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12/12/2017

Zig-zag, naissance des "Cahiers de la Passerelle"

Zig Zag 1, 2017 (2).jpg

     Belle surprise que les éditions FP et CF (= Editions Frédéric Pierre et Camille Françoise) viennent de faire à l'atelier la Passerelle, basé à Cherbourg, en publiant ce premier "cahier de la Passerelle". Il s'agit d'un grand format (34,5x25 cm) au design sobre, joyeusement coloré, présentant en très grand, et magnifiquement imprimées, plusieurs œuvres choisies parmi les très nombreuses produites dans cet atelier proposé à plusieurs adultes déficients mentaux.

 

André Jeanne, Les fusées, février 2005 (2).jpg

Une double page de Zig-zag consacrée à André Jeanne, les Fusées, février 2005.

André Jeanne, L'église, mai 2003 (2).jpg

Une autre page, simple cette fois, mais toujours consacrée à André Jeanne, L'église, mai 2003 ; j'apprécie particulièrement cet auteur.

 

    Hormis un texte court présentant l'atelier animé par Romuald Reutimann, on ne s'embarrasse pas dans ce Zig-zag  de textes autres (par exemple des descriptions des peintures, des analyses, le processus qui a mené les auteurs à leurs images finales, etc.). Il faudrait pourtant bien qu'un jour on analyse ce fait qu'il y a une "patte" de la Passerelle, une sorte de signature graphique, qui permet d'identifier les œuvres hors de leur lieu de production, comme il y a, par exemple, une ligne graphique "Gugging" (atelier pour psychotiques en Autriche). Et ce, en dépit de la politique de l'animateur de l'atelier, avec qui j'ai pu souvent en parler, Romuald Reutimann, qui fait tout pour éviter d'influencer et de formater les pratiquants de son atelier. Il cherche en effet  à laisser se développer au maximum la liberté de chacun dans les formes et les récits représentés.

Séance d'atelier.jpg

Séance d'atelier, ph. La Passerelle ; on note que les participants créent tous ensemble dans la même pièce, certes probablement chacun dans sa bulle, mais donnant sûrement de temps à autre quelques coups d'œil à leurs voisins?

 

     Rappelons que j'ai déjà parlé de cet atelier par le passé. Il existe depuis 25 ans. Les œuvres sont à vendre (généralement des formats de 50x70 cm sur papier, vendus 200€, port compris). N'hésitez pas à aller faire un tour sur leur blog. Le cahier Zig-zag, on peut se le procurer en s'adressant à l'éditeur (apparemment spécialisé dans les ouvrages graphiques): www.editionsfpcf.com.

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Une œuvre remarquable de Kevin Raffin, exposée dans le cadre de la sortie du Cahier de la Passerelle, en novembre dernier,à la galerie P38 de Mathieu Morin, située dans la rue Doudeauville (18e arrondissement de Paris) ; ça me rappelle quelque chose, le support utilisé, un emballage déplié et mis à plat, un sacré dépliage du reste... Pierre Albasser?

  

01/12/2017

Paul Amar (1919-2017)

     J'ai appris très récemment la disparition, survenue ces jours-ci, du sculpteur et assembleur de coquillages Paul Amar, qui était né à Alger en 1919, et donc qui aura loupé de peu le centenaire. Pour en savoir plus sur sa biographie, on peut aller sur ce  lien.

Portrait Paul Amar par P Lespinasse.JPG

Photo Philippe Lespinasse ; ce dernier l'avait aidé très tôt à se faire connaître, via le film qu'il lui avait consacré et qui vient d'être réédité (voir ci-dessous).

 

    Il s'illustrait depuis des années en exposant ici et là, notamment à la Collection de l'Art Brut de Lausanne, mais aussi au petit musée des Arts Buissonniers à Saint-Sever-du-Moustier, des boîtes souvent colossales, emplies de saynètes rutilantes, éclairées à l'électricité, ou encore des compositions en trois dimensions de structuration plus originale encore.

 

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Paul Amar au Musée des Arts buissonniers, ph. B.M., juillet 2016.

 

    C'était bourré de vitalité, empreint d'une adoration de la couleur sans mélange. Sans compter le travail d'orfèvre poussé à un point extrême qui faisait une bonne partie du charme de ces réalisations. Des milliers de coquillages avaient été sciés avec méticulosité et soin de bénédictin, puis collés, ajustés ave finesse et dextérité.

 

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Une salle, entre autres, consacrée aux œuvres de Paul Amar au Musée des arts buissonniers à St-Sever-du-Moustier, ph. B.M., juil. 2016 ; le tableau noir au fond n'est pas une œuvre d'Amar, mais le support de travaux d'atelier menés avec des enfants fréquentant le musée en question.

 

       Gageons qu'on n'oubliera pas de si tôt ce créateur autodidacte, ancien coiffeur et chauffeur de taxi, qui restera bien présent à travers les collections d'art brut où son œuvre contraste fortement.

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Ce DVD de 4 films de Philippe Lespinasse, édité tout récemment par Lokolotiv films 2017 et la Collection de l'Art Brut de Lausanne vient de sortir, commandable entre autres lieux, auprès de la Collection, à Lausanne.

12/10/2017

Deux autres expositions à voir: "Pop collection" et Michel Zimbacca à l'Usine

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Couverture du carton annonçant l'exposition-vente de la collection de Pascal Saumade à l'Arts factory (11 octobre- 17 novembre 2017)

 

    J'ai un petit rab d'annonces à faire concernant deux expos. Rue de Charonne, dans la galerie de l'Arts factory, connue jusqu'ici pour être "le premier espace d'envergure entièrement dédié à la scène graphique contemporaine",  ils ont invité Pascal Saumade de la Pop galerie (galerie nomade, qui s'expose notamment à l'Outsider art fair ; une nouvelle édition est d'ailleurs pour bientôt, à l'Hôtel du Duc, rue de la Michodière dans le IXe ardt à Paris). J'ai eu l'occasion de parler de lui, qui fut l'organisateur de plusieurs expos en collaboration avec le musée des arts modestes de Sète. Une partie de sa collection – le tiers paraît-il  – est présentée rue de Charonne. Cela part dans tous les sens, bien en accord avec l'éclectisme revendiqué du galeriste-collectionneur, amateur en gros de tout ce qui constitue l'art populaire contemporain, autre nom de l'art modeste.

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Jean Pous dans Pop Collection, photo Bruno Montpied.

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Rnord (?), portrait d'une femme, crayon graphite, ph. B.M.

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Philippe Jacq, assemblage et terracotta, 2015-2017. Ph. B.M.

       On trouve des posters du Ghana (ils furent exposés par l'Arts Factory au temps où ils étaient installés rue d'Orcel dans le XVIIIe), des paños chicanos, de l'art "outsider" afro-américain (S.L. Jones par exemple), des artistes graphistes divers (Javier Mayoral, Anne Van Der Linden), de l'art brut (quatre dessins de Jean Pous, Guy Brunet - affiches, portraits -, Charles Boussion, Yves Jules, Patrick Chapelière, Jean Tourlonias, Pépé Vignes...), des dessins d'inconnus (R Nord), de l'art populaire sétois (Aldo Biascamano dont le tryptique sur la "pêche à la traïne" fait beaucoup penser aux faux ex-voto de Gérard Lattier), de l'art singulier (François Burland,  Jaber, Nidzgorski, Angkasapura, Sendrey, Jacqui, etc.), de l'art naïf même (Germain Tessier) et ce que Saumade et l'Arts factory appellent du "Rock'n'Folk Art" (voir liste ci-dessous). Tout cela mélangé dans une grande arlequinade de 300 œuvres où personnellement j'aurai tendance à opérer un tri, car tout ce qui est produit là n'est pas de la même provenance sociologique – l'usage social de l'art définissant aussi celui-ci. Sans compter que tout n'y est pas toujours de premier ordre au point de vue poético-esthétique. Il reste qu'on a toujours intérêt à suivre les curiosités de Pascal Saumade, qui est de la race des grands fureteurs.

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Liste des exposants à l'Arts factory, expo "Pop Collection".

*

Michel Zimbacca à l'Usine

      Sous ce titre, j'ai l'air de vouloir renvoyer Zimbacca en arrière, il y a très longtemps au temps du travail. Car cela fait un bout de temps qu'il a pris sa retraite, quoique pas celle du merveilleux. Surréaliste discret (depuis son arrivée dans le groupe dès 1949) – ultra discret même –, on connaît surtout de lui des films, qui ont été réunis récemment en DVD, dont  L'invention du monde, très connu auprès des cinéphiles amateurs de documentaires sur l'art, et, en l'occurrence, sur le monde des arts tribaux (le commentaire était de Benjamin Péret). Certains seront projetés d'ailleurs le 28 octobre à 20h à la galerie L'Usine de Claude Brabant (102 boulevard de la Villette, dans le XIXe ardt parisien).

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     Cette même galerie a en effet l'insigne honneur de nous proposer une exposition rare d'autres œuvres de Michel Zimbacca : des peintures, des dessins, des collages et des objets. J'en suis personnellement curieux, moi qui recopiais récemment un récit de rêve de 1998 où justement j'interrogeais Zimbacca sur les travaux graphiques et autres qu'il avait pu faire et sur lesquels ils se montrait fort discret. Je l'ai toujours imaginé, se réservant pour lui et ses proches les fruits variés et éclectiques de ses flâneries mentales, de ses digressions et rêveries intimes, si profondément intimes qu'elles durent peut-être lui paraître de nature à être réservées au cercle de sa vie quotidienne. Ce qui provient de l'inconscient et du hasard en effet apparaît bien souvent comme risquant de se galvauder au contact du monde extérieur. C'est affaire de pudeur et de scrupules qui sont également pratiqués par les auteurs d'art brut et qui expliquent que l'on découvre les œuvres de ces derniers bien souvent de façon posthume. La galerie l'Usine, galerie pour happy few, au charme secret lui aussi, est sans doute l'endroit idéal pour présenter, de façon anthume heureusement, les résultats des prospections mystérieuses du poète Michel Zimbacca. Avis aux amateurs, l'expo ne dure que deux semaines...

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Une curieuse production spontanée de Michel Zimbacca, réalisée à la fin d'un repas sur un bout de nappe en papier qui fut partiellement brûlée, coll. B.M., 2002 ; un oiseau passablement dépenaillé est jeté en travers du papier déchiré, celui-ci adoptant – involontairement? – la forme d'une tête dont la bouche est soulignée par la couleur du papier brûlé, les yeux étant figurés pour le premier par un cercle dans une serre de l'oiseau et pour le second par l'œil de l'oiseau lui-même.

26/07/2017

Enseignement médical par l'image

Anonyme (2), enseigne africaine médicale naïve, 61x81cm, sd (années 50 ptêt).jpg

Panneau-enseigne médicale, provenant d'Afrique (probablement de l'ouest, même si on me l'a d'abord décrite comme venant de Madagascar...), peinture sur bois, sans signature, sans date (années 1950?), avec inscriptions, 61x81 cm, photo Bruno Montpied, coll. privée.

 

    "Déparasitage - purgatif (les vers intestinaux) / Insuffisance rénale (limbago [sic] - maux de hanche / Les hernies"... La litanie des maux - soignés dans le dispensaire où était accrochée cette peinture explicative, peut-être aussi éducative? - est peinte avec un impitoyable vérisme qui fait presque tout son charme : une cascade de vers sous ce derrière à la raie fort longue (puisqu'elle remonte jusqu'à la nuque du souffrant...), la femme en boubou penchée,  appuyée sur sa canne, vers l'homme qui chie son ténia (sans gêne alors qu'il est en public), comme si elle s'apprêtait à lui faire une importante déclaration, la nudité du bas du corps de l'homme de droite (seule la femme a le droit de rester vêtue, la pudeur lui étant sans doute réservée), avec son poing sur l'aine, désignant peut-être une hernie inguinale qui affecte l'aine, et peut aussi, si elle s'aggrave, descendre dans le scrotum - ce qui explique peut-être les attributs sexuels de l'homme exposés sans fard, et notamment les testicules peut-être sur-traités... La pâleur de ces corps joue leur partie en ajoutant de l'étrangeté (car enfin, sont-ce des Noirs  ou des Blancs qui sont représentés? Les caractères typiques africains ne paraissent pas particulièrement marqués). Il y a des détails insolites, comme les tongs aux pieds qui subsistent même quand tout le reste du corps est dénudé., ou les coupes de cheveux qui dénotent sûrement une mode datée (on pense un peu aux enseignes actuelles des coiffeurs africains de Château d'Eau, ou Château Rouge à Paris, qui présentent en devanture des mosaïques de modèles de coiffures disponibles. Le bleu pâle du fond (le ciel ?) joue aussi dans l'attraction qu'on éprouve vis-à-vis de ce tableau pourtant pas fait au départ pour distiller une impression avant tout esthétique. L'homme à droite, comme au garde-à-vous, avec sa jolie chemise blanche impeccablement repassée, regarde le spectateur droit dans les yeux, semblant le prendre à témoin, avec son poing sur la hanche comme s'il semblait vouloir dire : "Hein? Qu'est-ce que vous dites de ça?...". Curieuse peinture, en vérité, trouvée de façon inattendue dans une brocante le long de la Gironde, où je me demande encore comment elle avait pu y échouer... 

23/04/2017

Une solution pour les soucis

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Poupées-tracas du Guatemala (artisanat pour touristes), coll. et photo Bruno Montpied

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L'explication vendue avec les poupées-tracas...

12/04/2017

L'art brut en Finlande, la collection Korine et Max Ammann au musée de la Création Franche à Bègles

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Affiche de l'exposition béglaise avec, au centre, un détail d'une œuvre d'Ilmari (ou Imppu) Salminen.

 

      Le musée de la Création Franche, se détachant provisoirement de l'art singulier, qui est tout de même d'habitude son "cœur de cible", ou sa cible de cœur, revient à l'art  brut stricto sensu, ou plus exactement à l'"I.T.E." (encore une nouvelle étiquette...), du 14 avril au 11 juin. Qués aco? C'est du finnois, Itse Tehty Eläma en toutes lettres, c'est-à-dire en anglais self made life. Et en français? : la vie faite par soi, en somme la vie fait maison? L'art de la vie en autodidacte? Cela dit, dans un livre que je possède, publié en 2011,  l'auteur (Seppo Knuuttila), dans son édition en anglais, parle, comme synonyme pour l'art de l'ITE, d'"art populaire contemporain", ce qui nous rapproche aussi de l'art modeste, terme utilisé par Di Rosa (dans une acception plus large). Un musée existe en Finlande qui défend cette catégorie d'art, The ITE contemporary folk art in Finland.

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Le livre de Seppo Knuuttila, éd.Maahenki, Helsinki, 2011, avec des photos de Veli Granö (à noter que je ne sais pas pour l'instant si à Bègles, dans l'exposition Ammann, on retrouve des œuvres de quelques-uns des 23 créateurs recensés dans cet ouvrage, probablement... (puisqu'on en y retrouve au moins un, Ilmari Salminen,dont un détail paraît avoir servi pour l'affiche béglaise) ; la sculpture en couverture du livre est de Martti Hömppi (né en 1935) ; elle fait penser par association aux guitaristes de André Morvan au Bar du Mont Salut dans le Morbihan, qui recoure pour sa part davantage aux formes trouvées dans les arbres.

 

     Le laïus du musée de la Création Franche nous explique que les créateurs collectionnés par le couple Ammann sont des individus quelque peu retirés de la société de consommation traditionnelle, "la majorité d'entre eux vivant en pleine nature, très souvent dans des cabanes au milieu des forêts nordiques", et utilisant pour s'exprimer de ce fait les matériaux qui se trouvent à leur portée immédiate. On connaît quelque peu ce genre de créateurs ici en France. Plusieurs créateurs de bord des routes font de même, à l'écart des chemins de l'art contemporain. Il est facile de tracer de nombreux parallèles entre créateurs populaires finlandais et français, que ce soit dans la propension à dresser des statues naïves au milieu de son jardin ou dans le traitement visionnaire appliqué à des matériaux naturels bruts, comme les branches ou les racines.

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Pentti Mäkäräinen, photo Teijo Määttänen (dans ITE Art in Finland), à mettre en parallèle avec...

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....Emille Chaudron, œuvres en brindilles d'épines ou de mirabelliers, musée municipal de Lafauche (Haute-Marne), photo Bruno Montpied, 2016.

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Et cette installation primesautière en plein champ avec piquets sculptés et peints de manière anthropomorphe, dû à Niilo Rytkönen (né en1928 ; photo de Minna Haveri empruntée à l'ouvrage ITE Art in Finland), qui comporte en arrière-plan une autre série de figures, des épouvantails venus à plusieurs, pour cette dernière idée, est à rapprocher des...

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...épouvantails-mannequins, en France, de Denise Chalvet et Pierre-Maurice Gladine à Rimeizenc en Lozère, ph. B.M., 2014.

      Parmi les créateurs finlandais recensés par ITE Art in Finland, on trouve aussi des naïfs, du genre visionnaire, comme par exemple les trois cas ci-dessous:

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Rauha Ryynänen (née en 1921), photo Pentti Potkonen (dans ITE Art in Finland)

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Tuula Huusko (1946-2004), ph.Pekka Agarth (dans ITE Art in Finland)

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Tyyne Esko (née en 1920) ; photo Aki Paavola, dans ITE Art in Finland

    Mais l'incontestable vedette, tout au moins parmi les créateurs d'environnements finlandais, est Veijo Rönkkönen (1944-2010), qui a dressé près de 500 statues cherchant à magnifier le corps humain, en particulier le sien propre, qu'il entretenait avec un amour immense, à ce qu'il semble. Dans son parc de statues, une partie est consacrée à 250 postures de yoga, discipline qu'il pratiquait (voir ci-contre).art brut en finlande,collection ammann,création franche Cette zone du parc est, comme il l'a confié une fois, "un monument dédié à la mémoire de son corps à l'état jeune". 250 variations d'hommage à la jeunesse de son anatomie... C'est ce qui s'appelle s'aimer. Mais cela ne l'empêcha pas de ne plus se réveiller après une sieste, à 66 ans seulement. Une sieste affreusement "crapuleuse" pour le coup...

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Veijo Rönkkönen (1944-2010), ph. Veli Granö, dans ITE Art in Finland.

      Pourquoi, me dira-t-on, illustrer cette évocation succincte de l'"art brut en Finlande" avec des illustrations venues d'un livre extérieur aux œuvres exposées? Outre le fait que, comme je l'ai déjà dit, certaines œuvres doivent être communes aux deux ensembles, il faut savoir que mon information venue du musée est pour le moment déficitaire question visuels. Sur leur page Facebook, il y en a peut-être plus, mais je refuse de m'inscrire sur ce réseau, n'en appréciant ni la forme, ni les pratiques. Il est à imaginer que l'exposition de la collection Ammann doit recéler plus de travaux en deux dimensions qu'en trois, question de commodité de transport... J'invite donc chacun à aller vérifier tout cela sur place à Bègles. Le vernissage est dans deux jours, le 14 avril.

     Et tiens, pour finir, et pour adresser un clin d'œil-trait d'union à ma note précédente sur mon éloignement proclamé vis-à-vis des maquettes par trop réalistes, voici une autre nef, finlandaise, faite en os cette fois....

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Jussi Tuklainen (né en 1934), photo Sanni Seppo, dans ITE Art in Finland.

 

 

 

 

03/04/2017

Du maquettisme à Saint-Nazaire

 

Cette note a été remaniée par rapport à de précédentes versions que j'estime désormais caduques, tels des brouillons.

 

      Depuis quelques temps, un correspondant ne cesse de vouloir me convaincre que des maquettes de paquebots que fabrique un passionné à St-Nazaire – en s'inspirant de ces bateaux de croisière qui ont des formes hésitant entre le tiroir-caisse et l'empilement de containers, que l'on fabrique aux chantiers de Saint-Nazaire, ce qui bien sûr donne du boulot aux ouvriers de la ville mais n'en fait pas pour autant des merveilles esthétiques – sont des chefs-d'œuvre d'art brut ou apparentés.  Je ne l'entends pas de cette oreille (ni de cet œil), et j'ai répondu plusieurs fois que je ne voyais pas l'intérêt de faire en plus petit ce qui est déjà moche en plus grand (car je pense avant tout – que l'on me comprenne bien! – aux reproductions de paquebots actuels),  mais ce correspondant insiste, car il lui apparaît sans doute que tous ceux qui s'intéressent aux arts populaires devraient penser comme lui... Ce monsieur ne voit que le travail minutieux du maquettiste (et il faut l'avouer, ce dernier a beaucoup travaillé sur ses bâtiments reconstitués, on ne peut le contester), et ma réponse le révulse. Il faut admirer à toute force les chefs d'œuvre qu'il m'indique...

PHOTO RETIRÉE À LA DEMANDE DE SON AUTEUR

Un des paquebots en maquette construit par M. Vince (St-Nazaire).

PHOTO RETIRÉE À LA DEMANDE DE SON AUTEUR

Autres maquettes de M. Vince à St-Nazaire.

 

          Il faut que je l'avoue, le maquettisme, envisagé du seul point de vue de la réduction minutieuse de ce qui existe, sans le moindre recours à une poésie quelconque, un maquettisme qui cherche à faire exact (même si, pour ce faire, l'auteur utilise des matériaux de récupération), ne m'intéresse en effet pas. Et en outre, il faut également le répéter, malgré l'évidence pour ceux qui sont déjà au courant, cela ne relève en rien de l'art brut, ni de l'art singulier. Ni même d'une poésie que l'on peut rencontrer dans d'autres types de maquettes, plus proches d'ailleurs des jouets –  je pense en particulier aux maquettes de bateaux sculptés naïvement par des marins, objets de patience confectionnés pour leurs enfants en attendant de pouvoir  les revoir au retour de leurs longues campagnes de pêche, ou aux bateaux naïvement logés au fond de leurs bouteilles, comme dans un rêve d'ivresse marine.

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Bateau confectionné en guise de patience, collection Humbert, musée rural des arts populaires de Laduz (Yonne), ph. Bruno Montpied.

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Paquebot en bouteille, voici de la poésie pure, cet énorme bâtiment étant dessiné et sculpté ingénument à l'intérieur de sa prison de verre, comme fixé pour l'éternité d'un songe... Coll. L. Jacquy, photo B.M.

 

         Le maquettisme visant à la copie, on en voit dans tous les musées de la marine, cela peut avoir un intérêt didactique, pédagogique, mais ce n'est pas sous cet angle que se place le correspondant dont j'ai parlé au début de cette note. Non, lui, veut voir de "l'art brut" dans ces maquettes, emporté qu'il est par l'usage de plus en galvaudé et confus du terme, par la faute de tant de commentateurs insuffisamment informés.... Eh bien, c'est une erreur...

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Une salle du musée de la Marine à Paris...

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...ou du musée maritime de Hambourg, où c'est bourré de maquettes, à des fins historiques, etc., mais sont-ce pour autant des musées d'art brut?

 

     Le maquettisme qui consiste à reproduire le plus exactement possible des véhicules, bateaux, trains électriques, maisons..., pourrait plutôt appartenir,  à la rigueur, à ce que l'on appelle du côté de Sète, "l'art modeste", qui rassemble toutes sortes d'expressions populaires, du collectionneur d'étiquettes de boîtes de camembert ou de petits soldats au peintre décorateur de flippers... Il y a des salons pour ce genre de hobby, avec leurs lots de "bénédictins" se consacrant entièrement à leur passion de la miniaturisation.

      La copie miniaturisée de la réalité ne me cause aucune émotion. Ce que nous recherchons avant tout, en effet, et au contraire, c'est de contribuer à dévoiler l'autre réalité sous-jacente qui se cache dans le dialogue permanent entre l'homme et le monde, que l'imagination de l'homme sert à révéler.  Ce sont les travaux où cette imagination est à l'œuvre qui nous interpellent. Je préférerai toujours les nefs de Jean Branciard (assimilable à l'art singulier), par exemple, aux maquettes réalistes qui ne nous apportent pas ce surplus d'imagination et de poésie dont nous sommes plusieurs à être affamés. Ou bien les maquettes incroyablement bricolées que l'on rencontre dans le véritable art brut, comme les deux exemples que je donne ci-dessous (après les nefs de Branciard) en donneront une suffisante  illustration. Voilà la véritable marine brute en réduction! 

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Jean Branciard, La péniche

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Jean Branciard, catamaran, vers 2008.

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Un bateau, le Myra,  par le sculpteur brut Auguste Forestier qui séjournait dans les années 1940 à l'hôpital psychiatrique de St-Alban-du-Limagnole, anc. collection du Dr. Ferdière, ph. B.M.

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Un bateau extraordinaire créé "en os de cuisine" par un Poilu "dans la zone des armées entre 1916 et 1917. Carte postale situant l'objet à St-Vigor-d'Ymonville (à l'époque en Seine Inférieure).

 

09/02/2017

Info-Miettes (29)

Le musée de l'art spontané

 

    Oui, il y a un musée pour la spontanéité et il est à Bruxelles. Semble-t-il longtemps concentré sur l'art naïf (envisagé dans nombre de cas dans son versant gentillet), il s'ouvre aussi à différentes formes d'automatisme autodidacte dans l'art (dans une démarche qui n'est pas sans rappeler celle du musée d'art naïf et d'arts singuliers de Laval). Comme c'est le cas, en février et mars, avec l'exposition "Au fil de l'encre" de Rosanna Brusadelli, dessinatrice qui crée en symbiose avec les formes naturelles, calquant son graphisme sur des arborescences et des réseaux, voire des rhizomes, ressemblant parfois à des échangeurs routiers.  Elle dessine à la plume "à profiler" en noir et colorie après coup, toujours à l'encre. Un travail en tout cas qui me retient, d'après le peu que j'ai vu jusqu'à présent..

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Rosanna Brusadelli 

Exposition du 14-02-2017 au 05-03-2017, Musée d'Art spontané, 27, rue de la Constitution, à 1030 Schaerbeeck (nord de Bruxelles).

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Dreamdew n°8

     Dreamdew, ça veut dire "Rosée de rêve". C'est un bulletin de 4 pages édité numériquement par Sasha Vlad et Bruno Jacobs, rédigé en anglais et provenant des USA. La publication est entièrement vouée aux rêves, comme de juste. Le dernier numéro (de février 2017) vient de m'être envoyé, et on y trouve des récits, plutôt brefs dans l'ensemble, relatifs à des lectures intervenues dans les rêves des divers auteurs des récits. Pour accéder à ce numéro, cliquez ici.

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Sasha Vlad, "Sur le plan horizontal, une fraîcheur noire. Sur le plan vertical, un éther neutre" (légende de Dan Stanciu), collage, date et dimensions non précisées ; œuvre non reproduite dans Dreamdew.

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Des "Singuliers de l'art" à Carquefou, au Manoir des Renaudières

            Une exposition, parmi les dernières qui vont se tenir dans l'année qui vient au Manoir des Renaudières qu'anime avec brio Chantal Giteau à Carquefou (banlieue de Nantes), en instance de départ à la retraite, promet d'être un perit feu d'artifice rendant grâce à l'art véritablement singulier.

Singuliers à Carquefou, Carton Recto (2).jpgCarton d'invitation à l'expo "Des singuliers de l'art", on reconnaît en bas à droite un dessin patatomancien de Serge Paillard, plus haut une roulotte en réduction de Paskal Tirmant, quelques personnages grotesques de Briantais, des corbeaux (peut-être de Manero? Il est difficile à identifier, celui-ci, parce qu'il a plusieurs manières), en déduisant que le reste, par élimination, est due à Goux et Cottalorda...

 

      "Véritablement", parce qu'en l'occurrence cela n'a rien à voir avec les festivals de Têtes à Toto que l'on déplore ici et là, et qui abîment l'étiquette d'art singulier par voie de conséquence plus du tout "singulier". Sont annoncés pour l'occasion Gilles Manero, Serge Paillard, Paskal Tirmant, Bernard Briantais (quatre artistes que j'ai chroniqués sur ce blog), et Claudine Goux (un pilier de l'art singulier et de la création franche), ainsi que Chloé Cottalorda (inconnue de moi). Le carton d'invitation est un collage original réunissant en un tout homogène des fragments d'œuvres de ces six artistes.

Singuliers à Carquefou carton verso.jpg

       En outre, seront présentés le samedi du vernissage, à 10h30, un film sur l'abbé Fouré, L'homme de granit, avec une intervention de Joëlle Jouneau, animatrice de l'association qui cherche à faire mieux connaître l'ermite de Rothéneuf, et surtout, à 14h30, un film plus inédit, car récemment produit (2016), La Dame de Saint-Lunaire, d'Agathe Oléron, consacrée aux recherches et découvertes de cette dernière sur l'étonnante créatrice d'une maison singulière à Dinard, Jeanne Devidal.

 

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 Disparition de Bernard Jugie (1940-2013)

 

 La-porte,-la-boîte-aux-lett.jpg           M'est avis que ce nom ne dira vraiment rien à la plupart de mes lecteurs en dépit de l'article que je lui avais consacré dans la revue Création franche (le n°37, décembre 2012), de quelques notes sur ce blog et d'une de ces expositions confidentielles dont la revue Recoins a le secret – c'était dans la galerie de la Halle Saint Pierre.

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Bernard Jugie, sans titre, panneau de bois peint et gratté, ph. et coll. Bruno Montpied

      J'avais repéré des indices de son activité de sculpteur et de peintre naïf et populaire en passant en voiture dans une rue de Billom (Puy-de-Dôme ; voir photo ci-dessus avec la boîte aux lettres, ph.B.M., 2012). Je poussais alors mes compagnons de route vers le Livradois en quête d'un château où se trouvaient peut-être de belles fresques naïves de l'époque napoléonienne (cette quête se heurta à une magnifique porte fermée). Quelques années plus tard, en 2012, on fit l'expédition directement à Billom pour savoir si on aurait plus de chances du côté de Billom. On appela l'intéressé au téléphone au préalable, grâce à l'entremise d'une créatrice de cette ville, Marie Paccou.

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Bernard Jugie, un renard obtenu par évidement d'un panneau d'aggloméré longuement travaillé, ph. et coll. B.M., 2012.

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Bernard Jugie, une lapine et ses lapereaux, ph. B.M., 2012.

 

     Qui se cachait derrière cette porte surmontée de tableautins naïfs (renard, oiseaux, faisans, nichoir, papillons...), on le découvrit bientôt avec bonheur. C'était un des ces créateurs solitaires qui produit des objets, des sculptures, des tableaux (fleurs, animaux, paysages) pour son plaisir et celui de quelques rares proches et amis... Un dépositaire d'un talent naïf, toujours aussi difficile à expliquer pour ce qui est de savoir pourquoi il avait élu domicile en ce corps-là, et pas ailleurs chez maints autres individus.

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Bernard Jugie, statuette sans titre, coll. privée, Paris, ph. B.M. 2012.

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Bernard Jugie, sans titre (fleurs dans un vase), vers 2012, ph. et coll. B.M.

 

      Bernard Jugie était modeste, parlait peu, et il était généreux. Je poussai à la roue pour acquérir des œuvres, conscient de l'éphémère de la situation. A trois, nous lui achetâmes quelques pièces qui sont pour le moment à l'abri. Est-il sûr qu'il en soit de même pour les œuvres que Jugie garda jusqu'à l'année suivante? On vient de m'apprendre en effet que la Camarde est venue l'année d'après le chercher. On aimerait savoir ce que deviennent les sculptures et peintures qu'il accumulait dans son petit musée sous les combles...

Bernard Jugie en portrait rapproché.jpg

Bernard Jugie, créateur à ses heures, ph. B.M., 2012.

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Joël Lorand dans une nouvelle galerie d'art singulier à Nantes, la galerie Perrine Humeau

     Tiens, ça faisait longtemps que je n'avais pas parlé de Joël Lorand, le globe-trotter de l'art singulier. II est toujours autant en recherche qu'au début. Après être passé par différentes périodes (les dernières étant les "personnages floricoles", les "boucliers cosmogoniques" et une série de dessins en noir et blanc - qui me laissent personnellement  sur ma réserve), le voici qui fait une incursion à Nantes dans une neuve galerie (ouverte en mars 2016) qui veut se consacrer à l'art singulier, plus qu'à "l'art brut" proprement dit (si l'on doit s'en référer aux créateurs et artistes choisis jusqu'à présent), la galerie Perrine Humeau, qui a déjà exposé entre autres Bernard Briantais (qui s'est fait connaître des amateurs d'art singulier en exposant préalablement au Manoir des Renaudières à Carquefou) et quelques créateurs venus de l'atelier de l'ESAT de Cholet.

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Joël Lorand, exposition du 2 février au 25 mars 2017. Coordonnées de la galerie en cliquant sur le lien ci-dessus.

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Scottie Wilson à la Galerie du Marché, Lausanne

 

     Une exposition d'œuvres d'un créateur classique de l'art brut – qui me paraissent inégales (si je dois penser que les œuvres exposées correspondent à celles qu'on voit sur le site de la galerie), mais baste, ça n'est pas si fréquent de voir des dessins de Scottie par ces temps de marché de l'art brut galopant – est organisée à la Galerie du Marché animée par l'affable Jean-David Mermod à Lausanne, du 25 janvier au 11 mars. Le danger avec les dessins de Scottie Wilson, c'est leur propension à tomber parfois dans le décoratif. Toutes les œuvres affichées sur le site web n''échappent pas toutes à cet écueil. Je n'ai pu m'empêcher d'être un peu déçu, surtout après avoir d'abord découvert l'œuvre ci-dessous que proposait comme une amorce alléchante le mail d'annonce de l'expo...

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Scottie Wilson, sans titre, technique mixte, 50x70 cm, Galerie du Marché

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Jean-Marie Massou est édité en disque chez un nouveau label dont le titre me rappelle quelque chose...

 

      Il y a quelque temps, j'ai parlé de M. Olivier Brisson et de son projet d'éditer un enregistrement des complaintes et autres mixages sur radio K7 de l'ermite de la forêt de Marminiac, Jean-Marie Massou, dont il nous dit qu'il n'a plus trop d'énergie désormais pour descendre dans les galeries qu'il a creusées durant des décennies à la recherche d'on ne sait quelle civilisation préhistorique (ce qu'il m'avait confié en 1987 lors de ma visite chez lui en compagnie de Gaston Mouly). Eh bien, le projet vient de se réaliser, un disque vinyl vient d'être réalisé (zut, je n'ai plus de platine...) avec cartes de téléchargement aussi (je n' y comprends plus rien à ces nouveaux supports... Le CD me paraissait pourtant bien pratique et bien plus simple). Il  fixe les expérimentations de Massou. Olivier Brisson, avec deux de ses compères (Matthieu Morin - ce nom me dit quelque chose... - et Julien Bancilhon - on comprend qu'il s'occupe de vinyls avec un tel nom, où l'on entend déjà du sillon sur un banc...), paraît passionné de mettre en lumière la possibilité d'une musique brute, moi, je dis "d'outre-normes" pour éviter toute possibilité de confusion. Pour ce faire, il a fondé, après un premier label qui s'appelait, si j'ai bien compris, "Vert pituite la Belle", une nouvelle collection... "La Belle Brute"... Fondée au milieu de 2016. Tiens? Ça ne vous rappelle rien?

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Curieux titre que ce "volume 1" de "musiques" de Jean-Marie Massou... Comment le décrypter? Une plateforme de départ en voyage pour la sodomie... ? (Sodo...rome, comme il ya des aérodromes, des vélodromes...?)

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Vous vous souvenez d'elle...? (Voir "la boutique du Poignard subtil" dans la colonne de droite de ce blog...)

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"Introspective" Michel Nedjar au LaM, une exposition d'art contemporain

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      Je n'ai pas grand-chose à ajouter au laïus du LaM qui annonce la rétrospective Nedjar, artiste et fondateur de l'association l'Aracine (à quand une expo aussi pour Claire Teller et Madeleine Lommel, qui restèrent infiniment plus discrètes?) dans ses locaux à Villeneuve-d'Ascq du 24 février prochain jusqu'au 4 juin. Tout y est dit (un bémol pourtant sur le "à la croisée de l'art brut et de l'art contemporain") :

"Michel Nedjar (1947), artiste à la croisée de l’art brut et de l’art contemporain, est l’un des membres fondateurs de l’association L’Aracine qui donna son exceptionnelle collection d’art brut au LaM en 1999. Ses poupées de chiffon et de boue sont à ce jour ses œuvres les plus connues, alors même que son importante production artistique est loin de s’y limiter. À travers cette nouvelle exposition, explorez toutes les facettes de son œuvre : poupées bien sûr, mais aussi sculptures, dessins, peintures et films expérimentaux, de 1960 à 2016, ainsi que les thèmes qui sous-tendent l’ensemble de son travail : l’enfance et le primitivisme, la vie et la mort, la magie et le voyage."

      Si je n'ai aucune inclination pour ses poupées "de chiffon et de boue" (qu'à part moi, je surnomme "les étrons"), je dois reconnaître avoir été plus enchanté par ses poupées "Pourim", que j'ai aperçues dans un livre édité par Gallimard,art singulier à carquefou,manoir des renaudière,chantal giteau,gilles manero,art spontané,musée de l'art spontané,rosanna brusadelli,bernard jugie,dreamdew,sasha vlad,art populaire contemporain,jeanne devidal,agathe oléron,joël lorand,galerie perrine humeau,galerie du marché,jean-david mermod,scottie wilson,jean-marie massou,la belle brute,olivier brisson,musique d'outre-normes ou bien encore ce qu'il appelle ses poupées "coudrées", comme doit en faire partie la "poupée" ci-après (j'espère ne pas me tromper). Du côté de ses peintures et de ses dessins, on sent une grande influence des œuvres d'art brut qu'il connaît fort bien, et dont, pour cette raison même,  il ne peut faire partie, à moins qu'on ne brouille toutes les notions.

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Michel Nedjar

 

25/12/2016

Les épouvantails de Denise et Maurice en voyage à Mamers (Sarthe)

       Qu'on se le dise dans les bocages et ailleurs, le film de Remy Ricordeau, Denise et Maurice dresseurs d’épouvantails, sera projeté en sa présence le mardi 24 janvier à 20h au cinéma Rex de Mamers (dans la Sarthe) ainsi que le dimanche 29 du même mois à 14h dans le cadre du festival "Regards sur le monde rural". M'est avis qu'on devrait trouver aussi à cette occasion le livre au titre éponyme publié dans la collection La Petite Brute (éd. L'Insomniaque). Et, non, avant qu'un commentaire ne s'empare de la question, autant préciser tout de suite que le maire de Mamers n'est pas Noël Mamère (ce serait trop beau)...

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On reconnaît, sur la photo de l'affiche, l'oie Fifi du couple créateur d'épouvantails, en train de défendre son épouvantail favori.

24/08/2016

Youen Durand et ses tableaux de coquillages à Lesconil, plus que quelques jours...

    Le temps file, c'est terrible, plus que quelques jours, cela s'arrête le 4 septembre au Temple des Arts à Lesconil-Plobannalec, près de Concarneau.

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    Ils ont monté là-bas une grande exposition sur un des héros de la région, qui créa de magnifiques tableaux en mosaïque de coquillages (pesant parfois plus de 20 kg) dont le rendu n'a rien à voir avec la recherche de clinquant d'un Paul Amar, autre spécialiste de l'assemblage (plus arcimboldesque) de coquillages, puisque Youen Durand  cherchait avant tout à conserver aux coquillages leurs couleurs naturelles (il se limitait à passer un vernis incolore qui visait à valoriser ces couleurs ; le problème de ces vernis étant par contre parfois de recouvrir avec le temps l'ensemble des compositions d'un glacis jaune).

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Seul manuscrit retrouvé de Youen Durand, où il décrit sa technique ; extrait du livre de M-C. Durand, Yves Durand, l'art des coquillages, Calune éditeur, Kereun, 2015

 

    Youen Durand (ou Yves Durand), souvenez-vous, je l'ai déjà évoqué lorsque j'ai parlé de l'exposition récente du musée de Laval "De bric, de broc", où trois de ses tableaux étaient exposés. Né en 1922, avec une jambe handicapées, d'abord tailleur puis directeur de la criée de Lesconil, d'opinion communiste, il est disparu en 2005, trois avant que son exégète, Marie-Christine Durand, au nom homonyme, sans lien de parenté avec lui, elle-même artiste (spécialisée, semble-t-il, dans l'assemblage d'épaves) se passionne pour son œuvre qui jusque là végétait dans un débarras de la mairie.

youen durand,lesconil,temple des arts,mosaïque de coquillages,art modeste,marie-christine durand,paul amar,pierre darcel,callune éditeur     Elle en a fait un livre-album où elle donne beaucoup de renseignements sur la vie et l'œuvre de ce créateur autodidacte qui s'était constitué une solide culture en lisant et en visitant des expositions, comme par exemple du côté de Pont-Aven (cela aura été un des mérites de Paul Gauguin et de ses amis d'avoir pris fait et cause pour la culture populaire bretonne, et d'avoir dans un retour inattendu suscité aussi des intérêts artistiques chez des hommes du peuple).

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Yves Durand, Ballet aquatique, 67x78 cm, 1988, coll. privée ; extrait du livre de M-C. Durand

 

     A partir des albums de photos d'œuvres (datées et titrées) que Youen Durand avait pris soin de laisser derrière lui, le livre recèle un inventaire en photos et en fiches descriptives de ces tableaux aux thématiques diverses (maquettes de bateaux, ports, scènes mythologiques ou allégoriques, la musique, les animaux, les travailleurs de la mer, le cinéma, la famille, les enfants). On y trouve également une photo du grand tableau didactique où le collecteur de coquillages (apportés par les marins qui le connaissaient) donne toutes sortes d'explications au sujet des mollusques utilisés. Notons aussi que Youen Durand laissa derrière lui un certain nombre de tableaux naïfs que le livre présente en annexe. François Caradec, dans son livre Entre miens (Flammarion, 2010), au chapitre "Naïfs", consacre une notice  (datée de 1997) à ce créateur., où il souligne à quel point pour Durand son œuvre était en rapport avec la recherche de record (de poids, d'heures passées, etc.). On a déjà rencontré cette caractéristique chez de nombreux auteurs d'art brut ou d'environnements (Cheval, Charles Billy, Marcel Vinsard, etc.). Il est à rapprocher de Paul Amar (avec la différence que je pointe au début de cette note), et peut-être surtout d'un autre Breton, Pierre Darcel, que j'ai évoqué dans Eloge des jardins anarchiques et qui apparaît dans le film Bricoleurs de paradis, au milieu de ses statues et bas-reliefs en mosaïque de coquilles St-Jacques, palourdes et moules.

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Yves Durand, Le berceau, 100x80 cm, 1998, coll. municipale ; extrait du livre de M-C. Durand

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Pour se procurer le livre de Marie-Christine Durand : "Les Amis de Youen Durand", Kereun, 29740, Plobannalec-Lesconil. Tél: 02 98 82 22 25, et lesamisdeyouendurand@orange.fr/. Voir aussi le blog http://latelierkereun.blogspot.fr, rubrique Yves Durand.

18/08/2016

René Rigal à la Maison du Tailleu, chez Michelle et Jean Estaque

Expo Rigal à la Maison du Tailleu en 2016.png

Exposition René Rigal à la Maison du Tailleu du 1er août au 4 septembre 2016 (La Maison du Tailleu : Place de l'Église, 23000 (la Creuse), Savennes, France)

    "Jean et Michelle Estaque seront heureux de vous recevoir pendant la durée de cette exposition tous les week-ends et jours fériés de 15h à 19h et sur rendez-vous au 05 55 80 00 59".

     L'exposition dont il est question dans le petit message ci-dessus concerne l'œuvre de René Rigal, cet ancien cheminot de Capdenac qui sculpta des personnages filiformes dans de longues branches durant des années. Il chercha à les exposer dans des locaux et galeries de sa région, comme par exemple à la galerie La Menuiserie de Rodez, mêlant ainsi son œuvre d'autodidacte rustique – on pourrait aisément le ranger dans l'art rustique moderne avec Gaston Chaissac, qui inventa le terme, ou Gaston Mouly – à celles d'artistes contemporains provinciaux.

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René Rigal, Eve enlacée par le serpent, sans date, coll. privée Capdenac, ph. Bruno Montpied, 2012

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René Rigal, détail d'un bouliste, coll. privée Capdenac, ph.B.M., 2012

    Ses œuvres, dont bien des exemples sont conservés par sa femme au prénom – prédestinant pour un mari cheminot – de Micheline, sont variées et originales, recherchant l'audace dans leur conception.

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René Rigal, groupe de pèlerins de Saint-Jacques, coll. privée, ph. inconnu, archives famille Rigal

 

   Même parmi les nombreux cas de transformateurs de branches en figures fantastiques ou réalistes, il fait figure de novateur. Le plus proche de lui étant peut-être Emile Chaudron qui dans la Haute-Marne, à Prez-sous-Lafauche, sculptait les brindilles, les branchettes d'épines ou de mirabelliers, créant comme une écriture arachnéenne proche des idéogrammes asiatiques. Ce dernier, qui était sculpteur sur meubles à la base, naïf malgré tout, exposa dans des salons parisiens ou régionaux, tout en se constituant un petit musée personnel qu'il ouvrit au public à partir de 1961 dans son village.

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Emile Chaudron (disparu en 2014), autre sculpteur sur bois, rayonnages où sont désormais présentées ses œuvres dûment légendées dans le petit (et nouveau) musée "aux branches" municipal de Lafauche, ph. B.M., 2016

 

12/08/2016

Cecilia Gimenez et l'art naïf de certaines églises françaises (Journal de voyage en Espagne, 2)

    C'est l'été, je ne vous apprends rien. Et me revient tout à coup l'évocation que je fis sur ce blog du Christ restauré (rénové, je préfère dire!) par Mme Cecilia Gimenez dans une chapelle à Borja, non loin de Saragosse. Voir cette note (adornée de pas moins de 66 commentaires en son temps...). Les travaux préparatoires de cette restauration furent suspendus lorsque les paroissiens et les fanatiques du patrimoine religieux espagnol s'effrayèrent devant l'état transitoire de la dite restauration. Mais à mes yeux, et à ceux de quelques autres admirateurs de la geste brute, cet "état transitoire" paraissait une œuvre de plein droit, relevant involontairement de l'art brut. Elle est d'ailleurs restée en place (en tout cas, elle l'était encore à l'été 2015, lorsqu'une équipe du Poignard Subtil passa la voir), puisque, devenue phénomène de foire, attirant les foules en raison d'une notoriété ambiguë, la modification au départ vue comme sacrilège s'était transformée en bizarrerie digne d'être contemplée.

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Les deux états du Christ peint par un certain Martinez à gauche et par Gimenez à droite...

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Situation en 2015 du Christ de Mme Gimenez dans l'église du Sanctuaire de la Miséricorde, à côté de Borja, ph. Bruno Montpied

Le christ (2) restauré par C G, 2015, phénomène médiatique_edited.jpg

Le Christ refait par Mme Gimenez est sacralisé désormais par une plaque de verre destinée à le protéger, ph. B.M., 2015 

 

    Relevant involontairement de l'art brut... Ou de l'art naïf religieux. C'est une photo de tableau dans une église auvergnate, récemment transmise par le camarade Régis Gayraud, qui m'a fait faire le rapprochement. Je trouve qu'il y a un apparentement possible chez certaines figures de ce tableau avec le christ gimenézien. Comme si cette dernière avait été sur la voie d'une vision bruto-naïve...

Egliseneuve d'Entraygues, tableau religieux naïf, ph Régis.jpg

Tableau naïf dans l'église d'Egliseneuve d'Entraigues (Puy-de-Dôme), ph. Régis Gayraud, 2016

09/08/2016

Une affiche de la Collection de l'art brut fort originale

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Affiche éditée par la Collection de l'art brut de Lausanne à l'occasion de son exposition des 40 ans de sa fondation ; les auteurs d'art brut représentés dans les 17 médaillons encadrant la composition (où l'on reconnaît en bas le château de Beaulieu, qui abrite la Collection) sont, en partant de la gauche en bas : Carlo, Pascal-Désir Maisonneuve, Augustin Lesage, Joseph "Pépé" Vignes, Louis Soutter, Adolf Wölfli, Elisa Bataille, Laure Pigeon, Aloïse, Madge Gill, Simone Marye, Emile Ratier, Miguel Hernandez, Juva, Francis Palanc, André Robillard (seul vivant de la série), et Jules Doudin.

       L'auteur de l'affiche, les amateurs l'auront reconnu, est Guy Brunet qui a sans doute voulu, à cette occasion, gratifier la Collection d'un œuvre très originale, à la fois dans la perspective de sa propre œuvre, avant tout axée comme on sait sur un éloge dithyrambique du cinéma américain et français d'avant les années 1970, et à la fois dans la perspective de l'art brut. Il a été exposé l'année dernière en effet à Lausanne, qui, de ce fait, l'adoubait comme auteur d'art brut (terme que je préfère de loin à "artiste", bien que ce mot soit utilisé par Brunet lui-même dans les textes inscrits au bas de l'affiche ; "auteur" ou "créateur" sont en effet plus adaptés qu'"artiste" qui donne une fausse idée de l'usage social qui est fait de l'art par la majorité des individus collectionnés sous l'étiquette d'art brut). On conçoit donc que Guy Brunet se sente redevable vis-à-vis de cette Collection qui a consacré de manière si éclatante sa vision (il se campe en réalisateur de films documentaires  sur l'histoire du cinéma, les confectionnant avec les moyens du bord, et faisant converger en eux toute une "armée" de silhouettes peintes représentant acteurs et producteurs, qu'il fait bouger devant ses caméras, des fresques et des emboîtages peints pour les décors, et toute une flopée d'affiches peintes sur papiers divers de très grand format, qui sont des transpositions d'affiches ayant existé).

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Guy Brunet devant ses personnages découpés en silhouettes peintes, ph. Bruno Montpied, 2012

 

    Ce qui est original dans cette affiche dans la perspective des auteurs d'art brut, c'est que l'on rencontre ici un des premiers cas – voire l'unique cas – où un des auteurs de l'art brut peint une sélection  de ses congénères (17 personnages, choisis subjectivement). L'art brut, on le sait, est plutôt une collection d'individualistes forcenés, œuvrant avant tout pour eux-mêmes, sans souci des autres, ne cherchant pas nécessairement à être reconnus tant ils sont avant tout le siège d'une pulsion expressive qui ne s'accommode d'aucun besoin vénal, d'aucun besoin d'autres regards dans  l'immédiat ("dans l'immédiat", parce qu'il est entendu que, peut-être, sur un plan différé, absolu, ils recherchent obscurément un contact avec un autre quel qu'il soit, un autre qui soit à l'écoute). Ici, avec cette affiche, qui fut probablement commandée qui plus est (on aimerait le savoir) par les responsables de la Collection (qui eut l'idée? Sarah Lombardi?) – ce qui est aussi une première me semble-t-il à Lausanne –, on a poussé un auteur d'art brut à dialoguer par delà les âges avec d'autres auteurs, réalisant ainsi ce que j'avance dans la parenthèse ci-dessus, permettre enfin le contact sur un plan absolu de tous ces enfants perdus les uns avec les autres...

    Mais en passant cette commande, on peut se demander s'il n'y a pas eu remise en question implicite des caractéristiques autarciques de l'art brut, tel qu'il était conçu à l'origine par Jean Dubuffet ou Michel Thévoz. Et, curieusement, cette remise en question aura été opérée par les gardiens de la collection principale de l'art brut eux-mêmes... Et pourquoi pas?

10/07/2016

Il existe des voitures-objets comme il y a des cercueils-images

      Les commentaires de Régis Gayraud qui ont suivi ma note sur les habitats en tonneau (et non pas "ma tonne sur les habitats en auto"), plus une référence donnée par celui-ci en privé, m'ont fait revenir en arrière au temps des caravanes publicitaires du Tour de France. C'est vrai que, fût une époque, on considérait les camionnettes construites dans la forme des marchandises qu'elles servaient à vanter comme de hideuses choses montées sur roues. On voyait la laideur de la marchandise avant tout.  Aujourd'hui que ces marchandises se sont un peu démodées, on aperçoit davantage ce que certaines de ces camionnettes-objets avaient d'insolite dans leur prétexte à publicité. Déconnectées de cet aspect, elles peuvent même, comme me l'a écrit Régis, revêtir un charme proprement onirique, un peu comme, par analogie, ces cercueils du Ghana sculptés en formes d'objets ayant un rapport avec le défunt.

Camion Bottin TdF (idée de Félix Aublet) 1952.jpg

Un camion Bottin, le conducteur coincé en sandwich entre deux bottins... Extrait de ce site web où l'on trouve des exemples de voitures publicitaires des caravanes du Tour de France des années 1950-1960: http://customrodder.forumactif.org/t1182p15-les-vehicules...

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Camion du cirque Bonetti, un peu moins surprenant, cela dit...

Camion Bic TdF.jpg

Le camion Bic, de style nettement plus futuriste-daté...

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La camionnette-bonbonne de Butagaz, un peu angoissante, et chère à Régis Gayraud

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Cette voiture-ci faisait-elle partie des caravanes du Tour de France? Cela est moins avéré ; à noter que son idée provient peut-être de la notion de queue de poisson...

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Et pour finir, un cercueil ghanéen en forme de poisson (image découlant logiquement de la précédente), peut-être pour un pêcheur défunt? Ph. Thierry Secrétan

 

 

22/06/2016

Info-Miettes (28)

     Et voici un nouveau bouquet, ou plutôt panier, d'Info-miettes, qui suggèrent quelques pistes de voyage pour cet été aux uns et aux autres, mais aussi quelques idées pour rester résolument sédentaires à l'abri des flux touristiques...

 

Darnish exposé au Petit Casino d'Ailleurs

darnish, petit casino d'ailleurs, architectures babéliennes, maquettes, collages, cinéma     Le vernissage aura lieu le 26 juin. Darnish  expose, dans cet espace, situé à Ault dans la Somme (tout près de chez Caroline Dahyot), ses constructions babéliennes constituées de fragments de photos extraites de magazines, de peinture, de collage de papiers divers  dont j'ai déjà parlé à plusieurs reprises sur ce blog (voir ci-contre ce que Darnish intitule un "volume sans titre", hauteur 80 cm). Certaines d'entre elles se présentant comme des décors pour des éléments isolés, des silhouettes d'hommes ou de femmes comme évadés d'un film hollywoodien, ou bien réaliste poétique français, pour être projetés dans un monde souvent désert, infiniment plus kafkaïen (voir ci-dessous un bâtiment où apparaît le personnage joué par Bourvil apparemment dans La traversée de Paris)...

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Exposition "tout l'été", ouverte principalement le mercredi matin, les week-end, ou sur RDV au 06 08 37 90 97

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Roberta Trapani soutient une thèse à Paris: "Patrimoines irréguliers en France et en  Italie. Origines, artification, regard contemporain "

     Roberta Trapani appartient au CrAB (Collectif de recherche en Art Brut) et s'intéresse depuis plusieurs années aux environnements spontanés, sans se limiter, comme moi, aux créateurs populaires, mais en débordant vers un questionnement des possibilités d'un habitat autre, envisagé par les habitants ayant une conception inventive de l'architecture et de l'environnement. Elle a ainsi réalisé une thèse sur le sujet (menée sous la codirection de Fabrice Flahutez (Université de Paris-Ouest Nanterre La Défense) et d'Eva di Stefano (Università degli Studi di Palermo), avec qui elle collabore aussi régulièrement dans l'édition de la revue italienne OOA, sur l'art outsider). Elle s'apprête à la soutenir bientôt (pas Eva di Stefano, mais sa thèse...).

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      Cette soutenance, ouverte au public, aura lieu le mardi 28 juin prochain à l'Institut national d'histoire de l'art à 14h30 (INHA, Paris, 2 rue Vivienne, salle Fabri-de-Pereisc, rez-de-chaussée).

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Un passionné d'allumettes, Bernard Beynat, au musée du Veinazès

     Ce petit musée privé, dont j'ai déjà parlé aussi, notamment à propos du créateur d'un environnement nommé René Delrieu, dont des œuvres ont été abritées et protégées de l'anéantissement par ce musée, se trouve dans le Cantal non loin d'Aurillac.darnish,petit casino d'ailleurs,architectures babéliennes,maquettes,collages,cinéma,bernard beynat,musée du veinazès,architecture alternative,roberta trapani,soutenances de thèse,osservatorio outsider art,environnements spontanés,inha,crab Ses animateurs essayent d'enrichir ses collections, à partir de découvertes opérées semble-t-il la plupart du temps dans la région. Leur expo d'été (en lien le dossier de presse avec tous les renseignements pratiques pour venir au musée), intitulée "L'extraordinaire épopée d'un peuple d'allumettes", présente cette fois Bernard Beynat, un passionné de maquettes et de figurines en allumettes assemblées et mises en couleur.darnish,petit casino d'ailleurs,architectures babéliennes,maquettes,collages,cinéma,bernard beynat,musée du veinazès,architecture alternative,roberta trapani,soutenances de thèse,osservatorio outsider art,environnements spontanés,inha,crab On est, semble-t-il, dans l'exploit, le tour de force, l'habileté manuelle. Le personnage est épris d'Histoire et de monuments. il n'a pas hésité à déborder dans son jardin pour réaliser un village miniaturisé auquel il n'hésite pas à mêler des bâtiments inspirés de la Rome antique ou de l'Asie.

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 Pétition de soutien au maintien de l'émission de Philippe Meyer sur la chanson française sur France-Inter

     Au nombre de mes intérêts, je compte la chanson littéraire, poétique ou insolite francophone, qui, comme les cartes postales en matière de médium photographique populaire, est un vecteur de masse de la poésie pour le plus grand nombre. Il y a peu d'émissions de qualité je trouve sur la chanson dite  "à texte". Celle de Philippe Meyer, "La prochaine fois, je vous le chanterai", qui existe depuis 2002, hebdomadaire (tous les samedis à midi), en est une. Elle est actuellement menacée pour des raisons obscures (l'animateur de l'émission ne peut être, paraît-il, à la fois sur France-Culture et sur France-Inter ; il y a bien sûr une autre raison moins avouable). On m'invite à signer la pétition qui circule actuellement sur le site Mes opinions.com. Je l'ai fait ce matin, à vous de voir si vous voulez en faire autant.

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Claude Massé au Musée de la Création Franche cet été

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Joseph Sagués, donation Claude Massé (dans la collection permanente du Musée de la Création Franche), photo Bruno Montpied, 2009

Expo "Patots et autres de l'art", du 24 juin au 4 septembre, au Musée de la création franche à Bègles. "L'inauguration, le vendredi 24 juin à 18h au musée, sera précédée d'une rencontre, le "Grand partage de la Création Franche", autour du livre que lui consacre Serge Bonnery, Claude Massé l'Homme liège (éditions Trabucaire), à la Bibliothèque de Bègles le vendredi 24 juin à 16h30. Ce rendez-vous sera suivi d'une séance de signature."

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Exposition de Jean-Louis Bigou, artiste et pas seulement découvreur de talents immédiats

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Et toujours à Villeneuve-les-Genêts, l'expo de mes photos d'après des environnements spontanés...

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Café "Chez M'an Jeanne et Petit-Pierre", sans M'an Jeanne et Petit Pierre, mais avec d'autres inspirés ; vue de l'expo de photos de Bruno Montpied dans l'ancienne salle de bal de ce café de village réaffecté grâce à l'action de l'association Puys'art animée par Fabienne Clautiaux, ph. B.M., 28 mai 2016

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Alain Bouillet expose sa collection dans le Rouergue: "De l'humaine condition"...

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Très bonne collection d'art brut au sens orthodoxe du terme (des non artistes, des créateurs s'exprimant en dehors de tout souci d'être reconnus, pour eux-mêmes avant tout, en quêtant peut-être à travers une telle pratique un réconfort, un sursis existentiel, un enchantement dans leur vie...), que celle d'Alain Bouillet, qui l'a déjà montrée l'année dernière à Bages, et qui en a tiré un excellent catalogue où il raconte ses découvertes

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"Les unes et les autres" au Musée Singer-Polignac à Ste-Anne, derniers jours

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Jean-Louis Cerisier et ses mondes intermédiaires, Centre Kondas d'art naïf, Viljandi, Estonie, 28 mai - 3 août 2016

     Notre célèbre (de plus en plus, en tout cas, vers l'Est, ça a l'air bien parti..) artiste primitiviste, singulier, naïf, et historien de la singularité en Mayenne et ses bords, Jean-Louis Cerisier, est invité depuis le mois de mai dans le centre consacré à l'art naïf (fort intéressant) de Paul Kondas (dont on attend impatiemment une exposition en France). Cerisier est-il parti pour être notre nouveau Douanier Rousseau au XXIe siècle (ils sont tous deux originaires de Laval, patrie aussi de Jarry, Lefranc, Trouillard, Ambroise Paré  et Alain Gerbault, tous de grands visionnaires en somme)?

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Jean-Louis Cerisier "et ses mondes intermédiaires"... Tiens ? Cela me rappelle quelque chose, "intermédiaires" : "recoins" ? Ou "interstices"?

09/06/2016

Une nouvelle revue, "Profane", consacrée aux amateurs

      "Amateur, adjectif singulier invariant en genre : 1 Non professionnel ; 2 Connaisseur, intéressé par ; 3 Dilettante, négligent [plus péjoratif dans cette troisième acception donc...]. Nom singulier invariant en genre : 1 Personne pratiquant un sport, une activité, sans en faire sa profession ; 2 Dilettante." (Site web Le Dictionnaire)

     Amateur, c'est un terme qui a ma faveur lorsque je pense aux créatifs de tous poils, que l'on range aussi dans l'art brut, dans l'art naïf, dans l'art populaire insolite, contemporain ou ancien. On n'a pas affaire à un spécialiste, à un professionnel. Et l'on signifie aussi par là que l'individu en question est un passionné, un connaisseur, même s'il se révèle passionné de manière intermittente et dilettante. L'amateur, c'est celui qui aime.

      Par contre, on ne peut oublier non plus la dimension péjorative que prend aussi le mot: négligent, approximatif, peu rigoureux, désinvolte..., dimension qui personnellement m'éloigne parfois de choisir finalement cette épithète.

 

amateur                                      amateur

 

     Ce n'est pas cet aspect du mot bien sûr qu'ont choisi les animateurs de la nouvelle revue Profane, dont le deuxième numéro vient de paraître en avril dernier (le premier date d'octobre 2015). "Art d'amateur, amateur d'art" paraît en être, au moins pour ces deux premiers numéros, le sous-titre, donnant en creux l'intention des concepteurs et des animateurs de la revue, montrer le geste amateur dans toutes ses dimensions et variations et, simultanément, se montrer soi-même à travers cela, peut-être et avant tout, amateur d'art. Ce qui me déroute, moi qui suis plus enclin à l'exclure de mes champs d'investigation, c'est la passion de ces jeunes gens pour l'art contemporain. En effet, leur culture, leur formation paraissent  largement en procéder. Je ne rejette pas systématiquement l'art contemporain, me contentant de le regarder la plupart du temps de loin et sans passion (j'abhorre par contre ce que d'aucuns appellent "l'AC", c'est-à-dire l'art officiel contemporain, soutenu artificiellement par les grands argentiers, style Pinault, Vuitton et autres richards).

      Les rencontres qui se sont multipliées ces dernières années entre art contemporain et art brut sont peut-être responsables de ces mariages curieux qui naissent actuellement. Profane me paraît en être un exemple. On y trouve des articles (généralement courts et rapides à lire, ce qui est appréciable dans ce monde "communicant" et envahi de bavardage) sur la photographie amateur, sur des collections ou des pratiques en lien avec l'art populaire (la cochliophilie, c'est-à-dire la collectionnite des cuillers, la lucieextinguophilie (la collection des éteignoirs de chandelles), les coiffes bretonnes, les collecteurs de poésie naturelle...), les couronnes de palmes tressées en Corse pour le jour des Rameaux par exemple), mais aussi sur des créations d'autodidactes (patchworks en tissu, créatrice de tapis, fabricant japonais de figurines en papier), et des évocations de dadas parfois insolites (les fondus qui se rassemblent pour évoquer leur passion pour les palmiers par exemple).

amateur,revue profane

Sculpture de Jacques Servières, vallée de la Dhuys, photo de l'association Gepetto (Musée des amoureux d'Angélique, Le Carla-Bayle, Ariège), 2011 (photo non reproduite dans la revue Profane) ; cet artiste apparemment autodidacte, mais tout aussi apparemment non dénué de culture artistique (goût pour l'onirisme et les arts visionnaires ? On pense un peu aussi aux sculptures géantes du parc de Bomarzo ou à celles de la Villa Palagonia en Italie), récupère des pierres d'un pont bombardé pendant la guerre dans la région ; ses œuvres, de proportions conséquentes, émaillent les berges de la Marne, proposant une promenade fort séduisante...

 

      Outre des entretiens avec certaines personnalités (comme Hervé di Rosa, le "pape" de l'art modeste), les articles qui m'intéressent le plus sont ceux consacrés par exemple dans le n°2 de la revue à l'appartement de Boris Vian, Cité Véron (on nous indique dans la revue un contact pour aller le visiter), dont je n'avais jamais eu l'occasion personnellement de voir des photos, ou encore aux sculptures surréalisantes-naïves de Jacques Servières, installées en plein air le long de la Marne du côté de Lagny, "à quelques pas de Disneyland", avec qui elles n'ont rien à voir (petite critique cependant ici, les photos choisies pour illustrer l'article sont toutes  soit des détails soit des gros plans, aucune ne donnant le contexte plus général dans lequel s'insèrent les  statues).

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Sur cette page du n°2 de la revue Profane, nous est présenté un tableau au naïf onirisme de Robert Véreux (on n'en voit pas souvent, personnellement, c'est la première fois que j'en vois une reproduction), intitulé Grands-pères volants, encore installé aujourd'hui dans l'appartement de Boris Vian ; l'auteur de l'article sur celui qui signait parfois "Bison Ravi" ne paraît pas connaître le nom véritable de Robert Véreux (dont le nom à lui seul était déjà une promesse de pastiche et de supercherie...), en réalité un certain docteur Robert Forestier (1911-1969), comme l'a signalé Lucienne Peiry dans son ouvrage de 1997, L'Art brut (voir la notice à lui consacrée p.300); il s'était fait passer aux début  de la constitution de la collection de l'Art brut de Dubuffet, auprès de Michel Tapié, pour un faux "malade mental", créateur autodidacte, mais pour le coup véritable peintre naïf visionnaire, producteur d'une œuvre qui mériterait d'être plus connue...

 

     Mon attention a été attirée sur cette revue par Pascal Hecker, le libraire de la Halle St-Pierre à Montmartre que je remercie ici par la même occasion (on trouvera bien entendu la revue avant tout dans cette librairie). Le n°1 contenait aussi un article non signé évoquant –croyait son auteur– "pour la première fois" les peintures d'un anonyme seulement désigné par ses initiales: "A.G.". Quelle ne fut pas ma surprise de reconnaître sous ce monogramme (il est vrai, seule signature que l'on retrouve apposée sur ses petits tableaux sur supports récupérés) "mon" Armand Goupil, dont je  m'évertue depuis plusieurs années à faire connaître, et reconnaître, l'œuvre tendre et humoristique restée cachée pendant plus d'une trentaine d'années après sa disparition (1964) et celle de son épouse (1988)... L'article du n°1 commettait quelques petites erreurs et approximations, comme celles qui consistaient à le présenter comme "médecin", peignant uniquement au revers de boîtes de lessive des œuvres qui n'auraient été réalisées qu'entre "1957 et 1963", œuvres qui seraient toutes la propriété d'un "collectionneur bruxellois amoureux de l'art brut"...  Tout ceci n'était pas exact. En réalité, il semble que ce soit plus d'un millier de peintures réalisées sur des supports infiniment plus variés qui sont aujourd'hui dispersées chez plusieurs collectionneurs et brocanteurs (j'en possède moi-même un certain nombre).

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Armand Goupil, Seule dans les bois, 17-XI-1952, marqué "n°57" au verso, photo et coll. Bruno Montpied

 

     Je proposai donc à deux animateurs de la revue de rétablir quelque peu les faits pour leur n°2, ce qu'ils acceptèrent avec la meilleure grâce du monde. J'ai ainsi pu donner le nom complet de cet autodidacte de l'art, et donner plus d'éléments véridiques à son sujet, comme les dates de sa création (il touchait depuis sa jeunesse à la peinture, mais sa production s'envola en flèche à partir de sa mise à la retraite en 1951, se poursuivant jusqu'à sa mort en 1964, où il fut victime d'un AVC). Mon article s'intitule A.G.? Armand Goupil et son théâtre intime. Je renvoie tous les amateurs à lui...

14/05/2016

Le système m'a tué

alimamy-jangue, yeah the system bit me down, 49x38cm, coll JC Millet.jpg

Yea the system bit me down ("Oui, le système m'a détruit"?), peinture sur contreplaqué, 49x38 cm, sans date, par un certain Alimamy Jangue, coll. J-C. Millet

 

     La peinture ci-dessus est encore un de ces mystères tels que les brocantes et autres vide-greniers nous en fournissent régulièrement. Ici, en l'occurrence, le mystère est venu entre les mains d'un de mes lecteurs, M. Millet, que ce blog a déjà mentionné à l'occasion d'un soi-disant dessin séditieux à thème bonapartiste délirant. Comme on peut s'en rendre compte, il s'agit du portrait d'un personnage passablement prostré, aux pieds duquel sont semés les débris d'expédients divers, bouteilles et flacons  d'alcool, de nombreux joints, un gros domino (symbole de jeu d'argent?), un paquet de tabac. M. Millet relève que les inscriptions à droite de l'image, "dem oof me bata, dem oof me fela", sonnent comme les vers d'une chanson, dont il ne reconnaît  cependant pas la langue.

     En ce qui me concerne, j'aurais tendance à penser, comme lui, que ce tableau curieux et atypique provient d'Afrique de l'Ouest, d'un pays anglophone peut-être (Nigéria? Ghana?), et que ses textes sont de l'anglais déformé, peut-être mâtiné de termes africains... L'hypothèse qu'il illustre une chanson connue en Afrique est plausible et envisageable. Son personnage a la peau brune en tout cas. Mais l'on pourrait aussi penser à la peinture accusatrice d'un immigré d'origine africaine, exécutée en Europe par quelqu'un qui ferait l'amer constat de son rejet par ce qu'il avait pris illusoirement au départ pour un pays hospitalier. On pense aussi aux peintures à contenu engagé, de propagande, de peintres congolais, comme Cheri Samba par exemple. Le nom inscrit au bas du tableau, "Alimamy Jangue", peut indiquer qu'il s'agit d'un individu parlant le soninké, "Alimamy" voulant dire "imam" dans la langue de ce peuple qui s'est répandu dans plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest, dont le Mali, la Mauritanie, et la Gambie, seul pays anglophone parmi ceux où le peuple soninké est présent.

    Peut-être que mes lecteurs auront d'autres lumières à nous communiquer sur cette peinture?

01/05/2016

La Petite Brute, dates à retenir, film en avant-première, exposition, deux autres titres à paraître, Denise et Maurice, Marcel Vinsard...

      Denise, c'est Denise Chalvet, et Maurice, c'est Maurice Gladine. J'ai parlé d'eux ici même, ainsi que dans un numéro de Création Franche (« Un carnaval permanent dans l’Aubrac, les "épouvantails" de Denise et Pierre-Maurice », Création Franche n°38, juin 2013). Leurs mannequins, invention qui est plus l'apanage de Denise que de Maurice, qui la seconde, surtout sur un plan technique (par exemple dans le débitage des bois, leur taille, le déplacement des figures, etc.), sont semés sur une colline et un peu autour de leur ferme sur les contreforts de l'Aubrac.

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La colline aux mannequins-épouvantails de Denise Chalvet et Maurice Gladine, photo Bruno Montpied, 2014

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Denise Chalvet et Maurice Gladine, autres mannequins sur leur colline, ph.B.M., 2014

 

     Il en existe actuellement près de 400, certains restant stockés dans deux locaux, quelques-uns étant éliminés lorsqu'ils sont trop abîmés. Cette création d'épouvantails s'est affranchie de la fonction utilitaire de départ –épouvanter les oiseaux de proie qui pouvaient s'attaquer à leurs volailles– se transformant en prétexte de la créatrice pour camper en plein champ des figures expressives, leurs visages violemment bariolés, couronnant des parures à la fois élégantes et rustiques, trait peu commun chez les épouvantails. On a là, à l'évidence, un exemple de création populaire qui, partie d'une pratique traditionnelle en milieu rural, s'en est éloignée pour déboucher dans une activité innovante, nettement plus individualiste: ces  mannequins justement, outrageusement "maquillés", terme qu'emploie Denise Chalvet, qui ne dédaigne pas elle-même les cosmétiques, étant une femme plutôt coquette, presque excentrique, ce qui détonne dans ce milieu rural (voir son canotier).denise chalvet,maurice gladine,remy ricordeau,bruno montpied,collection la petite brute,l'insomniaque,épouvantails,mannequins en plein air,art populaire insolite,création franche,association puys'art,villeneuve-les-genêts,yonne,roméo gérolami,jacques burtin

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    Remy Ricordeau, dont j'ai parlé sur ce blog plusieurs fois, s'est emparé du sujet, à la fois pour en faire le troisième titre de la collection que je dirige à l'Insomniaque (la Petite Brute), Denise et Maurice, dresseurs d'épouvantails (dresseurs est à entendre à la fois comme dompteurs et comme habilleurs, bien entendu), et à la fois pour réaliser un film au titre éponyme, qui est joint en DVD au livre (disponible en librairie à partir du 15 mai, ne pas hésiter à le commander si vous ne l'y trouvez pas...; la librairie de la Halle St-Pierre sera la première servie bien sûr, où vous pouvez trouver aussi les deux premiers titres de notre collection, Visionnaires de Taïwan du même Ricordeau et Andrée Acézat, oublier le passé, de moi-même). La deuxième avant-première du film (la première ayant eu lieu récemment à St-Chély-d'Apcher, non loin de chez Denise et Maurice) aura lieu bientôt à Paris –le 11 mai à 19h– dans les splendides locaux de la SCAM (la Société qui perçoit les droits d'auteur des auteurs et réalisateurs de documentaires cinématographiques), avenue Vélasquez dans le 8e ardt. Si vous êtes intéressés, veuillez cliquer sur l'invitation jointe ici en lien (attention, il faudra confirmer votre venue). Des exemplaires du livre-film sur Denise et Maurice, et de Visionnaires de Taïwan, seront disponibles à la vente ce jour-là.

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Le Café associatif "Chez M'an Jeanne et Petit Pierre" à Villeneuve-les-Genêts, avant sa transformation par l'association Puys'art, ph Puys'art

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L'intérieur du Café animé par l'association Puys'art

 

      Le film sera également projeté au moins en deux autres occasions. D'abord le samedi 28 mai, pour accompagner un débat autour des inspirés du bord des routes que j'animerai au Café associatif "Chez M'an Jeanne et Petit Pierre", à Villeneuve-les-Genêts, dans l'Yonne (ce n'est pas loin de la Fabuloserie, des musées de Laduz (art populaire insolite)  et de Noyers-sur-Serein (art naïf et populaire)), à 15h, à l'invitation de l'association Puys'art, qui souhaite développer en Puisaye "un lieu de vie artistique et solidaire". Cela sera par la même occasion le lancement d'une exposition de mes photos (une bonne trentaine, de différents formats) sur divers habitants-paysagistes naïfs ou bruts, prévue pour se tenir dans ce café du 28 mai au 31 juillet. Sera également projeté, au même programme, "Rencontre avec Roméo" de Jacques Burtin, petit film de 17 minutes que nous avions improvisé Jacques et moi, lors d'une visite au fabricant de girouettes Roméo Gérolami, régional de l'étape, puisqu'il est basé à Bléneau (Yonne). Pour prendre connaissance du programme des animations proposées par Puys'art, c'est ici.

 

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René Escaffre, Roumens (Lauragais), un maçon (autoportrait de l'auteur peut-être), photo B.M. (ce cliché sera exposé à Villeneuve-les-Genêts en format 60x40cm), 2014

 

    Tous les livres édités au sein de la collection La Petite Brute seront disponibles à la vente (1, Visionnaires de Taïwan, 2, Andrée Acézat, oublier le passé, 3, Denise et Maurice, dresseurs d'épouvantails, et 4, Marcel Vinsard, l'homme aux mille modèles). En effet, le 4e titre de la collection, que j'ai écrit à propos d'un créateur d'environnement particulièrement peuplé (mille statues en polystyrène et en bois) situé en Isère, très peu chroniqué jusqu'à présent, sera présenté en avant-première au public des amateurs qui viendront à cette journée. Sa sortie en librairie est en effet plutôt prévue pour l'automne.

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Le projet actuel de couverture du 4e titre de la Petite Brute, Marcel Vinsard, l'homme aux mille modèles, de Bruno Montpied

     Enfin, une troisième date est à retenir, à nouveau pour les amateurs parisiens: le dimanche 19 juin, à l'auditorium de la Halle St-Pierre, où Remy Ricordeau et moi-même présenterons (et dédicacerons à ceux qui en feront la demande), l'après-midi, l'ensemble des quatre titres de la Petite Brute, après une projection du film Denise et Maurice, dresseurs d'épouvantails. Peut-être présenterons-nous en sus quelques photos en rapport avec les trois autres titres de la collection. Je ferai probablement un rappel de cette journée dans les semaines qui viendront.

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Le logo de la collection La Petite Brute

08/04/2016

Info-Miettes (27)

      Ma dernière volée d'infos-miettes remonte au 19 avril de l'année dernière. Cela ne veut pas dire un "Info-miettes" par an tout de même... En voici donc quelques-unes.

Une expo "Pépé" Vignes au Musée des arts buissonniers

Expo_Pepe_Vignes-recto musée des arts buissonniers.jpg       Pol Lemétais et l'association Les Nouveaux Troubadours montent une exposition sur cet étonnant dessinateur qui au ras de sa table, handicapé par sa vue déficiente, traçaient, entre autres, une légion de véhicules de tous types, cars, voitures, steamers, à l'aide de crayons de couleur ou de feutres. Les crayons de couleur tiennent mieux dans le temps comme on sait. Je connais un collectionneur amateur qui a vu ainsi  ses Vignes se volatiliser progressivement puisqu'il les avait imprudemment laissés à la lumière du jour.  A côté d'une centaine de dessins des années 1970 et 1980, on verra aussi à Saint Sever du Moustier (pas loin d'Albi) des objets, livres, photos et films en rapport avec ce "créateur emblématique de l'art brut". Cela apparaît comme une manifestation apportant du nouveau sur le sujet Pépé Vignes. C'est du 9 avril au 5 juillet.Expo_Pepe_Vignes-verso MAB.jpg

Pépé vignes ph JDLL, Illibérien.jpg

Joseph dit "Pépé" Vignes, photo JDLL (illibérien, c'est-à-dire, un habitant d'Elne), sans date

 

Et, pendant ce temps, Paul Amar à la galerie Nicaise à Paris...

photo Pa Au mus des arts buiss.jpg         Une autre vedette de l'art brut, cette fois plus contemporain, Paul Amar (voir portrait ci-contre, au musée des arts buissonniers où une salle lui est consacrée), est exposé quant à lui dans une galerie parisienne qui était plutôt connue autrefois comme une librairie vouée aux livres d'art, aux estampes, aux gravures. Il semble que Nicaise ait tourné sa veste en faveur des arts bruts. Elle a récemment exposé André Robillard, décidément devenu un incontournable de l'art brut (en dépit des coups de main qui cherchent à épauler ses bricolages de ci, de là ; je crois savoir que les fusils en assemblages de matériaux recyclés, il aimerait bien les abandonner pour se consacrer exclusivement au dessin et aux objets spatiaux, mais la commande l'en empêche et il est gentil, il veut faire plaisir et peut-être aussi que ça met du beurre dans les épinards). Voici que la galerie récidive avec Amar, connu pour ses assemblages de coquillages rutilants, et peut-être parfois un peu trop clinquants. Personnellement, dans ses travaux je préfère les petits monstres qui ressemblent parfois à des gremlins, proches parents des monstres que dessinait l'ancien gardien de la paix catalan, Josep Baqué, lui aussi présent dans les collections d'art brut. Cela durera jusqu'au 7 mai, c'est plus bref, donc.

Expo-Amar-Nicaise-620x880.jpg

 

Créations naïves et singulières en Mayenne... et en Pays de Loire

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        L'association CSN 53 reste toujours fort active. Après des expositions loin de France (chroniquées sur ce blog) , la voici qui revient au pays natal. Avec une brochette d'artistes et de créateurs que ses différents membres ont pris l'habitude de défendre: Cahoreau (qu'adore Michel Leroux, "l'égaré" de l'art obscur – label récupéré de la corbeille de Dubuffet), Cerisier, Chapelière (dont une œuvre sert d'illustration à l'affiche de l'expo, voir ci-dessus), Marc Girard, Céneré Hubert (un créateur populaire d'environnement dont plusieurs œuvres ont été sauvées par Leroux), Alain Lacoste (un grand ancien de l'art singulier), Patrick Le Cour (je connais pas), Joël Lorand (lui, on connaît), Serge Paillard ("l'homme aux patates", comme on commence à le surnommer ici et là), Jacques Reumeau, Antoine Rigal, et Robert Tatin (que sa veuve ne voulait surtout pas qu'on range dans l'art singulier, label qu'elle trouvait sans doute réducteur, à tort bien sûr). Et puis nos Mayennais, souvent protectionnistes (je taquine) et jaloux de leur "mayennité" (je re-taquine), ont daigné ajouter à ce premier lot des artistes des Pays de la Loire: Noël Fillaudeau (dont une belle sélection est désormais accrochée au Musée d'art naïf et d'arts singuliers du Vieux-Château à Laval), Stani Nitkowski (dont j'apprécie les premières œuvres et beaucoup moins les suivantes, plus "expressionnistes-explosives", invitant le public à lorgner sur ses souffrances, et à se complaire dans ce spectacle), François Monchâtre et Yvonne Robert (naïve, brute ou singulière?).Jardin de la Perrine, entrée discrète (2).jpg L'exposition se passe à Laval mais pas au Vieux-Château, plutôt au "musée-école de la Perrine", charmant hôtel particulier installé dans le jardin de la Perrine, à deux pas de la tombe du "gentil Douanier Rousseau" (auquel le Musée d'Orsay consacre comme on sait une grande rétrospective en ce moment à Paris, avec, paraît-il, l'exhibition du fameux tableau "Le Rêve", venu des USA, d'où il voyage rarement).

Musée-école de la Perrine (2).jpg

Musée-école de la Perrine, ph. Bruno Montpied, 2016

Tombe du Douanier Rousseau, 2016 (2).jpgLa tombe du Douanier Rousseau, avec, incisé à sa surface, le poème d'Apollinaire, Jardin de la Perrine, ph. B.M., 2016

 

Et la Fabuloserie continue d'exposer de manière décentralisée, Auxerre cette fois-ci

csn 53,art naïf,art singulier,paul amar,joseph pépé vignes,musée des arts buissonniers,musée-école de la perrine,douanier rousseau     "Itinéraires fabuleux" est le titre de l'expo montée à l'Abbaye St-Germain au Logis de l'Abbé du 26 mars au 13 juin à l'initiative de l'Espace d'Arts Visuels de la ville d'Auxerre. Cela se veut une rencontre entre les créateurs de la Fabuloserie (basée elle aussi en Bourgogne, à Dicy) et des œuvres de l'artothèque de la ville. Sur l'affiche on reconnaît une pierre peinte par Jacques Renaud-Dampel, dont j'ai déjà parlé ici, confrontée à une œuvre du célèbre membre du groupe Cobra, Karel Appel, cette dernière pièce (un poil infantile, un Appel à tarte, si j'ose m'exprimer ainsi) provenant sans doute de l'artothèque, car je ne sache pas qu'il y en ait à la Fabuloserie.

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 Sortie d'un nouveau livre sur Hauteville House de Victor Hugo

csn 53,art naïf,art singulier,paul amar,joseph pépé vignes,musée des arts buissonniers,musée-école de la perrine,douanier rousseau,fabuloserie,renaud-dampel      Paris-Musées édite un nouveau livre sur la maison étonnamment décorée que posséda Hugo à Guernesey. Je ne connaissais personnellement jusqu'ici qu'un livre ancien, dû au poète Pierre Dhainaut, et édité au début des années 1980 (il me semble) aux éditions Encre (les mêmes qui éditèrent des livres sur le Facteur Cheval et Picassiette). Ce nouvel ouvrage, intitulé exactement Hauteville House, Victor Hugo décorateur, 160 pages, comporte des photographies et des dessins dus à deux arrières-arrières-petits-enfants du poète, Jean-Baptiste et Marie Hugo.  Et Laura Hugo, fille de Marie, a sélectionné des écrits familiaux permettant de situer l'apport du Hugo décorateur, adepte d'un art total. Il a décidément tâté de tout, le grand homme,  poète, romancier, dramaturge, photographe, peintre et décorateur. La parution du livre prend place à l'occasion de l'exposition "Les Hugo, une famille d'artistes" (du 14 avril au 18 septembre).

 

Ursula à la galerie Les yeux fertiles

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    Sur cette artiste à part, compagne du peintre Bernard Schulze (aussi exposé à côté d'elle dans cette même galerie Les yeux fertiles), on a peu de renseignements (en français). Cela fait des années que je la vois mentionnée ici et là, notamment au moment de la donation Cordier au MNAM (Daniel Cordier l'exposa dans sa galerie), et je n'arrive pas à me décider à creuser la question. Je la prends pour une autre Unica Zürn au fond, une artiste visionnaire, para-surréaliste, marginale par rapport à ce mouvement (on dirait que comme dans le cas de Bellmer et Zürn, on aurait encore affaire ici à un autre couple d'artistes allemands où une femme se cache, à tort ou à raison, dans l'ombre de son compagnon). A lire la base patrimoniale des musées de Suisse romande, plusieurs œuvres d'elle (Ursula Bluhm) figurent dans la Collection de l'art brut, sans doute dans l'ancienne collection annexe dite de la "Neuve Invention" (les cas-limites entre art brut et art reconnu ; la base patrimoniale en question ne mentionne pas le distingo, et c'est un peu embêtant, accroissant la confusion entre créateurs de la Neuve Invention et la collection princeps de l'art brut). Dubuffet acquit de ses œuvres avant qu'Ursula se marie avec le peintre Bernard Schulze. L'automatisme très présent dans ses œuvres, accompagné d'une grande richesse chromatique, ses jungles de petites touches mosaïquées, rendent la fréquentation de ses œuvres fort agréable.

L'exposition d'Ursula et Bernard Schulze, aux Yeux fertiles,  dure du 17 mars au 7 mai.

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Un dessin aux crayons de couleur d'Ursula Bluhm, de 1959, tel qu'il figure sur la base patrimoniale de Suisse romande

 

Et que va-t-on montrer à la galerie Dettinger-Mayer en ce printemps? Christelle Lenci

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     Plus récente exposition de la galerie lyonnaise, c'est prévu pour durer du 9 avril au 4 mai. "Il était une fois", c'est son titre et, comme on le devine un peu en regardant le carton d'invitation, ce sont des dessins qui sont exposés de cette artiste, Christelle Lenci, dont je n'avais jamais entendu parler jusqu'ici. Histoire de nous emmener en promenade dans une forêt de contes à usage interne peut-être... L'intéressant pour moi dans ce genre de dessins c'est l'usage parallèle du noir et blanc et de la couleur. Le noir et blanc paraissant réservé aux évidements, à la réserve laissée par les espaces colorés... Enfin, je le suppose à partir de ce seul dessin...

 

Armand Schulthess à Lugano 

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Inscriptions accrochées sur le terrain (de 20 000 m²) que possédait Armand Schulthess au Tessin ; ph. Hans-Ulrich Schlumpf, années 1970

 

    J'avais déjà mentionné l'exposition qui avait été montée au Centre Dürrenmatt de Neuchâtel sur cet ancien fonctionnaire qui abandonna son travail à 50 ans pour se retirer en ermite du côté du Monte Verita dans le Tessin, lieu emblématique et historique où tant d'artistes, de poètes, de philosophes et de révolutionnaires, firent des séjours. On peut imaginer que l'exposition qui a commencé le 19 mars au MASI (musée d'art moderne) de Lugano, pour durer jusqu'au 19 juin, sous le commissariat de Lucienne Peiry, est le prolongement de celle de Neuchâtel. Pour en savoir plus sur ce créateur encyclopédiste  qui avait semé des médaillons couverts d'inscriptions chargées d'informations scientifiques de tous ordres sur les arbres de son jardin (assez proche par le projet d'un Gregory Blackstock aux USA, ou d'un Arthur Bispo de Rosario au Brésil, eux-mêmes passablement férus d'accumulation d'informations), on peut écouter Lucienne Peiry interviewée dans une émission de radio, "A vous de jouer", sur Espace 2 (elle intervient seulement à 41'30, attention). Ou se référer aussi à son site, Notes d'Art brut.

 

Du côté de la création franche, le musée de Bègles réaménage ses salles et son accrochage

      Après un bref moment de pause et de fermeture, le musée de la création franche annonce avoir repensé entièrement l'accrochage de sa collection permanente. Au point de proposer au total, répartis sur trois expositions distinctes, deux temporaires et une permanente, plus de 250 créateurs et artistes avec plus de 600 peintures et sculptures.

     L'exposition du rez-de-chaussée, traditionnellement temporaire (elle se tient du 15 avril au 5 juin), s'intitule "les Mots à l'œuvre", présentant, en trois phases, différentes façons chez les créateurs exposés d'intégrer du texte et des mots au sein des images, la dernière phase se concentrant davantage sur les œuvres de lettres et de signes : du lettrisme sauvage en quelque sorte.

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Une œuvre de Jacob Morf présente dans l'expo "Les mots à l'œuvre"

 

     A l'étage (le musée n'en a qu'un), une exposition de Jeroen Hollander (de même durée que celle du rez-de-chaussée), avec ses réseaux de transport, je dois dire, ne m'a pas particulièrement convaincu. Je préfère encore rêver sur de vrais plans de métro...

    Les salles de l'étage consacrées à la collection permanente ont été quant à elles réorganisées sur le thème du "foisonnement et de l'accumulation". Son titre, "Densités brutes", met l'accent, une fois de plus, sur le "brut" (sur le site du musée, un sous-titre précise que par musée de la "création franche", il faut entendre "musée d'art brut et apparentés"). Or, pour ceux qui connaissent bien le musée, on sait qu'au final une grande partie de la collection permanente comprend des créateurs et  des artistes qui sont aussi apparentés à l'art singulier, synonyme de "neuve invention" à Lausanne. Ce qui n'est pas tout à fait identique à ce qu'on appelle "art brut". Je fais partie personnellement de la collection de création franche, et je me sens en effet très peu "brut"...

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Une petite peinture à la délicate touche naïve et rugueuse de Joseph Sagués, ancienne collection Claude Massé, actuellement collection permanente de la Création franche ; à côté de l'art singulier, comme on le voit, dans la collection permanente il y a aussi de l'art naïf

26/02/2016

Y a bon phone

 

     Il y a quelques années, dans la rue de Flandre – qui n'avait pas encore été élevée, si je me rappelle bien, au rang d'"avenue" –, ma curiosité avait été piquée au vif par un panneau où s'étalait un logo publicitaire, mi naïf, mi ésotérique, vantant une boutique de vente de téléphones cellulaires, logo signé, étonnamment en un tel endroit (un pauvre mur cachant une boutique bricolée au pied du talus du chemin de fer de ceinture qui enjambait la rue, peu avant la porte de la Villette), du nom de Tokoudagba. Le même nom que celui d'un artiste béninois (né en 1939, il est disparu en 2012) dont à l'époque, j'avais découvert des œuvres tout à fait remarquables à l'Institut du Monde Arabe dans une exposition temporaire (il avait auparavant exposé aux Magiciens de la Terre en 1989). J'ai déjà eu l'occasion de parler de lui ailleurs sur ce blog. C'était surprenant de retrouver un dessin peut-être dû au même Tokoudagba dans un endroit aussi banal. Il était tracé en noir sur blanc. Je n'ai pas pu le photographier sur le moment (un camarade le fit, mais sa photo n'a toujours pas été retrouvée, en dépit de mes demandes répétées...). Mais, repassant dans la même rue à peu de temps de là, je fus encore plus sidéré de constater que le logo, s'il avait perduré, probablement copié et transféré, le décor entier du mur de clôture et des portes de la boutique visible au fond d'une courette avait progressé, composé de fresques en couleur où la couleur jaune Turner (un jaune doré) dominait, éclatante dans cet environnement urbain uniformément gris. La boutique "Y a bon phone" se faisait ainsi une publicité tout à fait dans le style des enseignes naïves d'Afrique de l'ouest. Très unique cas audacieux en plein Paris. Inutile de dire que ce décor ne dura pas longtemps, sans que je sache la raison de sa disparition.

 

Y a bon phone, rue de flandres (à l'époque), vue générale 2003.jpg

Décor naïf africain pour une boutique de téléphones, Paris XIXe ardt, photo Bruno Montpied, 2003

Y a bon phone, rue de flandres (à l'époque), 2003.jpg

Le jeune habillé à l'européenne lance un portable vers son aïeul resté au pays : le message est clair, grâce à cet appareil, les générations peuvent garder le contact, ph BM, 2003

Y a bon phone, vue de près de l'être téléphonique 2003.jpg

Le logo inclus dans les fresques, refait d'après le logo primitif noir et blanc de Tokoudagba, on note l'alliance entre le serpent et le téléphone, la tête disparue dans l'arborescence d'un réseau de racines se dispersant dans toutes les directions ; ce logo entretient des rapports avec la représentation de la Mami Wata ; ph BM, 2003

Y a bon phone, l'avers de la porte, 2003.jpg

Autre peinture sur l'avers du deuxième battant du portail: "Y a bon phone", ph BM, 2003

 

28/01/2016

Posters du Ghana peints à la main, une expo de quelques jours à Ménilmontant

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Une affiche du Ghana exposée au Monte-en-l'air

    Pressons-nous de réagir si on s'intéresse aux affiches peintes à exemplaires uniques africaines, une petite exposition d'une jolie sélection de plusieurs d'entre elles, réunie par Vincent Privat, est montrée depuis ce jeudi 27 janvier jusqu'à dimanche prochain à la librairie Le Monte-en-l'air rue des Panoyaux, à Ménilmontant. Ce n'est pas loin du tout des ateliers de l'ESAT de la même rue, où officie, entre autres créateurs handicapés, Philippe Lefresne.

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Une autre affiche du Monte-en-l'air

    Cela n'est pas la première fois que ce genre d'affiches est montré (il y eut dans le passé de nombreuses occasions d'en présenter déjà à Paris, rappelons-nous en effet les expos de la galerie Art factory quand elle se trouvait  rue d'Orsel à Montmartre, et il me semble qu'il y a eu aussi, il n'y a pas si longtemps,  une expo au Musée du quai Branly...), mais cela reste relativement peu fréquent (il se murmure en outre que ces posters commencent à se faire rares). L'ensemble ici présenté dans cette librairie n'a jamais été montré, car il vient d'une collection qui n'a fait l'objet d'aucune expo jusqu'à présent.

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    On sait  que ces affiches furent produites dans les années 1980 dans le cadre des productions de films d'action ou d'horreur de série Z venus de ce que l'on appelle Nollywood. Chaque officine qui passait une vidéo d'un de ces films avait besoin d'une affiche à l'extérieur du lieu de projection pour faire enseigne. Des peintres amateurs, démarquant plus ou moins naïvement les affiches imprimées commerciales, ou créant de toutes pièces, se chargeaient alors de réaliser une affiche peinte sur un support d'occasion (on parle souvent de sacs à farine par exemple).

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"Les Ténèbres du mal"... "Nous avons besoin de sang frais"... Sanglant à souhait...

05/01/2016

Eloge des pochards

           Dans le métro, depuis les attentats récents (13 novembre), on ne regarde plus ses semblables, passagers inconnus de ces rames promises à des dangers de tous les instants, qu’avec des yeux vigilants, anticipant tout ce qui pourrait advenir de meurtrier. Des scénarii s’ébauchent, peignant de possibles attaques non prévues jusqu’alors : tous ces hommes ‒ mais pourquoi pas des femmes ? ‒, arborant des sangles abdominales prononcées, ne seraient-ils pas ceints d’explosifs ? Que faire si un sniper d’occasion dégommait le conducteur de la rame depuis le quai ? On voit d’ici le train s’emballer, dérailler, ou peut-être allant s’encastrer dans le convoi qui le précède… Et lorsqu’on est dans les ascenseurs de stations profondément enfouies sous la ville (comme à Montmartre ou du côté de la Place des Fêtes), cages emplies au bas mot d’une centaine de voyageurs aux heures de pointe ? Avec un tireur posté à chaque sortie mitraillant tout ce qui voudrait en sortir, ne serait-il pas aisé de causer la mort d’un seul coup à une belle brochette de victimes qui tomberaient entassées les unes sur les autres dans ces caques obscures (et le plus souvent puantes)? L’imagination, morbide, brode machinalement sur ces cas de figure, et cela n’arrange pas le moral.

          Seuls, par ces temps où la méfiance règne en maîtresse tyrannique, les pochards rassurent. Ils n’inquiètent pas, pour autant qu’ils aient jamais fait peur à quiconque. Aujourd’hui plus que jamais, les ivrognes sont en effet peu soupçonnables d’appartenir à quelque gent puritaine analogue à la clique dite « jihadiste ». Bienheureux saoulards qui deviennent à la lumière de tels événements de braves bougres sur qui on peut compter, tranquillisantes incarnations de la bénignité !

         (Décembre 2015)

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René Rigal, un fêtard..., bois sculpté et teint, env. 56 cm de hauteur, sans date (années 1990?), coll. privée, Paris

 

11/10/2015

Fondation de la collection de monographies "la Petite Brute"

     La Petite Brute, collection que je dirige, répond à une demande de l'éditeur de l'Insomniaque qui souhaitait qu'on lance une série de titres sur des créateurs d'art brut, ou d'art naïf inventif, ou d'environnements populaires du type de ceux dont je parle dans Eloge des Jardins Anarchiques (éditions l'Insomniaque, 2011), voire sur des thèmes en liaison avec les arts de l'immédiat (poésie naturelle, figures du fantastique social dans la rue, anonymes de l'art populaire, etc.). Chaque titre devant comporter un texte rédigé de façon primesautière, non universitaire, plutôt poétique et littéraire, suivi d'un album de reproductions.logo avec titre en arc-de-cercle.jpg

     Le choix des auteurs se portera avant tout sur des sujets choisis en dehors des circuits commerciaux de l'art, puisqu'il s'agit de mettre en lumière une créativité éparse dans la population, qui ne se destine pas nécessairement à faire l'objet d'un marché, mais qui se déploie plutôt dans le désir d'embellir la vie quotidienne, en la magnifiant, en l'enchantant, voire au passage en la critiquant, miroir installé sur le bord du chemin de la vie comme disait (à peu près) Stendhal...

 

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     Les deux premiers titres sortent cet automne. Mardi 13 octobre (l'ouvrage est du reste d'ores et déjà disponible à la librairie de la Halle Saint-Pierre), on trouvera en librairie Visionnaires de Taïwan de Remy Ricordeau, consacré à une demi douzaine d'environnements découverts par l'auteur dans l'île de Formose, en différents points de cette terre. On y rencontrera dans la neuve perspective proposée par Ricordeau notamment les œuvres de Lin Yuan qui avait été exposé il y a quelques années dans l'expo "17 Naïfs de Taïwan" à la Halle St-Pierre. Mais à côté de lui, se déploient également différentes autres créations parfaitement inconnues et inédites, prouvant s'il en était besoin que la création spontanée est une pratique des plus répandues dans le monde, les territoires de l'Asie n'en étant pas épargnés, et commençant à largement intéresser les amateurs et les chercheurs d'art brut (dont bien entendu les marchands toujours à l'affût et attentifs à être les premiers à poser le pied - et la griffe - sur les nouvelles œuvres découvertes).

 

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Bestiaire de Wu Tanlai, ph. Remy Ricordeau, 2014

 

    Le deuxième titre est de Bruno Montpied, votre serviteur, Andrée Acézat, oublier le passé. Il sera disponible en librairie à la mi novembre (le diffuseur de l'Insomniaque est désormais Les Belles Lettres). Acézat, j'en ai déjà beaucoup parlé sur ce blog, était une peintre secrète qui produisit durant une cinquantaine d'années dans la région bordelaise (elle vivait à Talence avec son mari Lino Sartori, devenu sur le tard et par contagion un sculpteur et peintre singulier autodidacte ; le livre montre également quelques-unes de ses œuvres) des tableaux d'une facture banale relevant de ce que l'on appelle la peinture de genre, nus, natures mortes, paysages du bassin d'Arcachon, etc. Elle se décida, peut-être par contrecoup d'un cancer, sur le tard à 70 ans, à tout rejeter pour se mettre à créer un cortège de figures grotesques, caricaturales inspirées des personnages qu'elle croisait dans sa vie quotidienne. Ses peintures prirent alors un aspect expressionniste naïf très singulier. 

 

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Andrée Acézat, sans titre renseigné, 65 x 50 cm, peinture sur toile, 1996, coll. privée, région bordelaise, ph. Bruno Montpied

 

 A signaler: les deux auteurs, Remy Ricordeau et Bruno Montpied signeront leurs livres respectifs, tout en dialoguant avec les amateurs, dans le cadre de l'Outsider Art Fair, sur le stand tenu par la librairie de la  Halle Saint-Pierre le samedi 24 octobre à 15h à l'Hôtel du Duc, rue de la Michodière, dans le IXe arrondissement de Paris.

(Si vous ne trouvez pas les livres chez votre libraire habituel, n'hésitez pas à le commander, le diffuseur étant les Belles Lettres)

19/09/2015

Adivasi?

     Ah, dis: vas-y... voir les peintures Adivasi à la galerie 6 Elzévir, présentées par l'antiquaire, marchand de "décoration ethnique", Philippe Saada, dont j'ai déjà parlé sur ce blog pour l'expo Babahoum qu'il avait montée dans cette même galerie l'année dernière presqu'aux mêmes dates. Ce sont des œuvres peintes par les membres d'un de ces "minorités ethniques" que l'on rencontre en Inde, tels les Gond, qui sont eux paraît-il des Aborigènes (plusieurs de leurs œuvres sont également présentées dans le Marais dans une autre galerie, rue Charlot, la galerie Anders Hus).

     A propos de Babahoum, on notera que si l'on suit les infos parues sur le site web d'Escale Nomad, la structure d'exposition de Philippe Saada, une expo consacrée à ce créateur marocain se tient jusqu'au 30 septembre à Bruxelles (cliquez sur le lien ci-dessus pour en savoir plus).

 

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Exposition ADIVASI, peintures des minorités indiennes

du 24 au 27 septembre 2015 de 11h à 19h, vernissage jeudi 24 septembre de 18h à 22h

 

Galerie Six Elzévir

6, rue Elzévir 75003 Paris

 

09/09/2015

Rencontre avec Roméo, un film improvisé par Jacques Burtin et Bruno Montpied, 2015

       On a fait du cinéma sans que je m'en aperçoive. "On", c'est surtout Jacques Burtin qui s'était muni d'une caméra tandis que j'avais un appareil photo pour aller prendre quelques images des girouettes animées (whirligigs), des vire-vent, de M. Roméo Gérolami, il y a presque un an à Bléneau (Yonne). Moi, je faisais l'interviewer.

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Quelques sujets de Roméo Gérolami, vus depuis la route en contrebas, ph. Bruno Montpied, 2014

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Un homme en train de scier du bois, ph. BM, 2014

 

     Ce dernier, ancien motoriste chez Lancia, Alfa-Roméo, et BMW, spécialiste de la résolution des énigmes mécaniques en tous genres, chercheur du mouvement gravitationnel (un mouvement que l'on fait démarrer et qui ne s'arrête plus, s'alimentant de lui-même grâce à une batterie se rechargeant), inventeur de la porte fermable et ouvrable sans serrure, autrefois collaborateur de la Caméra Invisible pour laquelle il concevait des voitures démarrant sans conducteur, ce dernier (de son point de vue: accessoirement) est aussi l'auteur d'une série de girouettes animant des saynètes peintes sur tôle quelque peu naïves. J'ai beau l'interroger sur son talent de dessinateur naïf, il n'en a cure et me renvoie sans cesse à sa passion centrale: la mécanique.

 

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Un buveur de vin (qui a fait des réserves), ph. BM, 2014

  

       On trouve ainsi entre autres un hélicoptère, un oiseau donnant la becquée à son petit, un pêcheur, un cheval caracolant, un coureur cycliste, un homme en train de scier une bûche, un bouliste, un buveur de vin et des avions bien sûr, comme il arrive d'en voir dans pas mal de jardins ici et là. Des animateurs de saynètes activées par le vent, on en trouve rarement par contre. C'était une tradition plus fréquente il y a des dizaines d'années, mais avec le recul du bricolage et de l'ingéniosité, cela tend à disparaître.

        Pour voir le film, c'est ci-dessous (ça dure 18 min 24):

RENCONTRE AVEC ROMÉO (Nouvelle version) from Jacques Burtin on Vimeo.

 

      A signaler que c'est une version légèrement différente de ce film qui a été projetée récemment à la Maison du Tailleu le 28 août dernier à Savennes dans la Creuse dans le cadre de mon exposition de dessins.

 

06/09/2015

Des nains et un étrange "château d'arbre" en Chine

     En recherchant autre chose sur internet récemment, je suis tombé sur une curieuse petite note à propos d'un village où se sont regroupées une centaine de personnes de petit taille, comme on dit aujourd'hui en parlant le langage normé, donc des nains. Cela se passe à Kunming dans le Yunnan (sud de la Chine, région proche de la Birmanie). Si la note en soi m'intrigua sur le moment modérément, hormis tout de même le fait que ces personnages se sont construits des maisons en forme de champignons...,Village de nains ds le Yunnan.jpg ce qui m'a davantage surpris c'est la troisième page de la note parue sur un site de nouvelles relatives à la Chine. On voit tout à coup apparaître un "château d'arbre" plutôt saisissant. L'illustration me paraît cependant douteuse, cela ressemble assez à un photomontage. Je n'ai pas trouvé d'autre photo de cet arbre étrange. Si mes lecteurs ont une idée...

 

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Le "château d'arbre"...

 

     A y regarder de plus près cependant, ce village a été créé par une association dans un but touristique comme il est dit sur cet autre site web: "Il s'agit en fait d'une attraction touristique proposée par le Jardin écologique mondial des papillons de Kunming - 昆明世界蝴蝶生态园". Ses habitants sont des employés (salariés, 1000 yuans par mois, ce qu'on nous présente dans l'article comme un bon salaire), et le village a un directeur, nommé M. Wu.  Ce dernier rêve d'agrandir son parc à 600 nains. Il leur demande de faire des spectacles, de se déguiser en fées, papillons, lutins... Il se pourrait fort bien  que l'intention de l'association qui a créé cet endroit ne soit pas seulement fondée sur des mobiles bienfaisants, l'ensemble ressemblant plutôt à une base de loisirs proche dans l'esprit des baraques de foire où l'on exhibait autrefois des être difformes dans les fêtes foraines européennes, voire à ces expositions où l'on exhibait des indigènes "typiques" dans ce que l'on a appelé depuis des "zoos humains"... Assez débecquetant. Mais on me dira que les nains ont toujours trouvé refuge dans des spectacles de cirque au sein des univers forains et que cela représentait pour eux une bonne solution de survie contre ceux qui se gaussaient d'eux, voire les persécutaient (on se souvient des concours de lancers de nains).

10/08/2015

Joseph Donadello, un livre et une exposition au musée des Amoureux d'Angélique

    Le Musée des amoureux d'Angélique, j'en ai déjà parlé, c'est du côté des Pyrénées, en Ariège, dans le village d'artistes du Carla-Bayle. Ils montent une exposition consacrée à ce créateur populaire d'environnement de Saiguède (Haute-Garonne), mais cette fois ce n'est plus dans le local traditionnel du musée (peut-être qu'il est trop plein?). C'est dans une grotte, la "Cavité du Cruzet", ouverte sur l'extérieur et qui se laisse regarder, nous dit-on, jour et nuit.

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Deux pages du livre consacré à Donadello (aussi appelé "Bepi Donal") par l'Association Gepetto (Martine et Pierre-Louis Boudra)

     L'expo dure tout l'été, sans doute jusqu'en septembre donc... Vous avez le téléphone ci-dessus pour vous renseigner à ce sujet (et commander le petit album concocté par les Amoureux d'Angélique avec plein de photos qui dévoilent à quel point notre Joseph a une production en sculpture et en peinture extrêmement foisonnante et quelque peu... hétéroclite). Et rien ne vous empêche d'aller voir M. Donadello sur son site de création, où son jardin de bord des routes exhibe toujours de mirifiques créations en ciment polychrome traitées en deux dimensions, comme autant d'images inspirées par les média audio-visuels. C'est à Saiguède, en demandant votre chemin... 

 

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Le jardin de Joseph Donadello en 2008... Grandement modifié depuis, je parie... Ph. Bruno Montpied

 

17/07/2015

Retour sur "Brut de Pop' " à l'écomusée de Marquèze, Art populaire et art brut, ou Art populaire et art singulier?

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    J'ai reçu le catalogue de l'exposition qui s'est terminée le 28 juin à l'Ecomusée de Marquèze dans les Landes, réalisée en partenariat avec le  Musée de la Création Franche de Bègles (je profite de cette note pour remercier les responsables de ce dernier). Ce catalogue, présentant les motivations de ses organisateurs (principalement les conservateurs de l'Ecomusée de Marquèze), appelle quelques remarques de ma part, d'autant qu'une de mes déclarations écrites y est prise à témoin, gentiment contestée (comme quoi l'art populaire au sens  rural, collectif et normé aurait disparu et survivrait de façon individualiste dans une partie de l'art brut).

    "Brut de Pop' "  se proposait de confronter l'art populaire et "l'art brut", assimilé par la principale commissaire de cette exposition, Vanessa Doutreleau, tout uniment, dans un bel amalgame qui ne s'embarrasse que de peu de nuances, à l'ensemble de la collection du musée de la Création Franche à Bègles, qui avait prêté pour cette manifestation environ 250 œuvres. Je parle d'amalgame et d'absence de nuances dans la terminologie parce que comme le savent ceux qui fréquentent ce musée, il existe de fortes différences, à la fois en termes de sociologie de l'art qu'en termes d'inspiration et d'arrière-plans culturels, entre les différentes expressions plastiques conservées à Bègles.

     On y trouve de l'art brut, mais aussi de l'art naïf, de l'art populaire contemporain, de l'art contemporain singulier, des surréalistes se revendiquant en tant que tels aujourd'hui même (en filiation avec le mouvement surréaliste historique et non pas de façon unilatéralement proclamée, comme cela paraît se produire ici et là, notamment à Bordeaux), le tout s'amalgamant dans ce que Gérard Sendrey a étiqueté "création franche" (sans parvenir véritablement au fil du temps à imposer le terme) et qui ces derniers temps se laisse aussi englober sous l'étiquette d'art marginal¹ pour ne plus dire "art singulier" qui, du fait de ses terribles succédanés - les sous-Chaissac et les producteurs de têtes à Toto en pagaille - est un terme aujourd'hui bien galvaudé.

 

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Jean Dominique (en haut) et Gabriel Vergez (en bas), catalogue Brut de Pop'

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René Guisset, danseurs aux rubans, sculpture coll. Alain Moreau

 

     Si Vanessa Doutreleau a totalement raison quand elle met en regard les sculptures naïves et frustes (terme non péjoratif sous les touches de mon clavier) de Jean Dominique, voire aussi de René Guisset  (tous deux présents dans la collection de la Création Franche) avec celles de l'autodidacte de semblable culture populaire Gabriel Vergez (qui fait partie de la collection de l'écomusée de Marquèze et qui à cette occasion s'est révélé être une véritable découverte), Dominique et Guisset exemples tous deux de sculpture populaire contemporaine², les autres comparaisons de notre commissaire d'exposition - par exemple lorsqu'elle confronte les œuvres d'artistes, plus ou moins consciemment déférents à l'égard des œuvres de l'art populaire rural (comme le font  entre autres Jean-Joseph Sanfourche ou Gilles Manero), avec d'autres objets venus de la collection d'art populaire de l'Ecomusée de Marquèze, objets religieux ou bien outils - ces autres comparaisons ne renvoient plus à une confrontation art populaire rural/art brut, mais plutôt à un rapport art populaire rural/art singulier. Or l'écart entre ces deux catégories, pour le coup,  se trouve être bien plus large.

 

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Ce véhicule brinquebalant de Burland peut paraître associable à l'art brut... Mais seulement si on ignore que son auteur, suisse, a beaucoup vu d'œuvres d'art brut... qui l'ont probablement passablement marqué

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Carlo M, bateau le Sozialis, art produit en hôpital psychiatrique en Suisse ; une référence pour François Burland ?

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Jean Bordes relève quant à lui nettement plus nettement de ce que l'on appelle l'art brut, du genre structures amalgamées-ficelées (voir Judith Scott aussi) ; lui aussi a pu influencer certains singuliers que l'on qualifie du coup de "bruts", par confusion des genres je trouve

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Voici une maquette de trolley du Néerlandais Willem Van Genk qui lui aussi a dû impressionner François Burland... ; selon moi ce dernier illustre bien un type d'artiste contemporain singulier qui connaît si bien l'art brut qu'il en est profondément marqué ; cependant il s'en distingue généralement par un aspect esthétisant qu'il ne peut que difficilement éviter (voir la première image de cette série, l'œuvre de François Burland, un tantinet plus pimpante...)

 

     L'art singulier, autrement appelé Création Franche à Bègles ou Neuve Invention à Lausanne, regroupant toutes sortes d'artistes semi-professionnels, en marge du système traditionnel des Beaux-Arts, artistes auxquels le terme turfiste d'outsider correspond finalement assez bien (c'est le canasson pas favori au départ qui peut finir par arriver bon premier...), l'art singulier est en effet assez différent - par ses substrats culturels, et par les connaissances artistiques de ses auteurs - du jaillissement irrépressible de l'art véritablement brut. L'art singulier, produit de créateurs semi-artistes – "semi", parce qu'introduits de façon limitée dans le monde professionnel (c'est évidemment variable selon les cas) – l'art singulier est une pratique de l'art, la majeure partie du temps autodidacte, où l'on sent malgré tout une culture artistique à l'œuvre par-dessous. Culture artistique souvent forgée de manière personnelle, et influencée par l'exemple rude et direct des créateurs de l'art brut.

 

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Les semelles peintes d'Alain Pauzié, artiste atypique de la Création franche et de l'art singulier, n'ont en commun avec les sabots décorés de l'art populaire que le fait d'appartenir au monde de la chaussure ; la confrontation des deux arts débouche ici sur une confrontation art populaire/art contemporain (marginal): pourquoi pas? Mais l'étude devrait alors être infiniment plus vaste, ouvrant sur des perspectives beaucoup plus cruciales (l'usage social de l'art) qui ne paraissent pas faire partie de ce qu'ont recherché les organisateurs de "Brut de Pop' ")

 

      L'automatisme, même si il n'est pas revendiqué sous ce vocable, est largement pratiqué dans l'art singulier où l'on reconnaît des artistes tout à fait anticonformistes qui sont aujourd'hui diffusés par les médias, comme Gaston Chaissac par exemple, énormément imité çà et là par tant et tant d'épigones moins originaux. Cobra, Dubuffet, les surréalistes, Miro, l'art populaire, mais parfois aussi l'expressionnisme allemand, en plus généralement de tout ce qui se fait connaître à travers de grandes expositions évoquées par les médias, bouleversent et chamboulent les esprits de ces autodidactes qui se lancent dans l'art avec spontanéité. Un certain primitivisme dans l'expression, un goût des couleurs vives pour ne pas dire criardes, sont des caractéristiques récurrentes dans ces arts singuliers.

     Vanessa Doutreleau, qui s'intéresse visiblement beaucoup à l'art populaire (ce en quoi elle nous est sympathique, de même que le concept de cette exposition), s'efforce donc de trouver des parallèles entre les collections de son écomusée et certaines œuvres du musée de la création franche qu'elle assimile à la louche à l'art brut. Elle veut s'attacher à prouver que l'art populaire n'est pas mort, et qu'il survit aujourd'hui dans ce qu'elle prend pour de l'art brut à Bègles. Elle aurait dû je pense, tout en triant plus judicieusement dans la collection du musée de Bègles (garder Jean Dominique et Emile Ratier...), se tourner en outre du côté de plusieurs autres collections et peut-être notamment interroger des collections d'art populaire contemporain, comme celle du petit musée des Amoureux d'Angélique au Carla-Bayle dans l'Ariège, ou puiser dans l'histoire des expositions montées dans le passé par le Musée International des Arts Modestes à Sète et ailleurs. L'art modeste est en effet un concept qui recoupe assez largement celui d'art populaire contemporain, même si son défenseur, le peintre Di Rosa l'a tellement  élargi qu'il en est devenu un inénarrable fourre-tout (pin-ups sur camions, mouchoirs dessinés par des taulards, skate customisés, décors de flippers, collectionnites aiguës, jouets anciens, publicités, ex-voto contemporains, affiches peintes à la main, masques de catcheurs mexicains, etc.).

 

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Cette confrontation entre une machine à tailler la bruyère bricolée par Jean Cazenave (collection de l'Ecomusée de Marquèze) et la maquette de bois assemblés d'Emile Ratier apparaît ici parlante, mais l'on a affaire avec Ratier à un authentique créateur populaire, intégré à l'art brut

 

       L'art brut de son côté, s'il contient (s'il a contenu) beaucoup de cas de créateurs d'extraction populaire, coupés de la culture traditionnelle des anciens artisans ruraux, rassemble aussi des créateurs cultivés en situation de rupture, parfois fort cérébraux (des illuminés mystiques confus, des adeptes de la numérologie et des diagrammes ou schémas en tous genres, des handicapés non indemnes de culture artistique exhibée par leurs thérapeutes). Le concept d'art brut est devenu du coup de plus en plus flou.

      C'est là que je me dois de souligner mon évolution personnelle face à ces transformations. Personnellement, je cherchais autrefois dans l'art brut une dimension de naïveté et d'immédiateté, proche du regard enfantin, qui provenait de la part populaire de l'art brut (je m'y intéresse cela dit toujours). J'ai cherché, dans l'article des actes I du colloque sur l'art brut monté par Barbara Saforova dans le cadre d'un séminaire qu'elle mène, à dresser des passerelles entre art brut et art populaire. Cet article est cité par Vanessa Doutreleau dans ses textes du catalogue. Mais elle me range aux côtés d'un Michel Thévoz (ce qui m'honore grandement) pour conclure que j'aurais conclu à la mort de l'art populaire. Que nenni pourtant... Même si je réitère que l'art populaire rural d'autrefois, aux normes esthétiques assumées par les communautés, aux produits utilitaires, a bien quasiment complètement disparu en France, je trouve néanmoins qu'on peut encore trouver ici et là des formes de regain anarchiques, déconnectées d'une intégration à la vie du peuple.  

      De plus, si je ne le trouve plus beaucoup dans l'art brut new look qu'on cherche à mettre en avant entre autres à la galerie Christian Berst, je continue de le retrouver chez les créateurs d'environnements spontanés que j'ai étudiés dans mon livre Eloge des Jardins anarchiques (que Mme Doutreleau ne paraît pas avoir lu, ce qui est dommage car elle y aurait vu que j'y défends certains inspirés qui travaillent dans un esprit collectif, comme la famille Montégudet en Creuse par exemple), et aussi ailleurs, notamment chez toutes sortes de créateurs inaperçus ou complètement anonymes que l'on rencontre la plupart du temps plutôt en brocante que dans les galeries. Les ventes aux enchères, les vide-greniers sont des endroits où réapparaissent toutes sortes de créateurs la plupart du temps oubliés, peu remarqués parce que leurs œuvres sont restées peu nombreuses, et naïves. Ce blog en a présenté régulièrement plusieurs d'entre elles.

 

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Des bouteilles peintes de Louis Beynet, coll. privée, Paris ; j'ai présenté ce travail naïf insolite dans le n°3 de la revue L'Or aux 13 îles

 

 

     Je ne crois donc pas à la disparition de l'art populaire. Il s'est fait seulement plus individualiste, plus libre partant de là, toujours aussi marqué par un regard d'enfant préservé, et n'intéressant que peu le marché de l'art (et tant mieux!). Les catégories d'art populaire contemporain ou d'art populaire insolite que j'ai insérées  dans la colonne de droite sur ce blog atteste de mon intérêt pour cette permanence de l'art populaire.

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¹ Ce terme d'art marginal est revendiqué pour cet été dans un communiqué de presse rédigé par Oana Amaricai annonçant un festival du même nom à Montcuq dans le Lot (je ne sais s'il y a eu malice dans le choix de ce bourg...). La manifestation est organisée par elle (du 1er au 15 août ) en collaboration avec Jean-Luc Bourdila et Marcel Benaïs, présenté par ailleurs comme  "artiste ufologue" (c'est-à-dire qui voit des soucoupes volantes partout?). Je souscris assez au texte de cette dame. Oana Amaricai et Jean-Luc Bourdila sont par ailleurs animateurs de cet autre festival d'art marginal le "Grand Baz'Art à Gisors" qui s'est tenu le récent week-end du 4-5 juillet dernier. Si j'ai le temps, j'y reviendrai bientôt, afin d'évoquer un créateur que j'y ai rencontré.

² Cette sculpture populaire contemporaine est une catégorie qui prend parfois l'allure d'un sous-ensemble de l'art brut, quoique ce dernier ait tendance à évoluer considérablement du fait de l'emprise de certains marchands, puisqu'on y intègre de plus en plus des œuvres d'esprits savants en rupture, du type Lubos Plny ; l'œuvre de ce dernier est stylistiquement à des années-lumières de la naïveté d'un Vergez ou d'un Jean Dominique. L'art brut est ainsi associable plus facilement avec les œuvres d'un certain type d'art  plastique contemporain. On voit ce que vise aussi  cette manœuvre, attirer d'autres collectionneurs vers cet art brut devenu plus intellectuel, partant plus présentable aux yeux d'un amateur d'art contemporain.

05/07/2015

Guy Brunet réalisateur expose à la Collection de l'Art Brut

    Ils n'ont pas pour habitude à Lausanne d'exposer quelque créateur sans avoir de ses œuvres en magasin. Il faut donc, à l'annonce de l'exposition qui se tient actuellement à la Collection de l'Art Brut (du 5 juin au 4 octobre 2015), en déduire que certaines des œuvres de l'ineffable Guy Brunet font désormais partie des collections du célèbre Château de Beaulieu, même si on peut se demander si ces œuvres relèvent absolument de l'art brut, et si le fait de les intégrer ne va pas mener à la longue la Collection vers une abolition des frontières entre collection annexe et collection d'art brut au sens strict.

Extraits d'un film de Bastien Genoux et Mario Del Curto sur Guy Brunet, inséré sur Vimeo

      Rien n'est dit d'ailleurs dans le laïus de présentation de l'expo Brunet du fait qu'il a peut-être été intégré dans la section Neuve Invention plutôt que dans la collection princeps. Ce genre de précision, on ne l'avait déjà plus du temps de Lucienne Peiry, or maintenant que c'est Sarah Lombardi qui préside aux destinées de la Collection, on aurait pu croire que la précision allait être donnée. Eh bien, non... Du coup, où s'arrête l'art brut désormais? Le flou s'installe...

 

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Dracula vu par Guy Brunet, ph. Bruno Montpied, 2005

 

 

     Guy Brunet, j'en ai souvent causé sur ce blog. Il réalise des films en les bricolant à la maison dans  le cadre d'une carcasse de télévision, en utilisant des silhouettes de comédiens américains ou français, de producteurs, de réalisateurs en guise d'acteurs qu'il manipule devant sa petite caméra. Cela raconte l'histoire du cinéma, notamment de l'Age d'Or du cinéma hollywoodien. Il fait des affiches depuis son adolescence (j'en possède deux qui datent de ces débuts "héroïques"), au départ présentant des films imaginaires, puis par la suite démarquant des affiches existantes, celles que ses parents recevaient dans le cinéma où il a grandi à Cagnac-les-Mines dans le Tarn entre 1949 et 1961 – et d'où, mentalement parlant, il n'est jamais ressorti...

 

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Un emboîtage conçu par Guy Brunet vers 2005 pour le titre "L'Age d'Or du Policier"

 

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Guy Brunet, pharaon du 7e art revisité par l'art naïf, ph. BM, 2012

 

      Il a été passablement exposé déjà, au Musée d'Art Naïf de Nice dans le cadre des Rencontres autour du cinéma des art singuliers montées par l'Association Hors-Champ, où d'aucuns se souviennent l'avoir vu dérouler ses affiches à vendre sur l'estrade entre deux films ; au Musée International d'Art Modeste de Sète ; et plus récemment une rétrospective lui a été consacrée à Villefranche-sur-Saône, organisée par Alain Moreau. Un catalogue sort à l'occasion de cette incursion à Lausanne, dont les textes sont dus à Charles Soubeyran, Sarah Lombardi et Till Schaap. On y retrouve des photos de Mario Del Curto, le photographe désormais officiel de l'art brut...

Une exposition itinérante, coproduite par la Collection de l’Art Brut (Lausanne), ira ensuite au Lieu Unique (Nantes, du 13 avril au 29 mai 2016) et dans les musées du Grand Rodez (automne 2016).

 

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Guy Brunet devant ses vedettes en carton peint, ph. BM, 2012

 

08/06/2015

Les poupées de Nagoro pour repeupler ou pour témoigner de ce qui fut et ne reviendra plus?

       Voici un lien vers un petit film de Fritz Schumann diffusé sur le site du National Geographic relatif à une dame qui vit dans un village déserté (37 habitants aujourd'hui, et comme elle le dit dans le film, il y a plus de poupées désormais, 350 environ - simulacres des anciens habitants - que de personnes vivantes).

 

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Capture d'écran d'après le film de Fritz Schumann

 

    Cela se passe au fond d'une vallée perdue du Japon. Je dois cette information à une spectatrice qui nous en a parlé lors de mon intervention récente à la Bibliothèque Robert Desnos de Montreuil. C'est l'évocation que je fis à un moment des créateurs d'épouvantails, Denise Chalvet et Pierre-Maurice Gladine dans l'Aubrac, qui eux aussi peuplent leur coin perdu de mannequins que l'on peut interpréter comme autant de simulacres de mortels disparus, qui fit penser à cette dame de rapprocher leur démarche de celle de la créatrice japonaise. Pour voir la vidéo, cliquez sur le lien...

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Dans l'ancien garage de Denise Chalvet et Maurice Gladine, ph . B. Montpied, 2012

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Capture d'écran d'après le film de Fritz Schumann, "J'ai commencé de faire des poupées il y a dix ans" (Ayano Tsukimi)

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Capture d'écran d'après le film de Fritz Schumann, "Je pensais que nous avions besoin d'épouvantails..."

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Capture d'écran d'après le film de F. Schumann, "Donc je fis une poupée semblable à mon père..." (aveu qui peut prêter à sourire: le père épouvantail, qui fait peur, mais qui peut aussi vouloir dire autre chose: le père qui protège et fait fuir les mauvais esprits...)

 

      La dame faiseuse de poupées se nomme Ayano Tsukimi. On trouvera peut-être ses créatures assez peu naïves au demeurant ; il semble que cela tienne au fait que  la créatrice soit une femme cultivée : elle tient avec aise un discours qui montre une conscience nette de son travail et une réflexion poussée à propos de l'existence.

 

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Capture d'écran d'après le film de F.S. ; "Je suis très bonne pour confectionner des grand-mères..."

 

    Elle vit dans un petit village (Nagoro) de Shikoku, une des quatre grandes  îles du Japon. Elle crée une poupée chaque fois qu'un habitant décède ou quitte le village, ce qui constitue de fait un témoignage mémoriel (éphémère ; comme elle le dit, les poupées durent encore moins que les humains, puisqu'elles se désagrègent en moins de trois ans généralement). Elle dresse ainsi sous le ciel, à la merci des aléas climatiques, le simulacre du patrimoine humain de son village (chacune des poupées campant un habitant dans une activité caractéristique, que cela soit pendant un travail ou un loisir ; elle a ainsi reconstitué l'école avec son personnel et ses élèves disparus, des paysans dans les champs, des pêcheurs et des chasseurs, etc.).

 

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Capture d'écran d'après le film de F.S. ; la classe d'école (alors que la vraie école d'origine a disparu à présent)

 

      Cela apparente son travail aux sculptures de Stan Ion Patras et ses émules qui dans le village de Sapinta dans le Maramures en Roumanie ont conservé au fil des années, dans un style infiniment plus naïf pour le coup, la mémoire des habitants du village dont les proches souhaitaient voir les faits marquants de leurs vies représentés en sculpture et peints sur leurs stèles funéraires. Le cimetière "joyeux" de Sapinta a constitué ainsi au fil des ans la saga colorée des habitants transitoires du village (voir ci-dessous une photo empruntée au site Archi Libre).

 

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   Les mannequins-épouvantails de Denise et Maurice dans l'Aubrac proviennent probablement d'une semblable quoiqu'inconsciente volonté de ressusciter les fantômes du passé, d'où l'allure de zombies qu'ils peuvent prendre parfois à mes yeux... De même un habitant de l'Hérault, Henry de la Costète (pseudonyme choisi par lui), que nous a révélé Dom sur son blog Hérault insolite, a reconstitué un village occitan typique (appelé Camarière) sur une colline en terrasses en plantant dessus des mannequins et des cabanes censées figurer les différentes activités de ce village conçu comme un archétype de son village d'enfance.

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Henry de la Costète, village occitan simulacre de Camariere avec mannequins et boutiques d'artisans, commerces, à Lunas (Hérault); ph. BM, 2012

     On constate donc que de Nagoro à l'Hérault et l'Aubrac de semblables nostalgies sont au travail, trouvant de semblables solutions dans des styles divers.

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Capture d'écran film F.S., "Peu de gens aiment mes poupées, je présume...": Mais si, Mme Tsukimi, détrompez-vous...  Par ici, en France, elles nous parlent!