut, mais aussi et surtout des alentours aussi bien, des formes d'art apparentées (art naïfs, habitants-paysagistes, graffiti, art modeste, inclassables etc.) en se référant également à des artistes singuliers rangés ailleurs dans la Neuve Invention (à Lausanne) ou dans la création franche (à Bègles). Comme si le concept d'art brut leur paraissait trop restrictif, trop ghettoïsant...
Bulletin de l'Association Les Amis de François Ozenda
La Chambre Rouge fut mon premier fanzine un peu sérieux, qui s'intéressait à la fois au surréalisme dans ses aspects les plus vivants, aux fous lttéraiires, aux divertissements littéraires, à la sculpture populaire, à l'art rustique moderne (Gaston Mouly et ses "dessins" ci-dessus évoqués sur la couverture du n°4/5 de 1985, bien avant que Gérard Sendrey ne rencontre, sur mon instigation, le même Mouly et ne s'attribue par la suite la responsabilité d'avoir poussé Mouly vers le dessin...)
Le n°2 et le n°1 de L'Art Immédiat, ma deuxième revue, de 94 et 95, cette fois plux axée sur les arts populaires spontanés
Création Franche
Gazogène, le numéro plus récent, n°35
De plus, les publications de la Collection de l'Art Brut, si elles sont bien de l'auto-édition du fait de la Collection elle-même (dans la majeure partie des fascicules, car les derniers en effet sont édités conjointement avec In Folio éditions), ne sont pas à proprement parler analogues aux "fanzines", éditions qui se caractérisent généralement par une certaine pauvreté de moyens, étant le fait de chercheurs et de passionnés le plus souvent désargentés, indépendants des cercles professionnels du journalisme et de l'édition.
Il était cependant tentant d'aller porter un peu l'éclairage de ce côté, pour voir pourquoi il fut important pour quelques passionnés en France –dont le signataire de ces lignes, et animateur de ce blog, fait partie– de faire de l'information sur les phénomènes non seulement de l'art brut mais aussi de l'art naïf, de l'art populaire rural, de l'art forain, de l'art populaire contemporain aussi appelé art modeste, d'un certain surréalisme spontané, de la littérature ouvrière, des fous littéraires, des environnements spontanés, des cultures urbaines, de l'art de la rue, des graffiti, etc. Il est tentant d'essayer de comprendre aussi pourquoi il n'a pas été possible en France, et ce jusqu'à présent, de monter une grande publication périodique qui se consacrerait à l'étude et à l'information sur tous ces aspects de la créativité autodidacte spontanée, publication qui aurait fait appel à toutes sortes de plumes. Ne seront pas non plus évoquées, très probablement, et ce sera dommage, toutes les publications encore moins spécialisées sur les arts populaires, pas nécessairement des fanzines aux pauvres atours, mais qui ont cependant régulièrement publié des informations sur tel ou tel sujet qui appartenait au corpus, comme les revues Plein Chant, SURR, Jardins, voire les magazines L'Œil, Artension, L'Oeuf Sauvage (par exemple). Des fanzines d'aujourd'hui comme Recoins et Venus d'Ailleurs (très soigneusement édité ce dernier), sans se braquer sur l'art populaire ou brut, savent de temps à autre accueillir des articles sur le sujet. Il faudrait donc ouvrir plus largement le compas et s'interroger sur l'ensemble des articles ou études publiés ici et là sur le thème des arts d'autodidactes inventifs.
Annonce de la publication de la revue Recoins n°5 (avec plusieurs articles concernant les arts populaires et les environnements spontanés), parution 2013
Sans compter que d'ici très peu de temps, il faudra aussi que nos amis universitaires et archivistes se penchent avec suffisamment de documentation numérisée sur les blogs qui ont pris le relais avec vigueur des publications sur papier (comme l'auteur de ce blog qui put grâce à ce médium donner toute l'ampleur qu'il souhaitait à la masse d'informations dont il disposait, une fois passée l'époque "héroïque" des premiers fanzines des années 80 et 90).
Pour suivre cette journée, il semble prudent de réserver auprès du Musée de la Création Franche.
00:27 Publié dans Art Brut, Art forain, Art immédiat, Art inclassable, Art naïf, Art populaire contemporain, Art populaire insolite, Art singulier, Environnements populaires spontanés, Fous littéraires ou écrits bruts, Graffiti, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : fanzines, art brut, art singulier, surréalisme spontané, la chambre rouge, l'art immédiat, collection de l'art brut, création franche, crab, déborah couette, zon'art, ozenda, recoins, gazogène | Imprimer
06/11/2013
A Carquefou, Ruzena et Jean Branciard s'envolent, Montpied reste à terre
Que voilà un titre tarabiscoté... Mais fondé. Je vais le 16 novembre prochain participer au vernissage de la double exposition Ruzena-Branciard à l'espace d'exposition du Site des Renaudières à Carquefou (périphérie de Nantes), deux artistes véritablement inspirés que je défends depuis belle lurette (avec Branciard, on s'est connu par ce blog d'ailleurs). Je participe, mais pas seulement en allant engloutir des petits fours et en mondanisant. Je présente un peu avant le vernissage, qui commence officiellement à 16h, le film de Remy Ricordeau, Bricoleurs de Paradis, que j'ai co-écrit avec lui et qui est inséré dans mon livre Eloge des Jardins Anarchiques, traitant du même thème que le film à savoir les environnements spontanés populaires et que donc je présenterai par la même occasion. A signaler que ce livre est sur le point d'être épuisé après son deuxième tirage (en fera-t-on un troisième, on hésite...).
Ruzena et ses "rêves éveillés" au Site des Renaudières, Carquefou, 16 novembre-15 décembre 2013
Jean Branciard et ses "véhicules rêvés" au Site des Renaudières à Carquefou, mêmes dates que Ruzena
Les images que la Direction des Affaires Culturelles de la mairie de Carquefou a choisies de publier sur le carton d'invitation montrent pour Ruzena un de ses désormais habituels personnages nus quoique prudemment striés d'ombre en train de s'échapper du cadre vers le ciel et pour Jean Branciard une sorte d'avion déglingué, constitué comme le préfère l'artiste de bouts de métal rouillé et de morceaux de grillage, demi hélice, trous dans la carlingue qui part en morceaux, etc. Nos deux amis, sans se concerter probablement, semblent s'être donc pris de passion pour les airs. Quant à moi, je resterai prudemment à les regarder depuis le plancher des vaches où mes habitants-paysagistes s'enracinent.
Carton d'invitation avec une erreur dans le libellé de présentation du "film" Eloge des Jardins anarchiques"...
A signaler cependant une erreur dans le carton d'invitation (ci-dessus) puisqu'il écrit que sera présenté à 14h30 le samedi 16 novembre le film "Eloge des Jardins anarchiques", suivi d'un débat avec son "réalisateur" à savoir moi... On a fait là évidemment une confusion entre le livre et le film. J'insère ci-dessous le carton tel que je l'ai corrigé et tel que l'on aurait dû le publier (j'espère que la Direction des Affaires Culturelles ne m'en tiendra pas rigueur)...
Exposition "Les véhicules rêvés, les rêves éveillés", Ruzena et Jean Branciard, du 16 novembre au 15 décembre 2013, espace d'exposition du Site des Renaudières, Carquefou. Ouv. les mercredi, samedi, dimanche de 14h à 18h o usur RDV. Renseignements: Direction de l'Action Culturelle de la Ville de Carquefou: 02 28 22 24 40 ou culture@mairie-carquefou.fr
09:45 Publié dans Art singulier, Cinéma et arts (notamment populaires), Environnements populaires spontanés, Galeries, musées ou maisons de vente bien inspirés | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : ruzena, jean branciard, site des renaudières, carquefou, art singulier, véhicules rêvés, rêves éveillés, bricoleurs de paradis, éloge des jardins anarchiques, bruno montpied | Imprimer
02/11/2013
Monsieur X quelque part à la fin des terres
A Benoît et Darnish qui m'accompagnèrent joyeusement en ce bout des terres
Ce créateur, se définissant volontiers comme « asocial », et non pas « anarchiste », ne veut pas qu’on le nomme ni qu’on le situe sur la carte, même si certains, ayant voulu parler de lui, n’ont pas respecté cette demande (et que donc son nom traîne ici et là).
Monsieur X., ce qui dépasse de la haie côté route... ph. Bruno Montpied, 2013
Ancien marin ayant passablement bourlingué sur les mers (il habite à quelques encablures de falaises surplombant vertigineusement l’océan), ayant également tâté des Beaux-Arts, et parcouru la France dans sa jeunesse pour parfaire son éducation d’artisan tel un compagnon, possédant quelques connaissances en architecture et dans la construction des voiliers, « monsieur X » a créé depuis trente-cinq ans autour de sa petite maison traditionnelle bretonne un ensemble harmonieux et mystérieux de sculptures aux formes recherchées et oniriques, tenant tantôt de l'os, tantôt de l'épine ou bien encore de l'algue.
Original belvédère comme gluant, adhérant à la maison d'habitation, et faisant une transition de l'architecture traditionnelle bretonne à l'inventivité offerte dans le jardin dont il garde un passage, ph. BM, 2013
Monsieur X., vue de la maison en arrière-plan, flanquée d'un belvédère en angle, d'un monument avec une femme nue étendue de tout son long sur une arche, ph. BM, 2013
"Onirique" n’est pas une épithète trop éculée en ce qui le concerne, puisqu’il se revendique d’un certain surréalisme, même si comme il le confie, après être allé rencontrer certains surréalistes historiques à Paris dans les années 50-60, il trouva ce milieu passablement « embourgeoisé ». Il paraît avoir assisté, quelque peu intimidé semble-t-il, à la cérémonie, organisée par Jean Benoît entre autres et immortalisée par les photographies de Gilles Ehrmann, visant à exécuter le testament du Marquis de Sade. S’y sentit-il déplacé ? Il ne le précise pas. Cependant, il se sent proche de ce mouvement. Ses peintures, louchant du côté d’un certain fantastique aux codes surréalistes peut-être un peu trop voyants, en attestent, de même que, peut-être aussi, des écrits qu’il évoqua à mots couverts durant notre bref entretien (on trouve de temps à autre sur les sculptures diverses inscriptions manifestant son goût pour la poésie ; voir ci-dessous la légende "Parfaite en beauté hautaine").
Ph. BM, 2013
Mais ce sont surtout ses sculptures, arachnéennes, effilochées, étonnantes dans leur apparent déséquilibre, comme influencées par un nouvel Art Nouveau n’osant pas dire son nom, qui retiennent l’attention par leur évidente originalité. Les bras de ses statues s’effilent et se transforment en racines comme bouturés directement dans la terre. Un avorton grimpe sur une sphère éclairée la nuit comme un étrange quinquet, enseigne de poète de la fin du monde. Un étrange petit belvédère juché sur une tourelle à l’angle de sa maison comme perpétuellement sur le point de vaciller donne au site un caractère de décor de rêve improbable au milieu de la lande. Une arche supportant une immense femme renversée porte en son extrémité des soufflets qui peuvent jouer des notes de musique si on tire correctement leurs ficelles (voir ci-contre avec Darnish chef d'orchestre), composant une sorte de nouvel orgue d’un autre Capitaine Nemo réfugié dans les terres, survivant, toujours résolument à l’écart d’une société qu’il vomit avec ses valeurs indexées sur le profit, la vanité et la gloire. Le style Art Nouveau de ses œuvres en plein vent faisant penser au décor du Nautilus dont des fragments se seraient perdus dans la lande.
La "sainte" vue par monsieur X., accueillant le mort, ph. BM, 2013
Certes, monsieur X par le style cultivé de ses sculptures tranche avec les environnements populaires que je préfère usuellement. C’est sans compter avec la naïveté de certains de ses personnages, et l’aspect débridé profondément original de l’ensemble, le goût très fort de l'analogie appliquée à la conception de ses sculptures, la grande poésie de l'ensemble. Autodidacte surréalisant, cet ancien marin breton, réfractaire à l’ordre établi, est à la croisée des créateurs purement naïfs ou bruts¹ et des créateurs de décors excentriques primitivistes (comme celui de Robert Tatin par exemple dans la Mayenne, dont on pourrait facilement rapprocher sociologiquement monsieur X).
Monogramme de Monsieur X. sur le mur de sa maison, ph. BM, 2013
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¹ A noter que monsieur X, durant notre entretien avec lui, tint à se distinguer nettement de l'art brut auquel il ne pense pas devoir être rattaché.
Merci à Benoît Jaïn, à Alain Nempont et enfin à Thérèse Barbier qui tous successivement, à différentes époques, m'ont envoyé des photos pour me signaler ce site qui se veut pourtant discret...
12:05 Publié dans Art immédiat, Art naïf, Art singulier, Environnements populaires spontanés, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : finistère, art nouveau, capitaine nemo, nautilus, autodidacte surréaliste, poésie, bretagne insolite, benoît jaïn, darnish | Imprimer
27/10/2013
Salon d'art alternatif, Hôtel le A
Enigmatique appellation, isn't it? Ce serait pourtant l'exacte traduction d'"Outsider Art Fair", ce salon organisé par Andrew Edlin, par ailleurs directeur de la galerie du même nom à New York, galerie qui se consacre à diverses découvertes classables ou non dans l'art brut.
On sait qu'aux USA, le terme d'art brut est difficilement traduisible, et pas seulement le terme, mais la notion elle-même. On lui préfère "outsider art" qui sert à regrouper dans un vaste pot-pourri l'art des pionniers (limners naïfs américains des XVIIIe et XIXe siècles), art populaire, art des environnements, et art d'individus autodidactes marginaux (pensionnaires d'asiles, médiumniques, et une sacrée tripotée de zinzins mystico-visionnaires, qui paraissent florissants aux States). Derrière cette étiquette, mêlés sans aucun distingo aux créateurs autodidactes non artistes professionnels, se cachent cependant aussi toutes sortes d'artistes en voie de professionnalisation, visionnaires étranges, marginaux à l'intérieur de l'art contemporain, que l'on aurait pu aussi bien voir revendiqués par le surréalisme en un autre temps.
Les Américains ont donc décidé de venir à Paris pour quatre jours (ça se termine ce dimanche) rassembler dans un petit hôtel quatre étoiles de six étages, rue d'Artois, à deux pas des Champs-Elysées et de la FIAC, 24 galeries plus ou moins spécialisées dans les divers champs de ce qu'ils appellent l'art outsider, galeries venues d'Amérique ou d'Europe. Le prix d'entrée est du même genre qu'à la FIAC, 15€, pour venir voir si l'on peut dépenser plus dans les galeries présentées (!), et encore plus cher pour avoir le droit de venir au vernissage (re-!). Tout ça n'étant pas, comme s'en convaincront les lecteurs du Poignard Subtil, very, very democratic. Il fallait certes rembourser les frais de location de l'hôtel 4 étoiles. Mais qui obligeait ces messieurs à investir un hôtel si chic (autour de 500 € la nuit d'hôtel)? Hormis la nécessité à leurs yeux d'offrir l'art des miséreux, des aliénés et des souffrants de l'âme aux privilégiés et aux favorisés de la vie (à la recherche d'un peu de réalité et de bonne conscience probablement?), fréquentant les Champs et accessoirement croisant du côté de la FIAC proche?
Mais oublions ces propos un peu amers, et reconnaissons aussi, comme Philippe Dagen dans une chronique qu'il a donnée au Monde ces jours-ci, que l'on pouvait vite oublier ce paradoxe lamentable au fur et à mesure que l'on découvrait, grâce à nos coupe-files (Dagen oublie de le dire), d'étage en étage, des créateurs passionnants présentés de façon succincte mais fort soigneusement. L'idée d'un hôtel, dans l'absolu, du reste, était amusante et déroutante. Chaque galerie possédait une chambre, le lit n'en avait pas été déménagé, les œuvres se distribuaient tout autour, la situation, lorsque la charmante hôtesse qui s'y trouvait vous ouvrait la porte -comme me le fit remarquer RR que j'avais invité à me suivre dans cette étrange foire- pouvant relever d'une certaine confusion des sentiments. On entrait après tout dans des chambres décorées d'art brut, invitées par une charmante jeune fille, le lit trônant comme une invite au centre de la pièce, certains pouvaient hésiter entre elle et lui (l'art brut)...
Janet Sobel en action, 1948, Raw Vision n°44, ph. Ben Schnall
Janet Sobel, galerie Gary Snyder, New-York
Vingt-quatre heures se sont écoulées depuis que j'ai fait une visite à ce salon. Qu'en surnage-t-il? Pas les gribouillages de Dan Miller en tout cas, contrairement à M.Dagen, que je trouve toujours bien trop proches d’œuvres de la modernité plastique pour être honnêtes (façon de parler...). Non, c'est avant tout la découverte de Janet Sobel dont je n'avais jamais vu de peintures et qui a fait l'objet d'un article apparemment fourni dans un vieux numéro (le n°44) de Raw Vision vers 2003. Si j'ai bien compris, je ne suis pas fortiche en anglais, cette dame, Juive d'origine ukrainienne et émigrée aux USA, disparue en 1968, fut à la fois perçue comme appartenant à l'expressionnisme abstrait, ayant influencé peut-être Pollock, et redécouverte comme une "outsider" plusieurs années plus tard (une situation qu'elle partage avec quelques autres grands aérolithes inclassables, tel Jan Krisek par exemple). Ses œuvres sont tout à fait remarquables. J'en montre ci-dessus et ci-dessous quelques exemples que je dois à l'obligeance de la galerie Gary Snyder qui la représentait dans ce salon.
Janet Sobel, sans titre, technique mixte sur papier
Janet Sobel, galerie Gary Snyder
Par contre, j'ai été fortement déçu par les photos d'Eugen Von Bruenchenhein (par ailleurs aussi exposées actuellement à la galerie Christian Berst à Paris, galerie représentée à l'Outsider Art Fair), que finalement je trouve assez banales, n'ayant pas d'intérêt, ni d'un point de vue érotique, ni d'un point de vue photographique. Ses meubles en os assemblés sont pour le coup bien plus intrigants. Mais il n'y en avait pas à l'Hôtel le A.
La galerie d'Hervé Perdriolle montrait pour sa part de l'art populaire indien contemporain, notamment toute une série de petits papiers dessinés genre "patua", à fonction magique, destinés par des peintres anonymes ambulants à permettre aux défunts de se libérer des démons qui auraient voulu traîner leurs âmes en enfer (je récite, approximativement sans doute, la leçon que me fit la charmante hôtesse de la galerie). Les patua sont aussi des rouleaux narrant des histoires terrifiantes appuyant visuellement les récits de conteurs-peintres ambulants (voir ci-contre ce rouleau extrait du site web de la galerie). La galerie d'Hervé Perdriolle donne là-dessus ses éclaircissements.
Dessin de Radmila Peyovic, extrait du catalogue de l'exposition "Ai Marginali dello Sguardo" de 2007 en Italie
Philippe Eternod et David Mermod formaient un couple de galeristes extrêmement passionnés à un autre étage, gambadant mentalement d'un créateur à l'autre d'une manière tourbillonnante qui donnait l'impression d'une valse aux murs tapissés de dessins d'Aloïse, de Gaston Teuscher, de Jules Fleuri, de Raphaël Lonné, d'Abrignani, de Radmila Peyovic, etc. Au milieu de cette valse, apparut brusquement le visage du créateur ACM qui me serra la pogne dans un flash ultra fugitif qui me donna le regret de ne pas en savoir plus. Ces initiales mystérieuses avaient tout à coup un visage.
Un dessin de Susan King, extrait d'un catalogue chez Marquand Books à Seattle
Richard Kurtz, extrait du site web du créateur
D'autres révélations me furent prodiguées, l'ex-boxeur Richard Kurtz au dernier étage chez Laura Steward, les cahiers de croquis étonnants de la Néo-zélandaise Susan Te Kahurangi King qui métamorphose constamment un petit personnage publicitaire de la marque de soda Fanta, le vagabond David Burton (1883-1945) qui dessinait sur les trottoirs (il fit l'objet d'un sujet dans les archives d'actualités de la firme Pathé, un beau motif de quête pour l'ami Pierre-Jean Wurtz, ça, n'est-il pas?), représenté par la galerie anglaise de Rob Tufnell, le naïf grec Giorgos Rigas, représenté par la galerie C.Grimaldis de Baltimore, et cet étonnant créateur brut, Davide Raggio (voir ci-dessous l'œuvre sans titre de 59 x 47 cm de 1998), travaillant avec trois fois rien, des matériaux fragiles à portée de main, friables, aux limites de l'évanescence et de l'inconsistance, créateur qui s'est fait connaître par ses figurations faites de peaux de carton décollées et déroulées de manière à produire des silhouettes plus claires par contraste avec la teinte kraft plus sombre des cartons. Sur le salon, on en trouvait à la fois chez Rizomi, la galerie turinoise, et à la Galerie lausannoise du Marché chez Eternod et Mermod. Ce créateur a ceci de remarquable qu'il a pratiqué en dépit de sa situation d'enfermé (en asile) diverses techniques d'expression toujours marquées par le sceau de la précarité mais enfin fort variées ce qui est rare chez nos grands obsessionnels.
Enfin, chez Cavin Morris, galerie new-yorkaise, on pouvait admirer du coin de l’œil sur le mur et étalés sur la courtepointe quelques magnifiques dessins de Solange Knopf, œuvres que j'aime décidément beaucoup.
Solange Knopf, Botanica, 2013
Solange Knopf, Spirit Codex, 180x100 cm, 2013
15:23 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art singulier, Confrontations, Galeries, musées ou maisons de vente bien inspirés, Photographie | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : outsider art fair, hôtel le a, andrew edlin, janet sobel, davide raggio, art brut, outsiders, art singulier, hervé perdriolle, patua, art populaire indien, collection eternod-mermod, radmila peyovic, susan king, richard kurtz, david burton, galerie rizomi, solange knopf, galerie cavin morris | Imprimer
20/10/2013
Martine Doytier, d'un tableau revenant et de quelques autres images...
Un correspondant a eu l'heureuse et aimable initiative de me faire parvenir la reproduction d'un tableau de Martine Doytier (née à Clichy en 1949 - disparue à Nice en 1984), artiste à la fois naïve, visionnaire et aussi crépusculaire, décédée bien trop tôt, dont l’œuvre excite hautement ma curiosité.
Martine Doytier, coll. privée ; il semble que ce soit une scène de pique-nique, sujet que Martine Doytier a par ailleurs traité au moins une autre fois, voir ci-dessous la carte postale éditée par l'ancien Musée d'Art Naïf de Flayosc ; le tableau ci-dessus montre des personnages qui je ne sais pourquoi me rappellent des scènes de la vie quotidienne dans les Balkans... ; le paysage fascinant qui entoure les convives est traité de façon totalement onirique
Martine Doytier, un pique-nique de nonnes...
J'ai déjà mis en ligne un autre tableau remarquable de cette créatrice lorsque j'ai chroniqué l'exposition montée autour du Facteur Cheval au Musée de la Poste à Paris (en 2007). Je le replace ici, histoire de constituer un petit socle qui ne demanderait qu'à être agrandi, avec d'autres reproductions. Il semble qu'il n'y ait qu'à Nice et dans sa région qu'on puisse en apprendre davantage sur cette artiste, curieusement rattachée à l'Ecole de Nice (Ben et autres) en dépit de son style très différent des productions de cette Ecole. Le galeriste, photographe et collectionneur niçois Jean Ferrero notamment paraît conserver plusieurs œuvres de notre héroïne.
Martine Doytier, Hommage au Facteur Cheval, 1977, huile, 146x97 cm, coll. Jean Ferrero, Nice
Voici une notice biographique sur Martine Doytier qu'on trouve sur internet en se connectant au site du Dictionnaire Delarge des arts plastiques et contemporains: "DOYTIER, Martine: née en 1947 à Clichy, Hauts-de-Seine, France ; 1969, s'installe dans le Var comme céramiste ; 1971, commence à peindre après avoir visité l'exposition du peintre naïf Ozenda¹ ; 1973, vit à Carros, où le peintre populaire yougoslave Paleicewik lui enseigne des techniques ; 1974-1984, peint un ou deux tableaux par an ; 1984, meurt le 16 février.
Techniques : Peintre - Sculptrice. Présentation : En 1974, elle cesse d'être peintre naïf et elle opte pour une peinture très construite dont les accumulations à la Dado mènent au fantastique. Dans des amas de constructions, de rochers ou d'objets se détachent des personnages aux yeux écarquillés sous des paupières en visière. Elle est aussi l'auteur d'une sculpture animée, un automate, Le Briseur de montres (1975-1977). Expositions : 1971, Art'O, Flayosc ; 1977, Biennale de Menton. Rétrospective : 1994, Musée d'Art moderne et d'art contemporain, Nice". Ajoutons cette précision quant à cette "rétrospective", organisée pour commémorer les dix ans de la disparition de l'artiste, et ne paraissant pas avoir donné lieu à la publication d'un catalogue, elle se déroula du 19 janvier au 6 mars.
Martine Doytier, tableau reproduit à très faible résolution sur le site de "l'Espace à Débattre" de Ben Vautier ; on dirait une scène fantastique un peu utopique où des militants de la cause des arbres s'ingénieraient à métamorphoser des arbres morts en arbres refleurissant pour les replanter à l'arrière-plan du paysage... Très beau tableau apparemment en tout cas.
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¹. J'ai signalé dans mon compte-rendu de l'expo autour du Facteur Cheval que le cartel apposé à côté du tableau de Doytier d'hommage au Facteur signalait que "le peintre naïf" qui avait stimulé notre artiste de Nice était le Polonais Ociepka. La notice du catalogue de l'expo reprenait par ailleurs la mention que c'était Ozenda le peintre naïf en question. Ociepka, peintre visionnaire classé dans l'art naïf, était plus plausible comme influence qu'Ozenda, plus hétéroclite dans son expression et plus "singulier" que "naïf". Cela dit, est-il possible qu'une expo Ociepka ait pu avoir lieu à Nice au début des années 70? Il serait évidemment plus réaliste de penser que cela ait été Ozenda, le peintre stimulateur, puisqu'il fut souvent exposé dans cette région à ces époques, notamment à la galerie d'Alphonse Chave à Vence (ce pourrait même être là, en y réfléchissant, que Martine Doytier aurait pu voir des créations d'Ozenda. Personne n'est venu apporter d'éclaircissement sur la question depuis que j'ai fait cette remarque, personne ne s'intéresse-t-il donc à cette artiste?
16:29 Publié dans Art immédiat, Art naïf, Art singulier, L'oeil du Sciapode | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : martine doytier, école de nice, ben, jean ferrero, art naïf visionnaire, art immédiat, facteur cheval, musée d'art naïf de flayosc, ozenda, ociepka | Imprimer
13/10/2013
Tromperie sur la marchandise (l'Hôtel de Ville de Paris et ses impostures)
"Absolument excentrique", "Art brut", nous matraquent les affiches de la nouvelle exposition de l'Hôtel de Ville de Paris en ce moment rue de Rivoli.
Photo Bruno Montpied, 2013
Ah bon? Eh bien, cela fait à mon avis, réunis sur une seule affiche, deux mensonges avec un parfum d'imposture qui ne sont pas sûrs de rendre service à ceux qu'on expose et veut défendre, à savoir toutes sortes de personnes, plus de 160 "artistes", nous assure-t-on, "en situation de handicap mental et/ou psychique issues de de vingt-cinq ateliers de création médico-sociaux et associatifs parisiens".
Cette exposition, dont on a par ailleurs soigné la scénographie, présente des travaux d'ateliers collectifs où règne en fait assez peu d'excentricité. A se promener dans l'expo, on se dit que l'on y rencontre plutôt un bon échantillon de références à l'art plastique moderne ou contemporain, de l'expressionnisme Kokoschka édulcoré à la peinture proche du graffiti à la Basquiat, du lettrisme à l'art enfantin (l'art des handicapés mentaux s'en rapprochant souvent), etc., le tout ne présentant aucune originalité véritable (à part une ou deux exceptions notables, voir dernier paragraphe de cette note). L'art brut, revendiqué en titre, voire l'art naïf, on sent bien que l'on (les animateurs des ateliers?) cherche parfois à en rapprocher les créations de ces ateliers. En effet, certaines manières, certaines caractéristiques de composition que l'on rencontre souvent dans les œuvres des collections d'art brut, comme le morcellement des formes colorées cernées en noir par exemple, se retrouvent ici et là, comme réemployées incidemment et malignement, ce qui en fait des marqueurs de style et des tics par voie de conséquence, alors que chez les bruts, il n'y avait pas de volonté d'employer sciemment ces tours de main.
Catalogue d'art moderne recraché? Expo "Absolument excentrique", 2013
Le public était nombreux lorsque je visitai cet espace (un samedi). L'hôtel de ville est situé en plein centre de Paris, et les mots magiques, si à la mode depuis quelque temps, de "l'Art Brut", qui traînent partout, attiraient bien évidemment le passant pas au courant. Mais les connaisseurs, et je suis sûr qu'il y en a de plus en plus depuis que d'autres expositions dans des lieux très en vue (comme le "Museum of Everything" récemment à St-Germain-des-Prés, les expos de la Halle Saint-Pierre, la Maison Rouge, boulevard de la Bastille, le LaM à Villeneuve-d'Ascq, etc.), ne peuvent que constater après un rapide examen des œuvres présentées à l'intérieur qu'on les a trompés sur la marchandise.
Il n'y a pas d'art brut rue de Rivoli... Les organisateurs (un "Collectif Evénementiel Art et Handicap") se sont parés de plumes qui ne leur appartiennent pas. On a simplement affaire à une présentation des travaux d'ateliers pour handicapés divers comme il y en a déjà eu de nombreuses par le passé, sans qu'il y eût besoin alors de se livrer à ce tour de passe-passe.
Ce genre d'usurpation de terme en dit long sur l'importance en réalité accordée par les organisateurs à ce qu'est vraiment l'art brut. Comme s'ils se moquaient en fait de savoir ce que c'est ou non. Leur seul but étant de harponner le chaland à tout prix avec un titre accrocheur. On se dit qu'il doit y avoir une entreprise de communication spécialisée dans le marketing derrière eux. Mais pas très finaude et plutôt mauvaise communicante...
Ensemble de pièces en terre émaillée de Philippe Lefresne à l'exposition "Absolument excentrique", 2013
Cela fait quelque temps déjà que la Mairie de Paris pousse les associations et les centres d'aide par le travail spécialisés dans les handicapés à exposer ici et là. Ce qui paraît inquiétant, c'est son aveuglement concernant les lieux parisiens qui s'occupent depuis bien longtemps, sans l'avoir attendue, et parfois même gênés par elle -ce qui est un comble!- de faire connaître l'art brut et ses formes apparentées, comme la Halle Saint-Pierre dont la mairie réduit sans cesse les subventions et augmente le loyer... Sans doute faut-il deviner derrière une telle attitude ce côté dogmatique des dirigeants parisiens cherchant à imposer des choix sociaux guindés et artificiels qui ne tiennent aucun compte des choix des individus, des paroles venues d'en bas... Trop anarchiques pour eux, sans doute.
Bouteille de Contrex aux ornements phalliques, selon Philippe Lefresne, exposée à la Galerie Beckel-Odille-Boïcos en 2012 et pas à "Absolument excentrique", ph. BM
Ceci dit, pour ne pas finir sur une note trop négative –aujourd'hui, on po-si-ti-ve, n'est-ce pas?–, il est à remarquer qu'une fois de plus, comme dans l'exposition "Exil" du Couvent des Cordeliers, se trouvent mélangés à ces créateurs handicapés venus de tous horizons (leurs ateliers ne sont pas spécifiés au cours de l'expo) certains créateurs déjà repérés en provenance de l'ESAT de Ménilmontant dont j'ai déjà eu l'occasion de dire tout le bien que j'en pense (et qui, comme dans le cas de l'exemple ci-après pourrait peut-être être cette fois vraiment rangé dans une catégorie à part de l'art brut). Comme l'excellent Philippe Lefresne (voir les deux illustrations ci-dessus), créateur d'un style personnel et à l'imaginaire débridé, bosseur invétéré (un camarade m'a raconté que récemment il serait allé se plaindre dans un commissariat qu'il voulait continuer à travailler le dimanche dans l'atelier où il est salarié comme tous les autres artisans handicapés -à signaler que tous touchent un salaire identique quelque soient les prix atteints par les œuvres des uns et des autres), métamorphoseur d'images médiatiques qu'il passe à sa réjouissante moulinette. Ou Fathi Oulad Ben Abid et ses sculptures en raku que l'on avait remarquées au Carré de Baudouin, pour les 40 ans de l'ESAT, et dans la galerie Beckel-Odille-Boïcos près de la Bastille. Mais ils sont durs à repérer. Mieux vaut encore aller les rencontrer là où ils produisent dans les ateliers (peinture et poterie) de la rue des Panoyaux dans le XXe ardt.
15:52 Publié dans Art immédiat, Art moderne ou contemporain acceptable, Art populaire contemporain, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : absolument excentrique, hôtel de ville de paris, art des handicapés mentaux, philippe lefresne, fathi oulad ben abid, esat de ménilmontant | Imprimer
12/10/2013
Le visage d'Ali, le créateur oublié d'Essaouira
Ali, photo (détail) Patricia Allio, 2001, extrait du catalogue de l'exposition à Dol-de-Bretagne, "L'art brut à l'ABRI"
Donc nous voyons ci-dessus à quoi ressemblait le Ali que le texte de Darnish, et le commentaire de Marianne Boussuge-Brault, récemment mis en ligne sur ce blog (voir ci-dessous), évoquaient. Cette photo fut publiée par Patricia Allio dans le catalogue de l'exposition "L'art brut à l'ABRI" qu'elle avait montée au Cathédraloscope de Dol-de-Bretagne (étaient exposés: des sculptures de Jean Grard, de Pierre Jaïn et de René Raoult, des peintures d'Ali, d'Asman Saïd et d'un autre peintre inconnu d'Essaouira, des photos d'Olivier Thiébaut, des cartes postales de l'Abbé Fouré (venues de ma collection), des peintures de Bruno Montpied, de Patricia Allio, des assemblages d'os sculptés de Gaston Floquet, des sculptures de Dominique Ronsin, et des "mécaniques apprivoisées" de Dino Pozzo).
Ces deux peintures d'Ali (photo Bruno Montpied) étaient accrochées dans l'expo de Dol-de-Bretagne en 2001 de même que la jarre peinte ci-dessous dont on voit les deux personnages peints au pourtour (elle corrobore l'indication de Marianne Boussuge-Brault qu'Ali affectionnait de peindre sur des supports variés, notamment en trois dimensions)
Pour faire bonne mesure, je remets ici, annobli en texte de note, le témoignage de Marianne Boussuge-Brault à propos de cette "Maison des Artistes" qui est à Essaouira décorée avec des peintures d'Ali. Dommage que l'hôte dont elle parle ait été si rétif que cela à ce qu'elle puisse prendre des photos.
"A Essaouira au mois de septembre, nous avons logé dans une maison d'hôte nommée la maison des artistes. S'y trouve exposée l'œuvre géniale d'Ali (brèves biographiques glanées auprès de notre hôte qui lui voue un culte: plus ou moins SDF durant toute sa vie (aujourd'hui terminée), ancien soldat de la guerre d'Algérie dont il a gardé un profond traumatisme, a vécu à la maison des artistes pendant un moment: le propriétaire lui a laissé "carte blanche" dans la maison en échange d'un toit, à manger et de leur amitié). Ali peint sur tout et utilise tous les supports: fenêtre, tables, chaises, toile etc. Des œuvres variées, parfois brutales rappelant les horreurs de la guerre, parfois très colorées et souvent oniriques. L'âne est une figure qui revient dans la plupart de ses toiles. Nous n'avons pas pris de photographies, notre hôte étant rétif à cette idée mais je pense qu'il suffit de frapper à la porte ...et de découvrir Ali." (Marianne Boussuge-Brault)
La salle de l'exposition "L'art brut à l'ABRI" où se trouvaient les œuvres de quelques créateurs d'Essaouira, dont Ali, découverts par Patricia Allio (l'ABRI était le nom de –la paradoxalement éphémère!– association qu'elle avait fondée avec Frédéric Nef dans le but de protéger des créations d'art brut... ; autour étaient disposées des pièces sculptées de Jean Grard, des photos, au fond, d'Olivier Thiébaut..., ph. BM, 2001
10:13 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : ali, essaouira, l'art brut à l'abri, patricia allio, art brut marocain, olivier thiébaut, jean grard, bruno montpied, pierre jaïn, art brut en bretagne, darnish | Imprimer
07/10/2013
L'autre Biennale à Lyon, hors-les-normes paraît-il
C'était le dernier jour hier, choisi en mon honneur puisque c'était la Saint-Bruno. Non, je plaisante. Pas sur le fait que c'était le dernier jour cependant (enfin pas pour toutes les expos qui se sont affiliées à ce programme... Vous n'avez pas tout compris? Pas grave).
Je n'ai pas eu la possibilité de la visiter de fond en comble cette biennale, prévue pour se tenir en parallèle et peut-être (sûrement) en opposition à la Biennale d'art contemporain qui a lieu aussi à Lyon au même moment, et qui paraît véhiculer beaucoup d'importance nulle. Si bien qu'il ne dut pas être difficile pour les organisateurs de l'Hors-les-Normes, la "VeBHN", comme ils disent, de faire mieux. Prévue pour s'exposer en 27 lieux (tout de même), cette Biennale qui fête ses dix ans donc a réussi cette année à monter quelques intéressantes exhibitions qui nécessitent que je m'en fasse l'écho (l'expo de la galerie Dettinger sur quatre créateurs marocains découverts à Tanger que j'ai chroniquée il y a quelques jours se tient parallèlement à cette BHN, sans faire partie pour autant de son programme). J'ai relevé notamment dans ce programme-dépliant, par exemple, au 5 rue Bonald dans le 7e ardt, la galerie Korova Art Cubby Hall qui montrait des Jaber (voir ci-contre ; en allant dans l'arrière boutique de ce petit local au nom grandiloquent on pouvait aussi découvrir des affiches peintes du Ghana, et des Tokoudagba (une mami wata, ai-je rêvé? Je suis passé en effet très vite, comme au pas de charge en compagnie d'amis pressés)).
Juste à côté, dans une boutique de tatoueur, intitulée -manie de l'invasion de notre pays par les mots anglo-saxons- "In my brain" (18 rue Bonald), se tenait une autre exposition où une artiste répondant au doux nom d'"Aup'titbazar", en réalité de son autre nom Alice Calm, montrait des sous-verres remplis de cheveux dessinant de folles arabesques, parfois empesées d'on ne savait trop quelle poisse blanche...
Alice Calm, sous-verre où dansent des cheveux (pas eu le temps de demander si l'œuvre avait un titre, une date...), galerie "In my brain", Lyon 7e ardt, photo Bruno Montpied
Je n'ai pas vu la "sélection BHN" où exposait entre autres l'ami Jean Branciard à l'Université Lyon 2 Campus du Rhône (quai Claude Bernard Lyon 7e), mais je fais confiance à Branciard pour avoir amené de ses esquifs et autres assemblages brinqueballants toujours aussi captivants. Pas vu non plus au Musée des Moulages, cours Gambetta dans le 3e ardt, l'expo "Trouble pictural" consacrée aux protégés français et belges de la Pommeraie (Maurice Brunswick, Michel Dave, Paul Duhem, Alexis Lippstreu, Jacques Trovic, Jean-Michel Wuilbeaux, entre autres), mais je fais confiance là aussi à cet atelier le plus connu d'Europe pour ses créateurs inventifs malgré leurs différents handicaps.
Parmi les autres lieux, devaient certainement être intéressants "le singulier boudoir" installé à la mairie de Lyon 3e ardt avec des œuvres de Marilena Pelosi, Evelyne Postic, Joël Lorand, Jo Guichou, Paul Amar, etc. qui avaient été prêtées par l'association Bab'Art venue du Gard, ainsi qu'à la MAPRA, dans le 1er ardt, l'expo "American folk art" montée par la revue Gazogène et Jean-Michel Chesné qui ont tiré un numéro spécial à ce sujet (le n°35 de la revue), les œuvres présentées paraissant avoir été prêtées par Chesné.
Par contre, j'ai perdu beaucoup de temps à dénicher une autre petite exposition perdue dans le hall de l'Ecole Normale Supérieure située au métro Debourg (dans le 7e ardt encore). Alain Dettinger m'en avait dit le plus grand bien, à cause de la présence parmi les trois exposants d'un certain Christopher Simmons, créateur qu'il avait cotoyé en Australie dans les années 80, et qui dessinait de façon primesautière sur des serviettes en papier à l'exclusion de tout autre support. Cette ENS laissait voir plusieurs de ses dessins effectivement attachants et remarquables, dessins qui avaient été prêtés par Alain Dettinger. Je me suis laissé dire que ce Simmons a peut-être des dessins conservés à Lausanne, est-ce vrai ? (A vérifier). La quête fut longue, mais la découverte payante. A signaler que cette expo-là, intitulée "Encrés dans l'invisible", se termine le 19 octobre. Enfin, saluons le fait que toutes les expos de cette Biennale étaient, et sont, libres d'accès. En ces temps où certains musées et autres Outsider Art Fair font payer leurs entrées à des prix astronomiques anti démocratiques (révélateurs du public auquel on destine désormais l'art brut par une odieuse captation d'héritage), c'est à marquer d'une pierre blanche...
Christopher Simmons, autoportrait à la coupe en brosse, env. 18x18 cm, 1980, coll. Galerie Alain Dettinger
10:17 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art populaire contemporain, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : 5e bhn, korova art cubby hall, tatoueurs, gazogène 35, jean-michel chesné, art brut américain, christopher simmons, alice calm, jaber, la pommeraie, jean branciard, galerie alain dettinger, bab'art | Imprimer
05/10/2013
Sur Ali Maimoun
Je suis resté un peu circonspect je dois dire, dans le récit du citoyen Darnish –et c'est le seul bémol que j'ai à y apporter, tant cette relation, comme dit l'Aigre, m'a paru à moi aussi excellente, et salutaire quant aux créateurs oubliés d'Essaouira dont j'attendais des nouvelles depuis des années– je suis resté circonspect devant les peintures-découpures d'Ali Maimoun que l'on voit autour de lui sur la photo de Samantha Richard. Son art a bien changé, et pas forcément en mieux, selon mon goût bien sûr, depuis la peinture qui fut exposée au Musée de la Création Franche en 1997 et que je mets en ligne ici pour permettre à mes lecteurs de juger sur pièces.
Ali Maimoun, vers 1997, collection permanente du Musée de la Création Franche, ph. Bruno Montpied
Et pour donner un autre exemple de ce que peint Maimoun aujourd'hui, voici une autre photo de Samantha Richard faite à Essaouira cet été. Le tableau me paraît nettement plus "décoratif", qu'en pensez-vous?
Ali Maimoun, 2013, photo Samantha Richard
14:52 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art singulier, Confrontations | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : ali maimoun, musée de la création franche, samantha richard, darnish, essaouira, art singulier du maroc, art marocain contemporain | Imprimer
03/10/2013
Essaouira, les "malfaisants" résistent encore! Un récit de Darnish et Samantha Richard
Rencontre avec des artistes Souiris
(juillet 2013)
« Une écurie de canassons analphabètes » écrivait dans une sorte de manifeste le 22 Février 1999 Houssein Miloudi, le peintre établi d’Essaouira, à propos des artistes autodidactes réunis dès la fin des années 80 autour de la figure de Fréderic Damgaard et de sa galerie.
« L’histoire les a broyés », «ces malfaisants n’ont laissé aucune trace » acquiesçait Abdelwahab Meddeb, ces derniers propos ayant été tenus dans l’émission « Culture d’Islam » consacrée à Houssein Miloudi sur l’antenne de France Culture cette année.
Qu’en est-il vraiment ? Avec Samantha, nous nous sommes rendus à Essaouira cet été, en plein ramadan. Après un voyage en bus depuis Marrakech, nous voici arrivés dans cette cité au bord de l’océan où la température, bien plus fraîche qu’au nord nous a tout de suite permis de prendre un salutaire bol d’air.
En rejoignant notre premier point de chute, nous sommes passés devant «l’atelier Damgaard» où sur les murs extérieurs étaient présentées des œuvres de Mustapha Asmah (voir ci-contre photo de Samantha Richard). Ces visages aux grands yeux, aperçus furtivement, nos sacs pesant sur l’épaule, paraissaient nous saluer, le pied à peine posé dans la ville… Bon présage.
Ce n’est que le lendemain que, reposés, nous sommes revenus sur nos pas et avons pu admirer les œuvres exposées dans l’atelier Damgaard (atelier d’encadrement et annexe de la galerie) et la galerie située à une cinquantaine de mètres. Dans ces lieux, de nombreuses œuvres se côtoient, ne laissant que peu d’espace vide sur les murs. Ainsi Maimoun voisine avec El Hadar, Sanana, Tazarine, Ouarzaz, Babahoum, Asmah et d’autres encore. L’accrochage est un peu confus mais les œuvres s’imposent à notre regard, on découvre…
Azedine Sanana, Galerie Damgaard, ph. Samantha Richard, 2013
Le type qui tient la galerie nous explique que Frédéric Damgaard s’est retiré de l’affaire et que la galerie, même si elle porte toujours le même nom, appartient désormais à un couple de nationalité belge. Ce couple nous a-t-on dit par ailleurs l’a achetée comme on achète une paire de chaussures. Entendons par là qu’il n’a ni l’envie ni l’énergie de faire connaitre ces artistes et que du coup la galerie vivote, quelques touristes s’y aventurent, pas grand monde.
Nous avons essayé d’entrer en contact avec les artistes par le biais du type qui tient la galerie mais ces essais se sont avérés infructueux. En arpentant la ville nous avons bien trouvé quelques espaces d’expositions tenus par les artistes eux-mêmes mais les œuvres proposées nous semblaient un plagiat, une sorte de copie de ce qui se trouvait chez Damgaard. Pas de quoi fouetter un chat.
C’est donc l’âme en peine que les jours passant, nous nous faisions à l’idée de retourner en France, n’ayant pas rencontré un seul de ces créateurs extraordinaires.
La providence a voulu que les choses se déroulent autrement. En effet, depuis le balcon de notre second point de chute, l’hôtel Beaurivage (hôtel au charme suranné), nous avions remarqué l’ouverture d’un "complexe commercial", en fait un local où se trouvaient des vendeurs d’huile d’argan et autres produits locaux. C’est en jetant un rapide coup d’œil à l’intérieur que nous avons aperçu, au fond du local, une peinture majestueuse qui, malgré la distance, était manifestement de la main d’Ali Maimoun. En effet un petit espace bien discret, derrière des tapis, était dédié à la peinture et pas n’importe quelle peinture puisqu’au mur il y avait Ali Maimoun père et fils, Mustapha Asmah et Abid El Gaouzy, lui-même présent sur les lieux.
Atelier de Mustapha Asmah, ph. SR, 2013
On peut dire qu’avec Abid El Gaouzy le contact est tout de suite passé malgré la barrière de la langue. Il nous a expliqué l’aventure Damgaard et le besoin pour les artistes de se prendre dorénavant en mains. Pour ce faire, il a créé une association, « Jamaia Alouan Naouras Fitria », que l’on peut difficilement traduire (cela donnerait à peu près « l’Association des Couleurs des Mouettes Naïves »). Pourtant ni les mouettes ni les couleurs ne sont naïves, cela aurait plutôt à voir avec les déjections de ces volatiles omniprésents à Essaouira et leur faculté de vous repeindre un vêtement en volant au-dessus de vos têtes… Abid El Gaouzy est le président et le moteur de l’association. Autour d’un café à la terrasse du Café de France, rythmé par la rude fumée des cigarettes Marquise, nous avons discuté peinture, matériel utilisé, précarité des artistes et acharnement à peindre encore et toujours. Le lendemain, un rendez-vous fut fixé à 11h du matin pour visiter quelques ateliers dans un quartier périphérique.
C’est donc à 11h que nous avons retrouvé Abid El Gaouzy pour prendre un taxi et nous rendre au « Quartier Industriel ». On y retrouva Abdulah El Moumni le secrétaire de l’association qui parle très bien français et qui se proposait de faire l’interprète. Il est le seul membre non artiste de l’association. Ce quartier au nom si peu poétique est en fait un ensemble de masures faites de bric et de broc où des biffins étalent leurs pauvres marchandises qui vont de la chaussure unique à la bouteille de soda vide en passant par la chaise à 3 pieds… Le bois, principal matériau de construction de ce quartier, est devenu gris sous l’assaut des embruns et du vent chargé de sable de cette région. Impressionnés, nous pénétrâmes dans ce bidonville totalement anarchique pour arriver devant l’atelier de Mustapha Asmah.
Il était là avec sa Femme Najia, sachant que nous venions. Devant l’atelier une pancarte indiquait sa présence. Quiconque connaissant ce lieu peut lui rendre visite, le dimanche plutôt, pour y acquérir une peinture. Et quelle peinture! Mustapha Asmah peint beaucoup et son atelier est rempli d’œuvres qui font de cet endroit un quasi « environnement ».
Il y a des toiles, des peintures sur bois, des assemblages, des sculptures en pierre récupérées sur la plage et taillées avec des outils de sa confection, des instruments de musique à cordes entièrement réalisés par ses soins et agrémentés de ses petits personnages aux grands yeux expressifs. Nous n’en croyions pas nos mirettes. A un moment nous devinons un âne représenté sur une peinture et Mustapha Asmah, en mimant des zigzags avec sa main nous dit : « l’âne, le plus grand ingénieur des autoroutes ». Nous comprenons que selon lui, il suffirait pour décider du tracé d’une route de suivre le chemin que prend l’âne… Nous étions très loin de « l’écurie de canassons analphabètes » évoqué plus haut par ce peintre officiel…
Atelier d'Abdelaziz Baki, ph. SR, 2013
Puis Abid El Gaouzy nous a amené voir Abdelaziz Baki, un autre membre de l’association, le plus âgé d’entre eux. Ici aussi un écriteau signale qu’il s’agit d’un atelier d’artiste. A l’entrée une fusée-vélo d’enfant bricolée et peinte évoque une pièce de manège sans manège, à moins que le manège soit partout en fin de compte.
Abdelaziz Baki, ph. SR, 2013
Abdelaziz Baki, ancien électricien, nous montre sa peinture aux couleurs vives à mi-chemin entre abstraction et figuration. Il peint aussi des bois flottés assemblés qu’il transforme en créatures imaginaires, souvent des dinosaures. Il les appelle ses totems. Comme Mustapha Asmah, une grande sérénité émanait d’Abdelaziz Baki. Une fois de plus, nous ne pouvions en croire nos yeux.
Abdelghani Ben Ali, ph.SR, 2013
Puis à quelques mètres de là, nous allons voir Abdelghani Ben Ali. Moins serein que ses confrères, plus tourmenté par une vie difficile où décès traumatisants ont côtoyé de graves difficultés financières (ancien pêcheur, son bateau a fait naufrage), Abdelghani Ben Ali s’exprime par une peinture fort différente des autres. Chez lui la nudité s’expose, des ânes copulent, les couleurs sont moins vives, tandis qu’une grande force se dégage de ses créations, une force inouïe même. De petits formats très sombres nous plongent dans « quelque chose » que nous n’avons plus l’habitude de voir en France. Il y a quelque chose de Goya, je trouve, chez Abdelghani Ben Ali qui nous dit peindre seulement quand l’inspiration lui vient. « Si je veux dire quelque chose, je le dis dans mon tableau », nous confie-t-il avec une certaine gravité.
Abdelghani Ben Ali dans son atelier à côté de certaines de ses oeuvres, et insérée dans la note une autre de ses peintures, ph. SR, 2013 ; je (l'animateur du blog) me demande si ce Ben Ali ne serait pas par hasard le même peintre dont Patricia Allio dans son exposition 'L'art brut à l'ABRI" à Dol-de-Bretagne en 2001 montra au moins deux oeuvres (voir tout de suite ci-dessous)?
"Ali", deux peintures, provenant d'Essaouira, exposées par Patricia Allio à Dol-de-Bretagne en 2001, le même Ali que rencontrèrent Samantha et Darnish à Essaouira cet été? Photo Bruno Montpied, 2001
Enfin nous terminâmes notre visite par l’atelier de Mustapha El Hadar, seul à ne pas faire partie de l’association. Franc-tireur envers et contre tout, il continue cependant de travailler avec la galerie Damgaard. Il est surtout connu pour ses dessins à l’encre de Chine ou au « smah » (sorte d’encre à base de crottes de chèvre) sur des peaux marouflées sur bois. Il rehausse ensuite parcimonieusement ses dessins de gouache aux couleurs vives. Dans ses grands formats fourmille un bestiaire halluciné, fascinant. Dans son atelier, une grande œuvre interrompue faute d’encre trône au milieu d’expériences en tout genre. Ici un assemblage d’objets en plastique, ailleurs un collage en trois dimensions. Ce sont des expérimentations réalisées quand une peinture est en train de sécher car Mustapha El Hadar, perpétuellement excité, ne veut pas perdre de temps. Il a aussi fait des installations de land art « brut » à base de morceaux de carrelage disposés sur la plage du quartier industriel sur lesquels il pose des objets mis au rebut comme un vieux téléviseur, une chaise, etc…
Mustapha El Hadar, ph. SR, 2013
Nous quittâmes cet endroit bouleversés par ce que nous y avions vu, par les rencontres faites. Tout cela nous ramenait à notre situation en France, à notre idée de ce qu’est l’art, idée bien souvent mise à mal par ce que nous voyons en général, par cette mainmise d’un art contemporain si éloigné de la vie, combien même il prétend la signifier, la représenter, la sublimer, y dénoncer ses travers.
Le soir nous retrouvâmes Abid El Gaouzy qui surveillait l’arrivée d’éventuels clients dans le fameux complexe commercial en sirotant son café à la terrasse du Café de France. L’air était frais et le café moins cher depuis que nous y allions avec Abid. A ce moment il nous annonça qu’Ali Maimoun, au courant de notre présence, allait venir à notre rencontre. Nous ne nous étions pourtant présentés ni comme des acheteurs, ni comme des galeristes, seulement comme deux artistes français désireux de rencontrer des artistes d’Essaouira pour quand même, peut-être, et excusez du peu, rédiger une note sur le Poignard Subtil et ainsi rétablir un pont entre eux et nous, rompre leur isolement.
Ali Maimoun, monsieur Maimoun comme le dit non sans humour Abid El Gaouzy, arriva donc, venu depuis sa campagne dans les terres sur la route de Marrakech ou il possède une maison et un atelier. Portant une djellaba, un chapeau vissé sur la tête et un paquet de Marlboro à la main, Ali Maimoun a l’allure d’un bluesman. Il nous évoqua lui aussi la période bénie de Frédéric Damgaard. « Un grand monsieur, Fréderic » nous confia-il. Frédéric Damgaard rémunérait généreusement les artistes, ce qui n’est plus le cas avec ses successeurs qui ont petit à petit réduit les billets jusqu’à ce que quelqu’un comme Ali Maimoun ne s’y retrouve plus vu le temps qu’il lui faut pour faire une peinture (parfois deux mois). Quand je dis une peinture, c’est façon de parler, car c’est autant un volume, un bas-relief qu’une peinture. Dans un premier temps il découpe dans du bois des entrelacs de formes abstraites, puis il colle ce découpage sur une planche. Ensuite il passe un enduit de son invention à base de colle et de sciure de bois. Ce n’est qu’à la fin qu’il y dépose ses couleurs si particulières, si harmonieuses. En y regardant de plus près on y voit de petits yeux par ci par là qui nous rappelle que ces formes abstraites au premier coup d’œil, représentent en fait des corps, des créatures enchevêtrées les unes dans les autres comme autant de diables dansants. Depuis quelque temps il initie son fils qui, après avoir en quelque sorte imité son père, semble prendre dorénavant son propre envol.
Ali Maimoun au milieu de ses oeuvres, ph. SR, 2013
Nous nous sommes pris en photo bras dessus bras dessous avec Ali Maimoun avant de nous quitter chaleureusement.
Abid El Gaouzy étalant une de ses dernières oeuvres, ph SR, 2013
Le lendemain, Abid El Gaouzy nous convia, pour un repas d’adieu, dans un appartement qu’on lui prête. Il nous avait préparé un excellent tagine de poisson. Après le repas nous nous rendîmes dans son atelier, un garage prêté lui aussi. Dans ce petit lieu quelques œuvres en cours nous ont interpellés. Abid El Gaouzy cherche encore son style ou plutôt il ne se contente pas d’un style, même si le mot naïf n’est pas exagéré pour définir l’ensemble de ses pratiques. Nous retournâmes ensuite une dernière fois à la terrasse du café où même en ce mois de juillet, un pull en laine n’était pas de trop. Mustapha Asmah nous y rejoignit et c’est avec beaucoup d’émotion que nous les quittâmes sur cette terrasse animée en ce soir de ramadan.
Ce texte, cette tribune permettront, je l’espère, de contredire l’odieuse affirmation meddebienne que « l’histoire les [aurait] broyés ».
Darnish et Samantha Richard
Ps : Bien que ne l’ayant pas rencontré je voudrais aussi parler d’un autre artiste qui habite non loin d’Ali Maimoun, portant le doux nom de Babahoum. Babahoum, très âgé, est sans doute celui qui peut davantage être qualifié de naïf. Sa peinture, souvent constituée de motifs répétés (dromadaires, ânes, personnages, cigognes entre autres) ne souffre d’aucune ambition d’illusion perspectiviste. Les motifs répétés rythment de manière très douce ses formats tous quasiment identiques, tracés sur des cartons de récupération. Il utilise le Bic pour cerner les contours de ses aquarelles aux teintes souvent sableuses. Une grande harmonie naît de son œuvre, et surtout une vie intense. D’après ce que l’on a pu apprendre du personnage, il semble que Babahoum ait fréquenté les hippies dans les années 70 et que sous l’impulsion de ces derniers, il se soit mis à peindre sur les murs des cafés de son village. Puis il s’est occupé d’un pressoir à olive activé par la force d’un dromadaire ce qui peut-être lui a permis de transcrire dans sa peinture cette subtile impression de lenteur, de temps qui défile tranquillement.
Babahoum, ph SR, 2013
Autre œuvre de Babahoum, ph SR, 2013
03:59 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : art brut, babahoum, jamaia alouan naouras fitria, abid el gaouzy, azedinne sanana, abdelaziz baki, créateurs autodidactes d'essaouira, essaouira, ali maimoun, mustapha asmah, darnish, abdelwahab meddeb, hossein miloudi, abdelghani ben ali, mustapha el hadar | Imprimer
02/10/2013
Modification mystère, un jeu
Ce peintre belge dont j'ai déjà parlé ici s'amuse depuis quelque temps à peindre des tableaux d'après les grands maîtres de l'art (c'est à la mode en Belgique). Faisons un petit jeu (non ouvert à ceux qui l'exposent ou qui le connaissent bien, essayons de rester honnêtes...). Un DVD des films de Del Curto et Genoux sur Henriette Zéphyr et Yvonne Robert à gagner à celle ou à celui qui reconnaîtra le grand maître de la peinture qui a été réinterprété dans le tableau ci-dessous...
C'est d'après qui, hein?
C'est le DVD à gagner...
23:41 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art populaire contemporain, Art singulier, Confrontations | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : modifications d'oeuvres d'art, arrt singulier, art immédiat, jeux de devinette, mario del curto, bastien genoux | Imprimer
27/09/2013
Le retour de l'art brut marocain
Il y a quelques années, certains s'en souviendront, la mode fut un moment à la découverte des artistes dits naïfs d'Essaouira, l'ancienne Mogador au Maroc où fut tourné l'Othello d'Orson Welles et où résidèrent à une époque beaucoup d'artistes et d'écrivains occidentaux (dans les années 70, la ville vit passer Jimmy Hendrix, Cat Stevens et le Living Theater, entre autres). Les autodidactes singuliers paraissaient littéralement y pulluler, certains d'entre eux firent connaître leur nom au delà des frontières du pays, comme Ali Maimoun, Mohamed Tabal, Abdallah Elattrach, Rachid Amarhouch ou Mostapha Assadeddine. Une grande exposition tourna en France en 1999, à Strasbourg, Barbizon, Bourges, La Rochelle, Lyon (galerie des Terreaux), Pézenas, Saint-Etienne et Paris (dans un espace Paul Ricard qui d'après moi maintenant n'existe plus, rue Royale près de la Concorde, au-dessus du café chez Maxim's). Elle présentait Boujemâa Lakhdar (1941-1989), ancien conservateur du musée des Arts Populaires d'Essaouira et en même temps peintre, comme le pionnier et le doyen des peintres de la ville. Sa peinture était naturellement inspirée des arts et traditions populaires de cette région, il s'intéressait à la magie, aux chants traditionnels, à la sculpture, à l'artisanat et à l'histoire de la ville. Certaines de ses œuvres figurèrent dans la fameuse exposition Les Magiciens de la Terre qui se tint en 1989 au Centre Beaubourg et à la Grande Halle de la Villette, expo où il fut le seul représentant du Maghreb. Il semble qu'il ait été un des grands initiateurs de la peinture autodidacte populaire moderne dans cette ville d'Essaouira, véritable pépinière de peintres singuliers, ressemblant un peu à Haïti et ses nombreux artistes autodidactes.
Ces créateurs se firent connaître à l'étranger grâce à l'activité dynamique de la galerie Frédéric Damgaard qui les exposa dès le début des années 90. Hélas aujourd'hui, cette galerie semble avoir cessé sa médiation et son entreprise de communication énergique en leur faveur (son propriétaire n'étant apparemment plus en état de la continuer). On n'entend du coup plus parler des "Naïfs" d'Essaouira, qui sont en réalité plus proches de l'art brut. Pourtant récemment, Darnish, de passage au Maroc, a retrouvé certains d'entre eux. Ali Maimoun est toujours actif, et avec d'autres, a fondé une "Association des Couleurs des Mouettes Naïves d'Essaouira" dont le nom plaide assez peu pour leur travail il est vrai (il paraît que le terme marche mieux en arabe) mais qui leur permet de retrouver un peu plus de visibilité, en dépit des lamentables critiques venues de certains intellectuels arabes arcboutés sur leurs privilèges élitistes comme ce peintre académique d'Essaouira nommé Houssein Miloudi qui, selon Darnish, les traita en 1999 dans un de ses textes de "canassons analphabètes", ce que confirma Abdelwahab Meddeb (comme c'est souligné par Darnish dans un récit que je publierai bientôt) en déclarant dans une émission à la gloire de ce Miloudi diffusée il y a peu sur France Culture: "ces malfaisants n’ont laissé aucune trace"...
Ahmed Fellah, œuvre reproduite sur le carton d'invitation de la Galerie Dettinger-Mayer
En attendant que Darnish veuille bien nous faire un reportage sur son voyage, nous pourrons ronger notre frein de façon féconde en allant voir ce que nous ont dénichés deux chercheurs de talent de première, le galeriste Alain Dettinger et sa collaboratrice Fatima-Azzahra Khoubba, qui ont ramené de Tanger quatre créateurs nouveaux, tout aussi autodidactes que ceux d'Essaouira, Ahmed Fellah, Zohra Saïdi, Mohamed Larbi Amarnis et Abdelaziz Hakmoun, vivant dans la médina. Ils vont être exposés dans la Galerie Dettinger-Mayer (4, place Gailleton, dans le 2e ardt de Lyon, tél: 04 72 41 07 80) du samedi 28 septembre au samedi 19 octobre.
Zohra Saïdi, titre non identifié (il semble qu'il s'agisse d'une scène de rue dans la vieille ville de Tanger, avec des collines montagneuses en arrière-plan, un liseré de ciel longeant le bord supérieur du tableau ; les deux têtes à gauche correspondraient aux visages d'enfants curieux de la scène se passant dans la ruelle), ph. Bruno Montpied, expo chez Dettinger 2013
Je n'ai pas pu voir l'ensemble de l'expo en avant-première, mais j'ai tout de même entraperçu quelques beaux morceaux prometteurs que je vous livre en guise d'avant-goût. Les deux plus étonnants dans cette bande des quatre, à mon humble avis, c'est surtout Zohra Saïdi (qui paraît signer quelquefois Saïda) qu'une rumeur présente comme une nouvelle Chaïbia, et Abdelaziz Hakmoun.
Zohra Saïdi, œuvre (sur papier?), ph.BM, expo chez Dettinger 2013
Abdelaziz Hakmoun, pas de titre identifié, pas de date non plus, ph. BM, expo chez Dettinger 2013
Etonnantes et fortes images, ne trouvez-vous pas?
Zohra Saïdi a une façon toute particulière et très libre, en véritable affranchie de la représentation picturale et graphique, de restituer ses observations, sans souci de la ressemblance autre que propre à son ressenti, à sa vision des choses. Ce visage est coulant? Ses pieds ressemblent à des pattes de chameau? Peu importe si cela marche dans la composition, si cela tient et doit être conservé par le peintre. Ce n'est pas une traduction immédiate de la vision, c'est plutôt un jeu avec les couleurs et les formes qui prenant prétexte d'une restitution de paysage extérieur s'affranchit des règles de ressemblance et se déploie dans un accord étroit avec le ressenti immédiat de la créatrice, analogue avec sa façon de vivre le monde au jour le jour. C'est cela que j'entrevois quand je parle d'art de l'immédiat, M. Gayraud.
Abdelaziz Hakmoun, sans titre identifié, ph.BM, expo chez Dettinger 2013
Abdelaziz Hakmoun est plus sombre, comme plus tourmenté, aimant plonger ses faces de carême (ou de ramadan en l'occurrence) dans un maelström de cercles embrumés et flasques.
Mohamed Larbi Amarnis, une pierre, ph BM, expo chez Dettinger 2013
Mohamed Larbi Amarnis procède autrement encore, en grand obsédé des formes naturelles des pierres qui le sollicitent fortement. Comme le Français Serge Paillard qui fait de la divination d'après pommes de terre, Amarnis est visionnaire dans le minéral. Il peint une pierre en tentant d'en révéler le mystère. La roche apparaît inexorablement, peinte sur verre, tel un bloc quelque peu abstrait, comme un aérolithe tombé du ciel. Les pierres magiques "lui chuchotent des histoires. La forme de ses pierres le guide dans l'interprétation de rêves prémonitoires. Il voit dans ces formes des messages qu'il dessine avec des plumes de pigeon, en gris métallisé sur des fonds noirs. Plus loin des fleurs fragiles se dressent dans des vases aux formes asymétriques et des chandeliers sans bougies éclairent un pigeon..." (Fatima-Azzahra Khoubba).
01:15 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art populaire contemporain, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : naïfs d'essaouira, ali maimoune, abdelwahhab meddeb, art brut marocain, galerie dettinger-mayer, fatima-azzahra khoubba, alain dettinger, abdelaziz hakmoun, darnish, frédéric damgaard, art immédiat, art singulier, serge paillard | Imprimer
17/09/2013
De la lenteur avant toute chose
L'association ABCD invite l'association Portraits pour une exposition où seront confrontées des œuvres d'art contemporain et des créations faisant partie des collections d'art brut d'ABCD. Il y a pas moins de cinq commissaires d'exposition pour cette association Portraits, tandis que Barbara Saforova reste bravement seule commissaire pour ABCD. "De la lenteur avant toute chose", titre et thème de l'expo qui commence à Montreuil-sous-Bois dans les locaux de la galerie ABCD le 29 septembre et se terminera le 16 novembre, invite à réfléchir si la lenteur des processus créatifs (terme qu'affectionne et creuse une des commissaires de l'expo, doctorante à Paris I et conservatrice au musée Picasso, Emilie Bouvard) ne pourrait être interprétée comme un comportement subversif dans un monde dominé par une consommation effrénée et étourdissante des images:
"La vitesse est révolutionnaire. Mais la vitesse peut devenir celle, mécanique et aliénante, de la machine, celle de la ville Babylone, industrieuse, faisant et défaisant les modes à un rythme rapide, effréné et superficiel. Dans un monde où l’artiste se voit imposer une productivité toujours plus soutenue, serait-il possible de penser, comme le sociologue Hartmut Rosa dans Accélération : Une critique sociale du temps (2010), que la modernité, à force d’accélérer, pourrait bien faire du surplace ? Il convient ici de s’intéresser à des processus créatifs qui, dans leur lenteur, impliquent une durée subversive par rapport aux injonctions contemporaines de consommation de l’art et des images, sans toutefois s’inscrire dans un anti-modernisme moralisateur" (extrait du dossier de presse de l'exposition).
Intéressante question qui paraît faire écho à des préoccupations plus anciennes d'un Paul Virilio, si je peux me permettre de citer ici un philosophe que je n'ai jamais lu mais seulement très effleuré, qui plus est en diagonale, aux étalages des librairies... La lenteur du processus créatif, le temps pris à confectionner minutieusement divers travaux sans se préoccuper des contingences extérieures, n'est-ce pas la même chose qui est pointée ici en creux que l'inactualité radicale d'une certaine création, le temps vécu en décalage absolu vis-à-vis du temps du travail, de la consommation, de l'obéissance aux clichés et aux modes? Un éloge de la désobéissance et du grand écart vis-à-vis de la société du spectacle?
Les commissaires de l'expo en question croient voir un éloge de la lenteur chez des artistes et créateurs qui travaillent avec minutie sans compter leur temps, mais apparemment assez hétéroclites si j'en juge par rapport aux quelques images semées dans le dossier de presse. On y retrouve la dessinatrice Sophie Gaucher dont j'avais proposé à la sagacité de mes lecteurs les dessins en leur demandant si cela pouvait être de l'art brut. Il paraît que c'est ma note qui aurait donné l'idée à Emilie Bouvard et ses amies de la confronter à des œuvres dites d'art brut, c'est décidément trop d'honneur. Mais je rappellerai ici que mes lecteurs dans leurs commentaires l'identifièrent sans hésiter comme une dessinatrice contemporaine...
Voici la liste des exposants: ACM, Arnaud Aimé, Anaïs Albar, Clément Bagot, Koumei Bekki, Jérémie Bennequin, Arnaud Bergeret, Gaëlle Chotard, Mamadou Cissé, Florian Cochet, Samuel Coisne, Isabelle Ferreira, Sophie Gaucher, Hodinos, Rieko Koga, Kunizo Matsumoto, Dan Miller, Mari Minato, Edmund Monsiel, Hélène Moreau, Benoît Pype, Daniel Rodriguez Caballero, Chiyuki Sakagami, Ikuyo Sakamoto, Judith Scott, Claire Tabouret, Jeanne Tripier, Najah Zarbout.
Je n'en connais pas beaucoup là-dedans, si ce n'est les créateurs d'art brut bien connus, ACM et ses maquettes de ruines rongées faites en agrégat de composants électroniques, Emile Josome Hodinos (qui personnellement me barbe avec ses litanies d'inscriptions et de médailles), Dan Miller (un as du gribouillage, une sorte de Cy Twombly spontané et plus brouillon), Judith Scott (qui avec ses cocons de fils, c'est sûr, était complètement barrée loin de nos préoccupations de grands aliénés de la survie), Edmund Monsiel (prolifération vaporeuse de visages) ou Jeanne Tripier (et ses broderies de bénédictine). Les autres noms ne me disent rien. Tout juste puis-je dire, à regarder les images du dossier de presse que je serais curieux de voir les œuvres de Benoît Pype, avec ses fonds de poche dont il fait des petites sculptures ce qui me rappelle une démarche plutôt dalinienne (de sa grande époque surréaliste, pas celle d'Avida Dollars). Ah si, Mamadou Cissé, je vois ce que c'est, on en a déjà vu à la Fondation Cartier, des villes ultra décoratives vues de haut comme des circuits imprimés filtrés par des lunettes psychédéliques, j'avais assez peu apprécié, je trouvais que cela démarquait en moins bien les maquettes de villes futuristes du congolais Bodys Isek Kingelez précédemment exposées dans la même Fondation Cartier...
00:13 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art moderne ou contemporain acceptable, Art singulier, Confrontations, Galeries, musées ou maisons de vente bien inspirés | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : abcd art brut, association portraits, émilie bouvard, art brut, dessin contemporain, sophie gaucher, acm, edmund monsiel, de la lenteur avant toute chose, benoît pype, sculptures de fonds de poche, mamadou cissé, fondation cartier | Imprimer
12/09/2013
Dirk Geffers au Madmusée de Liège
Et ça y est, c'est reparti pour une nouvelle brassée d'expositions de "rentrée". Tout le monde a fourbi ses armes, on sort les trouvailles et c'est un festival de découvertes sans doute, des petits nouveaux et des grands anciens, tandis qu'à côté de cela se préparent les expositions qui aident le marché de l'art à se fournir en viande fraîche (il y aura bientôt l'Outsider art fair décentralisé à Paris à l'Hôtel le A près des Champs-Elysées, quartier modeste comme on sait, et parallèlement à l'expo des 25 ans de Gros Vison, pardon Raw Vision, à la Halle Saint-Pierre).
Le Poignard Subtil, fidèle à ses tropismes, cherche plutôt du côté de ce que l'on ne voit pas forcément tout de suite, ce qui est la vraie façon d'avoir "une longueur d'avance". Et donc, je ne sais si l'on parlera beaucoup ici des Anglo-saxons qui viennent sur notre vieux continent faire augmenter la cote des marchandises esthétiques brutes d'Outre-Manche (même si les Américains ont le chic pour être réactifs avec une remarquable efficacité, le marché a toujours une longueur de retard). Je préfère de loin mettre le projecteur sur des créations discrètes, qui ont de fortes chances de passer inaperçues, parce qu'elles n'ont pas forcément les media de leur côté (ces derniers préférant toujours s'adresser au plus spectaculaire, au sens debordien du terme, au plus couru, au plus ressassé, au plus visible, sans jamais prendre le temps de rechercher la valeur intrinsèque). Par exemple, dans cette note, je pointerai Dirk Geffers, créateur de l'atelier Geyso20 à Braunschweig (c'est entre Hanovre et Berlin au nord de l'Allemagne), qui me paraît produire de magnifiques œuvres où l'écrit se mêle harmonieusement et très librement à l'image comme on s'en convaincra ci-dessous. C'est dans un atelier allemand que cette œuvre est produite, ce qui me confirme dans l'intuition qu'il y a beaucoup de créateurs intéressants en Allemagne (comme me l'avait appris Jean-Louis Faravel qui prospecte souvent par là-bas et a déjà fait pas mal de belles découvertes ; qui saura nous monter une bonne exposition des créateurs handicapés mentaux produisant en Allemagne? Une idée que je lance en l'air...).
Dirk Geffers, Le canard Dräyhta voon Saydte se baigne dans un bassin orange et se fait chasser par le jardinier Schorse Spittel, Madmusée, Liège
Il est exposé à partir du 14 septembre, jusqu'au 23 novembre, au Madmusée (Parc d'Avroy, 4000 Liège, chez nos voisins belges), en compagnie d'un autre créateur, Fred Bervoets que personnellement j'apprécie moins (je ne me base que sur l'image du carton d'invitation, je m'empresse de le préciser). Sur l'exposition, intitulée "Chronique", voir le dossier de presse.
09:06 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : dirk geffers, madmusée, art des handicapés mentaux, ateliers pour handicapés mentaux en allemagne, atelier geyso20, jean-louis faravel | Imprimer
03/08/2013
Création Franche n°38
Juste avant le mois de juillet et le départ sur les routes des plus chanceux est paru le dernier numéro de la revue Création Franche émanant du musée du même nom.
Création Franche n°38, juin 2013
Au sommaire, on retrouvera un nouvel article de mézigue, consacré à un site d'art brut en plein air très peu décrit et présenté. Je crois bien avoir ici publié le premier texte à son sujet. Mon article s'intitule "Un carnaval permanent dans l'Aubrac, les "épouvantails" de Denise et Pierre-Maurice". J'étais allé le visiter, après avoir été alerté à son sujet par une page du catalogue du Musée des Amoureux d'Angélique à Le Carla-Bayle et la recommandation également de François Sarhan.
Dense et Pierre-Maurice, la colline aux mannequins dans l'Aubrac, 2012, ph. Bruno Montpied
Denise et Pierre-Maurice, dont je ne donne pas les patronymes puisqu'il m'a semblé qu'une certaine discrétion était demandée par les auteurs (mais tant d'autres ne se donneront pas ce mal, soyez-en assurés), Denise et Pierre-Maurice sont des habitants ruraux des contreforts de l'Aubrac. Denise a pris plaisir, à la suite de la confection d'épouvantails destinés classiquement à faire fuir les rapaces qui s'attaquaient à leur volaille, à les faire se multiplier hors de cette fonction, peut-être pour épouvanter d'autres types de prédateurs...
Cela leur fait en tout cas de la compagnie, et constitue un panorama à coup sûr insolite sur la colline où elle les installe l'été, bien nippés et assez ressemblants à une armée de morts-vivants chorégraphiés figés. De quoi sont-ils les emblêmes ou les symboles? Des esprits anciens de la nature? Des aïeux passés comme nous passerons à notre tour? Du dérisoire statut d'êtres provisoirement installés sur cette Terre? Un peu de tout ça certainement...
Denise et Pierre-Maurice, mannequins ayant l'air de dire "nous ne sommes que de passage"..., 2012, ph.BM
Denise les aime propres, ses mannequins (ce sont davantage désormais des mannequins que des épouvantails) ; dès qu'ils s'abîment, elle les détruit par le feu, redonnant vie par la même occasion à la tradition des feux de la Saint-Jean ou de la mort du roi Carnaval que l'on brûlait je crois après Carême. Les vêtements, les nippes dont ils sont affublés, c'est sa partie à elle, Pierre-Maurice son mari se spécialisant plutôt dans la taille des masques en bois qu'elle peint ensuite de façon assez sauvage, souvent dans les mêmes couleurs, rouge, blanc et noir, les mêmes teintes qu'elle applique ausi à certains petits sujets en bois et matériaux recyclés qu'il lui arrive de céder moyennant quelque don en échange. Un tronc est aussi placé bien en vue pour ceux qui s'aventurent à prendre des photos. On ne vient pas pour prendre seulement...
Masques taillés par Pierre-Maurice et peints par Denise, 2012, ph.BM
Denise et Pierre-Maurice ont aussi des espaces de stockage qu'ils ont organisés en salles d'expositions particulièrement populeuses, dans un ancien garage et une ancienne étable ; ces ruraux développent ainsi des pratiques créatrices qui tout en s'inspirant de pratiques anciennes traditionnelles (les épouvantails) les subvertissent savamment, allant jusqu'à reconvertir tous les anciens espaces à leur disposition, remettant en cause leur fonction (la colline, l'étable, le garage, la nature)...
Au même sommaire de ce numéro 38 de Création Franche, on trouvera des articles de Jean-Louis Cerisier (première participation, ce me semble) sur Jacques Trovic, de Paul Duchein sur Fernand Michel, de Denis Lavaud sur Mr.Imagination, d'Anic Zanzi qui réussit l'exploit de publier dans Création Franche le même texte sur Yves-Jules Fleuri, quoiqu'illustré différemment, que celui qu'elle vient d'insérer dans le dernier fascicule de la Collection de l'Art Brut (n°24), etc... Pour plus de détails, on se reportera au site web du Musée de la Création Franche auprès duquel on trouvera les moyens de se procurer le numéro (également en vente en ce moment à la librairie de la Halle Saint-Pierre à Paris).
04:04 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art populaire contemporain, Art singulier, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : denise et pierre-maurice, musée des amoureux d'angélique, association gepetto, environnements spontanés, art singulier, revue création franche, épouvantails, carnaval, jean-louis cerisier, jacques trovic | Imprimer
30/07/2013
Tête bêche, 29 janvier 1982...
Bruno Montpied, collage sans titre du 29.1.82 ; cette petite carte, environ 8x6cm, a cette particularité de pouvoir être regardée dans les deux sens ; j'ai réitéré rarement ce genre de permutation ; sur un des deux sens (ci-dessous) on croit voir une sorte de sorcière...
00:58 Publié dans Art immédiat, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : collages, bruno montpied, sorcière, gif, image à double sens | Imprimer
13/07/2013
"Un Albasser pour tous!", crie la foule nantaise en délire...
Mardi 9 juillet: "Bonjour, amis et voyageurs,
L’exposition de Pierre Albasser à la Galerie Antireflets, 2, place Aristide Briand, à Nantes, est prolongée jusqu’au 7 septembre 2013. Mais la galerie sera fermée pour vacances du 27 juillet au 19 août (et les lundis). Passez un bel été ! Cordialement, G.+ P. Albasser".
Vendredi 12 juillet : "Félicitations... Un succès sans doute au delà de vos rêves les plus fous...Des files d'attente interminables avec des fans en délire: "Albasser, c'est chic, on en veut, laissez nous passer"... Devant ce raz-de-marée la direction ne reculant devant rien a décidé la prolongation de la fête...Amitiés, Bruno"
Pierre Albasser, sans titre, dessin de 2008 monté sur pieds métalliques
Samedi 13 juillet : "Cher Bruno, ta perspicacité nous réjouit ! La place Aristide Briand est grande, mais la foule devant Antireflets gêne quand-même la circulation. On nous rapporte qu’il y a des fanas tellement emballés qu’ils essaient de passer une deuxième fois pour voir les œuvres. Et le voisinage semble excédé par les cris « un Albasser pour tous ! ». Finalement, le galeriste hésite de partir en vacances pour ne pas frustrer le public. Qui l’aurait cru chez Lustucru – que nous ne consommons que des pâtes Barilla (pour leurs cartons) ? Amitiés, Gudrun, Pierre.
PS: Si tu te rends à Nantes, demande-nous à temps un laisser-passer pour éviter la file d’attente."
11:50 Publié dans Art singulier, Correspondance | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : galerie anti-reflets, pierre albasser, gudrun albasser, correspondance, art singulier | Imprimer
03/06/2013
Créatures de l'arc-en-ciel
Bruno Montpied, Créatures de l'arc-en-ciel, 14 x 21,5 cm, carte à gratter (et un tout petit peu d'encre), 2011
Il m'arrive d'être dans la pureté des lignes, dans la pureté d'un monde blanc écru, avec un visage au centre tout empreint de paix intérieure, éléphant trompettant et ange moustachu du type hidalgo émanant de son cerveau et de son corps comme le protégeant...Je m'en suis trouvé tout étonné ce soir en tombant dessus, cherchant une autre image vaguement, une image définitive qui pourrait faire une image résumant toutes les autres comme pour l'affiche d'une rétrospective... Ce dessin fut fait pour voir, pour tester des cartes à gratter d'un type nouveau sur papier fin ("cartes" est impropre du coup, mieux vaudrait dire papier à gratter, comme pour les jeux de hasard), sans conviction. Bien m'en a pris, mais le résultat lumineux ci-dessus ne m'a réellement convaincu que bien plus tard.
22:40 Publié dans Art singulier | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : bruno montpied, art singulier, carte à gratter, arc-en-ciel | Imprimer
30/05/2013
16e festival du film d'art singulier à Nice
C'est reparti demain 31 mai et ce samedi 1er juin à Nice, vendredi après-midi à la bibliothèque Louis Nucéra (les films plus longs, quoique) et à la libraire Masséna (une nouveauté) et le samedi à l'auditorium du MAMAC (les films courts), pour la nouvelle programmation de cinéma documentaire autour des arts spontanés concoctée par Pierre-Jean Wurtz et ses acolytes de l'Association Hors-Champ.
Je ne donne pas tout le programme, on le retrouve sans problème sur le site web de l'Association sus-dite. Je distinguerai seulement quelques films dont l'annonce me dit quelque chose.
Le vendredi, sera projetée par exemple la bande-annonce (3 min seulement, voir ci-dessous, on peut la retrouver sur le site de la maison de production Poekhali) d'un nouveau film de Renée Garaud et Lilian Bathelot, sur l'univers de Guy Brunet qui s'appelle La Fabuleuse Histoire de la Paravision. L'un des auteurs m'a permis de voir la totalité du film qui m'a paru ma foi excellent. Il s'agit de rendre hommage en quelque sorte à Guy Brunet, à la fascination de ce dernier pour le cinéma d'une certaine époque qui semble s'arrêter dans les années 60 de l'autre siècle. On sait que Guy Brunet, je l'ai déjà évoqué dans ce blog, se consacre depuis plusieurs années à créer des décors de cinéma, des affiches, des silhouettes peintes d'acteurs et de producteurs, des dioramas, etc. dans le but de les faire converger dans les films qu'il tourne de façon totalement bricolée dans son antre de Viviez près de Decazeville. Il manipule ainsi ses silhouettes comme des marionnettes, les faisant parler devant sa caméra, faisant toutes les voix, étant tour à tour réalisateur, acteur, scénariste, dialoguiste, producteur, démiurge intégral en somme... Le film a été tourné chez lui (exploit de gymnastique pour le caméraman) et aussi à Villefranche-sur-Saône lors de l'exposition que lui avait montée Alain Moreau récemment. Grâce à ce film on comprend enfin mieux la recherche de Guy Brunet et ce qu'il fait quand il filme. A ma connaissance, c'est la première fois que cela est explicité de façon aussi concrète.
Bande-annonce
Le film Mur murs d'Agnès Varda, projeté aussi ce vendredi (78 min), m'intrigue quelque peu. Le programme (c'est un reproche que l'on peut faire aux programmateurs) ne commente jamais le contenu des films présentés, ce qui rend leur raison d'être programmés dans un festival centré sur l'art dit singulier fort abandonnée aux conjectures de ceux qui ne peuvent aller à Nice. On sait que Varda, en dehors de la problématique générale de ses documentaires souvent liée au hasard objectif, aux coïncidences, s'intéresse à la créativité errante, ce qui l'avait amenée entre autres à faire apparaître Bodhan Litnianski dans son film Les Glaneurs et la Glaneuse.
Vue partielle du "Manège" de Petit-Pierre dans le parc de la Fabuloserie, ph. Bruno Montpied (par courtoisie de la Fabuloserie), 2011
Le vendredi soir à la librairie Masséna sera projeté Le Manège de Petit-Pierre de Philippe Lespinasse. Le programme annonce 15 minutes de projection. C'est en effet le premier court-métrage que l'on relève aussi sur le DVD intitulé Le Manège de Petit-Pierre, quatre petits films de Philippe Lespinasse produit par Lokomotiv Films et sorti en 2012 (dénichable à la Halle St-Pierre et à la Fabuloserie à Dicy dans l'Yonne). Très utile documentaire sur cette réalisation d'un vacher disgracié par la nature, Pierre Avezard, qui prit sa revanche sur la vie en construisant une merveilleuse machinerie de personnages et véhicules automatisés faits de bouts de tôle et de fils de fer qu'il faisait danser pour le plaisir de ses visiteurs à la Fay-aux-Loges dans le Loiret primitivement, avant que, son placement en hospice de personnes âgées ayant été rendu nécessaire, la Fabuloserie, grâce à une chaîne d'entraide due à d'incroyables bénévoles, réussisse à sauver le "Manège" en le remontant dans son parc, et en le faisant même re-fonctionner. Le film de Lespinasse a d'ailleurs ce mérite insigne de donner un visage et une parole à l'ouvrier passionné qui contribua principalement à la renaissance de ce prodige de poésie fragile et d'ingéniosité mécanique. On y retrouve des archives inédites, notamment des bouts de documentaires tournés dans le lieu d'origine du Manège à la Fay-aux-Loges.
André Pailloux quelques vire-vent... Ph BM 2010
Autre film de Lespinasse présenté, André Pailloux, les vire-vents, annoncé de 15 min. Je le verrais bien comme un hommage au film que nous avons coécrit, Remy Ricordeau et moi (Bricoleurs de Paradis, le Gazouillis des Eléphants, 2011) il y a deux ans, dans lequel André Pailloux faisait un numéro qui n'a semble-t-il pas laissé le public indifférent, et parmi les spectateurs, particulièrement Philippe Lespinasse qui n'a pas traîné pour filer dare-dare en Vendée faire à son tour un brin de causette avec notre Pailloux virevoltant. Je n'ai pas encore eu le privilège de voir l'opus lespinassien, mais je peux tout de même faire remarquer au réalisateur qui apparemment n'a pas bien lu mon ouvrage sur les "Jardins Anarchiques" (chapitre "André Pailloux est très mobile") que "vire-vent" au pluriel ne prend toujours pas de "S", comme il est indiqué dans le programme du festival (la faute a été laissée dans le titre du film ? J'espère que non, c'est nos amis canadiens qui seront mécontents, eux qui emploient plus ce mot que nous qui n'avons que nos bonnes vieilles girouettes à fourguer à la place).
Un autre film de Philippe Lespinasse sur un dessinateur de machines à coudre (Ezechiel Messou) présenté par Lucienne Peiry comme une nouvelle découverte d'art brut ne m'intrigue par contre que modérément, vu que les reproductions que j'ai vues sur le site de la Collection de l'Art Brut (une sorte de journal de bord de Mme Peiry) ne m'ont pas passablement enthousiasmé. Il faut dire que je commence à en avoir un peu marre de tous ces dessinateurs qu'on nous présente comme bruts parce qu'ils alignent en rangs d'oignon et sur des étages des cortèges de bidules, machines à coudre, trains, rapaces, fers à repasser et j'en passe et repasse... Oui à Massou, non à Messou.
Je ne dirai rien du film Yvonne Robert, une femme qui vient de l’ombre de Mario del Curto et Bastien Genoux, (28’), parce que je viens d'acheter le DVD où il figure à côté de Henriette Zéphir, le souffle des esprits des mêmes, et parce que j'en ferais bien la critique, moi qui aime beaucoup les Robert. J'en profite pour dire que l'on devrait faire un film ensemble M.Genoux et moi, rien que pour le plaisir de marier ses genoux et mon pied (c'est comme avec la galerie Soulié à Paris).
Yvonne Robert, La chatte à Hortense s'appele Vanille, 2007, ph et coll. BM
Que dire d'autre de ce programme en salade niçoise? Je suis un peu intrigué aussi par l'annonce: "Les cahiers de la vis (extrait) de Christine Thépenier (10’), En présence de la réalisatrice". Cahiers de la "vis"? Ou de la "vie"? Parce que des cahiers consacrés à une vis, à part un reportage sur le bricolage façon Leroy et Merlin, je ne vois pas...
Ah si, Laurent Danchin va présenter un nouveau médium. Histoire que le XXIe siècle soit bien spirituel (ou ne soit pas). Un peu de poudre mystique, ça fait toujours bien dans le décor de l'art brut vu par notre spécialiste incontournable.
Guy Brunet à l'Hôtel Impérial à Nice durant le 15e festival Hors-Champ, s'essayant dans un rôle d'assassin psychopathe (arme du crime un vase de fleurs) sur la personne du photographe, ph.BM, 2012
23:17 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art populaire insolite, Art singulier, Cinéma et arts (notamment populaires), Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : poekhali, petit-pierre, philippe lespinasse, andré pailloux, ézéchiel messou, bastien genoux, yvonne robert, festival du film d'art singulier, association hors-champ, cinéma et arts populaires, guy brunet, paravision, agnès varda, fabuloserie, environnements spontanés | Imprimer
26/05/2013
Infos-Miettes (21)
Depuis novembre dernier, pas d'infos-miettes, palsambleu, il faut remédier à ça mon cousin... Ce n'est pas que les nouvelles manquent, au contraire, mais c'est que je n'ai pas toujours envie de servir la soupe... Tous les égoïstes (en voie de multiplication, non?) me comprendront.
Serge Paillard se donne un site
Voici qu'il fait sa communication comme tout un chacun, le Sergio amateur de patatovision. On lui a bâti un site web, et c'est plutôt réussi, qu'on en juge plutôt ici. A partir d'aujourd'hui je le joins à la liste de mes liens (à droite).
Serge Paillard, Pomme de terre en lune, comme surprise
Charles Steffen à la collection de l'Art Brut du 23 mai jusqu'au 29 septembre
C'est beau les dessins de ce monsieur Steffen (1927-1995), américain qui dessinait sur de grandes feuilles de papier genre kraft avec des crayons de couleur et de la mine de plomb.
Charles Steffen, 1995, © Estate of Charles Steffen
Bizarres sont ses personnages. "Quand il ne dessine pas, il boit beaucoup et fume, surtout la pipe", dit le dossier de presse de la Collection de Lausanne. Il habite chez sa mère, avec sa sœur et son frère, dans un état psychique qui ne lui permet pas de s'insérer dans le monde du travail. Il dessine beaucoup mais sa soeur qui a peur que cela finisse par alimenter un incendie lui en fait détruire une bonne partie. De 63 à 89, rien ne subsiste. Seule la production des six dernières années est parvenue jusqu'à nous... Ça fait tout de même 2000 dessins... Leurs sujets sont des nus, des danseuses, des crucifixions (drôe de mélange), des fleurs aussi, des personnages de sa vie quotidienne, comme sa mère dans son fauteuil roulant ou alitée. Mais il lui arrive de dessiner aussi des sujets moins classiques comme des flaques d'eau sur les trottoirs. Un personnage étrange surgit également dans son oeuvre à partir d'un moment, une sorte d'être humain mixé avec une plante du type tournesol, une plante humanisée en quelque sorte, cyclopéenne. C'est en tout cas un des exemples les plus inspirants qui nous soient parvenus via l'art brut américain. Il y aura une notice sur lui dans le fascicule n°24 de la collection de l'Art Brut, rédigée par la nouvelle conservatrice de la Collection, Sarah Lombardi.
Charles Steffen, Mère et enfant, Nu au tournesol, 1994, mine de plomb et crayon de couleur sur papier kraft, 112.5 x 76.5 cm ; Photo Atelier de numérisation - Ville de Lausanne; Collection ce l'Art Brut, Lausanne
Albasser sans miroir
Etrange titre d'info-miette, isn't it? C'est que Pierre Albasser qui toujours dessine sur cartons d'emballage avec feutres usagés et récupérés expose du 4 juin au 13 juillet 2013 (vernissage le jeudi 6 juin à 18h30) à la Galerie Anti-Reflets, 2, place Aristide Briand, à Nantes (tél: 02 40 89 23 69). Il se donne ces petites contraintes fidèlement depuis le début, depuis qu'il est à la retraite, et n'en finit pas de découvrir l'univers graphique qui en découle.
La Maison Bleue de Da Costa Ferreira, suite
Une deuxième tranche de travaux pour restaurer l'ensemble des petits monuments couverts de mosaïque par l'ouvrier d'origine portugaise Euclides Da Costa Ferreira à Dives-sur-Mer est prévue pour cette année, m'annonce l'Association "La Maison Bleue de Da Costa" (siège social: Mairie, rue du Général De Gaulle, 14160 Dives-sur-Mer, http://lamaisonbleue.unblog.fr).
Anna Zemankova vient faire un tour chez Christian Berst
Du 31 mai au 20 juillet, c'est la célèbre dessinatrice de l'aube, Anna Zemankova qui aura des dessins exposés à Paris dans la galerie Christian Berst. C'est une "classique" de l'art brut, et un de mes créateurs préférés. La botanique débridée de cette dame qui se levait aux aurores avant toute sa petite famille, dépliant son attirail en catimini et traçant ses automatismes probablement imprégnés des rêves de la nuit qui achevait de se dissiper de son corps, est à mettre en rapport avec celle d'autres médiumniques que l'exposition d'art brut tchèque montée par Alena Nadvornikova nous avait fait découvrir il y a quelques années à la Halle Saint-Pierre. On a beau jeu de décrire ses plantes comme porteuses de sensualité, comme on le dit aussi pour les fleurs charnues et ruisselantes de jus mystique d'une Séraphine Louis, mais on peut tout aussi bien se contenter de souligner le raffinement graphique de ses lignes et de ses doux tons. Le raffinement seul...
Galerie Christian Berst, 3-5, passage des gravilliers 75003 paris | mardi > samedi 11h > 19 h | +33 (0)1 53 33 01 70 | contact@christianberst.com
LaM de Villeneuve-d'Ascq, "Corps subtils", expo d'art brut et d'art indien à partir de la collection de Philippe Mons
Là, c'est prévu pour aller du 8 juin au 20 octobre. Enfin une expo d'art brut au LaM qui depuis sa réouverture avec une extension des bâtiments pour présenter leur nouvelle collection d'art brut essentiellement basée sur la donation de l'association l'Aracine a adopté un rythme assez tranquille. Il ne fallait en effet pas s'attendre au même dynamisme que celui pratiqué à la Collection de l'Art Brut à Lausanne. Le LaM, c'est sur un même front de l'art moderne, de l'art contemporain, et de l'art brut. Donc, leurs grandes expositions, leurs expositions secondaires (celles qui s'intitulent "théma", "Corps subtils" en est une) alternent en fonction des trois départements, au risque de faire oublier tel ou tel, au gré des publics préférant l'un ou l'autre de ces secteurs.
En l'espèce, on a affaire à une proposition de confrontation entre 350 œuvres d'art indien issus de l'art tantrique et des œuvres d'art brut. Voici un extrait du laïus de présentation de l'expo: "Il s’agit de partir à la recherche de cette fusion du moi et du monde que l’on prête autant à la folie qu’à l’expérience mystique, autant à des œuvres relevant de l’art tantrique que de l’art brut. La question est posée d’une « existence esthétique » qui traverserait l’éthique et le religieux comme le champ des créations artistiques. Les œuvres réunies par Philippe Mons forment une fable à même de nous enseigner les liens entre « amour fou » et expérience de fin du monde, « expérience intérieure » et appréhension globale du monde".
Travaux d'aiguille au Musée de la Création Franche, avec Jacques Trovic entre autres
J'aime beaucoup également les "tapisseries" de Jacques Trovic, qui sont à dire vrai plutôt des fresques brodées. J'ai déjà eu l'occasion de les évoquer lorsqu'il y a eu à Lille l'expo "Sur le Fil" (l'un des commissaires de l'exposition était Barnabé Mons qui collabore également à l'organisation de l'expo précédemment citée, "Corps subtils"). J'étais allé le visiter en compagnie de bons amis qui m'introduisirent auprès de lui dans sa modeste maison d'ouvrier, dans un alignement de corons. La pluie et la grisaille environnante reculaient ce jour-là comme elles le font sans doute perpétuellement devant la couleur et la cordialité de l'ambiance qui régnait chez Trovic.
Jacques Trovic, "tapisserie" représentant une course du Tiercé, tenue et tendue par Jean-Louis et Juliette Cerisier, ph.Bruno Montpied, 2009 (Chez Trovic, quand des créateurs divers de l'art singulier se rendent visite les uns aux autres... Notre médiation n'est-elle jamais mieux faite que par nous-mêmes?)
Le voici qui expose au Musée de la Création Franche à Bègles, en compagnie de deux autres créateurs, Jacky Garnier et Adam Nidzgorski, du 17 mai au 23 juin, c'est déjà commencé donc. On se reporte au site web du musée (tiens, il y a une nouveauté depuis quelque temps, des vidéos tournées par le directeur de l'endroit Pascal Rigeade, qui inaugurent sans doute une collection de témoignages des créateurs ou de leurs proches, actuellement Louis Pelosi (pour Rosemarie Kocsÿ), Marilena Pelosi (rien à voir avec le précédent), André Labelle, André Robillard...).
Bernard Thomas-Roudeix expose à Paris
Où ranger Thomas-Roudeix? Art singulier, art contemporain (voire même en l'occurrence "expressionnisme contemporain"? L'oeuvre est remarquable, de qualité, intrigante, peintures à l'huile ou céramiques émaillées, comme la statuette ci-dessous, "L'élégance du fumeur" qui fait un pied-de-nez à la diabolisation actuelle des intoxiqués de la nicotine. Il expose actuellement dans une galerie ouverte depuis peu (avril 2013) au pied de la Butte Montmartre.
Thomas-Roudeix avec Jörg Hermle et Bernard Le Nen, du 11 mai au 9 juin, à la galerie Art d'aujourd'hui, 8, rue Alfred Stevens, Paris 9e ardt. Tél: 01 71 37 93 51 ou 06 52 34 98 24. Ouvert du jeudi au dimanche 15h/20h.
Eric Gougelin à la galerie Le Cœur au Ventre, Lyon
Je connais assez mal le travail d'Eric Gougelin dont on m'a rappelé récemment qu'il avait fait un travail sur les momies (un livre aussi je crois) avec Jean-Michel Chesné. Comme moi et les momies ça fait deux, je n'avais pas dû y accorder une grande attention, fuyant un peu le mortifère (ce qui n'a rien à voir avec la poésie du macabre qui me séduit davantage)...
Eric Gougelin
Mais la Galerie Le Cœur au Ventre, basée dans le Vieux-Lyon dans le quartier Saint-Georges, 5e ardt (27 rue Tramassac exactement, tél 06 86 10 36 70, ouv. du jeudi au samedi de 14h30 à 19h et sur rendez-vous), m'a envoyé un carton annonçant sa prochaine exposition ("Explorations sans voyage") chez eux qui reproduit une très belle image (ci-dessus). Comme une coupe anatomique dans l'inconscient, avec les strates mises à nu de souvenirs, images aperçues et transposées dans le grand mixeur de la mémoire touillée, et puis aussi on songe à un paysage de montagne où la neige se serait déposée aux reliefs, laissant de l'encre ruisseler dans les torrents des gorges rongées par quelque acidité... Je comprends qu'on puisse avoir plaisir à se rouler dans une telle efflorescence. Alors, j'oublie les momies...
11:58 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art singulier, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : serge paillard, anna zemankova, charles steffen, art brut, art naïf, art singulier, création franche, pierre albasser, environnements naïfs, da costa ferreira, corps subtils, lam, philippe mons, barnabé mons, jacques trovic, jean-louis cerisier, juliette cerisier, bernard thomas-roudeix, éric gougelin, galerie le coeur au ventre | Imprimer
24/05/2013
Un magnifique livre d'Anna Pravdova sur Jan Krizek
C'est une œuvre pie que vient de publier Anna Pravdova à Prague, République tchèque, un magnifique livre d'art sur Jan Křížek édité par les bons offices de la Narodni Galerie de Prague (la Galerie Nationale). On aurait pu croire en effet l'œuvre et la vie de cet artiste extraordinaire en bonne voie d'oubli total tant les aléas de la vie, les persécutions policières, les conditions politiques défavorables (en Tchécoslovaquie en 1948 avec l'avénement du stalinisme, comme en France avec ses lois hostiles aux étrangers), la misère économique avaient conspiré dans son cas à l'empêcher de rester dans nos mémoires, et au point aussi de son vivant à le pousser à cesser de créer dans sa discipline préférée, la sculpture¹.
Couverture du livre d'Anna Pravdova ; le dessin qui l'illustre provient du 3e de couverture de la plaquette rédigée par Michel Tapié en 1948 et édité par L'Art Brut et les éditions René Drouin à Paris (voir ci-dessous); le sous-titre, je parierai avec un peu de jugeotte et l'aide de Google traduction que cela peut se traduire par la phrase de Křížek que cite Anna Pravdova: "Chez moi, l'homme ne doit pas disparaître" (à propos entre autres de la volonté de l'artiste de ne pas abandonner la figure humaine dans sesœuvres)
Couverture de la plaquette écrite par Michel Tapié en 48 à l'enseigne de l'Art Brut et de la Galerie René Drouin, coll. BM ; le dessin de couverture a été aussi repris sur le 4e de couverture du livre d'Anna Pravdova, soit à rebours de cette plaquette
Avec ce livre qui vient de sortir en République tchèque, voici désormais qu'un véritable monument rétablit en quelque sorte la balance... Un véritable exploit, le livre est très beau, richement illustré d'oeuvres pour la plupart inconnues, et vraisemblablement très complet. J'écris "vraisemblablement" car il est bien entendu publié en langue tchèque (ce qui fait que moi qui suis plutôt monolingue je ne peux que faire confiance à la rigueur, déjà réputée, d'Anna Pravdova, épaulée par ailleurs dans cet ouvrage par un texte extrêmement documenté de Bertand Schmitt sur les rapports Křížek/art brut/surréalisme), un résumé en français et en anglais essayant à la fin d'éclairer de façon parfaitement condensée les lecteurs non slavophones sur le contenu du livre ².
Jan Křížek, 172 x 32 x7,5 cm, bois de chêne, 1956, Musée des Beaux-Arts de Brest métropole océane
Au même moment que sort le livre, une exposition Křížek, Jan Křížek (1919-1985) a umělecká Paříž 50 let, organisée par la Galerie Nationale de Prague (avec la collaboration du Musée des Beaux-Art de Louny, ville natale de l'artiste, et de l’Institut français de Prague) et prévue du 31 mai au 29 septembre, est en cours d'installation au Manège du Palais Wallenstein à Prague (Valdštejnská jízdárna), avec Anna Pravdova en commissaire d'exposition. Ce sera l'occasion d'y voir plus de 300 oeuvres de Křížek, ainsi que celles d'autres d'artistes fréquentés par lui dans ses années parisiennes durant l'après-guerre (il fit également des séjours dans d'autres régions de France, par exemple du côté de Vallauris en 1949 où Picasso l'aida pour trouver du travail à sa femme chez les potiers et où il put faire des essais de céramiste ; il fit un séjour en Bretagne du côté d'Argenton et de Ploudalmézeau dans la famille Jaouen). Diverses collections tchèques ont été bien entendu mises à contribution mais des prêts ont été également consentis par des collections françaises, le Musée de la Cohue à Vannes, les FRAC Limousin et Bretagne (assez riches en Křížek), le Musée des Beaux–Arts de Brest, la Collection ABCD. Voir en note 3 le découpage de cette exposition que m'a transmis avec beaucoup d'amabilité Bertrand Schmitt.
Jan Křížek, argiles du FRAC Bretagne (la plus haute faisant 25 cm), reproduites dans le livre d'Anna Pravdova
Seul regret, il paraît impossible de se procurer le livre si l'on ne voyage pas jusqu'à la République tchèque. Alors, c'est peut-être une idée de vacances pour cet été?...
Jan Křížek, 50,8 x 27,4 cm, 1958,œuvre reproduite dans le livre d'Anna Pravdova
Je l'ai déjà dit, Křížek a pu au début de sa carrière artistique être adoubé à la fois par la Compagnie de l'Art Brut, alors animée par Michel Tapié, à qui Dubuffet avait laissé les clefs du "camion", lui-même voyageant au même moment en Tunisie (à la poursuite d'un art simple et authentique lui aussi), et par les surréalistes, auprès desquels il fut défendu par Charles Estienne, critique d'art qui avait passé du soutien à l'art abstrait, perçu comme évoluant vers un académisme, à celui du tachisme. Dans le cas de l'art brut, Tapié avait cru voir une analogie entre les sculptures de Křížek et celles des "Barbus Müller" qui occupaient alors le petit local souterrain de la galerie René Drouin. Křížek n'avait pourtant rien du profil exigé pour faire partie de l'art brut (il était pétri de culture artistique, cherchant comme Slavko Kopac, ou Jean Dubuffet, voire comme plusieurs autres artistes de cette période d'après-guerre, à rebâtir sur des terrains vierges, à retrouver les sources du geste créatif primordial ; il s'orientait en ce qui le concerne davantage du côté des cultures archaïques telles que les cultures romane, ou grecque, ou encore crétoise, sumérienne, voire précolombienne ; il cherchait à exposer, n'ayant pas nécessairement besoin d'un médiateur pour se faire connaître comme c'est toujours le cas au contraire dans l'art brut où les créateurs concernés se fichent totalement de leur "communication" et de leur commercialisation possible, se contentant d'œuvrer dans le secret, soumis à des pulsions de création irrépressibles).
Jan Křížek, photo d'atelier à Paris dans les années 50, reproduite dans le livre d'Anna Pravdova
Jan Křížek, peinture et collage, 25,5 x 27,5 cm, reproduit dans le livre d'Anna Pravdova
Il y eut aussi contact entre Křížek et le surréalisme. Revient souvent quand on parle de ces rapports l'évocation de la correspondance avec André Breton publiée par le Musée de la Cohue à Vannes et le FRAC Bretagne à l'occasion de l'exposition des oeuvres de l'artiste en 1995 à la galerie du TNB à Rennes et et au musée de Vannes (cette correspondance est reprise en tchèque dans le livre d'Anna Pravdova). Křížek y incitait le surréalisme à être plus franchement irrationnel dans sa pratique et son vécu de l'automatisme, porte ouverte sur le "Merveilleux", sa lettre du 12 février 1959 à Breton paraissant dans un premier temps lui adresser des reproches directement (ce dernier, dans un courrier très réactif du 14 février suivant s'en défendit, avec raison, arguant à propos de l'usage de l'automatisme: "Si quelqu'un, sans céder à aucune pression, s'est opposé à toute domestication des forces ainsi libérées, c'est moi, les textes abondent pour en témoigner". La critique de Křížek était en effet un peu maladroite). Dans une autre lettre du 28 février, toujours adressée à Breton, Křížek exprima en une phrase un aspect essentiel de sa quête d'alors, phrase qui permet dans les dimensions de cette modeste note d'éclairer assez bien le personnage et sa recherche: "Est-ce que vous ne croyez pas que nous pourrions y trouver [dans "l'opération qui tend à restituer le langage à sa vraie vie"] un vrai homme, l'homme prémégalithique, un ancêtre de Taliesin qui serait super lucide et super responsable, un homme totalement irrationnel, constitué essentiellement par la "matière première" où "le parler et dire" (la peinture et la sculpture) n'étaient pas encore séparés?". Toutes proportions gardées bien sûr, sur le Poignard Subtil, nous aussi sommes toujours en quête de ce "vrai homme". Il y a du travail...
Œuvre de Jan Křížek reproduite dans le livre d'Anna Pravdova, 15 x 60 cm
______
¹ Je me suis fait l'écho sur ce blog de son départ, à lui et sa femme Jirina Křížková sur la Corréze en 1962 où, devenus réfugiés politiques et pourvus d'un titre de séjour (comme me l'a précisé récemment par courriel Bertrand Schmitt), et non pas "sans papiers" comme je l'écrivis un peu vite, ils vécurent d'apiculture et de divers travaux agricoles dans une petite cabane construite par eux près de Goulles, Křížek ne sculptant plus, hormis en "deux dimensions", c'est-à-dire en dessinant les esquisses de statues possibles (le dessin étant pour lui une autre forme de sculpture, davantage que la peinture) - il ne sculpta plus qu'une fois, exceptionnellement, pour l'anniversaire des 50 ans de sa femme, quand il réalisa une pièce à seule fin de lui prouver qu'il pouvait toujours y arriver ; en effet durant ces vingt années d'éloignement du monde de l'art, il se contentait de penser les sculptures qu'il pourrait tailler. Voir ma note du 1er mars 2012 sur ce blog qui évoque le legs de 900 œuvres (230 linogravures, quelques toiles, des dessins, aquarelles, encres, gouaches, des services à thé et bougeoirs en argile peint, donc non cuits semble-t-il, certains étant reproduits dans le livre d'Anna Pravdova). De 1962 à 1985 date de sa mort, il "régla son problème" avec l'art comme il disait, coupant les ponts avec ses anciennnes relations artistiques parisiennes. En 62, en quittant dans le dénuement Paris avec sa femme, il avait dû récupérer les statues qu'il avait laissées à la galerie Craven qui déménageait de Paris. Ne pouvant les stocker nulle part, il dut les briser à coups de marteau.... Dans le livre d'Anna, on trouvera des photos extrêmement touchantes de l'intérieur de la maisonnette en bois du Bartheil, près de Goulles, avec des œuvres sans doute anciennes que Křížek avait conservées accrochées en haut des murs de planches, photos si nettes qu'on se croirait invités chez les Křížek de leur vivant... Et, ma foi, si l'ambiance paraissait modeste, elle était en même temps parfaitement sereine et baignée de poésie pure.
Jan Křížek, cette sculpture datée 1978, de 39,5 x 15 cm, déposée au Musée du Cloître de Tulle, reproduite dans le livre d'anna Pravdova, est probablement la sculpture exceptionnelle que fit Křížek pour l'anniversaire de sa femme à une époque où il avait cessé de pratiquer la sculpture autrement que de façon purement spéculative
² Anna Pravdova et Bertrand Schmitt avaient déjà publié dans Recoins n°3, à l'été 2009, un article intitulé "Jan Křížek, sculpter en deux dimensions". Toujours disponible chez Recoins, 23, rue Charles Fabre, 63000 Clermont-Ferrand.
³ Voici les renseignements fournis par Bertrand Schmitt concernant l'exposition citée ci-dessus: "Elle suit un parcours chronologique, construite et articulée en plusieurs chapitres", me dit-il. Sans entrer dans les détails, on peut citer ces différentes parties. Il y a « De Rodin au tachisme » (pour évoquer les premiers temps de l'oeuvre křížékienne (1938-1945). Puis... « A la recherche de "l’unité perdue", le travail de Jan Křížek avec Václav Boštík »(1939-1945). « Autour du Foyer de l’Art brut » (1946-1948 ; cette partie se divise en deux, la première reconstituant - de façon inédite, je pense... - l'expo initale de l'art brut dans le sous-sol de la galerie Drouin en octobre 47, avec des œuvres prêtées par la collection ABCD, d’Aloïse, de Wölfli, de Miguel Hernandez, de Fleury-Joseph Crépin, de Henri Salingardes, et de plusieurs Barbus Müller, et une seconde sous-partie consacrée à l'expo personnelle de Křížek au Foyer de l'Art Brut en février 48). Ensuite, on trouve le chapitre « Avec les potiers à Vallauris » (1948-1949 ; trois œuvres de Picasso qui aida l'artiste à créer avec le potier Roger Picault sont exposées dans cette section ; comme ce fut évoqué par Catherine Elskar et Marie-Françoise Le Saux dans le catalogue de la Cohue en 95, il n'est pas absurde de relever une parenté entre les graphismes de Křížek et ceux de Picasso, ainsi que d'autres peintres qui s'adonnèrent aussi à la sculpture comme Miro et Matisse). Chapitres suivants, « Le travail de laboratoire à Paris» (1949-1952 ; après avoir été chassés par la police de Vallauris), et « Avec Charles Estienne », (1953-1955). Un "Jardin de sculptures" sera présenté, avec des grandes statues et d'autres œuvres "réalisées à Gordes dans la maison de Charles Estienne en 1955, ou en Bretagne chez les Jaouen, lorsqu’à l’instigation de Pierre Jaouen, Jan Křížek et son épouse purent rester dans une petite maison de la famille à Kersaint, puis dans la maison des parents Jaouen à Ploudalmézeau durant l’été 1956" (Bertrand Schmitt). Des grands dessins créés entre 1957 et 1961 seront accrochés à côté de ce "jardin", ainsi qu'un grand panneau présentant les quelques toiles de Křížek, "parfois mises sur châssis ou toiles de chiffon, toiles de jute". L'exposition se terminera sur un espace évoquant les vingt dernières années de l'artiste reconverti en apiculteur, ne dessinant plus que des croquis "spéculatifs" pour vérifier qu'il pourrait encore sculpter, dessins qu'il détruisait la plupart du temps, selon Anna Pravdova et Bertrand Schmitt.
Merci à Anna Pravodva et Bertrand Schmitt pour leur aide et leurs autorisations à publier certaines reproductions du livre.
00:36 Publié dans Art immédiat, Art moderne méconnu, Art singulier, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : jan krizek, anna pravdova, bertrand schmitt, narodni galerie, prague, surréalisme d'après-guerre, art brut, archaïsme dans l'art, recoins n°3, michel tapié, pierre jaouen, barbus müller, andré breton, automatisme, frac limousin, frac bretagne | Imprimer
20/05/2013
Exposer chacun dans un jardin, une riche idée...
Jean Branciard m'adresse un dossier concernant plusieurs expositions d'artistes contemporains qui vont se tenir en Isère dans deux semaines, durant le week-end des 1er et 2 juin prochains. L'art contemporain comme on s'en doute si on lit régulièrement ce blog est pourtant loin d'être ma tasse de thé quotidienne...
Ce qui m'a retenu pour l'occasion, c'est, outre des nouvelles de l'avancée des créations singulières de Jean Branciard, qui en est à construire une "cité lacustre" dans les mêmes matériaux que d'habitude (vieux bouts de tôle rouillée, fils de fer, chiffons, bois d'épaves...), "cité" qui me fait furieusement penser aux maquettes de constructions babéliennes qu'élabore parallèlement en Bretagne le fameux Darnish évoqué dans cette colonne récemment, ce qui m'a retenu surtout donc, c'est l'idée d'un parcours à la recherche des œuvres présentées dans des JARDINS. La manifestation s'appelle du reste JARTdins 2013, et elle se tient dans les villages de Saint-Aupre et Saint-Etienne de Croissey à 5 minutes de Voiron, organisée par l'association Sur 1 coin 2 table. Le parcours et les artistes présentés ainsi en plein air sont détaillables sur le programme que je vous mets en lien. Heureux passants de l'Isère, vous pourrez ainsi augmenter vos balades de la rencontre d'oeuvres pas désagréables à affronter. Pour ma part j'en reste à Branciard, seul représentant dans cet ensemble de l'art dit singulier, mais les deux artistes qui voisinent avec lui sur la page que je reproduis ci-dessous ne sont pas inintéressants pour autant. Exposer des papiers découpés (Stéphanie Miguet) dans un jardin, sous nos climats actuels, s'avère en outre des plus périlleux...
00:35 Publié dans Art moderne ou contemporain acceptable, Art singulier, Galeries, musées ou maisons de vente bien inspirés | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : jean branciard, jartdins 2013, association sur 1 coin 2 table, saint-étienne de croissey, saint-aupre, art singulier, art contemporain, expositions au jardin, jardins | Imprimer
04/05/2013
La vache cachée des Cévennes
La vache cachée des Cévennes, dessin numérique sur photographie numérique, 2011, Bruno Montpied
11:47 Publié dans Art singulier, Photographie | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : vaches, cévennes, bruno montpied, photographie modifiée, art sur ordinateur, art numérique, art singulier | Imprimer
23/04/2013
Du côté de Lausanne (nouvelles de la Collection d'Art Brut, expo James Edward Deeds...)
Ça bouge à Lausanne. La nouvelle conservatrice est donc Sarah Lombardi... Tandis que Lucienne Peiry continue d'être la "Directrice de la recherche et des relations internationales de la Collection de l'Art Brut". Les expositions du moment sont consacrées, toutes les deux du 15 mars au 30 juin, d'un côté à James Edward Deeds (un temps surnommé "The Electric Pencil", "le Crayon Electrique", surnom qu'on lui donna d'après des inscriptions retrouvées sur ses dessins et avant qu'on ne découvre sa véritable identité) et de l'autre à Daniel Johnston.
James Edward Deeds, Miss Laben (recto), entre 1936 et 1966, mine de plomb et crayon de couleur sur papier, 23,5 x 21 cm. Photo : Atelier de numérisation, Ville de Lausanne. Collection de l’Art Brut, Lausanne ©2010 Electric Pencil Press
Lucienne Peiry a décidé depuis quelque temps de mettre en ligne à l'usage des amateurs ce qu'elle appelle ses "Notes d'art brut", ensemble d'articles de presse, d'agenda des rencontres et autres conférences nombreuses que donne et organise notre ancienne conservatrice de la collection d'art brut, et également des découvertes les plus récentes qu'elle fait d'auteurs d'art brut (Lucienne Peiry, qui connaît son sujet, maintient en effet, à juste titre, la notion d'auteur d'art brut, qui se distingue, sans qu'elle insiste outre mesure dessus, de la notion "d'artiste" d'art brut que tant de plumitifs approximatifs emploient en ce moment à tire-larigot).
James Edward Deeds, The Black Snake (recto), entre 1936 et 1966, mine de plomb et crayon de couleur sur papier, 23,5 x 21 cm, photo : Atelier de numérisation, Ville de Lausanne, Collection de l’Art Brut, Lausanne
©2010 Electric Pencil Press (apparemment le bateau ici représenté n'est pas un navire imaginaire mais existait bel et bien, cf. le film visible sur le site electricpencildrawings.com
La nouvelle conservatrice, Sarah Lombardi, paraît avoir été en charge du concept de la nouvelle double exposition, Deeds/Johnston. L'expo du deuxième, musicien atypique, chanteur folk passablement excentrique (une sorte de Neil Young cabossé à la voix chevrotante et fragile comme du verre, faisant parfois l'effet d'un ongle griffant une vitre...), était déjà passée à Nantes l'année dernière au Lieu Unique. On devait passer à côté pour aller voir les projections du "Week-end Singulier" de cette année-là. Sarah Lombardi a dû découvrir les dessins de Daniel Johnston à cette occasion. Je me souviens que je lui avais demandé à cette occasion (avril 2012, il y a juste un an) ce que devenait la Collection Neuve Invention qui est comme une poupée russe enclavée au sein de la collection de l'Art Brut, mais dont on n'entendait plus trop parler.
On sait que selon Dubuffet et Thévoz, ce département devait rassembler tous les cas-limites situés entre art brut et "arts culturels". Or j'apprends dans un encart du site internet de la Collection, que Sarah Lombardi a décidé de redonner un peu de lumière sur cette Collection Neuve Invention... dans laquelle elle range Daniel Johnston. Cela m'a fait l'effet d'une curieuse réponse indirecte et décalée dans le temps. Pour elle donc, la Neuve Invention continue, comme entité à part de la collection princeps sans doute, ce qui à mon humble avis reste une bonne chose et évite les amalgames et les confusions à l'œuvre ces temps derniers. D'autant plus lorsque l'œuvre graphique d'un Johnston qu'on expose à Lausanne reste plutôt de l'ordre du faible et du médiocre (pour moi ce dernier est bien plus surprenant comme musicien que comme graphiste...).
James Edward Deeds à l’âge de 7 ans, 1915, photographe non-identifié
Rien à voir avec l'extraordinaire oeuvre dessinée de James Edward Deeds (1908-1987), interné depuis 1936 jusqu'à la fin de sa vie, dont on retrouva les dessins exécutés sur des bordereaux de son asile, cousus dans un livre fabriqué à la main, qui a fait l'objet d'un magnifique reprint aux USA (on peut le trouver par ici, par exemple à la Halle Saint-Pierre à Paris), reproduisant il me semble quasi intégralement ces chefs-d'oeuvre d'art naïf (au sens sublime du mot). Quelle suavité, et quelle enfance du regard préservée, se présentent à nous à cette occasion. S'il est un exemple d'art du plus pur immédiat, c'est bien chez James Edward Deeds qu'il faut aller le chercher. Ce livre, cet album de croquis au charme puissant fut sauvé par un enfant qui l'exhuma d'une poubelle où il allait s'anéantir. Que ce soit un enfant qui se chargea de ce sauvetage doit nous convaincre de la mystérieuse complicité qui s'établit par l'esprit entre candides de tous âges.
James Edward Deeds, States Attorney (verso), entre 1936 et 1966, mine de plomb et crayon de couleur sur papier, 23,5 x 21 cm, photo : Atelier de numérisation - Ville de Lausanne, Collection de l'Art Brut, Lausanne, ©2010 Electric Pencil Press
Un véritable obsédé des plumes, cet extravagant Mr. Deeds, et pourquoi pas si l'on songe à l'extraordinaire pouvoir métamorphique de cet élément naturel...? Et ces yeux, ces yeux, entièrement baignés de la lumière des voyants, noyés de songes... Deeds tirait le portrait des gens qui l'entouraient, et des animaux aussi, certains peut-être vus à la faveur d'un cirque ayant débarqué dans sa campagne et qu'on avait laissé voir aux pauvres fous pour les distraire un peu. Il dessinait le tout dans une sorte de carnet de bord qui fait un peu penser au livre de croquis de Marguerite Bonnevay que j'ai chroniqué sur ce blog naguère.
James Edward Deeds, sans titre (verso), entre 1936 et 1966, mine de plomb et crayon de couleur sur papier, 23,5 x 21 cm, photo : Atelier de numérisation - Ville de Lausanne, Collection de l'Art Brut, Lausanne, ©2010 Electric Pencil Press
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12/03/2013
L'art d'accommoder le Christ (accessoirement le pape?) par Murielle Belin
Je n'étais pas trop convaincu par les oeuvres de Murielle Belin jusqu'à présent, même si certaines de ses références me plaisaient (Kubin par exemple). Cette artiste fait des œuvres à la fois en deux et trois dimensions, plongeant certains de ses personnages dans des bocaux de formol, affublant des oiseaux empaillés de têtes humaines (voir son reliquaire "Ciel tombal"), peignant des sous-bois où se trament dans les étangs d'étranges métamorphoses (voir sur son site sa série de peintures intitulées les Baigneuses de 2006 à 2007).
Murielle Belin Le chauve sourire d'Alfred Kubin
On peut voir actuellement certains de ses travaux (des reliquaires en papier roulé...) dans la galerie du rez-de-chaussée de la Halle Saint-Pierre. Et de temps à autre, elle est exposée à la galerie de Béatrice Soulié (qui a deux lieux à présent, à Paris et à Marseille). Mais aussi on a pu la voir dans des expos collectives avec le Daily-Bûl par exemple, ou en illustratrice des défunts Cahiers de l'IIREFL (consacrés aux foux littéraires).
Murielle Belin, Ciel tombal
Une série de ses dessins m'a récemment plus particulièrement retenu, déclinant les "36 façons" dont on aurait pu torturer et achever Jésus. C'est très drôle, je trouve, cette combinatoire très oupeinpienne (d'Oupeinpo, Ouvroir de Peinture Potentielle) qui consiste à imaginer tous les supplices qui auraient pu avoir lieu sur le Golgotha, qui auraient pu nous condamner à une iconographie christique ultérieure tout autre... "Si le messie de la religion catholique avait été empalé, écorché, bouilli, enterré vivant, mis aux oubliettes,… avec quelles icones aurions-nous vécu ? A la manière amusante d’un exercice de style, voici un inventaire des possibles". On en jugera ici avec seulement cinq exemples ci-dessous affichés (la série entière est disponible sur le site web de l'artiste):
Jésus bouilli...
Jésus raccourci...
Jésus sur la chaise électrique...
Ecartelé...
Transperçé par un éléphant (le plus improbable de tous?)...
Je trouve à cette série un petit côté dessins Panique, du genre Olivier O.Olivier (artiste récemment disparu), ou Topor ou Christian Zeimert, dans un désir de figuration décalée.
10:56 Publié dans Art moderne ou contemporain acceptable, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : murielle belin, baigneuses, alfred kubin, chauve-souris, formol, art singulier, fous littéraires, daily-bûl, jésus-christ | Imprimer
10/03/2013
Le visage à l'intérieur, un parallèle Gilles Manero/Steinn Steinarr
Gilles Manero, sans titre, mine de plomb, crayons et collage de tarlatane sur papier photographique ancien, env. 39x29 cm, 2010, coll. Bruno Montpied
Dans ta conscience
Il y a un visage qui regarde
Steinn Steinarr
Dans ta conscience il y a un visage qui regarde,
Visage que nul ne voit et qui ne doit trouver place nulle part.
Son regard est le rêve, sombre et brûlant,
Qui se cache dans l'ombre de tes sentiments.
Il ne se trompe pas de direction, il prend bien garde à soi,
Il s'enterre dans l'ombre profonde et intime.
Il va incognito, ce visage,
Par les recoins les plus taciturnes de ton âme.
Rien n'est aussi profondément celé sur terre,
Tu séjournes longtemps à distance, faible et diminué.
Ta requête est faite pour rien,
Ce visage n'existe plus, qui fut toi-même.
(extrait de Le temps et l'eau, trad. Régis Boyer, éd.Actes Sud, 1984)
13:46 Publié dans Art singulier, Poèmes choisis du sciapode | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : gilles manero, art singulier, steinn steinarr, régis boyer, poésie islandaise, rêve | Imprimer
24/02/2013
Art brut pour yeux fertiles
A peine l'expo Guy Harloff décrochée, voici que la Galerie Les Yeux Fertiles, rue de Seine à Paris, enchaîne avec une sélection de créateurs de l'art brut auxquels elle a joint des gens plus artistes, rangés dans ce que l'on appelle chez les Anglo-saxons des Outsiders, et en Suisse de la "Neuve Invention". A propos de cette dernière, on peut toujours se demander d'ailleurs, depuis la période où Lucienne Peiry était conservatrice de la Collection de l'Art Brut, si le terme, et la collection qu'il désignait, sont restés en usage à Lausanne, tant on n'en a plus eu de nouvelles depuis des lustres (au point que j'ai fini par me demander si pour les responsables de la Collection les cas limitrophes de l'art brut n'avaient pas été purement assimilés à la collection princeps).
Carton de l'expo, avec un sublime dessin de Friedrich Schöder-Sonnenstern (c'est toujours séduisant, Schröder-Sonnenstern)
Viendront donc faire un tour sur les cimaises de cette galerie aux sélections semble-t-il toujours exigeantes les créateurs bruts suivants (honneur aux bruts...): ACM (on dirait des ruines de villes irradiées), Thérèse Bonnelalbay (une sorte de Michaux brut), Janko Domsic (un Léonard de Vinci exalté), Johan Fischer (un de Gugging il me semble), Eugen Gabritschevsky (un Max Ernst du cellulaire), Madge Gill ( qui faisait de la dentelle avec les esprits), Hassan (l'homme aux villas en terrasse, vu récemment au Musée Singer-Polignac), Jakic (à ne pas confondre avec Domsic), Lobanov (l'homme aux pétoires prodigieuses), Dwight Mackintosh (surréaliste dans le gribouillis), Edmund Monsiel (tatoueur sur papier), Raphaël Lonné (ça faisait longtemps qu'on ne l'avait pas revu), André Robillard (lui par contre...), Schröder-Sonnenstern (donc), Carlo Zinelli (le montreur d'ombres), Scottie-Wilson (clochard céleste), Tschirtner (imprononçable), etc...
(Ci-dessus une oeuvre d'ACM de la collection d'art brut du LaM de Villeneuve d'Ascq, ph. Bruno Montpied en 2011 ; des dessins de Madge Gill présentés dans l'exposition de la collection Eternod-Mermod au LaM en 2011, ph. BM
Cela commence donc jeudi 28 février prochain...
Du côté de la Neuve (oui?) Invention (c'est sûr?), on retrouvera Marilena Pelosi, Le Carré-Galimard (oui, il me semble qu'il n'y a qu'un L), Nedjar, Hipkiss, Chichorro, Chaissac (l'ancêtre de tous les singuliers), etc.
Une stimulante petite expo en prévision, non?
18:41 Publié dans Art Brut, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : galerie les yeux fertiles, art brut, art outsider, neuve invention, schröder-sonnenstern, gabritschevsky, scottie wilson, madge gill, domsic, lam, abcd, alexandre lobanov, carlo, edmund monsiel, raphaël lonné | Imprimer
16/02/2013
La montagne de la tête
Ce soir, j'ai envie de m'épancher, de me répandre à propos d'un de mes dessins produit durant ces deux derniers jours. Vite arrivé... Et pourtant, pour une fois, j'en suis fort satisfait. C'est un bébé qui n'a pas l'air comme les autres. Dans le flot (façon de parler!) de ma production, il y a en effet pas mal de clones, de répétitions, de visages et de compositions déjà-vus. Des leitmotivs, des séries, des obsessions, des façons de composer ou de tracer qui reviennent régulièrement, parfois après de longues éclipses, mais tout de même persévérantes, refaisant surface fidèlement de loin en loin. Et puis, il y a les cas à part, les enfants uniques, les solitaires, et c'est généralement à ceux-ci que je m'attache, que je n'aime pas vendre et laisser partir. Le dernier venu est du lot.
Bruno Montpied, La Montagne de la tête, 29,7x21 cm, 2013
De taches d'encre semées au début, distribuées aléatoirement sur la feuille de papier, avec des frottages de mine de plomb, de crayons noirs dont les traits, les gribouillis furent étalés au doigt - technique souvent utilisée ces temps derniers - peu à peu, en rajoutant ici et là des traits apposés comme souvent, au jugé, a fini par émerger tout d'un coup une tête, une énorme tête, aux dimensions d'un paysage. Fichée, tel un chef coupé sur une pique de Sans-Culotte, mais cette fois au sommet d'un pic, d'une montagne à l'horizon. Cette dernière se reconnaît du reste grâce à ses verts pâturages où paissent de drôles de ruminants, où se pavane un volatile faisant l'important. Des têtes monumentales de ce calibre, je n'en ose pas si souvent que cela. Je l'ai laissée venir par hasard, elle s'est imposée à mon regard, plusieurs heures après avoir été dessinée, ou du moins après que les traits, les frottis et les taches qui la constituent eurent été posés, chargés de représenter autre chose, en l'occurrence des surfaces abstraites, et des corps en équilibre improbable (le personnage ocre) ou comme virevoltant...
Tout à coup, je vis une tête aux yeux complètement assymétriques, une mèche lui tombant tout du long de sa joue droite, manquant de couvrir la bouche ocre (qui est simultanément le corps du personnage en équilibre), vaguement boudeuse, mais aussi à l'expression résolue, têtue. Ce personnage ocre tend le bras gauche vers l'œil droit de la tête géante comme cherchant à recueillir ce globe oculaire prêt à se détacher de son orbite telle une larme en formation. De son bras droit, il tient en équilibre sur une barre, où reposent également ses deux jambes (une "cinquième jambe" qui a tout l'air d'une espèce de phallus considérable se fait sentir ou embrasser par les lèvres lippues d'une ombre de bestiole, hésitant entre ombre et nuage...). La barre paraît tenue assez fermement dans un manchon, ou un immense gant de boxe d'un ocre presque brun, placé sous le menton d'un personnage barbichu assis sur un curieux fauteuil rouge (un fauteuil dont le dossier rampe en épousant le bas du dos du barbichu). Ce dernier porte des sortes de minuscules nattes rigidifiées, hérissées et terminées par des perles. De la tête gigantesque poussent des excroissances ténébreuses qui ressemblent à des cornes assez semblables à celles d'un bouc. Est-ce le Diable ?
Souvenir, réminiscence d'une randonnée ancienne en montagne dans le Mercantour avec Christine, lorsque au bout de trois ou quatre jours d'ascension continue depuis la mer Méditerranée, voyant à l'horizon le col vers lequel nos pas nous portaient et nous emportaient, nous rêvions sur le nom de cette barre rocheuse plus haute que tous les reliefs avoisinants, le Pas du Diable, immense chaos rocheux que nous escaladâmes dans un silence sauvage, des filaments nuageux glissant par-dessus nous qui montions, épuisés et oppressés? Au sommet, après un petit défilé, nous trouvâmes un petit lac comme un miroir de bijoutier, et en dessous une étroite vallée très minérale qui par un sentier artificiellement tapissé d'un semis de gravier écru et bordé de fleurs fragiles et minuscules nous permit de descendre, en extase, vers la Vallée des Merveilles où d'autres randonneurs nous attendaient, ayant transformé par l'affluence de leurs tentes de camping le site en un nouveau Woodstock transféré par magie (si l'on peut dire...) dans les Alpes.
23:29 Publié dans Art singulier | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : bruno montpied, têtes, montagnes, art singulier, pas du diable, mercantour, diable, vallée des merveilles, woodstock | Imprimer
12/02/2013
Sur le catalogue de "La Création Franche s'emballe! (Itinérance d'une collection insoumise)"
Avec la première exposition prévue pour être itinérante, a priori dans la région Aquitaine aux dernières nouvelles, d'une partie de la Collection du Musée de la Création Franche à Bègles (elle se termine le 14 février, soit dans deux jours), réalisée en collaboration avec des étudiants en master professionnel Régie des Œuvres et Médiation de l'Architecture et du Patrimoine de l'université talençaise Michel de Montaigne, est paru un catalogue où l'on retrouve une discussion fort instructive à propos du projet qui fut celui de Gérard Sendrey, le principal initiateur du musée.
Portrait de Gérard Sendrey (assez semblable à un clergyman ce jour-là...), sur le seuil du musée de la Création Franche à Bègles, 1997, ph. Bruno Montpied
Je ne ferai pas mystère, moi qui ai toujours été franc avec lui (au point de commencer dans mes tout premiers rapports épistolaires en 1988 – et non pas en 1990, comme il le dit dans la discussion ci-dessus évoquée ; c'est lui qui m'écrivis le premier, le 24 septembre 1988, alors qu'il venait de créer sa galerie Imago dans une petite maison à côté de la mairie de Bègles, il cherchait alors des adresses, des créateurs, ce que je n'hésitai pas à lui fournir sur le champ – au point de commencer, donc, par me disputer avec lui, à deux doigts de nous brouiller même), je ne ferai pas mystère que j'ai toujours trouvé la prose de Gérard extrêmement touffue, labyrinthique et pour tout dire de façon plus abrupte (l'art abrupt, ça existe aussi!), assez lourde en somme. Je ne pense pas que, parmi tous les médiums qui se soient proposés à lui, ce soit dans l'écriture que Gérard Sendrey se sente le plus à l'aise. Par contre, dès que l'on publie des propos de Gérard, des discussions, des interviews (non trop réécrites par lui), des paroles, on trouve un Sendrey parlant plus clair et franc, ce qui donne une immédiate assise à ses propos. C'est ce qui se passe dans le débat avec divers intervenants qui est publié dans ce catalogue. On tient là (enfin, serais-je tenté de dire) une véritable profession de foi, faisant office de manifeste et de définition de la création franche, qui pourra servir dans le futur.
Gérard Sendrey, portrait de Marie, 50x32 cm, 2003, coll. BM
A bien lire et écouter Sendrey, on comprend que ce terme de Création Franche recouvre un ensemble de créations très variées que l'on ne peut identifier avec l'Art Brut, comme certains dans ce débat tentent de l'instiller (je pense notamment au "maître de conférence" spécialisé en histoire de l'art contemporain à l'université Michel de Montaigne, Richard Leeman, qui pense que l'on devrait utiliser les termes d'Art Brut au sens galvaudé par les journalistes et les ignorants du corpus, de manière à l'appliquer tout uniment à l'ensemble de la collection de la Création Franche : bel exemple de manque de rigueur – on a pourtant affaire à un enseignant). Il insiste aussi sur la distinction nécessaire à faire entre artistes et créateurs, ou auteurs "francs" (cet adjectif signifiant avant tout "libres", "indépendants" pour lui), ce que ses auditeurs ne paraissent pas toujours intégrer du reste... Ce qui n'a rien d'étonnant, étant donné la mode actuelle qui cherche à amalgamer l'art brut, les créations marginales, produits par des personnes extérieures au monde des Beaux-Arts, avec le reste de l'art contemporain produit par des professionnels. Cela Sendrey ne l'évoque pas, se plaçant plutôt... sur un terrain anthropologique disons.
On sent bien à travers ses réponses aux diverses questions qui lui sont posées que Gérard Sendrey a été préoccupé avant tout de rassembler à côté de sa propre recherche (à la manière d'un Dubuffet dont il est visiblement imprégné mais qui collectionnait des créateurs nettement moins communicatifs), toute une série de créateurs possédés par leur inspiration, créant sans souci impérieux de reconnaissance, des Naïfs, des Surréalistes contemporains, des Bruts, des handicapés mentaux, des personnes écorchées, des auteurs issus des couches populaires, etc. Son projet se rapprocherait davantage d'une vision d'un art outsider que d'un art brut. Le curseur ne se déplaçant jamais du côté du conceptuel, des vidéastes, des amateurs de performance, de "happenings", etc. parce qu'il reste profondément attaché à la création qui est avant tout plastique. La notion de partage entre l'auteur et le public est également réaffirmée par Sendrey, ce point à lui seul distinguant la création franche de l'art brut, production de personnes nettement plus introverties.
Bruno Montpied, Par la porte des feuilles, 38x46cm (8F), technique mixte sur carton entoilé, 2004, collection du Musée de la Création Franche
Pour conclure cette note qui se doit de rester circonscrite, je souhaite apporter une précision quant à un faux souvenir qu'il émet page 23 du catalogue (en face d'une reproduction bien sombre d'un tableau à moi faisant partie du musée, voir ci-dessous). Gérard évoque la fondation de la revue Création Franche en 1990 et dit que c'est moi, Joe Ryczko et Jean-Louis Lanoux qui sommes venus le voir pour l'inciter à créer une revue. Il commet ici une erreur à mon avis. Les trois qui l'incitèrent furent plutôt Jean-François Maurice, Ryczko et Lanoux. Je parlais certes, parallèlement, avec lui dans nos courriers depuis nos premiers contacts en 1988 de l'idée de faire une revue sur les arts spontanés (Raw Vision venait d'apparaître dans le monde anglo-saxon, son premier numéro sortit au printemps 89, tandis que je rêvais depuis plusieurs années d'une revue sur les mêmes sujets qui aurait paru en France). Mais les trois que j'ai cités plus haut vinrent le voir sans m'en parler, à part Ryczko (bien que j'aie aidé à mettre toutes ces personnes en contact les unes avec les autres ; contrairement à ce qu'affirme Sendrey, nous nous connaissions bien tous...). L'un d'eux, comme je m'en suis déjà ouvert dans une note précédente, m'écartait comme un individu difficile à gérer... La revue ne fut pas donc initiée par moi, je refusais de participer aux deux premiers numéros tant que l'individu qui m'évinçait comme membre du comité de rédaction serait directeur de la publication. Ce n'est que lorsque cet individu fut écarté du poste, que j'acceptai de participer à la revue. L'avenir prouva que ma supposée ingérabilité était largement imaginaire. On avait utilisé l'argument, à mon humble avis, par un réflexe de banale et mesquine jalousie.
12:51 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art moderne ou contemporain acceptable, Art naïf, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : création franche, gérard sendrey, bruno montpied, la création franche s'emballe!, art brut, art singulier | Imprimer